JOURNAL SPIRITUEL
1945-1
Ténèbres et lumière

« Ta vie est souffrance qui produit l’amour… » - « Je me donne à vous... » - La gratitude d’Alexandrina - Le docteur “bon Samaritain” - La fureur de Satan - “Douleur qui sauve, amour qui vainc tout” - « Il est attaché par une seule aile » - Le Christ crucifié en transparence - Soif de sauver le monde - « J’aimerais que mon âme ait été un livre... » - « Je t’ai rendue semblable à moi... » - « Plus je souffre, plus je désire souffrir... » - « Jésus s’est donné à moi... » - « Tout souffrir sans rien dicter... » - « L’amour me pousse vers la souffrance » - « Toute seule dans une obscure prison... » - Efforts récompensés... - « Je sens être le monde... » - « Nos cœurs sont unis... » - « Mon Dieu, combien les souffranceS que vous m’avez envoyé sont variées !... » - « Le monde vient se rassasier… » - « Pourvu que je sache correspondre... » - « Les pétales deviennent des flèches... » - « Jésus, que pourrez-vous me demander que je ne vous le donne pas  ?... » - « Je suis une mère qui pleure... » - « Je sens en moi un feu brûlant... » - Le nuit du plus grand miracle... - « Le ciel paraissait se révolter... » - « Cette lumière ne laisse rien occulte... » - « La tour s’élève... »  -La douleur de la Mère - NOTES

 

« Ta vie est souffrance qui produit l’amour… »

Jésus, quelles caresses [1] recevrai-je de vous au cours cette nouvelle année ? Je suis remplie de crainte, et encore davantage d’angoisse. Qu’il arrive ce qui doit arriver. Pour tout ce par quoi je pourrai être blessée et humiliée, avec votre divine grâce, à tout je dirai :

— Bienvenu ; que la volonté de Jésus soit faite !

J’aimerais naître maintenant, mais vous connaître déjà, à fin de ne pas tacher par quoi que ce soit mon corps ; j’aimerais que le monde entier aussi naisse avec moi, et que lui aussi vous connaisse déjà, afin de ne pas le laisser se corrompre...[2]

« Je me donne à vous... »

(...) Je sens que beaucoup de routes sont baignées par mon sang. Je vois tant de révoltes et d’indignations... Mon corps n’est qu’une plaie. Le sang de la tête, causé par les épines, baigne tout mon corps. Les bras ouverts je m’abandonne à la croix : je me laisse crucifier.

Un cri continuel :

— Père, mon Père, vous aussi, vous m’avez abandonnée ! Je suis votre victime, je me donne à vous pour les âmes.

Ô mon Dieu, si je pouvais disposer de ma volonté, je préférerais l’enfer à cette souffrance et aux instants de mes colloques avec vous ! [3] Oui, parce que là, ne vous parlant pas et ne pas vous écoutant, je ne craindrais pas de me tromper ni de tromper les autres ; je ne serais pas persécutée par le monde. Pardonnez-moi cet épanchement : j’ai horreur de la tromperie et du mensonge. Je me crains moi-même et j’ai peur du vendredi : si seulement les vendredis disparaissaient et que moi-même je disparaisse dans votre amour infini !

Que vienne toute la souffrance, que vienne la croix, que vienne la mort. J’embrasse tout : je suis votre victime, Jésus.

De cette souffrance, je suis passée à un effluve de lumière, de paix et de douceur... Jésus m’a parlé :

— (...)
Ce fut une année d’amour, une année pleine de salut. Ma fille, fleur angélique, benjamine de la divine Trinité, benjamine de Marie et de toute la Cours céleste, ta souffrance a enrichi le ciel et y est écrite en lettres d’or...

Une année d’amertume t’attend, mais aussi une année de joie. Tu la vivras comme un soleil qui naît et rapidement se cache à l’horizon, derrière les nuages. Mais ne crains pas : c’est cela ta vie. C’est une vie qui donne la vie ; c’est une souffrance que produit de l’amour...[4]

La gratitude d’Alexandrina

Lettre au Père Umberto Pasquale

(...)
Avez-vous compris, d’après mes écrits, ce que Jésus avait enfermé dans mon cœur  ? Quel tourment pour moi ! Je ne sais pas comment garder et défendre un trésor aussi précieux !

Mon âme est dans une continuelle agonie. Ma vie est continuellement remplie de craintes ; le démon est infatigable pour me tourmenter. De là, quelle torture, quelle amertume, et quelle misère. Ce qui appartient à Jésus n’arrive pas à vivre : aussitôt né aussitôt parti vers Lui.

O si seulement j’arrivais à me faire comprendre, si j’avais un peu de lumière, si j’aimais un peu Jésus et les âmes ! Alors je serais heureuse ; ma joie serait totale !

Mon bon Père, si vous me connaissiez, vous n’auriez pas autant de sainte considération pour moi.

L’heure arrivera-t-elle où vous pourrez venir jusqu’ici ? J’ai tellement besoin de lumière et d’un guide ! Comment résisterai-je à ces vols [5] dont j’ai été la victime ? Mon Dieu, pardon pour tous !

J’ai bien reçu tout ce que vous m’avez envoyé.[6] Je vous envoie mes remerciements et ma gratitude pour tant de sollicitude de votre part. Je suis certaine que Jésus en est content : il aime qu’on le remercie pour tout ce que nous recevons de Lui, et promets enfin de nouveaux dons et grâces. Qu’il daigne vous combler pour tout.

Je vous prie de remercier les Pères et tous ceux qui habitent cette Maison de prière, pour les vœux qu’ils m’ont envoyé... [7]

Le docteur “bon Samaritain”

Lettre au Docteur Augusto de Azevedo

(...)
Cela me peine de ne pas avoir d’instruction : premièrement du fait de ne pas savoir parler à Jésus, l’aimer, le remercier, le louer comme il le mérite ; même restant à genoux pendant toute l’éternité je ne lui rétribuerai jamais dignement tout ce que j’ai reçu de lui. En second lieu, pour remercier mon cher docteur avec des paroles de louange et de reconnaissance, comme il le mérite.

Jésus, dans son infinie bonté, y remédie comme lui seul sait le faire. De ma part je ne sais dire que « merci » pour tout ce que vous faites à cette pauvre qui ne peut rien, qui ne sais rien, qui ne vaut rien.

Qu’en serait-il de moi si Jésus ne vous avait pas mis à mes côtés, en ces jours douloureux de ma vie, où tout est révolte, mépris, calomnie et humiliation ? Quelle mer de douleur !

Et moi si seule, sans lumière, sans guide dans mon horrible chemin !

Essaieront-ils aussi de me prendre mon bon médecin, qui tant de fois a été pour moi d’un grand réconfort par ses paroles et sa sainte attention ? Arrivera-t-il comme avec ceux qui étaient lumière et soutient pour mon âme ?  [8]

Que Dieu soit loué pour tout ; qu’en tout cela il soit aimé et soulagé ; que tout ceci puisse lui servir pour sauver le monde entier. Si l’on me laisse seule, Jésus restera avec moi ! Que je meure de douleur, d’abandon, de mépris, afin que dans mon cœur demeure toujours Jésus, que les hommes ne puisse pas me l’ôter ! En tout cas, seuls le péché et le démon peuvent me l’enlever.

Combien elle me coûte cette vie amère ! Ce n’est que par amour de Jésus et des âmes, le regard fixé sur le crucifix, que je peux la supporter...[9]

La fureur de Satan

Si le monde savait combien sont terribles les pièges du démon ! O combien je souffre de ses assauts ! Si seulement le monde savait ce que c'est que l'enfer, ce que c'est que la perversité et la fureur de Satan, probablement qu'il ne pécherait pas autant ! [10]

Cette nuit il s'est déchaîné contre moi. On dirait qu'il voulait tout détruire. Méchancetés, paroles et gestes inconvenants. Mon corps paraissait déjà anéanti par tant de fatigue...

Je ne veux pas commettre de péché, mon Jésus. L'enfer plutôt que le plaisir. Ce que je veux, mon Jésus, c'est ne pas perdre un seul instant de consolation et de réparation pour Vous et pour le salut des âmes...

Ces paroles ont suffi à faire enrager davantage le démon...

Toutefois, il est parti quand il a entendu la voix de Jésus qui me disait :

— Si tu pouvais voir, ma fille, combien je suis offensé à cette heure-ci contre la vertu de pureté, tu mourrais d'horreur et de douleur. Mais ta réparation me fait oublier bien des offenses. Cette consolation je ne peux l'avoir que d'une vierge à la pureté angélique !... (...)

Me voici prête à tout, Seigneur !...

La pureté est la vertu que j’aime le plus et pour la défense de laquelle je souffre davantage : ce, est que par votre grâce et votre miséricorde que je ne vous offense pas gravement... [11]

          [Le démon dit un jour à Alexandrina] :

— Donne-toi à moi, comme tu t'es donnée à Dieu ; embrasse-moi avec amour comme tu as embrassé le crucifix. Remarque que moi je ne te fais pas souffrir, moi... et figure-toi que Dieu n'a pas de Ciel à te donner. Jouis avec moi, jouis des plaisirs de ce monde.

Il m’empêchait d'invoquer Jésus. Il se plaçait entre moi et Lui, afin que je ne L'entende pas et de surcroît, il dansait devant moi. Il me donnait ses ordres criminels et, vu que je ne cédais pas, il redoublait de fureur et je sentais comme s'il me tordait et me broyait complètement. Mon corps semblait être brisé par lui. Il ne s'agissait en fait que de sensations, étant donné qu'il ne s'approchait jamais de moi au point de me toucher. Les battements de mon cœur se chevauchaient, battaient la chamade.

Après la lutte, certaines fois, je sens comme une brise qui me rafraîchit et me remet en place tout à fait. Cette nuit il en a été de même. Tombée sur le côté, sur les coussins, et sans pouvoir me relever ni même faire le moindre mouvement, je ne résistais plus dans cette position.

Très triste, je répétais :

Secourez-moi, secourez-moi, Jésus !

J’ai senti Jésus à côté de moi :

— Ma fille, amour de l’Amour, mon divin souffle suffit pour te relever et même à te remettre à ta place.

J’ai senti le souffle de Jésus et, au même moment, je me suis retrouvée sur les coussins.

Jésus a continué :

— Dis-moi, ma fille, que veux-tu de moi ?

— Votre amour !

— Que veux-tu que je fasse ?

— Votre divine volonté.

Jésus m’a serré doucement contre son divin Cœur et a ajouté :

— Ma volonté est que tu aies du courage dans les souffrances que je te demande et que tu répares de cette façon. Répare, répare, ma vierge pure, vierge remplie d’amour pour moi.

Peu après je me suis endormie pour un léger et bref sommeil.[12]

“Douleur qui sauve, amour qui vainc tout”

(...)
Quelle horreur je ressens pour les souffrances et les extases du vendredi, quelle horreur je ressens pour les assauts du démon ! Aujourd’hui j’ai eu des moments pendant lesquels il me semblait que j’allais presque dire non à Jésus pour tout.

Les mains attachées, les yeux clos par une indicible tristesse, les lèvres serrées, ne répondant à aucune question, je me suis retrouvée seule dans une prison. Je sentais mon corps lacéré par les coups de la flagellation et enchaîné. Dans cet état, la pensée m’est venue de la souffrance lorsque Jésus permettait ma crucifixion [physique]. Je sentais même mon sang couler et mon cœur foulé aux pieds. Dans mon âme j’avais des regards de tendre compassion envers ceux qui me faisaient souffrir. L’enfer et la perte irréparable des âmes me terrorisaient tellement que j’aimais ces atrocités au lieu de les détester. Je les aimais pour sauver les âmes, convaincue que seule la souffrance pouvait les sauver.

