AMBROISE BARLOW
Bénédictin, Martyr, Saint
+ 1641

LE MARTYRE DU BIENHEUREUX AMBROISE BARLOW
DE L'ORDRE DE SAINT BENOÎT DE LANCASTRE, 1641

Ce Bienheureux Martyr naquît dans une ville de la Province de Lancastre, nommée Manchester, il sortit de l'illustre famille de Barlow, qui malgré les rigueurs que les ennemis de l'Église ont exercez sur les catholiques depuis l'introduction du schisme en Angleterre, ont professé de bouche comme de cœur l'ancienne et véritable Religion chrétienne. Il n'eut pas sitôt atteint l'âge de raison, qu'il montra beaucoup de disposition aux bonnes lettres et à la vertu ; je vous laisse à penser si ses parents manquèrent à cultiver ces bonnes inclinations naturelles, et quoi que ce leur fut un supplice de perdre seulement de vue ce cher enfant, néanmoins se défiant de leur propre capacité, ou plutôt de cet excès de tendresse que les pères et mères ont coutume d'avoir pour leurs enfants, ils le mirent entre les mains d'un sien oncle, qui tout savant et grave personnage qu'il était, ne laissait de s'abaisser à cet importun, exercice, et prenait même plaisir de cultiver cette jeune plante qui devait un jour répandre une si bonne odeur dans leur famille et être salutaire à l'Angleterre.

Cette précieuse éducation tira bientôt d'agréables fruits de ce bon naturel, et la grandeur du courage jointe ~à la piété le portèrent au plus héroïque et au. plus saint emploi qu'un homme puisse embrasser ; ayant projeté ce noble dessein, il se transporta à Douai où il fit ses humanités, et de là à Valladolid où il étudia en Philosophie et en Théologie dans le collège qui porte le nom de ce glorieux Martyr d'Angleterre saint Alban, dont le sang a été si fécond en saints qui l'ont imité ; mais ce séjour si reculé de l'Angleterre semblait reculer l'accomplissement de ses désirs, il voulut s'approcher du lieu où il avait logé toutes ses affections, il repassa donc à Douai 'où il tacha de joindre à la science les vertus requises à une vie apostolique, il crut que la maison des Religieux de l'ordre de S. Benoît lui serait une parfaite école de sainteté. Le supérieur qui est maintenant Professeur en Théologie dans le collège de Saint-Grégoire à Douai, par heureuse rencontre était son parent, qui l'admit facilement dans leur ordre, et l'envoya incontinent après à Saint-Malo en Bretagne, où il fit son année de probation dans le collège de Clermont, puis il retourna à Douai où il continua d'étudier en Théologie et reçut les ordres sacrez. Cependant il vivait dans une impatience extrême d'entrer en lice avec les monstres qui ravagent sa chère patrie, et sentait en son cœur comme un autre Élie une flamme secrète qui l'assurait que Dieu avait son holocauste pour agréable. Enfin il partit animé du glorieux exemple d'un de ses prédécesseurs qui avait été le chef de la première mission qui passa en Angleterre quelque temps après le schisme, et arriva dans la ville de Lancastre métropole de sa province.

