FAUSTO APPETENTE DIE
LETTRE ENCYCIQUE
DE SA SAINTETÉ LE PAPE BENOÎT XV
A L’OCCASION DU VIIe CENTENAIRE DE LA MORT
DE S. DOMINIQUE (*)
Vénérables Frères,
Salut et bénédiction apostolique.
L’HEUREUX JOUR APPROCHE où,
il y a sept cents ans, Dominique, cet astre de sainteté, a quitté ce
séjour misérable pour le royaume de l’éternelle félicité. Depuis
longtemps, Nous sommes du nombre de ses plus fervents dévots,
surtout depuis la jour où nous fut confiée l’Eglise de Bologne, qui
garde ses cendres avec une piété jalouse ; aussi Nous est-il fort
agréable de pouvoir convier, du haut de cette Chaire apostolique, le
peuple chrétien à glorifier la mémoire de ce grand Saint.
Satisfaction pour Notre piété, cet appel Nous paraît également le
moyen de remplir un grand devoir de gratitude envers le saint
fondateur et son illustre famille.
Homme de Dieu sans partage
et réalisant pleinement le sens de son nom Dominique « qui
appartient au Seigneur », il ne fut pas moins totalement l’homme de
la sainte Eglise, qui voit en lui un invincible champion de la foi ;
et l’Ordre des Prêcheurs, fondé par lui, s’est toujours montré un
des plus fermes remparts de l’Eglise romaine. Ce n’est donc pas
seulement pendant sa vie que Dominique « fut le solide appui du
temple » (Eccli 50, 1) ; il en assura la défense pour les
siècles à venir et ce sont bien, semble-t-il, des paroles
prophétiques que prononça Honorius III quand, en approuvant la règle
nouvelle, il fit cette déclaration : « Nous entrevoyons dans les
membres de ton Ordre de futurs athlètes de la foi et de véritables
lumières du monde. »
Dominique et ses fils ont
été, par leurs prédications, le « solide appui du peuple chrétien. »
En effet, chacun le sait,
pour répandre le royaume de Dieu, Jésus-Christ ne s’est servi
d’autre instrument que de la prédication de l’Evangile, c’est-à-dire
de la voix éclatante de ses hérauts, envoyés semer à travers le
monde la doctrine du ciel : « Enseignez, dit-il, toutes les nations
(Mt 28, 19) ; prêchez l’Evangile à toute créature. (Mc
16, 15) » Ainsi, grâce à la prédication des apôtres, de saint Paul
surtout, suivie plus tard de l’enseignement des Pères et des
Docteurs, les esprits s’illuminèrent aux rayons de la vérité et les
cœurs s’éprirent d’amour pour toutes les vertus. Appliquant
exactement la même méthode dans l’œuvre du salut des âmes, Dominique
s’assigna comme but, pour lui et ses fils, de « livrer aux autres le
fruit de leurs propres méditations » (cf. Summa Theologiæ
II-IIæ, q.188, art. 6) ; c’est pourquoi, outre la pratique de la
pauvreté, de la chasteté et de l’obéissance religieuse, il fit à son
Ordre un devoir rigoureux et sacré de se livrer avec zèle à l’étude
de la doctrine et à la prédication de la vérité.
LES CARACTÉRISTIQUES DE LA
PRÉDICATION DOMINICAINE
Or, trois éléments
caractéristiques ont distingué la prédication dominicaine : une
grande solidité de doctrine, une docilité fidèle et absolue à
l’égard du Siège apostolique, une piété toute spéciale envers la
Sainte Vierge.
Solidité de doctrine
Chez saint Dominique : l’étude prélude à l’apostolat.
Encore qu’il se soit senti
de bonne heure la vocation de prédicateur, Dominique, avant
d’aborder ce ministère, étudia longuement la philosophie et la
théologie au collège de Palencia, et, prenant pour guides et maîtres
les saints Pères, dont il avait approfondi la doctrine, il
s’assimila la féconde substance de la Sainte Ecriture,
particulièrement des écrits de saint Paul.
