PREMIÈRE PARTIE
VERBUM DEI
«Au commencement était le Verbe,
et le Verbe était auprès de Dieu,
et le Verbe était Dieu. […]
Et le Verbe s’est fait chair» (Jn 1, 1. 14)
Dieu en dialogue
6. La nouveauté de la
Révélation biblique vient du fait que Dieu se fait connaître dans le
dialogue qu’il désire instaurer avec nous.
La Constitution dogmatique
Dei Verbum avait exposé
cette réalité en reconnaissant que «Dieu invisible dans l’immensité
de sa charité, (…) s’adresse aux hommes comme à des amis, et
converse avec eux pour les inviter à entrer en communion avec lui et
les recevoir en cette communion».
Mais nous ne comprendrions pas encore pleinement le message du
Prologue de saint Jean si nous nous arrêtions à la constatation que
Dieu se communique à nous avec amour. En fait, le Verbe de Dieu, par
lequel «tout s’est fait» (Jn 1, 3) et qui «s’est fait
chair»
(Jn 1, 14), est
le même Dieu qui est «au commencement» (Jn 1, 1). Si nous
reconnaissons ici une allusion au début du Livre de la Genèse (cf.
Gn 1, 1), nous nous trouvons, en réalité, face à un
principe de caractère absolu, qui nous dévoile la vie intime de
Dieu. Le Prologue johannique nous met en face du fait que le
Logos est réellement depuis toujours, et depuis toujours
il est Dieu lui-même. Par conséquent, il n’y a jamais eu en
Dieu un temps où le Logos n’était pas. Le Verbe
préexiste à la création. C’est pourquoi, au cœur de la vie divine
existe la communion, le don absolu. «Dieu est amour» (1 Jn
4, 16) dira à un autre endroit le même Apôtre, en indiquant par
là «l’image chrétienne de Dieu ainsi que l’image de l’homme et de
son chemin, qui en découle».
Dieu se fait connaître à nous comme Mystère d’amour infini dans
lequel le Père depuis l’éternité exprime sa Parole dans l’Esprit
Saint. Par conséquent le Verbe, qui depuis le commencement est
auprès de Dieu et est Dieu, nous révèle Dieu lui-même dans le
dialogue d’amour des Personnes divines et il nous invite à y
participer. C’est pourquoi, créés à l’image et à la ressemblance de
Dieu amour, nous ne pouvons nous comprendre nous-mêmes que dans
l’accueil du Verbe et dans la docilité à l’œuvre de l’Esprit Saint.
C’est à la lumière de la Révélation opérée par le Verbe divin que se
clarifie définitivement l’énigme de la condition humaine.
Analogie de la Parole de Dieu
7. À partir de ces
considérations, qui naissent de la méditation du Mystère chrétien
exprimé dans le Prologue de Jean, il est nécessaire à présent de
souligner ce qu’ont affirmé les Pères synodaux concernant les
diverses modalités avec lesquelles nous utilisons l’expression
«Parole de Dieu». On a parlé avec justesse d’une symphonie de
la Parole, d’une Parole unique qui s’exprime de différentes
manières: «comme un chant à plusieurs voix».
Les Pères synodaux ont parlé à ce propos, en référence à la
Parole de Dieu, d’une utilisation analogique du langage humain. En
effet, si d’un côté cette expression concerne la communication que
Dieu fait de lui-même, de l’autre, elle assume des significations
diverses qui doivent être considérées avec attention et mises en
relation les unes avec les autres, aussi bien du point de vue de la
réflexion théologique que de l’usage pastoral. Comme nous le montre
de manière claire le Prologue de Jean, le Logos désigne à
l’origine le Verbe éternel, c’est-à-dire, le Fils unique engendré
par le Père avant tous les siècles et qui lui est consubstantiel:
le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu. Mais ce
même Verbe, affirme saint Jean, «s’est fait chair» (Jn
1, 14); c’est pourquoi Jésus-Christ, né de la Vierge Marie, est
réellement le Verbe de Dieu qui s’est fait consubstantiel à nous.
Par conséquent, l’expression «Parole de Dieu» indique ici la
Personne de Jésus-Christ, le Fils éternel du Père, fait homme.
Par ailleurs, si au
centre de la Révélation divine se situe l’événement du Christ, on
doit aussi reconnaître que la création elle-même, le liber
naturae, fait aussi essentiellement partie de cette symphonie à
plusieurs voix dans laquelle le Verbe unique s’exprime. En même
temps, nous affirmons que Dieu a communiqué sa Parole dans
l’histoire du salut, qu’il a fait entendre sa voix; par la puissance
de son Esprit, «il a parlé par les prophètes».
La Parole divine se révèle donc au cours de l’histoire du salut et
elle parvient à sa plénitude dans le Mystère de l’Incarnation, de la
mort et de la Résurrection du Fils de Dieu. La Parole de Dieu est
encore celle qui est prêchée par les apôtres, dans l’obéissance au
Commandement de Jésus ressuscité: «Allez dans le monde entier.
Proclamez la Bonne Nouvelle à toute la création» (Mc
16, 15). La Parole de Dieu est donc transmise dans la Tradition
vivante de l’Église. Enfin, la Parole divine, attestée et divinement
inspirée, c’est l’Écriture Sainte, l’Ancien et le Nouveau Testament.
Tout cela nous fait comprendre pourquoi, dans l’Église, nous
vénérons beaucoup les Saintes Écritures, bien que la foi chrétienne
ne soit pas une «religion du Livre»: le Christianisme est la
«religion de la Parole de Dieu», non d’«une parole écrite et muette,
mais du Verbe incarné et vivant».
L’Écriture doit donc être proclamée, écoutée, lue, accueillie et
vécue comme la Parole de Dieu, dans le sillage de la Tradition
apostolique dont elle est inséparable.
Comme l’ont affirmé les
Pères synodaux, nous nous trouvons réellement face à une utilisation
analogique de l’expression «Parole de Dieu», dont nous devons être
conscients. Il faut donc que les fidèles soient davantage préparés à
en saisir les différents sens et à en comprendre l’unité. De même,
du point de vue théologique, il est nécessaire d’approfondir
l’articulation des différentes significations de cette expression
pour que resplendissent davantage l’unité du dessein divin et son
centre: la Personne du Christ.
Dimension
cosmique de la Parole
8. Conscients de la
signification essentielle de la Parole de Dieu en référence au Verbe
éternel de Dieu fait chair, unique sauveur et médiateur entre Dieu
et l’homme,
et en écoutant cette Parole, nous sommes amenés par la Révélation
biblique à reconnaître qu’elle est le fondement de toute la réalité.
Le Prologue de saint Jean affirme, en référence au Logos
divin, que «par lui tout s’est fait et rien de ce qui s’est fait ne
s’est fait sans lui» (Jn 1, 3); de même, dans la Lettre
aux Colossiens, il est affirmé en ce qui concerne le Christ,
«premier-né par rapport à toute créature» (1, 15), que «tout est
créé par lui et pour lui» (1, 16). Et l’auteur de la Lettre aux
Hébreux rappelle aussi que «grâce à la foi, nous comprenons que
les mondes ont été organisés par la Parole de Dieu, si bien que
l’univers visible provient de ce qui n’apparaît pas au regard» (11,
3).
Cette annonce est
pour nous une parole libératrice. En effet, les affirmations de
l’Écriture indiquent que tout ce qui existe n’est pas le fruit d’un
hasard irrationnel, mais est voulu par Dieu, fait partie de son
dessein, au sommet duquel il nous est offert de participer, dans le
Christ, à la vie divine. La création naît du Logos et porte
de façon indélébile la marque de la Raison créatrice qui ordonne
et guide. Les Psaumes chantent cette joyeuse certitude: «Le
Seigneur a fait les cieux par sa parole, l’univers, par le souffle
de sa bouche» (Ps 33, 6); et encore: «il parla, et ce qu’il
dit exista; il commanda, et ce qu’il dit survint» (Ps 33, 9).
Toute la réalité exprime ce Mystère: «Les cieux proclament la gloire
de Dieu, le firmament raconte l’ouvrage de ses mains» (Ps 19,
2). Par conséquent, c’est l’Écriture Sainte elle-même qui nous
invite à connaître le Créateur en observant la création (cf. Ps
13, 5; Rm 1, 19-20). La tradition de la pensée chrétienne
a su approfondir cet élément-clé de la symphonie de la Parole,
quand, par exemple, saint Bonaventure qui, avec la grande tradition
des Pères grecs, a vu toutes les possibilités de la création dans le
Logos,
affirme que
«toute créature
est parole de Dieu, puisqu’elle proclame Dieu».
La Constitution dogmatique
Dei Verbum avait résumé
cet élément en déclarant qu’«en créant (cf. Jn 1, 3) et en
conservant toutes choses par le Verbe, Dieu offre aux hommes dans
les choses créées un témoignage durable de lui-même».
La création de
l’homme
9. La réalité naît donc
de la Parole, comme creatura Verbi et tout est appelé à
servir la Parole. La création, en effet, est le lieu où se développe
toute l’histoire de l’amour entre Dieu et sa créature. Par
conséquent, le salut de l’homme est la raison de tout. En
contemplant le cosmos dans la perspective de l’histoire du salut,
nous sommes amenés à découvrir la position unique et singulière
qu’occupe l’homme dans la création: «Dieu créa l’homme à son image,
à l’image de Dieu il le créa, il les créa homme et femme» (Gn
1, 27). Cela nous permet de reconnaître pleinement les dons précieux
reçus du Créateur: la valeur de notre propre corps, le don de la
raison, de la liberté et de la conscience. En cela, nous trouvons
aussi tout ce que la tradition philosophique appelle la «loi
naturelle».
