SENS MYSTIQUE DE LA CRÉATION.
Toute créature tient l’être de la pure bonté de Dieu. — Il
découvre dans les premières paroles de la Genèse et la Trinité de Dieu et la
propriété de la personne du Saint-Esprit. — Image de la Trinité dans l’Homme. —
Dieu procède dans l’institution de l’Eglise comme dans la création du monde. —
Sens mystique de la création.
INVOCATION. — GRATUITE MUNIFICENCE DE DIEU.
1. Je vous invoque, ô mon Créateur, mon Dieu et ma
miséricorde, qui avez gardé mon souvenir quand j’avais perdu le vôtre. Je vous
appelle dans mon âme, et vous la préparez à vous recevoir en lui inspirant ce
vif désir de votre possession. Oh! répondez aujourd’hui à cet appel que vous
avez devancé, quand vos cris réitérés, venant de si loin à mon oreille, me
pressaient de me retourner et d’appeler à moi Celui qui m’appelait à lui.
Seigneur, vous avez effacé tous mes péchés, afin de n’avoir point à solder les
oeuvres de mon infidélité, et vous avez prévenu mes oeuvres méritantes, afin de
me rendre selon le bien opéré en moi par vos mains, dont je suis l’ouvrage. Car
vous étiez avant que je fusse, et je n’étais rien à qui vous pussiez donner
d’être. Et me voilà toutefois, je suis par votre bonté qui a devancé tout ce que
vous m’avez donné d’être, tout ce dont vous m’avez fait. Vous n’aviez pas besoin
de moi, et je ne suis pas tel que ce peu de bien que je suis vous seconde, mon
Seigneur et mon Dieu; que mes services vous soulagent, comme si vous vous
lassiez en agissant; que votre puissance souffrit de l’absence de mon hommage;
que vous réclamiez mon culte, comme la terre réclame ma culture, sous peine de
stérilité; mais vous voulez mes soins, vous voulez mon culte, afin que je trouve
en vous le bien de mon être; car vous m’avez donné l’être qui me rend capable de
ce bien.
TOUTE
CRÉATURE TIENT L’ÊTRE
DE LA PURE BONTÉ DE DIEU.
2. C’est de la plénitude de votre bonté que vos
créatures ont reçu l’être; vous avez voulu qu’un bien fût qui ne pût procéder
que de vous, inutile, inégal à vous-même. Etiez-vous donc redevable au ciel, à
la terre, que vous avez créés dans le principe? Je le demande à ces créatures
spirituelles et corporelles que vous avez formées dans votre sagesse, leur
étiez-vous redevable de cet être, même imparfait, même informe, dans l’ordre
spirituel ou corporel, être tendant au désordre et à l’éloignement de votre
ressemblance? L’être spirituel, fût-il informe, est supérieur au corps formé; et
cet être corporel, fût-il informe, est supérieur au néant; et tous deux
demeureraient comme une esquisse informe de votre Verbe, si ce même Verbe ne les
eût rappelés à votre unité, en leur donnant la forme, et cette excellence qu’ils
tiennent de votre souveraine bonté. Leur étiez-vous redevable de cette informité
même, où ils ne pouvaient être que par vous?
3. Etiez-vous redevable à la matière corporelle de
l’être, même invisible et sans ordre? car elle n’eût pas même été cela, si vous
ne l’eussiez faite; et n’étant pas, comment pouvait-elle mériter de vous son
être? Et cette ébauche de créature spirituelle, lui étiez-vous redevable de cet
être même ténébreux et flottant, semblable à l’abîme, dissemblable à vous, où
elle serait encore, si votre Verbe ne l’eût ramenée à son principe, et, en
l’illuminant, ne l’eût faite lumière, non pas égale, mais conforme à votre
égalité formelle? Pour un (501) corps, être et être beau, n’est pas tout un;
autrement tous seraient beaux : ainsi, pour l’esprit créé, ce n’est pas tout un
que de vivre, et de vivre sage; autrement il serait immuable dans sa sagesse.
Mais il lui est bon de s’attacher toujours à vous, de peur qu’abandonné de la
lumière dont il se retire, il ne retombe dans cette vie de ténèbres, semblable à
l’abîme. Et nous aussi, créatures spirituelles par notre âme, autrefois loin de
vous, notre lumière, « n’avons-nous pas été ténèbres en cette « vie (Ephés. V,
8) » et ne luttons-nous pas encore contre les dernières obscurités de cette nuit
jusqu’au jour où nous serons justice dans votre Fils, élevés à la hauteur des
montagnes saintes, après avoir été une profondeur d’abîme sondée par vos
jugements (Ps. XXXV, 7)?
TOUT
PROCÈDE DE LA GRÂCE DE DIEU.
4. Quant à ces paroles que vous dites au début de la
création : « Que la lumière soit, et la lumière fut (Gen. I, 3), » je les
applique sans inconvénient à la créature spirituelle, parce qu’elle était déjà
vie quelconque, pour recevoir votre lumière. Mais si elle n’avait pas mérité de
vous. cette vie capable de votre lumière, avait-elle mérité davantage le don que
vous lui en avez fait? Car son informité n’eût pu vous plaire, si elle ne fût
devenue lumière, non par nature, mais par l’intuition de votre 1umière
illuminante, par son union avec elle, afin que ces préludes de vie et cette
béatitude de vie, elle ne les dût qu’à votre grâce, qui la tourne, par un
heureux changement, vers ce qui est également incapable de pis et de mieux, vers
vous, seul être simple, pour qui vivre c’est vivre heureux, parce que vous êtes
à vous-même votre béatitude.
DIEU
N’AVAIT PAS BESOIN DES CRÉATURES.
5. Que manquerait-il donc à votre félicité, félicité
qui est vous-même, quand toutes ces créatures demeureraient encore dans le néant
ou l’informité? Aviez-vous besoin d’elles? et n’est-ce point par la plénitude de
votre bonté que vous les avez faites? Et votre joie était-elle intéressée au
complément de leur être? Loin que vous soyez imparfait, pour attendre votre
perfection de la leur , parfait comme vous l’êtes, leur imperfection vous
déplaît, et vous les perfectionnez pour qu’elles vous plaisent. Car votre
Esprit-Saint était porté au-dessus des eaux ( Gen. 1, 2), et non par les eaux,
comme s’il se fût reposé sur elles, lui qui fait reposer en soi ceux en qui l’on
dit « qu’il repose (Is. XI, 2) » Mais c’est votre volonté incorruptible,
immuable, se suffisant à elle-même, qui était portée au-dessus de cette vie,
votre création, en qui la vie et la béatitude ne sont pas même chose,
puisqu’elle ne laisse pas de vivre dans la fluctuation de ses ténèbres, et qu’il
lui faut se tourner vers son auteur, puiser de plus en plus la vie à la source
de la vie, voir la lumière dans sa lumière (Ps. XXXV, 10), et en recevoir
perfection, gloire, béatitude.
DE
LA TRINITÉ.
6. Et maintenant m’apparaît comme en énigme votre
Trinité, mon Dieu. C’est dans le Principe de votre sagesse, qui est notre
sagesse, ô Père! née de vous, égale et coéternelle à vous, c’est dans votre Fils
que vous avez fait le ciel et la terre. Et que n’ai-je pas dit sur le ciel du
ciel, sur la terre invisible et sans forme, sur cet abîme de ténèbres, qui
serait livré à toutes les tourmentes de l’informité spirituelle, s’il ne se fût
fixé devant Celui par qui il était vie quelconque, et dont la lumière allait
répandre sur cette vie la forme et la beauté, pour qu’elle devînt ce ciel du
ciel, créé depuis, et résidant entre les eaux? Et déjà, par ce nom de Dieu,
j’atteignais le Père, qui a tout fait, par celui de Principe, le Fils en qui il
a tout fait; et, dans ma ferme croyance que mon Dieu est une Trinité, je
consultais les paroles saintes, qui me répondent : « Et l’Esprit était porté
au-dessus des eaux. » Et voilà mon Dieu-Trinité, Père, Fils et Saint-Esprit,
seul Dieu, Créateur de toutes les créatures.
COMMENT
L’ESPRIT DE DIEU ÉTAIT PORTÉ
AU-DESSUS DES EAUX.
7. Mais, ô lumière de vérité, je place près de vous ce
coeur qui ne m’enseignerait que vanités; dissipez ses ténèbres, et dites-moi, je
vous en conjure par votre charité, notre mère, (502) dites-moi, je vous en
supplie, pourquoi n’est-ce qu’après avoir nommé le ciel et la terre, invisible
et saris forme, et les ténèbres répandues sur l’abîme, que votre Ecriture nomme
l’Esprit-Saint? Etait-il donc nécessaire, pour nous en suggérer la connaissance,
de le représenter comme « porté au-dessus, » en désignant d’abord au-dessus de
quoi? Ce n’était ni au-dessus du Père, ni au-dessus du Fils, ni sans doute
au-dessus de rien. Il fallait donc indiquer d’abord au-dessus de quoi il était
porté, lui dont il était impossible de parler, sans le dire « porté. » Mais
pourquoi?
EFFETS
DU SAINT-ESPRIT.
8. Et maintenant suive qui pourra de l’esprit le vol de
l’Apôtre dans cette parole sublime : « La charité se répand dans nos coeurs «
par le Saint-Esprit qui nous est donné ((Rom. V, 5); »soit qu’il nous enseigne
les voies spirituelles et les voies suréminentes de l’amour, soit qu’il
fléchisse le genou devant vous, pour nous obtenir la grâce d’être initiés « à la
science suréminente de la charité du Christ ( Ephés. III, 14-19). » Et voilà
pourquoi, suréminent dès le principe, il paraissait au-dessus des eaux.
Mais à qui parler? mais comment parler de ce poids de
concupiscence qui gravite vers l’abîme, et de l’attraction sublime de la.
charité par la vertu de votre Esprit, qui « planait sur « les eaux? » Quel sera
mon auditeur? quelle sera ma parole? On plonge, on surnage; et il n’y a là ni
fond, ni rive. Quelle similitude plus dissemblable? Ce sont nos affections, ce
sont nos amours, c’est l’impureté de notre esprit que précipite l’amour des
soins de la terre; et c’est la sainteté de votre Esprit qui nous soulève vers le
ciel, par l’amour de la paix éternelle, afin que nos coeurs s’élèvent en haut
jusqu’à vous, où votre Esprit plane sur les eaux, et que notre âme, après la
traversée de ces eaux mobiles de la vie (Ps. CXXIII, 5), aborde à la suréminence
du repos.
L’UNION
AVEC DIEU,
UNIQUE FÉLICITÉ DES ÊTRES INTELLIGENTS.