Le démon est venu pendant ces terribles souffrances. J’ai combattu jusqu’à baigner dans ma sueur. Quand il essayait de m’instruire sur le péché, il me demandait de lui donner mon cœur avec amour... Quelle horreur, quelle horreur ! C’était des moments de grand danger.

J’ai levé mes yeux vers le ciel et j’ai crié au secours, et la lutte prit fin... Je suis restée les yeux fixés dans le ciel disant à Jésus que je ne voulais pas commettre de péché...

— Mon Jésus, je suis votre victime, mais avec cet accroissement de douleur, d’horreur et de peur, je ne pourrai pas vaincre : je ne résiste pas à autant. Vous devez souffrir et résister vous-même, car vous savez bien, que de moi-même je ne peux rien !

Jésus est venu et m’a parlé affectueusement :

— Ma fille, fleur solitaire, joyau de l’humanité douleur qui sauve, amour qui sort toujours vainqueur, jardin de paradis, j’ai semé en toi et le monde vient à toi pour cueillir fleurs de vertu, fleurs d’amour. Ma fille, trésor caché, en toi sont renfermées des richesses divines. Trésor caché, parce que presque tout ce que j’ai déposé en toi reste méconnu. Ma fille, blanche colombe, colombe angélique, ta vie et un gazouillement de louange à Jésus, à la Trinité divine et à ma très sainte Mère. Je viens à toi, je suis en toi... Tu es un port d’asile, tu es un port de salut, tu es le refuge des pécheurs, salut de l’humanité.

Le combat est-il terrorisant ? Ne crains pas...

— Ô mon Jésus, je suis si petite, comment pouvez-vous me trouver ?

Je ne suis que misère, comment pouvez-vous poser sur moi votre divin regard ? Je suis gênée, je ne peux pas lever mes yeux pour vous regarder.

Ayez compassion ! Je suis fleur, je suis jardin, je suis tout ce que vous me dites parce que vous l’avez semé vous-même, vous l’avez cultivé. C’est vous le jardinier, c’est vous les fleurs, vous êtes tout, tout, mon Jésus ! Vous êtes le port de salut parce que le salut c’est vous.

Observez et regardez ma souffrance, ayez compassion de moi. Je veux vous aimer et je ne sais pas comment ; je veux souffrir pour sauver le monde mais je ne sais pas souffrir. Je crains de moins m’y prêter, je crains de tomber et de ne plus me relever...

— Tu es la toute petite de Jésus, tu es la toute petite de Marie. Avec elle tu sauveras le monde qui t’a été confié, et que tu dois sauver. Je te l’ai donné, il est à toi, ne crains pas, il ne te sera pas volé...

Reçois mon amour : distribue-le abondamment à toute l’humanité.

Bientôt ta souffrance sera connue partout. Ton amour inégalable sera connu partout...[13]

« Il est attaché par une seule aile »

(...)
Le 13 [janvier], parmi les visiteurs que j’aime plus tendrement, il y avait celui que j’attendais déjà et qui avait laissé comme un vœu dans mon âme.[14] Je l’attendais, cependant je l’ai reçu froidement : tout m’était indifférent. Je le regardais et quelques fois il me semblait ne pas le voir, comme s’il ne s’agissait pas d’une réalité. C’était un prisonnier sorti de prison pour venir visiter un cadavre qui lui appartenait.[15]

Ô souffrance, ô désolation, ô ténèbres épouvantables !

Il est déjà tard pour me procurer de la joie ; il est déjà tard pour que mon âme puisse recevoir consolation !

Mes yeux semblaient ne pas voir le deuxième prêtre que l’on m’avait volé. Qu’arrivera-t-il quand on me rendra le premier ?

— Jésus, je suis votre victime : votre amour et le salut des âmes, coûte que coûte, voilà ce qui importe. Et maintenant je souffre de ma froidure, de mon indifférence envers cette personne à qui je dois tant. Il me semble lui avoir déplu et l’avoir blessé : ô Jésus, que tout soit par amour pour vous !

Pendant la nuit, presque toujours réveillée et unie à Jésus, au milieu d’une mer de souffrances du corps et de l’âme, j’ai été cruellement assiégée par le démon : j’ai lutté pendant presque deux heures...

J’ai entendu que Jésus me disait :

— Courage, fille aimée !... Ta mort donne vie aux âmes. Je ne t’ai pas laissé éprouvé réconfort par la visite de mon Dom Umberto ni à lui de te voir consolée. ce fut au profit des âmes afin que les hommes constatent ce que c’est qu’une âme attachée à la croix et solide dans l’amour de Jésus ; de sorte qu’ils n’interprètent pas les choses du côté de l’enthousiasme.

Dis à mon Dom Umberto mon remerciement d’être venu donner vie à l’âme de mon épouse, de ma victime aimée... Promets-lui mes grâces, mes bénédictions et mon amour pour lui et pour toute la Congrégation. Il est attaché par une seule aile : il n’est qu’à moitié empêché de voler.[16] C’est pour cela que j’accorde des bénédictions et des grâces à toute la Congrégation... Je veux qu’il te soutienne, étant donné que celui qui le désire, ton Père Pinho, ne peut pas le faire. Il a été empêché de tout envol et, non satisfaits, ils l’attaquent de tous côtés. (...).[17]

Le Christ crucifié en transparence

(Moments de la Passion)

Où suis-je conduite ? Ô Jésus, que deviendrai-je ? Tout me fait peur et me cause horreur ! Je marche en toute hâte par une route étroite et obscure. Je tombe exténuée : le poids des humiliations me broyait. Je suis entraînée par de rugueuses cordes. Je sens que ma face traîne par terre ; que mes joues sont très meurtries. La douleur d’aiguës épines me pénètre enfin le cœur. C’est une douleur qui semble me donner la mort. Je sens que mes genoux, mes épaules et tout mon corps ne sont qu’une douloureuse plaie.

Très gênée par tant de curiosité, remplie de la tristesse la plus profonde que l’on puisse imaginer, je marche avec peine, tombant plusieurs fois.

Pendant mon cheminement, une dame qui a compassion de ma souffrance, elle vient à ma rencontre. Avec tendresse et amour elle essuie mon visage couvert de sueur, de sang et de poussière ! Des liens de la plus étroite amitié unissent nos cœurs. Il est indicible ce que j’aimerais dire à son sujet, les louanges que j’aimerais dire sur elle. Comme j’aimerais que l’on parle de son acte héroïque !

Arrivée en haut de la montagne, quel découragement je sens en moi !

C’est un découragement d’amour.

Tout me cause horreur : la mort, l’abandon, ô mon Dieu ! À genoux, je lève mes yeux vers le Père éternel ; je lui fais mon signe de tout accepter. Je baisse les yeux, je me recueille en moi-même et j’étreins l’univers contre mon cœur.[18] Je m’offre à la mort. Les bourreaux continuent leur mission barbare : tableau terrifiant ! Quelle répugnance, quelle honte de moi-même ! Mon corps et mon âme se déchirent en lambeaux. J’attends mon heure.

Je suis passée de la souffrance à l’amour, du Calvaire au Thabor. J’ai commencé à ressentir fortement dans ma poitrine l’amour de Jésus et sa divine présence en moi. Tout à coup j’ai entendu sa voix douce et suave :

— C’était mon désir, ma colombe de prédilection, que le monde connaisse de quelle manière je me donne à mon épouse, à l’âme vierge, que le monde connaisse et comprenne cet amour : l’amour dont moi je t’aime, l’amour dont tu m’aimes, l’amour des âmes, l’amour de la croix. C’était mon désir, mon grand désir, que le monde connaisse ta vie, vie d’un amour très pur, vie d’héroïsme sans réserve. Ta vie est un tableau très riche où est reproduite la vie divine, la vie la plus complète du Christ crucifié.

Les hommes, ma fille, s’opposent par des méthodes peu édifiantes à cette vie que je voulais connue pour le bien des âmes.

— Ô mon Jésus, n’ayant pas de volonté propre, je veux ce que vous voulez ! S’il n’en était pas ainsi, je préférerais vivre cachée ; vivre comme si je ne vivais pas ; vivre comme si je n’avais jamais existé, à condition de vous aimer et de sauver les âmes. Mais si vous le voulez autrement, la solution est entre vos mains : faites que les hommes agissent autrement.

— Non, non, ma chère, ce n’est pas ainsi.

— Pardonnez-moi alors, mon Jésus, si je vous ai offensé.

— Sois en paix : tu ne m’as pas offensé.

Où sont-elles les grâces que je leur ai donné ? Ils ne s’en sont pas servis, ils m’ont méprisé en elles, en elles, ils m'ont foulé aux pieds. Ils ont préféré leur propre volonté, leur orgueil, leurs jugements et de fausses lumières. Quelle douleur pour mon divin Cœur !

Courage, petite fille, ma cause vaincra et avec elle tous ceux qui pour elle combattent.

Tu es un vrai chemin, tu es une route royale flanquée de chaque côté des merveilles du Seigneur. Heureuses les âmes, heureux les pécheurs qui y entrent et vont ainsi jusqu’au port de salut. Ton regard, ta douceur, ta grâce attirent les âmes à toi et par toi elles viennent à moi...
(...)

— Venez, ma Mère, ma Mère bénie : donnez de votre céleste vie, donnez de vos grâces et de vos richesses à cette enfant, ma fille et mon épouse, aussi bien que votre petite fille très chère.

La Vierge Marie a uni son très Saint Visage au mien : Elle m’enlaçait et me couvrait de ses caresses et planait sur moi avec une grande suavité. J’ai senti comme si je recevais beaucoup, beaucoup de vie. Je l'ai entendue me dire :

— Ma fille, épouse de mon Jésus, Tabernacles de mon Fils, sanctuaire de mon Jésus, où Il habite toujours !

J'ai entendu Jésus dire aussi :

— Donnez-lui, ma Mère, donnez-lui les richesses du Ciel, donnez-lui tout votre amour. Au moins vous et moi, montrons-lui notre amour et notre consolation, étant donné que de la part des créatures qu'elle aime et qui sont à ses côtés, elle ne peut en recevoir aucune, malgré le fait qu'elle sait que celles-ci l'aiment mais elle ne reçoit pas leur amour, ce qui lui fait peur. [19]

Soif de sauver le monde

Je ne sais pas expliquer ce qui arrive dans mon âme, mais Jésus le sait, il sait que je ne mens pas...

Je sens être un comble de péché, de corruption ; un comble de froideur, d’ingratitude, de manquements dans les préceptes de Jésus ; j’ai l’impression d’être une mer de sang. Quelle douleur de constater que j’ai tout fait et que je ne peux faire rien d’autre pour le monde ! Mais, mon Dieu, qu’ai-je fait si tout ce que je souffre et fais ne m’appartient pas ? Comment puis-je sentir que j’ai tout fait pour le salut du monde. N’ai-je pas donné ma vie pour celui-ci ? Mais cette vie même, je l’ai offerte à Jésus.

