L'an dix-neuvième
de l'empire de Dioclétien, au mois de mars, et assez proche de la
fête de Pâques, un édit fut publié, qui ordonnait
que les églises des chrétiens fussent démolies et renversées de fond
en comble; que
les livres de
l'Écriture
sainte fussent brûlés en plein marché ; que les chrétiens élevés en
quelque grade et honneur en fussent déposés, et que quiconque
suivrait
la religion chrétienne fût réduit en servitude. Peu de temps après,
il fut ajouté, par un autre édit
de l'empereur, que tous les pasteurs de l'Église fussent recherchés
et mis en prison, et contraints, par toutes sortes de supplices, à
sacrifier aux idoles. Voilà par quels moyens Dioclétien se
promettait
d'anéantir la religion chrétienne.
Les gouverneurs des
provinces, désirant servir les desseins de l’empereur, inventèrent
de nouveaux supplices pour tourmenter les chrétiens; mais la vertu
croissait sous leurs coups. Jamais l'Église ne fut plus fertile en
courage que durant cette persécution. Non seulement les pasteurs,
mais les néophytes combattaient avec une constance invincible pour
le nom de Jésus-Christ. C'est alors que la Bretagne, qui avait été
auparavant comme le refuge des chrétiens, à cause de sa position
isolée au milieu de la mer, fut envahie par la persécution, et que
saint Alban souffrit le martyre pour avoir préféré la lumière aux
ténèbres de la gentilité.
Il était né à Vérulam,
d'une noble famille, et avait été en sa jeunesse instruit aux
lettres humaines, car en la Bretagne on avait coutume d'élever les
enfants des princes et des grands seigneurs à la façon des Romains.
Aussitôt qu'il fut en âge de porter les armes, saint Alban
s'achemina vers Rome, où il fut sept ans soldat sous Dioclétien.
Puis, ennuyé du service, il résolut de s'en retourner en son pays,
où l'empereur le pourvut d'une magistrature, en récompense de ses
bons offices. Toutefois, quand il fut rentré à la maison paternelle,
il préféra le repos et se démit de sa charge.
Cependant il advint
que, pour éviter la cruauté des édite de l'empereur, un excellent
confesseur de Jésus-Christ, nommé Amphibal, qui fuyait la
persécution des païens, fut reçu humainement par saint Alban.
Celui-ci, voyant l'intégrité de vie d'Amphibal, sa piété, son
innocence, ses veilles et ses prières, fut inspiré divinement, par
un secret instinct du Saint-Esprit, d'imiter la conduite de son
hôte. C'est pourquoi il le pria de l'instruire en la religion
chrétienne, et ses paroles eurent tant d'effet sur lui qu'il
abandonna les honneurs du monde pour embrasser la foi de
Jésus-Christ.
Comme Amphibal séjourna
quelque temps au logis de saint Alban, et qu'ils vaquaient ensemble
toutes les nuits à la prière en une petite cellule peu éloignée de
la maison, quelques malveillants racontèrent au gouverneur qu'Amphibal
s'était caché chez Alban. Le gouverneur les envoya chercher tous
deux ; mais saint Alban, que l'on avait prévenu, pria Amphibal de se
sauver, afin de pouvoir continuer ses travaux au service de la
sainte Église. Comme les gendarmes les attendaient pour les
surprendre dans la cellule, il lui donna son manteau, avec lequel il
s'évada. Pour lui, revêtu des habits d'Amphibal, il se mit en
prières, méditant les choses célestes.
Dès que le jour fut
venu, les soldats entrèrent en furieux dans la maison de saint Alban
et le trouvèrent dans la cellule. Ils le saisirent aussitôt, et sans
avoir égard à sa noblesse ni à sa dignité, ils le lièrent
étroitement, et le menèrent devant l'autel des idoles, où le
gouverneur l'attendait avec une grande multitude de gentils.
Le gouverneur, le
voyant revêtu de la robe d'Amphibal et qu'il s'était offert pour son
hôte, lui dit avec fureur : « Puisque tu es contempteur de nos
dieux, et que tu as caché chez toi Amphibal, sacrilège et rebelle,
tu porteras la peine de son blasphème, .à moins que tu ne reviennes
aussitôt à notre foi. Donc, sacrifie maintenant à nos dieux. »
Saint Alban, qui avait
déjà déclaré sa religion aux soldats, répondit avec courage qu'il ne
pouvait obéir à son commandement.
Alors, le gouverneur
lui dit :
— De quelle maison
es-tu?
— Il vous importe peu,
répondit saint Alban, de quelle maison je sois, puisqu'il s'agit de
religion; il vous suffit de savoir que je suis chrétien.
— Eh bien, reprit le
gouverneur, quel est ton nom?
— Mes parents m'ont
nommé Alban, j'adore le vrai Dieu vivant qui a tout créé de rien.