En effet, «tout être humain qui accède à la conscience et à la
responsabilité fait l’expérience d’un appel intérieur à accomplir le
bien»
et, donc, à éviter le mal. Comme le rappelle saint Thomas d’Aquin,
tous les autres préceptes de la loi naturelle se fondent également
sur ce principe.
L’écoute de la Parole de Dieu nous porte avant tout à apprécier
l’exigence de vivre selon cette loi «écrite dans notre cœur» (cf.
Rm 2, 15; 7, 23).
De plus, Jésus-Christ donne aux hommes la nouvelle Loi, la Loi de
l’Évangile, qui assume et réalise de manière éminente la loi
naturelle, en nous affranchissant de la loi du péché qui fait que,
comme le dit saint Paul, «ce qui est à ma portée, c’est d’avoir
envie de faire le bien, mais pas de l’accomplir» (Rm 7, 18)
et, par la grâce, il permet aux hommes la participation à la vie
divine et leur donne la capacité de dépasser leur égoïsme.
Le réalisme de la Parole
10. Celui qui connaît
la Parole divine connaît aussi pleinement la signification de toute
créature. Si toutes les choses, en effet, «subsistent» en
Celui qui est «avant toutes choses» (cf. Col 1, 17), alors
celui qui construit sa propre vie sur sa Parole bâtit vraiment de
manière solide et durable. La Parole de Dieu nous pousse à changer
notre idée du réalisme: la personne réaliste est celle qui reconnaît
dans le Verbe de Dieu, le fondement de tout.
Nous en avons particulièrement besoin à notre époque, où de
nombreuses choses sur lesquelles nous nous appuyons pour construire
notre vie, sur lesquelles nous sommes tentés de mettre notre
espérance, se révèlent éphémères. L’avoir, le plaisir et le pouvoir
se manifestent tôt ou tard incapables de réaliser les aspirations
les plus profondes du cœur de l’homme. En effet, pour construire sa
vie, celui-ci a besoin de fondements solides, qui demeurent même
lorsque les certitudes humaines s’estompent. En réalité, puisque
«pour toujours, ta parole, Seigneur, se dresse dans les cieux» et
que la fidélité du Seigneur dure «d’âge en âge» (cf. Ps 119,
89-90), celui qui bâtit sur cette Parole construit la maison de sa
vie sur le roc (cf. Mt 7, 24). Que notre cœur puisse dire
tous les jours à Dieu: «Toi mon abri, mon bouclier, j’espère en ta
parole» (Ps 119, 114) et, comme saint Pierre, que nous
puissions agir tous les jours en nous en remettant au Seigneur
Jésus: «sur ton ordre, je vais jeter les filets» (Lc
5, 5)!
Christologie de la Parole
11. À partir de ce
regard sur la réalité comme œuvre de la Sainte Trinité, à travers le
Verbe divin, nous pouvons comprendre les paroles de l’auteur de la
Lettre aux Hébreux: «Souvent, dans le passé, Dieu a parlé à
nos pères par les prophètes sous des formes fragmentaires et
variées; mais, dans les derniers temps, dans ces jours où nous
sommes, il nous a parlé par ce Fils qu’il a établi héritier de
toutes choses et par qui il a créé les mondes» (1, 1-2). Il est beau
de noter que tout l’Ancien Testament se présente déjà à nous comme
l’histoire dans laquelle Dieu communique sa Parole: «En effet, après
avoir conclu une alliance avec Abraham (cf. Gn 15, 18) et,
par Moïse, avec le Peuple d’Israël (cf. Ex 24, 8), il se
révéla au Peuple qu’il s’était acquis, par des paroles et par des
actions, comme le Dieu unique, vivant et vrai, de sorte qu’Israël
fit l’expérience des voies de Dieu avec les hommes, qu’il en acquit
une intelligence de jour en jour plus profonde et plus claire grâce
à Dieu parlant lui-même par la bouche des prophètes, et qu’il
manifesta toujours plus largement parmi les nations (cf. Ps
21, 28-29; 95, 1-3; Is 2, 1-4; Jr 3, 17)».
Cette complaisance de
Dieu se réalise de manière indépassable au moment de l’Incarnation
du Verbe. La Parole éternelle qui s’exprime dans la création et qui
se communique dans l’histoire du salut est devenue dans le Christ un
homme, «né d’une femme» (Ga 4, 4). La Parole ne s’exprime
plus ici d’abord à travers un discours, fait de concepts ou de
règles. Ici, nous sommes mis face à la Personne même de Jésus. Son
histoire unique et singulière est la Parole définitive que Dieu dit
à l’humanité. On comprend alors pourquoi «à l’origine du fait d’être
chrétien, il n’y a pas une décision éthique ou une grande idée, mais
la rencontre avec un événement, avec une Personne, qui donne à la
vie un nouvel horizon et par là son orientation décisive».
Le renouvellement de cette rencontre et de cette conscience génère
dans le cœur des croyants l’émerveillement devant l’initiative
divine que l’homme, avec ses seules facultés rationnelles et avec
son imagination n’aurait jamais pu concevoir. Il s’agit d’une
nouveauté incroyable et humainement inconcevable: «Le Verbe s’est
fait chair, il a habité parmi nous» (Jn 1, 14a). Ces
expressions n’indiquent pas une figure rhétorique mais une
expérience vécue! C’est saint Jean, témoin oculaire, qui la
rapporte: «nous avons vu sa gloire, la gloire qu’il tient de son
Père comme Fils unique, plein de grâce et de vérité» (Jn
1, 14b). La foi apostolique témoigne que la Parole éternelle
s’est faite Un de nous. La Parole divine s’exprime
vraiment à travers des paroles humaines.
12. En
contemplant cette «Christologie de la Parole», la tradition
patristique médiévale a utilisé une expression suggestive:
le
Verbe s’est abrégé.
Dans leur traduction grecque de l’Ancien Testament, les Pères de
l’Église ont trouvé une parole du prophète Isaïe - que saint Paul
cite aussi - pour montrer que les voies nouvelles de Dieu étaient
déjà annoncées dans l’Ancien Testament. On pouvait y lire: «Dieu a
rendu brève sa Parole, il l’a abrégée» (Is 10, 23;
Rm 9, 28). Le Fils, lui-même, est la Parole de Dieu, il est le «Logos:
la Parole éternelle s’est faite petite – si petite qu’elle peut
entrer dans une mangeoire. Elle s’est faite enfant, afin que la
Parole devienne pour nous saisissable».
À présent, la Parole n’est pas seulement audible, elle ne possède
pas seulement une voix, maintenant la Parole a un visage,
qu’en conséquence nous pouvons voir: Jésus de Nazareth.
En suivant le récit des
Évangiles, nous relevons que l’humanité même de Jésus apparaît dans
toute son originalité dans sa référence à la Parole de Dieu. En
effet, il réalise heure par heure, dans son humanité parfaite, la
volonté du Père. Jésus écoute sa voix et il lui obéit de tout son
cœur. Il connaît le Père et il observe sa Parole (cf. Jn 8,
55). Il nous raconte les choses du Père (cf. Jn 12, 50). «Je
leur ai donné les paroles que tu m’as données» (Jn 17,
8). Jésus montre donc qu’il est le Logos divin qui se donne à
nous, mais aussi le nouvel Adam, l’homme vrai, celui qui accomplit à
chaque instant non sa propre volonté mais celle du Père. Il
«grandissait en sagesse, en taille et en grâce sous le regard de
Dieu et des hommes» (Lc 2, 52). De manière parfaite,
il écoute, il réalise en lui-même et il nous communique la Parole
divine (cf. Lc 5, 1).
La mission de Jésus
trouve enfin son accomplissement dans le Mystère pascal: nous nous
trouvons ici face au «langage de la croix» (1 Co 1,
18). Le Verbe se tait, il devient silence de mort, car il s’est
«dit» jusqu’à se taire, ne conservant rien de ce qu’il devait
communiquer. De manière suggestive, les Pères de l’Église,
contemplant ce Mystère, mettent sur les lèvres de la Mère de Dieu
cette expression: «Sans parole est la parole du Père, laquelle a
créé toute la nature parlante, sans mouvement sont les yeux éteints
de celui par la parole et le geste de qui est mû tout ce qui se
meut».
Ici, nous est vraiment révélé l’amour le «plus grand», celui
qui donne sa vie pour ses propres amis (cf. Jn 15, 13).
Dans ce grand Mystère,
Jésus se manifeste comme la Parole de l’Alliance Nouvelle et
Éternelle: la liberté de Dieu et la liberté de l’homme se sont
définitivement rencontrées dans sa chair crucifiée, en un pacte
indissoluble, à jamais valable. Au cours de l’institution de
l’Eucharistie, Jésus lui-même - à la dernière Cène - avait parlé de
«la Nouvelle et Éternelle Alliance», scellée par son Sang versé (cf.
Mt 26, 28; Mc 14, 24; Lc 22, 20), se montrant
comme le véritable Agneau immolé, en qui s’accomplit la libération
définitive de l’esclavage.[38]
Dans le Mystère
lumineux de la Résurrection, ce silence de la Parole se manifeste
dans sa signification authentique et définitive. Le Christ, Parole
de Dieu incarnée, crucifiée et ressuscitée, est le Seigneur de
toutes choses; il est le Vainqueur, le Pantokrátor, et tout
est récapitulé pour toujours en lui (cf. Ep 1, 10). Le Christ
est donc «la lumière du monde» (Jn 8, 12), cette lumière qui
«brille dans les ténèbres» (Jn 1, 5) et que les ténèbres
n’ont pas arrêtée (cf. Jn 1, 5). Nous comprenons pleinement
ici le sens du Psaume 119: «ta parole est la lumière de mes
pas, la lampe de ma route» (v. 105); la Parole qui ressuscite
est cette lumière définitive sur notre route. Dès le début, les
Chrétiens ont eu conscience que, dans le Christ, la Parole de Dieu
est présente en tant que Personne. La Parole de Dieu est la
véritable lumière dont l’homme a besoin. Oui, au moment de la
Résurrection, le Fils de Dieu s’est manifesté comme Lumière du
monde. À présent, en vivant avec lui et par lui, nous pouvons vivre
dans la lumière.
