21. « Car je vous dis que si votre
justice n'est plus abondante que celle des scribes et des Pharisiens vous
n'entrerez point dans le royaume des cieux; » c'est-à-dire: Vous n'entrerez
point dans le royaume des cieux, si vous n'accomplissez, non seulement les
moindres préceptes de la Loi qui forment l'ébauche de l'homme, mais encore tout
ce que j'y ajoute, moi qui suis venu non abolir la loi, mais l'accomplir (Ib. n.
4). Mais, me diras-tu, si, en partant plus haut de ces très petits
commandements, il a dit que celui qui en aura violé un et enseigné dans ce sens,
sera appelé très petit dans le royaume des cieux, tandis que celui qui les aura
observés et aura enseigné ainsi, sera appelé grand, et par conséquent sera grand
dans le royaume des cieux: qu'était-il besoin de rien ajouter à ces très petits
commandements de la loi, puisque celui qui les accomplit et enseigne ainsi, est
grand? Il faut donc que ces paroles: « Mais celui qui fera et enseignera ainsi
sera appelé grand dans le royaume des cieux, » soient entendues, non de ces très
petits commandements, mais de ceux-mêmes que le Seigneur va proclamer. Or quels
sont-ils? « Que votre justice, dit-il lui-même, soit plus abondante que celle
des scribes et des pharisiens; sinon, vous n'entrerez point dans le royaume des
cieux. » Donc celui qui aura violé ces très petits commandements et aura
enseigné ainsi, sera appelé très petit; mais celui qui les aura observés et aura
enseigné ainsi, ne sera pas tenu pour grand et pour digne du royaume des cieux,
bien qu'il ne soit pas aussi petit que celui qui les aura violés. S'il veut être
grand et propre au royaume des cieux, il doit faire et enseigner comme le Christ
enseigne à cette heure, c’est-à-dire qu'il faut que sa justice soit plus
abondante que celle des scribes et des pharisiens. La justice des pharisiens,
c'est de ne pas tuer; la justice de ceux qui doivent entrer dans le royaume de
Dieu, est de ne point se fâcher sans raison. C'est donc très petite chose de ne
pas .tuer, et celui qui viole ce commandement sera appelé très petit dans le
royaume des cieux; mais celui qui l'aura observé en ne donnant la mort à
personne, ne sera pas pour cela grand et digne du royaume des cieux, quoiqu'il
soit déjà monté d'un degré; mais il se perfectionnera en ne se fâchant point
sans raison, et, s'il en vient à bout, il sera à une bien plus grande distance
de l'homicide. Ainsi celui qui nous apprend à ne point nous fâcher, n'abolit
point la loi qui nous défend de tuer; il l'accomplit plutôt, en sorte que, nous
abstenant de l'homicide au dehors et de la colère au dedans, nous conservions
notre innocence.
22. « Vous avez entendu qu'il a été
dit aux anciens : Tu ne tueras point ; car celui qui tuera sera soumis au
jugement. Mais moi je vous dit que quiconque se met sans raison en colère contre
son frère, sera soumis au jugement; et celui qui aura dit à son frère : Raca,
sera soumis au conseil; mais celui qui dira Fou, sera soumis à la- géhenne du
feu. » Quelle différence y a-t-il entre être soumis au jugement, ou au conseil,
ou à,la géhenne du feu ? Car cette dernière punition est la plus grave, et le
Seigneur nous avertit qu'il y a certains degrés entre les fautes légères et les
fautes graves, jusqu'à ce qu'on arrive à la géhenne du feu. Et si le jument est
moins à craindre que le conseil, le conseil doit aussi l'être moins que la
géhenne du feu; par conséquent il faut entendre qu'il est moins coupable de se
fâcher sans raison contre son frère que de lui dire : Raca, et moins
coupable de lui dire : Raca, que de lui dire Fou. En effet la
punition ne serait pas graduée, si les fautes elles-mêmes ne l'étaient.
23. Dans tout cela il n'y a qu'un
mot d'obscur: « Raca, » qui n'est ni grec ni latin ; les autres sont
usités dans notre langue. Quelques-uns ont voulu tirer cette expression du grec
et traduisent Raca, par : couvert de haillons, en le faisant dériver de
racos haillon. Mais quand on leur demande comment ils rendent en grec ces
mots: couvert de haillons , ils ne répondent point Raca. D'ailleurs le
traducteur latin aurait très bien pu mettre pannosus, au lieu de Raca,
et ne pas employer une expression qui n'est usitée ni en latin ni en grec. Je
trouve plus raisonnable ce que m'a dit un Juif que j'interrogeai là-dessus : à
savoir que ce mot n'a pas de sens propre, mais qu'il sert simplement à exprimer
le mouvement de l'âme en colère. Les grammairiens appellent interjections ces
parties du discours servant à exprimer les émotions de l'âme; comme hélas
! par exemple, qui ex prime la douleur, et hem! la colère. Ces mots sont
propres à chaque langue et ne se rendent pas facilement dans une autre; c'est ce
qui a obligé les traducteurs grec et latin à donner ce mot, dont ils ne
trouvaient pas l'équivalent chez eux.
24. Il y a donc des degrés dans ces
péchés. Tout d'abord un homme se fâche, et contient ce mouvement dans son coeur.
Si son émotion lui arrache un terme de colère, qui n'a pas de sens peut-être,
mais qui atteste par son impétuosité l'émotion elle-même et va frapper celui à
qui elle s'adresse; il est plus coupable que s'il eût étouffé en silence sa
passion naissante. Que si l'indignation ne se contente plus d'une simple
exclamation, mais profère une parole qui exprime clairement, nettement, un blâme
: peut-on douter que la faute ne soit plus grave que si tout s'était borné à une
interjection? Il n'y a donc tout d'abord qu'une seule chose, la colère: puis
deux, la colère et le mot qui l'exprime puis trois, la colère, le mot qui
l'exprime et dans ce mot l'expression positive du blâme. Voyez maintenant les
trois punitions : le jugement, le conseil et la géhenne du feu. Dans le jugement
il y a encore place pour la défense: dans le conseil, bien que le jugement s'y
rencontre aussi, il faut cependant admettre une_ différence, c'est qu'il s'agit
surtout d'y prononcer l'arrêt : car il n'est plus question de décider si le
prévenu doit être condamné, mais les juges délibèrent entre eux sur l'espèce de
punition qu'il faut lui infliger. Enfin la géhenne du feu n'implique point de
doute sur la condamnation, comme le jugement; ni d'incertitude sur la peine,
comme le conseil : chez elle il y a tout à la fois condamnation et supplice du
condamné. On voit donc qu'il y a des degrés dans le péché et dans la punition;
mais qui saurait dire par quels modes invisibles l'application proportionnelle
en est faite aux âmes ? On peut donc mesurer la distance qui sépare la justice
des pharisiens de cette autre justice plus grande qui donne place dans le
royaume des cieux, en ce que, l'homicide étant plus grave qu'une parole
injurieuse, cependant là, l'homicide soumet au jugement; et ici la simple colère
même, la plus légère des trois fautes mentionnées ci-dessus; là encore la
question de l'homicide se jugeait au tribunal des hommes, tandis qu'ici tout est
abandonné au jugement de Dieu, où le condamné aboutit à la géhenne du feu. Or si
l'on dit que dans cette justice plus grande, où une injure est punie de la
géhenne du feu, l'homicide doit subir une punition plus sévère, on, est par là
même obligé de comprendre qu'il y a aussi des degrés dans la géhenne du feu.