9. L’esprit de l’ange, l’âme de l’homme se sont
dissipés dans leur chute comme l’eau qui s’écoule, et ils ont signalé l’abîme
ténébreux où serait ensevelie toute créature spirituelle, si vous n’eussiez dit
au commencement: « Que la lumière soit! » ralliant à vous l’obéissance des
esprits habitants de la cité céleste, pour assurer leur paix au sein de votre
Esprit qui demeure immuable au-dessus de tout ce qui change. Autrement ce ciel
du ciel ne serait par lui-même qu’abîme et ténèbres; « et maintenant il est
lumière dans le Seigneur ( Ephés. V, 8). » Et, en vérité, cette inquiétude
malheureuse des intelligences déchues de votre lumière, leur splendide vêtement,
et réduites aux haillons de leurs ténèbres, parle assez haut; témoin éloquent de
l’excellence où. vous avez élevé cette créature raisonnable, qui ne saurait se
suffire : car il ne lui faut rien moins que vous-même pour qu’elle ait sa
béatitude et son repos. « Vous «êtes, ô mon Dieu, la lumière de nos ténèbres
(Ps. XVII, 29), » notre robe de gloire; « et notre nuit rayonne comme le jour à
son midi (Ps. CXXXVIII, 12). »
Oh! donnez-vous à moi, mon Dieu! rendez-vous à moi! Je vous
aime; et si mon amour est encore trop faible, rendez-le plus fort. Je ne saurais
mesurer ce qu’il manque à mon amour; et combien il est au-dessous du degré qu’il
doit atteindre, pour que ma vie se précipite dans vos embrassements, et ne s’en
détache point qu’elle n’ait disparu tout entière dans les plus secrètes clartés
de votre visage (Ps. XXX, 21). Tout ce que je sais, c’est que partout ailleurs
qu’en vous, hors de moi, comme en moi, je ne trouve que malaise, et toute
richesse qui n’est pas mon Dieu, n’est pour moi qu’indigence.
POURQUOI
IL EST DIT, SEULEMENT
DU SAINT-ESPRIT, QU’IL ÉTAIT PORTÉ SUR LES EAUX.
10. Mais le Père, mais le Fils, n’étaient-ils pas portés
au-dessus des eaux? Si l’on se fait une idée de corps et d’espace, ces paroles
ne conviennent plus même au Saint-Esprit. Si l’on y voit l’immuable suréminence
de la divinité qui demeure au-dessus de tout ce qui change, le (503) Père, et le
Fils; et le Saint-Esprit étaient ensemble portés sur les eaux. Pourquoi donc
l’Ecriture ne parle-t-elle que de votre Esprit? pourquoi parle-t-elle de lui
seul, comme s’il y avait lieu là où le lieu n’est pas, en celui de qui seul il a
été dit qu’il est votre don? Le don où nous jouissons du repos, où nous
jouissons de vous-même; repos des âmes, lieu des esprits!
C’est là où nous élève l’amour; et votre divin Esprit
retire notre humilité des portes de la mort ( Ps. IX, 5); et « notre paix est
dans notre bonne volonté (Luc, II, 14) ». Le corps tend à son lieu par son
poids; et ce poids ne tend pas seulement en bas, mais au lieu qui lui est
propre. La pierre tombe; le feu s’élance; l’un et l’autre gravite suivant son
poids et suivant son centre. L’huile versée dans l’eau monte au-dessus de l’eau;
l’eau versée dans l’huile descend au-dessous de l’huile; l’un et l’autre suit
son poids et cherche son centre. Hors de l’ordre, trouble; dans l’ordre, repos.
Mon poids, c’est. mon amour; où que je tende, c’est lui qui m’emporte. C’est
votre don, c’est votre Esprit qui allume, qui volatilise notre coeur. Il nous
embrase et nous enlève. Nous montons à l’échelle de l’âme (Ps. LXXXIII, 6), en
chantant le cantique des degrés. C’est le feu de l’amour, c’est votre feu divin
qui nous consume et nous ravit au centre de la paix, au sein de Jérusalem; et
« je trouve ma joie dans cette heureuse promesse : Nous irons à la maison du
Seigneur (Ps. CXXXI, 1). » Et c’est la bonne volonté qui nous y fait une place;
et nous n’avons plus rien à vouloir, que cette demeure éternelle.
BONHEUR
DES PURES INTELLIGENCES.
11. O béatitude de la créature qui n’a jamais connu
d’autre état que cette félicité, où elle ne se fût jamais élevée d’elle-même,
si, à l’instant immédiat de sa création, votre Don, porté sur toutes choses
muables, ne l’eût exaltée à l’appel de votre voix. « Que la lumière soit, et la
« lumière fut ( Gen. I, 3). » En nous, il y a distinction de temps : temps où
nous sommes ténèbres; temps où nous devenons lumière (Ephés. V, 8). Mais, en
parlant de ces pures intelligences, l’Ecriture ne fait qu’indiquer ce qu’elles
eussent été sans l’illumination divine; et elle les suppose à l’état de
fluctuation ténébreuse, pour nous signaler la cause de leur gloire surnaturelle
: c’est-à-dire leur union lumineuse avec la lumière sans ombre et sans
défaillance. Entende qui peut; qui ne peut, vous invoque ! — Car, enfin, que me
veut-on? Suis-je la lumière qui éclaire tout homme venant au monde ( Jean 1,9)?
IMAGE DE
LA TRINITÉ DANS L’HOMME.
12. Où est l’homme qui comprend la toute-puissante Trinité?
où est l’homme qui n’en parle? et peut-on dire qu’il en parle? Bien rare est
l’intelligence qui en parle avec la science de sa parole. Et l’on conteste, et
l’on dispute; et c’est un mystère qui demeure voilé aux âmes où la paix n’est
pas. Je voudrais que les hommes observassent en eux-mêmes un triple phénomène;
simplitude infiniment différente de la Trinité sainte, mais que j’offre à leur
méditation, pour leur faire sentir et reconnaître l’infini de la distance. Ce
triple phénomène, le voici : être, connaître, vouloir : car je suis, je connais,
je veux : je suis celui qui connaît et qui veut. Je connaît que je suis et que
je veux, et je veux être et connaître.
Comprenne qui pourra combien notre âme est inséparable de
ces trois phénomènes, qui tous trois ne font qu’une même vie, qu’une même
raison, qu’une même essence, inséparablement distinctes. Homme, te voilà en
présence de toi-même; regarde en toi; vois, et réponds. moi!
Et si tu trouves quelque lueur dans ces mystères de ton
être, ne crois pas en avoir pénétré plus avant dans les mystères de l’Etre
immuable au-dessus de tout, immuable dans son être, immuable dans sa
connaissance, immuable dans sa volonté: car, est-ce à cause de cette triplicité,
que Dieu est Trinité; ou cette triplicité réside-t-elle en chaque personne
divine, chacune étant unité-trinaire; ou bien, dans le cercle incompréhensible,
infini, d’une simplicité multiple, est-il unité féconde, principe, connaissance
et fin de soi-même, qui se suffit immuablement? Quel esprit aurait la force de
dégager cette terrible inconnue? Quelle parole, quel sentiment seraient exempts
de témérité? (504)
DIEU
PROCÈDE EN L’INSTITUTION DE L’ÉGLISE
COMME DANS LA CRÉATION DU MONDE.
13. Poursuis ta confession, ô ma foi; dis au Seigneur,
ton Dieu: Saint, saint, saint! ô mon Seigneur! ô mon Dieu! C’est en votre nom
que nous sommes baptisés, Père, Fils et Saint-Esprit! c’est en votre nom que
nous baptisons, Père, Fils et Saint-Esprit! Car Dieu a fait en nous, par son
Christ, un nouveau ciel, une nouvelle terre: c’est-à-dire les membres spirituels
et les membres charnels de son Eglise; et notre terre, avant que la doctrine
sainte ne l’eût douée de sa forme, était invisible aussi; elle était informe et
couverte des ténèbres de l’ignorance, «parce que vous avez châtié l’iniquité de
l’homme ( Ps. XXXVIII, 12), dans le profond abîme de vos « jugements ( Ps. XXXV,
7) ».
Mais votre Esprit-Saint est porté sur les eaux, et votre
miséricorde n’abandonne pas notre misère; et vous dites: « Que la lumière soit!
— Faites pénitence; le royaume des cieux est proche (Matth. III, 12)! — Faites
pénitence; que la lumière soit! » Et, dans le trouble de notre âme, « nous nous
sommes souvenus de vous, Seigneur, aux bords du Jourdain, » auprès de la
montagne élevée à votre hauteur, et qui s’est abaissée pour nous (Ps. XLI, 7).
Et nos ténèbres nous ont fait horreur; et nous nous sommes tournés vers vous; et
la lumière a été faite. « Et nous voilà, ténèbres autrefois, maintenant lumière
dans le Seigneur ((Ephés. 5,8). »
NOTRE
RENOUVELLEMENT N’EST JAMAIS PARFAIT
EN CETTE VIE.
14. Et nous ne sommes encore lumière que par la foi, et
non par la claire vue ( II Cor. V, 7). « Car notre salut est en espérance; or,
l’espérance qui se voit n’est plus espérance (Rom. VIII, 24).» C’est encore « un
abîme qui appelle un abîme, » mais par la voix de vos cataractes (Ps. XLI, 8).
Il est encore abîme, celui qui dit: « Je n’ai pu vous parler comme «à des êtres
spirituels, mais comme à des êtres charnels (I Cor. III, 1).» Et lui-même
reconnaît qu’il n’a pas encore touché le but, et oubliant tout ce qui est
derrière, il tend à ce qui est devant lui (Philip. III, 13); il gémit sous le
fardeau de malheur, et son âme est altérée du Dieu vivant, comme le cerf soupire
après l’eau des fontaines; et il s’écrie: «Oh! quand arriverai-je (Ps. XLI,
2,3)!» Et il aspire à être revêtu de sa céleste demeure (Ps. XXXV, 7), et il
appelle les ténèbres de l’abîme inférieur et leur dit: « Ne vous conformez pas
au siècle, mais réformez-vous dans le renouvellement de l’esprit (Rom. XII, 20).
Ne soyez pas comme les enfants « sans intelligence; mais, comme les plus petits
d’entre eux, soyez sans malice, pour arriver à la perfection de l’esprit ( I
Cor. XIV, 20). »
« O Galates insensés! s’écrie-t-il, qui vous a donc
fascinés (Gal. III, 1)? » Mais ce n’est plus sa voix, c’est la vôtre qui
retentit; la vôtre, ô Dieu, qui du haut des cieux avez fait descendre votre
Esprit (Act. II, 2) par Celui qui monté dans les cieux a ouvert les cataractes
de ses grâces, afin qu’un fleuve de joie inondât votre cité sainte (Ps XLV, 5).