13. Parvenus, si l’on
peut s’exprimer ainsi, au cœur de la «Christologie de la Parole», il
est important de souligner l’unité du dessein divin dans le Verbe
incarné: c’est pour cela que le Nouveau Testament nous présente le
Mystère pascal en accord avec les Saintes Écritures, comme leur
accomplissement parfait. Saint Paul, dans la première Lettre aux
Corinthiens, affirme que Jésus-Christ est mort pour nos péchés
«conformément aux Écritures» (15, 3) et qu’il est ressuscité le
troisième jour «conformément aux Écritures» (15, 4). De cette
manière, l’Apôtre place l’événement de la mort et de la Résurrection
du Seigneur en relation avec l’histoire de l’antique Alliance de
Dieu avec son Peuple. Bien plus, il nous fait comprendre que c’est
de cet événement que cette histoire tire sa logique et sa véritable
signification. Dans le Mystère pascal s’accomplissent «les paroles
de l’Écriture; c’est-à-dire que – cette mort réalisée “conformément
aux Écritures” – est un événement qui porte en soi un Logos,
une logique: la mort du Christ témoigne que la Parole de Dieu s’est
faite pleinement “chair”, “histoire” humaine».
La Résurrection de Jésus se produit aussi «le troisième jour
conformément aux Écritures»: puisque, suivant l’interprétation
juive, la décomposition commençait après le troisième jour, la
Parole de l’Écriture s’accomplit en Jésus qui ressuscite avant que
ne commence la décomposition. Ainsi, en transmettant fidèlement
l’enseignement des Apôtres (cf. 1 Co 15, 3), saint Paul
souligne que la victoire du Christ sur la mort advient par la
puissance créatrice de la Parole de Dieu. Cette puissance divine
apporte l’espérance et la joie: c’est là, en définitive, le contenu
libérateur de la Révélation pascale. À Pâques, Dieu se révèle
lui-même ainsi que la puissance de l’Amour trinitaire qui anéantit
les forces destructrices du mal et de la mort.
En rappelant ces
éléments essentiels de notre foi, nous pouvons contempler la
profonde unité entre la création et la nouvelle création et celle de
toute l’histoire du salut dans le Christ. En recourant à une image,
nous pouvons comparer l’univers à un «livre» – comme le disait
également Galilée – le considérant comme «l’œuvre d’un Auteur qui
s’exprime à travers la “symphonie” de la création. Au sein de cette
symphonie, on trouve, à un certain moment, ce que l’on appellerait
en langage musical un “solo”, un thème confié à un seul instrument
ou à une voix unique; et celui-ci est tellement important que la
signification de toute l’œuvre dépend de lui. Ce “solo”, c’est Jésus
... Le Fils de l’homme résume en lui la terre et le ciel, la
création et le Créateur, la chair et l’Esprit. Il est le centre de
l’univers et de l’histoire, parce qu’en lui s’unissent sans se
confondre l’Auteur et son œuvre».
Dimension
eschatologique de la Parole de Dieu
14. À travers tout
cela, l’Église exprime qu’elle est consciente de se trouver, avec
Jésus-Christ, face à la Parole définitive de Dieu; il est «le
Premier et le Dernier» (Ap 1, 17). Il a donné à la
création et à l’histoire son sens définitif; c’est pourquoi nous
sommes appelés à vivre le temps, à habiter la création de Dieu selon
le rythme eschatologique de la Parole; «l’économie chrétienne, du
fait qu’elle est l’Alliance nouvelle et définitive, ne passera
jamais et aucune nouvelle révélation publique ne doit plus être
attendue avant la glorieuse manifestation de notre Seigneur
Jésus-Christ (cf. 1 Tm 6, 14 et Tt 2, 13)».
En effet, comme l’ont rappelé les Pères durant le Synode, «la
spécificité du Christianisme se manifeste dans l’événement
Jésus-Christ, sommet de la Révélation, accomplissement des promesses
de Dieu et médiateur de la rencontre entre l’homme et Dieu. Lui “qui
nous a révélé Dieu” (cf. Jn 1, 18) est la Parole
unique et définitive donnée à l’humanité».
Saint Jean de la Croix a exprimé cette vérité de façon admirable:
«Dès lors qu’il nous a donné son Fils, qui est sa Parole – unique et
définitive –, il nous a tout dit à la fois et d’un seul coup en
cette seule Parole et il n’a rien de plus à dire. […] Car ce qu’il
disait par parties aux prophètes, il l’a dit tout entier dans son
Fils, en nous donnant ce tout qu’est son Fils. Voilà pourquoi celui
qui voudrait maintenant interroger le Seigneur et lui demander des
visions ou révélations, non seulement ferait une folie, mais il
ferait injure à Dieu, en ne jetant pas les yeux uniquement sur le
Christ et en cherchant autre chose ou quelque nouveauté».
Par conséquent, le
Synode a recommandé d’«aider les fidèles à bien distinguer la Parole
de Dieu des révélations privées»,
dont le rôle «n’est pas de (…) “compléter” la Révélation définitive
du Christ, mais d’aider à en vivre plus pleinement à une certaine
époque de l’histoire».
La valeur des révélations privées est foncièrement différente de
l’unique Révélation publique: celle-ci exige notre foi; en effet, en
elle, au moyen de paroles humaines et par la médiation de la
communauté vivante de l’Église, Dieu lui-même nous parle. Le critère
pour établir la vérité d’une révélation privée est son orientation
vers le Christ lui-même. Quand celle-ci nous éloigne de Lui, alors
elle ne vient certainement pas de l’Esprit Saint, qui nous conduit à
l’Évangile et non hors de lui. La révélation privée est une aide
pour la foi, et elle se montre crédible précisément parce qu’elle
renvoie à l’unique Révélation publique. C’est pourquoi l’approbation
ecclésiastique d’une révélation privée indique essentiellement que
le message s’y rapportant ne contient rien qui s’oppose à la foi et
aux bonnes mœurs. Il est permis de le rendre public, et les fidèles
sont autorisés à y adhérer de manière prudente. Une révélation
privée peut introduire de nouvelles expressions, faire émerger de
nouvelles formes de piété ou en approfondir d’anciennes. Elle peut
avoir un certain caractère prophétique (cf. 1 Th 5, 19-21) et
elle peut être une aide valable pour comprendre et pour mieux vivre
l’Évangile à l’heure actuelle. Elle ne doit donc pas être négligée.
C’est une aide, qui nous est offerte, mais il n’est pas obligatoire
de s’en servir. Dans tous les cas, il doit s’agir de quelque chose
qui nourrit la foi, l’espérance et la charité, qui sont pour tous le
chemin permanent du salut.
La Parole de Dieu et l’Esprit Saint
15. Après nous être
arrêtés sur la Parole dernière et définitive de Dieu au monde, nous
devons parler à présent de la mission de l’Esprit Saint en lien avec
la Parole divine. En effet, aucune compréhension authentique de la
Révélation chrétienne ne peut être atteinte en dehors de l’action du
Paraclet. Et ce, parce que la communication que Dieu fait de
lui-même implique toujours la relation entre le Fils et l’Esprit
Saint, qu’Irénée de Lyon appelle, de fait, «les deux mains du Père».
De plus, c’est l’Écriture Sainte qui nous montre la présence de
l’Esprit Saint dans l’histoire du salut et en particulier dans la
vie de Jésus, qui a été conçu de la Vierge Marie par l’action de
l’Esprit Saint (cf. Mt 1, 18; Lc 1, 35); au début de
son ministère public, sur les rives du Jourdain, Jésus le voit
descendre sur lui sous la forme d’une colombe (cf. Mt 3, 16
et par.); par ce même Esprit, il agit, il parle et il exulte
(cf. Lc 10, 21); et c’est en lui qu’il peut s’offrir lui-même
(cf. He 9,14). Alors que sa mission s’achève, suivant le
récit de l’Évangéliste Jean, c’est Jésus lui-même qui met clairement
en relation le don de sa vie avec l’envoi de l’Esprit aux siens (cf.
Jn 16, 7). Ensuite, Jésus ressuscité, portant dans sa chair
les signes de sa passion, répand l’Esprit (cf. Jn 20, 22),
rendant les siens participants de sa propre mission (cf. Jn
20, 21). Ce sera alors l’Esprit Saint qui enseignera toutes choses
aux disciples et qui leur rappellera tout ce que le Christ a dit
(cf. Jn 14, 26), parce qu’il lui revient, en tant qu’Esprit
de vérité (cf. Jn 15, 26), d’introduire les disciples dans la
vérité tout entière (cf. Jn 16, 13). Enfin, comme on lit dans
les Actes des Apôtres, l’Esprit descend sur les Douze réunis
en prière avec Marie, au jour de la Pentecôte (cf. 2, 1-4), et il
les remplit de force en vue de leur mission d’annoncer la Bonne
Nouvelle à tous les peuples.
