Adélaïde d'Allemagne
Impératrice du Saint Empire, Sainte
† 999

Charles-le-chauve, Empereur et Roi de France, donna, en 879, avec le titre de Roi, la Bourgogne, la Provence, la Bresse et le Dauphiné à Boson, son beau-frère, qui descendait par sa mère de Louis-le-Débonnaire. Telle fut l'origine du second royaume de Bourgogne ou d'Arles[1].

Rodolphe II, Roi de Bourgogne, fut père d'Adélaïde. Sa mère, Berthe, était fille de Conrad, duc de Souabe, et était douée de très-hautes qualités. Cette princesse n'avait encore que six ans lorsqu'elle perdit son père, en 937. A en juger par les vertus qu'elle développa plus tard, la nature l'avait dotée de grandes dispositions qu'une éducation soignée perfectionna encore.

A peine eut-elle atteint sa seizième année qu'on la maria à Lothaire, Roi d'Italie.

Les fiançailles d'Adélaïde avec Lothaire se firent en Bourgogne, où Hugues avait accompagné son fils. Il donna

 Il sortit de ce mariage, Bérenger, duc de Frioul, fils d'Eberhard et petit-fils de Charlemagne, par sa mère Gisèle, fille de Louis-le-Débonnaire, et descendant, du c6té paternel, des Rois de Lombardie, forma le projet, après la mort de Charles III, de s'emparer de l’Italie, à la souveraineté de laquelle il croyait avoir des droits par sa naissance. Il conclut à cet effet une alliance avec Gui, duc de Spolète, qui avait lui-même jeté les yeux sur la France. La situation de l'empire d'Allemagne à cette époque, les guerres contre les Normands et les Moraves dans lesquelles Arnould fut impliqué et d'autres circonstances encore favorisèrent cette entreprise. En 888 il se fit déclarer souverain de la Lombardie, mais ne jouit pas longtemps des fruits de son audace. Gui ayant échoué dans sa tentative sur la France, et voulant faire valoir à son tour le sang de Charlemagne qui coulait sans ses veines, lui livra deux batailles en 889, et le défit complètement dans la seconde, au point que Bérenger fut forcé de chercher un asile en Allemagne et de se jeter dans les bras d'Arnould. Celui-ci séduit par les promesses de Bérenger et nourrissant le dessein de faire respecter les privilèges de ses ancêtres, dès qu'ils aurait pénétré en Italie, y envoya une armée considérable, sous le commandement de son fils naturel Zwentibold, qui aurait immanquablement triomphé, si le rusé Gui, après avoir gagné ses alliés, ne les eût déterminés à se retirer, et n'eût aussi fait échouer toute la campagne. Trois années après, Arnould passa lui-même, à la tête d'une armée, en Italie, où Gui avait pris le titre d'Empereur, avait commis de grandes exactions et provoqué les plaintes du Pape Formose. Les troupes allemandes furent victorieuses, la Lombardie fut soumise, Gui fut chassé de Pavie et le Roi Arnould fut inauguré à Plaisance.

Après le départ des Allemands, Gui rassembla de nouveau ses forces dispersées, mais il mourut l'année suivante (894). Cette mort ne fut d'aucun avantage pour Arnould, comme on pourrait le croire ; car l'épouse de Gui, Agiltrude, profita des incursions des Hongrois en Allemagne, pour faire déclarer son fils Lambert, surnommé le Beau, Roi de Lombardie. Arnould entreprit alors une formidable expédition, assiégea Rome avec un courage inébranlable, et, malgré les troubles que le perfide Bérenger lui suscita dans sa propre armée, il parvint en peu de temps à s'en rendre maître. Agiltrude, qui y avait cherché un asile, échappa avec la plus grande peine au danger qui la menaçait, et eut le chagrin de voir la couronne s'affermir sur la tête d’Arnould, et les Romains lui prêter le serment de fidélité.

L'Empereur poursuivit Agiltrude, et l'assiégea à Fermo, ou, suivant, d'autres, à Spolète. Mais elle sut, si on en croit quelques écrivains, faire administrer à Arnould un breuvage empoisonné, qui produisit en lui une léthargie telle qu'il fut obligé de renoncer à son entreprise, et que, méprisé par ses nouveaux sujets à cause de cette infirmité, il dut se retirer eu Allemagne en 896.

Bérenger, qui avait fui pendant ce temps la vengeance de l'Empereur, reparut alors, une partie des grands lui fit hommage ; les autres se déclarèrent pour Lambert, querelle qui amena un partage du royaume entre les deux prétendants à la couronne. Le premier obtint les pays situés au-delà du Pô et de l'Adda ; le reste échut à l'autre. Lorsqu'en 898 Lambert eut été assassiné à la chasse par Hugues, fils de Méginfride, dont il avait tué le père, toute l'Italie se soumit à Bérenger, qui cependant ne demeura pas longtemps paisible possesseur de son pouvoir. Dès l'année 890, Ermengarde, mère de Louis d'Arles, lui opposa un rival dans la personne de son fils. L'armée mise sur pied contre Bérenger fut battue, et Louis dut s'engager par serment à ne plus franchir les limites de l'Italie. Mais Ermengarde persuada à Adelbert, duc de Toscane, à lui prêter secours. Louis repassa en Italie et parvint même à se faire proclamer Empereur à Rome. Adelbert, choqué du faste et de l'ambition de Louis, devint à son tour son ennemi, il lui aliéna les cœurs des grands, et les gagna au parti de Bérenger, qui le surprit à Vérone, et lui fit crever les yeux l'an 904. Celui-ci régna après cela paisiblement pendant quelques années ; il fut même couronné

Empereur en 916 ; mais l'an 921, son gendre, le margrave d'Yvrée, excita contre lui un soulèvement, par suite duquel la couronne fut offerte à Rodolphe, Roi de Bourgogne. Celui-ci se rendit avec des forces considérables en Italie, battit Bérenger et prit possession de ses états. Soit inconstance, soit à cause du traitement sévère qu'ils avaient éprouvé, de nombreux adhérents se déclarèrent de nouveau pour Bérenger, lequel, pour assurer d'autant mieux le succès de ses armes, attira les Hongrois dans le pays. Mais les ravages exercés par ces aventuriers lui valurent la haine de ses meilleurs amis, et il fut assassiné à Vérone, l'an 924, Par Flambert.