Le gouverneur lui dit :
— Si tu veux éviter les
supplices et gagner les bonnes grâces de l'empereur, ne fais pas
refus de sacrifier aux grands dieux.
Saint Alban répondit :
— Vos sacrifices sont
détestables et abominables, car ce n'est pas à Dieu que vous
sacrifiez, mais aux diables. Quiconque adorera vos idoles, encornera
l'ire de Dieu et n'aura pour récompense que les peines éternelles de
l'enfer.
Le gouverneur, irrité
et indigné de ces paroles, lui dit :
— Puisque tu ne veux
point suivre mes conseils, je saurai t'arracher à l'erreur d'une
autre façon.
Il ordonna alors qu'il
fût fouetté sur-le-champ et cruellement torturé, ce que le saint
confesseur endurait patiemment, avec une grande allégresse, joyeux
d'avoir été trouvé digue de souffrir pour le nom de Jésus-Christ.
Peu de temps après, le gouverneur, voyant qu'il ne pouvait détourner
saint Alban de la religion chrétienne, ordonna qu'on lui tranchât la
tète.
Comme on le menait au
supplice, étant arrivé auprès d'une rivière qu'il fallait traverser
pour arriver à la colline où il devait être décapité, voyant que le
pont était étroit et l'affluence du peuple immense, craignant donc
qu'on attendit le passage de la multitude, et que la palme du
martyre ne lui fût retardée, il éleva les yeux au ciel et pria Dieu
de permettre à ce peuple de traverser la rivière. A l'instant le
Seigneur, dont la main n'est pas raccourcie et qui dessécha le
Jourdain pour les Israelites, arrêta le cours de l'eau, qu'il
divisa, et au travers de laquelle le peuple put passer à pied sec.
Ce miracle étonna
grandement la multitude; il fut cause que plusieurs, disant adieu à
l'idolâtrie, embrassèrent la foi de Jésus- Christ, entre lesquels
fut le soldat qui allait couper la tête au saint martyr. Car ayant
vu ce fait admirable, de loup ravissant il devint agneau très-doux,
et jetant le glaive qu'il tenait à la main, il se prosterna aux
pieds du martyr, abjura son erreur, confessa Jésus- Christ, et
demanda de mourir avec celui qu'il devait tuer.
Cependant on mena
saint Alban sur le sommet de la montagne,
où était
une grande affluence de peuple, que le soleil
brûlait
de ses rayons ardents. Saint Alban, voyant la chaleur qu'ils
éprouvaient,
en eut compassion, et afin que le Dieu tout-puissant fût glorifié,
que la foi de Jésus-Christ s'accrût parmi les infidèles et s'affermît
au cœur des chrétiens, il pria Notre-Seigneur d'étancher la soif de
ce malheureux peuple par quelque ruisseau d'eau douce. Aussitôt une
fontaine jaillit de terre et commença de couler à ses pieds.
Ce nouveau miracle ne
put triompher de l'endurcissement des païens; car ils élurent un
d'entre eux, qui était fort cruel, pour décapiter le saint martyr.
Mais Dieu permit qu'il fût puni de sa cruauté, aussitôt qu'il eut
accompli ce barbare office; et ses yeux tombèrent à terre avec la
tête du saint martyr. Le premier soldat, qui s'était converti, fut
ensuite décapité et reçut le baptême du sang.
Voilà comment saint
Alban, pour la confession du nom de Jésus-Christ, après avoir enduré
de cruels tourments, a été le premier, entre les Bretons, qui ait
gagné par sa constance la couronne immortelle du martyre.
I l mourut le 22 juin
de l'an 306, et fut enseveli honorablement en ce lieu par les
chrétiens, qui depuis y ont élevé une église en son honneur, lorsque
l'infidélité commença à disparaître de cette île. Un grand nombre de
miracles se firent au tombeau de saint Alban et le rendirent si
célèbre, que saint Germain, évêque d'Auxerre, et saint Loup, évêque
de Troyes, qui étaient venus en la Grande-Bretagne pour s'opposer
aux progrès de l'hérésie de Pelage, ne voulurent pas quitter l'île
sans y avoir prié. Saint Germain en rapporta même des cendres, qu'il
mit en une chapelle de sa ville d'Auxerre.
Amphibal,
précepteur de saint Alban en la foi chrétienne, qui avait prêché
l'Évangile dans le pays de Galles, après avoir échappé d'abord aux
recherches des païens, fut enfin pris et amené à Vérulam. Il
souffrit la flagellation et fut ensuite attaché à un pieu de bois où
les bourreaux lui arrachèrent les entrailles. Comme il demeurait
ferme en prières, ils le massacrèrent et tuèrent à coups
de pierres, en sorte qu'il mourut courageusement pour le nom de
Jésus-Christ. D y eut aussi en diverses contrées de la Bretagne un
grand nombre de chrétiens qui, en cette persécution, souffrirent de
cruels tourments plutôt que de renier Notre-Seigneur, auquel gloire
soit rendue à jamais. |