Abbé André Lejeune
1918-2010

“Adieu à André Lejeune”

L’Apocalypse de Jean et les Béatitudes de saint Matthieu nous entraînent vers la vision de Dieu. Forts e ces deux messages de l’Écriture, partons en voyage vers le ciel, guidés par André Lejeune. Long voyage de 92 ans pour aller de la terre au ciel.

Ce voyage commence en 1918 à la fin de ka grande guerre, peu de jours après l’armistice. André, comme un enfant de la paix, ouvre les yeux à Chassepierre en Belgique, un très joli village où quand j’avais vingt ans j’allais prendre le café chez le curé de l’époque, à pied à travers la forêt en venant de Matton. Havre de paix où sa famille avait prairies et cultures, famille chrétienne qui sera heureuse de voir André devenir prêtre. Après le petit séminaire à Reims, André reçoit la tonsure des mains du Cardinal Suhard, en 1937. Un accident de santé l’envoie alors à Thorenc dans une maison de repos des Alpes où beaucoup de prêtres de l’époque soignaient leur tuberculose, il y restera 8 mois, guéri, mais fragile. Il échappe au service militaire mais traverse les années de la guerre 40 dans le grand séminaire de Reims où le froid et la pénurie alimentaire sévissent. Ordonné prêtre par Monseigneur Marmottin en la fête des Saints Pierre et Paul, le 29 juin 1942, il est aussitôt envoyé comme vicaire dans les faubourgs du petit Reims de l’époque, trois ans à la paroisse du Sacré-Cœur et un an à Saint Remi. Là il est au service de nombreux enfants, par le catéchisme, le patronage du Jeudi et des vacances. Les jeunes prêtres apprenaient à être éducateurs de rues et révélateurs de l’amour de Jésus pour ces enfants qu’ils regardaient comme des personnes. Ils apportaient aussi aux familles par les Kermesses et les grandes fêtes religieuses un peu de joie, de repos, des signes de l’amour de Dieu.

Par quel mystère André est-il envoyé en plein hiver, le 18 février 1946 loin de Reims mais tout près de sa famille, comme curé d’Herbeuval et de Margny, dans la forêt et les pâtures, au milieu de 400 habitants, entre l’abbaye d’Orval qui va alors se relever de ses ruines et le Mont Saint Walfroy, sur les bords de la Chiers ?

Là il va se refaire une santé, ces petits villages sont remplis de chrétiens et fourniront des militants plus tard pour la société et pour l’Église. On est en 1946, la guerre avec l’Allemagne est enfin terminée, les habitants chassés des Ardennes interdites, évacués, sont rentrés ; les prisonniers sont revenus d’un exil de quatre ans, le travail reprend, tout est à faire, avec peu de moyens. A quelques kilomètres de là, à Blagny, et a Messempré, deux grandes usines métallurgiques prennent de l’extension et vont à elles deux embaucher plus de mille ouvriers. On ouvre les portes à une main d’œuvre étrangère. Des polonais, des italiens, des espagnols, des portugais viennent peupler nos vallées verdoyantes et travailler à la chaîne dans ces grandes forges, avec de longues journées et jusqu’à 65 ans. Beaucoup apportent leurs traditions chrétiennes.

En 1951 André est envoyé à 35 kilomètres de là, curé de La Grandville, Gernelle et Issancourt, une population de 1300 habitants. Là aussi de petites usines métallurgiques se développent, toute la population a du travail sur place ou à Charleville ou à Vivier au Court où viennent d’arriver marocains et algériens, première greffe inattendue de l’Islam. Le travail est rude, la paie est faible. Pour être un peu à l’aise il faut se tuer à faire des heures supplémentaires ; c’était le début de ce qu’on a appelé « les trente glorieuses » de l’industrie et du commerce. Beaucoup de familles construisent leurs maisons, achètent des voitures ; les hommes sont épuisés, mais les familles peuvent mettre leurs enfants à l’école car des cours complémentaires, les futurs CEG, s’ouvrent dans tous les chefs-lieux de canton. Les femmes elles-mêmes entrent en usine ou au bureau. Les familles sont dispersées et se mettent à manquer de temps pour bien vivre. Les contacts singuliers avec elles deviennent difficiles pour les prêtres.

