Charles-le-chauve, Empereur et Roi de France, donna, en 879,
avec le titre de Roi, la Bourgogne, la Provence, la Bresse et le
Dauphiné à Boson, son beau-frère, qui descendait par sa mère de
Louis-le-Débonnaire. Telle fut l'origine du second royaume de
Bourgogne ou d'Arles.
Rodolphe
II, Roi de Bourgogne, fut père d'Adélaïde. Sa mère, Berthe,
était fille de Conrad, duc de Souabe, et était douée de
très-hautes qualités. Cette princesse n'avait encore que six ans
lorsqu'elle perdit son père, en 937. A en juger par les vertus
qu'elle développa plus tard, la nature l'avait dotée de grandes
dispositions qu'une éducation soignée perfectionna encore.
A peine
eut-elle atteint sa seizième année qu'on la maria à Lothaire,
Roi d'Italie.
Les
fiançailles d'Adélaïde avec Lothaire se firent en Bourgogne, où
Hugues avait accompagné son fils. Il donna
Il sortit
de ce mariage, Bérenger, duc de Frioul, fils d'Eberhard et
petit-fils de Charlemagne, par sa mère Gisèle, fille de
Louis-le-Débonnaire, et descendant, du c6té paternel, des Rois
de Lombardie, forma le projet, après la mort de Charles III, de
s'emparer de l’Italie, à la souveraineté de laquelle il croyait
avoir des droits par sa naissance. Il conclut à cet effet une
alliance avec Gui, duc de Spolète, qui avait lui-même jeté les
yeux sur la France. La situation de l'empire d'Allemagne à cette
époque, les guerres contre les Normands et les Moraves dans
lesquelles Arnould fut impliqué et d'autres circonstances encore
favorisèrent cette entreprise. En 888 il se fit déclarer
souverain de la Lombardie, mais ne jouit pas longtemps des
fruits de son audace. Gui ayant échoué dans sa tentative sur la
France, et voulant faire valoir à son tour le sang de
Charlemagne qui coulait sans ses veines, lui livra deux
batailles en 889, et le défit complètement dans la seconde, au
point que Bérenger fut forcé de chercher un asile en Allemagne
et de se jeter dans les bras d'Arnould. Celui-ci séduit par les
promesses de Bérenger et nourrissant le dessein de faire
respecter les privilèges de ses ancêtres, dès qu'ils aurait
pénétré en Italie, y envoya une armée considérable, sous le
commandement de son fils naturel Zwentibold, qui aurait
immanquablement triomphé, si le rusé Gui, après avoir gagné ses
alliés, ne les eût déterminés à se retirer, et n'eût aussi fait
échouer toute la campagne. Trois années après, Arnould passa
lui-même, à la tête d'une armée, en Italie, où Gui avait pris le
titre d'Empereur, avait commis de grandes exactions et provoqué
les plaintes du Pape Formose. Les troupes allemandes furent
victorieuses, la Lombardie fut soumise, Gui fut chassé de Pavie
et le Roi Arnould fut inauguré à Plaisance.
Après le
départ des Allemands, Gui rassembla de nouveau ses forces
dispersées, mais il mourut l'année suivante (894). Cette mort ne
fut d'aucun avantage pour Arnould, comme on pourrait le croire ;
car l'épouse de Gui, Agiltrude, profita des incursions des
Hongrois en Allemagne, pour faire déclarer son fils Lambert,
surnommé le Beau, Roi de Lombardie. Arnould entreprit
alors une formidable expédition, assiégea Rome avec un courage
inébranlable, et, malgré les troubles que le perfide Bérenger
lui suscita dans sa propre armée, il parvint en peu de temps à
s'en rendre maître. Agiltrude, qui y avait cherché un asile,
échappa avec la plus grande peine au danger qui la menaçait, et
eut le chagrin de voir la couronne s'affermir sur la tête
d’Arnould, et les Romains lui prêter le serment de fidélité.
L'Empereur
poursuivit Agiltrude, et l'assiégea à Fermo, ou, suivant,
d'autres, à Spolète. Mais elle sut, si on en croit quelques
écrivains, faire administrer à Arnould un breuvage empoisonné,
qui produisit en lui une léthargie telle qu'il fut obligé de
renoncer à son entreprise, et que, méprisé par ses nouveaux
sujets à cause de cette infirmité, il dut se retirer eu
Allemagne en 896.
Bérenger,
qui avait fui pendant ce temps la vengeance de l'Empereur,
reparut alors, une partie des grands lui fit hommage ; les
autres se déclarèrent pour Lambert, querelle qui amena un
partage du royaume entre les deux prétendants à la couronne. Le
premier obtint les pays situés au-delà du Pô et de l'Adda ; le
reste échut à l'autre. Lorsqu'en 898 Lambert eut été assassiné à
la chasse par Hugues, fils de Méginfride, dont il avait tué le
père, toute l'Italie se soumit à Bérenger, qui cependant ne
demeura pas longtemps paisible possesseur de son pouvoir. Dès
l'année 890, Ermengarde, mère de Louis d'Arles, lui opposa un
rival dans la personne de son fils. L'armée mise sur pied contre
Bérenger fut battue, et Louis dut s'engager par serment à ne
plus franchir les limites de l'Italie. Mais Ermengarde persuada
à Adelbert, duc de Toscane, à lui prêter secours. Louis repassa
en Italie et parvint même à se faire proclamer Empereur à Rome.
Adelbert, choqué du faste et de l'ambition de Louis, devint à
son tour son ennemi, il lui aliéna les cœurs des grands, et les
gagna au parti de Bérenger, qui le surprit à Vérone, et lui fit
crever les yeux l'an 904. Celui-ci régna après cela paisiblement
pendant quelques années ; il fut même couronné
Empereur en
916 ; mais l'an 921, son gendre, le margrave d'Yvrée, excita
contre lui un soulèvement, par suite duquel la couronne fut
offerte à Rodolphe, Roi de Bourgogne. Celui-ci se rendit avec
des forces considérables en Italie, battit Bérenger et prit
possession de ses états. Soit inconstance, soit à cause du
traitement sévère qu'ils avaient éprouvé, de nombreux adhérents
se déclarèrent de nouveau pour Bérenger, lequel, pour assurer
d'autant mieux le succès de ses armes, attira les Hongrois dans
le pays. Mais les ravages exercés par ces aventuriers lui
valurent la haine de ses meilleurs amis, et il fut assassiné à
Vérone, l'an 924, Par
Flambert.
