– Catéchèse –

Chromace d'Aquilée
Évêque, Saint
ca. 340-409

Chers frères et sœurs!

Dans les deux dernières catéchèses nous avons suivi un parcours à travers les Églises d'Orient de langue sémitique, en méditant sur Aphraate le Persan et sur saint Éphrem le Syrien; aujourd'hui, nous revenons au monde latin, au nord de l'empire romain, avec saint Chromace d'Aquilée. Cet Évêque exerça son ministère dans l'antique Église d'Aquilée, fervent centre de vie chrétienne situé dans la Dixième région de l'Empire romain, la Venetia et Histria. En 388, lorsque Chromace monta sur la chaire épiscopale de la ville, la communauté chrétienne locale avait déjà mûri une glorieuse histoire de fidélité à l'Évangile. Entre la moitié du troisième siècle et les premières années du quatrième siècle, les persécutions de Dèce, de Valérien et de Dioclétien avaient moissonné un grand nombre de martyrs. En outre, l'Église d'Aquilée s'était mesurée, comme tant d'autres Églises de l'époque, à la menace de l'hérésie arienne. Athanase lui-même - le héraut de l'orthodoxie de Nicée, que les ariens avaient chassé en exil -, trouva refuge pendant quelques temps à Aquilée. Sous la direction de ses Évêques, la communauté chrétienne résista aux menaces de l'hérésie et renforça son adhésion à la foi catholique.

En septembre, 381 Aquilée fut le siège d'un Synode, auquel participèrent environ 35 Évêques des côtes de l'Afrique, de la vallée du Rhône et de toute la Dixième région. Le Synode se proposait de faire disparaître les résidus de l'arianisme en Occident. Le prêtre Chromace prit également part au Concile, en qualité d'expert de l'Évêque d'Aquilée, Valérien (370/1- 387/8). Les années de l'époque du Synode de 381 représentent "l'âge d'or" de la communauté d'Aquilée. Saint Jérôme, qui était né en Dalmatie, et Rufin de Concorde, parlent avec nostalgie de leur séjour à Aquilée (370-373), dans cette sorte de cénacle théologique que Jérôme n'hésite pas à définir tamquam chorus beatorum, "comme un chœur de bienheureux" (Chronique:  PL XXVIII, 697-698). Dans ce cénacle — qui rappelle par certains aspects les expériences communautaires conduites par Eusèbe de Vercelli et par Augustin — se formèrent les plus importantes personnalités des Églises de la Haute Adriatique.

Mais Chromace avait déjà appris dans sa famille à connaître et à aimer le Christ. Saint Jérôme lui-même nous en parle, avec des termes pleins d'admiration, comparant la mère de Chromace à la prophétesse Anne, ses deux sœurs aux vierges prudentes de la parabole évangélique, Chromace lui-même et son frère Eusèbe au jeune Samuel (cf. Ep VII : PL XXII, 341). Jérôme écrit encore à propos de Chromace et d'Eusèbe : "Le bienheureux Chromace et saint Eusèbe étaient frères par les liens du sang, tout autant que par l'identité de leurs idéaux" (Ep. VIII : PL XXII, 342).

Chromace était né à Aquilée vers 345. Il fut ordonné diacre et ensuite prêtre; puis il fut élu Pasteur de cette Église (avant 388). Ayant reçu la consécration épiscopale de l'Évêque Ambroise, il se consacra avec courage et énergie à une tâche démesurée en raison de l'ampleur du territoire confié à ses soins pastoraux : en effet, la juridiction ecclésiastique d'Aquilée s'étendait des territoires actuels de la Suisse bavaroise, d'Autriche et de Slovénie, jusqu'à la Hongrie. On peut comprendre à quel point Chromace était connu et estimé dans l'Église de son temps à partir d'un épisode de la vie de saint Jean Chrysostome. Lorsque l'Évêque de Constantinople fut exilé de son siège, il écrivit trois lettres à ceux qu'il considérait comme les plus importants Évêques d'Occident, pour en obtenir l'appui auprès des empereurs : il écrivit une lettre à l'Évêque de Rome, la deuxième à l'Évêque de Milan, la troisième à l'Évêque d'Aquilée, précisément Chromace (Ep. CLV : PG LII, 702). Il s'agissait d'une époque difficile pour lui aussi, en raison de la situation politique précaire. Chromace mourut probablement en exil, à Grado, alors qu'il cherchait à échapper aux incursions barbares, en 407, l'année où mourut également Jean Chrysostome.

Le prestige et l'importance d'Aquilée en faisait la quatrième ville de la péninsule italienne et la neuvième de l'empire romain : c'est également pour cette raison qu'elle attirait les visées des Goths et des Huns. Les invasions de ces peuples causèrent non seulement de graves deuils et des destructions, mais compromirent gravement la transmission des œuvres des Pères conservées dans la bibliothèque épiscopale, riche de codex. Les écrits de Chromace furent eux aussi dispersés de part et d'autre, et ils furent souvent attribués à d'autres auteurs : à Jean Chrysostome (également en raison des premières lettres de leurs noms qui étaient semblables, Chromatius comme Chrysostomus); ou bien à Ambroise et à Augustin ; et également à Jérôme, que Chromace avait beaucoup aidé dans la révision du texte et dans la traduction latine de la Bible. La redécouverte d'une grande partie de l'œuvre de Chromace est due à des événements heureux et fortuits, qui ont permis au cours des récentes années de reconstruire un corpus d'écrits assez consistant : plus d'une quarantaine de sermons, dont une dizaine sont fragmentaires, et plus de soixante traités de commentaire à l'Évangile de Matthieu.

