L’Apocalypse de
Jean et les Béatitudes de saint Matthieu nous entraînent vers la
vision de Dieu. Forts e ces deux messages de l’Écriture, partons
en voyage vers le ciel, guidés par André Lejeune. Long voyage de
92 ans pour aller de la terre au ciel.
Ce
voyage commence en 1918 à la fin de ka grande guerre, peu de
jours après l’armistice. André, comme un enfant de la paix,
ouvre les yeux à Chassepierre en Belgique, un très joli village
où quand j’avais vingt ans j’allais prendre le café chez le curé
de l’époque, à pied à travers la forêt en venant de Matton.
Havre de paix où sa famille avait prairies et cultures, famille
chrétienne qui sera heureuse de voir André devenir prêtre. Après
le petit séminaire à Reims, André reçoit la tonsure des mains du
Cardinal Suhard, en 1937. Un accident de santé l’envoie alors à
Thorenc dans une maison de repos des Alpes où beaucoup de
prêtres de l’époque soignaient leur tuberculose, il y restera 8
mois, guéri, mais fragile. Il échappe au service militaire mais
traverse les années de la guerre 40 dans le grand séminaire de
Reims où le froid et la pénurie alimentaire sévissent. Ordonné
prêtre par Monseigneur Marmottin en la fête des Saints Pierre et
Paul, le 29 juin 1942, il est aussitôt envoyé comme vicaire dans
les faubourgs du petit Reims de l’époque, trois ans à la
paroisse du Sacré-Cœur et un an à Saint Remi. Là il est au
service de nombreux enfants, par le catéchisme, le patronage du
Jeudi et des vacances. Les jeunes prêtres apprenaient à être
éducateurs de rues et révélateurs de l’amour de Jésus pour ces
enfants qu’ils regardaient comme des personnes. Ils apportaient
aussi aux familles par les Kermesses et les grandes fêtes
religieuses un peu de joie, de repos, des signes de l’amour de
Dieu.
Par quel mystère
André est-il envoyé en plein hiver, le 18 février 1946 loin de
Reims mais tout près de sa famille, comme curé d’Herbeuval et de
Margny, dans la forêt et les pâtures, au milieu de 400
habitants, entre l’abbaye d’Orval qui va alors se relever de ses
ruines et le Mont Saint Walfroy, sur les bords de la Chiers ?
Là il va se refaire
une santé, ces petits villages sont remplis de chrétiens et
fourniront des militants plus tard pour la société et pour
l’Église. On est en 1946, la guerre avec l’Allemagne est enfin
terminée, les habitants chassés des Ardennes interdites,
évacués, sont rentrés ; les prisonniers sont revenus d’un exil
de quatre ans, le travail reprend, tout est à faire, avec peu de
moyens. A quelques kilomètres de là, à Blagny, et a Messempré,
deux grandes usines métallurgiques prennent de l’extension et
vont à elles deux embaucher plus de mille ouvriers. On ouvre les
portes à une main d’œuvre étrangère. Des polonais, des italiens,
des espagnols, des portugais viennent peupler nos vallées
verdoyantes et travailler à la chaîne dans ces grandes forges,
avec de longues journées et jusqu’à 65 ans. Beaucoup apportent
leurs traditions chrétiennes.
En 1951 André est
envoyé à 35 kilomètres de là, curé de La Grandville, Gernelle et
Issancourt, une population de 1300 habitants. Là aussi de
petites usines métallurgiques se développent, toute la
population a du travail sur place ou à Charleville ou à Vivier
au Court où viennent d’arriver marocains et algériens, première
greffe inattendue de l’Islam. Le travail est rude, la paie est
faible. Pour être un peu à l’aise il faut se tuer à faire des
heures supplémentaires ; c’était le début de ce qu’on a appelé
« les trente glorieuses » de l’industrie et du commerce.
Beaucoup de familles construisent leurs maisons, achètent des
voitures ; les hommes sont épuisés, mais les familles peuvent
mettre leurs enfants à l’école car des cours complémentaires,
les futurs CEG, s’ouvrent dans tous les chefs-lieux de canton.
