Avit d’Orléans
Évêque, Saint
+ 530

Saint Avit naquit à Orléans, d'honnêtes parents, quoique de peu de moyens. Son père était de la Beauce, et sa mère de la ville de Verdun : la pauvreté l'ayant fait quitter son pays, elle vint à Orléans, où, par sa vertu, par son travail et par son mérite, elle fit tant qu'elle acquit quelque chose, dont elle se maria. Notre-Seigneur lui donna un fils, qu'il sanctifia dès sa nativité : car une lumière brillante parut dans la chambre lorsqu'il vint au monde, si grande que la sage-femme et les personnes qui l'accompagnaient en étaient effrayées.

Sitôt que cet enfant fut un peu grand, il s'en alla au monastère de Miscy, et demandant humblement l'habit, il s'y rendit religieux. Il était très dévot et si simple, que les moines, se moquant de lui ainsi que d'un pauvre niais, l'appelaient souvent fou et bête mais il ne s'en fâchait pas. D'ordinaire il gardait quelque chose de sa nourriture pour la donner aux pauvres, et il se dépouillait souvent pour les vêtir. C'est pourquoi l'abbé, considérant en lui une lumière céleste et de si rares présages de vertu, commença à lui porter une grande affection ; il lui donna une cellule assez éloignée des autres, afin que personne n'imputât à hypocrisie ses dévots exercices de jeûner, de veiller et de prier.

Depuis, sa sainteté étant assez reconnue de tous, par des signes très manifestes, l'office de procureur du monastère lui fut donné, qu'il accepta avec beaucoup de difficulté, et contre son gré. Mais il ne pouvait pas refuser l'obéissance à son abbé. Ayant donc cette charge sur ses épaules, il ne la put guère longtemps supporter, comme étant contraire à la solitude qu'il désirait, outre que son honnêteté, sa simplicité et sa naïve candeur d'esprit donnaient lieu à plusieurs de lui faire de la peine. Tout ceci le fit enfin résoudre à quitter ce lieu. C'est pourquoi l'abbé étant endormi, il entra subtilement dans sa chambre, où il laissa les clefs au chevet de son lit, et sortant du monastère, il s'en alla aux lieux les plus cachés de la forêt de Calaune, à quatre ou cinq lieues loin du monastère, où il fit une petite retraite de rameaux d'arbres, se tenant là caché plusieurs jours.

Cependant l'abbé, se levant sur le minuit, pour aller chanter Matines, fit tomber les clefs qui étaient au chevet de son lit, ce dont il fut assez étonné, sans se douter toutefois de la sortie de saint Avit. Pour en être plus certain, il s'achemina promptement à la cellule du saint, mais il ne le trouva point ; et il n'y eut cellule, lieu ni coin, tant du monastère que des jardins, qui ne fussent visités, pour chercher ce qu'ils ne trouvèrent pas.

Peu de temps après, l'abbé du monastère mourut : c'était saint Maximin, personnage si illustre en vertu, en mérites et eu miracles, que la sainte Église en fait fête comme d'un saint, le quinzième jour de décembre. Il décéda du temps du roi Clovis et avait succédé à saint Théodemire. Après donc que les moines eurent achevé les funérailles de saint Maximin, et enterré son saint corps, ils firent tous élection de saint Avit pour leur abbé ; et aussitôt ils sortirent du monastère pour le chercher. Ils y apportèrent tant de diligence, qu'enfin ils le trouvèrent dans son pauvre ermitage, d'où ils le tirèrent par force, et l'amenèrent dans leur monastère : puis se prosternant devant lui, ils le supplièrent très affectueusement d'être leur supérieur, et d'accepter le gouvernement de la maison. Le saint eut bien de la peine à agréer cette charge ; et même il ne s'y fût jamais soumis si le commandement de l'évêque d'Orléans n'y fût intervenu. Il fut donc abbé de Miscy ; mais il n'y demeura pas longtemps : sa profonde humilité le faisait continuellement gémir sous une charge dont il se jugeait indigne, désirant plutôt obéir que commander : outre qu'il aspirait sans cesse après sa bien-aimée solitude.

Un jour entre autres il sortit du monastère, prit la fuite, et entrant bien avant dans la forêt de Miscy, se cacha dans les plus épais paliers ; puis trouvant un lieu propre à sa commodité, il dressa une logette de branchages, ne vivant que de pommes et d'autres fruits sauvages. Il demeura très content en ce lieu, pour se voir entièrement éloigné des hommes, auxquels il était alors inconnu : car il y séjourna assez longtemps. Toutefois Notre-Seigneur, voulant manifester les vertus et les mérites de son fidèle serviteur, permit qu'il y fût découvert de cette sorte.