C’est après elle que soupire ce fidèle ami de l’époux, qui possède déjà les
prémices de l’esprit; mais il gémit encore dans l’attente de l’adoption céleste,
qui doit affranchir son corps ( Rom. VIII, 23); il soupire après la patrie. Il
est membre de l’épouse du Christ, il est jaloux pour elle: il est l’ami de
l’époux, et il est jaloux, non pour soi, mais pour lui (( Jean III, 19); et ce
n’est point par sa voix, mais par celle de vos torrents, qu’il appelle à lui cet
autre abîme (Ps. XLI,8) objet de sa sainte jalousie. Il craint que le serpent,
dont la ruse séduisit Eve, ne nous détourne de cette chasteté spirituelle que
nous devons à notre époux, votre Fils unique (II Cor. II, 3). Oh! quelle sera la
splendeur de sa lumière, lorsque nous le verrons tel qu’il est (I Jean, III, 2);
et qu’elles seront taries toutes ces larmes, qui sont le pain de mes jours et de
mes nuits; car ‘on ne cesse de me dire: Où est ton Dieu (Ps. XLI, 4) ?
L’ÂME
EST SOUTENUE PAR LA FOI ET L’ESPÉRANCE.
15. Et moi-même je m’écrie souvent: Où êtes-vous, mon
Dieu, où êtes-vous? Et je respire quelques instants en vous, quand mon âme
répand hors d’elle-même l’effusion de son allégresse et de vos louanges (Ps.
XLI, 5). Mais elle demeure triste, parce qu’elle retombe et devient abîme, ou
plutôt elle sent qu’elle est abîme encore. Et, ce flambeau dont vous éclairez
mes pas dans la nuit, la foi me dit: « Pourquoi es-tu triste, ô mon âme, et
pourquoi me (505) troubles-tu? Espère dans le Seigneur (Ps. XLII, 5, 6).» Son
Verbe est la lampe qui luit sur ton chemin (Ps. CXVIII, 105). Espère et
persévère, jusqu’à ce que la nuit, mère des impies, soit passée, et avec elle la
colère du Seigneur; colère dont nous fûmes enfants nous-mêmes, alors que nous
étions ténèbres. Et nous traînons la fin de notre nuit en ce corps que le péché
a fait mourir ( Rom. VIII, 10), dans l’attente de l’aube qui dissipera toutes
les ombres (Cant. II, 17).
Espère dans le Seigneur. Au lever de ce jour, je serai
debout pour le contempler, et j’en publierai à jamais la splendeur. Au matin de
l’éternité je serai debout, et je verrai le Dieu de mon salut ( Ps. V, 5 ; XLII,
5); celui qui vivifiera nos corps mortels par l’Esprit, cet hôte intérieur (
Rom. VIII, 11), porté dans sa miséricorde sur le flot de nos ténèbres; celui de
qui nous avons reçu dans l’exil de cette vie le gage d’être à l’avenir lumière;
qui nous sauve dès ici-bas par l’espérance, et de ténèbres que nous étions, nous
transforme en fils de jour et de lumière ( II Cor. I, 22 ; Ephés. V, 8 ; Rom.
VIII, 24 ; I Thess. V, 5). Seul en ce sombre crépuscule de la connaissance
humaine, vous pouvez distinguer les coeurs et les éprouver, pour appeler la
lumière jour, et les ténèbres nuit ( Gen. I, 5). Eh! quel autre que vous peut
faire ce discernement des âmes? Qu’avons-nous, que nous n’ayons reçu de vous (
I. Cor. IV, 7)? Ne sommes-nous pas une même argile dont vous formez ici des
vases d’honneur, là des vases d’ignominie ( Rom. IX, 21)?
L’ÉCRITURE SAINTE COMPARÉE AU FIRMAMENT
ET LES ANGES AUX EAUX SUPÉRIEURES (Gn. I, 6).
16. Mais quel autre que vous, Seigneur, a étendu
au-dessus de nous ce firmament divin de vos Ecritures? « Le ciel sera roulé
comme « un livre (Is. XXIV, 4), et il est maintenant étendu comme une peau ( Ps.
CIII, 2) » Seigneur, l’autorité de votre divine Ecriture n’en est que plus
sublime, quand les mortels, par qui vous l’avez publiée, ont passé par la mort.
Et vous savez, Seigneur, que vous avez revêtu de peaux les premiers hommes,
devenus mortels par le péché ( Gen. III, 21). Et vous avez étendu comme une
peau le firmament de vos saints livres, ces paroles d’une concordance admirable,
que vous avez posées au-dessus de nous par le ministère d’hommes mortels. Et
leur mort même a étendu avec plus de force le firmament d’autorité de vos
paroles qu’ils ont annoncées: il est étendu sur ce monde inférieur, plus fort et
plus haut que pendant leur vie. Car vous n’aviez pas encore étendu ce ciel comme
une peau; vous n’aviez pas encore rempli la terre du bruit de leur mort.
17. Oh! faites-nous voir, Seigneur, ces cieux, ouvrage
de vos mains. Dissipez ce nuage dont vous les voilez à nos yeux. Là résident ces
oracles qui inspirent la sagesse aux petits enfants (Ps. XVIII, 8). Exaltez
votre gloire, mon Dieu, par la bouche de ces enfants à la mamelle, qui bégaient
à peine. Non, je ne sache pas d’autres livres plus puissants pour anéantir
l’orgueil, pour détruire l’ennemi ( Ps. VIII, 4, 3) qui se retranche contre
votre miséricorde dans la justification de ses crimes. Non, Seigneur, je ne
connais point de paroles plus chastes, plus persuasives d’humilité, plus
capables de m’apprivoiser à votre joug, et d’engager mon coeur à un service
d’amour. Père infiniment bon, initiez-moi à leur intelligence; accordez cette
grâce à ma soumission, puisque vous ne les avez si solidement affermies qu’en
faveur des âmes soumises.
18. Il est d’autres eaux au-dessus de ce firmament; eaux
immortelles, je crois, et pures de la corruption de la terre. Que ces eaux
louent votre nom! que, par delà les cieux vos louanges s’élèvent de ces choeurs
angéliques, qui n’ont pas besoin de considérer et de lire notre Firmament pour
connaître votre Verbe! Car ils voient votre face ( Matth. XVIII, 10), et lisent
sans succession de syllabes les décrets de votre éternelle volonté. C’est à la
fois lecture, élection et dilection: ils lisent toujours, et ce qu’ils lisent ne
passe point; ils lisent par élection et par dilection l’immuable stabilité de
votre conseil: livre toujours ouvert, et qui ne sera jamais roulé, parce que
vous êtes vous-même ce livre, et que vous l’êtes éternellement; parce que vous
avez créé vos anges supérieurs à ce firmament, que vous avez affermi au-dessus
de l’infirmité des peuples de la terre, afin que cette infirmité, levant ses
regards jusqu’à lui, y lise la miséricorde, qui daigne annoncer dans le temps le
Créateur des temps : car « votre miséricorde, Seigneur, est dans le ciel, et
votre vérité s’élève jusqu’aux nues (Ps. XXXV, 6).» Les nues passent, mais le
ciel demeure; les (506) prédicateurs de votre parole passent de cette vie dans
une autre, mais votre Ecriture s’étend sur tous les peuples jusqu’à la fin des
siècles.
« Le ciel même et la terre passeront, mais vos paroles ne
passeront pont (Mt. XXIV, 35). » — Cette peau sera pliée, et l’herbe qu’elle
couvrait se flétrira dans sa beauté, mais votre Verbe demeure éternellement (Is.
XL, 6). Nous ne le voyons maintenant que dans l’énigme des nues et le miroir du
ciel ( I Cor. XIII, 12); il ne nous apparaît pas tel qu’il est; car nous-mêmes,
malgré l’amour de votre Fils pour nous, « nous ne voyons pas encore ce que nous
serons après cette vie. » Il nous a regardés à travers le voile de sa chair; il
nous a comblés de ses caresses, et embrasés de son amour; et nous courons après
l’odeur de ses parfums. Mais, au jour de son apparition, nous serons semblables
à lui, parce que nous le verrons tel qu’il est. (I Jean III, 2)» Tel qu’il est,
Seigneur : ainsi nous le verrons, mais ainsi nous ne le voyons pas encore.
NUL NE
CONNAÎT DIEU, COMME DIEU SE CONNAÎT,
LUI-MÊME.
19. Vous seul savez ce que vous êtes absolument, parce
que seul vous êtes l’Etre immuable, l’immuable connaissance et la volonté
immuable; votre volonté est, et connaît immuablement; votre connaissance est, et
veut immuablement. Et vous ne trouvez pas juste que la lumière immuable soit
connue, comme elle se connaît elle-même, de la lumière illuminée et muable.
Aussi, u mon âme est-elle « en votre présence comme une terre sans « eau (Ps.
CXIII, 6). » car elle ne peut pas plus faire jaillir d’elle-même la source qui
la désaltère que la lumière qui l’illumine. Comme nous ne verrons la lumière que
dans votre lumière, c’est en vous seul que nous pouvons puiser la vie (Ps. XXXV,
10).
COMMENT
ON PEUT ENTENDRE LA CRÉATION DE LA MER
ET DE LA TERRE (Gen. I, 9, 11).
20. Quelle main a rassemblé en un même corps ces eaux
d’amertume? Elles tendent toutes et toujours à une même fin : le bonheur du
temps et de la terre, malgré la diversité et l’agitation de leurs courants. Quel
autre que vous, Seigneur, a dit aux eaux de se réunir en un même lieu? Quel
autre que vous a fait surgir la terre aride et altérée de votre grâce? Seigneur,
« cette mer est à vous; elle est votre ouvrage; et cette terre aride a été
formée par vos mains (Ps. XCIV, 5). » Ce n’est point l’amertume des volontés,
mais la réunion des eaux, qui a reçu le nom de mer. Car vous réprimez aussi les
mauvaises passions des âmes; vous fixez les limites qu’il leur est défendu de
franchir; enceinte puissante où leurs flots se brisent sur eux-mêmes (Job
XXXVIII, 10, 11); et vous formez ainsi la mer du monde, et vous la gouvernez
selon l’ordre de votre empire absolu sur toutes choses.