Qu’est-ce que cette mer de sang que je sens être ? Vous le savez, Vous, Jésus : cela est suffisant. Il me semble que toute l’humanité se soit immergée. Oh, si je savais ce que je pourrais faire pour la sauver !

Et les pauvres enfants des limbes ? Je n’oublie pas mon offrande, ma demande à Jésus d’aller les baptiser. Si je pouvais, et Jésus le consentait, j’aimerais rester à genoux aussi longtemps que le mon durera, pour obtenir de Jésus cette grâce : baptiser ces petits enfants. Je me meurs de compassion pour eux.

Et les âmes qui sont en enfer !... Mon âme ressent une douleur indicible, non pas tant pour les souffrances qu’elles y endurent, mais plutôt parce qu’elles ne pourront jamais voir Dieu. Ô quelle ténébreuse souffrance !...

Je ne sais pas comment l’expliquer : j’aimerais souffrir pour remédier à tous ces maux.

— Ô Jésus, mon amour, vous voyez, vous savez la sincérité de mes paroles : elles ne sortent pas uniquement de mes lèvres, mais bien du plus profond de mon cœur, d’entre ma plus grande douleur et la plus grande agonie de mon âme. Oui, mon bon Jésus, ma vie n’est pas une vie d’illusion, comme le disent certains. Par votre grâce et votre miséricorde je n’ai jamais cherché à tromper. Trouvez-vous en moi quelque chose de bon et de louable ? Je ne le sens pas, je l’ignore. Mais si quelque chose il y a, elle vous appartient, ce n’est pas à moi.

Combien d’épines blessent ce cœur qui n’existe que pour souffrir ! Du plus profond de mon âme je vous demande pardon pour ceux qui si cruellement me font souffrir. Mon âme sent que beaucoup de ceux-ci veulent maintenant se laver en se servant de moi, mais ne le peuvent pas : je suis un chiffon immonde ; ils se saliraient davantage.

Ô, combien je suis endolorie ! Mais, plutôt souffrir des millions de fois, innocente, qu’une seule fois coupable.

Je ne veux pas perdre mon union avec Dieu un seul instant.

J’ai passé toute la nuit éveillée. [20] J’ai demandé beaucoup de choses à Jésus. J’ai renouvelé mon offrande comme victime. Je l’ai remercié du bienfait de ne pas dormir parce qu’ainsi je peux lui tenir davantage compagnie, vivre davantage sa vie et me confier à lui...

Pendant que je me confiais à Jésus, j’ai été assaillie par le démon. Il a utilisé son astuce, sa malice et des paroles honteuses que je ne puis répéter...[21]

« J’aimerais que mon âme ait été un livre... »

Le soleil et la lumière du jour ont-ils cessé d’exister pour le monde ? Il me semble que la nuit la plus tourmentée et obscure ait tout envahi. Je n’ai pas de lumière, pas de joie, pas de vie. Je suis morte et je sens que tous ceux qui me sont chers, sont morts eux aussi.

Le médecin est venu. Il me semblait ne pas le voir : il était comme un cadavre voisinant un autre. Comme toujours, dans sa bonté et sainteté, il a cherché à soulager ma souffrance, en m’incitant au courage et à la confiance. Ô mon Dieu, quelle indifférence ! Tout ce qu’il disait semblait ne pas me concerner. À la fin, j’avais même peur de lui, très peur.

— Jésus, prenez-moi tout, et donnez-moi votre divin Amour en échange de tout ce que vous me prendrez. Donnez-moi une infinité d’âmes ; donnez-moi l’immensité de votre amour infini. Je veux vous aimer de cet amour et vous aimer pour ces âmes que je vous demande.

J’ai soif, Jésus, j’ai soif ; une soif qui me brûle et me consume ; une soif qui ne pourra jamais être rassasiée sur la terre ; j’ai soif de vous aimer et de vous voir aimé par cette infinité d’âmes que je vous demande ; j’ai soif de souffrir, souffrir toujours davantage pour conquérir et sauver ces âmes pour vous.

O monde, monde, sans vouloir t’appartenir, sans vouloir t’aimer, je t’aime follement, je te veux, coûte que coûte ; je ne peux pas te laisser, cher monde, sans te voir entièrement sauvé ! Ces anxiétés, ces désirs ne m’appartiennent pas ; ils ne sont pas nés de moi : je ne suis que mort, rien que mort. Ils sont à qui ils veulent, ils appartiennent à qui ils veulent, ils sont à Jésus ; ils servent à le consoler, ils servent à l’aimer.

— O mon Jésus, reliez mon cœur à votre Cœur ; que rien ne puisse nous séparer. Reliez aussi à vous tous les cœurs du monde entier. Je ne veux pas qu’en cette pauvre humanité existe autre chose en dehors de l’amour : amour pur à votre divin Cœur. Je veux que ma vie soit une vie uniquement de louange pour vous. Que puis-je désirer d’autre ? Comment souffrir davantage ? J’aimerais m’arracher le cœur et le confier aux flammes du plus ardent amour et pouvoir vous dire : “celui-ci est l’amour de toute l’humanité”...

(...)
Quel triste jeudi ! Combien de fausseté on me prépare ! Il fait déjà nuit. Je me trouve au milieu d’un rassemblement important, à une invitation d’une très grande intimité [la dernière cène] : les conversations sont orientées au réconfort.

Dans mon âme deux tableaux bien différents se présentent : une trahison sans égale et un amour sans pareil ; un amour, une douceur, une tendresse telle envers le traître qu’aucun cœur ne peut comprendre. Combien d’appels pleins de douceur à l’adresse du traître ! Mais celui-ci résiste, il ne se rend pas, il ne se trouve pas à l’aise à côté de l’Agneau, victime innocente.

Je ne sais pas exprimer, ni la bonté ni la tendresse de Jésus. J’aimerais que mon âme ait été un livre où tous puissent apprendre les manifestations de la bonté, de la tendresse, et de l’amour de Jésus. [22]

« Je t’ai rendue semblable à moi... »

(Moments de la Passion)

Jésus me demande aujourd’hui deux sacrifices : un pour l’âme, l’autre pour le corps. Un sacrifice de l’âme parce que je dois dicter tout ce que je sens et tout ce que je souffre. un sacrifice du corps parce que mon état est si grave que je ne peux même pas bouger mes lèvres pour parler. Il me semble, en effet, qu’à chaque parole que je prononce des morceaux de mon cœur et de mes entrailles s’en échappent.[23] J’ai confiance en Jésus et je suis sûre qu’il m’aidera à dicter au moins ses divines paroles [de l’extase]...

Vers la fin de la matinée j’avais cette impression : je courais vers la mort et la mort vers moi. Je courais parce que des impulsions d’amour m’obligeaient à courir. Seuls le sang et la mort auraient pu sauver le monde et moi, je voulais le sauver.

Combien de fois, pendant le trajet, je suis tombée épuisée, et croyant mourir ! Le fait de perdre la vie pour redonner vie me redonnait des forces, et je reprenais mon chemin.

Sur le Calvaire, déjà en croix, mon sang coulait à flots.

Calme et sereine, l’esprit tout en Dieu, j’attendais le moment du plus grand bonheur : le moment du salut.[24]

Jésus est ensuite venu. Il était tout amour et tendresse pour moi :

— Ma fille, tabernacle divin où j’habite, prison de douceur et d’amour ! J’ai relié mon Cœur au tien par des liens du plus saint amour. Les lacets enchanteurs de ton cœur m'ont attaché à toi... Rien ne peut nous séparer. Nul ne pourra couper les liens conjugaux qui nous unissent.

O ma colombe... par ton amour séraphique le monde m’aimera... Tu es et seras toujours le paratonnerre des pécheurs.

— Oh oui, Jésus, je veux les attirer vers vous, à n’importe quel prix ! Je vous demande la grande grâce de les recueillir tous dans votre divin Cœur. Qu’aucun d’eux ne se perde. Je ne vous refuse aucune peine, mais vous non plus, ne me refusez pas les âmes.

— Ma petite fille, héroïne du monde hors pair, dont la souffrance et l’amour sont aussi hors pair. Tu es riche et puissante. J’ai préparé en toi un armement très fort, un armement de guerre : non pas des armes ni du feu destructeur, mais un armement des vertus les plus héroïques... non seulement pour combattre pour le Portugal, mais aussi pour combattre pour le monde entier. Tu combattras et tu vaincras...

Mon épouse bien-aimée, nouvel évangile où est écrite, de façon indélébile, la vie du Christ crucifié : vie de douleur, vie d’amour, vie de folie pour les âmes, vie de charité, vie de science et de doctrine du Christ Rédempteur.

Je t’ai rendue semblable à moi, je t’ai modelée sur moi, victime chère, innocente salvatrice, éclose sur ce calvaire[25] prédestiné. Sauve-moi les âmes, mets-les à l’abri sous le manteau qui t’a été confié par ma Mère bénie...

Jésus m’a serrée entre ses bras pendant quelques heures : il me faisait penser à une mère qui n’abandonne jamais son petit enfant quand il est moribond.

J’ai beaucoup souffert, mais j’étais réconfortée par la tendresse de Jésus. Autant de bonté de sa part envers moi me confond, m’anéantit.[26]

« Plus je souffre, plus je désire souffrir... »

(...)
Plus je souffre, plus je désire souffrir, mais je souffre terriblement. J’aime la douleur, je la veux, et pourtant j’en ai la plus grande terreur. Je courre vers les souffrances avec une grande avidité de les saisir et en même temps il me semble qu’elles me fassent pleurer des larmes de sang que j’aimerais cacher. Ô horreur, épouvantable horreur ! Je veux souffrir et je veux fuir la douleur.

Pendant ces derniers jours où j’ai eu tant à offrir à Jésus, je n’ai pas pu avoir un moment de joie ni lui offrir mes souffrances. Je répétais sans cesse : “Tout pour vous, Jésus, et pour les âmes ! ” Mais ce tout que j’offrais à Jésus, n’était pas à moi, n’était rien. J’ai passé des jours et des nuits dans cet état : à donner, à offrir, sans rien avoir à donner, sans rien avoir à offrir...[27]

J’ai dit à Jésus :

— Je ne souffre pas ? Acceptez le désir que j’ai de souffrir. Je n’aime pas ? Acceptez le désir que j’ai de votre amour. Je ne suis pas moi-même ? Je ne vis pas ? Je n’ai rien à offrir ? Acceptez tout comme si je vivais, comme si je souffrais, comme si tout m’appartenait...

Je sens dans mon âme tant de grands tourments. Je ressens même des remords, ou je ne sais quoi, pour tant de personnes qui m’ont fait souffrir. Qu’est-ce que cela, mon Jésus ? Les souffrances qu’elles m’ont causées ne sont-elles pas suffisantes, dois-je encore souffrir le dégoût qui entoure leurs âmes ? Jésus, je suis votre victime. Pécher je ne le veux pas, mais tout ce qui peut servir à vous aimer et à vous procurer gloire, je le veux, je l’accepte...

(...)
Les épines ne cessent de tomber sur moi ; et elles tombent avec tant de force ! Elles me blessent le corps, me blessent aussi l’âme.

Cela fait déjà deux jours que l’on ne me porte pas Jésus : où trouver la force pour supporter ceci.

Les si tristes tableaux que Jésus a imprimés en mon âme sont toujours présents devant moi : le monde, les limbes, l’enfer. Combien de fois le souffle me manque parce que je ne vois aucun remède, parce que je ne peux rien faire pour eux !

