Clément d’Alexandrie
Catéchèse de Benoît XVI
Chers frères et sœurs,
Après le temps des fêtes, nous
revenons aux catéchèses normales, même si apparemment, il règne encore un climat
de fête sur la Place. Avec les catéchèses, nous revenons, comme je l'ai dit, au
filon commencé auparavant. Nous avons tout d'abord parlé des douze apôtres, puis
des disciples des apôtres, nous parlons à présent des grandes personnalités de
l'Eglise naissante, de l'Eglise antique. Dans la dernière, nous avions parlé de
saint Irénée de Lyon, nous parlons aujourd'hui de Clément d'Alexandrie, un grand
théologien qui naquit probablement à Athènes autour de la moitié du deuxième
siècle. Il hérita d'Athènes cet intérêt prononcé pour la philosophie, qui devait
faire de lui l'un des hérauts du dialogue entre foi et raison dans la tradition
chrétienne. Encore jeune, il rejoignit Alexandrie, la « ville symbole » de ce
carrefour fécond entre différentes cultures qui caractérisa l'époque
hellénistique. Il y fut le disciple de Pantène, jusqu'à lui succéder dans la
direction de l'école catéchétique. De nombreuses sources attestent qu'il fut
ordonné prêtre. Au cours de la persécution de 202-203, il quitta Alexandrie pour
se réfugier à Césarée, en Cappadoce, où il mourut vers 215.
Les œuvres les plus importantes qui
nous restent de lui sont au nombre de trois: le Protreptique, le Pédagogue et
les Stromates. Même s'il ne semble pas que cela fût l'intention originelle de
l'auteur, le fait est que ces écrits constituent une véritable trilogie,
destinée à accompagner de manière efficace la maturation spirituelle du
chrétien. Le Protreptique, comme le dit la parole elle-même, est une «
exhortation » adressée à celui qui commence et cherche le chemin de la foi.
Mieux encore, le Protreptique coïncide avec une Personne : le Fils de Dieu,
Jésus Christ, qui se fait l'« exhortateur » des hommes, afin qu'ils
entreprennent de manière décidée le chemin vers la Vérité. Jésus Christ lui-même
se fait ensuite Pédagogue, c'est-à-dire l'« éducateur » de ceux qui, en vertu du
Baptême, sont désormais devenus des fils de Dieu. Enfin, Jésus Christ lui-même
est aussi Didascalo, c'est-à-dire le « Maître » qui propose les
enseignements plus profonds. Ceux-ci sont rassemblés dans la troisième œuvre de
Clément, les Stromates, parole grecque qui signifie « tapisseries »: il s'agit,
en effet, d'une composition non systématique de thèmes divers, fruits de
l'enseignement habituel de Clément.
Dans son ensemble, la catéchèse
clémentine accompagne pas à pas le chemin du catéchumène et du baptisé pour que,
avec les deux « ailes » de la foi et de la raison, ils parviennent à une
profonde connaissance de la Vérité, qui est Jésus Christ, le Verbe de Dieu.
Seule cette connaissance de la personne, qui est la vérité, est la « véritable
gnose », l'expression grecque qui signifie « connaissance », « intelligence ».
C'est l'édifice construit par la raison sous l'impulsion d'un principe
surnaturel. La foi elle-même édifie la vraie philosophie, c'est-à-dire la vraie
conversion sur le chemin à prendre dans la vie. Donc, la gnose authentique est
un développement de la foi, suscité par Jésus Christ dans l'âme qui est unie à
Lui. Clément distingue ensuite deux degrés de la vie chrétienne. Premier degré:
les chrétiens croyants, qui vivent la foi de manière ordinaire, mais toujours
ouverte aux horizons de la sainteté. Et ensuite, le deuxième degré: les «
gnostiques », c'est-à-dire ceux qui mènent déjà une vie de perfection
spirituelle; dans tous les cas, le chrétien doit partir de la base commune de la
foi, à travers un chemin de recherche, il doit se laisser guider par le Christ,
et ainsi parvenir à la connaissance de la Vérité et des vérités qui forment le
contenu de la foi. Cette connaissance — nous dit Clément — devient dans l'âme
une réalité vivante: ce n'est pas seulement une théorie, c'est une force de vie,
c'est une union d'amour transformatrice. La connaissance du Christ n'est pas
seulement pensée, mais elle est amour qui ouvre les yeux, transforme l'homme et
crée la communion avec le Logos, avec le Verbe divin, qui est vérité et
vie. Dans cette communion, qui est la parfaite connaissance et qui est amour, le
chrétien parfait atteint la contemplation, l'unification avec Dieu.
