LES DEVOIRS

LIVRE II
(suite)

 

 

L'utilité de la justice.

C'est ainsi que la justice recommande de façon particulière les hommes qui président à quelque fonction, et qu'à l'inverse l'iniquité les dessert et se retourne contre eux. L'Ecriture nous en offre un exemple dans ce récit: alors que le peuple d'Israël, après la mort de Salomon, avait prié son fils Roboam de soulager leurs épaules du poids d'une dure servitude et d'adoucir la rigueur du gouvernement de son père, Roboam, méprisant l'avis des anciens, donna sur le conseil de jeunes gens, cette réponse qu'il ajouterait une charge au joug imposé par son père et qu'il changerait les peines légères en lourdes peines.

Mais, exaspérées par cette réponse, les populations répondirent: « Nous n'avons pas de part avec David ni d'héritage parmi les fils de Jessé. Retourne à tes tentes, chacun chez soi, Israël », parce que cet homme ne deviendra pour nous ni roi ni chef. Aussi, délaissé et abandonné par le peuple, est-ce à peine de deux tribus — en considération du mérite de David — qu'il put avoir la compagnie.

Il est donc évident que l'équité consolide les empires et que l'injustice les désagrège. De fait, comment la méchanceté peut-elle posséder un royaume, elle qui ne peut pas gouverner même une seule famille de particuliers? Ainsi donc la plus grande obligeance est nécessaire afin que nous sauvegardions non seulement les pouvoirs publics, mais aussi les droits des particuliers. La bienveillance aide considérablement, elle qui s'applique à entourer tous les hommes de bienfaits, à les vaincre par des devoirs accomplis à leur égard, à les engager par la reconnaissance.

L'utilité de l'affabilité.

L'affabilité de la conversation également, nous l'avons dit, a une importance considérable pour gagner la reconnaissance.

Mais nous voulons cette affabilité sincère et mesurée, sans aucune flatterie, afin que la flatterie de la conversation ne disconvienne pas à la simplicité et à la vérité de l'entretien: nous devons être un modèle en effet pour tous les autres, non seulement dans l'action, mais encore dans la conversation, dans la chasteté et la foi. Soyons tels que nous voulons qu'on nous considère, et découvrons notre état d'âme tel que nous l'éprouvons. Et ne disons pas dans notre cœur une parole injuste que nous penserions cachée par le silence, car il entend les paroles dites en cachette, celui qui a fait les choses cachées, et il connaît les secrets du cœur, celui qui a infusé au cœur le sentiment. Par conséquent, établis pour ainsi dire sous les yeux du juge, pensons que tout ce que nous faisons est placé en pleine lumière pour être montré à tous.

L'utilité des bonnes fréquentations.

Ainsi, il est du plus grand profit pour chacun de se joindre aux gens de bien. Pour les jeunes gens aussi, il est utile de suivre des hommes illustres et sages, car « celui qui rencontre les sages est un sage, tandis que celui qui s'attache aux insensés est reconnu pour un insensé ». Et ainsi le profit est très grand, à la fois au titre de l'enseignement reçu et au titre de l'attestation d'honnêteté. Les jeunes gens montrent en effet qu'ils sont imitateurs de ceux auxquels ils s'attachent, et l'opinion s'accrédite qu'ils ont pris dans leur conduite la ressemblance de ceux avec qui, à la satisfaction de leur désir, ils ont vécu.

De là vient la grandeur de Josué, fils de Navé, que son union avec Moïse, non seulement l'introduisit dans la science de la Loi, mais encore le sanctifia dans la grâce. Ainsi, alors qu'on voyait, descendue sur la tente de Moïse, la majesté du Seigneur resplendir de l'éclat de la divine présence, Josué était seul dans la tente. Moïse parlait avec Dieu, mais Josué était également couvert par la nuée sacrée. Les prêtres et le peuple se tenaient en bas, mais Josué, accompagnant Moïse, faisait l'ascension pour recevoir la Loi. Tout le peuple était à l'intérieur du camp, mais Josué était en dehors du camp, dans la tente de l'alliance. Lorsque la colonne de nuée descendait et parlait avec Moïse, il se tenait auprès, comme un fidèle serviteur, et le jeune homme ne sortait pas de la tente, tandis que les anciens placés au loin tremblaient devant les prodiges de Dieu.

Partout donc, au milieu d'œuvres merveilleuses et de mystères vénérables, il se tenait inséparablement attaché au saint Moïse. Aussi arriva-t-il que celui qui avait été le compagnon de sa vie, devint l'héritier de son pouvoir. À juste titre, l'homme devint tel qu'il retint le cours des fleuves, dit: que le soleil s'arrête, et il s'arrêta — que le soleil, pour ainsi dire spectateur de sa victoire, retarda la nuit et prolongea le jour  — quoi? chose qui fut refusée à Moïse, que lui seul fut choisi pour faire entrer le peuple dans la terre de la promesse. Grand homme par les miracles de sa foi, grand par ses triomphes. Les œuvres de Moïse furent plus majestueuses, mais celles de Josué plus profitables. L'un et l'autre donc, soutenus par la grâce divine, avancèrent au-delà de la condition humaine: le premier commanda à la mer, le second au ciel.

Belle est donc l'union des anciens et des jeunes gens. Les uns ont le rôle du témoignage, les autres celui du réconfort; les uns celui de l'enseignement, les autres celui de l'agrément. Je ne retiens pas que Loth, tout jeune homme, s'attacha à Abraham, même quand il partit, de peur que d'aventure on ne considère que cela fut davantage le fait de la parenté et d'un lien inévitable plutôt que volontaire. Que dire d'Elie et d'Elisée? Bien que l'Ecriture n'ait pas indiqué de façon expresse qu'Elisée était jeune, cependant nous apercevons et constatons qu'il était assez jeune. Dans les Actes des apôtres, Barnabé s'attacha Marc, Paul Silas, Paul Timothée, Paul Tite.