Depuis deux jours mon âme ressent une petite pluie fine, comme de la neige, mais c’est de la pluie de sang qui arrose l’humanité entière.[28] Je souffre énormément à cause de cela. Non pas de voir et de ressentir une telle pluie de sang qui est rosée d’amour, rosée qui donne tout, mais parce que ce sang qui jaillit sort de moi-même, sort de mon cœur, sort des veines de mon corps. Ô quelle douceur ! Ô après-midi de jeudi qui m’apporte tout ceci ! Quelle mer de souffrances de bien peu comprise !...[29]

« Jésus s’est donné à moi... »

(Moments de la Passion)

(...)
Le vendredi est arrivé ; triste vendredi ! J’ai vu ma croix ; il était encore tôt. On la préparait avec soin : elle était nécessaire, quelle que soit la sentence que j'ai dû recevoir.

Dans mon âme je ressentais une mansuétude, une bonté inégalable. En même temps, contre cette mansuétude et cette bonté, je ressentais la haine, la rancœur, le mépris et une autorité orgueilleuse : un orgueil cynique.

Des bêtes féroces contre l’Agneau le plus petit et le plus innocent ! Quelle douleur pour lui, lui si débordant de bonté ! Avant même que la sentence ne soit prononcée contre l’Agneau innocent, j’ai senti que cette autorité là, avec une fureur diabolique se déchirait les habits de haut en bas...

J’ai monté avec peine la montagne du Calvaire, en ayant l’impression d’expirer. J’ai crié continuellement :

— Père, Père, toi aussi tu m’abandonnes ? Toi aussi tu m’abandonnes ? [30]

Mon sang coulait.

Le soleil, honteux, s’est caché à la vue de tant de malice. Et moi, déshabillé, dans une grande confusion, je restais là, sur la croix, sous les regards de la canaille la plus vile ! Mes habits ont été tirés au sort et partagés...[31] Mon âme tremblait de douleur et de peur, comme le corps tremble à cause du froid.

À haute voix toujours j’appelais Jésus. Il est venu apportant un soleil radieux et ardent. Les tremblements de mon âme ont cessé, ainsi que la peur et toutes les douleurs : j’avais retrouvé la paix, je n’avais plus que lumière et amour. Le cœur a commencé à revivre une vie que je ne sais pas expliquer. La poitrine est devenue un vrai incendie. Quel bonheur j’ai pu vivre pendant longtemps !...

(...)
J’ai entendu des hymnes merveilleuses ; je ne comprenais pas très bien, mais je sais qu’elles étaient adressées à Jésus au très Saint-Sacrement.

J’ai entendu les paroles « Corpus Jesus Christi »[32] et je me suis aperçue que Jésus se donnait à moi et m’unissait toujours davantage à lui.

Les anges continuaient de chanter : de ce chœur d’anges sortait un canal qui arrivait jusqu’à moi, me communiquant des flammes de feu et bien d’autres choses.

Jésus m’a dit alors :

— Ce canal,[33] ma fille, descend du Cœur de la tienne et ma Mère bénie. De celui-ci tu reçois la très grande abondance de notre amour ; tu reçois nos grâces, vertus et dons : richesse divine et tout ce qui est du ciel. De son Cœur tu reçois la vie pour vivre, la vie pour la donner aux âmes. C’est cette rosée, le sang que tu sens tomber sur l’humanité ; c’est une fusion de mes richesses, de mes grâces et de ta souffrance. Tu es une nouvelle corédemptrice.

Je te communique tout à travers le canal de ma Mère bénie : c’est à vous qu’il appartient de sauver le monde.[34]
(...)

« Tout souffrir sans rien dicter... »

(...)
J’ai une grande dette ! Combien je vous suis reconnaissante ! Prières, lettres remplies de réconfort, tant et tant de choses !... Comment pourrai-je vous rétribuer ? Je charge Jésus et la Maman du ciel de le faire pour moi.

Les vomissements ont cessé, mais je me sens bien malade : je n’ai pas de force, ni disposition pour la moindre chose.

Il m’aurait plu de vous faire parvenir quelques mots à votre retour de Lisbonne, mais je n’ai pas pu le faire. Merci pour les nouvelles que vous m’avez communiquées sur Alexandrina [35] et sur la personne trouvée à Fatima.[36]

Que le Seigneur permette que sa cause triomphe, pour son honneur et sa gloire et le bien des âmes : c’est ce qui m’intéresse. En effet, il m’importe peu d’être humiliée.

Que Dieu daigne permettre que vous, après la prédication, vous puissiez venir ici, comme vous le laissez entendre dans votre dernière lettre. J’ai tellement besoin de vous parler : je crois suffoquer. Pauvre de mon âme, combien triste est ma vie !... Le démon, pendant que j’avais les crises de vomissements, n’a pas usé de ses malices, il bavardait et m’affligeait, me disant que, après un peu de repos, il m’entraînerait de nouveau à la vie de péché.

Je vous demande d’avoir l’obligeance de remercier Dom Previsano pour sa lettre. Pour lui et pour tous les autres prêtres salésiens nos respectueuses salutations et nos remerciements pour les prières. Je n’ai pas oublié de m’unir aux leur, le jour de la fête de Dom Bosco...

Salutations et saints souvenirs à tous les novices et à tous les confrères.

Vous pourriez, maintenant, me dispenser de dicter mon journal spirituel : je fais pour ce faire un très grand sacrifice !... Laissez-moi tout souffrir sans rien dicter...[37]

« L’amour me pousse vers la souffrance »

(...)
Je sens que je ne peux pas résister à tout... Je ne peux plus rester sur cette terre... Je veux laisser le monde et l’emporter avec moi ; je n’en veux pas, mais je l’aime ; je ne lui appartiens pas mais il est à moi ; je déteste tout ce qui est du monde, mais je veux embrasser le monde au point de ne plus le laisser... Je veux entrer au ciel, mais avec toute l’humanité. Mon Jésus, que dois-je faire ?... Je ne sais pas quelles plus grandes souffrances je peux désirer pour mon corps...

Je continue de souffrir des remords, ceux qui entourent les âmes que certaines personnes... Je souffre pour le malheur de quelqu’un qui m’a tant blessée...

(...)
Je sens et je vois les tourments qui m’attendent. Je sens que je suis prise comme cible : les pierres me blessent le cœur. Je sens que je prends congé d’une assemblée.[38]

Combien de larmes de chagrin et de honte en me voyant revêtue de toutes les immondices et de me trouver dans un tel état en présence du Père éternel !

L’amour me pousse vers la souffrance. Les lèvres clos, les yeux fermés, je me dis à moi-même : “Je vais vers la mort”.

Une pluie d’épines tombe sur moi : mon corps devient comme lépreux. Mais je reste les bras ouverts, un tendre sourire aux lèvres et une mansuétude inégalable. Je cache et je dissimule tout.

Ô mon Jésus, j’aimerais, uniquement pour votre gloire, savoir expliquer ce qui se passe en moi, ce que vous avez souffert pour nous ! Ô, quelle tendresse, quelle bonté, ô innocent, ô innocent Jésus !...

(...)
La Maman est venue me secourir. Elle m’a prise entre ses bras très saints et m’a dit :

— Me voici, ma fille, me voici pour te défendre. Viens dans mes bras, viens te reposer. C'est à la mère qu'il appartient de défendre sa petite fille, à la mère qu'il appartient de défendre et de consoler les épouses bien-aimées de Jésus. Toi, tu n’as pas péché, ma petite enfant : ceux-là, ce sont des moments d'une intense réparation, d'un grand amour à Jésus. Courage, souffre, souffre et réjouis-toi !... [39]

« Toute seule dans une obscure prison... »

Si tous les jours, après mes légers sommeils, je me trouve submergée par une grande souffrance et une grande tristesse, cette même souffrance redouble le vendredi. Je n’ai pas de paroles ni le moyen de les expliquer. Aujourd’hui je me suis réveillée tout simplement exsangue. J’avais l’impression que mes cheveux étaient imbibés de sang, et que pareillement mes habits étaient collés à mon corps.

Je me trouvais toute seule dans une obscure prison. Je sentais la douleur de l’abandon dans lequel ceux qui m’étaient chers avaient été laissés. Que devenaient leurs protestations de ne pas m’abandonner ?

Tout ceci est comme un livre aux caractères bien clairs imprimés dans mon âme ; ce ne sont pas des inventions. Parfois j’essaie de me distraire pour voir si ces souffrances disparaissent. Je me trompe, car la blessure est bien profonde, c’est une douleur très vive que seuls Jésus et la Maman du ciel peuvent adoucir.

Ensuite le démon est arrivé sous l’apparence d’un loup ou d’un lion, développant devant mes yeux des scènes horribles... J’aimerais que les âmes connaissent ses astuces diaboliques afin qu’elles ne se laissent pas tromper !

Avec la venue de Jésus-Hostie, par la chaleur de son divin Amour qu’il m’a fait sentir intensément, j’ai repris un peu de vie.

Son réconfort m’a encouragée à parcourir le chemin du Calvaire. Combien j’ai été maltraitée ! Je suis tombée si souvent sous le poids de la croix, et traînée avec des cordes pendant de longs moments. Je tombais la face contre terre et des lambeaux de ma chair lacérée restaient collés aux pierres.

Toutes les souffrances qui m’attendaient anéantissaient mon cœur : c’était une oppression qui le suffoquait et lui enlevait la vie.

Sur la croix, abandonnée de tous, en écoutant les injures les plus infamantes, je sentais ruisseler une sueur mortelle tout le long de mon corps. À celle-ci se joignaient les gouttes de sang qui abondamment tombaient de ma tête et des plaies de mon corps.

Dans la souffrance je sentais la grande douceur d’être comme la monnaie d’échange pour les âmes, mais je ne pouvais même pas esquisser un sourire.

Pendant cet abîme de douleur Jésus est venu :

— (...)
Ma fille, tu es une mer immense de richesse, tu es un port de salut. Quand tu seras au ciel près du trône divin, et que là arriveront des suppliques en ton nom en faveur des pécheurs en danger, quand tu diras “Mon Père, je désire que tel pécheur se sauve”, au même moment il recevra la touche de la grâce. Tous, par toi, seront sauvés. Tu seras comme un fil d’or très fin qui les liera à moi pour toujours.

— Mon Jésus, je vous remercie pour votre bonté et pouvoir, infinis. Si vous me ferez si puissante au ciel, faites que déjà sur la terre, tous les pécheurs que je vous indiquerai se convertissent et soient sauvés.

— Demande, demande, ma petite fille, tu es puissante. Confie à mon Cœur tous ceux que tu voudras. Ta mission sur la terre est de faire le bien à la terre elle-même, c’est de défendre le bien... Écoute, ma fille bien-aimée, ceux-là (et il m’a cité les noms) sont en danger de se perdre : ils sont tellement obsédés par les passions ! Ils m’offensent très gravement, si scandaleusement !...

— O Jésus, je veux m’offrir à vous pour vous consoler et pour les sauver. Choisissez la réparation que vous voudrez ; donnez-moi votre grâce, votre force divine. Munie de celles-ci, je suis prête à n’importe quel sacrifice.[40]
(…)

Efforts récompensés...

Hier j’ai passé plus de trois heures à parler de Jésus à une personne éloignée de lui depuis de longues années. Je ne me souviens pas qu’il ait jamais fréquenté l’église.