25. Sans doute, dans ces trois
sentences il faut avoir égard aux mots sous-entendus. Il n'y en a point dans la
première, où se trouvent toutes les expressions nécessaires: « Quiconque se met
sans raison en colère contre son frère, sera soumis au jugement. » Mais dans la
seconde où il est dit: « Celui qui dira à son frère : Raca, » il faut
sous-entendre : sans raison, puis ajouter sera soumis au conseil (Rét. l. I, ch.
XIX, n. 4). » Et dans le troisième où il est dit : « Mais celui qui dira : Fou :
» il faut sous-entendre deux choses : à son frère, et sans raison. C'est ainsi
qu'on justifie l'Apôtre, qui appelle les Galates insensés (Gal. III, 1), bien
qu'il leur donne aussi le nom de frères ; mais il ne le fait pas sans raison. Il
faut donc sous-entendre ici le mot frère : car on va nous dire comment, dans la
justice plus grande, il faut aussi traiter un ennemi.
26. Le Christ continue: « Si donc
tu présentes ton offrande à l'autel, et que là tu te souviennes que ton frère a
quelque chose contre toi : laisse-là ton don devant l'autel et va d'abord te
réconcilier avec ton frère, et alors revenant, offre ton présent. » On voit
clairement par ceci qu'il s'agissait plus haut d'un frère, car la conjonction
qui unit la phrase qui précède à celle qui suit marque une conséquence. En
effet, le Seigneur ne dit pas : Si tu présentes ton offrande à l'autel, mais : «
Si donc tu présentes ton offrande à l'autel. » Car s'il n'est pas permis de se
fâcher sans raison contre son frère, ni de lui dire Raca ou Fou: il l'est encore
bien moins de conserver la colère dans son âme, au point de la faire dégénérer
en haine. A ceci se rattache ce qui est dit ailleurs : « Que le soleil ne se
couche pas sur votre colère (Ep. IV, 26). » On nous ordonne donc de laisser
devant l'autel le présent que nous avions l'intention d'offrir, quand nous nous
souvenons que notre frère a quelque chose contre nous, puis d'aller, de nous
réconcilier avec lui, et de revenir ensuite pour faire notre offrande. A prendre
les paroles à la lettre, on pourra penser que la démarche est praticable quand
le frère est présent, car la réconciliation ne peut être différée, puisqu'on
t'ordonne même de laisser ton offrande devant l'autel. Mais s'il s'agit d'un
absent, et même, ce qui peut arriver, d'un homme qui se trouve au delà des mers,
et qu'un tel souvenir te vienne à la pensée, il est absurde d'imaginer qu'il te
faille laisser ton don devant l'autel, parcourir les terres et les mers puis
revenir présenter ton offrande à Dieu. Nous sommes donc forcés de recourir au
sens spirituel pour ne pas prêter au texte un sens absurde.
27. Nous pouvons par conséquent
entendre par l'autel dressé dans le temple intérieur consacré à Dieu, la foi
elle-même, dont l'autel visible est le signe. En effet, quelle que soit
l'offrande que nous faisons à Dieu, prophétie, doctrine, oraison, hymne, psaume,
ou tout autre don spirituel qui se présente à notre esprit, Dieu ne peut
l'agréer qu'autant qu'il est appuyé sur une foi sincère, qu'il en est, pour
ainsi dire, le couronnement fixe et solide, en sorte que notre langage puisse
être sain et pur. Car beaucoup d'hérétiques, n'ayant pas l'autel, c'est à dire
la vraie foi, ont proféré des blasphèmes au lieu de cantiques : appesantis par
des opinions tout humaines ils ont, pour ainsi dire, jeté leur prière, à terre.
Mais il faut encore que l'intention de celui qui fait l'offrande, soit pure.
C'est pourquoi, quand nous devons offrir quelque chose de ce genre dans notre
coeur, c'est-à-dire dans le temple intérieur consacré à Dieu : « Car, dit
l'Apôtre, le temple de Dieu est saint, et vous êtes ce temple (I Co. III, 17); »
et encore : « Que le Christ habite par la foi dans vos moeurs (Ep. III, 17); »
si nous nous rappelons que notre frère a quelque chose contre nous, c'est-à-dire
si nous l'avons blessé (car c'est alors qu'il a quelque chose contre nous ; et
s'il nous a offensés, c'est nous qui avons quelque chose contre lui mais en ce
cas, il n'est pas besoin d'aller nous réconcilier avec lui ; en effet tu ne
demandes pas pardon à celui qui t'a fait injure ; tu te contentes de lui
pardonner, comme tu désires que le Seigneur, te pardonne tout le mal que tu as
commis) : Si, dis-je, nous l'avons blessé, il faut aller, non avec les pieds du
corps, mais par le mouvement de l'âme, se prosterner humblement et
affectueusement devant lui, courir à. lui par une pensée charitable, en présence
de celui à qui nous devons faire notre offrande. De cette manière, s'il est
présent, tu peux l'adoucir par la sincérité de tes sentiments, rentrer en grâce
avec lui en lui demandant pardon, quand tu l'auras déjà fait sous l'œil de Dieu,
en te rendant près de lui, non par la lente démarche du corps, mais par le
rapide élan de l'amour. Puis revenant, c'est-à-dire ramenant ton attention à
l'oeuvre commencée, tu présenteras ton don.
28. Mais qui fait cela, qui
s'abstient de se fâcher contre son frère sans raison, de lui dire Raca sans
raison, de lui dire Fou sans raison (trois fautes inspirées par l'excès de
l'orgueil) ; ou encore qui, s'étant rendu coupable de l'une de ces fautes,
recourt à l'unique remède, qui est de demander pardon humblement et de cœur;
qui, dis-je, si ce n'est l'homme qui n'est point enflé de l'esprit de vaine
gloire? Bienheureux donc les pauvres d'esprit parce qu'à eux appartient tient le
royaume des cieux. » Maintenant voyons la suite.
29. « Accorde-toi au plus tôt avec
ton adversaire pendant que tu vas en chemin avec lui, de peur que ton adversaire
ne te livre au juge, et que le juge ne te livre au ministre et que tu ne sois
jeté en prison. En vérité, je te le dis : Tu ne sortiras point de là avant
d'avoir payé jusqu'au dernier quart d'un as. » Voici ce que j'entends par juge :
« Car le Père ne juge personne, mais il a remis tout jugement au Fils (Jn, V,
22). » Voici ce que j'entends par ministre : « Et les anges le servaient (Mt.
IV, 11) ; » et nous croyons qu'il viendra avec ses anges pour juger les vivants
et les morts. Par la prison j'entends les peines des ténèbres, que le Christ
appelle ailleurs extérieures (Ib. VIII, 12); et je le crois, parce que la joie
des divines récompenses est dans l'esprit même, ou dans quelque chose de plus
intime encore, si cela est possible, suivant ces paroles adressées au serviteur
fidèle : « Entre dans la joie de ton Maître (Ib. XXV, 23). » C'est ainsi que,
dans la constitution actuelle de la république, le secrétaire ou la satellite de
juge met dehors celui que l'on jette en prison.