La Parole de Dieu
s’exprime donc en paroles humaines grâce à l’action de l’Esprit
Saint. La mission du Fils et celle de l’Esprit Saint sont
inséparables et constituent une unique économie du salut. L’Esprit,
qui agit au moment de l’Incarnation du verbe dans le sein de la
vierge Marie, est le même Esprit qui guide Jésus au cours de sa
mission et qui est promis aux disciples. Le même Esprit, qui a parlé
par l’intermédiaire des prophètes, soutient et inspire l’Église dans
sa tâche d’annoncer la Parole de Dieu et dans la prédication des
apôtres. Enfin, c’est cet Esprit qui inspire les auteurs des Saintes
Écritures.
16. Attentifs à cet
horizon pneumatologique, les Pères synodaux ont voulu rappeler
l’importance de l’action de l’Esprit Saint dans la vie de l’Église
et dans le cœur des croyants par rapport à l’Écriture Sainte.
En effet, sans l’action efficace de «l’Esprit de vérité» (Jn
14, 16) on ne peut comprendre les paroles du Seigneur. Comme le
rappelle saint Irénée: «Ceux qui ne participent pas à l’Esprit ne
puisent pas au sein de leur Mère (l’Église) la nourriture de Vie,
ils ne reçoivent rien de la source très pure qui coule du Corps du
Christ».
Comme la Parole de Dieu vient à nous dans le Corps du Christ, dans
le Corps eucharistique et dans le Corps des Écritures par l’action
de l’Esprit Saint, de même elle ne peut être accueillie et comprise
pleinement que grâce à ce même Esprit.
Les grands écrivains de
la Tradition chrétienne prennent unanimement en considération le
rôle de l’Esprit Saint dans le rapport que les croyants doivent
avoir avec les Écritures. Saint Jean Chrysostome affirme que
l’Écriture «a besoin de la Révélation de l’Esprit, afin qu’en
découvrant le véritable sens des choses qui s’y trouvent, nous en
tirions abondamment profit».
Saint Jérôme est lui aussi fermement convaincu que «nous ne pouvons
arriver à comprendre l’Écriture sans l’aide de l’Esprit Saint qui
l’a inspirée».
Saint Grégoire le Grand souligne à son tour de manière suggestive
l’œuvre du même Esprit dans la formation et dans l’interprétation de
la Bible: «Il a lui-même créé les paroles des Saints Testaments,
c’est lui-même qui les ouvre».
Richard de Saint-Victor rappelle qu’il faut des «yeux de colombe»,
illuminés et instruits par l’Esprit, pour comprendre le texte sacré.
Je voudrais souligner
encore toute l’importance du témoignage que nous trouvons, à propos
de la relation entre l’Esprit Saint et l’Écriture, dans les textes
liturgiques, où la Parole de Dieu est proclamée, écoutée et
expliquée aux fidèles. C’est le cas d’anciennes prières qui, sous
forme d’épiclèses, invoquent l’Esprit avant la proclamation des
lectures: «Envoie ton Esprit Saint Paraclet dans nos âmes et
fais-nous comprendre les Écritures qu’il a inspirées; et concède-moi
de les interpréter de manière digne, pour que les fidèles ici réunis
en tirent avantage». De même, nous trouvons des prières qui, au
terme de l’homélie, invoquent à nouveau Dieu pour le don de l’Esprit
sur les fidèles: «Dieu sauveur (…) nous t’implorons pour ce peuple:
envoie sur lui l’Esprit Saint; que le Seigneur Jésus vienne le
visiter, qu’il parle aux consciences de tous et qu’il prépare les
cœurs à la foi et conduise à toi nos âmes, Dieu des Miséricordes».
Tout cela nous permet de comprendre pourquoi l’on ne peut pas
arriver à saisir le sens de la Parole si l’action du Paraclet n’est
pas accueillie dans l’Église et dans le cœur des croyants.
Tradition et Écriture
17. En réaffirmant le
lien profond entre l’Esprit Saint et la Parole de Dieu, nous avons
aussi posé les fondations pour comprendre le sens et la valeur
déterminante de la Tradition vivante et des Écritures Saintes dans
l’Église. En effet, puisque «Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné
son Fils unique» (Jn 3, 16), la Parole divine, prononcée dans
le temps, s’est donnée et «livrée» à l’Église de manière définitive,
afin que l’annonce du salut puisse être communiquée de manière
efficace à toutes les époques et en tous lieux. Comme nous le
rappelle la Constitution dogmatique
Dei Verbum, Jésus-Christ
«ayant accompli lui-même et proclamé de sa propre bouche l’Évangile
d’abord promis par les prophètes, ordonna à ses Apôtres de le
prêcher à tous comme la source de toute vérité salutaire et de toute
règle morale, en leur communiquant les dons divins. Ce qui fut
fidèlement accompli tantôt par les Apôtres, qui, dans la prédication
orale, dans les exemples et les institutions transmirent, soit ce
qu’ils avaient appris de la bouche du Christ en vivant avec lui et
en le voyant agir, soit ce qu’ils tenaient des suggestions du
Saint-Esprit, tantôt par ces Apôtres et des hommes de leur
entourage, qui, sous l’inspiration du même Esprit- Saint,
consignèrent par écrit le message de salut».
Le
Concile Vatican II rappelle,
par ailleurs, que cette Tradition d’origine apostolique est une
réalité vivante et dynamique: elle progresse dans l’Église sous
l’assistance du Saint-Esprit, non dans le sens qu’elle change dans
sa vérité, qui est éternelle, mais plutôt par le fait que «la
perception des réalités aussi bien que des paroles transmises
s’accroît», par la contemplation et par l’étude, avec l’intelligence
que donne une expérience spirituelle plus profonde, et par «la
prédication de ceux qui, avec la succession dans l’épiscopat, ont
reçu un charisme certain de vérité».
La Tradition vivante
est essentielle afin que l’Église puisse grandir au fil du temps
dans la compréhension de la vérité révélée dans les Écritures; en
effet, «par cette même Tradition, le Canon intégral des Livres
Saints se fait connaître à l’Église, et en elle aussi les Saintes
Écritures elles-mêmes sont comprises plus à fond et sans cesse
rendues agissantes».
En fin de compte, c’est la Tradition vivante de l’Église qui nous
fait comprendre de manière adéquate la Sainte Écriture comme Parole
de Dieu. Même si le Verbe de Dieu précède et transcende la Sainte
Écriture, toutefois, dans la mesure où elle est inspirée par Dieu,
elle contient la Parole divine (cf. 2 Tm 3, 16) «d’une
manière tout à fait particulière».
18. D’où l’importance
d’éduquer et de former de façon claire le Peuple de Dieu à
s’approcher des Saintes Écritures en lien avec la Tradition vivante
de l’Église, en reconnaissant en elles la Parole même de Dieu. Faire
grandir cette attitude chez les fidèles est très important du point
de vue de la vie spirituelle. Il peut être utile de rappeler à ce
propos une analogie développée par les Pères de l’Église entre le
Verbe de Dieu qui se fait «chair» et la Parole qui se fait «Livre».
La Constitution dogmatique
Dei Verbum, recueillant
cette ancienne tradition selon laquelle «son Corps (celui du Fils),
ce sont les enseignements des Écritures» – comme le disait saint
Ambroise, – affirme:
«les paroles de Dieu, exprimées en langues humaines, sont devenues
semblables au langage humain, de même que jadis le Verbe du Père
éternel, ayant assumé la chair humaine avec ses faiblesses, est
devenu semblable aux hommes».
Comprise ainsi, l’Écriture Sainte se présente à nous, bien que dans
la multiplicité de ses formes et de ses contenus, comme une réalité
unifiée. En effet, «à travers toutes les paroles de l’Écriture
Sainte, Dieu ne dit qu’une seule Parole, son Verbe unique en qui il
se dit tout entier (cf. He 1, 1-3)»,
comme l’affirmait saint Augustin avec clarté: «Rappelez-vous que le
discours de Dieu, qui est développé dans toute la Sainte Écriture,
est un seul et qu’un seul est le Verbe qui résonne sur la bouche de
tous les auteurs sacrés».
En fin de compte, à
travers l’action de l’Esprit Saint et sous la conduite du Magistère,
l’Église transmet à toutes les générations tout ce qui a été révélé
dans le Christ. L’Église vit dans la certitude que son Seigneur, qui
a parlé dans le passé, ne cesse de communiquer sa Parole,
aujourd’hui, dans la Tradition vivante de l’Église et dans
l’Écriture Sainte. En effet, la Parole de Dieu se donne à nous dans
l’Écriture Sainte comme témoignage inspiré de la Révélation qui,
avec la Tradition vivante de l’Église, constitue la règle suprême de
la foi.
Écriture Sainte, inspiration et vérité
19. Un concept clé pour
accueillir le texte sacré, en tant que Parole de Dieu faite paroles
humaines, est indubitablement celui de l’inspiration. Ici
aussi, nous pouvons suggérer une analogie: comme le Verbe de Dieu
s’est fait chair par l’action de l’Esprit Saint dans le sein de la
Vierge Marie, de même l’Écriture Sainte naît du sein de l’Église par
l’action du même Esprit. L’Écriture Sainte est «Parole de Dieu en
tant que, sous le souffle de l’Esprit divin, elle est consignée par
écrit».
On reconnaît de cette manière toute l’importance de l’auteur humain
qui a écrit les textes inspirés et, en même temps, de Dieu reconnu
comme son auteur véritable.
Comme les Pères
synodaux l’ont affirmé, il apparaît avec force combien le thème de
l’inspiration est décisif pour s’approcher de façon juste des
Écritures et pour en faire une exégèse correcte,
qui, à son tour, doit s’effectuer dans l’Esprit même dans lequel
elles ont été écrites.