Les grands, qui ne se souciaient pas trop de Rodolphe, jetèrent les yeux sur Hugues, que Louis, après avoir été privé de la vue, avait chargé de l'administration du royaume d'Arles. Hugues était fils de Théobald, comte d'Arles, et de Berthe, dont les chroniqueurs parlent avec beaucoup d'éloge. Luitprand lui donne beaucoup de louanges ; il le nomme courageux, instruit, sage et vaillant, et lui attribue encore d'autres qualités éminentes, que ses actions cependant ne confirmèrent pas tout à fait.

Rodolphe de Bourgogne appela à son secours son beau-père Burkard, duc de Souabe ; celui-ci rassembla quelques troupes, passa en Italie, mais y périt par le poison. Hugues se vit alors en possession de l’Italie, fut couronné en 926, et pour affermir son pouvoir, il associa à la souveraineté, son fils à peine âgé d'un an, qu'il avait eu de la princesse Aide. Il augmenta sa puissance en épousant la fameuse Marozia, veuve de Gui, margrave de Toscane ; mais son beau-fils Albéric excita un soulèvement contre lui à Rome, et Hugues fut forcé de prendre la fuite. Les Italiens rappelèrent Rodolphe, qui ne répondit pas à cette offre, mais fit un accommodement avec Hugues et lui céda ses droits sur l'Italie, en échange de la Bourgogne Cis-Jurane. Il ne larda pas à avoir un nouveau rival dans la personne d'Arnould , duc de Bavière , qui passa en Italie à la tête d'une armée ; mais ses forces étant trop faibles, il fut obligé de retourner sur ses pas, sans avoir rien exécuté. Hugues marcha alors contre Rome, mais une famine qui se déclara, le mit dans la nécessité d'entrer eu composition avec Albéric, à qui il donna à cette occasion sa fille Aide en mariage.

Cependant un nouvel orage, venant de l'Allemagne, menaçait de perdre nos deux héritiers du trône de l'Italie. Les Romains, las de la tyrannie d'Albéric, appelèrent en Italie Henri, Roi d'Allemagne, et lui à la fiancée comme présent de noces, trois abbayes ainsi que 4580 charrues (de 30 arpents) de terre. Lorsque Lothaire eût atteint l'âge de dix-sept ans, on se hâta d’accomplir, par un mariage formel, son union avec Adélaïde, conclue depuis dix ans. Celle-ci avait alors achevé sa seizième année.

Cependant Bérenger s'était formé un parti puissant, et le jeune Lothaire , quoique revêtu de la dignité royale, était obligé de se conformer dans toutes les affaires importantes à sa volonté , au point, qu'il lui était à peine permis de s'abandonner à son penchant naturel pour la piété , que sa jeune et pieuse épouse aimait à nourrir et à fortifier en lui, et de prouver , par de riches donations , sa charité envers quelques couvents , contrainte qui devait lui paraître d'autant plus pénible qu'il avait autrefois sauvé la vie à Bérenger. Il s’adressa, dans cette fâcheuse situation, à Constantin VII, dont le fils Romain, ayant épousé sa belle-sœur, était devenu son beau-frère, et Constantin exhorta là-dessus Bérenger à se montrer en tout fidèle et soumis à son Roi élu et légitime. Cette démarche de Lothaire est peut-être ce qui lui coûta la vie. Car le bruit se répandit aussitôt, et plus tard il fut prouvé qu'il était fondé, que Bérenger, ambitionnant le trône et trouvant en lui un obstacle à ses desseins, le fit assassiner. Ce qui est certain , c'est qu'après la mort de Lothaire, arrivée le 22 Novembre 952 a Turin, il se hâta d'échanger le titre de duc d'Yvrée, qu'il avait porté jusqu'alors, contre celui de Roi. Les jours de Lothaire furent semés d’amertume, à cause des nombreuses afflictions et des malheurs qui vinrent le frapper ; il ne régna que trois ans et sept mois, période que les vertus et l'amabilité de la bonne et pieuse Adélaïde surent au moins lui adoucir par le bonheur domestique. Quoique très-jeune encore puisqu'il n'avait pas dépassé sa vingtième année, et malgré l'impuissance où l'avait toujours tenu son rival de rien entreprendre pour le bonheur de ses sujets, cependant ses mœurs irréprochables, son caractère noble et généreux et sa profonde droiture lui avaient gagné tous les cœurs et avaient fait placer en lui de grandes espérances.

Adélaïde , privée de son appui, forcée de renoncer à ses plus beaux projets, et craignant, non sans raison, que le crime de Bérenger ne la poursuivît également, fit tourner, en vraie servante de Dieu , ces tribulations au profit de son salut, et, pénétrée plus que jamais de la vanité des grandeurs de ce monde , elle ne chercha que dans son amour pour Jésus-Christ, à qui elle avait dès sa jeunesse consacré son cœur, un asile contre tous les maux qui pourraient venir encore la frapper.

