Fille
unique
de
saint
Hilaire,
sainte
Abre,
très-jeune
encore,
était
née
à
peu
près
dix
ans
avant
que
ce
grand
homme
fût
appelé
à
l'épiscopat,
c'est-à-dire
vers
l'an
343.
Son
éducation
répondit
aux
sentiments
d'une
mère
pieuse,
que
son
époux
avait
peut-être
ramenée
avec
lui-même des fausses
croyances du paganisme aux lumières de la foi chrétienne. Nul doute
aussi, d'après les preuves de tendre sollicitude qu'il donna au
salut de cette fille chérie, que l'excellent père ne se soit occupé
de cette éducation, si précieuse à des parents chrétiens. Quand les
factions un moment triomphantes eurent ouvert au grand adversaire de
l'Arianisme les portes de son glorieux exil, la jeune fille demeura
à Poitiers sous la protection de sa digne mère, qui continua de
développer ses heureuses dispositions en la formant de plus en plus
au service de Dieu.
Il y a dans les
vues de la Providence sur certaines âmes, et parfois sur des
familles entières, d'ineffables complaisances qui se révèlent par
d'admirables prodiges. Saint Hilaire et les siens sont un exemple de
ces adorables prédilections qui poussent les Saints hors des voies
communes par lesquelles il serait impossible d'expliquer leurs plus
étonnantes actions. Le gouverneur de Poitiers avait un fils à qui la
jeune personne avait plu, et dont le haut rang et les grandes
richesses semblaient promettre de pouvoir lui plaire également.
D'ailleurs, les avantages extérieurs de celle-ci, les grâces
modestes de son âge, et tout ce que le jeune homme savait d'elle
expliquaient assez cette préférence. Il s'en ouvrit à la mère qui,
apparemment, ne regarda point un projet de ce genre comme pouvant se
traiter encore, soit en considérant la grande jeunesse de sa fille,
soit, qu'elle comptât sur 1 époque incertaine encore du retour de
son époux. Quoi qu'il en soit, l'une et 1 autre ayant pu écrire
bientôt après à l'illustre exilé, ne lui parlèrent en rien de cette
particularité mais là commenceront à se dévoiler les desseins de
Dieu. Une révélation de ce bon Maître apprit a Hilaire de quoi il
était question pour cette enfant dont le souvenir lui revenait dans
toutes ses prières. Sa pensée, qui avait toujours été de donner sa
fille au Seigneur par la consécration d'une sainte virginité,
s'anima devant une éventualité si contraire à ses espérances, et il
répondit à cette bienveillante communication de 1 Esprit divin en se
prosternant la face contre terre, en lui demandant avec larmes de
prendre lui-même sa chère fille pour son Epouse lui donnant la perle
précieuse et la robe de pureté promises par le Sauveur aux vierges
de l’Évangile cette alliance était, aux yeux du grand Confesseur, la
seule récompense terrestre qu'il sollicitât pour les peines et les
travaux de son exil.
Bientôt, ayant
trouvé une occasion de donner de ses nouvelles à Poitiers, il
voulut, en répondant à Abre, seconder de tous ses moyens do
persuasion l'action de la Providence qu'il avait invoquée, et il la
porta, dans cette lettre que saint Fortunat avait lue et dont il
loue les agréments et l'ingénieuse tournure, à ne choisir d'autre
Epoux que Jésus-Christ. C'est effectivement une charmante allégorie
qu'un père comme saint Hilaire ne pouvait adresser à une fille aussi
jeune sans être assuré qu'il serait compris, et qui par cela même
fait apprécier l'intelligence précoce et la foi éclairée de.la
sainte enfant. Après lui avoir parlé de cette révélation où il avait
demandé pour elle à un Epoux tout-puissant la plus belle des perles
et la robe nuptiale de l'innocence éternelle, il lui apprend que sa
prière a été exaucée, et désormais en possession de ce double trésor
qu'il peut lui offrir la
conjure
de
ne pas
le
refuser, mais
de
l'accepter en
appréciant
sa
juste valeur,
et
qu'une fois
riche
de
ces beaux
gages
du
seul amour
qu'il
veuille
lui
proposer, elle
ne
songe plus
à'
porter aucune
livrée
des
vanités mondaines.
« Au
reste,
continue-t-il,
j'atteste
le
Dieu du
ciel
et
de la
terre,
que rien
n’est
plus
précieux
que
ce beau
vêtement
et
ce magnifique
bijou
il dépend de toi, ma fille,
qu'ils t'appartiennent. Si donc désormais on t'apporte une robe de
soie, de pourpre ou d'or, réponds à celui qui te l'offre : J'en
attends une autre pour laquelle mon père a été si loin, et que je ne
pourrais avoir si j'acceptais la vôtre. Je me contente de la laine
de ma petite brebis, d'une étoffe sans luxe et de sa simple
couleur ; enfin, la robe que je préfère, c'est celle dont on me dit
qu'elle ne pourrait plus m'être ôtée, et que je ne verrai jamais ni
se déchirer, ni s'user. Si quelque autre voulait te donner une perle
pour en orner ton cou ou ta main, tu diras Non, je ne veux point me
charger de ces inutiles et grossières pierreries j'en attends une
autre, la plus précieuse, la plus belle et la plus utile de toutes.