21. Mais ces âmes altérées de vous, présentes à vos
regards, et séparées, pour une autre fin, de l’orageuse société de la mer, elles
sont la Terre, que vous arrosez d’une eau mystérieuse et douce, pour qu’elle
porte son fruit. Et cette terre fructifie, et docile au commandement du
Seigneur, son Dieu, notre âme germe des oeuvres de miséricorde, « selon son
espèce, » l’amour et le soulagement du prochain dans les nécessités temporelles
; et ces fruits conservent la semence qui doit reproduire leur principe: car
c’est du sentiment de notre misère que procède notre compassion pour
l’indigence, et nous porte à la soulager comme nous voudrions l’être nous-mêmes
dans une semblable détresse. Et il ne s’agit. pas seulement d’une germination
légère, d’une assistance facile, mais de cette végétation forte, de ce patronage
héroïque de la charité, qui étend ses rameaux fructueux pour soustraire au bras
du fort la faible victime, en l’abritant sous l’ombrage vigoureux de la justice.
LES
JUSTES PEUVENT ÊTRE COMPARÉS AUX ASTRES
(Gen. I, 14).
22. Oui, Seigneur, oui, je vous en supplie, vous dont
l’influence répand dans les âmes une sève de joie et de force, Seigneur, que la
vérité sorte de la terre, que la justice abaisse ses regards du haut du ciel
(Ps. LXXXIV, 12); et « que des astres « nouveaux étincellent dans le firmament!
» Partageons notre pain avec celui qui a faim; recevons sous notre toit le
pauvre qui n’a point de gîte; couvrons celui qui est nu; et ne méprisons pas les
concitoyens de notre boue.
Dès que notre terre aura produit ces fruits, (507) voyez,
dites : « Cela est bon; » et que notre lumière « jette son éclat en son temps (
Is. LVIII, 7, 8); » que cette première végétation de bonnes oeuvres nous élève
aux contemplations délicieuses du Verbe de vie, et que nous apparaissions alors
dans le monde comme des constellations attachées au firmament de votre Ecriture.
C’est là que, conversant avec nous, vous nous enseignez le
discernement des choses de l’esprit et des choses des sens; comme celui du jour
et de la nuit, ou des âmes spirituelles et des âmes asservies aux sens, afin que
vous ne soyez plus seul à faire, dans le secret de votre connaissance, comme
avant la création du firmament, la division de la lumière et des ténèbres; mais
que les enfants de votre esprit, placés à leur firmament, dans un ordre qui
révèle l’infusion présente de votre grâce, brillent au-dessus de la terre,
signalent la division du jour et de la nuit, et annoncent la révolution des
temps: car « l’antique institution est passée, et la nouvelle se lève ( I Cor.
V, 17), et notre salut est plus près de nous que lorsque nous avons commencé de
croire; la nuit a précédé, et le jour arrive ( Rom. XIII, 11); et vous
couronnerez l’année de votre bénédiction ( LXIV, 2), quand vous enverrez des
ouvriers dans votre moisson ( Mt. IX, 38) ensemencée par d’autres mains ( Jean
IV, 38); » quand vous enverrez de nouveaux ouvriers à de nouvelles semailles,
dont la moisson ne se fera qu’à la fin ( Mt. XIII, 39). Ainsi, vous accomplissez
les voeux du juste, et vous bénissez ses années; mais vous, vous êtes toujours
le même, et vous recueillez, au grenier de vos années sans fin ( Ps. CI, 28),
nos années passagères; car votre conseil éternel verse sur la terre, aux saisons
marquées, les biens célestes.
23. L’un reçoit, par l’Esprit, la parole de sagesse,
astre de lumière, qui plaît aux amis de la vérité, comme l’aurore du jour; à
l’autre, vous donnez, par le même Esprit, la parole de science, astre inférieur;
à celui-ci, la foi; à celui-là, la puissance de guérir; à l’un, le don des
miracles; à l’autre, le discernement des esprits; à l’autre, le don des langues.
Et toutes ces grâces sont comme autant de constellations, ouvrage d’un seul et
même Esprit, qui distribue ses dons à chacun comme il lui plaît, et fait
répandre à ces étoiles des irradiations salutaires ( I Cor. XII, 7, 11).
La parole de science renferme les mystères sacrés, signes
célestes, qui, selon les temps, ont eu leurs phases, commue la lune; mais cette
parole, et les autres dons spirituels, que j’assimile aux étoiles, ne sont, en
comparaison des splendeurs de cette sagesse, que les premières heures de la
nuit. Toutefois ils sont nécessaires à ceux en qui la chair n’est pas encore
absorbée par l’esprit ( I Cor. III, 1), et que votre grand serviteur ne peut
entretenir dans la langue de sagesse qu’il parlait avec les parfaits ( Ibid. II,
6).
Mais que l’enfant, dans le Christ, cet enfant que nourrit
la mamelle, en attendant qu’il soit capable d’un aliment plus solide, et que ses
yeux puissent soutenir le rayon du soleil, que l’homme animal ne se croie pas
abandonné dans une nuit ténébreuse, mais qu’il se contente de la clarté de la
lune et des étoiles. C’est ainsi, ô sagesse infinie ! que vous conversez avec
nous dans le firmament de vos Ecritures, pour nous élever à la contemplation
admirable qui sait distinguer toutes choses, quoique nous soyons encore enfermés
dans le cercle des augures, des temps, des années et des jours.
VOIE DE
LA PERFECTION (Gen. I, 14).
24. Mais d’abord « lavez-vous, purifiez-vous; faites
disparaître toute souillure et de vos âmes et de mes regards, » afin que la
terre intérieure s’élève. Apprenez à faire le bien; « rendez justice à
l’orphelin, et maintenez le droit de la veuve ( Is. I, 16, 17), » afin que cette
terre se couvre de fertiles pâturages et d’arbres chargés de fruits. Venez, je
veux vous instruire; attachés au firmament du ciel, vous serez les flambeaux du
monde.
Le riche demande au bon Maître ce qu’il doit faire pour
obtenir la vie éternelle. Ecoute ce bon Maître que tu crois un homme et rien de
plus, mais qui est bon, parce qu’il est Dieu; il te dit: « Si tu veux arriver à
la vie, observe les commandements; » sépare du sol de ton coeur les eaux amères
de la malice et de la corruption; garde-toi du meurtre, de l’adultère, du vol;
ne porte point faux témoignage, afin que la terre paraisse et germe le respect
des père et mère, et l’amour du prochain. — J’ai fait tout cela, répond le
riche.
D’où viennent donc tant d’épines, si la terre est fertile?
Va, déracine ces sauvages buisson (508) de l’avarice; vends ce que tu as,
donne-le aux pauvres, et ton aumône te couvrira de fruits; et tu auras un trésor
dans le ciel; et puis, suis le Seigneur, si tu veux être parfait et devenir le
compagnon de ceux à qui il parle le langage de la sagesse, lui qui sait et te
fera savoir ce que c’est que le jour, ce que c’est que la nuit, afin que les
astres brillent aussi pour toi au firmament de son ciel; chose impossible, si
ton coeur n’y est déjà; et là ne sera jamais ton coeur, si là n’est point ton
trésor, comme te l’a dit le bon Maître ( Mt. VI, 21). Mais la tristesse se
répandit sur la terre stérile, et les épines étouffèrent la parole ( Ibid. XIX,
16, 22).
25. Pour vous, race d’élection, faibles du monde, qui
avez tout quitté pour suivre le Seigneur, allez et confondez les puissances du
siècle. Que vos pieds radieux marchent sur sa trace! Etincelez au firmament ( I
Pierre, II, 19), afin que les cieux racontent sa gloire, en discernant la
lumière des parfaits qui sont encore loin des anges, et les ténèbres des petits
déjà sauvés de vos mépris! Brillez sur toute la terre! Que ce jour, éblouissant
des clartés de ce soleil, annonce au jour le Verbe de sagesse, et que cette nuit
soit le clair de lune qui annonce à la nuit le Verbe de science ( Ps. XVIII, 2).
La lune et les étoiles luisent sur la nuit, sans être
obscurcies par ses ténèbres; elles lui donnent toute la lumière qu’elle peut
recevoir. Et, comme si Dieu eût dit: Que les astres soient dans le firmament du
ciel : voici soudain un grand bruit venu d’en-haut, comme un tourbillon violent,
et des langues de feu rayonnent et se divisent en s’arrêtant sur la tête de
chacun d’eux ( Actes, II, 2, 3): et il se fit comme un firmament d’astres
possesseurs du Verbe de vie. Courez partout, flammes de sainteté, feux
admirables! Car vous êtes la lumière du monde, et le boisseau ne vous couvre
pas. Celui à qui vous vous êtes attachés a été exalté dans la gloire, et il vous
a exaltés. Courez donc, et révélez-vous à toutes les nations.
SENS
MYSTIQUE DE CES PAROLES : « QUE LES EAUX
PRODUISENT LES REPTILES ET LES OISEAUX (Gen.
I, 20). »
26. Que la mer conçoive aussi, qu’elle enfante vos
oeuvres, et que les eaux produisent les reptiles des âmes vivantes! Car en
séparant le pur de l’impur, vous êtes devenus la bouche de Dieu ( Jérémie XV,
19), et c’est par vous qu’il dit : « Produisent les eaux, » non pas des âmes
vivantes, productions de la terre; « mais des reptiles d’âmes vivantes, et les
oiseaux qui volent au-dessus de la terre ! » Ces reptiles, mon Dieu, sont vos
sacrements qui, par les oeuvres des saints, se sont glissés à travers les flots
des tentations du siècle, pour régénérer les peuples dans le baptême en votre
nom.
Et ainsi se sont produites de grandes merveilles, «
semblables aux baleines monstrueuses, » et les voix de vos messagers ont plané
sur la terre et sous le ciel de votre Ecriture, autorité protectrice, qui
s’étend partout où leur vol se dirige. «Et ce ne sont pas de sourds et vains
accents que leurs paroles; toute la terre en a été l’écho; elles ont atteint les
extrémités du monde ( Ps. XVIII, 4, 5) » car votre bénédiction, Seigneur, les a
multipliées.
27. Mais n’est-ce pas erreur? et ne confondrais-je pas
les connaissances claires qui résident au firmament, et les oeuvres corporelles
qui s’opèrent sous ce firmament au sein orageux de la mer? Non; car ces mêmes
connaissances, qui demeurent dans la fixité de leur certitude, et sans
s’accroître par génération, comme les lumières de la sagesse et de la science,
exercent cependant dans l’ordre réel une action différente et multiple, dont
votre bénédiction féconde encore et multiplie les effets. O Dieu, vous nous
consolez de l’infirmité de nos sens mortels, en permettant qu’une vérité, notion
simple dans l’esprit, emprunte aux signes corporels, plus d’une figure, plus
d’une expression.
Voilà les productions des eaux, mais grâce à votre parole;
productions nées de la misère des peuples devenus étrangers à votre vérité
éternelle; productions que les eaux ont fait jaillir de leur sein, comme un
remède dont votre Verbe adoucissait leur languissante amertume.