Je suis restée baignée de sueur et épuisée au point de ne plus pouvoir bouger mes lèvres pour prononcer la moindre parole. Mais mon effort n’a pas été sans récompense : Jésus a permis que, pendant un certain temps, je puisse éprouver quelque joie. Cette personne m’a donné des signes de repentir et m’a promis de changer de vie. Elle me semble prête, dans peu de temps, à pouvoir échapper à l’emprise du démon.[41]

Ah, si je voyais dans de telles dispositions tous ceux qui sont éloignés de Jésus ! Je veux souffrir, je veux souffrir, je veux les sauver : je les aime ; ils sont tous à Jésus...[42]

« Je sens être le monde... »

(Moments de la Passion)

Il est certain que Jésus souffre en moi, toutefois, la souffrance prédomine et je suis épuisée. Je sens que la mort chemine vers moi : la mort que je souhaite tant, que je veux appeler, qui m’introduit dans le bonheur céleste. Je ne pense plus alors à mes tristesses, à mes souffrances et amertumes, et je me mets à prier pour tous ceux que j’aime et pour le monde entier. Je n’oublie pas ceux qui sont la cause de tant de mes souffrances : je prie pour eux ; je veux que Jésus leur donne de l’amour, je veux qu’il leur donne le ciel.

Je sens être le monde : un monde fait de rochers très durs ; un monde fermé, et je sens que je suis à l’intérieur de celui-ci. Je dois transformer ces rochers de très dures pierres en pierres précieuses, en de l’or très fin. Quels efforts je fais, à l’intérieur de ces rochers afin de pouvoir me déplacer ! Je dois les déplacer, les concasser. Je dois en faire un monde beau, agréable à Jésus.[43]

— Ô Jésus, regardez le martyre qui me consume. Que dois-je faire pour le monde ? Comment le transformer ? Comment pourrai-je consoler et procurer de la joie à votre divin Cœur ?

L’action de l’Esprit-Saint se fit sentir en moi. Mais il me semble ne pas bénéficier de ses grâces, de ses lumières. Je suis une pauvre qui n’a rien et ne pourra jamais rien avoir.

— Qu’en sera-t-il de moi, Jésus ? Je ne peux pas vivre sans vous ; sans vous je ne peux pas souffrir...

Le souvenir qu’aujourd’hui soit un jeudi me fait mal. Quelles souffrances m’apportent ces jours [jeudi et vendredi].

À la tombée de la nuit j’avais l’impression de parcourir des routes. Je poursuivais mon chemin et j’étais cernée et montrée comme accusée des toutes les fautes de tous ceux qui me voyaient.

La nuit tombée je me suis trouvée dans un banquet d’amis. Au milieu de cette amitié je sentais le traître qui, peu après, allait m’embrasser, et j’ai éprouvé la douleur que ce baiser allait me causer.

Je sentais être Jésus. Sur ma poitrine s’est posée une tête que j’aimais beaucoup. Mon cœur s’est attendri d’amour pour lui.

Que de conversations sur tant de mystères et sur tant de grandeurs !

Pendant ce banquet j’ai lavé les pieds à ceux qui m’entouraient. J’avais sur moi de l’eau, serviette et bassine. Parmi eux, un se sentait gêné que je lui lave les pieds. Un seul regard de moi et il était prêt à se déshabiller pour que je le lave tout entier, s’il en était nécessaire.[44]

Si je pouvais rendre tout l’amour, la bonté et la tendresse de Jésus, combien cela ferait de bien aux âmes ! Mais je ne sais pas mieux l’expliquer.

Suppléez, Jésus, mon incapacité.[45]

« Nos cœurs sont unis... »

En fin de matinée j’ai senti mon cœur très maltraité. Les humiliations l’écrasaient : il n’avait plus de sang à donner à mon corps.

J’ai commencé mon chemin de calvaire. La Maman du ciel est venue à ma rencontre : ce fut un échange de profonds regards. Nous cœurs se sont unis dans une même souffrance. L’échange de nos regards fut bref ; en effet, je devais avancer, toujours maltraitée, poussée, traînée. Mais la douleur de nos cœurs ne s’est pas désunie, liée qu’elle était comme deux fils électriques.

Bien vite je suis arrivée au sommet du calvaire, où j’ai été clouée à la croix. Quelle longue agonie ! Le sang coulait ; les plaies s’agrandissaient chaque fois davantage. Les larmes de la Maman chérie coulaient sur mon cœur. Elle était comme un phare pour moi et moi pour elle : un phare dont la lumière mettait en évidence nos souffrances.

Avant d’expirer, j’ai senti que l’on me transperçait le cœur. Cette douleur m’a été anticipée, car une fois morte, je n’aurais pas pu la ressentir. Quand j’ai senti mon cœur transpercé, j’ai jeté mon regard sur le monde et je lui ai dit :

C’est à cause de toi que je suis en cet état !

Alors, mon Jésus est venu :

— Ma fille, comme moi, tu as la folie des âmes. J’ai fait ton calvaire semblable au mien. Ta vie est vie du Christ : le Christ vit voilé en toi...

Ma fille, tu es une source de salut pour toute l’humanité ; tu es une source qui ne s’épuise jamais ; tu es comme une eau qui rassasie le monde entier ; tous, dans cette eau, peuvent se purifier...[46]

« Mon Dieu, combien les souffrances
que vous m’avez envoyé sont variées !... »

À l’aube j’ai commencé à souffrir à cause du voyage de Deolinda.[47] Elle partait avec d’autres personnes que j’estime, afin de visiter d’autres personnes que j’aime. J’étais contente, mais j’aurais aimé y aller moi aussi. J’ai offert au Seigneur le sacrifice de ne pas manifester mes sentiments. Mais à la fin, je n’ai pas su me contenir et j’ai laissé transparaître ma pénible nostalgie.

Je suis restée sur ma croix devenue plus douloureuse encore à cause de la préoccupation de tout ce qui aurait pu arriver pendant le voyage, étant donné non seulement la faiblesse physique de ma sœur, mais aussi des dangers que pourraient encourir tous les autres et le fait même qu’ils ne puissent pas rencontrer mon bon Père Pinho, visite qui leur auraient procuré un très grand plaisir.

Je me suis sentie aussi toute petite en constatant que des personnes importantes et se débattaient pour nous. Cette pensée me poursuivait ces jours-ci chaque fois que je recevais la visite de quelqu’un.

Pendant la nuit j’ai beaucoup souffert des conséquences de cette journée. Sans le vouloir, je revivais tout ce qui s’était passé. Jésus ne m’a même pas accordé le réconfort de la confession,[48] et ce n’était pas là la première fois... Je demande toujours à corps et à cris la visite du confesseur afin de purifier chaque fois davantage mon âme. Mais après m’être confessée, quelle amertume ! Mais, je reste en paix, malgré cela. En effet, mon âme se tranquillise parce que je suis toujours sincère et ne cherche aucunement à tromper.

Acceptez, mon Jésus, mon amertume. Je la veux et je l’aime parce que je vous aime et que j’aime les âmes.

Il y avait deux nuits simultanées : celle du dehors et celle de mon âme.

Le démon, pendant la journée, m’avait affirmé que pendant le voyage un désastreux accident était survenu aux personnes qui m’étaient si chères. Il est le père du mensonge. Ils sont arrivés peu après. Je n’ai pas ressenti de joie : Jésus ne l’a pas permis.

Je suis restée quelque temps avec le Père Umberto, venu m’apporter quelque lumière et faire disparaître mes doutes. J’avais du mal à croire qu’il soit là, à côté de moi : je le sentais si éloigné et de ne rien pouvoir faire pour le rejoindre. Son visage me semblait être seulement une coquille d’œuf.

Mon Dieu, combien les souffrances que vous m’avez envoyé sont variées !

(...)
— C’est pour cela que je ne procure pas de joie, ni de consolation, avec la présence de ceux qui pourraient te la procurer ; je les prive, eux aussi de la consolation et de la joie qu’ils auraient de te voir joyeuse et consolée.

(...)
Pendant la nuit le démon est venu et il a appelé ses acolytes : ils étaient nombreux. Très affligée, je craignais que l’on entende mes gémissements.[49] Le maudit me disait :

Tais-toi ! Il ne faut pas qu’il vienne — et il ajoutait de vilains sobriquets à l’adresse du prêtre. — Quand j’aurai fait de toi ce que je veux, je le tuerai. Il mourra sous mes pieds.[50]

Je restais dans un abîme épouvantable : mon Jésus, quelle obscurité ! Ce n’était que de temps à autre que des feuilles blanches tombaient, mettant ainsi en relief l’obscurité terrible où je me trouvais...

Les démons m’ont laissée...

Triste, très triste, j’ai invoqué Jésus.

— Allons, ma fille, en avant dans l’accomplissement de ta mission...

N’as-tu pas vu les pétales blancs qui tombaient sur cet abîme ? Ce sont les pétales de ta réparation : par leur candeur ils illuminent les âmes, qui se trouve dans cette horrible ténèbre...

Je n’ai pas vraiment craint que le démon mette en pratique ses menaces, mais dès le matin, n’entendant aucun bruit dans la chambre voisine, j’ai eu peur que le prêtre ne soit mort. Le Seigneur, toutefois, ne l’avait pas permis.

Quand Dom Umberto est revenu pour me parler des choses de mon âme, j’ai continué de me sentir comme éloignée, très abstraite, immergée dans une mer de souffrances en âme et dans mon corps.

À l’intérieur de moi je sentais, de temps en temps, des secousses terribles ; une grande répugnance pour raconter ce qui se passait dans mon âme. Je me sentais petite et misérable...[51]

« Le monde vient se rassasier… »

(Moments de la Passion)

Je n’ai point de vie, je n’ai point de sang : j’ai tout donné, j’ai tout perdu. J’ai tout donné et mon don me semble inutile. Je sens une si grande défaite. Mon Dieu, il me semble ne pas exister. La souffrance existe, et c’est la mienne. Le monde existe et j’en ai besoin.

Mon âme ressent une très grande faim, mais cette faim est la faim du monde, c’est le monde qui vient se rassasier dans ma souffrance ; c’est un monde de bêtes qui profite le plus qu’il peut de ma souffrance. Ce n’est rien, je ne souffre rien en comparaison de tout ce dont a besoin la pauvre humanité.

Jésus, quelle souffrance, que celle-ci ! On dirait que l’on m’arrache le cœur de ma poitrine et qu’on le met en miettes pour le distribuer au monde, aux âmes.

J’aimerais passer ma vie à mendier des cœurs qui puissent être l’aliment, le salut des pécheurs. J’aimerais crier très fort, j’aimerais que ma voix soit entendue par toute l’humanité :

— Ô monde, monde ingrat, je suis à toi ! Je me donne à toi pour Jésus et pour la très chère Maman du ciel. C’est grâce à eux que mon sang arrive jusqu’à toi, que ma vie parvient jusqu’à toi. c’est grâce à eux que je t’aime, que je suis à toi. Je t’aime pour te sauver, pour te confier à Jésus et à la Petite-Maman !

Pauvre de moi, je n’ai rien à donner ; je ne sais plus quoi faire. Que d’horribles choses se passent en moi, causées par l’anxiété insupportable que j’ai d’aimer Jésus et de sauver l’humanité !...[52]

« Pourvu que je sache correspondre... »

Deux petits mots seulement, pour vous remercier pour tant d’attentions et soins envers moi. Et pour vous dire aussi d’être tranquille à mon sujet, que vous ne souffriez pas autant à cause de moi.

