Adjuteur
était de l'illustre maison des seigneurs de Vernon sur Seine un
d'eux, nommé Guillaume, est enterré dans l'église principale de
ce lieu; il est appelé, dans son épitaphe, prince de Vernon, et
passe pour avoir été
grand-père
de notre Saint. Son père s'appelait Jean, et sa mère Rosemonde,
l'un et l'autre fort pieux et remplis de charité pour les
pauvres. La sainteté de Rosemonde fut même si grande, qu'on lui
donne le titre de Bienheureuse, et qu'on l'invoque publiquement
avec son fils. L'éducation qu'Adjuteur reçut par leurs soins le
rendit bientôt un excellent modèle de vertu. Il faisait sa
principale occupation de la prière il domptait son corps par des
jeûnes et des abstinences très rigoureuses, et ne lui épargnait
rien de ce qui était propre à le rendre entièrement soumis à
l'esprit. Son austérité alla même jusqu'à un tel excès, que,
tout jeune qu'il était, il ne paraissait avoir que la peau et
les os.
Dans la Heur
de sa jeunesse, il se croisa avec un grand nombre d'autres
seigneurs pour aller faire la guerre en Palestine, et tâcher de
délivrer le sépulcre de Notre-Seigneur des mains des infidèles.
Lorsqu'il fut près d'Antioche, quinze cents ennemis
l'attaquèrent, et mirent aisément en fuite sa troupe, qui
n'était que de deux cents hommes. Alors il implora, avec une
ardeur extrême, le secours du ciel, et pria sainte Madeleine,
pour laquelle la ville de Vernon avait alors une grande
dévotion, de ne le pas abandonner en cette occasion.
A peine
avait-il achevé sa prière, qu'un ouragan épouvantable éclata
tout à coup, remplit les infidèles de terreur, et les obligea de
prendre la fuite à leur tour. Adjuteur rallia ses gens, leur
donna un nouveau courage, et avec ce peu de monde, poursuivit si
vigoureusement les fuyards, qu'il en demeura mille sur place, et
que le reste fut mis entièrement hors de combat.
Après
dix-sept ans de diverses entreprises, où il fit toujours
paraître un courage intrépide pour la cause du christianisme, il
tomba entre les mains des ennemis, fut fait prisonnier, jeté
dans un cachot et chargé de chaînes; on lui fit m6Rie souffrir
beaucoup de tourments pour l'obliger à renier sa foi et à se
faire sarrasin. Mais il ne fut pas moins constant dans cette
calamité, qu'il avait été courageux dans les combats, et rien ne
fut capable d'ébranler sa foi, pour laquelle il souhaitait môme
de répandre tout son sang et do perdre la vie. Un jour, qu'après
un traitement fort barbare, il était seul et abandonné dans sa
prison, il leva les yeux au ciel et implora le secours de sainte
Madeleine, pour qui il avait une singulière dévotion, comme tous
ceux de son pays, et de saint Bernard de Tiron, qui était mort
depuis peu et que Dieu rendait éclatant par de grands miracles.
A la suite de
cette prière il s'assoupit, et, pendant cet assoupissement, il
fut transporté avec ses chaînes, du fond de sa prison, qui était
en Orient, en un bois proche de la ville de Vernon, lieu de son
domaine. Sainte Madeleine et saint Bernard, auteurs de ce grand
Boiraclej l'ayant mis doucement à terre, lui dirent que ce
devait être là le lieu de son repos jusqu'à la fin de sa vie.
L'archevêque de Rouen, qui était Hugues III, en fit des
informations, et le reconnut véritable par la déposition de cinq
ou six seigneurs qui avaient mangé avec lui, en Palestine, la
veille de son transport et de son arrivée en Normandie.
Pour lui,
afin de reconnaître cette grâce, il fit bâtir une chapelle à
l'honneur de sainte Madeleine, au lieu même où cette sainte
amante de Jésus-Christ l'avait déposé, et y fit dresser trois
autels, dont le principal fut dédié sous le nom de Saint-Sauveur
et de Sainte Marie Madeleine. Ensuite, il se fit religieux dans
l'abbaye de Tiron, qu'il institua héritière de tous ses biens,
et y vécut avec tant de sainteté qu'il était un sujet
d'admiration pour tous les religieux. Il avait un lit dans sa
chambre comme les autres religieux, mais il couchait sur la
terre et ne se servait de ce lit que pour cacher son austérité.