28. Et toutes vos oeuvres sont belles, car elles sortent
de votre main; mais que vous êtes incomparablement plus beau, divin auteur, du
monde! Oh! si Adam ne se fût point détaché de vous, ses flancs n’eussent pas été
la source de cet océan amer, de ce genre humain, curiosité sans fond, éternel
orage de superbe, flot de mobilité! Et alors les dispensateurs de votre vérité
n’auraient pas eu besoin d’employer au sein des ondes tant de signes sensibles
et (509) corporels, tant de paroles symboliques, tant d’opérations mystérieuses.
Ce sont là, suivant moi, ces reptiles, ces oiseaux qui
s’insinuent parmi les hommes pour les initier et les soumettre aux symboles
sacramentels. Mais ils ne pourraient aller au delà, si votre Esprit n’élevait la
voix de leur âme à un degré supérieur, et si leur coeur, après les paroles du
premier échelon, n’aspirait au faîte de l’échelle sainte.
INTERPRÉTATION MYSTIQUE DES ANIMAUX TERRESTRES
(Gen. I, 24).
29. Et ce n’est plus une mer profonde, c’est une terre
séparée par votre Verbe des ondes d’amertume, qui produit, non pas des oiseaux
et des reptiles d’âmes vivantes, mais l’âme vive; car elle n’a plus besoin,
comme au temps où elle était cachée sous les eaux, du baptême nécessaire aux
païens, cette voie qui seule donne entrée au royaume des cieux, depuis que vous
avez interdit tout autre en l’ouvrant. Et cette âme ne demande plus des
merveilles extraordinaires pour faire naître sa foi. Elle n’a plus besoin, pour
croire, de signes et de miracles visibles ( Jean, IV, 48): terre de foi, et déjà
séparée des flots amers de l’infidélité, que lui importe « le don des langues,
témoignage pour les infidèles et non pour les fidèles ( I Cor. XIV, 22)? »
Et ces oiseaux, que votre parole a tirés des eaux, sont
désormais inutiles à cette terre que vous avez affermie au-dessus des eaux.
Faites descendre en elle ce Verbe par vos envoyés. Car nous ne pouvons que
raconter leurs œuvres, mais c’est vous qui opérez en eux l’oeuvre qu’ils
produisent: l’âme vivante.
Et la terre produit aussi; cette terre mystique, cause de
l’opération de vos serviteurs sur elle; comme la mer était la cause de
l’opération de ces reptiles d’âmes vivantes et de ces oiseaux dont le vol rase
le firmament du ciel. Oiseaux, reptiles, dont cette terre n’a plus besoin,
quoiqu’au festin dressé par vous à vos fidèles Ps. XXII, 5), elle mange le
poisson mystérieux (Lux, XXIV, 43), tiré des profondeurs de l’abîme pour nourrir
la terre. Et les oiseaux, ces enfants de la mer, ne laissent pas de multiplier
sur la terre.
Car, si l’infidélité des hommes a été la cause des
premières prédications de la bonne nouvelle, les missionnaires de la parole n’en
conti. nuent pas moins d’exhorter les fidèles et de multiplier sur eux chaque
jour leurs bénédictions. Mais c’est du fond de la terre purifiée que sort l’âme
vive : car il n’est profitable qu’aux seuls fidèles de renoncer à l’amour du
siècle, pour faire revivre en vous leur âme morte dans la vie de ces délices (
Tim. V, 6), délices mortelles, ô Dieu, vivifiantes délices d’un coeur pur!
30. Que vos ministres travaillent donc sur cette terre,
non plus, comme sur les eaux infidèles, par des symboles, des miracles, des
paroles mystérieuses, afin d’entretenir la crainte de l’inconnu dans le sein de
l’ignorance, mère de l’étonnement; crainte salutaire, seule entrée qui conduise
à la foi les enfants d’Adam, oublieux du Seigneur, et se cachant de sa face (Gn.
III,8) pour devenir un abîme! Non, plus ainsi! Mais qu’ils travaillent comme sur
une terre nouvelle, séparée des gouffres de l’abîme, qu’ils forment les fidèles
sur le modèle de leur vie, qu’ils les invitent à l’imitation de leurs exemples.
Et les fidèles n’entendent plus seulement pour entendre,
mais pour pratiquer. «Cherchez le Seigneur, et votre âme vivra (Ps. LXVIII, 33);
votre terre produira une âme vivante. Ne vous conformez pas au siècle Rom. XII,
2, » tenez-vous-en éloignés; et votre âme vivra par la fuite des objets dont le
désir la fait mourir. Réprimez en vous la violence sauvage de l’orgueil, les
molles indolences de la volupté, et les insinuations d’une science menteuse, et
voilà les animaux féroces apprivoisés, les chevaux domptés, les serpents sans
venin : vivante allégorie des divers mouvements de l’âme. Le faste de la vanité,
les séductions de la chair, le venin de la curiosité sont, en effet, les
mouvements d’une âme morte, mais dont la mort n’est pas assez complète pour que
tout mouvement en elle soit anéanti : elle meurt, il est vrai, en s’éloignant de
la source de vie, mais elle a pris la forme du siècle, dont le torrent
l’emporte.
31. Votre parole, ô Dieu, source de la vie éternelle,
demeure et ne s’écoule point. Aussi, nous défend-elle, elle-même, de nous
éloigner d’elle, en nous disant : « Ne vous conformez « pas au siècle, » afin
que votre terre, abreuvée à la source de vie, produise une âme vivante, secondée
par le Verbe que vos évangélistes ont publié, une âme pure, imitatrice des
imitateurs (510) du Christ. Et tel est le sens de ces mots : « Selon son espèce
: » car l’homme ne se plaît à imiter que ceux qu’il aime. « Soyez comme moi, dit
l’Apôtre, car je suis comme vous.»
Ainsi, cette âme vive n’est peuplée que d’animaux
apprivoisés, dont les actions témoignent la douceur. C’est le précepte que vous
avez donné : « Agissez en vos oeuvres avec « douceur, et vous serez aimé de tous
les hommes (Ecclési. III,19). » Et ces troupeaux inférieurs ne se trouveront pas
mieux pour être dans l’abondance; ni plus mal pour être dans la disette; et ces
serpents innocents seront sans venin pour nuire, mais pleins de prudence pour
éviter les morsures; et ils ne donneront à la contemplation de la nature
temporelle qu’autant qu’il est nécessaire pour s’élever de la vue de l’ordre
temporel à la vue intelligente de l’ordre éternel ( Rom. I, 20) Ces animaux
deviennent les serviteurs de la raison, quand ils ont reçu le frein qui les
préserve de la mort; et ils vivent alors, et leur être est bon.
VIE DE
L’ÂME RENOUVELÉE ( Gen. I, 26).
32. Oui, Seigneur, mon Dieu et mon Créateur, quand nos
affections seront dégagées de l’amour du siècle, et de cette vie de péché, qui
nous faisait mourir; quand notre âme commencera de vivre de la vraie vie, docile
à la parole que vous avez fait entendre par la bouche de l’Apôtre : « Ne vous
conformez pas au siècle; » alors doit s’accomplir le précepte qui suit aussitôt
: « Mais réformez:vous en renouvellement de l’esprit ( Rom. XII, 2). » Et il ne
s’agit plus de se produire « suivant son espèce, » d’imiter ses prédécesseurs,
et de régler sa vie sur l’autorité d’un homme plus parfait. Non: car vous n’avez
pas dit : Que l’homme soit fait selon son espèce, mais : « Faisons l’homme à
notre image et ressemblance ( Gen. I, 26), » afin que nous aussi nous ayons la
faculté de reconnaître quelle est votre volonté. C’est pourquoi le grand
dispensateur de vos mystères, père de tant de fils, selon l’Evangile ( I Cor.
IV, 15) ne voulant pas toujours avoir des enfants à la mamelle, nourrissons à
porter dans ses bras ( I Thess. II, 7), s’écrie: «Réformez-vous en
renouvellement d’esprit, pour reconnaître la volonté de Dieu, pour savoir ce qui
est bon, ce qui lui plaît, ce qui est parfait ( Rom. XII, 2) ».
Aussi, ne dites-vous pas : Que l’homme soit fait, mais: «
Faisons l’homme; » et non : selon son espèce, mais : « à notre image et
ressemblance.» Renouvelé spirituellement, et voyant votre vérité des yeux de
l’intelligence, il n’a plus besoin d’un maître, d’un modèle de son espèce. C’est
de vous, et c’est en vous qu’il connaît votre volonté; ce qui est bon, ce qui
vous plaît. Et vous lui donnez la puissance de contempler la Trinité de votre
Unité, et l’Unité de votre Trinité. Aussi, vous dites d’abord au pluriel :
« Faisons l’homme; » puis vous ajoutez: « Et Dieu fit l’homme. »Vous dites: « A
notre image; » et vous ajoutez : « A l’image de Dieu. » Ainsi, l’homme est
renouvelé dans la connaissance de Dieu, « selon l’image de Celui qui l’a créé (
Gen. I, 27 ; Coloss. III, 10), » — « et transformé en esprit, il juge de tout ce
qu’il doit juger, et n’est jugé de personne. »
DE QUI
L’HOMME SPIRITUEL PEUT JUGER (Gen. I, 26)
33. Or, « l’homme spirituel juge de tout, » et c’est ce
que l’Ecriture appelle avoir puissance sur les poissons de la mer, les oiseaux
du ciel, les animaux domestiques et sauvages, sur toute la terre, sur tout ce
qui rampe à sa surface. Et, cette puissance, il l’exerce par cette intelligence
qui le rend capable de pénétrer « ce qui est de l’Esprit de Dieu ( I Cor. II,
14). » « Déchu de la gloire, par défaut d’intelligence, n’est-il pas descendu au
rang des brutes, ne leur est-il pas devenu semblable ( Ps. XLVIII, 13) ? »
Et nous, mon Dieu, nous, enfants de la grâce dans votre
Eglise, « nous, votre ouvrage, créés dans les bonnes œuvres ( Ephés. II, 10), »
nous sommes juges spirituels, soit que nous ayons l’autorité selon l’esprit,
soit que nous obéissions spirituellement. « Vous avez fait l’homme mâle et
femelle; » et il en est ainsi dans la création de votre grâce, où cependant il
n’y a plus ni mâle ni femelle, suivant le sexe corporel; ni Juif ni Grec, ni
libre ni esclave(Galat. III, 28). Et ces hommes de l’esprit, soit qu’ils
commandent, soit qu’ils obéissent, sont juges spirituels I Cor. II, 15). Mais
leur jugement ne s’exerce pas sur les pensées spirituelles qui brillent au
firmament. Il ne leur appartient pas de prononcer sur une autorité si sublime;
de s’élever en juges de votre livre saint, lors même que des ombres y voilent la
lumière. Car nous lui devons la soumission de notre intelligence, et une ferme
assurance dans la rectitude et la vérité de toute lettre close à nos yeux.