30. Quant au dernier quart d'as à
payer, on peut raisonnablement l'interpréter en ce sens que rien ne restera
impuni. C'est ainsi que nous disons : Jusqu'à la lie, quand nous voulons
exprimer que quelque chose a été exigé jusqu'à ce qu'il n'en restât rien.
Peut-être ce dernier quart d'as signifie-t-il les péchés commis sur la terre. En
effet des quatre éléments que nous distinguons dans ce monde, la terre vient en
dernier lieu : le ciel d'abord, puis l'air, puis l'eau, puis la terre. Ces mots
: « Que tu n'aies payé jusqu'au dernier quart d'un as, » pourraient ainsi
s'entendre : jusqu'à ce que tu aies expié les péchés terrestres ; vu qu'Adam
pécheur s'est entendu dire : « Tu es terre (Gn. III, 19). » Quant à ces
expressions: « avant d'avoir payé». Je m'étonnerais fort qu'elles ne
signifiassent pas la peine que nous appelons éternelle. Comment en effet payer
une dette là où il n'y a plus moyen de se repentir ni de se corriger? Peut-être
cette forme de langage :
Jusqu'à ce que tu aies payé, » est
la même que celle-ci: « Asseyez-vous à ma droite, jusqu'à ce que je mette tous
vos ennemis sous vos pieds » (Ps. CIX, 1) ; car cela ne veut pas dire que le
Fils cessera d'être à la droite du Père, quand il aura ses ennemis sous ses
pieds; pas plus que ces paroles de l'Apôtre : « Car il faut qu'il règne jusqu'à
ce qu'il ait mis ses ennemis sous ses pieds, » ne signifient que le Fils cessera
de régner, quand ses ennemis seront sous ses pieds. De même donc qu'il faut
entendre ces paroles.
Il faut qu'il règne jusqu'à ce
qu'il ait mis ses ennemis sous ses pieds, » en ce sens que le Christ règnera
toujours, parce que toujours ses ennemis seront sous ses pieds; ainsi peut-on
entendre ces paroles : « Tu ne sortiras point de là avant d'avoir payé jusqu'au
dernier quart d'un as, » en ce sens que le coupable ne sortira jamais, parce
qu'il en est toujours à payer le dernier quart d'as, vu qu'il porte la peine
éternelle du péché qu'il a commis sur la terre. Et je ne dis point cela pour
avoir l'air de couper court à une discussion plus étendue sur les peines des
péchés, et dispenser d'examiner comment les Ecritures les appelle éternelles. Du
reste, il faut plutôt chercher à les éviter qu'à les connaître.
31. Voyons maintenant quel est cet
adversaire avec lequel on nous ordonne de nous accorder bien vite, pendant que
nous sommes en chemin avec lui. Ce doit être ou le démon,ou l'homme, ou la
chair, ou Dieu, Mais je ne vois pas comment on pourrait nous ordonner d'être
bienveillants envers le démon, c'est-à-dire de nous mettre d'accord avec lui;
car les uns ont traduit le mot grec eunon par bienveillant, les
autres par d'accord; or on ne nous commande point d'être bienveillants
envers le démon, car la bienveillance suppose l'amitié, et personne ne peut dire
qu'il faille faire amitié avec le démon ; nous ne pouvons non plus être d'accord
avec lui, puisqu'en le renonçant une fois nous lui avons déclaré la guerre, et
que nous ne serons couronnés que pour l'avoir vaincu; nous ne pouvons consentir
à rien de ce qu'il veut puisque si nous n'y avions jamais consenti, nous ne
serions pas tombés dans de telles misères. Quant à l'homme, bien qu'on nous
commande d'être, autant que possible, en paix avec tout le monde, et qu'on
puisse appliquer, là, les mots de bienveillance, de concorde et d'arrangement je
ne vois pas cependant comment l'homme pourrait noirs livrer au juge, quand je
sais que le Christ est ce juge, « devant le tribunal duquel, dit l'Apôtre, nous
devons tous comparaître » (II Cr. X, 10). Or comment celui qui doit comparaître
avec nous devant le juge, pourrait-il nous livrer au juge? Que si on est livré
au juge pour avoir fait tort à un homme, bien que ce ne soit pas par l'offensé
lui-même, il serait bien plus naturel de dire que le coupable est livré au juge
par la loi elle-même, contre laquelle il a agi en offensant un homme. En effet
si un homme en tue un autre, il ne sera plus temps de s'arranger.avec celui-ci,
puisqu'on n'est plus en chemin avec lui, c’est-à-dire dans cette vie; et
pourtant il pourra encore être guéri en se repentant, en recourant, avec le
sacrifiée d'un coeur brisé de douleur, à la miséricorde de Celui qui remet les
péchés à ceux qui se convertissent à lui et qui a plus de joie pour un pécheur
faisant pénitence que pour quatre-vingt-dix justes (Lc, XV, 7). Je vois encore
bien moins comment on nous ordonnerait d'être bienveillants pour la chair ou de
nous accorder avec elle. Car ce sont surtout les pécheurs qui aiment leur chair,
s'accordent avec elle et cèdent à ses volontés; ceux au contraire qui la
réduisent en servitude, bien loin de lui céder, la forcent à obéir.
32. Peut-être est-ce avec Dieu
qu'on nous ordonne de nous accorder, en nous réconciliant avec lui, dont nous
nous sommes éloignés par le péché au point qu'on peut dire qu'il est notre
adversaire. En effet on peut appeler adversaire celui qui résiste : « Or Dieu
résiste aux orgueilleux et accorde sa grâce aux humbles (Jc. IV, 6) ; —
l'orgueil est le commencement de tout péché; mais se séparer de Dieu est le
principe de l'orgueil de l'homme (Eccli. X, 13,-14) ; » et l'Apôtre dit : « Car
si quand nous étions ennemis de Dieu nous, avons été réconciliés avec lui par la
mort de son Fils; à plus forte raison, réconciliés, serons-nous sauvés par sa
vie » (Rm. V, 10). D'où l'on peut conclure qu'il n'y a pas de nature mauvaise
qui soit ennemie de bien, puisque ceux qui ont été ses ennemis, sont réconciliés
avec lui. Donc quiconque, étant encore en chemin, c'est-à-dire en cette vie,
n'aura pas été réconcilié avec Dieu par la mort de son Fils, sera livré par lui
au juge : « Car le Père ne juge personne, mais il a remis tout jugement au Fils.