Je veux bien des prières, mais pas autant de souffrances, car, malgré mon indicible douleur, mon âme est en paix.

Je ne sais pas comment résister à la douleur, mais c’est une douleur en pleine tranquillité d’esprit. Pendant que les yeux de mon corps pleurent les plus amères et tristes larmes, mon âme monte vers Dieu, lui renouvelle l’offrande de victime et lui dit : “Que votre volonté soit faite”.

Dieu merci, je n’ai pas eu des moments de révolte contre Lui, bien que je ne sache pas comment résister, parce grande, très grande est ma souffrance. Pourvu que je sache correspondre à l’amour de Jésus envers moi... Mes misères méritent toutes les épreuves auxquelles le Seigneur voudra me soumettre.

Je veux le bénir au milieu de tant de souffrances ; je veux le bénir toujours, dans le temps et dans l’éternité. Je veux mettre toute ma confiance en Lui jusqu’au dernier instant de ma vie, quoi qu’il arrive.[53]

« Les pétales deviennent des flèches... »

(...)
Dans la nuit du 27 [février] j’ai eu une vision d’épines qui m’a causé une énorme souffrance. C’était un bois très serré d’épineux, rien que des épineux. Ils montaient à une très grande hauteur, s’entremêlant les uns dans les autres à tel point que l’on ne voyait pas la cime. Ils étaient tous très gros et très longs, et ils étaient près à tomber sur moi...

Et sur ces épineux, il tombait continuellement une rosée de sang.

Mon âme sent que de ces épines va éclore une nouvelle floraison de boutons blancs...

Ce matin, tôt, j’ai senti dans mon âme, j’ai entendu, de mes oreilles, de forts grands bruits, de grands coups par lesquels on ouvrait ma sépulture. Elle était si profonde ! C’est jeudi. La mort court vers moi. La sépulture est prête. Le poids de toutes les humiliations m’écrase. Aucune méchanceté ne m’a été épargnée.[54] Mon âme voit tout ce qui enlèvera la vie au corps. Ma sépulture est un puits, un abîme.

Rien n’existe en moi qui puisse me procurer de la joie : tout ce qui s’y trouve de beau et de puissant est pour moi une souffrance.

Depuis mon lit je peux admirer la grandeur du Créateur, en voyant, à travers la fenêtre, les arbres couvertes de fleurs. Quel prodige ! La candeur des fleurs se transforme en nuit pour mon âme ; tous leurs pétales deviennent des flèches qui pénètrent mon cœur. Que faire, mon Dieu ? Accepter tout ce qui vient de vous.

Je vais vers la mort les yeux fixés sur votre croix.[55]

« Jésus, que pourrez-vous me demander
que je ne vous le donne pas  ?... »

(Moments de la Passion)

Je n’y pensais pas, mais mon âme m’a rappelé quel jour nous étions...[56]

Je me suis sentie en prison, très triste et seule. J’ai souffert pour avoir les yeux bandés ; j’ai souffert à cause de tant d’ingratitudes...

Aux premières lueurs on est venu me chercher. Mon visage ressentait les gros crachats. Au dehors, une immense foule m’attendait : Combien de railleries j’ai entendu ! De rue en rue, de maison en maison, au milieu d’un grand tapage, objet de mauvais traitements, j’ai été interrogée par des magistrats hautains, remplis d’orgueil, convaincus de pouvoir tout faire... Devant autant de grandeur, combien j’étais petite ! J’ai été condamnée.

J’ai pris la croix. Courbée sous son poids je marchais par à-coups. Combien de fois j’ai été traînée ! Combien de larmes j’ai ressenti dans mon cœur ! Traitée si cruellement, je répétais souvent en moi-même :

— Je vous aime ! Je souffre pour amour pour vous !

Je portais la croix et je voyais, sur le Calvaire, celle de Jésus. Elle était comme un phare qui me pénétrait et m’illuminait tout entière. Je me suis sentie attirée par elle et je cheminais pour l’embrasser et la posséder. Arrivée auprès de celle-ci, on me coucha sur la croix. Pendant que l’on m’étirait les bras et les jambes pour les clouer et que je sentais que des plaies sortaient de ruisselets de sang, le démon est venu vers moi, redoubler ma souffrance... Moi, clouée, mains et pieds, sur la croix, je ne pouvais pas lutter. Combien j’ai souffert ! Je fixait mon Jésus crucifié...

Le démon est finalement parti, mais l’amère tristesse, l’abandon et les larmes non pas cessé. Les larmes et l’agonie de la Petite-Maman ne m’ont pas abandonné non plus, ainsi que ses regards endoloris, ses peines de compassion pour moi. Affligée et agonisante, j’ai crié vers le ciel jusqu’au dernier soupir :

— Père, mon Père, pourquoi m’avez-vous abandonné ?[57]

Ce n’était pas moi qui criais, c’était mon cœur. Ce n’étais pas moi à vouloir crier : la violence de la souffrance de l’agonie m’y obligeait.

À ce moment-là Jésus est venu :

— Ma fille, soleil de la terre, feu des cœurs, joie du ciel ! Soleil qui, de ses rayons lumineux éclaire l’humanité ; feu qui brûle et purifie les cœurs ; joie du ciel parce que mon Nom est loué par la victime immolée, par la vie qui donne vie... Je viens à toi pour te confier mes douleurs. Dis-moi, veux-tu me consoler ?...

— Jésus, que pourrez-vous me demander que je ne vous le donne pas ?...

— Étant donné qu’avec tant de bonne volonté et de joie tu me donnes tout, je te prive de ma joie, de ma consolation, comme je t’ai déjà privée de la consolation et de la joie de ceux qui te son chers. Tu ne recevras de moi que le réconfort nécessaire afin de pouvoir souffrir et vaincre.

Tu ne recevras que des épines [de la part du monde], des épines de toutes parts. Voilà le sens de la vison que je t’ai montrée ; tu vivras au milieu des épines et tu expireras au milieu de celles-ci. Ton âme pure en sortira pour s’envoler vers le ciel et y brûler d’amour...

Tes épines, ce ne sont pas des épines destinées à sécher. Ta souffrance prépare le terrain pour le bois que je t’ai montré, et ton sang l’arrosera. Ce sont des épines qui en sortiront, qui donneront des roses... Tu partiras vers le ciel, mais ta grâce et tes vertus resteront sur la terre... Je veux que ta vie soit bientôt, très bientôt connue : le monde en a besoin...

— Jésus, je veux souffrir toute seule, je veux pleurer toute seule : laissez-moi dans mon amertume, dans ma tristesse infinie, mais vous, restez dans la joie et dans la consolation complète.[58]

« Je suis une mère qui pleure... »

Depuis dimanche je me sens la mère de l’humanité, une mère tendre. En même temps que cet amour, la souffrance aussi arrive ; une souffrance causée par les désordres de ceux de mes frères que je sens être mes enfants.

J’aimerais me présenter aux gouvernements de toutes les nations pour demander qu’ils se réconcilient les uns avec les autres ; mais j’aimerais une réconciliation faite d’un pardon durable pour que les mêmes désordres n’arrivent plus jamais.

L’envie de faire ceci est quelquefois si grande que j’ai l’impression de voler vers eux.

Pour obtenir cette paix, je soumettrais volontiers mon corps aux plus grands supplices et aux plus grands sacrifices, même si je devais être traînée de nation en nation et faire ce qui est le plus pénible.

J’aimerais prendre dans mes mains le Cœur de Jésus et leur dire :

Regardez combien il est blessé ! Ce sont nos péchés qui le blessent ainsi.

(...)
Depuis samedi j’ai une très grande peur de Jésus. Depuis dimanche la peur de la Maman du ciel s’y rajoute, à telle enseigne que je n’ose plus me confier à elle. De la même manière, cette même peur existe envers les personnes qui me sont chères. Je désire que le Docteur Azevedo et le Père Umberto viennent ici, mais en même temps la crainte de leur présence me tourmente. Cette crainte disparaît ensuite pour laisser la place à l’indifférence, une indifférence qui me porte à croire que je ne leur parle pas et à me demander si vraiment j’existe ou non...[59]

« Je sens en moi un feu brûlant... »

Je sens en moi un feu brûlant : il me brûle dans tous les sens. Tout mon corps est une fournaise. J’ai soif de Jésus, j’ai faim, très grande faim des âmes. J’aimerais pouvoir engloutir le monde. Je me sens toujours sa mère. Quelle folie la mienne, pour le monde qui n’est que tromperie, fange et immondice ! Je suis mère, mais une mère combien folle ! Je suis une mère qui pleure la perte de ses enfants ; je suis une mère qui ne peut pas les voir dans tant de désordres, dans tant de misères et d’atrocités. Je suis une mère qui pleure des larmes de sang, larmes qui baignent toute l’humanité. Je ne peux pas résister à tant de souffrances, mais je ne peux pas non plus m’accorder de trêve : je veux sauver le monde, je veux tout souffrir, je veux donner ma vie pour lui.

Au moment où les anxiétés étaient les plus insupportables, j’ai levé mon regard vers Jésus et je lui ai dit :

Jésus, ce pauvre monde, je veux le sauver ! Laissez-moi entrer dans votre Cœur avec ceux qui me sont chers ; laissez-moi y entrer avec ceux qui m’appartiennent et se recommandent à mes prières ; laissez-moi y entrer avec tous les prêtres et les pécheurs endurcis ; laissez-moi y entrer avec ceux qui m’ont offensée ; laissez-moi y entrer avec toute l’humanité. Qu’aucun ne reste en dehors de votre Cœur, et qu’ainsi ils entrent dans notre Patrie, le Ciel que vous avez créé pour tous. Je veux vous aimer et vous louer avec eux tous, éternellement... (...) [60]

Le nuit du plus grand miracle...

(Moments de la Passion)

(...)
Vers la fin de la matinée j’ai commencé à me rendre compte que Jésus pleurait à l’intérieur de moi. Moi, j’étais la ville de Jérusalem ; j’étais Jésus ; j’étais l’amour et l’ingratitude. De mon cœur partaient vers la cité les plus doux et tendres regards. C’étaient des regards de rappel, des regards de compassion. Mais de la ville, rien ne sortais vers moi ! Seule la révolte grondait contre moi.

En fin d’après-midi, je me suis sentie réunie avec des amis. Ô mon Dieu, que se passe-t-il ? Des scènes si contrastées ! J’étais Jésus et, sur mon cœur, je sentais quelqu’un poser sa tête sur ma poitrine, et moi j’étais ce quelqu’un. J’étais la table, j’étais le pain et le vin ; j’étais la coupe qui contenait le vin ; j’étais les plats où les viandes étaient servies. J’étais Judas ; j’étais tout. J’étais la douceur et la mansuétude de Jésus ; j’étais le désespoir et la trahison de Judas.

Quelle nuit ! Quelle sainte nuit ! La plus grande de toutes les nuits ! La nuit du plus grand miracle, du plus grand amour de Jésus !

Son divin Cœur était uni à ceux qui lui étaient si chers. Pour pouvoir partir, il lui fallait rester parmi eux ; pour monter au ciel, il lui fallait rester sur la terre ; son divin Amour l’y obligeait.

J’aimerais pouvoir éclaircir toutes ces choses, mais je ne le peux pas, je n’en suis pas capable.

Le regard halluciné du mauvais disciple est resté imprimé dans mon cœur, comme aussi le silence profond de nostalgique congé.