Après avoir rendu à son époux, qui fut enterré à Milan dans le caveau de ses pères, les derniers témoignages de fidélité et d’affection, elle se rendit à Pavie, résolue d'accepter en patience le sort qu'il plairait à la Providence de lui destiner à elle et à sa fille Emma. Bérenger se hâta de s'y rendre de son côté. Après avoir attiré dans ses intérêts les grands, qui, dans leur basse vénalité, étaient toujours du parti du plus fort, il ne lui fut plus difficile de se faire proclamer Roi. Il partagea en même temps le trône avec son fils Adelbert, et rechercha pour lui la main de la veuve de Lothaire, qui par son éclatante beauté, les qualités de l'esprit et toutes les perfections qui peuvent rendre une princesse agréable à Dieu et aux hommes, lui semblait digne à tous égards de l'héritier de la couronne. Craignant que son douaire considérable, dont la ville de Pavie faisait partie, et les brillants avantages qu'elle possédait d'ailleurs n'attirassent sur elle les yeux de quelque prince étranger et ne vinssent lui arracher une couronne, pas encore bien affermie sur sa tête, il avait le plus haut intérêt à ce que ce mariage fût conclu promptement. Adélaïde, contre son attente, refusa ses offres, ce qui l'irrita tellement, qu'il s'empara en 951 de sa personne, afin de l'empêcher d'épouser un autre. Il l'enferma au château de Garda, situé sur le lac du même nom, où il lui fit endurer des maux inexprimables. Il lui enleva toute sa parure, ne lui laissa qu'une seule femme de chambre, et, obéissant aux insinuations de son épouse Willa, femme souillée de tous les crimes, il poussa si loin l'inhumanité, qu'il l'enferma entre quatre murs, la livra aux horreurs de la faim, et la maltraita même de coups de poing et de pied.

Plus sa position devenait cruelle, plus se fortifiait son espoir d'une prompte délivrance, dont elle serait redevable à une faveur spéciale du Ciel. Elle pria son chapelain Martin, homme d'une vertu à l'épreuve, et sur la fidélité de qui elle pouvait compter, de l'aider à briser ses chaînes. Grâces aux dispositions prises par lui, la servante de Dieu et sa femme de chambre, vêtues toutes deux en hommes, s'enfuirent la nuit par un aqueduc qui communiquait de leur cachot avec la campagne, ou, suivant d’autres par une ouverture qu’elle pratiqua dans la muraille. Au bord du lac, nos fugitives entrèrent dans une barque, et un pêcheur les transporta sur la rive opposée. A la pointe du jour la nouvelle de la fuite de sainte Adélaïde se répandit 4 le burgrave se mit à sa poursuite ; mais comme elle avait prévu ces recherches, elle ne continua sa route que lorsqu'elle eut appris que ceux qui la cherchaient avaient quitté les environs du lac. Elle se tint cachée pendant quelques jours, tantôt dans les cavernes et les taillis, tantôt au milieu du grain des champs et des roseaux, recevant sa nourriture de son chapelain, qui demandait l'aumône aux voyageurs, pour pouvoir se procurer les vivres nécessaires. Il y eut aussi un pêcheur, le même probablement qui leur avait fait passer le lac, au sentiment de Muratori, qui leur apporta dans leurs marais quelques misérables aliments. Le burgrave et le prince Adelbert, qui s'étaient mis à la poursuite de la Sainte, persuadés enfin qu'elle était parvenue à sortir du pays, retournèrent chez eux, et Adélaïde fut à même de continuer sa fuite. Mais ne voulant négliger aucune mesure de sûreté, elle envoya son chapelain Martin à Adelhard, évêque de Reggio, en qui elle mettait beaucoup de confiance, à cause de l'attachement qu'il avait montré envers son défunt époux.

Elle lui fit annoncer sa délivrance, et lui demanda un asile contre la vengeance du tyran. Le prélat s'adressa aussitôt au comte Albert Azzo, qui devint plus tard margrave de Modène et Reggio ; celui-ci offrit à la Sainte le château de Canossa.

Quoique ce fort, situé dans le duché de Reggio, fût une des places les mieux fortifiées de l’Italie, et qu'il ne fût possible de s'en rendre maître que par la famine. Adélaïde n'en avait pas moins tout à craindre de son persécuteur ; c'est pourquoi elle s'adressa à Othon, Roi d’Allemagne, prince dont la renommée remplissait alors l'Europe, tant à cause de ses victoires récentes sur les Hongrois, que de la générosité de son caractère. Elle lui écrivit une lettre où elle lui dépeignait toute sa position, le Pape Agapet II y joignit lui-même une lettre de sa part, par laquelle il le sollicitait de venir délivrer l'Italie de l'oppression de Bérenger. Othon se rendit d'autant plus volontiers ë cette prière, qu'il y trouvait une occasion de réunir de nouveau à l'empire d'Allemagne l'Italie, qui en avait été séparée sous Arnould. Il fit les promesses les plus généreuses à notre Sainte, et comme la mort venait de lui enlever Edith, son épouse, il lui offrit en même temps sa main. Un chroniqueur du temps rapporte que la lettre qui renfermait ces promesses, ainsi qu'une bague, comme gage de son affection, fut apportée au château de Canossa, que Bérenger assiégeait, par une flèche à laquelle le porteur l'attacha, récit que d'autres auteurs réfutent en prouvant que le siège de Canossa n'eut lieu que plus tard.

Othon fit tous les préparatifs nécessaires pour entrer promptement en campagne; mais les Bohémiens insurgés ayant réclamé sa présence en Allemagne, il envoya en attendant son fils Ludolphe contre Bérenger. Les annalistes ne s'accordent pas sur les résultats de cette première campagne. Mais ce qui est certain, c'est qu'Othon marcha contre Pavie, qui lui ouvrit ses porte , et que Bérenger prit la fuite et s'enferma dans une forteresse. Othon se hâta alors de faire chercher Adélaïde à Canossa , en y envoyant à cet effet le chapelain Martin, accompagné d'une bonne escorte , et chargé de cadeaux précieux pour la Reine. Celle-ci partit aussitôt pour Pavie, où Henri de Bavière vint à sa rencontre jusque hors de la ville , et la conduisit à celui en qui elle devait voir son libérateur et son futur époux. Le mariage eut lieu au mois d'Octobre 951, avec toute la pompe possible , et à la satisfaction générale des grands et du peuple.