Les grands,
qui ne se souciaient pas trop de Rodolphe, jetèrent les yeux sur
Hugues, que Louis, après avoir été privé de la vue, avait chargé
de l'administration du royaume d'Arles. Hugues était fils de
Théobald, comte d'Arles, et de Berthe, dont les chroniqueurs
parlent avec beaucoup d'éloge. Luitprand lui donne beaucoup de
louanges ; il le nomme courageux, instruit, sage et vaillant, et
lui attribue encore d'autres qualités éminentes, que ses actions
cependant ne confirmèrent pas tout à fait.
Rodolphe de
Bourgogne appela à son secours son beau-père Burkard, duc de
Souabe ; celui-ci rassembla quelques troupes, passa en Italie,
mais y périt par le poison. Hugues se vit alors en possession de
l’Italie, fut couronné en 926, et pour affermir son pouvoir, il
associa à la souveraineté, son fils à peine âgé d'un an, qu'il
avait eu de la princesse Aide. Il augmenta sa puissance en
épousant la fameuse Marozia, veuve de Gui, margrave de Toscane ;
mais son beau-fils Albéric excita un soulèvement contre lui à
Rome, et Hugues fut forcé de prendre la fuite. Les Italiens
rappelèrent Rodolphe, qui ne répondit pas à cette offre, mais
fit un accommodement avec Hugues et lui céda ses droits sur
l'Italie, en échange de la Bourgogne Cis-Jurane. Il ne larda pas
à avoir un nouveau rival dans la personne d'Arnould , duc de
Bavière , qui passa en Italie à la tête d'une armée ; mais ses
forces étant trop faibles, il fut obligé de retourner sur ses
pas, sans avoir rien exécuté. Hugues marcha alors contre Rome,
mais une famine qui se déclara, le mit dans la nécessité
d'entrer eu composition avec Albéric, à qui il donna à cette
occasion sa fille Aide en mariage.
Cependant un
nouvel orage, venant de l'Allemagne, menaçait de perdre nos deux
héritiers du trône de l'Italie. Les Romains, las de la tyrannie
d'Albéric, appelèrent en Italie Henri, Roi d'Allemagne, et lui
à la fiancée comme présent de noces, trois abbayes ainsi que
4580 charrues (de 30 arpents) de terre. Lorsque Lothaire eût
atteint l'âge de dix-sept ans, on se hâta d’accomplir, par un
mariage formel, son union avec Adélaïde, conclue depuis dix ans.
Celle-ci avait alors achevé sa seizième année.
Cependant
Bérenger s'était formé un parti puissant, et le jeune Lothaire ,
quoique revêtu de la dignité royale, était obligé de se
conformer dans toutes les affaires importantes à sa volonté , au
point, qu'il lui était à peine permis de s'abandonner à son
penchant naturel pour la piété , que sa jeune et pieuse épouse
aimait à nourrir et à fortifier en lui, et de prouver , par de
riches donations , sa charité envers quelques couvents ,
contrainte qui devait lui paraître d'autant plus pénible qu'il
avait autrefois sauvé la vie à Bérenger. Il s’adressa, dans
cette fâcheuse situation, à Constantin VII, dont le fils Romain,
ayant épousé sa belle-sœur, était devenu son beau-frère, et
Constantin exhorta là-dessus Bérenger à se montrer en tout
fidèle et soumis à son Roi élu et légitime. Cette démarche de
Lothaire est peut-être ce qui lui coûta la vie. Car le bruit se
répandit aussitôt, et plus tard il fut prouvé qu'il était fondé,
que Bérenger, ambitionnant le trône et trouvant en lui un
obstacle à ses desseins, le fit assassiner. Ce qui est certain ,
c'est qu'après la mort de Lothaire, arrivée le 22 Novembre
952 a Turin, il se hâta d'échanger le titre de duc d'Yvrée,
qu'il avait porté jusqu'alors, contre celui de Roi. Les jours de
Lothaire furent semés d’amertume, à cause des nombreuses
afflictions et des malheurs qui vinrent le frapper ; il ne régna
que trois ans et sept mois, période que les vertus et
l'amabilité de la bonne et pieuse Adélaïde surent au moins lui
adoucir par le bonheur domestique. Quoique très-jeune encore
puisqu'il n'avait pas dépassé sa vingtième année, et malgré
l'impuissance où l'avait toujours tenu son rival de rien
entreprendre pour le bonheur de ses sujets, cependant ses mœurs
irréprochables, son caractère noble et généreux et sa profonde
droiture lui avaient gagné tous les cœurs et avaient fait placer
en lui de grandes espérances.
Adélaïde ,
privée de son appui, forcée de renoncer à ses plus beaux
projets, et craignant, non sans raison, que le crime de Bérenger
ne la poursuivît également, fit tourner, en vraie servante de
Dieu , ces tribulations au profit de son salut, et, pénétrée
plus que jamais de la vanité des grandeurs de ce monde , elle ne
chercha que dans son amour pour Jésus-Christ, à qui elle avait
dès sa jeunesse consacré son cœur, un asile contre tous les maux
qui pourraient venir encore la frapper.