Comme la forêt avait été fort fertile en glands, chaque porcher y conduisait son troupeau pour paitre. Deux d'entre eux, qui étaient frères, et dont l'un était muet, s'étant écartés par des sentiers perdus, avaient été surpris de la nuit. Cependant, pour aider à se conduire et à veiller à leurs pourceaux, ils allumèrent quelques ramées par le chemin ; mais le tout fut bientôt éteint par une grande pluie, si bien qu'ils égarèrent leur troupeau, ne sachant où ils étaient eux-mêmes et n'ayant aucune espérance de recouvrer la lumière. Comme ils étaient en cette peine, ils aperçurent de loin un peu de feu, et le porcher muet, laissant son frère à la garde de leurs porcs, courut promptement à l'endroit où il voyait ce feu. Étant arrivé à la porte de la cellule du saint, il s'arrêta tout court, et en bégayant il requit qu'on lui donnât un peu de feu. Mais le serviteur de Dieu, voyant au milieu de la nuit un garçon noir, de visage difforme, à demi couvert de méchants haillons, et hideux, fut un peu épouvanté, et crut voir quelque monstre ou quelque démon qui lui apparaissait ainsi. C'est pourquoi recourant, selon sa coutume, à l'oraison, il se prosterna en terre, et avec larmes supplia très instamment Notre-Seigneur de lui révéler si celui qui se présentait était conduit du bon ou du mauvais esprit ; et qu'il ne lui permit pas davantage de se cacher par ses artifices. Après l'oraison finie, il se leva, et allant vers celui qui l'appelait, il fit le signe de la croix devant lui, puis il l'interrogea de cette sorte : Qui es-tu, toi qui t'es ainsi transporté soudain à mon taudis ? car je l'ignore entièrement ; mais je te conjure par Jésus-Christ, Fils du Dieu tout-puissant, attaché en croix, que tu aies à me dire si tu es quelque monstre, ou ce que tu fais en ces lieux déserts.

Incontinent, au commandement de sa voix, la langue du muet se déliant, il lui déclara ingénument ce qu'il était venu demander par nécessité, et confessa avoir maintenant plus reçu qu'il ne demandait, vu que cherchant seulement de la lumière, il en rapportait aussi l'usage de la voix : puis, reconnaissant la vertu du saint, il se jeta humblement à ses pieds, lui rendant grâces pour un tel bienfait. Le saint, de son côté, n'en fut pas moins réjoui, sachant que cet homme ne lui avait pas tant été envoyé des pasteurs, que de Dieu, qu'il remercia ; puis embrassant ce jeune homme, il fit le signe de la croix sur lui, lui donna de la lumière, et le congédia.

Pendant ce temps, le troupeau de porcs, avec sa garde, s'était retiré fort loin : et le garçon avec sa lumière ne savait où il les devait chercher parmi l'obscurité de la nuit et l'épaisseur de la forêt. C'est pourquoi il commença à crier et à faire retentir la forêt de sa voix, appelant souvent son frère. Ce frère, entendant ainsi son nom, s'étonna du commencement, et troublé en son esprit, il ne pouvait comprendre qui avait donné la voix à son frère muet, qui l'appelait ainsi avec tant d'importunité, ou qui était cette personne inconnue qui serait venue là. Cependant il entrevit, au travers des arbres, une lumière qui venait au-devant de lui, et reconnut qui c'était. Sitôt qu'il eut vu son frère en santé, et entendu parler de la sorte celui qui était naguère muet, il l'embrassa étroitement, et mêlant les larmes avec la joie, il lui demanda qui avait été son médecin, et comment cela lui était arrivé ; ce que son frère lui raconta.

Le soleil étant levé, ils s'en allèrent tous deux trouver le saint en sa cellule ; et se prosternant à ses pieds, ils lui rendirent derechef beaucoup d'actions de grâces pour un si signalé bienfait, et lui firent présent d'un de leurs porcs ; mais comme le serviteur de Dieu ne mangeait jamais de chair, il ne le voulut pas accepter ; il les supplia seulement de ne révéler à personne qui il était, où ils l'avoient trouvé, ni ce qui était arrivé. Mais pouvait-on sceller ce que la vertu céleste avait si merveilleusement manifesté ? Étant retournés en la maison, ils ne manquèrent pas de raconter au père et à la mère tout ce qui s'était passé, tous les voisins le surent aussitôt et ceux du pays circonvoisin; de sorte que l'on ne parlait que de saint Avit.