Mais, d'après les exemples précédents, nous voyons que les devoirs se trouvaient répartis, en telle sorte que les anciens se distinguaient par le conseil et les jeunes par le service. La plupart du temps en outre, semblables par les vertus, mais dissemblables par les âges, ils trouvent plaisir à l'union entre eux, comme y trouvaient plaisir Pierre et Jean. De fait, nous lisons dans l'Evangile et de son propre aveu, que Jean était un jeune homme, bien que par les mérites et la sagesse il ne le cédât à aucun des anciens; il y avait en effet en lui la vieillesse vénérable de la conduite et la prudence des cheveux blancs. La vie sans tache en effet paie le prix d'une bonne vieillesse.

Ceci aide également au progrès d'une bonne réputation, de soustraire le faible aux mains du puissant, d'arracher à la mort le condamné; pour autant qu'on puisse le faire sans trouble, de peur que nous n'apparaissions agir en vue de la gloriole plutôt que de la miséricorde, et infliger de graves blessures dans notre désir d'en soigner de légères. Si tu as libéré un homme écrasé par la force d'un puissant et accablé par une cabale plutôt que pour le salaire de son crime, c'est alors que le témoignage d'une excellente réputation s'affermit.

L'utilité de l'hospitalité.

La plupart des gens trouvent une recommandation aussi dans l'hospitalité. C'est en effet une forme publique d'humanité que l'étranger ne soit pas privé d'une maison qui l'accueille, qu'il soit reçu comme il se doit, que la porte soit ouverte à qui arrive. Il est tout à fait convenable au jugement de tout le monde que les étrangers soient reçus avec honneur, qu'ils ne manquent pas de l'agrément d'une table accueillante, qu'ils rencontrent les devoirs de la générosité, que soit guettée l'arrivée des hôtes.

C'est ce qui fut imputé à l'éloge d'Abraham qui surveillait devant sa porte, de peur que par hasard quelque étranger ne passât outre, et montait attentivement la garde afin d'aller à la rencontre de l'hôte, de le prévenir, de le prier de ne pas aller au-delà, en disant: « Seigneur, si j'ai trouvé grâce auprès de toi, ne passe pas devant ton serviteur sans t'arrêter ». Et à cause de cela, pour prix de son hospitalité, il reçut la récompense d'une postérité.

Loth aussi, son neveu, qui lui était très proche, non seulement par la famille mais encore par la vertu, en raison de son sens de l'hospitalité détourna de lui et des siens les châtiments des habitants de Sodome.

Il convient donc d'être hospitalier, obligeant, juste, sans convoitise du bien d'autrui; bien plus, de céder quelque chose de son droit, si l'on a été provoqué, plutôt que de heurter les droits d'autrui; il convient de fuir les procès, de se détourner des querelles, d'acquérir à ce prix la concorde et l'agrément de la tranquillité. Car pour un homme de bien, abandonner quelque chose de son droit, ne représente pas seulement de la générosité, mais encore la plupart du temps un avantage: tout d'abord être exempt de la dépense d'un procès n'est pas un gain médiocre, ensuite s'ajoute au bénéfice ce par quoi s'accroît l'amitié d'où naissent les plus nombreux avantages. Et ces choses, pour celui qui néglige quelques droits en un temps, seront ensuite bénéfiques.

Or dans les devoirs de l'hospitalité, c'est à l'égard de tous assurément qu'il faut faire preuve d'humanité, mais il faut accorder aux justes davantage de marques d'honneur: « Quiconque en effet a reçu le juste à titre de juste, recevra la récompense du juste » comme l'a proclamé le Seigneur. Or si grand est aux yeux de Dieu l'agrément de l'hospitalité que pas même une boisson d'eau froide n'est privée des récompenses de la rétribution. Tu vois qu'Abraham reçut Dieu en qualité d'hôte, tandis qu'il recherchait des hôtes. Tu vois que Loth reçut des anges. D'où sais-tu, toi aussi, que tu ne reçois pas le Christ quand tu reçois un homme? Il est possible que le Christ soit dans l'hôte, puisque le Christ est dans le pauvre, comme lui-même le dit: « J'étais en prison et vous êtes venus à moi, j'étais nu et vous m'avez couvert ». C'est donc une douce chose, de rechercher non pas l'argent mais l'agrément. Or depuis longtemps ce mal s'est infiltré dans l'âme des hommes: l'argent est en honneur et les cœurs humains sont pris par l'admiration de la richesse. Aussi l'avarice s'est-elle introduite comme une sorte de sécheresse dans les devoirs de bonté, en telle sorte que les hommes tiennent pour un dommage tout ce qu'on dépense de plus que d'ordinaire. Mais sur ce point aussi, à l'encontre de l'avarice, afin qu'elle ne puisse constituer un empêchement, l'Ecriture vénérable et prévoyante dit que: « Meilleure est l'hospitalité qui offre des légumes... » et ensuite: « Meilleur est le pain offert avec douceur, dans la paix ». En effet l'Écriture ne nous enseigne pas d'être prodigues, mais généreux.

Générosité et prodigalité.

Il est de fait deux genres de largesse: l'un est celui de la générosité, l'autre celui de la prodigalité débordante.