Si je prétendais vous décrire toutes les merveilles qu'il a opérées durant sa vie, je ferais un volume de ce sujet, il suffira de vous dire en gros qu'il brûlait d'une charité fervente et généreuse, qu'il était extrêmement dévot à la glorieuse Vierge, qu'il fréquentait souvent les Sacrements, que son zèle était prudent, ingénieux et actif, son humilité profonde et son éloquence puissante et agréable. Le temps de relâche qu'il avait dans ses charitables exercices, il l'employait à l'oraison, à la méditation, ou à composer quelque prédication où, il réussissait admirablement bien ; l'on remarque aussi que pour réprimer ce généreux orgueil qui est naturel aux personnes de naissance, il évitait la compagnie de ses parents, les assemblées et les festins, et conversait volontiers parmi les pauvres, pour conserver l'humilité qui est la source et la mère nourrice de toutes les autres vertus. Il s'était donné si entièrement à Dieu, qu'il fuyait les compagnies où il n'y avait aucun fruit spirituel à cueillir, et quand il rencontrait des vicieux, il ne les épargnait point, et par des raisons familières et solides ébranlait les esprits les plus libertins et ramenait les plus opiniâtres hérétiques dans le sein de l'Église. Voilà comment ce glorieux martyr passa plus de quarante ans parmi de grands travaux et avec beaucoup de fruit. Mais ne nous arrêtons point à louer la ferveur et les exploits d'un homme qui avait parole de Dieu qu'il serait un jour martyr, la promesse était trop grande et trop assurée pour ne point tacher de s'en rendre digne. Un saint personnage de la Compagnie de Jésus nommé Harosmith, qui fut autrefois couronné du martyre dans la province de Lancastre, apparut il y a treize ans au Bienheureux Barlow lorsqu'il n'y avait encore aucune apparence de la persécution présente et lui prédit qu'il emporterait la première couronne du martyre dans cette même province, ce qui arriva comme nous allons voir. Cet agneau fut destiné pour le jour de Paques de l'année 1641, car lorsqu'il célébrait cette auguste fête avec un assez bon nombre de catholiques, le ministre du lieu animait le peuple à saccager ce petit sanctuaire que Dieu s'était réservé, à ce dessein il acheva le prêche de meilleure heure qu'à l'ordinaire pour surprendre les catholiques qui s'assuraient sur ce que le prêche dure toujours jusques à onze heures ; ils viennent donc une multitude les armes à la main, mettent "dedans les portes de la maison et surprennent ces saintes âmes dans ce louable exercice : notre martyr voyant de l'émotion parmi son troupeau, les rassura et leur dit, mes chères ouailles que cet accident non prévu ne vous ébranle point, c'est moi seul que la tempête menace, Dieu écoute mes prières et comble mes espérances, il y a longtemps qu'il m'a promis cette grâce ; il ajouta plusieurs sentences de l'Écriture sainte propres au sujet et à l'occasion, les uns se saisissent de sa personne, les autres des meubles, et le ministre d'une cassette où il pensait avoir trouvé le trésor, mais il ignorait que notre martyr faisait profession de la pauvreté et mettait toutes ses richesses en des biens qui ne se peuvent ravir. Les catholiques remarquant qu'ils usaient de cette violence sans aucune autorité du magistrat, prirent résolution de sauver leur cher pasteur au dépens de leur vie, mais il leur dit, après le roi des martyrs, Ne vous vengez point vous-mêmes mes bien-aimés, mais donnez lieu à l'ire : car il est écrit à moi est la vengeance, je le rendrai, dit le Seigneur; avec de semblables remontrances il les priait de ne rien entreprendre de violant et de ne point s'opposer a ce qu'avait résolu la Providence divine, de sorte que nous pouvons justement appliquer à notre Saint ces paroles du prophète, il a été offert, parce qu'il l'a voulu, il n'a pas ouvert la bouche, il sera mené à la mort comme une brebis et ne dira mot comme un agneau que l'on tond. Ils le prirent donc et le chargeant de coups et d'injures, le conduisirent devant le Juge du lieu, qui ordonna qu'on le menât dans les prisons de Lancastre, quoiqu'il fut si indisposé qu'il n'était pas capable de sortir de la chambre : mais effet merveilleux de la grâce ! l'air de la prison qui altère les plus robustes rend la santé à notre martyr, et Dieu lui donne des forces pour soutenir le combat auquel il l'avait destiné. Le premier discours qu'il tenait à ceux qui le venaient visiter, c'était de se réjouir avec eux du recouvrement de sa santé qui le mettait en état de souffrir pour l'amour de Jésus Christ, en suite de cela, il leur faisait quantité de belles exhortations accompagnées de son éloquence ordinaire.