Chromace fut un maître sage et un pasteur zélé. Son premier et principal engagement fut celui de se mettre à l'écoute de la Parole, pour être capable d'en être ensuite l'annonciateur : dans son enseignement, il part toujours de la Parole de Dieu et il revient toujours à celle-ci. Certaines thématiques lui sont particulièrement chères : tout d'abord le mystère trinitaire, qu'il contemple dans sa révélation au cours de toute l'histoire du salut. Ensuite, le thème de l'Esprit Saint : Chromace rappelle constamment les fidèles à la présence et à l'action de la troisième Personne de la Très Sainte Trinité dans la vie de l'Église. Mais le saint Évêque revient avec une insistance particulière sur le mystère du Christ. Le Verbe incarné est vrai Dieu et vrai homme : il a intégralement assumé l'humanité, pour lui faire don de sa propre divinité. Ces vérités, réaffirmées avec insistance également avec une fonction antiarienne, déboucheront une cinquantaine d'années plus tard sur la définition du Concile de Chalcédoine. La forte insistance sur la nature humaine du Christ conduit Chromace à parler de la Vierge Marie. Sa doctrine mariologique est limpide et précise. Nous lui devons quelques descriptions suggestives de la Très Sainte Vierge : Marie est la "vierge évangélique capable d'accueillir Dieu" ; elle est la "brebis immaculée et inviolée", qui a engendré l'"agneau vêtu de pourpre" (cf. Sermo XXIII, 3 : Écrivains du cercle de saint Ambroise 3/1, p. 134). L'Évêque d'Aquilée met souvent la Vierge en relation avec l'Église : en effet, toute les deux sont "vierges" et "mères". L'ecclésiologie de Chromace se développe surtout dans le commentaire de Matthieu. Voici plusieurs concepts récurrents : l'Église est unique, elle est née du sang du Christ ; elle est le vêtement précieux tissé par l'Esprit Saint; l'Église est là où l'on annonce que le Christ est né de la Vierge, où fleurit la fraternité et la concorde. Une image à laquelle Chromace est particulièrement attaché est celle du navire sur une mer en tempête : "Il ne fait pas de doute", affirme le saint Évêque, "que ce navire représente l'Église" (cf. Tract. XLII, 5 : Écrivains du cercle de saint Ambroise 3/2, p. 260).

En tant que pasteur zélé, Chromace sait parler à ses fidèles avec un langage frais, coloré et incisif. Bien que n'ignorant pas le parfait cursus latin, il préfère utiliser le langage populaire, riche d'images facilement compréhensibles. Ainsi, par exemple, à partir de l'image de la mer il fait une comparaison avec, d'une part, la pêche naturelle de poissons qui, tirés sur la rive, meurent; et, de l'autre, la prédication évangélique, grâce à laquelle les hommes sont sauvés des eaux boueuses de la mort et introduits dans la vraie vie (cf. Tract. XVI, 3 : Écrivains du cercle de saint Ambroise 3/2, p. 106). Toujours dans l'optique du bon pasteur, à une période agitée comme la sienne, frappée par les incursions des barbares, il sait se placer aux côtés des fidèles pour les réconforter et pour ouvrir leur âme à la confiance en Dieu, qui n'abandonne jamais ses fils.

Citons enfin, en conclusion de ces réflexions, une exhortation de Chromace, encore aujourd'hui parfaitement valable : "Prions le Seigneur de tout notre cœur et de toute notre foi — recommande l'Évêque d'Aquilée dans un de ses Sermons — prions-le de nous libérer de toute incursion des ennemis, de toute crainte des adversaires. Qu'il ne regarde pas nos mérites, mais sa miséricorde, lui qui par le passé également daigna libérer les fils d'Israël non en raison de leurs mérites, mais de sa miséricorde. Qu'il nous protège avec son amour miséricordieux constant, et qu'il accomplisse pour nous ce que le saint Moïse dit aux fils d'Israël : "Le Seigneur combattra en votre défense, et vous resterez en silence. C'est lui qui combat, c'est lui qui remporte la victoire... Et afin qu'il daigne le faire, nous devons prier le plus possible. En effet, il dit lui-même par la bouche du prophète : Invoque-moi au jour de l'épreuve; je te libérerai, et tu me rendras gloire"" (Sermo XVI, 4 : Écrivains du cercle de saint Ambroise 3/1, pp. 100-102).

Ainsi, précisément au début du temps de l'Avent, saint Chromace nous rappelle que l'Avent est un temps de prière, où il faut entrer en contact avec Dieu. Dieu nous connaît, il me connaît, il connaît chacun de nous, il m'aime, il ne m'abandonne pas. Allons de l'avant avec cette confiance dans le temps liturgique qui vient de commencer.

Benoît XVI : Audience du Mercredi 5 décembre 2007

Source : www.vatican.va/

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