» Après cela vient tout ce qui est écrit dans le chapitre et que nous avons déjà
exposé. Une seule chose pourrait contrarier notre interprétation : comment
peut-on dire raisonnablement que nous sommes en chemin avec Dieu, s'il faut voir
en lui l'adversaire avec lequel on nous ordonne de nous réconcilier au plus tôt
? A moins qu'on ne réponde que Dieu étant partout, nous sommes certainement avec
lui. « Car, nous dit le Psalmiste, si je monte vers les cieux, vous y êtes; si
je descends aux enfers, vous vêtes encore; si je prends des ailes pour diriger
mon vol, si je vais habiter à l'extrémité des mers, c'est votre main qui m'y
conduit, c'est votre droite qui m'y soutient » (Ps. CXXXVIII, 8-10). Que s'il
répugne de dire que les impies soient avec Dieu, bien que Dieu soit partout et
que nous ne disions pas que les aveugles soient avec la lumière, bien que la
lumière environne leurs yeux, il nous restera à dire qu'ici l'adversaire c'est
le commandement de Dieu. En effet qui résiste à ceux qui veulent pécher, comme
le commandement de Dieu, c'est-à-dire sa loi et la divine Ecriture, qui nous a
été donnée pour compagne dans cette vie, avec laquelle nous sommes en chemin,
que nous ne devons point contredire, avec laquelle, au contraire, il faut nous
hâter de nous mettre d'accord, de peur qu'elle ne nous livre au Juge? Car
personne ne sait quand il sortira de cette vie. Or, qui est-ce qui se met
d'accord avec la divine Ecriture, sinon celui qui la lit ou l'écoute avec piété,
lui défère la souveraine autorité, de manière à ne point repousser ce qu'il ne
comprend pas, bien qu'il y voie la condamnation de ses péchés, mais qui accepte
volontiers le reproche et se réjouit de voir qu'on ne ménage point ses maladies
tant qu'elles ne sont pas guéries ; puis, dans les passages qui lui semblent
obscurs ou malsonnants, ne soulève point de contradictions ni de débats, mais en
demande l'intelligence, tout en conservant une soumission pleine de borine
volonté et de respect à une si grande autorité? Or qui se conduit ainsi, sinon
celui qui vient avec douceur et piété, et non avec aigreur et menace, ouvrir le
testament de son Père et en prendre connaissance ? Donc bienheureux ceux qui
sont doux, « parce qu'ils posséderont la terre en héritage. » Voyons la suite.
33. « Vous avez
entendu qu'il a été dit aux anciens : Tu ne commettras point l'adultère. Mais
moi je vous dis que quiconque aura regardé une femme pour la convoiter, a déjà
commis l'adultère dans son coeur. » C'est donc la justice moindre de ne pas
commettre l'adultère par l'acte charnel; mais la justice plus grande est de ne
pas même le commettre dans son coeur. Or quiconque ne commet point l'adultère
dans son coeur, a bien plus de facilité à se tenir en garde contre l'adultère,
charnel. Ainsi donc celui qui a donné le premier commandement l'a fortifié par
le second; car il n'est pas venu pour abolir la loi, mais pour l'accomplir. Sans
doute il est à remarquer qu'il n'a point dit : « quiconque » aura convoité une
femme, mais : « aura regardé une femme pour la convoiter, » c'est-à-dire dans le
but et dans l'intention de la convoiter: ce qui n'est plus simplement éprouver
les sollicitations de là chair, mais donner plein consentement à la passion
déréglée, jusqu'à ne réprimer point le désir illicite, mais l'assouvir si
l'occasion s'en présente.
34. Ces trois
choses sont nécessaires pour compléter le péché; la suggestion, la délectation
et le consentement. La suggestion provient ou de la mémoire ou des sens,
c'est-à-dire de la vue, de l'ouïe, de l'odorat, du. goût ou du toucher. Si la
délectation porte à la jouissance li faut réprimer cette délectation, car elle
est coupable. Par exemple quand nous jeûnons, l'aspect de la nourriture éveille
l'appétit; mais nous n'y consentons pas et nous le soumettons au joug de la
raison. Si nous donnons notre consentement, le péché est complet; Dieu le voit
au fond de notre coeur, bien qu'il reste ignoré des Pommes. Voilà donc les trois
degrés : la suggestion sous la forme de serpent pour ainsi dire, c'est-à-dire
glissante et sinueuse, effet du mouvement passager des corps. Que si telles et
telles images se présentent dans l'âme, elles proviennent du dehors, du monde du
corps; et si quelque mouvement secret agite l'âme, en dehors de l'action dés
cinq sens, il est lui-même passager et lubrique; et plus il met de mystère à
envahir la pensée, plus il y a de justesse à la comparer au serpent. Ces trois
conditions, dont je parlais au commencement, se retrouvent dans le fait raconté
dans la Genèse : la suggestion et une certaine persuasion, figurée par le
serpent; la délectation dans l'appétit charnel, représentée par Eve; et le
consentement de la raison, donné par Adam. Après quoi l'homme est expulsé du
paradis, c'est-à-dire, de la bienheureuse lumière de la justice, il passe à la
mort (Gn. III, 1), et cela le plus justement possible. Car conseiller n'est pas
forcer. Toute chose est belle de sa nature, dans son degré et à son rang; mais
il ne faut pas descendre de l'ordre supérieur, où l'âme raisonnable a sa place,
à un ordre inférieur. Et personne n'est forcé de le faire; et celui qui le fait
est justement puni de Dieu, puisqu'il agit volontairement. Toutefois, avant que
l'habitude soit contractée, la délectation est nulle, ou si faible qu'elle est
presque nulle; mais y consentir quand elle est illicite, est un grand péché. Or
par le seul consentement, on commet le péché en son coeur. Si l'acte se consomme
au dehors, la passion semble s'assouvir et s'éteindre; mais ensuite, la
suggestion se reproduit, la délectation devient plus ardente, moins cependant
encore que quand des actes fréquents en ont fait une habitude ; car alors elle
est très difficile à vaincre. Et pourtant on peut encore, sous la direction et
avec l'aide de Dieu, surmonter même l'habitude, pourvu qu'on ne s'abandonne pas
soi-même et qu'on ne redoute point le combat du chrétien. Par là, recouvrant
leur paix d'autrefois et reprenant leurs places, l'homme est soumis au Christ et
la femme à son époux (I Co, XI, 3; Ep. V, 23).
35. De même donc qu'il y a trois
degrés pour arriver au péché : la suggestion, la délectation, le consentement;
de même il y a trois espèces de péchés : le péché de coeur, le péché d'action et
le péché d'habitude, qui sont comme trois morts l'une s'opère dans la maison,
pour ainsi dire, quand le coeur consent à la passion; l'autre franchit en
quelque sorte le seuil et se montre au dehors, quand on produit volontairement
l'acte extérieur; la troisième a lieu quand, par la violence de l'habitude,
l'âme est comme écrasée sous le poids de la terre e t exhale la puanteur du
sépulcre. Quiconque a lu l'Evangile sait que le Seigneur a ressuscité des morts
de ces trois espèces. Et peut-être a-t-on remarqué la différence de langage, de
la part du Sauveur, qui dit d'abord: « Jeune fille, lève-toi (Mt. IX, 25); »
puis: « Jeune homme, je te le commande, lève-toi (Lc, VII, 14); » et enfin : «
Il frémit en son esprit, il pleura et frémit encore, » et ensuite: « Il cria
d'une voix forte: Lazare, sors (Jn, XI, 33, 34). »
36. Ainsi donc par l'adultère
mentionné dans ce chapitre, il faut entendre toute convoitise charnelle et
déréglée.En effet quand l'Ecriture appelle si souvent l'idolâtrie fornication,
et quand Paul donne à l'avarice le nom d'idolâtrie (Col. III, 5 ; Ep, V, 6) ;
qui peut douter qu'on ait raion d'appeler fornication toute convoitise coupable,
alors que l'âme, au mépris de la loi supérieure qui la gouverne, se prostitue à
des objets d'une nature inférieure et se souille, au prix de quelque honteuse
volupté? Que celui donc qui sent la délectation charnelle se révolter contre la
bonne volonté par l'effet de l'habitude du péché, dont la puissance effrénée le
réduit en esclavage, que celui-là se rappelle quelle paix il a perdue en péchant
et qu'il s'écrie: « Malheureux homme que je suis, qui me délivrera du corps de
cette mort ? la grâce de Dieu par Jésus-Christ (Rm. VII, 24). » Car en
proclamant ainsi son malheur, il implore avec larmes le secours du consolateur.