Après avoir
rendu à son époux, qui fut enterré à Milan dans le caveau de ses
pères, les derniers témoignages de fidélité et d’affection, elle
se rendit à Pavie, résolue d'accepter en patience le sort qu'il
plairait à la Providence de lui destiner à elle et à sa fille
Emma. Bérenger se hâta de s'y rendre de son côté. Après avoir
attiré dans ses intérêts les grands, qui, dans leur basse
vénalité, étaient toujours du parti du plus fort, il ne lui fut
plus difficile de se faire proclamer Roi. Il partagea en même
temps le trône avec son fils Adelbert, et rechercha pour lui la
main de la veuve de Lothaire, qui par son éclatante beauté, les
qualités de l'esprit et toutes les perfections qui peuvent
rendre une princesse agréable à Dieu et aux hommes, lui semblait
digne à tous égards de l'héritier de la couronne. Craignant que
son douaire considérable, dont la ville de Pavie faisait partie,
et les brillants avantages qu'elle possédait d'ailleurs
n'attirassent sur elle les yeux de quelque prince étranger et ne
vinssent lui arracher une couronne, pas encore bien affermie sur
sa tête, il avait le plus haut intérêt à ce que ce mariage fût
conclu promptement. Adélaïde, contre son attente, refusa ses
offres, ce qui l'irrita tellement, qu'il s'empara en 951 de sa
personne, afin de l'empêcher d'épouser un autre. Il l'enferma au
château de Garda, situé sur le lac du même nom, où il lui fit
endurer des maux inexprimables. Il lui enleva toute sa parure,
ne lui laissa qu'une seule femme de chambre, et, obéissant aux
insinuations de son épouse Willa, femme souillée de tous les
crimes, il poussa si loin l'inhumanité, qu'il l'enferma entre
quatre murs, la livra aux horreurs de la faim, et la maltraita
même de coups de poing et de pied.
Plus sa
position devenait cruelle, plus se fortifiait son espoir d'une
prompte délivrance, dont elle serait redevable à une faveur
spéciale du Ciel. Elle pria son chapelain Martin, homme d'une
vertu à l'épreuve, et sur la fidélité de qui elle pouvait
compter, de l'aider à briser ses chaînes. Grâces aux
dispositions prises par lui, la servante de Dieu et sa femme de
chambre, vêtues toutes deux en hommes, s'enfuirent la nuit par
un aqueduc qui communiquait de leur cachot avec la campagne, ou,
suivant d’autres par une ouverture qu’elle pratiqua dans la
muraille. Au bord du lac, nos fugitives entrèrent dans une
barque, et un pêcheur les transporta sur la rive opposée. A la
pointe du jour la nouvelle de la fuite de sainte Adélaïde se
répandit 4 le burgrave se mit à sa poursuite ; mais comme elle
avait prévu ces recherches, elle ne continua sa route que
lorsqu'elle eut appris que ceux qui la cherchaient avaient
quitté les environs du lac. Elle se tint cachée pendant quelques
jours, tantôt dans les cavernes et les taillis, tantôt au milieu
du grain des champs et des roseaux, recevant sa nourriture de
son chapelain, qui demandait l'aumône aux voyageurs, pour
pouvoir se procurer les vivres nécessaires. Il y eut aussi un
pêcheur, le même probablement qui leur avait fait passer le lac,
au sentiment de Muratori, qui leur apporta dans leurs marais
quelques misérables aliments. Le burgrave et le prince Adelbert,
qui
s'étaient mis à la poursuite de la Sainte, persuadés enfin
qu'elle était parvenue à sortir du pays, retournèrent chez eux,
et Adélaïde fut à même de continuer sa fuite. Mais ne voulant
négliger aucune mesure de sûreté, elle envoya son chapelain
Martin à Adelhard, évêque de Reggio, en qui elle mettait
beaucoup de confiance, à cause de l'attachement qu'il avait
montré envers son défunt époux.
Elle lui fit
annoncer sa délivrance, et lui demanda un asile contre la
vengeance du tyran. Le prélat s'adressa aussitôt au comte Albert
Azzo, qui devint plus tard margrave de Modène et Reggio ;
celui-ci offrit à la Sainte le château de Canossa.
Quoique ce
fort, situé dans le duché de Reggio, fût une des places les
mieux fortifiées de l’Italie, et qu'il ne fût possible de s'en
rendre maître que par la famine. Adélaïde n'en avait pas moins
tout à craindre de son persécuteur ; c'est pourquoi elle
s'adressa à Othon, Roi d’Allemagne, prince dont la renommée
remplissait alors l'Europe, tant à cause de ses victoires
récentes sur les Hongrois, que de la générosité de son
caractère. Elle lui écrivit une lettre où elle lui dépeignait
toute sa position, le Pape Agapet II y joignit lui-même une
lettre de sa part, par laquelle il le sollicitait de venir
délivrer l'Italie de l'oppression de Bérenger. Othon se rendit
d'autant plus volontiers ë cette prière, qu'il y trouvait une
occasion de réunir de nouveau à l'empire d'Allemagne l'Italie,
qui en avait été séparée sous Arnould. Il fit les promesses les
plus généreuses à notre Sainte, et comme la mort venait de lui
enlever Edith, son épouse, il lui offrit en même temps sa main.
Un chroniqueur du temps rapporte que la lettre qui renfermait
ces promesses, ainsi qu'une bague, comme gage de son affection,
fut apportée au château de Canossa, que Bérenger assiégeait, par
une flèche à laquelle le porteur l'attacha, récit que d'autres
auteurs réfutent en prouvant que le siège de Canossa n'eut lieu
que plus tard.
Othon fit
tous les préparatifs nécessaires pour entrer promptement en
campagne; mais les Bohémiens insurgés ayant réclamé sa présence
en Allemagne, il envoya en attendant son fils Ludolphe contre
Bérenger. Les annalistes ne s'accordent pas sur les résultats de
cette première campagne. Mais ce qui est certain, c'est qu'Othon
marcha contre Pavie, qui lui ouvrit ses porte , et que Bérenger
prit la fuite et s'enferma dans une forteresse. Othon se hâta
alors de faire chercher Adélaïde à Canossa , en y envoyant à cet
effet le chapelain Martin, accompagné d'une bonne escorte , et
chargé de cadeaux précieux pour la Reine. Celle-ci partit
aussitôt pour Pavie, où Henri de Bavière vint à sa rencontre
jusque hors de la ville , et la conduisit à celui en qui elle
devait voir son libérateur et son futur époux. Le mariage eut
lieu au mois d'Octobre 951, avec toute la pompe possible , et à
la satisfaction générale des grands et du peuple.
