« Agnès est une des plus
gracieuses et des plus populaires figures du martyrologe chrétien. Mais c'est
une de celles sur lesquelles on possède le moins de documents certains.
Cependant, même en négligeant tout à fait ses actes, qui sont postérieurs au
quatrième siècle, et en combinant seulement les renseignements puisés dans la
tradition orale par saint Ambroise, par saint Damase et par Prudence, on arrive
à se faire, croyons-nous, une idée assez nette de son histoire. » Agnès était
une enfant, elle avait douze ans, treize ans peut-être — l'âge nubile à Rome,
quand elle fut arrêtée, sur la dénonciation, semble-t-il, d'un prétendant
évincé. Le juge employa la douceur, puis menaça de faire brûler vive la
fillette, enfin la fit mettre à la question. C'était en vain. Il envoya l'enfant
dans une maison de prostitution, située, dit-on, sous les arcades de stade
d'Alexandre Sévère, là où s'élève aujourd'hui l'église qui lui est dédiée sur la
place Navone. L'enfant demeura intrépide, elle avait disposé sa longue chevelure
de façon à s'en couvrir comme d'un manteau. Troublé par la tranquille dignité de
la jeune fille, un libertin paraît avoir renoncé à rien tenter contre elle.
D'ordinaire cette situation, dans laquelle les païens voyaient peut-être quelque
sortilège de la victime, se prolongeait peu ; l'enfant fut emmenée et on lui
coupa la tête.
Je donne ici le fragment de saint
Ambroise et celui de Prudence.
Le nom d'Agnès est un titre de
pureté : j'ai donc à la célébrer et comme martyre et comme vierge. C'est une
louange abondante que celle que l'on n'a pas besoin de chercher et qui subsiste
par elle-même. Arrière le rhéteur, arrière l'éloquence ; un seul mot, son seul
nom, loue Agnès. Que les vieillards, que les jeunes gens, que les enfants la
chantent. Tous les hommes la célèbrent, ils ne peuvent dire son nom sans la
louer.
On rapporte qu'elle avait treize
ans quand elle souffrit. Cruauté détestable du tyran, qui n'épargna pas. un âge
si tendre; mais plus encore, merveilleuse puissance de la foi, qui trouve des
témoins de cet âge ! Y avait-il place en un si petit corps pour les blessures ?
A peine l'épée trouvait-elle sur cette enfant un lieu où frapper ; et cependant
Agnès avait en elle de quoi vaincre l’épée.
A cet âge, la jeune fille tremble
au regard irrité de sa mère ; une piqûre d'aiguille la fait pleurer, comme
ferait une blessure. Agnès, intrépide entre les mains sanglantes des bourreaux,
se tient immobile sous le fracas des lourdes chaînes qui l'écrasent ; ignorante
encore de la mort, mais prête à mourir, elle présente tout son corps à la pointe
du glaive d'un soldat furieux. La traîne-t-on, malgré elle, aux autels, elle
tend les bras au Christ à travers les feux du sacrifice, et sa main forme jusque
sur les flammes sacrilèges ce signe qui est le trophée du Seigneur victorieux.
Son cou, ses deux mains, elle les passe dans les fers qu'on lui présente ; mais
on n'en trouve pas qui puissent serrer des membres encore si petits.
Nouveau genre de martyre ! La
vierge n'a pas l'âge du supplice, et déjà elle est mûre pour la victoire ; elle
n'est pas mûre pour le combat, et déjà elle est maîtresse en fait de courage.
L'épouse ne marche pas vers le lit nuptial avec autant d'empressement que cette
vierge qui s'avance, pleine de joie, d'un pas dégagé, vers le lieu de son
supplice, parée, non d'une chevelure artificieusement disposée, mais du Christ,
couronnée non de fleurs, mais de pureté.