Et ce n'est pas un médiocre progrès vers le bonheur que la. connaissance de sa
propre misère. Aussi bienheureux ceux qui pleurent, parce qu'ils seront
consolés. »
37. Le Sauveur continue et dit: «
Si ton oeil droit te scandalise, arrache-le et jette-le loin de toi : car il
vaut mieux pour toi qu'un de tes membres périsse, que si tout ton corps était
jeté dans la géhenne. » Or il faut un grand courage pour couper ses membres.
Quelque soit ici le sens du mot oeil, il est certain qu'il indique l'objet d'une
vive affection. En effet quand on veut exprimer l'extrême attachement que l'on a
pour quelqu'un, on a coutume de dire : Je l'aime comme mes yeux, ou même plus
que mes yeux. Et sans doute si on dit droit, c'est pour indiquer encore un amour
plus violent. Car bien que l'on emploie généralement les deux yeux du corps pour
voir, et qu'ils soient tous les deux également doués de cette faculté, on
redoute cependant davantage de perdre l'oeil droit. Le sens est donc: quel que
soit l'objet que vous aimiez et l'aimassiez-vous à l'égal de votre oeil droit,
s'il vous scandalise, c'est-à-dire s'il est pour vous un obstacle au vrai
bonheur, arrachez-le et jetez-le loin de vous. Car il vaut mieux pour vous qu'un
objet auquel vous tenez autant qu'à vos membres, périsse, que si tout votre
corps était jeté dans la géhenne.
38. Mais nous sommes obligés
d'examiner de plus près ce que le Christ entend par oeil, quand nous lisons ce
qu'il dit ensuite, et dans le même sens, de la main droite : « Si ta main droite
te scandalise, coupe-la et jette-la loin de toi : car il vaut mieux pour toi
qu'un de tes membres périsse, que si tout ton corps était jeté dans la géhenne.
» Dans cette question, je ne vois rien de mieux à dire si ce n'est que l'oeil
signifie ici l'ami le plus cher: car c'est bien là ce que nous pouvons appeler
un membre, et un membre chéri; et aussi un conseiller, parce qu'il est comme
l'œil qui nous montre le chemin; et conseiller pour les choses divines,
puisqu'il est notre oeil droit: 1'œil gauche, qui est aussi un conseiller, ne
nous éclairant que sur les choses terrestres, sur tout ce qui tient aux besoins
du corps. Or il n'était pas besoin de parler de celui-ci en cas de scandale,
puisque alors on ne sait pas même épargner l'oeil droit. Mais le conseiller nous
scandalise dans les choses divines, quand il cherche à nous entraîner dans
quelque pernicieuse hérésie sous prétexte de religion et de doctrine. Par
conséquent, entendons, par main droite, un coopérateur aimé, un ministre pour
les choses saintes; en sorte que comme l'oeil est l'organe pour voir, la main.
soit l'instrument pour agir. Par main gauche, nous entendrons ce qui nous
procure les choses nécessaires, en cette vie, aux besoins du corps.
39. « Il a été dit aux anciens: Que
celui qui envoie sa femme, lui donne un acte de répudiation. » Voilà la justice
moindre des pharisiens, que le Seigneur ne contredit point quand il ajoute: «
Mais moi je vous le dis: Quiconque renvoie, sa femme hors le cas d'adultère, la
rend adultère; et quiconque épouse une femme renvoyée, commet un adultère. » En
effet celui qui commande de donner un acte de répudiation, ne commande pas pour
cela de renvoyer la femme; mais en disant : « Que celui qui la renvoie, lui
donne un acte de répudiation, » il cherche à modérer, par la pensée d'un
divorce, la colère irréfléchie de l'homme qui rejette sa femme. En suscitant
ainsi un délai, l'auteur de la loi assez fait comprendre, autant que cela était
possible avec des hommes à tète dure, qu'il n'approuvait point le divorce. Aussi
le Seigneur, interrogé d'abord sur cette question, répond-il
Moïse a fait cela à cause de la
dureté de votre tueur (Mt. XIX, 8). » En effet quelque dur que pût être celui
qui voulait renvoyer sa femme, il. revenait facilement à des sentiments plus
doux en pensant qu'une fois l'acte de répudiation donné, sa femme pourrait
impunément en épouser un autre. C'est donc pour fortifier la difficulté du
divorce, que le Seigneur n'a excepté que le cas de fornication. Quant aux autres
inconvénients, s'il y en a, il veut qu'on les supporte courageusement par égard
pour la foi conjugale et la chasteté; et il appelle adultère l'homme qui épouse
une femme même dégagée du lien qui l'unissait à son premier mari. L'apôtre Paul
fixe la durée de cet engagement, qui subsiste, dit-il, tant que l'époux vit;
mais, l'époux une fois mort, il accorde la permission d'en prendre un autre (Rm.
VII, 2, 3). C'est en effet la règle qu'il suit et qu'il donne, non comme un
conseil de sa part, ainsi qu'il le fait en quelques circonstances, mais comme un
ordre formel du Seigneur quand il dit : « Pour ceux qui sont mariés, ce n'est
pas moi, mais le Seigneur qui commande que la femme ne se sépare point de son
mari: que si elle en est séparée, qu'elle demeure sans se marier, ou qu'elle se
réconcilie avec son mari ; que le mari, de même, ne quitte point sa femme (I Co.
VII, 10, 11). » Il faut, je pense, dire aussi du mari : qu'il ne prenne pas
d'autre femme quand il a renvoyé la sienne, ou qu'il se réconcilie avec
celle-ci. Car il peut arriver qu'il renvoie. sa femme pour cause de fornication,
suivant l'exception faite parle Seigneur. Or s'il n'est point permis à la femme
de se remarier, tant que vit le premier époux qu'elle a quitté, ni à celui-ci de
prendre une autre femme du vivant de celle qu'il a renvoyée: il est bien moins
permis encore d'avoir un honteux commerce avec les premiers venus. Mais il faut
estimer bien plus heureux les époux qui, ayant mis des enfants au monde, ou
ayant dédaigné de laisser des héritiers ici-bas, ont pu, d'un commun
consentement, observer entre eux la continence, ce qui n'est point contraire à
la défense de renvoyer sa femme : car ce n'est point la renvoyer que de vivre
avec elle dans un commerce spirituel, et non charnel, et on reste fidèle à cette
parole de l'Apôtre : « Il faut que ceux-mêmes qui ont des femmes soient comme
n'en ayant pas » (I Co. VIII, 29).