Adélaïde ne se laissa nullement éblouir par l'éclat dont, après tant de malheurs , elle se voyait si inopinément entourée : dans sa reconnaissance , elle n'attribuait son salut qu'à Dieu, et se sentait attirée à lui avec plus de puissance que jamais. Sa vertu si constante, si inébranlable dans le bonheur comme dans la mauvaise fortune , la mémoire de ses souffrances, où elle avait paru aussi grande sous les pieds de Bérenger , qu'elle l'était actuellement sur le premier trône de l'univers ; sa douceur et son affabilité, sa modestie , sa noble humilité , cette piété qui touchait tous les cœurs et qui caractérisait chacune de ses actions, en un mot, cet heureux accord de toutes les vertus chrétiennes que l'on remarquait en elle, tout cela faisait une impression profonde sur les esprits, et inspirait l'espoir le

plus fondé de voir bientôt le retour de la paix et le bonheur des peuples établi sur des bases durables.

Aussitôt la cérémonie de son mariage accomplie , Othon prit le titre de Roi d'Italie, auquel il avait droit , tant par son union avec Adélaïde que comme descendant des Carolingiens. Pour compléter cette œuvre , il envoya en 952 les évêques de Mayence et de Coire à Rome, et fit demander au Pape Agapet de le couronner Empereur et souverain de Rome. Le Pape se vit forcé de lui refuser cette demande , parce qu'Albéric , margrave de Toscane, qui exerçait comme patricien de Rome un empire absolu dans cette ville, ne voulait nullement renoncer à cette dignité. Cependant des troubles éclatés en Allemagne forcèrent Othon de quitter l'Italie avec son épouse au printemps de l'an 952, et de confier l'administration de ce pays à son gendre Conrad , duc de Lorraine. Avant son départ , il témoigna sa gratitude au libérateur d'Adélaïde, en l'élevant au rang de margrave. Voulant montrer aussi à Dieu sa reconnaissance pour la protection qu'il avait accordée à son épouse, il fonda une église à Canossa et la dota de riches revenus.

Adélaïde fut reçue comme un ange de paix dans toute l'Allemagne, et elle gagna beaucoup de cœurs à Othon. Elle lui donna un fils , que l'on croit avoir été Henri , et qui mourut fort jeune. Le bruit s'étant répandu , à l'époque de ses couches, qu'Othon voulait exclure de la succession au trône Ludolphe, issu de son premier mariage , pour faire passer ses droits au nouveau-né , il éclata quelques troubles , qui tournèrent toutefois au désavantage des insurgés. Elle donna encore le jour à un second fils, nommé Bruno, qui mourut au bout de quatre ans ; mais en 955 la joie de la famille fut parfaite, tant à cause de quelques troubles qui avaient été appaisés, que par la naissance d'un troisième prince, qui reçut en heureux présage, le nom de son père, parce qu'il devait hériter de son trône et de ses vertus. Sa pieuse mère ne négligea rien dans son éducation pour le rendre digne d'une si haute vocation ; elle fut elle-même sa première institutrice, et lorsqu'il fut question de l'instruire dans les sciences , elle le confia à son beau-frère Bruno , ce saint archevêque de Cologne , dont nous avons célébré la mémoire sous le 11 Octobre, et que son savoir profond aussi bien que sa vertu rendaient éminemment propre à s'acquitter de cet important devoir. Le jeune prince reçut en outre des leçons de Gerbert, prêtre français , depuis 968 jusqu'en 972, année où Othon lui donna en récompense l'abbaye de Bobbio en Italie.

Cependant Adélaïde ajouta au bonheur de son époux, en lui donnant une fille, qui mérita le nom de Mathilde qu'elle reçut au baptême, en imitant les vertus et la piété de sa grand'mère. Elle devint dans la suite abbesse du couvent fondé à Quedlinbourg par sainte Mathilde, et exerça sur l'Allemagne pendant l'absence de son neveu l'Empereur Othon III, cette glorieuse régence que chacun connaît.

Othon-le-Grand, après avoir éprouvé à plusieurs reprises la félonie de Bérenger, dont il a déjà été plusieurs fois question dans cette notice, le défit enfin complètement, et fut couronné Empereur à Rome par le Pape Jean XII, l'an 962 ; le même honneur fut rendu à son épouse.

Adélaïde ne s'enorgueillit pas de tant de prospérités ; elle n'oublia jamais à qui elle était redevable de tous ces bienfaits. Sa main était toujours ouverte pour les pauvres ; l'opprimé trouvait un asile dans son cœur compatissant, elle employa toutes ses richesses à des entreprises de charité , et usa toujours de son crédit auprès de l'Empereur pour des œuvres salutaires. Ce fut à elle que l'abbé de Saint-Maximin à Trèves fut redevable de la dignité d'archichancelier; l'évêque de Modène , de la donation des biens que les fils de Bérenger possédaient dans ce pays ; l'abbaye de Mont-Cassin, de plusieurs privilèges, etc. Celui qui se distinguait toujours par sa vertu était sûr de la faveur et de l'appui de l'Impératrice.

Lorsqu'Othon se fut rendu maître des châteaux de Gardo et de Saint-Léon , où Bérenger s'était enfermé avec son épouse Willa et ses enfants , et qu'il vit en son pouvoir cette famille perfide, qui l'avait tant offensé et qui avait été si cruelle surtout envers son épouse , il eut trop de générosité cependant pour en tirer vengeance, et Adélaïde elle-même, qui avait tant de sujets de plainte, poussa si loin la clémence, qu'elle plaça à sa cour les deux filles de Bérenger, Gisèle et Gerberge, et fut pour elles une mère tendre et généreuse.

Après la mort d'Othon-le-Grand, qui arriva le 7 Mai 973, Othon II, que son père avait déjà fait couronner de son vivant, monta sur le trône impérial. Le règne de ce prince fut heureux , tant qu'il se conduisit par les conseils de sa mère. Mais il eut le malheur de se laisser corrompre sa vie paraît devoir trouver ici sa place. II servira à faire connaître leur zèle pour la religion.

