La bergère d'Almendral qui
devint prieure au Carmel
Anne Garcia est née le 1er octobre
1549, à Almendral de la Cañada, près d'Avila en Castille, la sixième de sept
enfants, dans un foyer fervent qui pratique la dévotion à la Passion du Christ,
médite la vie des saints et entretient un vif amour de l'Église. Lorsque la
jeune Anne devient orpheline, elle n'a que dix ans. Ses frères aînés la prennent
en charge et font d'elle une bergère. Bien qu'elle se plaise dans les champs et
la nature, Anne a dès l'enfance le désir de se donner à Dieu. Fait exceptionnel,
elle est gratifiée à partir de dix ans d'expériences mystiques qui se
poursuivront toute sa vie. Par discrétion, elle ne divulgue pas ces faveurs.
Viennent les épreuves : incomprise de ses frères, elle rencontre un prêtre qui
la comprend et l'accompagne au monastère entrevu lors de ses visions. Ce carmel
est celui de Saint-Joseph d'Avila, fondé quelques années auparavant par Thérèse
de Jésus...
Anne entre au couvent le 2 novembre
1570 comme sœur du voile blanc (converse) ; elle prend le nom de Sœur Anne de
Saint-Barthélemy, en raison d'une guérison attribuée à l'apôtre peu avant son
entrée au noviciat. Professe le 15 août 1572, elle devient l'inséparable
compagne, infirmière et secrétaire de sainte Thérèse de Jésus qui mourra dix ans
plus tard. Anne, jusqu'ici analphabète, apprend à écrire en copiant les lettres
de la Réformatrice du Carmel. Sa vie durant, la « fille » demeure très
reconnaissante envers la « Mère » qu'elle vénère comme une sainte. Elle
participe aux quatre dernières fondations de la Madre qui expire dans ses bras
le 4 octobre 1582, à Alba de Tormes. À partir de 1582, la seule préoccupation
d'Anne est la sauvegarde intégrale de l'esprit thérésien. Sa vie de sœur
converse se poursuit en Espagne pendant vingt-deux ans : les monastères d'Avila,
de Madrid et d'Ocaña — dont elle prend part à la fondation en 1595 — se
disputent sa présence. Digne héritière de la Madre, elle a pour charisme le bon
sens, la simplicité et la joie spirituelle. Anne de Saint-Barthélemy en est
contagieuse... !
Lorsque les Carmélites espagnoles
franchissent les Pyrénées en 1604, Anne compte parmi les six compagnes qui, avec
les ecclésiastiques français, inaugureront le premier monastère de Paris. En
janvier 1605, malgré ses réticences, elle se voit imposer le voile noir des
sœurs choristes et devient prieure. C'est ainsi qu'à la « petite bergère » est
confié le priorat, d'abord à Pontoise, à Paris — l'actuel Carmel de Clamart —
puis à Tours, jusqu'en 1611. Ne pouvant obtenir la juridiction des Carmes en
France, elle rejoint ses compatriotes arrivées en Flandres en 1607. Maîtresse
des novices à Mons, elle prépare pendant une année la fondation d'Anvers qui se
fera en 1612. Ce monastère, comme tous les autres en Flandres, est placé sous la
juridiction de l'Ordre et relève de la Congrégation d'Italie. Anne en est la
fondatrice et assumera la charge de prieure jusqu'à sa mort, survenue le 7 juin
1626.
De son vivant, on lui avait
attribué la préservation d'Anvers contre les attaques hollandaises de 1622 et
1624 ; très tôt, des démarches sont entreprises pour sa béatification. Le 29
juin 1735, Clément XII proclame l'héroïcité de ses vertus et le 6 mai 1917,
Benoît XV la déclare Bienheureuse. Son titre de « libératrice d'Anvers » sera
pleinement confirmé en 1944-1945 lorsque le grand port flamand échappe aux
assauts des puissances de l'Axe.
Sa vie spirituelle
Anne parle souvent de Dieu présent
comme une personne humaine. Pour elle, Dieu se donne et cherche qui veut bien
partager sa vie. Elle prie Dieu à grands cris pour son Église. Dans ses lettres,
on retrouve souvent l'invitation à faire « la volonté de Dieu », à lui «
recommander ces affaires », c'est-à-dire les intentions confiées aux carmélites.
La spiritualité d'Anne de
Saint-Barthélemy se reconnaît au christocentrisme typiquement thérésien, à sa
dévotion à la Sainte Humanité de Jésus et à l'idéal carmélitain de vivre avec le
Christ et pour lui. Fréquemment gratifiée de visions imaginaires, mais aussi de
paroles intérieures, elle accueille ces grâces particulières comme des
consolations, comme un pur don du Seigneur pour son progrès spirituel. Les
recevant avec humilité, Anne fait preuve d'un zèle pour la gloire de Dieu qui
s'en trouve confirmé. Âme à la foi vive, amoureuse de Celui qui l'entoure de ses
prévenances, elle entre de plain-pied dans la mystique nuptiale chère au Carmel
thérésien : le Christ-Époux s'unissant à l'Église-Épouse. Sa joie est de le
posséder dans la communion sacramentelle. Dans les monastères thérésiens on
avait le privilège, rare à cette époque, de pouvoir communier tous les dimanches
et aux solennités.
Sa « vocation première » : le
service
Anne est entrée au Carmel pour se
consacrer totalement à Dieu et au service des autres. Foncièrement altruiste,
elle tient plus en estime son prochain qu'elle-même. Les charges qui lui
reviennent le plus souvent sont : cuisinière, infirmière, portière... et parfois
les trois en même temps ! Lorsqu'elle ne peut prier le jour, elle consacre une
partie de la nuit à l'oraison. Servir pour elle est primordial : elle affirme
sans relâche que sa « vocation première » au Carmel est le service. Devenue
prieure, cet idéal la poursuit sans qu'il soit détourné par les honneurs. La
charge, qui lui confère l'autorité morale, loin de l'écraser, la rend
compatissante pour les personnes qui souffrent, tant à l'intérieur du cloître
qu'au-dehors. Son ardeur apostolique, c'est le zèle des âmes, le salut du monde.
Selon le P. Sérouet, « Anne de
St-Barthélemy est une réplique fidèle de la vie et de l'enseignement de sa
sainte Mère Thérèse de Jésus. Son enseignement spirituel n'a rien de théorique
ou de didactique. »
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