Les plus dévots y accoururent pour voir le saint, et les malades afin d'y recouvrer leur santé. La petite route de la cellule du saint fut changée en un grand chemin ; tous les jours on ne voyait autre chose que troupes de débiles, d'estropiés, de languissants et d'autres affligés de diverses infirmités, qui se faisaient porter à la cellule du saint : et lui, qui peu auparavant habitait seul au milieu de la forêt, semblait être pour lors au milieu d'un palais, tant l'abord du peuple était grand. On ne voyait rien que malades guéris, on n'entendait que voix louant Dieu pour reconnaissance d'avoir reçu de lui quelque faveur par le ministère de saint Avit. Mais le saint, se voyant trop importuné de Taffluence du peuple résolut une fois de se retirer de nuit en quelque lieu plus secret ; il ne put pourtant l'effectuer, étant vaincu tant par les prières du peuple que par l'autorité des prélats, qui ne lui permirent pas de passer plus avant. Alors il bâtit en ce lieu un très-beau monastère, appelé vulgairement la Celle de Saint-Avit, où les règles des anciens ermites saint Paul et saint Antoine, semblent refleurir tous les jours.

Saint Avit fit encore beaucoup d'autres miracles. On lui portait un tel respect dans la ville d'Orléans, que jamais la justice ne lui refusa prisonnier qu'il demanda, tant il était révéré pour ses admirables vertus. Un jour qu'il allait à Orléans pour délivrer des prisonniers, une grande troupe d'infirmes vint au-devant de lui, dont un lui mit à ses pieds un petit enfant, né aveugle, le suppliant de lui donner la vue : le saint abbé, étant touché de la tendresse de ce père et des prières que plusieurs autres lui en faisaient, fit le signe de la croix sur les yeux de l'enfant, et aussitôt il recouvra la vue.

Il y avait un certain moine de l'abbaye de Miscy, que saint Avit affectionnait particulièrement, et qui l'avait accompagné en sa solitude. Comme il était à l'article de la mort, il pria les religieux de n'enterrer point son corps, que saint Avit n'eût auparavant fait oraison dessus. Ils le lui promirent, et lorsqu'il fut mort, un de la compagnie fut envoyé vers saint Avit, pour annoncer le décès du religieux, et ce qu'il avait désiré. Saint Avit, selon sa coutume, était allé à pied assez loin du monastère, dans la forêt, où il s'était arrêté jusqu'au soleil couchant ; mais enfin le moine, l'ayant trouve, lui raconta le sujet de son voyage. Le saint, n'étant pas peu affligé de cette triste nouvelle, s'achemina au monastère avec le plus de diligence qu'il put. Il y arriva sur le minuit, et entrant dans l'oratoire, il s'alla mettre au milieu de l'église, proche du défunt. où étaient les religieux, qui, lassés de veiller, s'étoient endormis.

Le saint, tout joyeux de ce silence, s'approcha du cercueil du défunt, se prosterna à terre en oraison, avec abondance de larmes, suppliant très-instamment la Majesté divine de l'exaucer. Ses prières étant achevées, il se leva, et ressentant par inspiration du ciel que la vie de son religieux mort lui était accordée, il alla incontinent au corps du défunt, et lui cria : Au nom de Dieu le Père tout-puissant, levez-vous, Frère, et nous déclarez la raison de votre décès si soudain. Le mort aussitôt se leva, et s'étant assis en son cercueil, il lui raconta tout ce qui était arrivé, et comme par son oraison il était ressuscité. Les moines, éveillés là-dessus, s'étonnèrent d'un tel miracle, et se prosternant tous aux pieds de saint Avit pour les baiser, ils rendirent grâce à Notre-Seigneur pour tant de merveilles qu'il daignait opérer en ce monastère, par les mérites de son fidèle serviteur. Après cela le religieux ressuscité, baisant la main droite du saint, se leva et sortit de son cercueil, et avec des hymnes et des chants spirituels il se retira en sa cellule, et vécut, depuis, plusieurs années.

Cet insigne miracle fut particulièrement divulgué par saint Lubin, évêque de Chartres, qui témoignait l'avoir appris lui-même de la bouche du religieux ressuscité.