Il est généreux d'offrir l'hospitalité, de vêtir qui est nu, de racheter les captifs, d'aider par sa dépense ceux qui sont démunis; c'est prodigalité de se répandre en festins somptueux avec grande abondance de vins; aussi as-tu lu: « Le vin est prodigue et l'ivresse injurieuse». C'est prodigalité d'épuiser ses propres ressources pour gagner la faveur du peuple, ce que font ceux qui dilapident leur patrimoine en jeux de cirque ou même de théâtre, en spectacles de gladiateurs ou encore en chasses, afin de l'emporter sur la célébrité de leurs prédécesseurs; or tout ce qu'ils font est vain, puisqu'il ne convient pas de manquer de mesure, même par des dépenses faites pour de bonnes entreprises.

Belle générosité que de garder la mesure à l'égard aussi des pauvres eux-mêmes, afin d'avoir des ressources pour un plus grand nombre; de ne pas répandre sans limite, pour gagner la faveur. Tout ce qui procède d'une intention pure et sincère, c'est cela qui est convenable: ne pas entreprendre des constructions superflues, mais ne pas omettre les nécessaires.

Et il convient surtout au prêtre, d'orner le temple de Dieu d'une beauté conforme au lieu, afin que la demeure du Seigneur resplendisse aussi de cette parure; de multiplier les frais convenables pour la pratique de la miséricorde; de dispenser, autant qu'il faut, aux étrangers, des dons non pas superflus mais appropriés, non pas surabondants mais conformes au sens de l'humain; il évitera, par la dépense pour les pauvres, de rechercher pour soi la reconnaissance d'autrui; de se montrer trop serré à l'égard des clercs ou trop complaisant. L'un de ces comportements est inhumain, l'autre prodigue: que la dépense soit insuffisante pour le besoin de ceux que l'on doit retenir à l'écart de la vile poursuite des affaires commerciales, ou que la dépense en vienne au coulage pour la jouissance.

L'utilité de la sincérité.

Bien plus, dans les paroles elles-mêmes et dans les préceptes, il convient qu'il y ait une mesure, de peur que n'apparaisse trop de relâchement ou trop de sévérité. La plupart des gens en effet préfèrent se montrer plus relâchés pour paraître bons, mais il est certain que rien de simulé et de feint n'appartient à une vertu sévère, bien plus, ne connaît, d'ordinaire, une longue durée: au début, cela éclôt, mais avec le temps qui passe, comme petite fleur, cela se disperse et s'anéantit, tandis que ce qui est vrai et sincère s'affermit sur une racine profonde.

Et afin, par des exemples de notre affirmation, de démontrer que ce qui est simulé ne peut être de longue durée, mais que, verdoyant en quelque sorte pour un temps, cela peut tomber rapidement, présentons un seul modèle de simulation et de tromperie, en faisant appel à cette famille dont nous avons tiré pour nous de très nombreux exemples afin de progresser dans la vertu.

Absalon était fils du roi David, supérieur par son charme, exceptionnel par sa beauté, remarquable par sa jeunesse; en telle sorte qu'on ne trouvait pas un homme semblable en Israël, qui fût sans tache, de la plante des pieds au sommet de la tête. Celui-ci se donna chars et chevaux, et cinquante hommes pour courir en avant de lui. Il se levait à la pointe du jour, et se tenait debout devant la porte, sur le chemin, et s'il avait remarqué quelqu'un qui réclamait les jugements du roi, il s'approchait de lui en disant: « De quelle cité es-tu? » L'homme répondait: « je suis de l'une des tribus d'Israël, et ton serviteur ». Absalon reprenait: « Tes paroles sont bonne et droites, et le roi ne t'a donné personne pour t'entendre. Qui m'établira juge? Qui que ce soit qui viendra auprès de moi, à quiconque un jugement aura été nécessaire, je lui rendrai justice. » Par de tels propos il gagnait les hommes un par un. Et quand ils s'approchaient pour se prosterner devant lui, il étendait les mains, les saisissait et les embrassait. C'est ainsi qu'il retourna en sa faveur les cœurs de tous, les flatteries de cette sorte atteignant la sensibilité du fond du cœur.

Mais ces gens choyés et ambitieux prirent parti pour ce qui était, temporairement, honorifique, aimable et agréable; dès que s'écoula un petit délai que le prophète, prévoyant toutes choses, estima devoir interposer en cédant quelque temps, ils ne purent le supporter et tenir. Finalement, ne doutant pas de la victoire, David recommandait son fils à ceux qui allaient combattre pour qu'ils l'épargnassent. Et c'est la raison pour laquelle il préféra ne pas participer au combat pour ne pas même paraître retourner ses armes contre un criminel sans doute, mais qui cependant était son fils.

Il est donc clair que sont durables et solides les entreprises qui sont vraies et qui sont organisées loyalement plutôt que par ruse; quant à celles qui ont été préparées par simulation et par flatterie, elles ne peuvent persister longtemps.

Qui donc peut croire fidèles à sa personne, ou bien ceux qu'on acquiert à l'obéissance à prix d'argent, ou bien ceux qu'on y convie par la flatterie? De fait, les premiers veulent se vendre fréquemment, et les seconds ne peuvent supporter les rudes commandements; la moindre petite flatterie les séduit facilement, mais si tu les a piqués d'un mot, ils murmurent, abandonnent, s'en vont hostiles, quittent avec indignation: ils aiment mieux commander qu'obéir; ils pensent que doivent leur être soumis, comme s'ils étaient assujettis par un bienfait, ceux qu'ils devraient tenir pour leurs chefs.