Il assistait aux repas de la communauté, mais il s'y contentait
de pain et d'eau et de quelques herbages sans assaisonnements.
Il ne quittait jamais son cilice, et le plus usé de tous les
habits était celui qui lui était le plus agréable.
Avec la
permission de ses supérieurs, il se retira en solitude dans
cette chapelle de Sainte Madeleine qu'il avait fait bâtir, et
qui était accompagnée de quelques maisons, prieuré dépendant de
Tiron. Il n'est pas croyable avec quelle ferveur d'esprit, et
avec quelle austérité il vécut en cet ermitage. Son logement
était une grotte derrière l'autel. Son exercice continuel était
de prier et d'exercer la charité corporelle et spirituelle
envers le prochain. L'archevêque Hugues, qui a le premier écrit
sa vie, dit qu'il s'appliqua avec un zèle infatigable au secours
des religieux qui étaient dans le besoin, à la réparation des
églises, au soulagement des pauvres, à la réconciliation des
grands seigneurs et des princes, à la réformation de la
jeunesse, au rétablissement des bonnes mœurs, et à tout ce qui
pouvait contribuer à l'ornement du christianisme qu'il était
persévérant dans les veilles et dans la prière, infatigable dans
le travail, patient dans les afflictions, zélé pour la chasteté,
qu'il conserva intacte à la guerre où les dangers sont si
nombreux pour cette vertu; enfin, qu'il se rendit aimable à
Dieu, aux Anges et aux hommes.
Les miracles
relevèrent encore ses grandes vertus. Il rendit la vue aux
aveugles, l'ouïe aux sourds, la santé à toutes sortes de
malades, et délivra un homme possédé d'un furieux démon. Ayant
appris qu'il y avait dans la Seine un gouffre très dangereux, où
il se perdait beaucoup d'hommes et de bateaux, il pria l'évoque
de s'y transporter, de faire dessus le signe de la croix, et d'y
jeter de l'eau bénite; et, pour lui, il y jeta une partie de la
chaîne avec laquelle il avait été transporté; et, au même
instant, le gouffre se remplit, et cessa d'être dangereux.
La fin de la
vie de saint Adjuteur étant arrivée, il fit supplier l'évêque
diocésain et l'abbé de Tiron de le venir assister. Ils se
transportèrent aussitôt en sa chapelle après qu'il eut reçu de
leurs mains les derniers Sacrements, il rendit son âme, chargée
de mérites, à Notre-Seigneur. Ce fut le 30 avril de l'an 1131.
Son corps fut enterré en cette même chapelle, qui avait été le
lieu de ses grandes pénitences. Il s'y fit ensuite un grand
nombre de miracles un huissier, à qui un seigneur qu'il venait
assigner, avait crevé les
yeux,
y
fit
une
neuvaine,
vit
la
nuit
saint
Adjuteur
qui
apportait
de
l'huile
et
sainte
Madeleine
qui
lui
oignait
les
paupières,
et,
à
son
réveil,
il
se
trouva
guéri.
La
ville
de
Vernon
et
le
pays
d'alentour
étant
continuellement
affligés
d'incendies,
de
grêles,
d'inondations
et
d'autres fléaux
de
Dieu,
s'obligèrent
à
une
procession
à
la
chapelle
de
Sainte Madeleine,
et
furent
entièrement
délivrés.
Dix
habitants
seulement,
qui
s'étaient
moqués
de
cette
dévotion,
périrent
misérablement
dans
l'année
avec
tous
leurs
biens
et
leurs
maisons.
Parmi
les
villages
qui
eurent
part
à
cette
grâce,
on
met
ceux
de
Passy,
de
Gaillon,
d'Estrépagny
et
de
Longueville.
La
même
ville
étant
assiégée,
et
souffrant
de
grands
dommages
par
le
feu
grégeois
que
l'on
jetait
dedans,
fut
préservée
de
ce
feu
qui
rebroussa
contre
les
assiégeants,
aussitôt
que
l'on
eut
imploré
le
secours
de
saint
Adjuteur.
Des lépreux
ont
aussi
été
guéris
à
son
tombeau,
et
l'on
éprouve
encore
tous
les
jours
sa
puissance
auprès
de
Dieu.
SOURCE : P. Giry : Les
petits Bollandistes : vies des saints. T. V. Source :
http://gallica.bnf.fr/ Bibliothèque nationale de
France. |