Après quatre mois de prison, qu'il employa par toute sorte d'austérités à se préparer dignement à la mort, il fut cité en justice et accusé d'être prêtre et dé n'être pas sorti du royaume devant le septième avril selon l'édit du roi publié contre les prêtres. Le juge lui ayant commandé de répondre à cette accusation, il répondit d'abord par une raillerie, qui fit voir assez le peu de crainte qu'il avait de ses persécuteurs et de leurs tourments ; il leur dit que dans l'édit on n'avait spécifié que les jésuites et les prêtres des séminaires et que pour lui il était religieux de l'Ordre de Saint Benoît. Mais pour contenter les catholiques qui le priaient la larme à l'œil de se sauver s'il était possible, il ajouta qu'il y avait un an qu'il était malade et que son indisposition ne lui avait pas même permis de sortir dé sa chambre, qu'il ne s'était bien porté que depuis son, emprisonnement et depuis qu'on lui parlait de la mort : mais cette raison ne fut pas mieux reçue que la première. Le juge s'apercevant que le peuple avait quelque tendresse pour notre martyr (la corruption n'étant pas si grande dans les villes de la campagne comme elle est à Londres) et qu'un chacun disait qu'ayant été malade il n'avait pu obéir à l'édit, et qu'il y aurait de l'injustice a le condamner, voulut l'engager à parler mal de leurs lois et de leurs instituteurs pour avoir prise sur lui, et sous prétexte de le condamner il lui demanda quelle opinion il avait de la loi par laquelle il devait être condamne à mort; le martyr répondit qu'elle était injuste et barbare, comme toutes les autres qui regardent les catholiques en tant que catholiques: mais, reprit le juge, si vous avez cette opinion de nos lois, quel jugement faites-vous de nos rois qui les ont établies ? à quoi notre martyr découvrant la malice du juge trouva à propos de répondre, qu'il priait de pardonner aux auteurs de ces lois et à ceux qui les mettent en exécution. Cette réponse, capable de »charmer le cœur d'un tigre, ne guigna rien sur cet esprit barbare qui cherchait lui-même les moyens de condamner cet innocent. Ayant vu que son artifice n'avait pas eu d'effet, il dit à notre martyr que sa maladie était véritablement quelque sorte d'excuse, mais qu'il devait en avoir averti la justice et s'être fait Benoît incontinent après la proclamation de l'édit et promettre de sortir du royaume aussitôt qu'il aurait recouvert la santé, qu'autrement il y avait bien de l'apparence  qu'il voulait continuer à séduire le peuple: Notre martyr répondit qu'il n'était point séducteur, mais qu'au contraire il avait taché de ramener dans le sein de l'Église ceux qui avoient été malheureusement séduits. Le juge voyant que la rigueur ne faisait qu'affermir ce cœur invincible, voulut tenter le moyen de l'adoucir et lui dit : Votre vie est entre mes mains, je vous la puis ôter ou vous la rendre. Il est vrai, répliqua le martyr, que vous avez sur moi le pouvoir que vous a donné une mauvaise politique, mais sachez que comme ministre du Souverain des souverains, je puis vous assurer que si vous contribuez à condamner les innocents et à vivre dans les ténèbres de l'hérésie, vous n'aurez point de part à la vie éternelle. Le juge à demi courroucé répondit qu'il ne prenait pas le chemin de la concilier et qu'au moins il aurait cet avantage que la sentence serait la première exécutée.

Le jour suivant, le juge s'étant assemblé avec les, douze jurez, selon la coutume ordinaire, il demanda à notre martyre s'il n'avait rien à produire en sa défense, à quoi il répondit, qu'il avait tout produit le jour précédent ; sur quoi le juge ayant recueilli les voix des jurez prononça la sentence de mort dans les formes ordinaires. Les termes formidables de cette inique sentence émurent les cœurs des protestants mêmes, mais elles ne servirent que d'huile dans celui de notre martyr, qui était un vrai brasier de charité. Quand la joie eut paru quelque temps sur son visage, elle s'exprima par une action de grâce qui fit passer les esprits de toute l'assemblée de l'horreur dans l'admiration et les louanges de notre martyr ; il prononça un pardon général à tous les persécuteurs, et de là il retourna dans la prison où il donna de grandes marques de sainteté jusques au jour destiné pour son martyr qui suivit deux jours après : Je vous laisse à juger par la sainteté de sa vie quel fut l'état de sa mort, les catholiques accoururent de tous les coins de la province pour être témoins de sa constance et recueillir de ses reliques. Notre Saint étant arrivé sur le lieu de l'exécution, il fit voir succinctement l'injustice de sa mort et exhorta le peuple a se dessiller les yeux, et embrasser la religion catholique, et après avoir prié à haute voix pour le public et tout bas pour sa propre personne, son corps qui avait toujours eu les bras ouverts et s'était mis en pièces pour le prochain fut ouvert par la main du bourreau, et déchiré en quatre quartiers, et rendit ainsi l'âme par un supplice conforme aux travaux qu'il avait supportez toute sa vie.

 

 

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