Qui donc peut estimer fidèles à sa personne, ceux qu'il a cru devoir s'attacher ou par l'argent ou par la flagornerie? De fait, celui qui a reçu de l'argent, se juge sans valeur et méprisé, s'il n'est souvent acheté: aussi attend-il fréquemment le prix de sa vente; et celui qui se voit entouré de supplications, veut toujours être sollicité.

Ainsi donc c'est avec de bonnes actions et avec pureté d'intention qu'il faut, je pense, tendre aux honneurs et surtout aux honneurs dans l'Eglise, sans qu'il se trouve ni prétention hautaine, ou négligence complaisante, ni aspiration honteuse et ambition inconvenante. La simplicité toute droite du cœur suffit abondamment à tout, et se recommande assez elle-même.

Mais dans la fonction même il ne convient, ni que la sévérité soit dure, ni la complaisance excessive, afin que nous ne paraissions pas exercer une magistrature, ou ne pas remplir du tout le devoir de la charge reçue.

L'utilité des bienfaits.

Il faut aussi s'efforcer de lier par des bienfaits et des devoirs accomplis, le plus grand nombre de gens, et de conserver la reconnaissance acquise, de peur qu'à bon droit ne deviennent oublieux du bienfait ceux qui s'affligent d'avoir été blessés gravement; souvent en effet l'expérience le montre: ceux que tu as entourés de ta faveur ou comblés par quelque dignité supérieure, tu te les aliènes si, de façon imméritée, tu juges devoir préposer quelqu'un d'autre à cette dignité. Mais il convient aussi que l'évêque porte attention à ses bienfaits ou à ses jugements, afin de sauvegarder l'équité, et qu'il soit déférent à l'égard du prêtre ou du ministre, comme à l'égard d'un proche.

Et il ne faut pas que ceux-ci, parce qu'une fois ils ont été approuvés, soient hautains, mais que plutôt, en se souvenant de la faveur reçue, ils gardent l'humilité; et il ne faut pas que l'évêque s'offense si un prêtre, ou un ministre, ou quelqu'un du clergé, pour la miséricorde, ou le jeûne, ou la chasteté, ou l'enseignement et la lecture, augmente l'estime qu'on a de lui. La reconnaissance de l'Eglise en effet est la louange du maître. C'est un bien que l'œuvre de quelqu'un soit vantée, à condition toutefois que cela se fasse sans aucun désir d'ostentation. Que chacun en effet soit loué par les lèvres des voisins et non par sa propre bouche, et qu'il soit recommandé par ses œuvres et non par ses désirs.

Au reste, si quelqu'un n'obéit pas à l'évêque, il cherche à s'élever et à se mettre en valeur, à éclipser les mérites de l'évêque par une imitation prétentieuse de l'enseignement, ou de l'humilité ou de la miséricorde; par ces comportements il est en dehors de la voie de la vérité, il s'enorgueillit: en effet, la règle de la vérité est que tu ne fasse rien de trompeur en vue de te recommander toi-même pour abaisser un autre, et si tu as quelque chose de bon, que tu ne l'utilises pas pour le détriment et la critique d'autrui.

Ne défends pas le malhonnête et ne pense pas à confier les choses saintes à un indigne, et à l'inverse, ne poursuis pas et n'attaque pas celui dont tu n'as pas découvert la faute. Car alors que chez tous les hommes l'injustice est. vite choquante, elle l'est au plus haut point dans l'Eglise, où il faut que réside l'équité, où il convient que l'on maintienne l'égalité, et afin que l'homme plus puissant ne réclame rien pour lui, que l'homme plus riche ne s'approprie rien de plus — en effet, qu'il s'agisse du pauvre ou qu'il s'agisse du riche, ils sont un dans le Christ — que l'homme plus saint ne s'arroge rien de plus: il sied en effet que lui-même soit plus humble.

Mais ne faisons pas acception de la personne d'autrui dans un jugement: que la faveur soit absente, que les mérites de la cause décident. Rien ne grève à ce point la réputation, bien plus la confiance, que si, en jugeant, l'on abandonne au puissant la cause du petit, ou si l'on accuse le pauvre qui est innocent, tandis que l'on disculpe le riche, coupable d'une faute. Assurément, le genre humain est porté à favoriser les hommes qui sont plus honorés, de peur qu'ils ne s'estiment offensés, de peur que déboutés, ils ne s'affligent. Mais d'abord, si tu redoutes une disgrâce, n'accepte pas de juger; si tu es prêtre ou si tu es quelqu'un d'autre, ne provoque pas. Il t'est permis de garder le silence dans une affaire qui n'est que pécuniaire, bien qu'il appartienne à la constance de soutenir l'équité. Mais dans la cause de Dieu, là où la communion de l'Eglise est en péril, même fermer les yeux n'est pas un péché léger.

Or quel profit as-tu à favoriser le riche? N'est-ce pas parce qu'il récompense plus rapidement celui qui l'aime? Nous favorisons en effet plus fréquemment ceux dont nous attendons la réciprocité d'une faveur en retour. Mais il convient d'autant plus de nous intéresser au faible et au pauvre, que, à la place de celui qui ne possède pas, c'est du Seigneur Jésus que nous attendons la récompense; or ce Jésus a fait connaître, sous l'image d'un festin, la norme générale des vertus, à savoir que nous accordions de préférence nos bienfaits à ceux qui ne pourraient nous les rendre, lorsqu'il estime qu'il faut inviter au festin et au banquet, non pas ceux qui sont riches, mais les pauvres. En effet les riches paraissent être priés au festin afin qu'eux-mêmes aussi nous le rendent, tandis que les pauvres, parce qu'ils n'ont pas de quoi donner en retour, quand ils ont reçu, font que le Seigneur est celui qui nous rend, lui qui s'est offert pour être l'obligé à la place du pauvre.