Adélaïde ne
se laissa nullement éblouir par l'éclat dont, après tant de
malheurs , elle se voyait si inopinément entourée : dans sa
reconnaissance , elle n'attribuait son salut qu'à Dieu, et se
sentait attirée à lui avec plus de puissance que jamais. Sa
vertu si constante, si inébranlable dans le bonheur comme dans
la mauvaise fortune , la mémoire de ses souffrances, où elle
avait paru aussi grande sous les pieds de Bérenger , qu'elle
l'était actuellement sur le premier trône de l'univers ; sa
douceur et son affabilité, sa modestie , sa noble humilité ,
cette piété qui touchait tous les cœurs et qui caractérisait
chacune de ses actions, en un mot, cet heureux accord de toutes
les vertus chrétiennes que l'on remarquait en elle, tout cela
faisait une impression profonde sur les esprits, et inspirait
l'espoir le
plus fondé
de voir bientôt le retour de la paix et le bonheur des peuples
établi sur des bases durables.
Aussitôt la
cérémonie de son mariage accomplie , Othon prit le titre de Roi
d'Italie, auquel il avait droit , tant par son union avec
Adélaïde que comme descendant des Carolingiens. Pour compléter
cette œuvre , il envoya en 952 les évêques de Mayence et de
Coire à Rome, et fit demander au Pape Agapet de le couronner
Empereur et souverain de Rome. Le Pape se vit forcé de lui
refuser cette demande , parce qu'Albéric , margrave de Toscane,
qui exerçait comme patricien de Rome un empire absolu dans cette
ville, ne voulait nullement renoncer à cette dignité. Cependant
des troubles éclatés en Allemagne forcèrent Othon de quitter
l'Italie avec son épouse au printemps de l'an 952, et de confier
l'administration de ce pays à son gendre Conrad , duc de
Lorraine. Avant son départ , il témoigna sa gratitude au
libérateur d'Adélaïde, en l'élevant au rang de margrave. Voulant
montrer aussi à Dieu sa reconnaissance pour la protection qu'il
avait accordée à son épouse, il fonda une église à Canossa et la
dota de riches revenus.
Adélaïde fut
reçue comme un ange de paix dans toute l'Allemagne, et elle
gagna beaucoup de cœurs à Othon. Elle lui donna un fils , que
l'on croit avoir été Henri , et qui mourut fort jeune. Le bruit
s'étant répandu , à l'époque de ses couches, qu'Othon voulait
exclure de la succession au trône Ludolphe, issu de son premier
mariage , pour faire passer ses droits au nouveau-né , il éclata
quelques troubles , qui tournèrent toutefois au désavantage des
insurgés. Elle donna encore le jour à un second fils, nommé
Bruno, qui mourut au bout de
quatre ans ; mais en 955 la joie de la famille fut
parfaite, tant à cause de quelques troubles qui avaient été
appaisés, que par la naissance d'un troisième prince, qui reçut
en heureux présage, le nom de son père, parce qu'il devait
hériter de son trône et de ses vertus. Sa pieuse mère ne
négligea rien dans son éducation pour le rendre digne d'une si
haute vocation ; elle fut elle-même sa première institutrice, et
lorsqu'il fut question de l'instruire dans les sciences , elle
le confia à son beau-frère Bruno , ce saint archevêque de
Cologne , dont nous avons célébré la mémoire sous le 11 Octobre,
et que son savoir profond aussi bien que sa vertu rendaient
éminemment propre à s'acquitter de cet important devoir. Le
jeune prince reçut en outre des leçons de Gerbert, prêtre
français , depuis 968 jusqu'en 972, année où Othon lui donna en
récompense l'abbaye de Bobbio en Italie.
Cependant
Adélaïde ajouta au bonheur de son époux, en lui donnant une
fille, qui mérita le nom de Mathilde qu'elle reçut au baptême,
en imitant les vertus et la piété de sa grand'mère. Elle devint
dans la suite abbesse du couvent fondé à Quedlinbourg par sainte
Mathilde, et exerça sur l'Allemagne pendant l'absence de son
neveu l'Empereur Othon III, cette glorieuse régence que chacun
connaît.
Othon-le-Grand, après avoir éprouvé à plusieurs reprises la
félonie de Bérenger, dont il a déjà été plusieurs fois question
dans cette notice, le défit enfin complètement, et fut couronné
Empereur à Rome par le Pape Jean XII, l'an 962 ; le même honneur
fut rendu à son épouse.
Adélaïde ne
s'enorgueillit pas de tant de prospérités ; elle n'oublia jamais
à qui elle était redevable de tous ces bienfaits. Sa main était
toujours ouverte pour les pauvres ; l'opprimé trouvait un asile
dans son cœur compatissant, elle employa toutes ses richesses à
des entreprises de charité , et usa toujours de son crédit
auprès de l'Empereur pour des œuvres salutaires. Ce fut à elle
que l'abbé de Saint-Maximin à Trèves fut redevable de la dignité
d'archichancelier; l'évêque de Modène , de la donation des biens
que les fils de Bérenger possédaient dans ce pays ; l'abbaye de
Mont-Cassin, de plusieurs privilèges, etc. Celui qui se
distinguait toujours par sa vertu était sûr de la faveur et de
l'appui de l'Impératrice.
Lorsqu'Othon
se fut rendu maître des châteaux de Gardo et de Saint-Léon , où
Bérenger s'était enfermé avec son épouse Willa et ses enfants ,
et qu'il vit en son pouvoir cette famille perfide, qui l'avait
tant offensé et qui avait été si cruelle surtout envers son
épouse , il eut trop de générosité cependant pour en tirer
vengeance, et Adélaïde elle-même, qui avait tant de sujets de
plainte, poussa si loin la clémence, qu'elle plaça à sa cour les
deux filles de Bérenger, Gisèle et Gerberge, et fut pour elles
une mère tendre et généreuse.