40. Ce qui inquiète le plus les
esprits faibles, qui ont du reste envie de suivre les préceptes du Christ, c'est
ce que le Seigneur lui-même dit en un autre endroit: « Si quelqu'un vient à moi,
et ne hait point son père, et sa mère, et sa femme, et ses fils, et ses frères,
et ses sueurs, et même sa propre âme, il ne peut-être mon disciple (Lc, XIV,
26). » Les hommes trop peu intelligents croient voir ici une contradiction; en
ce que, d'une part le Sauveur défend de renvoyer une femme, hors le cas de
fornication, et que, de l'autre, il déclare que quiconque ne hait pas sa femme
ne saurait être son disciple. Or, s'il eût voulu parler de l'union charnelle, il
n'aurait pas placé dans la même condition le père, la mère, l'époux, les enfants
et les frères. Mais combien il est vrai que le royaume des cieux souffre
violence et «que ce sont les violents qui le ravissent ! » (Mt. XI, 12) En
effet, quelle violence l'homme doit se faire pour aimer ses ennemis et haïr
père, mère, époux, fils, frère ! Et l'un et l'autre sont exigés par Celui qui
nous appelle au royaume des cieux! Mais, avec son aide, il est aisé de montrer
que ces prescriptions ne se contredisent point ; seulement elles sont difficiles
à remplir, quand on les a comprises, bien que l'aide de Dieu puisse en rendre
l'exécution très facile. Carle royaume éternel où le Christ appelle ses
disciples, à qui il donne aussi le nom de frères, ne connaît point ces relations
de parenté telles qu'elles existent dans le temps. En effet il n'y a plus ni
Juif, ni Grec, ni homme, ni femme, ni esclave, « ni libre; mais le Christ est
tout en tous » (Gal. III, 23 ; Col. III, 11). Et le Seigneur lui-même dit : « A
la résurrection, les hommes ne se marieront point et ne prendront point de
femmes; mais ils seront comme les anges le Dieu dans le ciel » (Mt. XXII, 10).
Il faut donc que quiconque veut dès ce monde se préparer à cette existence
céleste, prenne en haine, non les hommes mêmes, mais ces relations et ces liens
temporels, sur lesquels s'appuie cette vie passagère, limitée entre la naissance
et la mort. S'il n'en est pas là, il n'aime point encore l'autre vie, celle ou
disparaissent la naissance et la mort, fruits des mariages terrestres.
41. Quand donc je demande à un
homme vraiment chrétien, qui a cependant une épouse et des enfants, s'il entend
avoir une femme dans le royaume du ciel; se rappelant les promesses de Dieu
relatives à cette autre vie où ce corps corruptible revêtira l'incorruptibilité,
et ce corps mortel l'immortalité (I Co. XV, 53, 54) ; vivement, ou au moins
quelque peu épris de ce bonheur, il me répondra avec horreur qu'il n'en a pas le
moindre désir. Que je lui demande ensuite s'il désire que la femme qu'il a
maintenant vive avec lui après la résurrection, quand aura eu lieu cette
transformation céleste promise aux saints, il me répondra avec la même vivacité
que c'est là son voeu ardent. C'est ainsi que le bon chrétien aime dans sa femme
une créature de Dieu, qu'il désire voir transformée et renouvelée, et déteste en
même temps l'union mortelle, le commerce charnel; c'est-à-dire qu'il aime en
elle ce qui est de l'humanité, et déteste ce qui est du sexe. C'est ainsi qu'il
aime un ennemi, non en tant qu'ennemi, mais en tant qu'homme, jusqu'à lui
désirer ce qu'il désire pour lui-même; c’est-à-dire qu'il se corrige, se
renouvelle et parvienne ainsi au royaume des cieux. ! Il faut en dire autant du
père, de -la mère, de tous ceux à qui nous tenons par les liens du sang, en qui
nous devons haïr ce qui entraîne pour tout homme la nécessité de naître et de
mourir (Rét. l, I, ch, XIX, 5), et aimer ce qui peut parvenir avec nous à ce
royaume où personne ne dit mon Père, mais où tous disent Notre Père; n où
personne ne dit ma mère, mais où tous disent à la Jérusalem céleste notre mère ;
où personne ne dit mon frère, mais où tous disent de tous notre frère; où le
mariage consistera à nous voir tous unis en Celui qui sera, pour ainsi dire,
notre époux et qui nous a rachetés par l'effusion de son sang de la prostitution
de ce monde. Il faut donc que le disciple du Christ haïsse ce qui passe dans
ceux qu'il désire voir arriver avec lui à ce qui ne passe pas, et, cela,
d'autant plus qu'il les aime davantage.
42. Un chrétien peut donc vivre en
bonne harmonie avec sa femme: soit qu'il cherche en elle une satisfaction aux
besoins de la chair, ce qui est toléré, mais non commandé, dit l'Apôtre ; soit
qu'il en procrée des enfants, ce qui est louable jusqu'à un certain point; soit
qu'il vive avec elle comme un frère, sans aucun commerce charnel, ayant une
femme comme n'en ayant pas, ce qui est la condition la meilleure, la plus
sublime dans le mariage chrétien ; mais, dans tous les cas, haïssant en elle
tout ce qui tient aux besoins du temps, et y aimant l'espoir de l'éternelle
béatitude. Car nous haïssons certainement ce que nous souhaitons de voir finir,
comme la vie de ce monde, par exemple, que nous ne désirerions point voir
éternelle, et soustraite à l'action du temps, si nous ne la haïssons comme
passant avec le temps. Or c'est cette vie qu'on désigne par le mot âme dans ce
passage : « Si quelqu'un ne hait point même sa propre âme, il ne peut être mon
disciple (Lc, XIV, 26). » Car cette vie a besoin de la nourriture corruptible
dont le Seigneur lui-même dit: « La vie n'est-elle pas plus que la nourriture
? » c'est-à-dire, cette vie à qui la nourriture est nécessaire. Et ailleurs,
quand il dit qu'il donne sa vie pour ses brebis, il parle de la vie présente,
puisqu'il annonce qu'il mourra pour nous.