La valeur de sa science des
choses divines ne tarda pas à se révéler dans les discussions que
Dominique soutint contre les hérétiques ; bien que ceux-ci fussent
armés de toutes les ressources du talent et de la fourberie pour
donner l’assaut aux dogmes de la foi, on admirait avec quelle
vigueur il les confondit et les réfutait. On le vit surtout à
Toulouse, qui passait alors pour le centre et la capitale des
hérésies, et où s’étaient donné rendez-vous les plus doctes des
ennemis de l’Eglise. L’histoire rapporte comment, entouré de ses
premiers compagnons, remarquables par leur activité et leur talent
de parole, il tint victorieusement tête à l’insolence des
hérétiques, et comment, non content de réfréner leur audace, il
toucha si bien leurs cœurs par son éloquence et sa charité, qu’il en
ramena un grand nombre dans le sein de leur Mère l’Eglise
catholique. Dans ses luttes pour la foi, il était assisté
visiblement par Dieu lui-même ; un jour, notamment, comme il avait
accepté de subir une épreuve imposée par les hérétiques, épreuve
consistant, pour chaque docteur, à jeter son livre au feu, les
flammes consumèrent les autres ouvrages, ne respectant et ne
laissant intact que le sien. L’œuvre puissante de Dominique délivra
ainsi l’Europe du péril de l’hérésie des Albigeois.
Dans l’ordre dominicain :
rayonnement doctrinal ; Thomas d’Aquin, joyau de son Ordre.
Dominique voulut que cette
solidité de doctrine fût également le glorieux apanage de ses fils.
A peine eut-il obtenu du Siège apostolique l’approbation de son
Ordre et la confirmation du noble titre de Prêcheurs, qu’il décida
de fonder ses couvents dans le voisinage immédiat des plus célèbres
Universités, pour permettre à ses religieux de se développer plus
aisément dans tous les ordres de connaissance et donner occasion à
un plus grand nombre d’étudiants d’entrer dans sa famille nouvelle.
Aussi l’Institut dominicain
s’est-il, dès le début, signalé comme un Ordre doctrinal. Ce fut
toujours comme sa mission et son privilège de guérir les maux causés
par l’erreur sous ses diverses formes et de répandre la lumière de
la foi chrétienne : il n’est pas, en effet, de pire obstacle au
salut éternel que l’ignorance religieuse et la perversion des
esprits. Il n’est donc pas surprenant que tous les regards et
l’attention générale se soient tournés vers cette nouvelle et
féconde forme d’apostolat, qui, à l’Evangile et aux enseignements
des Pères, qu’elle prenait pour bases, joignait le précieux appoint
de connaissances de tout genre.
La sagesse divine elle-même
sembla s’exprimer par la bouche des fils de saint Dominique, alors
que brillaient parmi eux de puissants hérauts et défenseurs de la
doctrine chrétienne, tels Hyacinthe de Pologne, Pierre le Martyr,
Vincent Ferrier ; des esprits remarquables pour leur génie et versés
dans les sciences les plus élevées, tels Albert le Grand, Raymond de
Pennafort, Thomas d’Aquin, ce fils de Dominique dont Dieu daigna se
servir, plus que de tout autre docteur, pour illuminer son Eglise.
Aussi bien, cet Ordre, qui fut toujours si apprécié pour son
apostolat de la vérité, s’est-il vu décerner son plus beau titre de
gloire le jour où l’Eglise proclama que la doctrine de saint Thomas
était sa propre doctrine, et donna aux étudiants catholiques pour
maître et saint patron ce Docteur que les Papes avaient comblé des
éloges les plus insignes.
Dévouement absolu au
Saint-Siège
Chez saint Dominique : la vision d’Innocent III ; le Tiers-Ordre
dominicain, milice défensive de la chrétienté.
Cette ardente préoccupation
de demeurer fidèle à la foi et de la défendre s’accompagnait, chez
Dominique, d’un absolu dévouement au Saint-Siège. C’est ainsi que
l’on rapporte que, prosterné aux pieds de Notre prédécesseur
Innocent III, il se voua à la défense du Pontificat romain, et que
ce même Pape le vit en songe, la nuit suivante, soutenant
vigoureusement de ses épaules l’édifice chancelant de la Basilique
de Latran. L’histoire relate cet autre fait : à l’époque où il
formait à la perfection chrétienne les premiers disciples qui s
étaient mis à son école, Dominique eut l’idée de constituer comme
une sainte milice composée de laïques pieux et dévoués, qui aurait
pour double objet de défendre les droits de l’Eglise et de barrer
énergiquement la route aux hérésies. C’est de cette pensée que
naquit le Tiers-Ordre dominicain, qui, en répandant chez les gens du
monde la pratique de la vie parfaite, devait être pour notre Mère la
Sainte Eglise un glorieux fleuron en même temps qu’un véritable
rempart.