Après la
mort d'Othon-le-Grand, qui arriva le 7 Mai 973, Othon II, que
son père avait déjà fait couronner de son vivant, monta sur le
trône impérial. Le règne de ce prince fut heureux , tant qu'il
se conduisit par les conseils de sa mère. Mais il eut le malheur
de se laisser corrompre sa vie paraît devoir trouver ici sa
place. II servira à faire connaître leur zèle pour la religion.
Henri-l'Oiseleur, Roi de Germanie , ayant rétabli l'abbaye de
SaintMaximin de Trèves, cette maison produisit une multitude
d'évêques célèbres et de Saints qui édifièrent l'Eglise. De ce
nombre fut Adelbert. Pour éviter dans sa jeunesse cette enflure
de cœur que produit souvent la science, il commençait et
finissait ses études par la prière ; il les interrompait même de
temps en temps par la méditation et par des élévations de son
âme à Dieu. Il travaillait aussi à purifier son entendement , et
à détacher ses affections des choses de la terre par une
profonde humilité, ainsi que par la mortification de ses sens et
de sa volonté. On le distingua bientôt parmi ses frères. Il
parut propre à communiquer aux autres cet esprit dont il était
rempli, et on le tira de sa retraite pour annoncer l'Evangile.
Vers l'an
960, les Rugi ou Rani envoyèrent des députés à
l'Empereur Ollion I, pour lui demander un évéque qui pût les
instruire dans la religion chrétienne. Cette nation habitait une
partie de la Poméranie , entre l'Oder et le Wiper, et l'île de
Rugen , dans la mer Baltique. Nous apprenons d'Helmomlus ,
auteur d'une bonne chronique des Slaves, 1. i, c. 2, qu'elle
était barbare, et seulement une tribu de Slaves ou .Slavons qui
avaient un roi ; que ce peuple avait aussi un grand-prêtre ,
dont le pouvoir était considérable dans les contrées voisines ;
qu'il prétendait avoir un commerce familier avec les dieux, ou
plutôt avec les démons , dans le temple fameux de l'île de Rugen,
temple si révéré , qu'on y déposait les trésors les plus
précieux , et que les nations voisines y envoyaient de riches
présents. L'Evangile n'avait été prêché à cette nation barbare,
ni par saint Anschaire, ni par saint Remberg. Sous le règne de
Louis-le-Débonnaire , quelques moines de la nouvelle Corbie
entreprirent de lui faire connaître Jésus-Christ ; ils opérèrent
plusieurs conversions dans différentes provinces des Slaves. et
construisirent dans l'île de Rugen un oratoire en l'honneur de
N0tre-Seigneur et en mémoire de saint Vit, patron de la nouvelle
Corbie. Cette fie avait été jusque-là le principal siège de
l'erreur , et comme la métro. p0le du paganisme dans cette
partie du monde. Les habitues, peu de temps après leur
conversion , renoncèrent au christianisme , et non contents de
reprendre leurs anciennes superstitions, ils y eu ajoutèrent de
nouvelles. Leur extravagance alla si loin, qu'ils honorèrent
saint Vit comme le premier de tous leurs dieux. Ils érigèrent un
temple où ils placèrent sa statue , à laquelle ils offraient des
sacrifices ; aucun marchand n'avait droit de vendre ou d'acheter
chez eux, qu'il ne donnât quelque chose pour le culte de leur
dieu, qu'ils appelaient Swantewith, au lieu de saint Vit.
C'était ainsi suivant Helmondus, qu'ils rendaient les honneurs
divins à celui que nous vénérons comme martyr et comme serviteur
de Jésus-Christ, et qu'ils adoraient la créature au lieu du
Créateur. Il n'y avait point de peuples sur la terre qui eussent
les chrétiens plus en horreur. Ils haïssaient encore davantage
les prêtres de la religion chrétienne. Ils n'agissaient donc que
par hypocrisie, quand ils demandèrent des prédicateurs de
l'Évangile.
L'Empereur
Othon I, croyant qu'ils avaient un véritable désir de se
convertir, reçut avec joie leurs envoyés, et leur désigna pour
évêque, Libuce , moine de Saint-Alban, à Mayence. Mais ce choix
n'eut point Heu , parce que Libuce mourut peu de temps après.
Adelbert fut choisi pour le remplacer , et sacré évêque des
Rugi. L'Empereur lui fournit tout ce qui lui était
nécessaire. Adelbert partit avec un certain nombre de
missionnaires : mais il trouva des cœurs bien peu disposés à
recevoir la vérité. Plusieurs de ses coopérateurs furent
massacrés, etles autres eurent bien de la peine à s'échapper
avec l'évêque. Désespérant tous de réussir, ils revinrent dans
leurs monastères. On met cette mission en g61. Adelbert fut fait
abbé de Wurtzbourg en 966 , et premier archevêque de Magdebourg
, vers l'an 970. Le Pape Jean XII éleva ce siège à la dignite'
de métropole en faveur des Slaves. Il seconda par là les vues
d'Othon I, qui, voyant plusieurs provinces des Slaves converties
à la foi, fonda l'église métropolitaine de Magdebourg , laquelle
eut pour suffragans les siéges de Mersbourg, de Meïssen , de
Zeïts, de Havelberg et de Brandebourg , tous situés dans le
territoire du même peuple. Ce prince , qui conquit la Bohême et
le nord de l'Allemagne , agrandit et embellit la ville de
Magdebourg, conformément aux désirs d'Edith, sa première femme,
laquelle était fille d'Edmond, Roi d'Angleterre. Elle fut
enterrée dans cette ville. On y enterra aussi depuis l'Empereur
lui-même , qui mourut en 913.
Adélaïde,
qui lui survécut, passa dans la même ville presque tout le reste
de sa vie , et se mit sous la conduite d'Adelbert. Ce saint
évêque fit bâtir plusieurs églises auxquelles il donna des
pasteurs capables d'instruire un peuple nouvellement converti.