C'est également par rapport à l'intérêt temporel lui-même, que le don d'un bienfait, accompli à l'intention des pauvres plutôt qu'à celle des riches, est plus avantageux; car  le riche dédaigne un bienfait et il a honte d'être redevable d'une faveur. Bien plus, ce qui lui a été donné, il l'attribue à ses mérites: il pense qu'il l'a reçu comme un dû, ou bien qu'il lui a été accordé pour cette raison que celui qui l'a accordé, a supputé que le riche devrait lui rendre avec   plus   d'abondance. Ainsi en recevant un bienfait, par le fait même qu'ils l'ont reçu, les riches considèrent avoir accordé plutôt qu'avoir reçu. Tandis que le pauvre, bien qu'il n'ait pas de quoi rendre de l'argent, apporte en retour sa gratitude. Ce faisant, il est certain qu'il rend plus qu'il n'a reçu: la dette d'argent en effet s'acquitte avec du numéraire, mais la gratitude ne s'épuise jamais. En rendant, la dette d'argent s'éteint, tandis que la reconnaissance, et en gardant s'acquitte, et en acquittant se conserve. Enfin, chose que le riche évite, le pauvre avoue qu'il se sent lié par une dette; il pense qu'on lui est venu en aide et non pas qu'on lui a rendu hommage. Il juge que ses enfants lui ont été remis, que la vie lui a été rendue, que sa famille a été sauvée. Combien donc vaut-il mieux placer un bienfait chez de bonnes gens que chez des ingrats!

La nocivité de la cupidité.

C'est pourquoi le Seigneur dit à ses disciples: « Ne possédez ni or ni argent ni monnaie ». Par cette parole comme avec une faux, il coupa la cupidité qui proliférait dans les cœurs des hommes. Pierre aussi, au boiteux que l'on portait depuis sa naissance, déclara: « Je n'ai ni argent ni or, mais ce que j'ai, je te le donne. Au nom de Jésus-Christ de Nazareth, lève-toi et marche ». Aussi il ne lui donna pas de monnaie, mais il lui donna la santé. Combien vaut-il mieux tenir le salut sans monnaie que la monnaie sans le salut. Le boiteux se leva, ce qu'il n'espérait pas; il ne reçut pas la monnaie qu'il espérait.

Mais ceci se rencontre tout juste chez les saints du Seigneur, que la richesse soit objet de mépris.

Au reste la conduite humaine s'est tellement fondée sur l'admiration de la richesse, que personne s'il n'est riche, n'est réputé digne d'honneur. Et cet usage n'est pas récent, mais c'est depuis longtemps, ce qui est pire, que ce vice s'est implanté dans les âmes des hommes: en effet, quand Jéricho, la grande ville, se fut écroulée au son des trompettes des prêtres et que Josué fut en possession de la victoire, il apprit que le courage du peuple avait été affaibli par la cupidité et la convoitise de l'or; de fait, après qu'Achar eut soustrait des dépouilles de la ville en feu, une veste d'or, deux cents didrachmes d'argent et un lingot d'or, mis en présence du Seigneur, il ne put nier, mais révéla son larcin.

Ainsi donc la cupidité est ancienne et invétérée, elle qui a  commencé avec les oracles eux-mêmes de la loi divine; bien plus, c'est pour réprimer la cupidité même que la loi a été donnée. A cause de la cupidité, Balac pensa que Balaam pouvait être tenté par des récompenses, afin qu'il maudît le peuple des patriarches, et la cupidité l'eût emporté si le Seigneur n'avait pas interdit que le peuple fût tenu éloigné par une malédiction. A cause de la cupidité, Achar était tombé, il avait conduit à sa perte le peuple de nos pères. Et ainsi Josué qui put arrêter le soleil, l'empêchant d'avancer, ne put contenir la cupidité des hommes, l'empêchant de progresser. A sa voix,  le soleil s'immobilisa mais la cupidité ne s'immobilisa pas. Et ainsi, le soleil se tenant immobile, Josué mena à bien son triomphe, tandis qu'avec l'avancement de la cupidité, il faillit perdre la victoire.

Eh quoi! Le plus fort de tous les hommes, Samson, n'est-ce pas la cupidité de Dalila, une femme, qui le trompa? Et ainsi celui qui déchira de ses mains un lion rugissant, qui, enchaîné et livré à des étrangers, tout seul, sans aucune aide, après avoir rompu ses liens, tua parmi eux un millier d'hommes, lui qui cassa des cordes de nerfs tressés, comme de tendres fils de sparte, cet homme, la tête penchée sur les genoux de la femme, amputé, perdit l'ornement de sa chevelure invincible, le privilège de sa force. L'argent se répandit dans le giron de la femme et la grâce se retira de l'homme.

Ainsi donc fatale est la cupidité, séduisant l'argent qui corrompt ceux qui en ont, mais n'aide pas ceux qui n'en ont pas. Admettons cependant que l'argent aide quelquefois l'homme, de condition inférieure pourtant et qui lui-même le désire. Que représente-t-il pour celui qui ne le désire pas, qui ne le recherche pas, qui n'a pas besoin de son secours, que son attrait ne fait pas fléchir? Que représente-t-il pour les autres, si autre est celui, trop avide, qui a cet argent? Est-ce que par hasard cet homme offre une plus belle vie morale parce qu'il a ce qui fait perdre, la plupart du temps, la beauté morale, parce qu'il a quelque chose à garder plutôt qu'à posséder?