Tous pleuraient ; elle seule ne
pleurait pas. On s'étonne qu'elle prodigue si volontiers une vie qu'elle n'a pas
encore goûtée ; qu'elle la sacrifie, comme si elle l'eût épuisée. Tous admirent
qu'elle soit déjà le témoin de la Divinité, à un âge où elle ne pourrait encore
disposer d'elle-même. Sa parole n'aurait pas de valeur dans la cause d'un
mortel: on la croit aujourd'hui dans le témoignage qu'elle rend à Dieu. Et en
effet, une force qui est au-dessus de la nature ne saurait venir que de l'Auteur
de la nature.
Quelles terreurs n'employa pas le
juge pour l'intimider ! que de caresses pour la gagner! Combien d'hommes la
demandèrent pour épouse ! Elle s'écrie : La fiancée fait injure à l'époux, si
elle se fait attendre. Celui-là m'aura seul, qui le premier m'a choisie. Que
tardes-tu, bourreau? Périsse ce corps que peuvent aimer des yeux que je n'agrée
pas ! »
Elle se présente, elle prie, elle
courbe la tête. Vous eussiez vu trembler le bourreau, comme si lui-même eût été
condamné; sa main était agitée, son visage était blême sur le danger d'un autre,
pendant que la jeune fille voyait sans crainte son propre péril. Voici donc dans
une seule victime un double martyre : l'un de chasteté, l'autre de religion.
Agnès; demeura vierge, et elle obtint le martyre.
La cité de Romulus possède le
tombeau d'Agnès, jeune fille héroïque, illustre martyre. De sa demeure, située
en face des remparts, la vierge veille au salut des fils de Quirinus. Elle
protège même l'étranger qui vient, d'un coeur pur et fidèle, prier dans son
sanctuaire.
Une double couronne ceint le
front de la martyre: la virginité inviolable, la mort glorieuse.
Elle avait à peine l'âge nubile,
et dès sa plus petite enfance, l'amour du Christ l'embrasait; intrépide, elle
résista aux ordres impies qui voulaient la contraindre à servir les idoles, à
détester la foi sainte.
On tenta son courage par plus
d'un piège ; le juge employa de caressantes paroles, le bourreau, l'appareil de
la torture ; la vierge se tenait debout dans son fier courage ; elle offrait son
corps à la torture, et la mort ne l'étonnait pas.
« Tu braves les supplices, lui
dit le tyran farouche ; s'il est facile de vaincre la douleur et de mépriser la
vie comme aune chose de peu de prix, la pudeur, au moins, est chère à une
vierge.
Je l'exposerai dans un lupanar
public, si elle ne se réfugie près de l'autel de Minerve et n'implore sen pardon
de cette vierge qu'elle persiste à mépriser. Toute la jeunesse va accourir pour
y réclamer la nouvelle esclave de ses caprices.
— Le Christ, répond Agnès,
n'oublie pas à ce point les siens, qu'il sacrifie leur pudeur et les abandonne;
il assiste ceux qui sont pures et ne souffre pas que leur intégrité soit
souillée. Tu rougiras ton glaive de mon sang ; mais tu ne profaneras pas mon
corps par la luxure. »
Elle dit. Le juge ordonne qu'on
l'expose sous l'arcade du stade de Sévère. La foule détourne ses regards à cet
aspect ; un sentiment de pudeur qu'elle ne connaissait pu semble la maîtriser
tout à coup.
Un seul homme a osé arrêter son
regard impur sur ce corps sacré ; soudain un oiseau de feu prompt comme la
foudre l'a frappé. Le coupable, aveuglé, roule sur la poussière et se débat
convulsivement. Ses compagnons l'enlèvent demi-mort, et déjà lui adressent
l'adieu suprême.
La vierge s'avançait triomphante,
adressant à Dieu le Père et au Christ un cantique sacré. Délivrée du péril, elle
renflait grâces au pouvoir céleste, qui pour elle avait fait du lupanar un lieu
chaste, et conservé sans atteinte l'honneur de la virginité.