Henri-l'Oiseleur, Roi de Germanie , ayant rétabli l'abbaye de SaintMaximin de Trèves, cette maison produisit une multitude d'évêques célèbres et de Saints qui édifièrent l'Eglise. De ce nombre fut Adelbert. Pour éviter dans sa jeunesse cette enflure de cœur que produit souvent la science, il commençait et finissait ses études par la prière ; il les interrompait même de temps en temps par la méditation et par des élévations de son âme à Dieu. Il travaillait aussi à purifier son entendement , et à détacher ses affections des choses de la terre par une profonde humilité, ainsi que par la mortification de ses sens et de sa volonté. On le distingua bientôt parmi ses frères. Il parut propre à communiquer aux autres cet esprit dont il était rempli, et on le tira de sa retraite pour annoncer l'Evangile.

Vers l'an 960, les Rugi ou Rani envoyèrent des députés à l'Empereur Ollion I, pour lui demander un évéque qui pût les instruire dans la religion chrétienne. Cette nation habitait une partie de la Poméranie , entre l'Oder et le Wiper, et l'île de Rugen , dans la mer Baltique. Nous apprenons d'Helmomlus , auteur d'une bonne chronique des Slaves, 1. i, c. 2, qu'elle était barbare, et seulement une tribu de Slaves ou .Slavons qui avaient un roi ; que ce peuple avait aussi un grand-prêtre , dont le pouvoir était considérable dans les contrées voisines ; qu'il prétendait avoir un commerce familier avec les dieux, ou plutôt avec les démons , dans le temple fameux de l'île de Rugen, temple si révéré , qu'on y déposait les trésors les plus précieux , et que les nations voisines y envoyaient de riches présents. L'Evangile n'avait été prêché à cette nation barbare, ni par saint Anschaire, ni par saint Remberg. Sous le règne de Louis-le-Débonnaire , quelques moines de la nouvelle Corbie entreprirent de lui faire connaître Jésus-Christ ; ils opérèrent plusieurs conversions dans différentes provinces des Slaves. et construisirent dans l'île de Rugen un oratoire en l'honneur de N0tre-Seigneur et en mémoire de saint Vit, patron de la nouvelle Corbie. Cette fie avait été jusque-là le principal siège de l'erreur , et comme la métro. p0le du paganisme dans cette partie du monde. Les habitues, peu de temps après leur conversion , renoncèrent au christianisme , et non contents de reprendre leurs anciennes superstitions, ils y eu ajoutèrent de nouvelles. Leur extravagance alla si loin, qu'ils honorèrent saint Vit comme le premier de tous leurs dieux. Ils érigèrent un temple où ils placèrent sa statue , à laquelle ils offraient des sacrifices ; aucun marchand n'avait droit de vendre ou d'acheter chez eux, qu'il ne donnât quelque chose pour le culte de leur dieu, qu'ils appelaient Swantewith, au lieu de saint Vit. C'était ainsi suivant Helmondus, qu'ils rendaient les honneurs divins à celui que nous vénérons comme martyr et comme serviteur de Jésus-Christ, et qu'ils adoraient la créature au lieu du Créateur. Il n'y avait point de peuples sur la terre qui eussent les chrétiens plus en horreur. Ils haïssaient encore davantage les prêtres de la religion chrétienne. Ils n'agissaient donc que par hypocrisie, quand ils demandèrent des prédicateurs de l'Évangile.

L'Empereur Othon I, croyant qu'ils avaient un véritable désir de se convertir, reçut avec joie leurs envoyés, et leur désigna pour évêque, Libuce , moine de Saint-Alban, à Mayence. Mais ce choix n'eut point Heu , parce que Libuce mourut peu de temps après. Adelbert fut choisi pour le remplacer , et sacré évêque des Rugi. L'Empereur lui fournit tout ce qui lui était nécessaire. Adelbert partit avec un certain nombre de missionnaires : mais il trouva des cœurs bien peu disposés à recevoir la vérité. Plusieurs de ses coopérateurs furent massacrés, etles autres eurent bien de la peine à s'échapper avec l'évêque. Désespérant tous de réussir, ils revinrent dans leurs monastères. On met cette mission en g61. Adelbert fut fait abbé de Wurtzbourg en 966 , et premier archevêque de Magdebourg , vers l'an 970. Le Pape Jean XII éleva ce siège à la dignite' de métropole en faveur des Slaves. Il seconda par là les vues d'Othon I, qui, voyant plusieurs provinces des Slaves converties à la foi, fonda l'église métropolitaine de Magdebourg , laquelle eut pour suffragans les siéges de Mersbourg, de Meïssen , de Zeïts, de Havelberg et de Brandebourg , tous situés dans le territoire du même peuple. Ce prince , qui conquit la Bohême et le nord de l'Allemagne , agrandit et embellit la ville de Magdebourg, conformément aux désirs d'Edith, sa première femme, laquelle était fille d'Edmond, Roi d'Angleterre. Elle fut enterrée dans cette ville. On y enterra aussi depuis l'Empereur lui-même , qui mourut en 913.