Nous possédons en effet ce dont nous usons, quant à ce qui dépasse notre usage, cela n'offre assurément pas l'avantage de la possession, mais le risque de la garde.

Au total nous savons que le mépris de l'argent est la norme de la justice, et pour cette raison nous devons éviter la cupidité et appliquer tout notre effort à ne rien faire jamais contre la justice, mais au contraire à la respecter dans toutes nos entreprises et œuvres.

Si nous voulons nous recommander auprès de Dieu, ayons la charité, soyons unis de cœur, observons l'humilité, estimant entre nous l'autre supérieur à soi. Telle est l'humilité: ne rien s'approprier à soi-même et estimer que l'on est inférieur. Que l'évêque se serve des clercs comme de ses propres membres, et surtout des diacres qui sont vraiment ses fils: celui qu'il aura vu apte à chaque fonction, qu'il l'y destine.

La concurrence des utilités:

1. Soigner ou amputer.

C'est avec peine que l'on ampute, fut-elle gangrenée, une partie du corps, et on la traite longtemps si l'on peut la guérir avec des médicaments; mais si l'on ne peut pas, alors le bon médecin la retranche. Tel est l'état d'âme du bon évêque qu'il souhaite guérir les malades, éliminer les plaies qui s'étendent, en brûler quelques-unes, ne pas retrancher; mais finalement, pour ce qui ne peut être guéri, le retrancher avec peine. En conséquence de quoi ce très beau précepte prend plus de relief, à savoir que nous considérions non pas nos intérêts, mais ceux des autres. De cette manière en effet il n'y aura rien que, soit par colère nous concédions à notre état d'âme, soit par faveur, nous accordions, au-delà de la justice, à notre volonté.

2. La fonte des vases sacrés pour le rachat des captifs.

C'est le plus grand stimulant de la miséricorde, que de compatir aux malheurs d'autrui, de subvenir aux besoins des autres, autant que nous le pouvons et plus parfois que nous ne le pouvons. Mieux vaut en effet fournir des prétextes d'accusation ou endurer l'hostilité en servant la miséricorde, que de montrer de la dureté; c'est ainsi qu'une fois nous avons encouru l'hostilité pour la raison que nous avions brisé des vases sacrés afin de racheter des captifs, ce qui aurait pu déplaire aux ariens; et que ce n'était pas tant le geste qui déplaisait que le fait qu'il y eût quelque chose qu'on pût nous reprocher. Or est-il un homme assez cruel, assez sauvage, assez insensible pour que lui déplaise qu'un être humain soit délivré de la mort, une femme des outrages des barbares, qui sont plus pénibles que la mort, que des jeunes filles ou de petits garçons ou des enfants le soient du contact des idoles auxquelles ils se souillaient par crainte de la mort?

Or cette affaire, bien que nous ne l'ayons pas menée sans quelque raison, cependant nous l'avons exposée devant le peuple de telle sorte que nous professions et démontrions qu'il avait été beaucoup plus approprié de conserver des âmes au Seigneur que de l'or. Celui en effet qui envoya les apôtres sans or, rassembla ses églises sans or. L'Eglise a de l'or, non pas pour le garder, mais pour le dépenser afin de porter secours dans les nécessités. Quel besoin y a-t-il de garder ce qui n'apporte aucune aide? Est-ce que nous ne savons pas combien d'or et d'argent les Assyriens enlevèrent du temple du Seigneur? N'est-il pas mieux que les prêtres fassent fondre ces objets pour nourrir les pauvres, si les autres secours font défaut, plutôt qu'un ennemi sacrilège ne risque de les emporter après les avoir profanés? Le Seigneur ne dirait-il pas: Pourquoi as-tu laissé tant de miséreux mourir de faim? Et assurément tu avais de l'or, tu aurais pu fournir de la nourriture. Pourquoi tant de prisonniers ont-ils été emmenés en vente et, n'ayant pas été rachetés, ont été tués par l'ennemi? Il aurait mieux valu que tu conserves les corps d'êtres vivants plutôt que des vases de métal.

A ces questions on ne pourrait pas apporter de réponse. Pourquoi en effet dirais-tu: J'ai craint que le temple de Dieu ne manquât de parure? Le Seigneur répondrait: Les mystères sacrés ne réclament pas d'or et n'ont pas de complaisance pour l'or, eux qui ne s'achètent pas à prix d'or; la parure des mystères est le rachat des prisonniers, Ceux-là sont en vérité des vases sacrés précieux, qui rachètent les âmes de la mort. Celui-là est le vrai trésor du Seigneur, qui effectue ce que son sang a effectué. C'est alors qu'on reconnaît le vase sacré du sang du Seigneur, quand on a vu le rachat à la fois dans le vase et dans le sang, en sorte que le calice rachète de l'ennemi ceux que le sang a rachetés du péché. Que c'est beau, quand des colonnes de prisonniers sont rachetées par l'Eglise, que l'on puisse dire: C'est ceux que le Christ a rachetés. Voici l'or que l'on peut approuver, voici l'or utile, voici l'or du Christ, or qui délivre de la mort, voici l'or qui rachète la pudeur, qui sauve la chasteté.

Ces hommes donc, j'ai préféré vous les remettre libres, plutôt que de conserver de l'or. Cette foule de prisonniers, cette théorie est plus brillante que la beauté des coupes. C'est à cette fonction que devait être utile l'or du Rédempteur, à savoir de racheter des hommes en péril. Je reconnais que, versé dans l'or, le sang du Christ ne l'a pas seulement fait rougir, mais encore qu'il lui a imprimé la vertu de l'œuvre divine par la fonction du rachat.