Clément reprend finalement la
doctrine selon laquelle la fin ultime de l'homme est de devenir semblable à
Dieu. Nous sommes créés à l'image et à la ressemblance de Dieu, mais cela est
aussi un défi, un chemin; en effet, le but de la vie, la destination ultime, est
vraiment de devenir semblable à Dieu. Cela est possible grâce à la connaturalité
avec Lui, que l'homme a reçue au moment de la création, en vertu de laquelle il
est déjà en soi — déjà en soi — image de Dieu. Cette connaturalité permet de
connaître les réalités divines, auxquelles l'homme adhère tout d'abord par la
foi et qui, à travers la foi vécue, la pratique de la vertu, peut grandir
jusqu'à la contemplation de Dieu. Ainsi, dans le chemin de la perfection,
Clément ajoute à l'exigence morale autant d'importance qu'il en attribue à
l'exigence intellectuelle. Les deux vont de pair, car on ne peut pas connaître
sans vivre et on ne peut pas vivre sans connaître. L'assimilation à Dieu et sa
contemplation ne peuvent être atteintes à travers la seule connaissance
rationnelle: dans ce but, une vie selon le Logos est nécessaire, une vie
selon la vérité. Les bonnes œuvres doivent par conséquent accompagner la
connaissance intellectuelle comme l'ombre suit le corps.
Deux vertus enrichissent en
particulier l'âme du « vrai gnostique ». La première est la liberté par rapport
aux passions (apátheia); l'autre est l'amour, la véritable passion, qui
assure l'union intime avec Dieu et la contemplation. L'amour donne la paix
parfaite, et met le « vrai gnostique » en mesure d'affronter les plus grands
sacrifices, même le sacrifice suprême, à la suite du Christ, et le fait monter
degré après degré jusqu'au sommet des vertus. Ainsi, l'idéal éthique de la
philosophie antique, c'est-à-dire la libération des passions, vient de Clément,
redéfini et conjugué avec l'amour, dans le processus incessant d'assimilation à
Dieu.
L'Alexandrin crée ainsi la deuxième
grande occasion de dialogue entre l'annonce chrétienne et la philosophie
grecque. Nous savons que saint Paul à l'Aréopage, à Athènes, où Clément est né,
avait réalisé la première tentative de dialogue avec la philosophie grecque —
qui avait été en grande partie un échec —, mais ils lui avaient dit : « Nous
t'écouterons une autre fois ». A présent, Clément reprend ce dialogue et
l'ennoblit au plus haut degré dans la tradition philosophique grecque. Comme l'a
écrit mon vénéré prédécesseur Jean-Paul II dans l'Encyclique Fides et ratio,
Clément d'Alexandrie va jusqu’à interpréter la philosophie comme « une
instruction propédeutique à la foi chrétienne » (n. 38). Et, de fait, Clément
est allé jusqu’à soutenir que Dieu aurait donné la philosophie aux Grecs « comme
un Testament qui leur est propre » (Strom. 6, 8, 67, 1). Pour lui, la tradition
philosophique grecque, presque comme la Loi pour les Juifs, est un lieu de «
révélation », ce sont deux courants qui en définitive vont vers le Logos
lui-même. Ainsi, Clément continue à indiquer avec décision le chemin de celui
qui entend « donner raison » de sa propre foi en Jésus Christ. Il peut servir
d'exemple aux chrétiens, aux catéchistes, aux théologiens de notre époque, à qui
Jean-Paul II, dans la même Encyclique, recommandait de « reprendre et mettre en
valeur le mieux possible la dimension métaphysique de la vérité afin d'entrer
ainsi dans un dialogue critique et exigeant avec la pensée philosophique
contemporaine ».
Nous concluons, en faisant nôtres
quelques expressions de la célèbre « prière au Christ Logos », avec
laquelle Clément conclut son Pédagogue. Il supplie ainsi: « Sois propice à tes
fils »; « Accorde-nous de vivre dans ta paix, d'être transférés dans ta ville,
de traverser sans en être submergés les flots du péché, d'être transportés au
calme auprès de l'Esprit Saint et de la Sagesse ineffable: nous, qui nuit et
jour, jusqu'au dernier jour chantons un chant d'action de grâce à l'unique
Père,... au Fils pédagogue et maître, avec l'Esprit Saint. Amen! » (Ped. 3, 12,
101).
Audience générale du mercredi 18
avril 2007
SOURCE:
www.vatican.va
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