Adélaïde, qui lui survécut, passa dans la même ville presque tout le reste de sa vie , et se mit sous la conduite d'Adelbert. Ce saint évêque fit bâtir plusieurs églises auxquelles il donna des pasteurs capables d'instruire un peuple nouvellement converti. Il établit un ordre admirable dans le chapitre de sa cathédrale, fondé par l'Empereur, et il procura la connaissance de Jésus-Christ à un grand nombre de Slaves seins de sa pieuse belle-mère. Othon II oublia tout ce qu'il devait à sa mère , et alla si loin dans son aveuglement , qu'à l'instigation de ministres méprisables, qui lui reprochaient sa libéralité envers les couvents et les pauvres , il la bannit de sa cour, et la força, en 978, de quitter l'Allemagne et de chercher un refuge en Italie. Elle signala le séjour qu'elle y fit par toutes sortes de bonnes œuvres, et particulièrement par cet esprit pacifique qui formait le principal trait de son caractère. De là elle se rendit en Bourgogne, où son frère et son épouse Mathilde lui firent l'accueil le plus brillant. La joie que fit éprouver aux Bourguignons l'arrivée de l'illustre sœur de leur Roi ne fut égalée que par le deuil que son absence répandit sur l'Allemagne, où son départ sembla avoir fait disparaître le bonheur public. L'empire était en proie à la confusion; l'Empereur entreprenait tout ce qui lui passait par la tête, et comme il ne pouvait souffrir de conseiller sage à ses côtés , il s'abandonnait à toutes les extravagances. La justice , la clémence et l'aimable droiture, qui avaient été les gardiens du trône de son père , périrent bientôt dans le torrent de l'injustice , de la frivolité et des discordes des grands, qui semblaient avoir conspiré la ruine de l'Eglise et de l'Etat.

Cependant Adélaïde pleurait sur les égarements de son fils ; elle conjurait le Ciel par ses prières et ses larmes, d'étendre sa miséricorde sur lui et de le ramener dans de meilleures voies. Ses prières furent exaucées , et la naissance d'un héritier au trône , qui reçut le nom d'Othon, fut un événement heureux, non-seulement pour l'Allemagne, mais encore pour l'Impératrice-mère. Le malheur avait ouvert les yeux à Othon, et, après un bannissement de deux ans, il chercha à se réconcilier avec sa mère, démarche sur les détails de laquelle les historiens ne sont pas entièrement d'accord. Odilon rapporte qu'Othon, se trouvant en Italie pour des affaires d'état, envoya une députation à Conrad de Bourgogne et à saint Majolus , abbé de Cluny , en les priant de s'employer pour amener une réconciliation entre la mère offensée et son fils repentant , et pour engager la première à se rendre à cette fin à Pavie. Adélaïde , selon lui, accueillit avec empressement ces ouvertures , et courut dans les bras de son fils, en versant un torrent de larmes. D'autres auteurs disent que cette réconciliation fut accompagnée de difficultés ; qu'il ne se trouva pas un courtisan qui eût le courage de parler en faveur d'Adélaïde; que Majolus seul se rendit courageusement à la cour, et représenta avec beaucoup de franchise à l'Empereur, que comme souverain il lui était moins permis qu'aux autres de transgresser les commandements du Seigneur ; que celui qui l'avait élevé au faîte des grandeurs humaines , pouvait d'un seul signe le précipiter jusqu'au plus bas degré d'humiliation, et que la volonté du Très-Haut était que l'on respectât ses parents. Ces paroles, ajoute-t-il, firent une impression si profonde sur le cœur du prince, qu'il se jeta aux genoux de sa mère, et lui demanda pardon de l'offense qu'il lui avait faite. La confiance absolue qu'il lui témoigna jusqu'à sa mort prouve que la réconciliation de sa part fut sincère. Ce retour à la piété filiale donna un caractère plus élevé à toutes ses actions : il s'appliqua dès-lors à dompter ses passions, et sa conduite, comme chrétien et comme Empereur, fut si recommandable, qu'on lui donna le surnom honorable de sage, de terreur de ses ennemis et de protecteur de la religion.

Adélaïde ne quitta plus la cour impériale. En 981 elle célébra la fête de Pâques à Rome, avec Othon et son épouse, et se rendit au mois de Septembre suivant à Pavie, où l'Empereur confirma une donation de quelques biens qu'elle avait faite au couvent de Saint-Sauveur.

Othon tourna alors ses armes contre les Grecs de la Calabre. Aédlaïde, instruite par des lumières surnaturelles de la fatale issue de cette campagne, chercha à en détourner son fils, et voyant l'inutilité de ses efforts, elle eut recours à Dieu et le pria de détourner de son peuple le danger qui le menaçait. L'Empereur, excité par son épouse Théophanie, commanda lui-même cette expédition avec une ardeur obstinée, fut battu par ses ennemis, et mourut à Rome en 983 , d'une dysenterie dont cette campagne fut la cause. Quelque court que fut son règne, il fournit des exemples éclatants de la vicissitude des choses humaines. Avant sa mort, il disposa par testament de sa fortune privée : il en fit quatre parts, qu'il légua aux églises, aux pauvres , à sa mère et à sa sœur Mathilde et ses compagnons d'armes, qui avaient exposé sa vie pour lui.

Tandis que ces tristes événements se passaient en Italie, d'autres malheurs vinrent frapper Adélaïde en France. Sa fille Emma perdit son époux : son fils mineur se laissa prévenir contre sa mère et prêta même une oreille crédule aux calomnies d'ennemies perfides , qui l'accusaient d'entretenir un commerce illicite avec Ascilin, évêque de Laon. La seule consolation qui restât à Emma dans sa détresse et son affliction fut de confier sa douleur à sa sainte mère. « Mes souffrances, écrivit-elle à Adélaïde, dans l'oppression de son cœur, ma douleur , ô ma maîtresse, qu'il m'est permis de nommer du doux nom de mère, » a atteint son plus haut période. Après la perte de mon » époux, toutes mes espérances se concentrèrent sur mon fils, et voilà qu'il est devenu mon ennemi. Mes plus » intimes amis m'ont abandonnée ; ils m'ont couverte d'opprobre, moi et toute ma maison. Ils ont chargé l'évêque de Laon des plus infâmes calomnies. Ils le persécutèrent jusqu'au lac, au couvent de Sainl-Gérauld. Ses grands mérites le firent nommer abbé de Bobbio en Lombardie. Il prit une grande part à l'éducation d'Olbon III. Après s'être démis de la prélature , il se rendit à Reims, où on lui confia la direction de l'école de cette ville , en le chargeant en outre de l'éducation de Robert, fils de Hugues Capet. Son grand savoir excita un étonnement si général, qu'après la mort d'Adelbert, arrivée en 988, et la déposition d'Arnould , frère naturel de Charles de Lorraine, il fut élevé en 992 au siège archiépiscopal de Reims. Le Pape Jean XV ne consentit pas à la destitution d'Arnould ; Gerbert se défendit avec beaucoup d'éloquence au synode de Mousson eu 995, et lorsque Grégoire V renouvela en 998 le décret de son prédécesseur, Gerbert fut appelé à la cour d'Othon , qui le fit nommer à l'archevêché de Ravenne. Enfin le Pape Grégoire V étant mort, le savant Bénédictin obtint la papauté, par la protection de l'Empereur, en 999, et en jouit jusqu'en ioo3 , sous le nom de Silvestre II.