Tel est l'or que le saint martyr Laurent u conserva au Seigneur; alors qu'on lui réclamait les trésors de l'Église, il promit de les présenter. Le jour suivant, il amena des pauvres. On lui demanda où étaient les trésors qu'il avait promis; il montra les pauvres en disant: Voici les trésors de l'Eglise. Et c'est vraiment des trésors ceux en qui le Christ est présent, en qui la foi est présente. En effet l'apôtre dit: « Ayant un trésor dans des vases d'argile ».

Quels meilleurs trésors a le Christ que ceux en qui il a dit qu'il était présent? C'est ainsi en effet qu'il est écrit: « J'ai eu faim et vous m'avez donné à manger, j'ai eu soif et vous m'avez donné à boire, j'étais étranger et vous m'avez recueilli... En vérité ce que vous avez fait à l'un de ceux-ci, c'est à moi que vous l'avez fait ». Quels meilleurs trésors a Jésus que ceux en qui il aime qu'on le voie?

Ces trésors, Laurent les présenta, et il l'emporta parce que même le persécuteur ne put pas les enlever. Et ainsi Joachim qui, pendant le siège, conservait de l'or, sans le dépenser pour acquérir de la nourriture, vit l'or enlevé et emmené en captivité. Laurent qui préféra distribuer aux pauvres l'or de l'Eglise, plutôt que de le conserver au profit du persécuteur, reçut en récompense de l'ingéniosité exceptionnelle de sa manière de comprendre les choses, la couronne sacrée du martyre. Fut-il dit par hasard à saint Laurent: Tu n'aurais pas dû distribuer les trésors de l'Église, vendre les vases sacrés des mystères eucharistiques?

Il faut que l'on remplisse cet office avec une foi authentique et une prévoyance clairvoyante. Assurément, si quelqu'un détourne les gains à son profit, c'est un forfait; mais au contraire s'il distribue aux pauvres, rachète un prisonnier, c'est une œuvre de miséricorde. Personne en effet ne peut dire: Pourquoi le pauvre vit-il? Personne ne peut se plaindre parce que des prisonniers ont été rachetés; personne ne peut porter une accusation parce que le temple de Dieu a été construit; personne ne peut s'indigner parce que pour inhumer les restes des fidèles, des terrains ont été agrandis; personne ne peut s'affliger parce que, dans les sépultures des chrétiens, les défunts ont le repos. Pour ces trois genres d'usages, il est permis de briser, fondre et vendre, même une fois consacrés, les vases de l'Église.

Il faut que la forme de coupe eucharistique ne sorte pas de l'Église, de peur que le service du calice sacré ne passe à des usages impies. C'est pourquoi, à l'intérieur de l'Église, furent d'abord recherchés les vases sacrés qui n'auraient pas été consacrés; ensuite ils furent brisés et enfin fondus, partagés par petits morceaux et distribués aux indigents; ils servirent aussi comme rançons de prisonniers. Que si manquent des vases sacrés neufs, et qui se trouveraient n'avoir en aucune manière été utilisés, je pense que pour ce genre d'usage — que j'ai dit précédemment — tous les vases sacrés peuvent être transformés, conformément à la piété.

3. La garde ou l'abandon des dépôts.

On doit assurément veiller avec soin à ce que les dépôts des veuves demeurent intacts, qu'ils soient conservés sans aucun préjudice, et non seulement les dépôts des veuves, mais aussi ceux de tous; on doit, en effet, faire preuve de fidélité envers tous, mais la cause des veuves et des orphelins est plus grande.

C'est ainsi que par le seul mot de veuves, comme nous le lisons dans les Livres des Maccabées, tout ce qui avait été confié au temple, fut conservé. En effet, révélation avait été faite de sommes au sujet desquelles l'impie Simon dévoila au roi Antiochus qu'on pouvait les trouver, très considérables, dans le temple à Jérusalem; envoyé donc à cette fin, Héliodore vint au temple et découvrit au grand prêtre la malveillance de la révélation et le motif de sa venue.

Alors le prêtre dit qu'étaient en dépôt les moyens de subsistance des veuves et des orphelins. Et comme Héliodore voulait aller les dérober et en revendiquer la propriété au bénéfice du roi, les prêtres se jetèrent devant l'autel, revêtus des habits sacerdotaux; en pleurs ils suppliaient le Dieu vivant qui avait donné la loi sur les dépôts, de se montrer le gardien de ses propres préceptes. Mais l'altération du visage et du teint du grand prêtre exprimait la douleur de son âme et l'inquiétude de son esprit tendu. Tous pleuraient à la pensée que le lieu saint tomberait dans le mépris si, pas même dans le temple de Dieu, la garde de la fidélité n'était observée de façon sûre. Les femmes, la poitrine ceinte, et les jeunes filles enfermées frappaient à la porte; d'autres couraient aux murs, d'autres regardaient par les fenêtres, tous tendaient les mains vers le ciel, priant le Seigneur de soutenir ses propres lois.

Or Héliodore, que ne terrifiaient pas même ces spectacles, pressait ce qu'il avait entrepris, et avait entouré le trésor de ses gardes quand tout à coup lui apparut un terrible cavalier, étincelant de ses armes d'or; son cheval était équipé d'un caparaçon remarquable. Deux autres jeunes gens également apparurent, avec une force excep­tionnelle, d'une beauté aimable, dans l'éclat de la gloire, magnifiquement vêtus; ils se placèrent autour de lui et des deux côtés frappaient le sacrilège, sans aucune interruption, de coups continus. Bref, enveloppé de ténèbres il tomba à terre et, sous la révélation évidente de l'action de Dieu, il gisait inanimé; aucun espoir de salut ne subsistait plus en lui. La joie se leva pour ceux qui craignaient, mais la peur pour les orgueilleux, et abattus, certains des amis d'Héliodore priaient, demandant la vie pour lui parce qu'il rendait le dernier soupir.