Il établit un ordre admirable dans le chapitre de sa cathédrale,
fondé par l'Empereur, et il procura la connaissance de
Jésus-Christ à un grand nombre de Slaves seins de sa pieuse
belle-mère. Othon II oublia tout ce qu'il devait à sa mère , et
alla si loin dans son aveuglement , qu'à l'instigation de
ministres méprisables, qui lui reprochaient sa libéralité envers
les couvents et les pauvres , il la bannit de sa cour, et la
força, en 978, de quitter l'Allemagne et de chercher un refuge
en Italie. Elle signala le séjour qu'elle y fit par toutes
sortes de bonnes œuvres, et
particulièrement par cet esprit pacifique qui formait le
principal trait de son caractère. De là elle se rendit en
Bourgogne, où son frère et son épouse Mathilde lui firent
l'accueil le plus brillant. La joie que fit éprouver aux
Bourguignons l'arrivée de l'illustre sœur de leur Roi ne fut
égalée que par le deuil que son absence répandit sur
l'Allemagne, où son départ sembla avoir fait disparaître le
bonheur public. L'empire était en proie à la confusion;
l'Empereur entreprenait tout ce qui lui passait par la tête, et
comme il ne pouvait souffrir de conseiller sage à ses côtés , il
s'abandonnait à toutes les extravagances. La justice , la
clémence et l'aimable droiture, qui avaient été les gardiens du
trône de son père , périrent bientôt dans le torrent de
l'injustice , de la frivolité et des discordes des grands, qui
semblaient avoir conspiré la ruine de l'Eglise et de l'Etat.
Cependant Adélaïde pleurait sur
les égarements de son fils ; elle conjurait le Ciel par
ses prières et ses larmes, d'étendre sa miséricorde sur lui et
de le ramener dans de meilleures voies. Ses prières furent
exaucées , et la naissance d'un héritier au trône , qui reçut le
nom d'Othon, fut un événement heureux, non-seulement pour
l'Allemagne, mais encore pour l'Impératrice-mère. Le malheur
avait ouvert les yeux à Othon, et, après un bannissement de deux
ans, il chercha à se réconcilier avec sa mère, démarche sur les
détails de laquelle les historiens ne sont pas entièrement
d'accord. Odilon rapporte qu'Othon, se trouvant en Italie pour
des affaires d'état, envoya une députation à Conrad de Bourgogne
et à saint Majolus , abbé de Cluny , en les priant de s'employer
pour amener une réconciliation entre la mère offensée et son
fils repentant , et pour engager la première à se rendre à cette
fin à Pavie. Adélaïde , selon lui, accueillit avec empressement
ces ouvertures , et courut dans les bras de son fils, en versant
un torrent de larmes. D'autres auteurs disent que cette
réconciliation fut accompagnée de difficultés ; qu'il ne se
trouva pas un courtisan qui eût le courage de parler en faveur
d'Adélaïde; que Majolus seul se rendit courageusement à la cour,
et représenta avec beaucoup de franchise à l'Empereur, que comme
souverain il lui était moins permis qu'aux autres de
transgresser les commandements du Seigneur ; que celui qui
l'avait élevé au faîte des grandeurs humaines , pouvait d'un
seul signe le précipiter jusqu'au plus bas degré d'humiliation,
et que la volonté du Très-Haut était que l'on respectât ses
parents. Ces paroles, ajoute-t-il, firent une impression si
profonde sur le cœur du prince, qu'il se jeta aux genoux de sa
mère, et lui demanda pardon de l'offense qu'il lui avait faite.
La confiance absolue qu'il lui témoigna jusqu'à sa mort prouve
que la réconciliation de sa part fut sincère. Ce retour à la
piété filiale donna un caractère plus élevé à toutes ses actions
: il s'appliqua dès-lors à dompter ses passions, et sa conduite,
comme chrétien et comme Empereur, fut si recommandable, qu'on
lui donna le surnom honorable de sage, de terreur de
ses ennemis et de
protecteur de la religion.
Adélaïde ne
quitta plus la cour impériale. En 981 elle célébra la fête de
Pâques à Rome, avec Othon et son épouse, et se rendit au mois de
Septembre suivant à Pavie, où l'Empereur confirma une donation
de quelques biens qu'elle avait faite au couvent de
Saint-Sauveur.
Othon tourna
alors ses armes contre les Grecs de la Calabre. Aédlaïde,
instruite par des lumières surnaturelles de la fatale issue de
cette campagne, chercha à en détourner son fils, et voyant
l'inutilité de ses efforts, elle eut recours à Dieu et le pria
de détourner de son peuple le danger qui le menaçait.
L'Empereur, excité par son épouse Théophanie, commanda lui-même
cette expédition avec une ardeur obstinée, fut battu par ses
ennemis, et mourut à Rome en 983 , d'une dysenterie dont cette
campagne fut la cause. Quelque court que fut son règne, il
fournit des exemples éclatants de la vicissitude des choses
humaines. Avant sa mort, il disposa par testament de sa fortune
privée : il en fit quatre parts, qu'il légua aux églises, aux
pauvres , à sa mère et à sa sœur Mathilde et ses compagnons
d'armes, qui avaient exposé sa vie pour lui.
Tandis que
ces tristes événements se passaient en Italie, d'autres malheurs
vinrent frapper Adélaïde en France. Sa fille Emma perdit son
époux : son fils mineur se laissa prévenir contre sa mère et
prêta même une oreille crédule aux calomnies d'ennemies perfides
, qui l'accusaient d'entretenir un commerce illicite avec
Ascilin, évêque de Laon. La seule consolation qui restât à Emma
dans sa détresse et son affliction fut de confier sa douleur à
sa sainte mère. « Mes souffrances, écrivit-elle à Adélaïde, dans
l'oppression de son cœur, ma douleur , ô ma maîtresse, qu'il
m'est permis de nommer du doux nom de mère, » a atteint son plus
haut période. Après la perte de mon » époux, toutes mes
espérances se concentrèrent sur mon fils, et voilà qu'il est
devenu mon ennemi. Mes plus » intimes amis m'ont abandonnée ;
ils m'ont couverte d'opprobre, moi et toute ma maison. Ils ont
chargé l'évêque de Laon des plus infâmes calomnies. Ils le
persécutèrent jusqu'au lac, au couvent de Sainl-Gérauld. Ses
grands mérites le firent nommer abbé de Bobbio en Lombardie. Il
prit une grande part à l'éducation d'Olbon III. Après s'être
démis de la prélature , il se rendit à Reims, où on lui confia
la direction de l'école de cette ville , en le chargeant en
outre de l'éducation de Robert, fils de Hugues Capet. Son grand
savoir excita un étonnement si général, qu'après la mort d'Adelbert,
arrivée en 988, et la déposition d'Arnould , frère naturel de
Charles de Lorraine, il fut élevé en 992 au siège archiépiscopal
de Reims. Le Pape Jean XV ne consentit pas à la destitution
d'Arnould ; Gerbert se défendit avec beaucoup d'éloquence au
synode de Mousson eu 995, et lorsque Grégoire V renouvela en 998
le décret de son prédécesseur, Gerbert fut appelé à la cour
d'Othon , qui le fit nommer à l'archevêché de Ravenne. Enfin le
Pape Grégoire V étant mort, le savant Bénédictin obtint la
papauté, par la protection de l'Empereur, en 999, et en jouit
jusqu'en ioo3 , sous le nom de Silvestre II.