En Allemagne, Théophanie fut établie régente, pour gouverner pendant la minorité de son fils Othon III. Elle se montra excessivement méfiante et hautaine envers sa belle-mère, et la traita de la manière la plus outrageante. Adélaïde souffrit avec patience et sans se plaindre. Une mort subite ayant enlevée Théophanie à Nimègue , au mois de Juin 991, on l'obligea de se charger de la régence. On vit alors plus que jamais jusqu'où elle portait le mépris du monde et d'elle-même. Elle ne regarda la puissance dont elle était revêtue que comme un fardeau pesant. Pour bien remplir les obligations qu'elle lui imposait, elle se livra avec un soin infatigable à l'administration des affaires publiques. Loin de se venger des auteurs de ses maux passés , elle cherchait toutes les occasions de leur faire du bien. Mais le soin qu'elle donnait aux affaires ne l'empêchait point de vaquer à ses exercices de piété et de mortification. Elle avait des heures marquées pour aller prier dans son oratoire , et pour gémir sur les péchés du peuple auxquels il ne lui était pas possible de remédier. Lorsqu'elle était forcée de montrer de la sévérité, elle la tempérait par la douceur, et elle ressentait dans son cœur la peine et la confusion qu'elle faisait aux autres. Par là elle se faisait universellement aimer et portait tout le monde à la vertu. La régularité de sa maison offrait l'image édifiante d'un monastère, et elle mettait au nombre de ses amis tous ceux qui donnaient des preuves d'une vertu sincère.

Les différends que les insinuations malveillantes des personnes qui entouraient son petit-fils Othon III faisaient naître entre elle et lui n'étaient jamais de longue durée ; car l'innocence et la vraie piété ont un langage qui parvient toujours à se faire entendre des caractères généreux.

Othon III célébra sa première apparition sur la scène des affaires publiques par une campagne contre les Slaves, qui avaient pénétré en 991 jusque sur le territoire de Brandebourg. Le jeune Empereur les en expulsa et leur donna la paix, sans poursuivre plus loin sa victoire. Peu de temps après ils reparurent, excités par un Allemand , qui était passé sous leurs drapeaux pour se venger du gouverneur de Quedlinbourg. Othon , voulant éviter la guerre , chercha à amener les deux partis à un accommodement ; mais les Slaves étant avancés jusqu'à Magdebourg, il les défit une seconde fois, et les força à traiter de la paix, après quoi l'église de Halberstad , construite par Hildebald, évêque de ce diocèse , fut consacrée ( en 992 ), avec une pompe extraordinaire , en présence de sainte Adélaïde , de l'abbesse Mathilde, et de plusieurs évêques de l'empire, entre autres de saint Willigis, archevêque de Mayence.

L'année suivante, Adélaïde reçut la nouvelle affligeante de la mort de son frère Conrad de Bourgogne , prince qui s'était concilié, par ses hautes qualités , l'amour de son peuple, et qui en était honoré comme un père. Pendant

sa minorité , il avait été élevé, dès l'âge de quatorze ans, à la cour d'Othon-le-Grand, où sa mère Berthe , après avoir épousé en secondes noces Hugues , Roi d'Italie , l'avait recommandé , afin que par la sagesse d'Othon et la sainteté d'Adélaïde il devînt à la fois monarque éclairé et pieux chrétien. Aussi il avait appris de bonne heure et s'était approprié avec talent les principes d'un gouvernement sage, que plus tard il mit en pratique avec tant de succès. Par de nombreux voyages il avait appris à connaître tous les défauts de l'administration publique , en même temps qu'il avait étudié les moyens d'y remédier : il avait pénétré la marche de la politique ordinaire et s'était mis à même par des mesures bien calculées devance , de redresser tous les abus dès son avènement à la couronne. 11 se fit surtout un devoir de ne confier les fonctions publiques qu'à des hommes fidèles , dévoués et éclairés, de fonder ainsi sur des bases durables le bonheur de ses sujets. Il évita avec le plus grand soin toutes les guerres qui ne tendaient qu'à des conquêtes , et il n'eut recours aux armes que pour défendre son pays contre les attaques extérieures , ce qui le fit surnommer le Pacifique (20).

L'année 999 fut marquée par la mort de Mathilde, abbesse de Quedlinbourg , digne fille de sainte Adélaïde, qui exerça la régence avec une sagesse réfléchie et avec douceur, et qui fut universellement regrettée des Saxons. Elle avait su contenir les populations inquiètes qui avoisinaient la Saxe ; elle avait fait respecter les lois avec sévérité , et avait dans toutes les circonstances protégé de tout son pouvoir la religion. Elle convoqua des diètes à Dornbourg et à Magdebourg, et prit, de concert avec les grands, des mesures salutaires , qu'elle exécuta avec une mâle fermeté. En un mot, elle sut unir l'humilité monastique au talent de commander et à l'habileté dans l'administration des affaires publiques , dont les circonstances la forcèrent de se charger. Tout en assurant, par des institutions utiles, la prospérité publique, elle soigna les intérêts de l'Eglise par des fondations pieuses et l'établissement de nouveaux couvens. Elle favorisa particulièrement les sciences, dans lesquelles elle était versée elle-même, et se fit un devoir de protéger les savans, et spécialement ceux qui se distinguaient en même temps par leurs vertus. C'est ce qui engagea le savant moine Witikind de Corvey à lui dédier ses annales , dans lesquelles il nomme notre abbesse une princesse brillante à la fois par son éclat virginal, sa dignité impériale et sa rare sagesse. Sa nièce Adélaïde , sœur d'Othon III, lui succéda comme abbesse de Quedlinbourg.