Aussi à la prière du grand prêtre, les mêmes jeunes gens, de nouveau, apparurent à Héliodore, vêtus des mêmes costumes, et ils lui dirent: Rends grâce au grand prêtre Onias à cause de qui la vie t'a été rendue; quant à toi qui as fait l'expérience des fouets de Dieu, va et annonce à tous les tiens combien sont grandes, à ce que tu as reconnu, la sainteté du temple et la puissance de Dieu. Ayant dit ces mots, ils n'apparurent plus. Aussi Héliodore, ayant retrouvé ses esprits, offrit un sacrifice au Seigneur, rendit grâce au prêtre Onias et revint avec son armée auprès du roi en disant: Si tu as quelque ennemi ou comploteur contre ton pouvoir, envoie-le là-bas et c'est fouetté que tu le retrouveras.

Il faut donc, mes fils, observer la fidélité à l'égard des dépôts, y apporter du zèle. Votre ministère tire de l'éclat, d'une manière particulière, s'il arrive que la pression subie de la part d'un puissant, pression que la veuve ou les orphelins ne pourraient supporter, se trouve contenue grâce au secours de l'Église, s'il vous arrive de montrer que le commandement du Seigneur a plus de valeur à vos yeux que la faveur du riche.

Vous vous souvenez vous-mêmes combien de fois, à l'encontre des assauts des monarques, nous avons supporté le combat pour défendre les dépôts des veuves ou plutôt de tous. Cela m'est commun avec vous. Je citerai l'exemple récent de l'église de Pavie qui risquait de perdre le dépôt d'une veuve, qu'elle avait reçu. En effet devant la requête de celui qui prétendait revendiquer ce dépôt pour lui, en vertu d'un rescrit impérial, les clercs soutenaient énergiquement l'autorité de l'Église. Les honoraires aussi et les médiateurs commis rapportaient qu'on ne pouvait aller à l'encontre des prescriptions de l'empereur; lecture était donnée de la rédaction particulièrement nette du rescrit [1], des décrets d'exécution du maître des offices; le chargé de mission menaçait Que dire de plus? On avait livré le dépôt.

Cependant, après échange d'avis avec moi, le saint évêque assiégea les pièces où il avait appris que ce dépôt de la veuve avait été transporté. Quand les adversaires ne purent l'enlever, on le recouvra sous la condition d'une reconnaissance écrite. Ensuite, de nouveau le dépôt était réclamé en vertu de la reconnaissance écrite: l'empereur avait renouvelé sa prescription en telle sorte qu'en personne il nous citait par devant lui. On refusa et après qu'on eut représenté l'autorité de la loi de Dieu, la teneur du texte et le péril encouru par Héliodore, avec peine, enfin, l'empereur entendit raison. Dans la suite encore une action par surprise avait été tentée, mais le saint évêque prit les devants en sorte qu'il rendit à la veuve ce qu'il avait reçu. La fidélité cependant est sauve, la pression n'entraîne pas la crainte car c'était l'objet, non pas aussi la fidélité qui était en danger.

Conclusion.

Mes fils, fuyez les gens malhonnêtes, gardez-vous des gens envieux. Entre le malhonnête et l'envieux, voici la différence: le malhonnête trouve plaisir au bien qui le concerne, tandis que l'envieux est torturé par le bien qui concerne autrui, celui-là chérit de mauvais biens, tandis que celui-ci hait des biens véritables, en telle sorte que celui qui se veut du bien, est presque plus supportable que celui qui veut du mal à tous.

Mes fils, réfléchissez avant d'agir et quand vous aurez réfléchi assez longtemps, alors faites ce que vous jugez bon. L'occasion d'une mort digne d'éloges, lorsqu'elle s'offre, doit être saisie aussitôt: la gloire différée s'enfuit et n'est point facilement rattrapée.

Chérissez la foi parce que c'est par la foi et la piété que Josias s'acquit un grand amour de la part de ses ennemis, parce qu'il célébra la Pâque du Seigneur, à l'âge de dix-huit ans, comme personne avant lui. Ainsi, de même que par le zèle il l'emporta sur ses prédécesseurs, de même vous aussi, mes fils, ayez le zèle de Dieu. Que le zèle de Dieu vous prenne et vous absorbe en sorte que chacun de vous dise: « Le zèle de ta maison m'a pris ». Un apôtre du Christ est appelé le zélé. Pourquoi parlé-je d'un apôtre? Le Seigneur en personne dit: « Le zèle de ta maison me dévore ». Si donc le zèle de Dieu, non pas votre zèle humain, engendre la rivalité, que soit entre vous la paix qui domine tout sentiment.

Aimez-vous mutuellement. Rien de plus doux que la charité, rien de plus agréable que la paix. Et vous-mêmes, vous savez que, plus que tous les autres, toujours, je vous ai chéris et vous chéris: comme les fils d'un même père, vous avez grandi dans des dispositions de fraternité. Retenez tout ce qui est bon et le Dieu de la paix et de l'amour sera avec vous, dans le Seigneur Jésus à qui appartiennent l'honneur, la gloire, la magnificence, la puissance avec le saint Esprit pour les siècles des siècles. Amen.


[1] Un rescrit  est la réponse donnée par l'empereur consulté sur un point de droit par des magistrats ou des particuliers.

    

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