Je m'en rapporte à mon père qui s'en est rapporté aussi à Celui qui
la lui a promise pour lui-même je n'attends et ne désire que celle
qui doit m'être le gage de mon salut et de mon éternité ».
Le grand génie
qui se jouait ainsi avec son esprit dans une image aussi juste que
poétique, voulait voir si sa chère enfant l'aurait bien comprise. Il
l'exhortait à lui répondre, à lui dire si elle acceptait l'Epoux
proposé, et ses belles parures, et sa perle mystérieuse; il
promettait de lui révéler ensuite le nom de ce glorieux Prétendant,
nom qu'il espérait aller lui dire en revenant vers elle; et, par un
dernier trait qui semble indiquer encore qu'il n'est pas le seul
père qu'elle doive aimer, il lui adresse en finissant ce souhait
plein d'une touchante tendresse « Que le Dieu qui t'a donné la vie
te garde pour l'éternité, chère fille que je désire tant de revoir »
A cette lettre, qu'il lui recommandait de se faire expliquer par sa
mère si elle y trouvait quelque obscurité, Hilaire ajoutait deux
hymnes, l'une pour le matin, l'autre pour le soir touchantes et
belles prières qu'Abre devait dire chaque jour, « afin de se
souvenir sans cesse de lui n, et dont la première seule nous est
restée l'Eglise de Poitiers la chante à Laudes le jour de la fête du
saint Docteur.
La docile vierge
comprit le sens de tant de saintes choses dont sans doute elle
conversa avec sa mère. Ces pieux entretiens durent adoucir pour elle
les longueurs d'un exil qui dura encore trois ou quatre ans toujours
est-il que, lorsque le héros du catholicisme revint vers elle en
360, il trouva sa fille pleine des dispositions les plus dignes de
lui; elle avait renoncé à toute union terrestre, et là encore la
parole du Docteur avait vaincu. Un autre triomphe lui restait
cependant à remporter, conséquence de tant d'autres que la foi
s'était ménagés en lui contre la nature, et Dieu qui avait tout
conduit jusque-là devait terminer cette miraculeuse opération le
fruit était mûr, la main divine allait le cueillir.
Saint Hilaire
s'entretenant donc un jour avec l'aimable enfant la vit toute
transportée d'amour pour la gloire céleste, et lui demanda, inspiré
lui-même, si elle désirait ardemment posséder enfin cet Epoux que la
sollicitude de son père lui avait cherché. La réponse ne se fit pas
attendre. C'était l'expression d'une âme toute pleine de Dieu, et
une protestation empressée d'une perpétuelle virginité. Elle lui
demandait de se hâter, de l'unir pour toujours au chaste Epoux des
vierges. Le généreux père, assuré de ce consentement, se met alors
en prière. Il offre son unique fille à Celui qui l'avait réclamée,
et nouvel Abraham, il ne se relève qu'après l'avoir vue en sa
présence, sans aucune agonie, sans le moindre indice d'aucun mal,
exhaler vers Jésus-Christ son âme pure, miraculeusement soustraite
aux séductions de la vie mortelle. « Une telle mort, dit saint
Fortunat que nous suivons ici, n'est-elle pas plus admirable qu'une
résurrection ? » Oui, sans doute ; et cependant une autre mort
allait suivre, non moins héroïque,
non
moins digne
de
ces cœurs
accomplis.
La
mère de
la
jeune Sainte
venait
d'être
témoin
de
son départ
pour
le
ciel. L'amour
maternel
et
la foi
s'unissent
en
elle pour
implorer
la
même faveur.
Elle
conjure
son
époux de
lui
ouvrir le
même
chemin
au
bonheur de
son
éternité, si
Dieu
ne
l'en juge
pas
indigne. Et
le
Pontife prie.
et
comme sa
fille
qu'elle
y
suit, la
mère
va
attendre dans
le
ciel celui
à
qui le
ciel
daignait
ainsi
obéir.
Le
courageux athlète,
qui
savait préférer
Dieu
à
lui-même jusqu'à
lui
sacrifier de
si
pures et
de
si chères
affections,
voulut
ensevelir
de
ses propres
mains
les
deux Saintes
qui
devinrent aussitôt
l'objet
de
la vénération
publique.
Il
les déposa
dans
une
crypte construite
à
cet effet
et
sur laquelle
il
fit bientôt
élever
une
petite église
qui
fut l'origine
de
la basilique
de
Saint-Hilaire de
Poitiers.
SOURCE :
Alban Butler : Vie des Pères, Martyrs et autres principaux
Saints… – Traduction : Jean-François Godes-card. |