En 1961 André retourne vers la Chiers, à Blagny, à cent pas de la grande usine, avec Linay et Sailly, le voici curé de deux mille habitants. Il découvre une vie syndicale de plus en plus organisée et un peuple besogneux réclamant plus de sécurité, plus d’hygiène, une paie plus élevée, de vrais temps de repos, et des droits, comme celui de participer à la marche des entreprises par des représentants élus. Cette naissance de militants ouvriers ne lui échappe pas mais son talent demeure d’abord auprès des personnes, en dehors de cette effervescence collective ne voyant pas trop qu’elle est source de dignité, de solidarité.

En 1969 il quitte les Ardennes et revient dans la Marne, à Val de Vesle, au pied de la Montagne de Reims, au milieu d’un autre monde de travailleurs assez pauvre par rapport au vignoble qui s’enrichit. Durant vingt trois ans il va être là comme un pasteur à l’écoute, très préoccupé par les vies personnelles et familiales de ses paroissiens. Beaucoup aiment ce prêtre aimable, ce bel homme à la prestance naturelle, son accueil, son sourire affectueux, qui dans un monde agité dispense le calme, le sérieux de la vie, sait accueillir, consoler, présenter les chemins de la réflexion et de la prière, révéler quelque chose du mystère de Dieu qui l’habite. « Les trente glorieuses » sont terminées, le chômage arrive, l’indifférence religieuse s’installe, les jeunes deviennent inaccessibles, la pastorale est difficile ; il m’a fait venir plusieurs fois pour rencontrer des groupes éphémères ; on lui confie, après la mort de leur curé, les paroisses voisines de Prosne, Bacone et Sept-Saulx. On est en 1994, il a 75 ans, il demande la relève.

Mais il ne sait pas encore qu’il a 16 ans de vie devant lui et voila que dans son cœur vont pouvoir s’épanouir son amour de Dieu, son attachement affectueux à Marie, son goût de la méditation et de la prière. Un courant puissant monte dans l’Église donnant naissance à des groupes de prière, de vie commune, de vie religieuse, c’est le courant charismatique dans lequel il s’inscrit et se trouve, c’est sa nouvelle famille. Il fréquente des groupes de la Marne, de l’Aisne et même, dans sa Belgique natale, il devient durant trois ans aumônier d’une communauté religieuse des Béatitudes qui vient de perdre son prêtre. Le voici distribuant ses trésors de bonté puisés dans la contemplation et ce service de la prière qui est le secret de sa force tranquille de prêtre.

A la résidence des Gobelins où il réside ces dernières années, des personnes de tout âge passent le voir, se confesser, profiter de ses conseils. La liberté que la retraite lui donne lui permet d’aller visiter ses modèles chez eux : le voici à Lourdes chez Bernadette, à Ars, à Avila, à Paray-le-Monial. Il aime en Belgique Beauraing et Banneux, il aime Lisieux et Sainte Thérèse. Il devient mystique. Emporté par sa dévotion à Marie sous le vocable de « Marie Porte du Ciel » il distribue cette belle icône qui l’aide à entrer en contemplation à tous ceux qui le visitent.

Le voyage derrière André Lejeune se termine bientôt quand viendra l’heure de la rencontre. Lui, malade, a quitté  ses amis des Gobelins et est venu mourir au milieu des prêtres de son âge à Nicolas Roland.

« Bienheureux les cœurs purs, ils verront Dieu ! »

Église Saint-Maurice de Reims
Lundi, 27-09-2010

Michel Jeanroy

 

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