Lorsque s’affaiblit en nous la conscience de son inspiration, on
risque de lire l’Écriture comme un objet de curiosité historique et
non plus comme l’œuvre de l’Esprit Saint, par laquelle nous pouvons
entendre la voix même du Seigneur et connaître sa présence dans
l’histoire.
En outre, les
Pères synodaux ont souligné avec justesse que le thème de
l’inspiration est aussi lié au thème de la
vérité des
Écritures.
C’est pourquoi, un approfondissement de la compréhension de
l’inspiration portera sans aucun doute aussi à une plus grande
intelligence de la vérité contenue dans les Livres Saints. Comme
l’affirmait la doctrine conciliaire sur ce thème, les Livres
inspirés enseignent la vérité: «Dès lors, puisque tout ce que les
auteurs inspirés ou hagiographes affirment doit être tenu pour
affirmé par l’Esprit Saint, il faut par conséquent professer que les
Livres de l’Écriture enseignent fermement, fidèlement et sans erreur
la vérité que Dieu a voulu voir consignée dans les saintes Lettres
en vue de notre salut. C’est pourquoi “toute Écriture inspirée de
Dieu est utile pour enseigner, réfuter, redresser, former à la
justice afin que l’homme de Dieu se trouve accompli, équipé pour
toute œuvre bonne” (2 Tm 3, 16-17, gr.)».
La réflexion
théologique a certainement toujours considéré l’inspiration et la
vérité comme deux concepts clé pour une herméneutique ecclésiale des
Saintes Écritures. Toutefois, nous devons reconnaître la nécessité
actuelle d’approfondir de façon adéquate ces réalités, afin de
pouvoir mieux répondre aux exigences relatives à l’interprétation
des textes sacrés selon leur nature. Dans cette perspective, je
souhaite ardemment que la recherche dans ce domaine puisse
progresser et qu’elle porte du fruit pour la science biblique et
pour la vie spirituelle des fidèles.
Dieu Père, source et origine de la Parole
20. L’économie de la
Révélation a donc son commencement et son origine en Dieu le Père.
Par sa Parole «il a fait les cieux, l’univers par le souffle de sa
bouche» (Ps 33, 6). C’est lui qui fait «resplendir la
connaissance de la gloire de Dieu qui rayonne sur le visage du
Christ» (cf. 2 Co 4, 6; cf. Mt 16, 17; Lc 9,
29).
Dans le Fils, Logos
fait chair (cf. Jn 1, 14), venu accomplir la volonté de
Celui qui l’a envoyé (cf. Jn 4, 34), Dieu, source de la
Révélation, se manifeste en tant que Père et porte à sa pleine
réalisation la divinisation de l’homme, déjà assurée auparavant par
les paroles des prophètes et par les merveilles qu’il a réalisées
dans la création et dans l’histoire de son Peuple et de tous les
hommes. Le sommet de la Révélation de Dieu le Père est offert par le
Fils à travers le don du Paraclet (cf. Jn 14, 16), Esprit du
Père et de son Fils, qui nous «guide vers la vérité tout entière»
(cf. Jn 16, 13).
21. C’est ainsi que
toutes les promesses de Dieu deviennent «oui» en Jésus-Christ (cf.
2 Co 1, 20). S’ouvre ainsi à l’homme la possibilité de
parcourir le chemin qui le conduit au Père (cf. Jn 14, 6),
pour qu’à la fin «Dieu soit tout en tous» (1 Co 15, 28).
Comme le montre la
croix du Christ, Dieu parle aussi à travers son silence. Le silence
de Dieu, l’expérience de l’éloignement du Tout-Puissant et du Père
est une étape décisive du parcours terrestre du Fils de Dieu, Parole
incarnée. Pendu au bois de la croix, il a crié la douleur qu’un tel
silence lui causait: «Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu
abandonné?» (Mc 15, 34; Mt 27, 46). Persévérant dans
l’obéissance jusqu’à son dernier souffle de vie, dans l’obscurité de
la mort, Jésus a invoqué le Père. C’est à lui qu’il s’en remet au
moment du passage, à travers la mort, à la vie éternelle: «Père,
entre tes mains je remets mon esprit» (Lc 23, 46).
Cette expérience de
Jésus est comparable à la situation de l’homme qui, après avoir
écouté et reconnu la Parole de Dieu, doit aussi se mesurer avec son
silence. Bien des saints et des mystiques ont vécu une telle
expérience qui aujourd’hui encore fait partie du cheminement de
nombreux chrétiens. Le silence de Dieu prolonge ses paroles
précédemment énoncées. Dans ces moments obscurs, il parle dans le
mystère de son silence. C’est pourquoi, dans la dynamique de la
Révélation chrétienne, le silence apparaît comme une expression
importante de la Parole de Dieu.
Appelés à entrer dans l’Alliance avec Dieu
22. Soulignant la
multiplicité des formes de la Parole, nous avons pu contempler, à
travers toutes ces modalités, Dieu qui parle et qui vient à la
rencontre de l’homme, en se faisant connaître dans un dialogue. Bien
sûr, comme l’ont affirmé les Pères synodaux, «quand il se réfère à
la Révélation, le dialogue comporte le primat de la Parole de
Dieu adressée à l’homme».
Le Mystère de l’Alliance exprime cette relation entre Dieu qui
appelle par sa Parole et l’homme qui répond, dans la claire
conscience qu’il ne s’agit pas d’une rencontre entre deux parties
contractantes situées sur un pied d’égalité ; ce que nous appelons
l’Ancienne et la Nouvelle Alliance n’est pas un acte d’entente entre
deux parties égales, mais un pur don de Dieu. Par ce don de son
amour, dépassant toute distance, Dieu fait vraiment de nous ses
«partenaires», réalisant ainsi le Mystère nuptial de l’amour entre
le Christ et l’Église. Dans cette perspective, chaque homme apparaît
comme destinataire de la Parole, interpellé et appelé à entrer dans
ce dialogue d’amour par une réponse libre. Chacun de nous est ainsi
rendu par Dieu capable d’écouter et de répondre à la Parole
divine. L’homme est créé dans la Parole et il vit en elle; il ne
peut se comprendre lui-même s’il ne s’ouvre à ce dialogue. La Parole
de Dieu révèle la nature filiale et relationnelle de notre vie. Nous
sommes vraiment appelés par grâce à nous conformer au Christ, le
Fils du Père, et à être transformés en Lui.
Dieu écoute l’homme et répond à ses
demandes
23. Dans ce dialogue
avec Dieu, nous nous comprenons nous-mêmes et nous trouvons la
réponse aux interrogations les plus profondes qui habitent notre
cœur. Car la Parole de Dieu ne s’oppose pas à l’homme, ne mortifie
pas ses désirs authentiques, bien au contraire, elle les illumine,
les purifie et les mène à leur accomplissement. Comme il est
important pour notre temps de découvrir que seul Dieu répond à la
soif qui est dans le cœur de tout homme! À notre époque et
surtout en Occident, s’est malheureusement diffusée l’idée que Dieu
est étranger à la vie et aux problèmes de l’homme et, plus encore,
que sa présence peut être une menace pour son autonomie. En réalité,
toute l’économie du Salut nous montre que Dieu parle et intervient
dans l’histoire en faveur de l’homme et de son salut intégral. Il
est donc important, d’un point de vue pastoral, de présenter la
Parole de Dieu dans sa capacité de répondre aux problèmes que
l’homme doit affronter dans la vie quotidienne. Jésus se présente
justement à nous comme celui qui est venu pour que nous puissions
avoir la vie en abondance (cf. Jn 10, 10). Pour cela, nous
devons déployer tous nos efforts pour que la Parole de Dieu
apparaisse à chacun comme une ouverture à ses problèmes, une réponse
à ses questions, un élargissement des valeurs et en même temps comme
une satisfaction apportée à ses aspirations. La pastorale de
l’Église doit être attentive à illustrer avec soin comment Dieu
écoute les besoins de l’homme et son cri. Saint Bonaventure affirme
dans le Breviloquium: «Le fruit de l’Écriture Sainte n’est
pas quelconque, c’est la plénitude de l’éternelle félicité.
Car elle est l’Écriture Sainte dans laquelle sont les paroles de la
vie éternelle; elle est donc écrite, non seulement pour que nous
croyions, mais aussi pour que nous possédions la vie éternelle dans
laquelle nous verrons, nous aimerons et où nos désirs seront
universellement comblés».
Dialoguer avec Dieu à travers ses paroles
24. La Parole divine
introduit chacun de nous dans un dialogue avec le Seigneur. Le Dieu
qui parle, nous apprend comment nous pouvons parler avec lui.
Spontanément vient à l’esprit le Livre des Psaumes, dans
lequel Dieu nous donne les paroles avec lesquelles nous pouvons nous
adresser à lui, lui présenter notre vie dans un colloque avec lui,
transformant ainsi la vie même en un mouvement vers Dieu.
Dans les Psaumes, en effet, nous trouvons toute la gamme des
sentiments que l’homme peut éprouver dans son existence et qui sont
présentés avec sagesse à Dieu: la joie et la douleur, l’angoisse et
l’espérance, la peur et l’anxiété trouvent ici leur expression. Avec
les Psaumes, nous pensons aussi aux nombreux autres textes de la
Sainte Écriture qui expriment la manière dont l’homme s’adresse à
Dieu sous la forme d’une prière d’intercession (cf. Is 33,
12-16), d’un chant de joie pour la victoire (cf. Is 15), ou
d’une lamentation pour la mission à remplir (cf. Jr 20,
7-18). De cette façon, la parole que l’homme adresse à Dieu devient
à son tour Parole de Dieu, confirmant le caractère de dialogue de
toute la révélation chrétienne.