En
Allemagne, Théophanie fut établie régente, pour gouverner
pendant la minorité de son fils Othon III. Elle se montra
excessivement méfiante et hautaine envers sa belle-mère, et la
traita de la manière la plus outrageante. Adélaïde souffrit avec
patience et sans se plaindre. Une mort subite ayant enlevée
Théophanie à Nimègue , au mois de Juin 991, on l'obligea de se
charger de la régence. On vit alors plus que jamais jusqu'où
elle portait le mépris du monde et d'elle-même. Elle ne regarda
la puissance dont elle était revêtue que comme un fardeau
pesant. Pour bien remplir les obligations qu'elle lui imposait,
elle se livra avec un soin infatigable à l'administration des
affaires publiques. Loin de se venger des auteurs de ses maux
passés , elle cherchait toutes les occasions de leur faire du
bien. Mais le soin qu'elle donnait aux affaires ne l'empêchait
point de vaquer à ses exercices de piété et de mortification.
Elle avait des heures marquées pour aller prier dans son
oratoire , et pour gémir sur les péchés du peuple auxquels il ne
lui était pas possible de remédier.
Lorsqu'elle était forcée de montrer de la sévérité, elle la
tempérait par la douceur, et elle ressentait dans son cœur la
peine et la confusion qu'elle faisait aux autres. Par là elle se
faisait universellement aimer et portait tout le monde à la
vertu. La régularité de sa maison offrait l'image édifiante d'un
monastère, et elle mettait au nombre de ses amis tous ceux qui
donnaient des preuves d'une vertu sincère.
Les
différends que les insinuations malveillantes des personnes qui
entouraient son petit-fils Othon III faisaient naître entre elle
et lui n'étaient jamais de longue durée ; car l'innocence
et la vraie piété ont un langage qui parvient toujours à se
faire entendre des caractères généreux.
Othon III
célébra sa première apparition sur la scène des affaires
publiques par une campagne contre les Slaves, qui avaient
pénétré en 991 jusque sur le territoire de Brandebourg. Le jeune
Empereur les en expulsa et leur donna la paix, sans poursuivre
plus loin sa victoire. Peu de temps après ils reparurent,
excités par un Allemand , qui était passé sous leurs drapeaux
pour se venger du gouverneur de Quedlinbourg. Othon , voulant
éviter la guerre , chercha à amener les deux partis à un
accommodement ; mais les Slaves étant avancés jusqu'à
Magdebourg, il les défit une seconde fois, et les força à
traiter de la paix, après quoi l'église de Halberstad ,
construite par Hildebald, évêque de ce diocèse , fut consacrée (
en 992 ), avec une pompe extraordinaire , en présence de sainte
Adélaïde , de l'abbesse Mathilde, et de plusieurs évêques de
l'empire, entre autres de saint Willigis, archevêque de Mayence.
L'année
suivante, Adélaïde reçut la nouvelle affligeante de la mort de
son frère Conrad de Bourgogne , prince qui s'était concilié, par
ses hautes qualités , l'amour de son peuple, et qui en était
honoré comme un père. Pendant
sa minorité
, il avait été élevé, dès l'âge de quatorze ans, à la cour
d'Othon-le-Grand, où sa mère Berthe , après avoir épousé en
secondes noces Hugues , Roi d'Italie , l'avait recommandé , afin
que par la sagesse d'Othon et la sainteté d'Adélaïde il devînt à
la fois monarque éclairé et pieux chrétien. Aussi il avait
appris de bonne heure et s'était approprié avec talent les
principes d'un gouvernement sage, que plus tard il mit en
pratique avec tant de succès. Par de nombreux voyages il avait
appris à connaître tous les défauts de l'administration publique
, en même temps qu'il avait étudié les moyens d'y remédier : il
avait pénétré la marche de la politique ordinaire et s'était mis
à même par des mesures bien calculées devance , de redresser
tous les abus dès son avènement à la couronne. 11 se fit surtout
un devoir de ne confier les fonctions publiques qu'à des hommes
fidèles , dévoués et éclairés, de fonder ainsi sur des bases
durables le bonheur de ses sujets. Il évita avec le plus grand
soin toutes les guerres qui ne tendaient qu'à des conquêtes , et
il n'eut recours aux armes que pour défendre son pays contre les
attaques extérieures , ce qui le fit surnommer le Pacifique
(20).
L'année 999
fut marquée par la mort de Mathilde, abbesse de Quedlinbourg ,
digne fille de sainte Adélaïde, qui exerça la régence avec une
sagesse réfléchie et avec douceur, et qui fut universellement
regrettée des Saxons. Elle avait su contenir les populations
inquiètes qui avoisinaient la Saxe ; elle avait fait respecter
les lois avec sévérité , et avait dans toutes les circonstances
protégé de tout son pouvoir la religion. Elle convoqua des
diètes à Dornbourg et à Magdebourg, et prit, de concert avec les
grands, des mesures salutaires , qu'elle exécuta avec une mâle
fermeté. En un mot, elle sut unir l'humilité monastique au
talent de commander et à l'habileté dans l'administration des
affaires publiques , dont les circonstances la forcèrent de se
charger. Tout en assurant, par des institutions utiles, la
prospérité publique, elle soigna les intérêts de l'Eglise par
des fondations pieuses et l'établissement de nouveaux couvens.