L’amertume de mon âme ne pouvait pas être plus grande.[61]

« Le ciel paraissait se révolter... »

Chaque moment qui passe est une éternité. J’ai l’impression d’être toujours au même endroit. Le ciel ne vient pas.

Seule le vendredi, une fois passé, revient très vite. Je pourrais presque dire qu’il est toujours présent.

J’ai passé la nuit en agonie au Jardin des Oliviers. Quelle triste solitude ! Le ciel paraissait se révolter contre la terre ingrate. J’entendais le bruit de la foule et le résonner des armes.

À l’intérieur de moi j’ai entendu quelqu’un qui était tout proche dire :

Mon ami, pourquoi es-tu venu ?

Ô douces paroles ! Ô douceur, tendresse et amour de Jésus !

Quelques heures se sont passées et tout reste encore imprimé en moi. Mon corps est très épuisé à cause de l’agonie, de la prison, de la flagellation, des épines, des mauvais traitements et le chemin du Calvaire...

Arrivée en haut, je me suis transformé en la montagne même, en la croix, en Jésus. Combien de sentiments, combien de douleurs, combien d’amour ! Amour qui embrassait toute l’humanité, amour qui contraignait à tant de douleur, au versement de tout le sang.

Ah si je pouvais rendre clairement, comme clairement je l’ai vécu ce que Jésus et la Sainte Vierge ont souffert !

(...)
Jésus m’a dit :

— Tu es pleine de grâce, ma fille, parc que Jésus est avec toi. Tu es pleine de lumière, de pureté et d’amour, parce que le Saint-Esprit est descendu du ciel sur toi. Il habitait déjà en toi, mais maintenant, plus que jamais  il s’est répandu en toi ; en toi comme jadis sur les apôtres. A partir de maintenant, tu auras des lumières pour comprendre pleinement l’étendue de mon amour, de ma puissance, de ma miséricorde et de la gravité de la faute contre mon divin Cœur...[62]

Je désire vivement que ta vie soit connue ; mais elle ne pourra l’être sans une grande souffrance, immolation et sacrifice.

(...)
L’heure est arrivée : que la lumière soit, que la lumière se fasse. Le monde a faim de ma vie cachée en toi.

Demande prière, réparation, changement de vie. Demande-le ! Pour que cela se fasse, il faut le demander ; pour le demander il faut connaître mes désirs.

Hâtez-vous ! Hâtez-vous ! Faites pénitence ! Faites réparation pour le péché de chair. L’impureté est la fenêtre ouverte à tous les péchés graves. Que le monde se convertisse ! Pauvre monde s’il ne se convertit pas bientôt...

Tu recevras tout de moi, pour tout donner aux âmes. Tu appartiens à Jésus, tu vis de Jésus ! Donne aux âmes ce qui appartient à Jésus.

(...).[63]

« Cette lumière ne laisse rien occulte... »

Depuis vendredi [64] je sens dans ma tête une forte lumière qui se reflète dans mon cœur avec la même intensité. Je sens en même temps être comme une tour d’une hauteur inimaginable depuis laquelle, cette lumière illumine le monde entier.[65]

Cette lumière nage dans une mer de souffrances, dans une mer obscure. La mer c’est moi, la souffrance est la mienne, et même la nuit est la mienne.

La lumière ne m’appartient pas: elle appartient au monde; elle est pour le monde.

Certaines fois je me fatigue et je reste broyée à cause des nombreuses choses que cette lumière me montre.[66]

Mon Dieu, qu’elle horreur dans le monde ! Comme il coure vers la perdition ! Mais il est à moi, je me sens comme sa mère ! Je ne peux pas supporter qu’il se perde à cause de ses désordres. Mon âme le voit parcourant toutes les routes qui mènent à la perdition. Ah, mon Dieu, que dois-je faire ? J’ai déjà tout donné, et pourtant j’ai l’impression de ne pas avoir tout fait pour le sauver. J’ai tout donné et tout fait sans avoir le sentiment d’être sa mère, et maintenant [que je me sens sa mère], ma douleur est grande de n’avoir plus rien à donner à Jésus pour le monde.

Quelqu’un pourra-t-il comprendre cette souffrance ? Ce que j’en souffre, seul Jésus le sait. O cœurs, ô cœurs du monde entier, si vous compreniez combien Jésus vous aime !...

Lundi, avant même que je reçoive mon Jésus, Deolinda m’a prévenue que la jeune fille qui avait vécu avec nous désirait me visiter. Je désirais ardemment cette réconciliation, non pas que je me sente coupable, mais parce que j’étais d’avis qu’entre personnes pieuses il ne devait pas subsister de dissensions, des motifs de mauvais exemple qui déplaisent à Jésus.

Jusqu’à présent, à la pensée d’une rencontre avec quelqu’un qui m’avait tant fait souffrir, même involontairement et sans bien réfléchir, j’avais l’impression que j’en aurais reçu un coup au cœur. Je désirais une telle rencontre mais je craignais ne pas résister. Quand ma sœur m’en a parlé, Jésus a transformé mon âme: je n’ai plus eu cette impression à l’égard de cette personne; je suis restée indifférente comme devant quelque chose qui ne m’aurait pas intéressée.

Lors de la Communion j’ai confié cette affaire à Jésus, lui demandant de la résoudre selon sa divine Volonté. J’ai passé la journée dans l’inquiétude de ne pas faire la volonté du Seigneur et avec un accroissement de souffrances.

Aujourd’hui il m’a été confirmé que peut-être, dans la matinée, après la Communion, j’aurais la visite annoncée. Je me suis alors tournée vers le Cœur de Jésus:

Faites que je la reçoive avec la bonté et l’amour de votre divin Cœur. Donnez-moi votre humilité. Faites que j’oublie les souffrances causées, comme je désire aussi que vous oubliiez mon ingratitude envers vous.

Petite-Maman, par votre agonie auprès de la Croix, par vos douleurs, faites que je me comporte de manière à procurer à Jésus toute consolation et que cela soit un grand profit pour les âmes.

J’ai reçu la jeune fille avec le sourire et avec la plus grande mansuétude possible, en me faisant une très grande violence. Le cœur en était suffoqué et des fois j’avais du mal à parler et à respirer.

Je lui ai fait comprendre son comportement méchant et, quand elle m’a demandé pardon je lui ai dit :

Je ne demande pas au Seigneur qu’il te punisse, bien au contraire, je ne souhaite pas qu’il te punisse. Je veux tout oublier, comme je désire que Lui, il oublie mes ingratitudes et celles du monde entier.

Mon cœur a été rempli de compassion pour elle et je lui ai pardonné de toute mon âme. J’ai vu en elle le Seigneur.

Je n’ai pas eu un moment de joie, parce qu’il m’a semblé que l’affaire ne me concernait pas...[67]

« La tour s’élève... »

(...)
Je sens que la tour qui s’élève à l’intérieur de moi est de plus en plus haute. L’artiste chargé de l’œuvre n’arrête pas de travailler. A quelle hauteur je suis montée, étant donné que je monte en haut de cette tour, ou mieux, je suis moi-même la tour !

La lumière monte avec moi. Je suis exténuée à force de monter.

La lumière est celle du monde et non la mienne. Elle sert à l’illuminer et à me permettre de le voir. Mais elle reste si bas ! J’évalue la distance du ciel à la terre. Oh, dans quel état je vois le monde ! Cette lumière ne laisse rien occulte; elle pénètre au plus intime et fait que moi-même j’y pénètre.

Quelle misère dans les âmes ! Quelle fange recouvre les corps et s’étend à toute l’humanité ! Quelle horreur !

O monde, dans quel état je te vois ! Plus la tour monte plus la lumière éclaire ; plus le monde est dans la fange et plus mon cœur souffre...[68]

La douleur de la Mère

(Moments de la Passion)

(...)
J’ai ressenti que Quelqu’un avec un amour fou, avec un amour de Mère, allait de rue en rue, aveuglée par la douleur, afin de voir où elle pouvait me rencontrer.[69]

Le vacarme était épouvantable.

Revêtue d’habits royaux, mais par moquerie, on mit entre mes mains une canne. Quelle barbarie contre moi ! Ils étaient très nombreux ceux qui s’ingéniaient à inventer des tourments pour me maltraiter avec une plus grande cruauté. Le long du chemin du Calvaire ce n’étaient que hurlements et imprécations derrière moi. Ce n’étaient pas des cris de douleur mais de haine ; ce n’étaient qu’injures. Mais il y avait aussi Quelqu’un qui pleurait et qui s’affligeait à cause de moi ; Quelqu’un qui voulait me consoler, me procurer du soulagement et guérir mes plaies. Ce Quelqu’un me causait plus de souffrance : c’était une souffrance unie à la mienne, c’était une souffrance qui ne pouvait adoucir la mienne. La Petite-Maman... combien n’a-t-Elle pas souffert avec Jésus !

Sur le Calvaire et sur la Croix, Jésus et Marie n’avaient qu’un seul Cœur, une seule âme, une seule douleur, un seul amour. Jésus était abandonné et la Maman chérie se trouvait elle aussi abandonnée en regardant impuissante l’état de son Fils.

Si le monde connaissait et pouvait comprendre ceci, il ne pécherait pas.

Jésus était en croix, mais à l’intérieur de mon cœur.

Au cri de “Mon Père, pourquoi m’avez-vous abandonné ?” je disais dans mon cœur :

— “Regarde, monde, regarde dans quel état tu m’as réduit par ta méchanceté !”

Je l’ai entendu confier son Âme au Père éternel. Avec quelle joie elle quitta son très saint Corps et fut reçu au ciel !

Déjà en union avec mon Jésus,[70] je l’ai vu en croix, mais à l’intérieur de moi, verser ce qui lui restait de son précieux Sang dans son divin Cœur déjà ouvert, et verser enfin quelques gouttes d’eau.

Il m’a dit :

— Le pécheur endurci et affolé par les passions est éloigné de moi, très éloigné... Viens, ma fille, viens à ton Jésus pour recevoir la médecine, la vie et la lumière pour les conduire à moi...

— Ô Jésus, c’est seulement avec la lumière de votre divin Amour que je peux leur donner lumière. J’ai soif, une grande soif de vous donner des âmes, beaucoup d’âmes !

— Ta soif c’est la mienne : rassasie-moi...

(...).[71]

● ● ●

NOTES

[1] Alexandrina appelle caresses de Jésus, toutes les souffrances qu’elle endure par amour pour Lui et pour le salut des âmes.

[2] Journal du 4 janvier 1945.

[3] Alexandrina vit la Passion.

[4] Journal du 5 janvier 1945.

[5] Elle parle du départ forcé de ses deux directeurs spirituels.

[6] Pour Noël, le Père Umberto Pasquale avait envoyé une “Sainte Famille” en bois. Celle-ci se trouve encore dans la petite chambre de Balasar où vécut la servante de Dieu.

[7] Lettre du 5 janvier 1945 au Père Umberto Pasquale.