L’existence tout entière de l’homme devient, dans cette perspective,
un dialogue avec Dieu qui parle et écoute, qui appelle et engage
notre vie. La Parole de Dieu révèle que toute l’existence de l’homme
se situe dans le champ de l’appel divin.
La Parole de Dieu et la foi
25. «À Dieu qui révèle
il faut apporter ‘l’obéissance de la foi’ (Rm 16, 26; cf.
Rm 1, 5; 2 Co 10, 5-6), par laquelle l’homme s’en remet
tout entier librement à Dieu, en présentant ‘à Dieu qui révèle la
pleine soumission de l’intelligence et de la volonté’ et en donnant
de plein gré son assentiment à la Révélation qu’il a faite».
Avec ces paroles, la Constitution dogmatique
Dei Verbum a exprimé, de
manière précise, l’attitude de l’homme devant Dieu. La réponse
propre de l’homme à Dieu qui parle est la foi. En cela il est
évident que «pour accueillir la Révélation, l’homme doit ouvrir sa
conscience et son cœur à l’action de l’Esprit Saint qui lui fait
comprendre la Parole de Dieu présente dans les Écritures Saintes».
En effet, c’est précisément la prédication de la Parole divine qui
fait surgir la foi, par laquelle nous adhérons de tout notre cœur à
la vérité révélée et nous nous confions totalement au Christ: «la
foi naît de ce qu’on entend, et ce qu’on entend, c’est l’annonce de
la parole du Christ» (Rm 10, 17). C’est toute l’histoire du
salut qui, de façon progressive, nous montre ce lien intime entre la
Parole de Dieu et la foi qui s’accomplit dans la rencontre avec le
Christ. Avec lui, la foi prend la forme de la rencontre avec une
personne à laquelle on confie sa propre vie. Le Christ Jésus demeure
aujourd’hui dans l’histoire, dans son Corps qui est l’Église; ainsi,
notre acte de foi est simultanément un acte personnel et ecclésial.
Le péché comme non-écoute de la Parole de
Dieu
26. La Parole de Dieu
révèle inévitablement aussi la possibilité dramatique, de la part de
la liberté de l’homme, de se soustraire à ce dialogue d’alliance
avec Dieu pour lequel nous avons été créés. La Parole divine, en
effet, dévoile aussi le péché qui habite le cœur de l’homme. Nous
trouvons très souvent, aussi bien dans l’Ancien que dans le Nouveau
Testament, la description du péché comme non-écoute de la Parole,
comme rupture de l’Alliance et donc comme fermeture à l’égard
de Dieu qui appelle à la communion avec lui.
En effet, l’Écriture Sainte nous montre comment le péché de l’homme
est essentiellement désobéissance et ‘non-écoute’. C’est vraiment
l’obéissance radicale de Jésus jusqu’à la mort de la croix (cf.
Ph 2, 8) qui démasquera totalement ce péché. Dans son obéissance
s’accomplit la Nouvelle Alliance entre Dieu et l’homme et nous est
donnée la possibilité de la réconciliation. Jésus, en effet, a été
envoyé par le Père comme victime d’expiation pour nos péchés et pour
ceux du monde entier (cf. 1 Jn 2, 2; 4, 10; Hb
7, 27). Ainsi, la possibilité miséricordieuse de la Rédemption nous
est offerte et le début d’une vie nouvelle dans le Christ. C’est
pourquoi, il est important que les fidèles soient formés à
reconnaître la racine du péché dans la non-écoute de la Parole du
Seigneur et à accueillir en Jésus, le Verbe de Dieu, le pardon qui
nous ouvre au salut.
Marie, «Mère du Verbe de Dieu» et «Mère de
la foi»
27. Les Pères synodaux
ont déclaré que le but fondamental de la
XIIe Assemblée
était avant tout de «renouveler la foi de l’Église dans la Parole de
Dieu»; c’est pourquoi, il est nécessaire de regarder là où la
réciprocité entre la Parole de Dieu et la foi s’est accomplie
parfaitement, c’est-à-dire en la Vierge Marie, «qui par son ‘oui’ à
la Parole de l’Alliance et à sa mission, accomplit parfaitement la
vocation divine de l’humanité».
La réalité humaine, créée par le Verbe, trouve vraiment son plein
accomplissement dans la foi obéissante de Marie. De l’Annonciation à
la Pentecôte, elle se présente à nous comme la femme totalement
disponible à la volonté de Dieu. Elle est l’Immaculée Conception,
celle qui est «pleine de la grâce» de Dieu (cf. Lc 1, 28),
docile à la Parole divine de façon inconditionnelle (cf. Lc
1, 38). Sa foi obéissante place son existence à chaque instant face
à l’initiative de Dieu. Vierge à l’écoute, elle vit en pleine
syntonie avec la volonté divine; elle garde dans son cœur les
événements de la vie de son Fils, en les ordonnant en une seule
mosaïque (cf. Lc 2, 19.51).
À notre époque, il est
nécessaire que les fidèles soient initiés à mieux découvrir le lien
entre Marie de Nazareth et l’écoute croyante de la Parole divine.
J’exhorte aussi les chercheurs à approfondir le plus possible le
rapport entre la mariologie et la théologie de la Parole. On
pourra en tirer un grand bénéfice autant pour la vie spirituelle que
pour les études théologiques et bibliques. En effet, ce que
l’intelligence de la foi a saisi concernant Marie se situe au centre
le plus intime de la vérité chrétienne. En réalité, l’Incarnation du
Verbe ne peut être pensée en faisant abstraction de la liberté de
cette jeune fille qui, par son assentiment, coopère de façon
décisive à l’entrée de l’Eternel dans le temps. Elle est la figure
de l’Église à l’écoute de la Parole de Dieu qui, en elle, s’est
faite chair. Marie est aussi le symbole de l’ouverture à Dieu et aux
autres; de l’écoute active qui intériorise, qui assimile et où la
Parole divine devient la matrice de la vie.
28. À ce point, je
désire attirer l’attention sur la familiarité de Marie avec la
Parole de Dieu. C’est ce qui resplendit avec une force particulière
dans le Magnificat. Ici, en un certain sens, on voit comment
elle s’identifie à la Parole, comment elle entre en elle; dans ce
merveilleux cantique de foi, la Vierge exalte le Seigneur avec sa
propre Parole: «Le Magnificat, – portrait, pour ainsi dire,
de son âme – est entièrement tissé de fils de l’Écriture Sainte, de
fils extraits de la Parole de Dieu. On voit ainsi apparaître que,
dans la Parole de Dieu, Marie est vraiment chez elle, elle en sort
et elle y rentre avec un grand naturel. Elle parle et pense au moyen
de la Parole de Dieu; la Parole de Dieu devient sa parole, et sa
parole naît de la Parole de Dieu. De plus, se manifeste ainsi que
ses pensées sont au diapason des pensées de Dieu, que sa volonté
consiste à vouloir avec Dieu. Étant profondément pénétrée par la
Parole de Dieu, elle peut devenir la mère de la Parole incarnée».
En outre, la référence
à la Mère de Dieu nous montre comment l’agir de Dieu dans le monde
implique toujours notre liberté parce que, dans la foi, la Parole
divine nous transforme. De même, notre action apostolique et
pastorale ne pourra jamais être efficace si nous n’apprenons pas de
Marie à nous laisser modeler par l’œuvre de Dieu en nous:
«l’attention pleine d’amour et de dévotion à la figure de Marie
comme modèle et archétype de la foi de l’Église, est d’une
importance capitale pour opérer aujourd’hui aussi un changement
concret de paradigme dans la relation de l’Église avec la Parole,
aussi bien dans l’attitude d’écoute orante qu’à travers la
générosité de l’engagement pour la mission et l’annonce».
Contemplant chez la
Mère de Dieu une existence totalement modelée par la Parole, nous
découvrons que nous sommes, nous aussi, appelés à entrer dans le
Mystère de la foi par laquelle le Christ vient demeurer dans notre
vie. Chaque chrétien qui croit, nous rappelle saint Ambroise,
conçoit et engendre en un certain sens, le Verbe de Dieu en
lui-même: s’il n’y a qu’une seule Mère du Christ selon la chair, en
revanche, selon la foi, le Christ est le fruit de tous.
Donc ce qui est arrivé à Marie peut arriver en chacun de nous,
chaque jour, dans l’écoute de la Parole et dans la célébration des
Sacrements.
L’Église, lieu originaire de
l’herméneutique de la Bible
29. Un autre grand
sujet s’est imposé lors du Synode, sur lequel j’entends maintenant
attirer l’attention, c’est l’interprétation de l’Écriture Sainte
dans l’Église. Le lien intrinsèque entre la Parole et la foi met
bien en évidence que l’authentique herméneutique de la Bible ne peut
se situer que dans la foi ecclésiale qui a, dans le ‘oui’ de Marie,
son paradigme. Saint Bonaventure affirme à ce sujet que, sans la
foi, on n’a pas la clé d’accès au texte sacré: «C’est de cette
connaissance de Jésus-Christ que découle, telle une source, la
certitude et l’intelligence contenue dans toute l’Écriture Sainte.
En conséquence, il est impossible d’entrer dans la connaissance de
l’Écriture Sainte sans cette foi venant du Christ. Cette foi est
lumière, porte et aussi fondement de toute l’Écriture».
Et saint Thomas d’Aquin, en mentionnant saint Augustin, insiste avec
force: «Même la lettre de l’Évangile tue s’il manque, à l’intérieur
de l’homme, la grâce de la foi qui guérit».