Dans l’ordre dominicain :
les défenseurs traditionnels du Saint-Siège ; sainte Catherine de
Sienne ; saint Pie V.
Du fondateur, cet
attachement si étroit à la Chaire de saint Pierre passa en héritage
à ses fils. Chaque fois que, par suite de l’égarement où les erreurs
plongeaient les esprits, l’Eglise eut à souffrir des soulèvements
populaires ou des injustices des princes, le Saint-Siège trouva dans
les fils de saint Dominique de valeureux défenseurs de la vérité et
du droit, dont le concours lui était fort utile pour conserver le
prestige de son autorité. Qui ne se souvient des éminents services
rendus dans cet ordre d’idée par la fille de saint Dominique
Catherine de Sienne ? Poussée par l’amour de Jésus-Christ, elle
surmonta d’incroyables difficultés pour décider le Souverain Pontife
– personne n’avait réussi avant elle – à revenir, après une absence
de soixante-dix ans, sur son Siège de Rome ; plus tard, à l’heure où
un schisme affreux déchira l’Eglise d’Occident, elle retient une
grande partie de la chrétienté dans la fidélité et le dévouement au
Pape légitime.
Enfin, pour ne point parler
des autres titres de gloire, on ne saurait oublier que la famille
dominicaine a donné à l’Eglise quatre Papes célèbres : le dernier,
saint Pie V, a rendu d’immortels services à la religion et à la
société : après s’être assuré, à force d’instances et
d’exhortations, l’alliance militaire des princes chrétiens, il défit
définitivement les forces turques près des îles Echinades, sous
l’égide et avec le secours de la Très Sainte Vierge, qu’il ordonna,
pour ce fait, d’invoquer sous le titre de Secours des chrétiens.
Tendre dévotion à la
sainte Vierge
Le même épisode met aussi en
vive lumière le troisième élément qui caractérise, disions-Nous, la
prédication dominicaine : une dévotion toute spéciale envers la
puissante Mère de Dieu. On raconte, en effet, que le Pape apprit
miraculeusement que l’on remportait la victoire de Lépante au moment
même où, dans tout l’Univers catholique, les Confréries pieuses
invoquaient Marie en se servant de la formule du saint Rosaire que
le fondateur des Prêcheurs avait lui-même instituée et qu’il avait
ensuite donné mission à ses fils de répandre dans le monde entier.
Chez saint Dominique :
le Rosaire fut l’arme qui le rendit victorieux des Albigeois.
C’est en effet en vouant à
la Très Sainte Vierge une affection toute filiale et en espérant
par-dessus tout en son patronage, que Dominique prit en mains la
cause de la foi. Dans sa lutte contre les hérétiques albigeois qui
attaquaient, en proférant d’horribles blasphèmes, l’ensemble des
vérités de la foi et spécialement la maternité divine et la
virginité de Marie, Dominique, tout en vengeant de toutes ses forces
la sainteté de ces dogmes, implorait le secours de la Vierge Marie
en lui adressant très fréquemment cette invocation : « Souffrez que
je vous loue, Vierge sainte ; fortifiez-moi contre vos ennemis. »
Combien était agréable à la
Reine du ciel cette conduite de son très dévot serviteur, on peut
aisément le déduire du fait que c’est par Dominique que Marie voulut
enseigner à l’Eglise, Epouse de son Fils, le très saint Rosaire :
cette prière tout ensemble vocale et mentale méditation des
principaux mystères de la religion accompagnant la récitation de
quinze Pater et d’autant de dizaines d’Ave Maria – est
merveilleusement propre à nourrir la piété et à exciter les âmes à
la pratique des vertus.
Dans l’ordre dominicain :
les apôtres du Rosaire.