L’homme, « même spirituel, et renouvelé dans la connaissance de Dieu, selon
l’image du Créateur (Coloss. III, 10), » doit être l’observateur et non pas le
juge de la loi ( Jacq. IV, 11).
Son jugement ne va pas non plus à discerner les hommes de
l’esprit des hommes de la chair, s’il ne les connaît par leurs oeuvres, comme «
l’arbre se connaît par son fruit ( Math. VII, 20). » Votre regard seul les voit,
mon Dieu; vous les connaissez déjà, Seigneur, et vous les aviez déjà distingués;
vous les aviez appelés dans le secret de votre conseil, avant même de créer le
firmament.
Quoique spirituel, il ne juge pas non plus des générations
turbulentes du siècle. « Pourquoi jugerait-il ceux de dehors ( I Cor. V, 12), »
puisqu’il ignore quels sont dans ce nombre les élus appelés à goûter un jour la
douceur de votre grâce, et les âmes qui doivent demeurer éternellement dans
l’amertume de l’impiété ?
34. Ainsi donc, en formant l’homme à votre image, vous
ne lui avez donné puissance ni sur les astres du ciel, ni sur le ciel secret, ni
sur ce jour, ni sur cette nuit, que vous avez nommés avant la création, ni sur
cette réunion des eaux qui s’appelle la mer; il n’a reçu puissance que sur les
poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, sur tous les animaux, sur toute la
terre, sur tout ce qui rampe à sa surface.
Il juge, il approuve ou condamne ce qu’il trouve bien ou
mal, et dans la solennité du sacrement initiateur qui consacre à votre service
ceux que votre miséricorde a pêchés au fond des eaux; et dans ce banquet sacré
où le mystique poisson, tiré du fond de l’abîme, est servi pour- nourrir la
terre ; et dans les discours, dans les paroles, oiseaux fidèles, qui volent sous
le firmament de l’autorité des saintes Ecritures ; interprétations, expositions,
discussions, controverses, bénédictions, prières, que les lèvres prononcent en
formules sonores, afin que le peuple puisse répondre ainsi soit-il! L’abîme du
siècle, et la cécité de cette chair qui n’a pas d’yeux pour voir les pensées,
telle est la cause de l’emploi des sons et du bruit dont on frappe les
oreilles. Et voilà comment ces oiseaux qui se multiplient sur la terre sont
néanmoins originaires des eaux.
L’homme spirituel juge encore, approuve ou condamne ce
qu’il trouve bien ou mal, dans les oeuvres, dans les moeurs des fidèles; il juge
des aumônes comme des fruits de la terre; il juge de l’âme vivante qui sait, par
la charité, les jeûnes, et les pieuses pensées apprivoiser ses passions; il juge
de tout ce qui se produit par des effets sensibles ; il est juge enfin, là où il
a le pouvoir de corriger et de reprendre.
POURQUOI
DIEU A BÉNI L’HOMME, LES POISSONS
ET LES OISEAUX?
35. Qu’ai-je lu? Quel est ce mystère? Voilà, Seigneur,
que vous bénissez les hommes, afin qu’ils croissent, qu’ils multiplient, qu’ils
remplissent la terre ( Gen. I, 27). N’y a-t-il point là un secret dont vous
voulez nous insinuer quelque connaissance? Pourquoi n’avez-vous pas également
béni la lumière que vous avez nommée jour, et le firmament du ciel, et les
flambeaux célestes, et les étoiles, et la terre et la mer? Je dirais, ô Dieu!
qui avez créé l’homme à votre image, je dirais que vous avez voulu accorder à
l’homme la faveur singulière de votre bénédiction, si vous n’eussiez béni de
même les poissons pour qu’ils croissent, multiplient et peuplent les eaux de la
mer; si vous n’eussiez béni les oiseaux pour qu’ils multiplient sur la terre (
Gen I, 22).
Je dirais encore que votre bénédiction repose sur tous les
êtres qui perpétuent leur espèce par la génération, si je voyais que votre
divine main se fût étendue sur les plantes, les arbres et les animaux de la
terre. Mais il n’a été dit ni aux végétaux, ni aux bêtes, ni aux serpents:
Croissez et multipliez, quoiqu’ils s’accroissent par génération et se conservent
dans leur espèce, comme les poissons, les oiseaux et les hommes.
36. Dirai-je donc, ô vérité! ma lumière, qu’il n’y a là
que vaines paroles tombées sans dessein? Non, non, loin de moi, ô Père de toute
piété! loin de l’esclave de votre Verbe une semblable pensée! Et si je ne puis
pénétrer le sens de votre parole, qu’il l’entende mieux que moi, qu’il y puise
selon la (512) contenance intellectuelle qu’il a reçue de vous, celui de mes
frères qui est meilleur, qui est plus intelligent que moi. Mais agréez,
Seigneur, cet humble aveu, qu’il monte en votre présence. Oui, je crois que ce
n’est pas en vain que vous avez parlé, et je ne tairai pas les pensées que votre
parole me suggère. Je les sens vraies, et je ne vois rien qui m’empêche
d’interpréter ainsi les expressions figurées de vos livres saints; car,
multiplicité de signes, simplicité de sens: multiplicité de sens, simplicité de
signes; l’amour de Dieu et du prochain n’est-il pas une notion simple? Quelle
multiplicité de formules mystiques, de langues et de locutions sans nombre pour
le traduire par une expression sensible? Et c’est ainsi que les vivantes
productions des eaux croissent et multiplient. Attention, lecteur; qui que tu
sois! l’Ecriture n’énonce qu’un mot, elle ne fait entendre qu’une parole: « Dans
le principe, Dieu créa le ciel et la terre (Gen I, 1). » Eh bien! qu’est-ce qui
en multiplie l’interprétation? Est-ce l’erreur? non, mais la variété des espèces
intellectuelles. Et c’est ainsi que la postérité humaine croît et multiplie.
37. Car, à considérer la nature même des choses dans le
sens propre et non dans le sens allégorique, cette parole, « croissez et
multipliez, » convient à tout ce qui se reproduit par semence. Si nous nous
attachons au sens figuré, interprétation conforme, suivant moi, à l’esprit de
l’Ecriture, qui certes n’attribue pas en vain cette bénédiction aux seules
générations des hommes, aux seules productions des eaux, nous voyons bien, il
est vrai, multitude dans le ciel et la terre, ou le monde des esprits et le
monde des corps; dans la lumière et les ténèbres, ou les âmes des justes et des
impies; dans le firmament étendu entre les eaux, ou les saints dispensateurs de
la loi divine; dans la mer, ou l’océan d’amertume des sociétés humaines; dans la
terre séparée des ondes, ou les âmes purifiées au feu de l’amour; dans les
plantes séminales et les arbres fruitiers, ou les oeuvres de miséricorde
pratiquées en cette vie; dans les flambeaux suspendus à la voûte céleste, ou les
dons spirituels qui brillent pour édifier; dans l’âme vivante, ou les affections
soumises à la règle: dans cet ensemble de la création, nous découvrons
multitude, fécondité, accroissement. Mais quant à ce mode de multiplication et
de développement, qui fait qu’une seule vérité s’exprime par plusieurs
énonciations, et qu’une seule énonciation s’entend en plusieurs sens vrais,
c’est ce que nous ne trouvons que dans les signes sensibles de la pensée, et les
conceptions de l’intelligence. Les signes sensibles, ce sont les générations de
la mer, multipliées dans l’abîme de notre indigence; les conceptions de
l’intelligence, ce sont les générations humaines, c’est la fécondité de notre
raison. Et voilà pourquoi, Seigneur, je crois que vous n’avez dit qu’aux seules
généra-fions des hommes et des eaux: « Croissez et « multipliez. » Et je crois
que par cette bénédiction vous nous avez conféré la puissance de donner
plusieurs expressions à une conception simple, et la faculté d’attacher
plusieurs sens à une énonciation simple, mais obscure.
Ainsi se remplissent les eaux de la mer, dont les
différents souffles de l’esprit remuent les courants; ainsi la postérité humaine
peuple la terre, séparée des eaux par l’amour de la vérité, et soumise à
l’empire de la raison.
LES
FRUITS DE LA TERRE FIGURENT LES ŒUVRES
DE PIÉTÉ
( Gen. I, 29).
38. Seigneur mon Dieu, je veux encore dire les pensées
que la suite de vos paroles m’inspire, et je les dirai sans crainte. Je dirai la
vérité; c’est au souffle de votre volonté que je parle. Et je ne puis croire que
jamais la vérité sorte de mes lèvres que par votre inspiration, car vous êtes la
vérité même ( Jean XIV, 6); tout homme est menteur ( Ps. CXV, 11) et celui dont
la parole est mensonge parle de son propre fonds ( Jean VIII, 44). Moi, je veux
dire la vérité, je ne parlerai donc que par vous.
Vous nous avez donné « pour nourriture toutes les plantes
séminales répandues sur la terre, et tous les fruits qui recèlent en eux-mêmes
leur semence reproductive;» et ce n’est pas à nous seuls que vous les avez
donnés, mais encore aux oiseaux du ciel, aux animaux terrestres et aux serpents.
Ils n’ont point été donnés aux poissons et aux géants de l’abîme.
Je disais donc que ces fruits de la terre sont la figure
allégorique des oeuvres de miséricorde qui sortent du sol fertile de l’âme pour
(513) soulager les misères de la vie. Le pieux Onésiphore était une de ces
charitables terres, et vous fîtes miséricorde à toute sa maison, parce qu’il
assista souvent votre serviteur Paul, et ne rougit jamais de ses chaînes (II
Tim. I, 16). Tels étaient les frères qui se couvrirent des mêmes fruits, en lui
apportant de Macédoine de quoi fournir à sa détresse ( II Cor. XI, 9). Et avec
quelle douleur il déplore la stérilité des arbres qui ne lui donnèrent point le
fruit qu’ils lui devaient! « Au temps de ma première défense, personne ne me
vint en aide, mais tous m’abandonnèrent. Dieu leur pardonne II Tim. IV, 16) !»
Des secours ne sont-ils pas bien dus aux maîtres spirituels qui initient notre
raison à l’intelligence des saints mystères? Ces secours sont les fruits que la
terre doit à l’homme; ils leur sont dus comme âme vivante qui anime la sève
reproductive de leurs vertus; ils leur sont dus comme oiseaux célestes, dont la
voix s’est répandue aux extrémités de la terre ( Ps. XVIII, 5) pour l’ensemencer
de bénédictions.