43. Ici se présente une autre
question: Quand le Seigneur permet de renvoyer une femme pour cause de
fornication, dans quel sens faut-il prendre ce mot? Est-ce, comme tout le monde
l'entend, un commerce criminel? ou faut-il l'appliquer, comme le fait souvent l'Ecriture,
à toute passion coupable, comme l'idolâtrie, par exemple, ou l'avarice, ou toute
autre transgression de la loi procédant d'une convoitise criminelle (Rét. l. I
ch. XIX, n. 6) ! Mais consultons l'Apôtre, pour ne rien avancer au hasard: «Pour
ceux qui sont mariés, ce n'est pas moi, mais le Seigneur, qui commande que la
femme ne se sépare point de son mari; que si elle en est séparée, qu'elle
demeure sans se marier, ou qu'elle se réconcilie avec son mari. Il peut en effet
arriver qu'elle se soit séparée pour la raison que le Seigneur autorise. On s'il
est permis à la femme de quitter son mari hors le cas de fornication, et que
cela ne soit pas permis à l'homme; que répondre à ce que l'Apôtre dit ensuite: «
Que le mari, de même, ne quitte point sa femme? » Pourquoi n'ajoute-t-il pas,
hors le cas de fornication, où le Seigneur le permet, si ce n'est parce qu’il
entend qu'un raisonne pour l'un comme pour l'autre, c'est-à-dire que si l’homme
renvoie sa femme, dans le cas permis, il n'en prenne pas d'autre ou se
réconcilie avec elle? Au,fait il serait bien à un homme de se réconcilier avec
la femme que personne n'osa lapider et à qui le Seigneur dit : « Va et veille à
ne plus pécher désormais » (Lc, VIII, 1). En effet, celui qui dit : Il n’est pas
permis de renvoyer sa femme, hormis le cas de fornication, ordonne de la
conserver en dehors de ce cas ; et même dans ce cas, n'ordonne pas, mais permet
seulement de la renvoyer : de même qu'on dit : il n'est pas permis à une femme,
du vivant de son mari, d'en épouser un autre; si elle se marie avant la mort de
son mari, elle est coupable ; si elle ne se marie point après la, mort de son
époux, elle n'est pas coupable, car elle a permission, et non ordre, de le
faire. Donc s'il y a égalité de droit entre l'homme et la femme dans le mariage,
au point, que le même Apôtre n'ait pas seulement dit, en parlant de la femme : «
La femme n'a pas puissance sur son, corps, mais le mari, » et qu'il ait dit
aussi en parlant de l'homme : « De même le mari n'a pas puissance sur son corps,
c'est la femme; » si, dis-je, la règle est la même, pour l’un que pour l'autre :
il ne faut pas entendre qu'il soit permis à la femme, plutôt qu'à l'homme, de
renvoyer son .époux, hormis le cas de fornication.
44. Il faut donc examiner ce qu'on
doit, entendre par fornication et continuer à consulter l'Apôtre. Voici ce qu'il
dit ensuite : «Mais aux autres je dis, moi, et non le Seigneur. » Voyons d'abord
ce que veut dire aux autres; car plus haut il parlait au nom du Seigneur
aux personnes mariées; maintenant c’est en son nom qu'il parle aux autres,
peut-être à ceux quine sont pas mariés. Pourtant ce n'est pas à eux puisqu'il
ajoute : « Si l'un de nos frères a une femme infidèle et qu'elle consente à
demeurer avec lui, qu'il ne se sépare point d'elle ». Il s'adresse donc encore à
ceux qui sont mariés. Que signifient alors ces mots: aux autres, si ce
n'est que plus haut il parlait aux époux qui étaient., tous les deux dans la foi
du Christ, tandis que les autres désignent les mariages où une des deux
parties seulement est fidèle? Et que leur dit,-il ? « Si l'un de nos frères a
une femme infidèle et qu'elle consente à demeurer avec lui, qu'il ne se sépare
point d'elle; et si, une femme fidèle a un mari infidèle et qu'il consente à
demeurer avec elle, qu'elle ne se sépare point de son mari. » Si donc il ne
commande pas de la part du Seigneur, mais donne simplement un conseil en son
nom, c'est que la chose est bonne en ce sens qu’on peut faire autrement sans
violer un précepte ; comme il a dit peu après, en parlant des vierges, qu'il n'a
point reçu de commandement du Seigneur, mais qu'il donne un conseil puis il fait
l'éloge de la virginité, mais de telle façon qu'on peut l'embrasser librement,
sans être réputé coupable pour ne l'avoir pas embrassée. Car autre chose est tin
commandement, autre chose un conseil, autre chose une condescendance. On ordonne
à la, femme de ne point se séparer de son mari, ou, si elle le fait, de ne point
se remarier ou de se réconcilier avec son mari: il ne lui est donc pas permis
d'agir autrement. On conseille à l'époux fidèle de ne point 'renvoyer une femme
infidèle, si elle consent à demeurer avec lui : il lui est donc permis de la
renvoyer, puisqu'il n'y ait ici qu'un conseil de l'Apôtre et non un ordre du
Seigneur. On conseille à la vierge de ne point se marier : en se mariant elle ne
suivra pas le conseil de l'Apôtre, mais elle ne blessera aucune loi. Il y a
simplement tolérance, quand on dit: « Or je dis ceci par condescendance et non
par commandement. » Donc, si, d'une part, il est permis de renvoyer une femme
infidèle; bien qu'il soit meilleur de ne pas le faire ; et si, d'autre part,
d'après l'ordre du Seigneur, on. ne peut renvoyer une femme que pour cause de
fornication : sans aucun doute par fornication il faut entendre l'infidélité.
45. En effet que dites-vous donc,
saint Apôtre? Evidemment vous engagez l'époux fidèle à ne point renvoyer sa
femme infidèle, si elle consent à demeurer avec lui. Oui, répond-il. Mais
puisque le Seigneur défend à l'homme de renvoyer sa femme, sauf le cas de
fornication, pourquoi dites-vous : « Je dis moi et, non le Seigneur ? » En effet
l'idolâtrie à laquelle se livrent les infidèles, et toute superstition coupable,
est une fornication. Or le Seigneur a permis de renvoyer sa femme pour cause de
fornication. Mais comme c'est une permission, et non un ordre, cela a donné lieu
à l'Apôtre de conseiller de ne point renvoyer une femme infidèle, dans l'espoir
peut-être qu'elle deviendra fidèle. « Car, nous dit-il, le mari infidèle est
sanctifié par la femme fidèle, et la (274) femme infidèle est sanctifiée parle
mari fidèle. » Déjà, je pense, il était arrivé que quelques femmes avaient été
amenées à la foi par leurs époux fidèles, ou des époux par leurs femmes; et sans
citer de noms propres, il donne ces exemples pour appuyer ses exhortations et
ses conseils. Puis il ajoute : « Autrement vos enfants seraient impurs, tandis
que maintenant ils sont saints. » Car il y avait déjà des enfants chrétiens, qui
avaient été baptisés ou par le fait d'un de leurs parents, ou du consentement
des deux peut-être : ce qui n'eût pu avoir lieu si le mariage eût été rompu
quand l'une des deux parties était fidèle et si l'infidélité de l'autre partie
eût été tolérée jusqu'au moment de la conversion. Tel est le conseil de celui à
qui, ce me semble, ces paroles ont été adressées: «Tout ce que tu dépenseras de
plus, je te le rendrai à mon retour » (Lc, X, 35).
46. Or si l'infidélité est une
fornication, l'idolâtrie une infidélité, et l'avarice une idolâtrie, il est hors
de doute que l'avarice soit une fornication. Mais si l'avarice est une
fornication, qui pourra raisonnablement ne pas appeler fornication toute
convoitise criminelle? D'où il résulte qu'un homme peut sans péché renvoyer sa
femme, et une femme son mari, à cause des convoitises coupables, non seulement
de celles qui se traduisent par le commerce charnel avec des hommes ou des
femmes étrangères, mais de toutes celles qui, par l'abus du corps, entraînent
l'âme à violer la loi de Dieu et à se souiller elle-même pour sa honte et sa
perte. La raison en est que le Seigneur excepte le cas de fornication, et que ce
mot de fornication, comme nous l'avons vu plus haut, doit s'entendre dans un
sens général et universel.