Il y en a qui disent qu'elle pria
le Christ de rendre la lumière au coupable qui gisait à terre, et que le jeune
homme recouvra le souffle de sa poitrine et l'usage de ses yeux.
Agnès a gravi un premier degré
dans la céleste cour ; elle en gravit un second. Le tyran sanguinaire s'emporte
de fureur à la nouvelle qu'il reçoit. « Je suis donc vaincu ? dit-il avec
émotion. Soldat, prends une épée et accomplis les ordres de l'autorité
souveraine. »
La vierge voit l'homme à l'épée
debout auprès d'elle, elle s'écrie joyeuse : « Quel bonheur ! J'aime mieux ce
furieux, qui est si laid que c'est à faire peur, qui fait du bruit avec ses
armes, qu'un jeune homme mou et parfumé, pour violer ma pudeur.
Voici mon amant, j'en conviens ;
je cours à sa rencontre; je n'arrête plus le feu de ma passion. Qu'il enfonce
tout son fer dans mon sein ; que je sente entrer cela jusqu'au fond de ma
poitrine ; alors, épouse du Christ, franchissant la région des ombres, je
m'élèverai au plus haut des cieux.
Roi éternel, daigne ouvrir les
portes de ton céleste palais si longtemps fermées aux habitants de la terre.
Christ ! appelle à toi cette âme, elle est vierge, c'est une hostie à ton Père »
Elle dit, et inclinant la tête,
elle adore humblement le Christ, offrant son cou au glaive qui se lève au-dessus
d'elle. Le bras du bourreau accomplit à l'instant l'espoir de la vierge; le coup
détacha la tête ; et la mort vint avant la douleur.
L'âme brillante et affranchie
s'élance libre à travers les airs ; un groupe d'Anges l'accompagne sur le
sentier lumineux.
Dans son vol, elle voit
au-dessous d'elle le globe de la terre et les ténèbres qui l'environnent; mais
elle dédaigne cette région inférieure que le soleil visite dans son cours, tout
ce que le monde entraîne et confond dans sa marche, tout ce qui vit au sein du
noir tourbillon, tout ce que la vaine mobilité du temps emporte avec elle.
Elle domine maintenant de son
regard les rois, les tyrans, les empires, les dignités publiques ; les honneurs
et les pompes, qui enflent d'orgueil les mortels insensés ; l'argent et l'or si
puissants, dont ils ont une soif ardente, et qu'ils recherchent par toute sorte
de crimes ; les palais construits avec splendeur, la vanité des parures
brillantes ; la colère, les craintes, les désirs, les dangers partout ; les
joies si rapides, les chagrins si longs à s'épuiser ; les torches de l'envie,
qui souillent de leur noire fumée l'espérance des hommes et leurs succès ; enfin
le plus affreux de tous les maux, le nuage honteux de l'idolâtrie planant sur le
monde.
Dans son attitude triomphante,
Agnès foule et domine tous ces vains objets; de son pied elle écrase la tête du
cruel dragon, qui infecte de son venin les habitants de la terre et les entraîne
avec lui aux enfers. Maintenant dompté sous le pied de la jeune vierge, il
abaisse honteusement sa crête enflammée ; vaincu, il n'ose plus relever la tête.
En même temps le Dieu du ciel
ceint de deux couronnes le front de la chaste martyre; l'une porte en traits de
lumière le nombre mystérieux de soixante; sur l'autre le centenaire exprime les
mérites qu'Agnès a conquis.
Heureuse vierge, illustration
nouvelle, noble habitante de la cité céleste, daigne incliner vers nos misères
ta tête ceinte du double diadème. A toi seule le Dieu suprême donna la puissance
de rendre chaste un jour le lieu même du crime.
Un regard de ta bonté dirigé vers
moi me rendra pur, en inondant mon cœur de sa lumière ; tout ce que ton œil
daigne fixer, comme autrefois tout ce que ton noble pied toucha, participe
aussitôt à la pureté qui réside en toi.
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