Clodomir, roi d'Orléans, fils de Clovis Ier, roi de France, faisant la guerre contre Sigismond et Gondemar, frères, rois de Bourgogne, les vainquit tous deux en bataille rangée. Gondemar prit la fuite, et Sigismond demeura depuis prisonnier avec sa femme et ses enfants. Clodomir les amena à Orléans, et les mit en prison. Cependant le prince Gondemar, frère de Sigismond, ralliant ses forces et assemblant quantité de troupes, reprit le royaume de Bourgogne. Clodomir, le sachant, voulut retourner contre lui avec une puissante armée : mais avant que de partir, il résolut de mettre à mort le roi Sigismond, qu'il tenait en prison. Saint Avit, en étant averti, alla trouver le roi Clodomir, et le pria de ne pas commettre une action indigne de sa personne que de tuer Sigismond et ses enfants. Sire, lui dit-il, si ayant égard à Dieu vous changez le dessein que vous avez projeté, ne permettant pas que ces princes soient mis à mort, Dieu sera avec vous ; et allant à In guerre, vous obtiendrez la victoire : mais si vous les faites mourir, vous périrez de la même manière, et serez livré entre les mains de vos ennemis ; et il sera fait à vous, à votre femme et à vos enfants ce que vous ferez à Sigismond et aux siens.

Clodomir ne tint compte des paroles du saint abbé, et ne laissa pas de faire tuer Sigismond, avec sa femme et ses enfants : puis il marcha en guerre contre Gondemar : mais elle fut fatale à Clodomir, car il y fut tué misérablement, et sa femme avec ses enfants n'eurent pas meilleure fortune avec le temps. Quant au prince Sigismond, l'Église l'appelle martyr et l'a mis au rang des saints en son Martyrologe, le premier jour de mai, l'an 526.

Saint Avit ne vécut guère de temps après, et laissa son corps en terre pour aller jouir de la gloire au ciel. Après son trépas il y eut un grand débat entre ceux de Châteaudun et d'Orléans, à qui posséderait le corps du saint; le différend fut tel qu'ils en vinrent aux mains les uns contre les autres. Ceux de Châteaudun y furent les premiers et avoient déjà enlevé le corps; mais les Orléanais, survenant avec plus de gens de guerre, leur firent quitter prise, et peu s'en fallut qu'il y eût bien du sang répandu : car ceux de Châteaudun alléguaient que le corps de saint Avit leur appartenait comme par un spécial et particulier privilège, ayant été leur abbé, outre qu'il était trépassé en un monastère situé sur leurs terres, et plus proche de leur ville : mais les Orléanais repartaient à cela que saint Avit était leur compatriote, né à Orléans, et religieux du monastère de Miscy : de plus, qu'il avait ordonné, en sa dernière volonté, que son corps fût enterré à Orléans. Pour accorder le tout, il fut ordonné que ceux d'Orléans auraient le corps du saint à eux, mais qu'on en donnerait quelques reliques à ceux de Châteaudun : ce qui fut exécuté par les évêques qui assistaient au convoi.

Après cela on alla droit à Orléans. On ne saurait raconter avec quelle allégresse tous les peuples circonvoisins accouraient pour faire honneur au corps du saint; combien de cierges allumés, combien de chants et de jubilations il y avait par le chemin. Enfin le saint corps étant arrivé à Orléans, il fut enterré à cent pas de la ville. On bâtit d'abord sur son tombeau une simple chapelle de bois, mais au reste fort honorée des chrétiens, pour les insignes miracles que Notre-Seigneur y opérait.

On écrit que Childebert, roi de France, désirant passer en Espagne avec une puissante armée, eut une particulière dévotion à saint Avit : car entendant le bruit de sa sainteté, et sachant que son tombeau était si peu orné, il fit vœu à Dieu que si, par l'intercession de saint Avit, il retournait heureusement de la guerre, il édifierait une somptueuse église sur son sépulcre. Notre-Seigneur assista manifestement ce pieux roi en toutes ses entreprises; car autant de fois qu'il fut attaqué des ennemis, ou surpris par leurs embuscades, autant de fois il en fut délivré par les mérites de saint Avit, de sorte qu'il retourna triomphant en France, et en reconnaissance de ce bienfait, il accomplit entièrement son vœu, et fit bâtir une très belle église sur le tombeau du saint. Notre-Seigneur montra bien qu'il agréait l'honneur qu'on faisait à son bon serviteur en ce lieu; car les aveugles y recouvraient la vue, les muets parlaient, les sourds entendaient, et toutes sortes de malades y étaient parfaitement guéris.

Saint Avit décéda l'an 530, le dix-sept de juin, jour où la sainte Église célèbre sa fête ; ainsi qu'il est rapporté aux Martyrologes romain, de Bède, d'Usuard et d'Adon, qui en font mention. Sa vie a été écrite par un auteur grave et fort ancien, qui vivait environ ce même temps. Elle est rapportée par Surius, en son troisième tome des Vies des Saints. I l est parlé de saint Avit dans saint Grégoire de Tours, en son Histoire de France. Le docteur Jean Molau, le cardinal Baronius, et d'autres modernes en font mention.

SOURCE : Alban Butler : Vie des Pères, Martyrs et autres principaux Saints… – Traduction : Jean-François Godescard.

 

 

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