LE FRUIT
DES ŒUVRES DE MISÉRICORDE
EST DANS LA BONNE VOLONTÉ.
39. Or, ces fruits ne sont un aliment que pour ceux qui
y trouvent une joie sainte, et cette joie n’est pas aux esclaves « asservis au
culte de leur ventre ( Philip. III, 19) » Et même en ceux qui donnent, ce n’est
pas l’aumône qui est le fruit, c’est l’intention de l’aumône. Aussi je comprends
la joie de ce grand apôtre, qui vivait pour son Dieu et non pour sou ventre, je
la. comprends bien ; mon. âme sympathise à cette joie. Il venait de recevoir par
Epaphrodite les dons des Philippiens: mais est-ce de ces dons qu’il se réjouit?
Non, je vois la cause de sa joie, et cette cause est le fruit qu’il savoure. Car
il dit en vérité: « J’ai ressent une joie ineffable dans le Seigneur, de ce que
votre amour pour moi a commencé de refleurir; non que cet amour se fût flétri en
vous, mais il était voilé par la tristesse (Philip. IV, 10)» Une longue
tristesse les avait donc desséchés; et comme de stériles rameaux, ils ne
portaient plus de fruits charitables; et il se réjouit de les voir refleurir; il
se réjouit non pour lui-même des secours dont ils ont assisté son indigence; car
il ajoute: « Ce n’est pas qu’il me manque rien; dès longtemps j’ai appris à me
contenter de l’état où je me trouve; je sais vivre pauvrement, je sais vivre
dans l’abondance. Je suis fait à tout; je suis à l’épreuve de tout: de la faim
et des aliments, de l’opulence et de la disette. Je peux tout en Celui qui me
fortifie ( Philip. IV, 11, 13).»
40. Quelle est donc la cause de ta joie, ô grand Paul?
Dis, quelle est cette joie? Quel est
ce fruit dont tu goûtes la saveur, « homme renouvelé par la
connaissance de Dieu, à l’image de ton Créateur? » Ame vivante, peuplée de
vertus! Langue aux ailes de feu qui proclame dans le monde les divins mystères!
C’est bien aux âmes comme la tienne que l’on doit cette nourriture d’amour. Dis,
de quel fruit te nourris-tu? de joie? Ecoutons-le: « Oui, dit-il, oui, vous avez
bien fait d’entrer en communion avec mes souffrances.» Voilà sa joie, voilà sa
nourriture. Ils ont bien fait, non parce qu’il a eu quelque relâche à ses
angoisses, lui qui vous disait : « Dans la tribulation vous avez dilaté mon cœur
( Ps. IV, 2), » lui qui sait souffrir l’abondance et la disette, en vous son
unique force. « Vous savez, ajoute-t-il, vous savez, Philippiens, que depuis mon
départ de Macédoine pour les premières prédications de 1’Evangile, nulle autre
Eglise n’a eu communication avec moi en ce qui est de donner et de recevoir; je
n’ai rien reçu que de vous seuls, qui m’avez envoyé par deux fois à
Thessalonique de quoi subvenir à mes besoins (Philip. IV, 14-16). »
Et maintenant il se réjouit de leur retour aux bonnes
oeuvres; il se réjouit des nouveaux fruits et de la nouvelle fertilité du champ
spirituel.
41. Serait-ce donc dans son intérêt? car il dit : « Vous
avez envoyé à ma détresse? » La source de sa joie serait-elle là? Non, non! Et
comment le savons-nous? Lui-même nous l’apprend : « Ce n’est pas le don, c’est
le fruit que je cherche ( Ibid. 17). » J’ai appris de vous, mon Dieu, à
distinguer entre le don et le fruit. Le don, c’est l’objet que donne celui qui
assiste une indigence : c’est l’argent, la nourriture, le breuvage, le vêtement,
l’abri, tout secours enfin : le fruit, c’est la volonté droite et sincère de
celui qui donne. Car le divin Maître ne se borne pas à dire: « Celui qui reçoit
un prophète; » il ajoute : « en qualité de prophète; » « celui qui reçoit un
juste, » mais « en qualité de juste, recevront la récompense, (514) l’un du
prophète, l’autre du juste. » Il ne dit pas seulement: « Celui qui donnera un
verre d’eau au dernier des miens; » il ajoute «en qualité de mon disciple; en
vérité je vous le dis, celui-là ne perdra point sa récompense ( Matth. X, 41,
42).»
Recueillir un prophète, recueillir un juste, donner au
disciple un verre d’eau, voilà le don: agir ainsi en vue de leur qualité de
prophète, de juste et de disciple, voilà le fruit. C’est le fruit que la veuve
offrait à Elie qu’elle savait l’homme de Dieu, et qu’elle nourrissait à ce
titre. Et ce n’est que le don qu’il recevait du corbeau dans le désert ( III
Rois, XVII, 6, 16). Ce don n’était pas la nourriture de l’homme intérieur, mais
de l’homme extérieur, qui, seul en Elie, pouvait défaillir faute de cet aliment.
SIGNIFICATION DES POISSONS ET DES BALEINES.
42. Je veux dire toute la vérité en votre présence,
Seigneur. Quand des hommes d’ignorance et d’infidélité, qui ne peuvent être
gagnés à votre service que par l’initiation des sacrements et la grandeur des
miracles , ces poissons, ces géants de l’abîme, accueillent vos serviteurs, pour
nourrir leur faim, pour les soulager dans les besoins de la vie présente, sans
connaître quels doivent être la raison et le but suprêmes de l’aumône et de
l’hospitalité; ces infidèles ne donnent et vos enfants ne reçoivent aucune
nourriture; car les uns n’agissent pas dans une volonté droite et sainte, et les
autres ne voyant qu’un don et point de fruit, ne ressentent aucune joie. Or,
l’âme ne se nourrit que des objets de sa joie. Et voilà pourquoi ces poissons et
ces baleines ne sauraient vivre des productions qui ne naissent que d’une terre
séparée des eaux de l’abîme et purifiée de leur amertume.
POURQUOI
DIEU DIT QUE SES ŒUVRES
ÉTAIENT TRÈS BONNES ( Gen. I, 31).
43. Et à la vue de toutes vos oeuvres, ô Dieu, vous les
avez dites très-bonnes. Nous les voyons aussi et nous les trouvons très-bonnes.
A chacun de vos ouvrages, en particulier, aussitôt que vous eûtes dit : Qu’il
soit! et aussitôt il fut, vous l’avez vu, et vous l’avez trouvé bon. J’ai compté
sept fois écrit que vous aviez trouvé bonne l’oeuvre qui sortait de vos mains;
et, la huitième fois, à l’aspect de tous vos ouvrages, vous les avez trouvés,
non-seulement bons, mais très-bons dans leur ensemble. Chaque partie, prise
isolément, n’est que bonne; mais l’ensemble est très-bon. Et la beauté de tout
objet sensible rend témoignage à votre parole. Un corps, dans l’harmonieuse
beauté de tous ses membres, est beaucoup plus beau que chacun de ces membres,
dont la beauté particulière concourt à la beauté de l’ensemble.
COMMENT
DIEU A VU HUIT FOIS QUE SES ŒUVRES
ÉTAIENT BONNES.
44. Et j’ai recherché avec attention s’il est vrai que
vous eussiez vu sept ou huit fois que vos oeuvres étaient bonnes (car elles vous
plaisaient); et je n’ai pu découvrir dans votre vue divine aucun temps qui me
fît comprendre comment vous avez vu vos oeuvres à tant de reprises. Et je me
suis écrié : Seigneur, votre Ecriture n’est-elle pas véritable, dictée par vous
qui l’êtes, qui êtes la vérité même? Pourquoi donc me dites-vous que le temps
n’est pas dans votre vue? Et voilà votre Ecriture qui me raconte l’approbation
que vous avez donnée jour par jour à l’oeuvre de vos mains. Et j’ai compté
combien de fois, et j’en ai trouvé le nombre.
Et comme vous êtes mon Dieu, vous me répondez d’une voix
forte, d’une voix qui brise
ma surdité intérieure, vous me criez : « O homme, mon
Ecriture est ma parole. Mais elle parle dans le temps; et le temps n’atteint pas
jusqu’à mon Verbe, qui demeure avec moi dans mon éternité. Ce que tu vois par
mon Esprit, c’est moi qui le vois; et ce que tu dis par mon Esprit, c’est moi
qui le dis: mais tu vois dans le temps, et ce n’est pas dans le temps que je
vois; tu parles dans le temps, et ce n’est pas dans le temps que je parle. »
(515)
RÊVERIES
MANICHÉENNES.
45. J’entends, mon Dieu ; votre vérité a laissé tomber
sur mon âme une goutte de douceur infinie; et j’ai compris qu’il est des hommes
à qui vos oeuvres déplaisent. Ils disent que la nécessité en a tiré plusieurs de
vos mains, comme la mécanique des cieux et la disposition des astres, dont
l’être émane, non de votre puissance créatrice, mais d’une matière préexistante,
procédant d’ailleurs, et que vous avez rassemblée, resserrée, reliée, pour en
bâtir ces remparts du monde, trophée de votre victoire sur vos ennemis,
forteresse élevée contre toute révolte à venir.
Ils prétendent encore qu’il en est d’autres qui ne vous
doivent ni leur être, ni leur composition, comme les corps de chair, les
insectes, et tout ce qui tient à la terre par racines: ils y voient l’ouvrage
d’une puissance ennemie, esprit que vous n’avez point créé, nature malfaisante
en lutte contre vous, qui produit et qui forme tous ces êtres dans les plus
passes régions de ce monde. Insensés! ils ne parlent ainsi que faute de voir vos
oeuvres par votre Esprit, et de vous reconnaître dans vos oeuvres.
LE
FIDÈLE VOIT PAR L’ESPRIT DE DIEU, ET DIEU VOIT
EN LUI QUE SES OEUVRES SONT BONNES.
46. Mais nous, qui les voyons par votre Esprit, les
voyons-nous? et n’est-ce pas plutôt vous-même qui les voyez en nous? Si donc
nous les voyons bonnes, c’est vous qui les voyez bonnes. Dans tout ce qui nous
plaît à cause de vous, c’est vous qui nous plaisez; et tout ce qui nous plaît
par votre Esprit, vous plaît en nous. « Quel homme, en effet, connaît ce qui est
de l’homme, sinon l’esprit de l’homme qui est en lui? Et l’Esprit de Dieu
connaît seul ce qui est de Dieu. Aussi, dit l’Apôtre, nous n’avons pas reçu
l’esprit, du monde, mais l’Esprit qui vient de Dieu, afin de connaître les dons
de Dieu ( I Cor. II, 11, 12).» Et cette parole m’autorise, et je dis : Non,
personne ne sait ce qui est de Dieu, que l’Esprit de Dieu.