Cela nous permet de
rappeler un critère fondamental de l’herméneutique biblique: le
lieu originaire de l’interprétation scripturaire est la vie de
l’Église. Cette affirmation n’indique pas la référence
ecclésiale comme un critère extrinsèque auquel les exégètes doivent
se plier, mais elle est demandée par la réalité même des Écritures
et par la manière dont elles se sont formées dans le temps. En
effet, «les traditions de la foi formaient le milieu vital dans
lequel s’est insérée l’activité littéraire des auteurs de l’Écriture
Sainte. Cette insertion comprenait aussi la participation à la vie
liturgique et à l’activité extérieure des communautés, à leur monde
spirituel, à leur culture et aux péripéties de leur destinée
historique. L’interprétation de l’Écriture Sainte exige donc, de
manière semblable, la participation des exégètes à toute la vie et à
toute la foi de la communauté croyante de leur temps».
Par conséquent, «puisque la Sainte Écriture doit aussi être lue et
interprétée à la lumière du même Esprit que celui qui la fit
rédiger»,
il convient que les exégètes, les théologiens et tout le Peuple de
Dieu la considèrent pour ce qu’elle est réellement, la Parole de
Dieu qui se communique à nous à travers une parole humaine (cf. 1
Th 2, 13). Ceci est une donnée constante contenue implicitement
dans la Bible même: «aucune prophétie de l’Écriture ne vient d’une
intuition personnelle. En effet, ce n’est jamais la volonté d’un
homme qui a porté une prophétie: c’est portés par l’Esprit Saint que
des hommes ont parlé de la part de Dieu» (2 P 1, 20-21). Du
reste, c’est le propre de la foi de l’Église de reconnaître dans la
Bible la Parole de Dieu; comme le dit admirablement saint Augustin,
«je ne croirais pas en l’Évangile si l’autorité de l’Église ne m’y
entraînait pas».
C’est l’Esprit Saint qui anime la vie de l’Église et qui la rend
capable d’interpréter authentiquement les Écritures. La Bible est le
Livre de l’Église et, de son immanence dans la vie ecclésiale,
jaillit aussi sa véritable herméneutique.
30. Saint Jérôme
rappelle que nous ne pouvons jamais lire seuls l’Écriture. Nous
trouvons trop de portes fermées et nous glissons facilement dans
l’erreur. La Bible a été écrite par le Peuple de Dieu et pour le
Peuple de Dieu, sous l’inspiration de l’Esprit Saint. C’est
seulement dans cette communion avec le Peuple de Dieu, dans ce
‘nous’ que nous pouvons réellement entrer dans le cœur de la vérité
que Dieu lui-même veut nous dire.
Le grand savant, pour qui «l’ignorance des Écritures est l’ignorance
du Christ»,
affirme que l’ecclésialité de l’interprétation biblique n’est pas
une exigence imposée de l’extérieur; le Livre est vraiment la voix
du Peuple de Dieu pérégrinant, et c’est seulement dans la foi de ce
Peuple que nous sommes, pour ainsi dire, dans la tonalité juste pour
comprendre la Sainte Écriture. Une authentique interprétation de la
Bible doit toujours être dans une harmonieuse concordance avec la
foi de l’Église catholique. Saint Jérôme s’adressait ainsi à un
prêtre: «Reste fermement attaché à la doctrine traditionnelle qui
t’a été enseignée, afin que tu puisses exhorter selon la saine
doctrine et réfuter ceux qui la contredisent».
Les approches du texte
sacré qui font abstraction de la foi peuvent suggérer des éléments
intéressants, en s’arrêtant sur la structure du texte et sur ses
formes, cependant, une telle tentative ne pourrait être qu’un
préliminaire, structurellement incomplet. En effet, comme l’a
affirmé la
Commission biblique pontificale,
faisant écho à un principe partagé par l’herméneutique moderne, «le
juste sens d’un texte ne peut être donné pleinement que s’il est
actualisé dans le vécu de lecteurs qui se l’approprient».
Tout cela met en relief la relation entre la vie spirituelle et
l’herméneutique de l’Écriture. En effet, «avec la croissance de la
vie dans l’Esprit grandit, chez le lecteur, la compréhension des
réalités dont parle le texte biblique».
L’intensité d’une authentique expérience ecclésiale ne peut que
développer une intelligence de la foi authentique à l’égard de la
Parole de Dieu; réciproquement, on doit dire que lire dans la foi
les Écritures fait grandir la vie ecclésiale même. De là, nous
pouvons comprendre d’une façon nouvelle l’affirmation bien connue de
saint Grégoire le Grand: «les paroles divines grandissent avec celui
qui les lit».
De cette façon, l’écoute de la Parole de Dieu introduit et accroît
la communion ecclésiale entre ceux qui cheminent dans la foi.
«L’âme de la théologie sacrée»
31. «Que l’étude de la
Sainte Écriture soit comme l’âme de la théologie sacrée»:
cette expression de la Constitution dogmatique
Dei Verbum nous est
devenue au cours des ans toujours plus familière. On peut dire que
l’époque qui a suivi le
Concile Vatican II, en ce qui
concerne les études théologiques et exégétiques, a fréquemment fait
référence à cette expression comme signe de l’intérêt renouvelé pour
la Sainte Écriture. La
XIIe Assemblée du Synode des
Évêques s’est souvent référée à cette affirmation pour
indiquer la relation entre la recherche historique et
l’herméneutique de la foi en référence au texte sacré. Dans cette
perspective, les Pères ont constaté avec joie la réalité de l’étude
accrue de la Parole de Dieu dans l’Église au long des dernières
décennies et ont exprimé avec conviction une vive reconnaissance
aux nombreux exégètes et théologiens qui, avec dévouement,
engagement et compétence ont donné et donnent une contribution
essentielle à l’approfondissement du sens de l’Écriture, en
affrontant les problèmes complexes que notre temps pose à la
recherche biblique.
Ils ont également manifesté des sentiments de sincère gratitude à
l’égard des membres de la
Commission biblique pontificale
qui se sont succédé au cours de ces années et qui, en lien
étroit avec la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, continuent à
offrir leur apport qualifié pour aborder les questions particulières
inhérentes à l’étude de la Sainte Écriture. Le Synode a voulu, en
outre, s’interroger sur le statut actuel des études bibliques et sur
leur importance dans le domaine théologique. En effet, du rapport
fécond entre exégèse et théologie dépend pour une large part
l’efficacité pastorale de l’action de l’Église et la vie spirituelle
des fidèles. C’est pourquoi, je crois important de reprendre
certaines réflexions apparues dans les échanges sur ce thème au
cours des travaux du Synode.
Développement de
la recherche biblique et Magistère ecclésial
32. Avant tout, il est
nécessaire de reconnaître dans la vie de l’Église le bénéfice
provenant de l’exégèse historico-critique et des autres méthodes
d’analyse du texte développées récemment.
Dans l’approche catholique de la Sainte Écriture, l’attention à ces
méthodes est indispensable et elle est liée au réalisme de
l’Incarnation: «Cette nécessité est la conséquence du principe
chrétien formulé dans l’Évangile selon saint Jean 1,14: le Verbe
s’est fait chair. Le fait historique est une dimension
constitutive de la foi chrétienne. L’histoire du salut n’est pas une
mythologie, mais une véritable histoire et pour cela elle est à
étudier avec les méthodes de la recherche historique sérieuse».
Cependant, l’étude de la Bible exige la connaissance et
l’utilisation appropriée de ces méthodes de recherche. S’il est vrai
que cette sensibilité dans les études s’est développée plus
intensément à l’époque moderne, bien que de façon inégale suivant
les lieux, il y a toujours eu cependant dans la saine tradition
ecclésiale un amour pour l’étude de «la lettre». Il suffit ici de
rappeler la culture monastique, à laquelle nous devons en dernière
instance le fondement de la culture européenne à la racine de
laquelle se trouve l’intérêt pour la parole. Le désir de Dieu
comprend l’amour pour la parole dans toutes ses dimensions:
«puisque dans la parole biblique, Dieu est en chemin vers nous et
nous vers Lui, il faut apprendre à pénétrer le secret de la langue,
à la comprendre dans sa structure et dans ses usages. Ainsi, en
raison même de la recherche de Dieu, les sciences profanes, qui nous
indiquent les chemins vers la langue, deviennent importantes».
33. Le Magistère vivant
de l’Église, auquel il appartient «d’interpréter de façon
authentique la Parole de Dieu, écrite ou transmise»,
est intervenu avec un sage équilibre par rapport à la juste position
à avoir face à l’introduction des nouvelles méthodes d’analyse
historique. Je me réfère particulièrement aux encycliques
Providentissimus Deus du
Pape
Léon XIII et
Divino afflante Spiritu
du Pape
Pie XII. Ce fut mon vénérable
prédécesseur
Jean-Paul II qui rappela
l’importance de ces documents pour l’exégèse et la théologie à
l’occasion des célébrations respectivement du centenaire et du
cinquantenaire de leur promulgation.
L’intervention du Pape
Léon XIII eut le mérite de
protéger l’interprétation catholique de la Bible des attaques du
rationalisme, mais sans se réfugier dans un sens spirituel détaché
de l’histoire. Ne reculant pas devant la critique scientifique, il
se méfiait seulement «des idées préconçues qui prétendent se fonder
sur la science mais qui, en réalité, font subrepticement sortir la
science de son domaine».
Le Pape
Pie XII, à l’inverse, se
trouvait face aux attaques des partisans d’une exégèse soi-disant
mystique qui refusait toute approche scientifique. L’encyclique
Divino afflante Spiritu,
avec une grande finesse, a évité d’engendrer l’idée d’une dichotomie
entre l’«exégèse scientifique» pour l’usage apologétique et
l’«interprétation spirituelle réservée à l’usage interne», affirmant
au contraire aussi bien la «portée théologique du sens littéral
méthodiquement défini», que l’appartenance de la «détermination du
sens spirituel… au domaine de la science exégétique».