Elle favorisa particulièrement les sciences, dans lesquelles
elle était versée elle-même, et se fit un devoir de protéger les
savans, et spécialement ceux qui se distinguaient en même temps
par leurs vertus. C'est ce qui engagea le savant moine Witikind
de Corvey à lui dédier ses annales , dans lesquelles il nomme
notre abbesse une princesse brillante à la fois par son éclat
virginal, sa dignité impériale et sa rare sagesse. Sa nièce
Adélaïde , sœur d'Othon III, lui succéda comme abbesse de
Quedlinbourg.
La sainte
Impératrice ne survécut que de dix mois à sa fille. Dans la
dernière année de sa vie elle entreprit un voyage en Bourgogne ,
pour réconcilier son neveu , le Roi Rodolphe III avec ses
sujets. Mais avant son départ elle visita encore les couvents
fondés et dotés par elle en diverses provinces, pour s'assurer
s'ils ne laissaient rien à désirer sous le rapport de la
discipline , de l'ordre et de la piété , comme si elle eut
pressenti que bientôt elle serait appelée hors de ce monde. Elle
se rendit entre autres à Payerne , sur la Broye. De là elle
dirigea sa route vers Saint-Maurice ou Agaunum, où elle apprit
la mort de Framo , évêque de Worms , prélat distingué par sa
piété et qu'elle avait beaucoup estimé. Il avait fait pénitence
pendant quinze jours à Rome , avec Othon, dans un caveau de
l'église de saint Clément, pieds-nus et portant le cilice.
L'Impératrice fit ses dévotions à Genève , dans l'église du
saint martyr Victor , à Lausanne elle implora à plusieurs
reprises la protection de la Sainte-Vierge. Elle trouva dans
cette ville le Roi Rodolphe et un évêque ( peut-être celui de
Vienne), qui l'accompagnèrent à Orbe, où elle commença par faire
de riches donations aux pauvres et aux églises , après quoi elle
s'occupa de la réconciliation qui était le principal objet de
son voyage.
Après avoir
conclu , par son intercession, un arrangement amiable , elle
prit congé de ses plus intimes amis, et dit à cette occasion à
l'abbé Majolus, que sa dernière heure approchait, et qu'elle ne
le reverrait plus des yeux du corps. Elle se rendit alors en
Alsace, pays pour lequel on rapporte qu'elle eut toujours une
prédilection, et mourut à Seltz , à six petites milles
au-dessous de Strasbourg, où elle avait fait bâtir, douze ans
auparavant, sous Finvocation de S. Pierre, un couvent pour des
moines Bénedictins (22). Elle s'était préparée à sa mort en
Sainte : ses pensées n'étaient qu'auprès de Dieu ; elle lisait
et priait sans cesse , et quand on venait l'entretenir de choses
humaines , elle ne répondait que ces mots : Malheureuse que
je suis, qui me délivrera du corps de cette mort ? Sa fin
ayant tardé de quelques jours , contre son attente, elle reçut
de nouveau les saints Mystères, ainsi que l'Extrême-Onction, et
s'écria avec une sainte impatience : Quand viendra ma
délivrance ? quand serai-je réunie à JésusChrist? Dieu
exauça sa prière ; elle expira le 26 Décembre 999 , dans la
soixante-huitième année de son âge. Des miracles s'opérèrent sur
son tombeau ; on peut en lire le rapport à la fin de sa vie. Son
nom ne se trouve point dans le martyrologe romain , mais bien
dans plusieurs calendriers de l'Allemagne. Il y a une portion de
ses reliques dans une belle châsse , qui fait partie du trésor
des reliques de Hanovre , et elle est nommée dans la
Lipsanographie du palais électoral de Brunswick-Lunebourg,
imprimée en 1713.
Nous
terminerons cette notice en rapportant le portrait de la sainte
Impératrice par saint Odilon. « Adélaïde, dit-il, observait
envers ses serviteurs une douceur sévère, envers les étrangers
une dignité mesurée, envers les pauvres, une charité
infatigable. Elle contribua à la gloire des églises par ses
libéralités ; d'une bienveillance inaltérable envers les bons,
elle montra une sévérité inflexible envers les méchants. Elle
fut modeste dans ses désirs , modérée dans ses jouissances,
humble dans la grandeur, ferme et patiente dans l'adversité.
Sobre dans sa nourriture, simple dans son costume , elle était
persévérante dans la lecture , là prière, les veilles et le
jeûne, et toujours disposée à soulager les pauvres. Sa haute
naissance ne lui inspirait pas d'orgueil. Elle n'écoutait ni les
éloges prodigués à sa puissance, ni ne se prévalait des vertus
que Dieu lui avait accordées. L'affliction que lui faisaient
éprouver les fautes inséparables de la faiblesse humaine était
aussi éloignée du désespoir, que sa vertu l'était de la passion
de l'honneur, du plaisir et des richesses. La modestie, la mère
de toutes les vertus, inspira chacune de ses actions. La fermeté
dans la foi était aussi exempte d'alarmes , que sa confiance
était inébranlable dans l'espérance. » Nous ajouterons ce
que S. Odilon dit dans un autre passage , que sainte Adélaïde
était constamment d'une humeur gaie , qu'elle aimait le repos et
la paix et qu'elle se réjouissait du contentement de ceux qui
l'entouraient. C'est là en effet la récompense qui est déjà
ici-bas le partage de la vertu , que la sérénité intérieure dont
la grâce du Seigneur pénètre les cœurs mortifiés et purs,
s'imprime à toutes les paroles et à toutes les actions de
l'homme vraiment pieux , et procure ainsi un avant-goût de la
félicité céleste.
SOURCE :
Alban Butler : Vie des Pères, Martyrs et autres principaux
Saints… – Traduction : Jean-François Godescard.
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