Comment savons-nous donc nous-mêmes ce que Dieu nous a
donné? Mais j’entends la réponse: si nous ne le savons que par son Esprit, qui
le sait, sinon le seul Esprit de Dieu? Il est dit en vérité à ceux qui parlent
par l’Esprit de Dieu: « Ce n’est pas vous qui parlez ( Matth. X, 20); » et l’on
peut dire en vérité à ceux qui connaissent par l’Esprit de Dieu: Ce n’est pas
vous qui connaissez; et l’on peut encore dire en vérité à ceux qui voient par
l’Esprit de Dieu: « Ce n’est pas vous qui voyez. » Ainsi, quand nous voyons par
l’Esprit de Dieu qu’une chose est bonne, ce n’est pas nous, c’est Dieu qui la
voit bonne.
Et l’un tient pour mauvais ce qui est bon, suivant la
doctrine de ces insensés; et l’autre en reconnaît la bonté, mais il est de ceux
qui ne savent point vous aimer dans vos créatures, dont ils préfèrent la
jouissance à la vôtre. Celui-ci juge bonne l’oeuvre bonne; et est Dieu même qui
voit en lui; et il aime Dieu dans son oeuvre, amour qui ne saurait naître sans
le
don de l’Esprit: « car l’amour se répand. Dans nos coeurs
par l’Esprit saint qui nous est donné ( Rom. V, 5): » Esprit par qui nous voyons
que tout être, quel qu’il soit, est bon, parce qu’il procède de Celui qui n’est
pas seulement un être, mais l’Etre lui-même.
VUE DE
LA CRÉATION.
47. Seigneur, grâces vous soient rendues! nous voyons le
ciel et la terre, c’est-à-dire les régions supérieures et inférieures du monde;
ou le monde des esprits et celui des corps; et, pour l’embellissement des
parties qui forment l’ensemble ou de l’univers visible, ou de l’universalité des
êtres, nous voyons la lumière créée et séparée des ténèbres. Nous voyons le
firmament du ciel, soit ce premier corps du monde, élevé entre la sublimité des
eaux spirituelles et l’infériorité des eaux corporelles ( Voy. Rétr. Liv. II,
Chap. VI, n°2), soit ces espaces de l’air, ce ciel où les oiseaux volent entre
les eaux que les vapeurs condensent au-dessus d’eux-mêmes et qui retombent en
rosées sereines, et les eaux plus lourdes, qui coulent sur la terre.
Nous voyons, par les plaines de la mer, la beauté de ces
masses d’eaux attroupées; et nous voyous la terre, d’abord dans sa nudité, puis,
recevant avec la forme, l’ordre, la beauté et la force végétative. Nous voyons
les astres (516) briller sur nos têtes; le soleil suffire seul au jour; la lune
et les étoiles consoler la nuit; notes radieuses de l’harmonie des temps. Nous
voyons ces humides immensités se peupler de poissons, de monstres énormes,
d’oiseaux divers: car l’évaporation de l’eau donne au corps de l’air cette
consistance qui soutient leur vol.
Nous voyons la face de la terre ornée de ces races variées
d’animaux, et l’homme, créé à votre image, investi d’autorité sur eux par cette
divine ressemblance, par le privilège de l’intelligence et de la raison. Et
comme il est, dans son âme, un conseil dominant et une obéissance soumise,
ainsi, dans notre nature corporelle, la femme est créée pour l’homme, quoique
également admise au don de la raison, et son sexe l’assujettit à l’homme, comme
la puissance active et passionnée, soumise à l’esprit, conçoit de l’esprit le
règlement de ses actions: voilà ce que nous voyons; chacune de ces oeuvres est
bonne; et leur ensemble est très bon.
DIEU A
CRÉÉ LE MONDE D’UNE MATIÈRE CRÉÉE PAR LUI
AU MÊME TEMPS.
48. Que vos oeuvres vous louent, afin que nous vous
aimions; et que nous vous aimions, afin que vos oeuvres vous louent, ces oeuvres
qui ont, dans le temps, leur commencement et leur fin, leur lever et leur
coucher, leur progrès et leur déclin, leur beauté et leur défaillance! Elles ont
donc leur régulière vicissitude de matin et de soir, dans une évidence plus ou
moins manifeste. Car elles sont toutes votre création, tirées du néant, et non
pas de Vous-même; non pas d’une autre substance, étrangère, antérieure à vous,
mais d’une manière créée par vous, dans le même temps, et que vous avez fait
passer, sans succession, de l’informité à la forme.
Ainsi, quelle que soit la différence entre la matière du
ciel et de la terre, entre la beauté du ciel et de la terre, c’est du néant que
vous avez créé la matière, c’est de cette matière informe que vous avez formé la
beauté du monde, et néanmoins la création de la forme a suivi celle de la
matière immédiatement et sans intervalle.
SENS
MYSTIQUE DE LA CREATION.
49. Et j’ai médité sur le sens que vous avez voulu
figurer par l’ordre de vos oeuvres, et par l’ordre du récit inspiré de leur
création ; et j’ai vu qu’elles sont bonnes en particulier, très bonnes ,dans
leur ensemble; et dans votre Verbe, votre Fils unique, je vois le ciel et la
terre, le chef et le corps de l’Eglise, prédestinés avant le temps, avant la
naissance du matin et du soir. Et, dès que vous avez commencé d’exécuter dans
les temps les conceptions de votre éternité, afin de dévoiler vos secrets, de
rendre l’ordre au chaos d’iniquités qui pesait sur nous et nous entraînait loin
de vous dans l’abîme des ténèbres, où votre Esprit saint planait, pour nous
secourir au temps marqué; vous avez justifié les impies, vous les avez séparés
des pécheurs; vous avez établi l’autorité de votre Ecriture, comme un firmament
entre l’autorité où vous élevez les eaux supérieures, et la soumission à cette
autorité que vous imposez aux inférieures; et vous avez réuni comme un troupeau
la coupable unanimité des volontés infidèles, pour faire briller les saintes
affections des fidèles qui devaient produire en votre nom des fruits de
miséricorde, distribuant aux pauvres les biens de la terre pour gagner le ciel.
Et vous avez allumé dans ce firmament des astres
intelligents, dépositaire du Verbe de la vie éternelle, vos saints serviteurs,
comblés des dons spirituels, investis d’une autorité sublime; et puis, ces
sacrements, ces miracles visibles, ces paroles consacrées, signes célestes du
firmament de votre Ecriture, qui appellent vos bénédictions sur les fidèles
eux-mêmes; toutes ces oeuvres, instruments de la conversion des races infidèles,
c’est à l’aide de la matière que vous les avez opérées; et vous avez formé l’âme
vivante de vos fidèles, par la vertu de ces facultés aimantes, soumises au
sévère règlement de la continence.
Et cette âme raisonnable, désormais soumise à vous seul,
assez libre pour se passer du secours et de l’autorité de tout exemple humain,
vous l’avez renouvelée à votre image et ressemblance; et vous avez soumis la
femme à l’homme, l’activité raisonnable à cette puissante raison de l’esprit, et
comme vos ministres sont toujours nécessaires aux fidèles en cette vie pour les
amener à la perfection, vous ( 517) avez voulu que les fidèles leur payassent,
dans le temps, un tribut charitable, dont l’éternité soldera l’intérêt. Et nous
voyons toutes ces oeuvres, et nous les voyons très-bonnes, ou plutôt, vous les
voyez en nous; puisque votre grâce a répandu sur nous l’Esprit qui nous donne la
force de les voir et de vous aimer en elles.
«
SEIGNEUR, DONNEZ-NOUS VOTRE PAIX! »
50. Source de tous nos biens, Seigneur mon Dieu,
donnez-nous votre paix! la paix de votre repos, la paix de votre sabbat! la
paix sans déclin! Car cet ordre admirable, et cette belle harmonie de tant de
créatures excellentes, passeront, le jour où leur destination sera remplie.
Ils auront leur soir, comme ils ont eu leur matin.
LE SEPTIÈME JOUR N’A PAS EU DE
SOIR.
51. Or, le septième jour est sans soir et sans coucher,
parce que vous l’avez sanctifié, pour qu’il demeure éternellement. Et le repos que vous prenez
après l’oeuvre admirable de votre repos, nous fait entendre, par l’oracle de
votre sainte Ecriture, que nous aussi, après l’accomplissement de notre oeuvre,
dont votre grâce fait la bonté, nous devons nous reposer dans le sabbat de la
vie éternelle!
COMMENT
DIEU SE REPOSE EN NOUS.
52. Alors votre repos en nous sera, comme aujourd’hui
votre opération en nous. Et notre repos sera le vôtre, comme aujourd’hui nos
oeuvres sont les vôtres; car vous, Seigneur, vous êtes à la fois le mouvement et
le repos éternel. Votre vue, votre action, votre repos ne connaissent pas le
temps; et cependant vous faites notre vue dans le temps, vous faites le temps,
et le repos qui nous sort du temps.
DIFFÉRENCE ENTRE LA CONNAISSANCE DE DIEU
ET CELLE DES HOMMES.
53. Nous voyons donc toutes vos créatures, parce
qu’elles sont ; et, au rebours, elles sont, parce que vous les voyez. Et nous
voyons, au dehors, qu’elles sont; intérieurement, qu’elles sont bonnes. Mais
vous, vous les voyez faites, là où vous les avez vues à faire. Aujourd’hui, nous
sommes portés à faire le bien que notre coeur a conçu par votre Esprit. Hier,
loin de vous, le mal nous entraînait. Mais vous, ô Dieu, l’unique et souveraine
bonté, jamais vous n’avez cessé de faire le bien. Il est quelques bonnes oeuvres
que nous faisons, grâce à vous, mais elles ne sont pas éternelles. C’est après
ces œuvres que nous espérons l’éternel repos dans la gloire de votre
sanctification. Mais vous, le seul bien qui n’a besoin de nul autre, vous ne
sortez jamais de votre repos; votre repos, c’est vous-même.
Et l’homme peut-il donner à l’homme l’intelligence de ces
mystères de gloire ? L’ange à l’ange, ou l’ange à l’homme? Non; c’est à vous
qu’il faut demander, c’est en vous qu’il faut chercher, c’est à vous-même qu’il
faut frapper; ainsi l’on reçoit, ainsi l’on trouve, ainsi l’on entre ( Matth.
VII, 8).
Ainsi soit-il.
Cette traduction des Confessions est l’œuvre de M. Moreau.
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