47. En disant : « Hors le cas
d'adultère, » le Seigneur n'indique point si c'est de la part de l'homme ou de
la part de la femme. Car non seulement il est permis de renvoyer une femme
coupable d'adultère, mais tout homme qui renvoie une femme qui l'oblige à
commettre la fornication, la renvoie évidemment pour cause d'adultère. Par
exemple, si une femme oblige son époux à sacrifier aux idoles, celui qui la
renvoie, la renvoie pour cause d'adultère : adultère du côté de sa femme parce
qu'elle le commet réellement ; adultère de son côté, parce qu'il est à craindre
qu'il ne le commette lui-même.
Mais rien de plus injuste que de
renvoyer une femme pour cause de fornication, quand on en est convaincu
soi-même. C'est le cas de dire alors : « En jugeant autrui, tu te condamneras
toi-même, puisque tu fais ce que tu condamnes ». Ainsi donc quiconque veut
renvoyer sa femme pour cause d'adultère, doit en être exempt lui-même. J'en dis
autant de la femme.
48. Sur ces paroles : « Quiconque
épouse une femme renvoyée par son mari, commet un adultère, » (Rm. II, 1) on
peut demander si l'homme commettant l'adultère, la femme qui est épousée le
commet également. En effet on exige que la femme demeure sans se marier, ou
qu'elle se réconcilie avec son mari; mais, dit l'Apôtre, si elle s'en est
séparée. Car entre renvoyer ou être renvoyé, la différence est grande. Si la
femme renvoie elle-même son mari et en épouse un autre, on pourra croire qu'elle
n'a quitté le premier que pour échanger contre le second : ce qui est évidemment
une pensée d'adultère. Si au con traire elle est renvoyée par un mari avec
lequel elle serait volontiers restée, celui qui l'épouse est certainement
adultère, d'après la parole du Seigneur : mais l'est-elle elle-même? Voilà la
question. Du reste, on pourrait encore bien moins imaginer comment, un homme et
une femme ayant commerce ensemble, l'un serait adultère et l'autre non. Ajoutez
à cela que celui qui épouse une femme renvoyée par son mari, est adultère; bien
que cette femme ne se soit point séparée elle-même, mais ait été renvoyée, c'est
cependant elle qui le rend adultère ce que le Seigneur défend. D'où il suit que,
soit qu'elle ait été renvoyée, soit qu'elle se soit séparée elle-même, elle doit
demeurer sans se marier ou se réconcilier avec son mari.
49. On demande encore si un homme
peut être disculpé d'adultère quand il s'unit à une autre femme qui n'est point
l'épouse d'un autre ni séparée de son mari, alors que la sienne lui en donne la
permission, soit parce qu'elle est stérile, soit parce qu'elle ne veut point se
soumettre au devoir conjugal ? On en trouve un exemple dans l'histoire de
l'ancien Testament ; mais les préceptes actuels auxquels les autres ne faisaient
que préparer le genre humain, sont plus élevés; il faut considérer dans ceux-là
la différence des temps, les desseins de la divine Providence
qui vient toujours à temps au
secours de l'humanité, et ne point y chercher des règles de conduite. Mais ces
paroles de l'Apôtre : « La femme n'a pas puissance sur son corps, c'est le mari;
de même le mari n'a pas puissance sur son corps, c'est la femme; » ces paroles,
dis-je, peuvent-elles s'entendre en ce sens que, avec la permission de la femme
qui a puissance sur le corps de son mari, celui-ci puisse s'unir charnellement à
un autre femme qui ne serait point mariée ni séparée de son mari ? Il ne faut
pas le penser, de peur que la même faculté ne soit aussi accordée à la femme du
consentement du mari, ce qui choque le sens commun.
50. Ce n'est pas qu'il ne puisse y
avoir quelques circonstances où la femme du consentement du mari semble obligée
de le faire dans l'intérêt du mari lui-même. On raconte un fait de ce genre qui
se serait passé à Antioche, il y a environ cinquante ans, sous le règne de
Constance. Acyndinus, alors préfet et qui fut même consul, exigeait une livre
d'or d'un débiteur du fisc. Cédant à je ne sais qu'elle émotion, péril assez
ordinaire dans ces positions élevées, où tout est permis ou du moins passe pour
l'être, il éclata en menaces violentes et déclara du ton le plus décidé que le
débiteur serait puni de mort, s'il ne payait la somme au jour fixé. Comme
celui-ci était enfermé dans une étroite prison et ne pouvait acquitter sa dette,
le jour fatal approchait. Or il avait une femme fort belle, mais trop pauvre
pour venir en aide à son mari. Un homme riche, épris de sa beauté et connaissant
la situation fâcheuse de ce mari, lui envoya dire qu'il donnerait la livre d'or,
si elle voulait se livrer à lui pendant une seule nuit. Sachant qu'elle n'avait
pas puissance sur son corps mais bien son mari, elle répondit qu'elle était
prête à faire ce qu'on demandait dans l'intérêt de son mari, pourvu que
celui-ci, maître du corps de son épouse et à qui elle se devait tout entière,
consentît à céder un bien qui lui était propre pour conserver sa vie. Le mari
reconnaissant exigea qu'il en fût ainsi et ne pensa point qu'il y eût adultère,
là où la passion n'agissait pas, mais seulement l'affection pour un époux, qui
du reste en donnait la permission et même l'ordre. La femme se rendit à la
maison de campagne du riche, fit ce que voulut cet impudique; mais elle ne se
livra ainsi qu'en vue de son mari, plus jaloux de la conservation de sa vie que
de l'exercice de son droit conjugal. Elle reçut l'or: mais celui qui le lui
avait remis l'enleva secrètement et y substitua un sac de même forme et rempli
de terre. La femme s'aperçut de la fraude en rentrant chez elle, s'élança sur la
place publique, et mue par le même principe d'attachement à son époux, proclama
ce qu'elle avait été forcée de faire. Elle interpelle le préfet, avoue tout et
dénonce la fraude dont elle est victime. Le préfet commence par reconnaître
qu'il est le premier coupable, que ses menaces sont cause de tout le mal et se
jugeant comme il eût jugé un autre, se condamna à payer de ses propres biens la
livre d'or due au fisc et ordonna en même temps que la femme devînt propriétaire
du domaine d'où avait été extraite la terre substituée à l'or. Je ne discute ici
ni dans un sens ni dans l'autre; c'est à chacun à prononcer: car ce trait n'est
pas emprunté à des sources divines. Cependant après avoir entendu raconter ce
fait, on n'éprouve plus pour l'action de cette femme, exigée d'ailleurs par le
mari, la même horreur qu'on éprouvait auparavant, quand la question était posée
en dehors de tout exemple. Mais ce qui ressort surtout de ce passage de l'Evangile,
c'est l'énormité du péché de fornication énormité telle, qu'il forme la seule
exception qui autorise à briser le lien si étroit du mariage. Or nous avons dit
ce que c'est que la fornication.
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