Les femmes elles-mêmes entrent en usine ou au bureau. Les
familles sont dispersées et se mettent à manquer de temps pour
bien vivre. Les contacts singuliers avec elles deviennent
difficiles pour les prêtres.
En 1961 André
retourne vers la Chiers, à Blagny, à cent pas de la grande
usine, avec Linay et Sailly, le voici curé de deux mille
habitants. Il découvre une vie syndicale de plus en plus
organisée et un peuple besogneux réclamant plus de sécurité,
plus d’hygiène, une paie plus élevée, de vrais temps de repos,
et des droits, comme celui de participer à la marche des
entreprises par des représentants élus. Cette naissance de
militants ouvriers ne lui échappe pas mais son talent demeure
d’abord auprès des personnes, en dehors de cette effervescence
collective ne voyant pas trop qu’elle est source de dignité, de
solidarité.
En 1969 il quitte
les Ardennes et revient dans la Marne, à Val de Vesle, au pied
de la Montagne de Reims, au milieu d’un autre monde de
travailleurs assez pauvre par rapport au vignoble qui
s’enrichit. Durant vingt trois ans il va être là comme un
pasteur à l’écoute, très préoccupé par les vies personnelles et
familiales de ses paroissiens. Beaucoup aiment ce prêtre
aimable, ce bel homme à la prestance naturelle, son accueil, son
sourire affectueux, qui dans un monde agité dispense le calme,
le sérieux de la vie, sait accueillir, consoler, présenter les
chemins de la réflexion et de la prière, révéler quelque chose
du mystère de Dieu qui l’habite. « Les trente glorieuses » sont
terminées, le chômage arrive, l’indifférence religieuse
s’installe, les jeunes deviennent inaccessibles, la pastorale
est difficile ; il m’a fait venir plusieurs fois pour rencontrer
des groupes éphémères ; on lui confie, après la mort de leur
curé, les paroisses voisines de Prosne, Bacone et Sept-Saulx. On
est en 1994, il a 75 ans, il demande la relève.
Mais il ne sait pas
encore qu’il a 16 ans de vie devant lui et voila que dans son
cœur vont pouvoir s’épanouir
son
amour de Dieu, son attachement affectueux à Marie, son goût de
la méditation et de la prière. Un courant puissant monte dans
l’Église donnant naissance à des groupes de prière, de vie
commune, de vie religieuse, c’est le courant charismatique dans
lequel il s’inscrit et se trouve, c’est sa nouvelle famille. Il
fréquente des groupes de la Marne, de l’Aisne et même, dans sa
Belgique natale, il devient durant trois ans aumônier d’une
communauté religieuse des Béatitudes qui vient de perdre son
prêtre. Le voici distribuant ses trésors de bonté puisés dans la
contemplation et ce service de la prière qui est le secret de sa
force tranquille de prêtre.
A la résidence des
Gobelins où il réside ces dernières années, des personnes de
tout âge passent le voir, se confesser, profiter de ses
conseils. La liberté que la retraite lui donne lui permet
d’aller visiter ses modèles chez eux : le voici à Lourdes chez
Bernadette, à Ars, à Avila, à Paray-le-Monial. Il aime en
Belgique Beauraing et Banneux, il aime Lisieux et Sainte
Thérèse. Il devient mystique. Emporté par sa dévotion à Marie
sous le vocable de « Marie Porte du Ciel » il distribue cette
belle icône qui l’aide à entrer en contemplation à tous ceux qui
le visitent.
Le voyage derrière
André Lejeune se termine bientôt quand viendra l’heure de la
rencontre. Lui, malade, a quitté ses amis des Gobelins et est
venu mourir au milieu des prêtres de son âge à Nicolas Roland.
« Bienheureux les cœurs purs, ils verront Dieu ! »
Église
Saint-Maurice de Reims
Lundi, 27-09-2010
Michel Jeanroy |