La sainte Impératrice ne survécut que de dix mois à sa fille. Dans la dernière année de sa vie elle entreprit un voyage en Bourgogne , pour réconcilier son neveu , le Roi Rodolphe III avec ses sujets. Mais avant son départ elle visita encore les couvents fondés et dotés par elle en diverses provinces, pour s'assurer s'ils ne laissaient rien à désirer sous le rapport de la discipline , de l'ordre et de la piété , comme si elle eut pressenti que bientôt elle serait appelée hors de ce monde. Elle se rendit entre autres à Payerne , sur la Broye. De là elle dirigea sa route vers Saint-Maurice ou Agaunum, où elle apprit la mort de Framo , évêque de Worms , prélat distingué par sa piété et qu'elle avait beaucoup estimé. Il avait fait pénitence pendant quinze jours à Rome , avec Othon, dans un caveau de l'église de saint Clément, pieds-nus et portant le cilice. L'Impératrice fit ses dévotions à Genève , dans l'église du saint martyr Victor , à Lausanne elle implora à plusieurs reprises la protection de la Sainte-Vierge. Elle trouva dans cette ville le Roi Rodolphe et un évêque ( peut-être celui de Vienne), qui l'accompagnèrent à Orbe, où elle commença par faire de riches donations aux pauvres et aux églises , après quoi elle s'occupa de la réconciliation qui était le principal objet de son voyage.

Après avoir conclu , par son intercession, un arrangement amiable , elle prit congé de ses plus intimes amis, et dit à cette occasion à l'abbé Majolus, que sa dernière heure approchait, et qu'elle ne le reverrait plus des yeux du corps. Elle se rendit alors en Alsace, pays pour lequel on rapporte qu'elle eut toujours une prédilection, et mourut à Seltz , à six petites milles au-dessous de Strasbourg, où elle avait fait bâtir, douze ans auparavant, sous Finvocation de S. Pierre, un couvent pour des moines Bénedictins (22). Elle s'était préparée à sa mort en Sainte : ses pensées n'étaient qu'auprès de Dieu ; elle lisait et priait sans cesse , et quand on venait l'entretenir de choses humaines , elle ne répondait que ces mots : Malheureuse que je suis, qui me délivrera du corps de cette mort ? Sa fin ayant tardé de quelques jours , contre son attente, elle reçut de nouveau les saints Mystères, ainsi que l'Extrême-Onction, et s'écria avec une sainte impatience : Quand viendra ma délivrance ? quand serai-je réunie à JésusChrist? Dieu exauça sa prière ; elle expira le 26 Décembre 999 , dans la soixante-huitième année de son âge. Des miracles s'opérèrent sur son tombeau ; on peut en lire le rapport à la fin de sa vie. Son nom ne se trouve point dans le martyrologe romain , mais bien dans plusieurs calendriers de l'Allemagne. Il y a une portion de ses reliques dans une belle châsse , qui fait partie du trésor des reliques de Hanovre , et elle est nommée dans la Lipsanographie du palais électoral de Brunswick-Lunebourg, imprimée en 1713.

Nous terminerons cette notice en rapportant le portrait de la sainte Impératrice par saint Odilon. « Adélaïde, dit-il, observait envers ses serviteurs une douceur sévère, envers les étrangers une dignité mesurée, envers les pauvres, une charité infatigable. Elle contribua à la gloire des églises par ses libéralités ; d'une bienveillance inaltérable envers les bons, elle montra une sévérité inflexible envers les méchants. Elle fut modeste dans ses désirs , modérée dans ses jouissances, humble dans la grandeur, ferme et patiente dans l'adversité. Sobre dans sa nourriture, simple dans son costume , elle était persévérante dans la lecture , là prière, les veilles et le jeûne, et toujours disposée à soulager les pauvres. Sa haute naissance ne lui inspirait pas d'orgueil. Elle n'écoutait ni les éloges prodigués à sa puissance, ni ne se prévalait des vertus que Dieu lui avait accordées. L'affliction que lui faisaient éprouver les fautes inséparables de la faiblesse humaine était aussi éloignée du désespoir, que sa vertu l'était de la passion de l'honneur, du plaisir et des richesses. La modestie, la mère de toutes les vertus, inspira chacune de ses actions. La fermeté dans la foi était aussi exempte d'alarmes , que sa confiance était inébranlable dans l'espérance. » Nous ajouterons ce que S. Odilon dit dans un autre passage , que sainte Adélaïde était constamment d'une humeur gaie , qu'elle aimait le repos et la paix et qu'elle se réjouissait du contentement de ceux qui l'entouraient. C'est là en effet la récompense qui est déjà ici-bas le partage de la vertu , que la sérénité intérieure dont la grâce du Seigneur pénètre les cœurs mortifiés et purs, s'imprime à toutes les paroles et à toutes les actions de l'homme vraiment pieux , et procure ainsi un avant-goût de la félicité céleste.

SOURCE : Alban Butler : Vie des Pères, Martyrs et autres principaux Saints… – Traduction : Jean-François Godescard.


[1] Après la mort du Roi Rodolphe III, l'Empereur Conrad II réunit toute la Bourgogne à l'empire ; mais plusieurs gouverneurs de province se rendirent indépendants, chacun dans son district, et notamment les comtes de Savoie, de Bourgogne et de Provence, le dauphin du Viennois et le seigneur de Bresse. On rapporte au même temps la première confédération des Suisses et des Grisons.

 

 

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