Le Docteur Azevedo écrivait, le 4 janvier 1945, au Père Umberto les lignes suivantes :

« C’est un cas vraiment sublime que aura un écho dans le monde entier pour le bien des âmes et pour la gloire de Dieu. Combien sommes-nous comblés ! Je ne le mérite pas, mais les Salésiens seront récompensés pour leurs grandes vertus et bienfaits. Le Seigneur a voulu les associer à ce fait vraiment extraordinaire ; ils ressentiront plus tard un saint orgueil, une juste satisfaction. Qu’ils en retirent la gloire, car ils le méritent bien... »

[8] La lutte, en ces jours-là, devait être très âpre, car le docteur Azevedo, le 6 janvier écrivit au Père Umberto la lettre suivante : “Quand vous écrirez, il serait bien d’encourager Deolinda à écrire volontiers ce qu’Alexandrina dictera... Je lui ai dit que c’était son devoir, que la volonté des directeurs spirituels était la volonté de Dieu. Deolinda est une grande âme : elle obéit, mais avec beaucoup de fatigue. Cela attriste la malade et la fait souffrir. Je l’ai encouragée afin que la cause ait le plus d’éléments pour sa défense et pour sa plus grande splendeur.”

Puis, le 15 janvier, il répond à Alexandrina : “... En vue de votre vie immaculée, je sens le devoir de vous dire que, même si tout le monde vous abandonnait, votre infirmière Deolinda et votre pauvre médecin, ne vous abandonneront jamais...”

[9] Lettre du 8 janvier 1945 au Docteur Augusto de Azevedo.

[10] Alexandrina vécut, mystiquement, les peines des damnés.

[11] Journal du 8 janvier 1945

[12] Journal du 11 janvier 1945

[13] Journal du 12 janvier 1945.

[14] Il s’agit du salésien Dom Umberto Pasquale qui, accompagné de son Supérieur, Dom Carrà, sont venus la visiter.

[15] Le Père Pasquale avait été interdit de se rendre à Balasar, suite à une lettre de l’archevêque de Braga à sa Congrégation. Toutefois, son Supérieur, ne partageait pas tout à fait cet état de choses et, pour avoir une idée plus concrète, décida de venir à Balasar rencontrer Alexandrina. Il partit enchanté et convaincu de sa sincérité et de l’œuvre de Dieu en elle.

[16] L’inspecteur Salésien, Dom Carrà, à la suite de la visite qu’il fit à Alexandrina le 13 janvier 1945, permit au Père Pasquale de la visiter toutes les fois qu’il jugerait nécessaire.

Au mois d’octobre de la même année 1945, Dom Carrà nomma le Père Pasquale à la Maison de Porto, le rapprochant ainsi de Balasar (il y a seulement 50 Km de Porto à Balasar). Il demanda en outre, à l’archevêque de Braga, l’autorisation nécessaire afin que le Père Pasquale puisse confesser dans son diocèse, mais il ne l’a pas obtenue. Un tel refus, même si en apparence indélicat, aura de bonnes conséquences pour la suite des événements. En effet, libéré du secret de la confession, le Père Pasquale sera libre pour donner sur Alexandrina un plus grand témoignage, aussi bien par ses écrits que lors de l’instruction du procès diocésain en vue de la béatification et canonisation d’Alexandrina. En effet, les confesseurs ne sont pas appelés à témoigner, dans de pareils cas.

Dom Carrà témoignera, lui aussi : « J’ai eu l’occasion de la visiter, une seule fois, hélas. Je n’aurais jamais pensé qu’elle soit malade et jeûnant depuis trois ans : l’héroïsme dans la souffrance est plus qu’évident en elle. Elle m’est apparue sereine, souriante, d’un sourie que je n’ai jamais rencontré chez d’autres personnes. » (14 mai 1966).

[17] Journal du 16 janvier 1945.

[18]Sur la croix, le Fils de Dieu remis et épousa la nature humaine.” — Saint Jean de la Croix : “La Cantique Spirituel” 23,3.

[19] Journal du 19 janvier 1945

[20] Le Docteur Azevedo, écrivit à ce sujet au Père Mariano Pinho : “... Le même héroïsme continue, continue pareillement l’abstinence de tout aliment sans le moindre symptôme que présentent les malades d’anorexie mentale. Il semblerait que l’absence de sommeil soit en train d’apparaître... L’action du démon sur ses sens extérieurs et intérieurs, depuis quelques mois, est terrible, comme on peu le voir d’après son journal qu’elle dicte avec la plus grande répugnance et le plus grand sacrifice et, uniquement par obéissance...” (28 janvier 1945).

[21] Journal du 22 janvier 1945.

[22] Journal du 25 janvier 1945.

[23] Le 28 janvier 1945, le Docteur Azevedo écrivait au Père Umberto Pasquale : “... L’héroïque Alexandrina passa ces derniers jours dans les plus grandes souffrances physiques et, de temps à autre, avec les habituelles crises de vomissements. Son foie lui cause des réactions terribles. C’est sa croix qui ne se terminera qu’à sa mort. Elle veux ressembler le plus possible à Jésus, qui connaît la valeur de son âme et veut qu’elle soit sa grande victime...”

[24] Le salut du monde est venu de la mort de Jésus sur la croix : Alexandrina le personnifie.

[25] Nom du lieu-dit où habitait Alexandrina : Calvário.

[26] Journal du 26 janvier 1945.

[27] L’âme parvenue à la contemplation passive se considère inutile et inerte pendant que Dieu agit en elle. Il n’existe ni action aussi précieuse qu’elle soit pour elle et pour les autres. (Cf. Sainte Thérèse d’Avila. “Vie” Chapitre 21.

[28] “Et par Jésus-Christ, le témoin fidèle, le Premier-né d’entre les morts, le Prince des rois de la terre. Il nous aime et nous a lavés de nos péchés par son sang” Apocalypse. 1,5.

[29] Journal du 1er février 1945.

[30] “Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ?” Saint Marc, 15,34.

[31] “Lorsque les soldats eurent crucifié Jésus, ils prirent ses vêtements et firent quatre parts, une part pour chaque soldat, et la tunique. Or la tunique était sans couture, tissée à partir du haut ; ils se dirent entre eux : « Ne la déchirons pas, mais tirons au sort qui l’aura » : afin que l’Écriture fût accomplie.” Saint Jean, 19,23-24.

[32] Au contraire des autres fois où Alexandrina a été communié par les Anges et que le mot « nostri » était prononcé, cette fois-ci, il ne le fut pas, car ce fut Jésus Lui-même qui s’est donné à son épouse.

[33] Il y a une relation particulière entre l’Eucharistie et la Vierge « mère de la divine grâce », parce que l’Eucharistie nous fait participer à la nature divine à travers le Corps et le Sang du Sauveur. Or la Sainte Vierge ne peut pas rester étrangère à cet accroissement de vie que nous recevons dans l’Eucharistie : en celle-ci, Marie conserve tous ses droits de Mère. Dans un certain sens on peut dire que c’est Elle qui donne l’âme à l’aliment divin. Avec le Fils de son sein Elle alimente ses enfants adoptifs (Arintero, “L’Évolution mystique”.

[34] Journal du 2 février 1945.

[35] Une jeune fille pauvre que la servante de Dieu avait fait recueillir par les Filles de Marie Auxiliatrice de Lisbonne.

[36] Il s’agit de M Mariana Inês de Melo Sampaio, fille spirituelle du Père Mariano Pinho..

[37] Lettre du 6 février 1945 au Père Umberto Pasquale.

[38] Il est jeudi soir. Alexandrina qui personnifie Jésus, sort du Cénacle et prend le chemin du Jardin des Oliviers.

[39] Journal du 8 février 1945

[40] Journal du 9 février 1945.

[41] Il s’agit ici d’un certain Joaquim Rodrigues. Déjà en 1934 Alexandrina lui avait écrit une très belle lettre l’invitant à changer de vie. La maîtresse d’école témoigna en 1965 : “Quand je suis venue comme enseignante à Balasar, j’étais en pension cher Monsieur Rodrigues. J’ai appris qu’il visitait Alexandrina et il lui arrivait d’affirmer : — En cette âme il y a le pouvoir de Dieu ! ».

Deolinda, à son tour témoigna : “Joaquim Rodrigues se confessa et fut un pratiquant fervent ainsi que son épouse”.

[42] Journal du 13 février 1945.

[43] “Je leur donnerai un seul cœur et je mettrai en eux un esprit nouveau : j’extirperai de leur chair le cœur de pierre et je leur donnerai un cœur de chair, afin qu’ils marchent selon mes lois, qu’ils observent mes coutumes et qu’ils les mettent en pratique. Alors ils seront mon peuple et moi je serai leur Dieu.” Ézéquiel : 11,19-20.

[44] “Puis il mit de l’eau dans un bassin et commença à laver les pieds des disciples et à les essuyer avec un linge dont il était ceint. Il vient donc à Simon-Pierre, qui lui dit : « Seigneur, toi, me laver les pieds ? » Jésus lui répondit : « Ce que je fais, tu ne le sais pas à présent ; par la suite tu comprendras. » Pierre lui dit : « Non, tu ne me laveras pas les pieds, jamais ! » Jésus lui répondit : « Si je ne te lave pas, tu n’as pas de part avec moi. » Simon-Pierre lui dit : « Seigneur, pas seulement les pieds, mais aussi les mains et la tête ! »” Saint Jean 13,5-9.

[45] Journal du 15 février 1945.

[46] Journal du 16 février 1945.

[47] Le Docteur Azevedo, Deolinda et quelques autres personnes sont allées à la Maison des Salésiens de Mogofores afin de rencontrer le Père Umberto. Ils avaient aussi l’intention de passer voir le Père Mariano Pinho, mais la prudence le déconseilla. A leur retour, ils obtinrent que le Père Umberto les accompagne jusqu’à Balasar.

[48] Le Père Pasquale a pu s’entretenir avec la malade, mais il ne put la confesser, car il n’en avait pas l’autorisation.

[49] Le Père Umberto Pasquale dormait dans la chambre contiguë à celle d’Alexandrina.

[50] Pendant cette même nuit, un pot de fleurs s’est écrasé par terre devant la chambre ou dormait le Père Pasquale.

[51] Journal du 22 février 1945.

[52] Journal du 22 février 1945.

[53] Lettre du 26 février 1945 au Père Umberto Pasquale.

[54]Não há nada que não tenham dito de mim.”

[55] Journal du 1er mars 1945.

[56] Vendredi.

[57] A noter que le masculin est ici employé à bon escient. En effet, Alexandrina personnifie le Christ, quand elle vit la Passion.

[58] Journal du 2 mars 1945.

[59] Journal du 6 mars 1945.

[60] Journal du 8 mars 1945.

[61] Journal du 8 mars 1945.

[62] “Et lui, une fois venu, il établira la culpabilité du monde en fait de péché, en fait de justice et en fait de jugement : de péché, parce qu’ils ne croient pas en moi ; de justice, parce que je vais vers le Père et que vous ne me verrez plus ; de jugement, parce que le Prince de ce monde est jugé.” Saint Jean 16,8-11.

[63] Journal du 9 mars 1945.

[64] 9 mars 1945.

[65] La tour est le symbole de l’Église qui s’édifie, petit à petit sur le Christ et les apôtres. Cf. Hermas, “Le Pasteur”, vision III.

[66] Sainte Thérèse d’Avila; “Vie”, Chapitre 21.

[67] Journal du 13 mars 1945.

[68] Journal du 15 mars 1945.

[69] Il est à remarquer ici l’identification d’Alexandrina avec le Christ : elle s’exprime à la première personne.

[70] Chaque vendredi, après chaque “Passion”, Alexandrina avait un colloque avec Jésus. Celui-ci durait environ vingt minutes.

[71] Journal du 16 mars 1945.
 

   

 

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