Dominique était donc bien
inspiré quand il demandait à ses disciples de s’efforcer souvent et
avec zèle, dans leurs prédications, de rendre familière à leur
auditoire cette forme de prière, dont il avait pleinement constaté
l’utilité. Il était, en effet, persuadé de deux choses : d’une part,
Marie est si puissante auprès de son divin Fils que toutes les
grâces accordées par Dieu aux hommes leur sont toujours données par
l’intermédiaire et au gré de la Sainte Vierge ; d’autre part, Marie
est si bonne et si miséricordieuse que, accoutumée à secourir
spontanément ceux qui souffrent, elle est absolument incapable de
repousser ceux qui implorent son secours, Aussi, celle que l’Eglise
a l’habitude de saluer Mère de grâce et Mère de miséricorde, s’est
toujours montrée telle surtout quand on a eu recours au Saint
Rosaire : et c’est pourquoi les Pontifes romains n’ont jamais
négligé une occasion d’exalter l’efficacité du Rosaire marial et de
l’enrichir du trésor des indulgences.
La tâche actuelle des
Dominicains, religieux et tertiaires.
De nos jours – vous le
comprenez sans peine, Vénérables Frères, – l’Institut dominicain
n’est pas appelé à rendre de moins grands services qu’à l’époque de
sa fondation. Que d’âmes aujourd’hui privées de ce pain de vie
qu’est la doctrine céleste et qui se meurent d’une sorte d’inanition
! Que d’esprits séduits par une apparence de vérité et que
détournent de la foi les déguisements multiples de l’erreur ! Et si
les prêtres veulent, en leur distribuant la parole de Dieu, apporter
à toutes ces détresses le secours qu’elles attendent, combien il
importe qu’ils soient enflammés du désir de sauver leurs frères en
même temps qu’armés d’une solide connaissance des choses de Dieu !
Que de fils de l’Eglise également, ingrats et infidèles, qui se sont
détournés du Vicaire de Jésus-Christ par ignorance ou perversion de
volonté, et qu’il faut ramener dans le sein de notre commune Mère !
Pour porter remède à ces maux et aux calamités de tout genre dont
souffre le monde, combien nous est nécessaire le maternel patronage
de Marie !
Les fils de saint Dominique
ont donc un champ d’apostolat presque sans bornes où déployer très
utilement leur zèle en vue du salut de tous. Aussi Nous demandons
instamment qu’à l’occasion de ce centenaire tous les membres de cet
Ordre se renouvellent pour ainsi dire sur le modèle de leur très
saint Fondateur et prennent la résolution de se montrer chaque jour
plus dignes d’un tel Père. Ceux de ses fils qui appartiennent au
premier Ordre donneront, comme il convient, l’exemple aux autres sur
ce point et se livreront dorénavant avec plus de zèle encore à la
prédication de la parole de Dieu, en vue de développer parmi les
fidèles, en même temps que l’attachement au successeur de saint
Pierre et la dévotion à la Vierge Marie, la connaissance et la
défense de la vérité. Mais l’Eglise espère beaucoup aussi du
dévouement des Tertiaires dominicains, s’ils s’appliquent avec
ardeur à se régler sur l’esprit de leur Patriarche, en enseignant
aux ignorants les préceptes de la doctrine chrétienne, Nous désirons
et souhaitons qu’ils s’adonnent nombreux et empressés à cet
apostolat, qui est de la plus haute importance pour le salut des
âmes. Nous demandons enfin que tous les enfants de saint Dominique
se préoccupent particulièrement de rendre habituelle chez tous les
chrétiens la récitation du Rosaire marial, que Nous-même, à la suite
de nos prédécesseurs, notamment de Léon XIII, d’heureuse mémoire,
Nous avons recommandée lorsque l’occasion s’en est présentée et que
Nous recommandons encore avec insistance en cette époque si troublée
; si l’on parvient à généraliser ainsi cette pratique de dévotion,
Nous estimons que les fêtes de ce centenaire auront eu un résultat
satisfaisant.
Dès maintenant, comme gage
des divines faveurs et en témoignage de Notre bienveillance, Nous
vous accordons avec une religieuse affection, à vous, Vénérables
Frères, à votre clergé et à vos fidèles, la Bénédiction Apostolique.
Donné à Rome, près
Saint-Pierre, en la fête des Princes des Apôtres, le 29 juin 1921,
de Notre Pontificat la septième année.
BENEDICTUS PP. XV
(*) BENEDICTUS XV, Litt.
Encyclicae Fausto appetente die : de DCC natali sancti
Dominici celebrando [Ad Patriarchas, Primates, Archiepiscopos
aliosque locorum Ordinarios pacem et communionem cum Apostolica Sede
habentes], 29 iunii 1921 : AAS 13(1921), 329-335 ; traduction
française, titres et sous-titres de la DC 6(I-1921), pp.
66-68. |