De cette façon, les deux documents refusaient «la rupture entre
l’humain et le divin, entre la recherche scientifique et le regard
de la foi, entre le sens littéral et le sens spirituel».
Cet équilibre a ensuite été repris dans le document de la Commission
biblique pontificale de 1993: «Dans leur travail d’interprétation,
les exégètes catholiques ne doivent jamais oublier que ce qu’ils
interprètent est la Parole de Dieu. Leur tâche commune n’est pas
terminée lorsqu’ils ont distingué les sources, défini les formes ou
expliqué les procédés littéraires. Le but de leur travail n’est
atteint que lorsqu’ils ont éclairé le sens du texte biblique comme
parole actuelle de Dieu».
L’herméneutique biblique conciliaire: une
indication à recevoir
34. Sur cet horizon, il
est possible de mieux apprécier les grands principes
d’interprétation propre à l’exégèse catholique exprimés au
Concile Vatican II,
particulièrement dans la Constitution dogmatique
Dei Verbum: «Puisque
Dieu, dans la Sainte Écriture, a parlé par des hommes à la manière
des hommes, l’interprète de la Sainte Écriture, pour percevoir ce
que Dieu Lui-même a voulu nous communiquer, doit chercher
attentivement ce que les hagiographes ont réellement eu l’intention
de dire et ce qu’il a plu à Dieu de faire savoir par leurs paroles».
D’une part, le Concile indique l’étude des genres littéraires et du
contexte, comme éléments fondamentaux pour saisir la signification
de l’hagiographe. D’autre part, la Sainte Écriture devant être
interprétée dans le même Esprit que celui dans lequel elle a été
écrite, la Constitution dogmatique indique trois critères de base
pour tenir compte de la dimension divine de la Bible: 1) interpréter
le texte en tenant compte de l’unité de l’ensemble de l’Écriture
– on parle aujourd’hui d’exégèse canonique; 2) tenir compte
ensuite de la Tradition vivante de toute l’Église, et 3)
respecter enfin l’analogie de la foi. «Seulement dans le cas
où les deux niveaux méthodologiques, celui de nature historique et
critique et celui de nature théologique, sont observés, on peut
alors parler d’une exégèse théologique, d’une exégèse adaptée à ce
Livre».
Les Père synodaux
ont affirmé avec raison que le fruit positif apporté par l’usage de
la recherche historico-critique moderne est incontestable.
Toutefois, alors que l’exégèse académique actuelle, y compris
catholique, travaille à un haut niveau sur le plan de la
méthodologie historico-critique en intégrant les apports les plus
récents, il convient d’exiger une étude similaire de la dimension
théologique des textes bibliques afin que progresse
l’approfondissement selon les trois éléments indiqués par la
Constitution dogmatique
Dei Verbum.
Le péril du dualisme et l’herméneutique
sécularisée
35. Il convient de
signaler à ce sujet le risque grave d’un dualisme qui apparaît
aujourd’hui dans l’approche des Saintes Écritures. En effet, en
distinguant les deux niveaux d’approche, il ne s’agit pas de les
séparer, ni de les opposer, ni simplement de les juxtaposer. Ils
sont liés l’un à l’autre. Malheureusement, il n’est pas rare qu’une
séparation infructueuse des deux engendre une hétérogénéité entre
exégèse et théologie, qui «touche aussi les niveaux académiques les
plus élevés».
Je voudrais ici rappeler les conséquences les plus préoccupantes
qu’il convient d’éviter.
a) Avant tout,
si l’activité exégétique se réduit seulement au premier niveau, cela
a pour conséquence de faire de l’Écriture même un texte du passé:
«On peut en tirer des conséquences morales, on peut en apprendre
l’histoire, mais le livre en tant que tel, parle seulement du passé
et l’exégèse n’est plus véritablement théologique, mais devient une
pure historiographie, une histoire de la littérature».
Il est clair qu’avec une telle réduction, on ne peut en aucune façon
comprendre l’événement de la Révélation de Dieu par sa Parole qui se
transmet à nous dans la Tradition vivante et dans l’Écriture.
b)Le
déficit d’une herméneutique de la foi à l’égard de l’Écriture
ne se résume pas seulement en termes d’absence; à sa place s’inscrit
inévitablement une autre herméneutique, une herméneutique
sécularisée, positiviste, dont la clé fondamentale est la
conviction que le divin n’apparaît pas dans l’histoire humaine.
Selon cette herméneutique, lorsqu’il semble qu’existe un élément
divin, on doit l’expliquer d’une autre façon et tout ramener à la
dimension humaine. En conséquence, on propose des interprétations
qui nient l’historicité des éléments divins.
c)Une
telle position ne peut que produire des dégâts dans la vie de
l’Église, répandant un doute sur les Mystères fondamentaux du
Christianisme et sur leur valeur historique, comme par exemple
l’institution de l’Eucharistie et la Résurrection du Christ. On
impose alors une herméneutique philosophique, qui nie la possibilité
de l’entrée et de la présence du divin dans l’histoire.
L’acceptation d’une telle herméneutique dans les études théologiques
introduit inévitablement un dualisme pesant entre l’exégèse, qui
s’établit uniquement sur le premier niveau et la théologie qui
s’ouvre à la dérive d’une spiritualisation du sens des Écritures qui
ne respecte pas le caractère historique de la Révélation.
Cette position ne peut
qu’avoir un résultat négatif tant sur la vie spirituelle que sur
l’activité pastorale; «la conséquence de l’absence du second niveau
méthodologique est qu’il s’est créé un profond fossé entre exégèse
scientifique et Lectio divina; il en ressort parfois une
forme de perplexité également dans la préparation des homélies».
On doit aussi signaler qu’un tel dualisme produit parfois
incertitude et manque de solidité dans le chemin de formation
intellectuelle de certains candidats aux ministères ordonnés.
En définitive, «là où l’exégèse n’est pas théologie, l’Écriture ne
peut être l’âme de la théologie, et vice versa, là où la théologie
n’est pas essentiellement interprétation de l’Écriture dans
l’Église, cette théologie n’a plus de fondement».
Il est donc nécessaire de se décider fermement à considérer avec
davantage d’attention les indications données par la Constitution
dogmatique
Dei Verbum sur ce point.
Foi et raison dans l’approche de l’Écriture
36. Je crois que ce
qu’a écrit le Pape
Jean-Paul II à ce sujet dans
l’encyclique
Fides et ratio peut
contribuer à une compréhension plus complète de l’exégèse et, donc,
de son rapport avec toute la théologie. Il affirmait qu’il ne faut
pas sous-estimer «le danger inhérent à la volonté de faire découler
la vérité de l’Écriture Sainte de l’application d’une méthodologie
unique, oubliant la nécessité d’une exégèse plus large qui permet
d’accéder, avec toute l’Église, au sens plénier des textes. Ceux qui
se consacrent à l’étude des Saintes Écritures doivent toujours avoir
présent à l’esprit que les diverses méthodologies herméneutiques
ont, elles aussi, à leur base une conception philosophique: il
convient de l’examiner avec discernement avant de l’appliquer aux
textes sacrés».
Cette réflexion
clairvoyante nous permet d’observer comment, dans l’approche
herméneutique de la Sainte Écriture, se joue inévitablement le
rapport correct entre foi et raison. En effet, l’herméneutique
sécularisée de la Sainte Écriture se place comme l’acte d’une raison
qui veut structuralement exclure la possibilité que Dieu entre dans
la vie des hommes et qu’il parle aux hommes en une parole humaine.
Dans ce cas, il est donc nécessaire d’inviter à
élargir les
espaces de la rationalité elle-même.
C’est pourquoi dans l’utilisation des méthodes d’analyse historique,
on devra éviter de prendre à son compte, là où ils se présentent,
des critères qui, au préalable, se ferment à la Révélation de Dieu
dans la vie des hommes. L’unité des deux niveaux du travail
d’interprétation de la Sainte Écriture présuppose, en définitive,
une harmonie entre la foi et la raison. D’une part, il faut
une foi qui, maintenant un rapport adéquat avec la droite raison, ne
dégénère jamais en fidéisme, fauteur d’une lecture fondamentaliste
de l’Écriture. D’autre part, il faut une raison qui, en recherchant
les éléments historiques présents dans la Bible, se montre ouverte
et ne refuse pas a priori tout ce qui excède sa propre mesure. Du
reste, la religion du Verbe incarné ne pourra que se montrer
profondément raisonnable à l’homme qui cherche sincèrement la vérité
et le sens ultime de sa vie et de l’histoire.
Sens littéral et
sens spirituel
37. Une écoute
renouvelée des Pères de l’Église et de leur approche exégétique
contribuera de façon significative à revaloriser une herméneutique
adéquate de l’Écriture, comme l’Assemblée synodale l’a affirmé.
En effet, les Pères de l’Église nous offrent encore aujourd’hui une
théologie de grande valeur parce que centrée sur l’étude de
l’Écriture Sainte dans son intégralité; ils sont d’abord et avant
tout des «commentateurs de la Sainte Écriture».
Leur exemple peut «enseigner aux exégètes modernes une approche
vraiment religieuse de la Sainte Écriture, ainsi qu’une
interprétation qui s’en tienne constamment au critère de communion
avec l’expérience de l’Église, qui chemine dans l’histoire sous la
conduite de l’Esprit Saint».
Ignorant, bien sûr, les
ressources d’ordre philologique et historique qui sont à la
disposition de l’exégèse moderne, la Tradition patristique et
médiévale savait reconnaître les divers sens de l’Écriture en
commençant par le sens littéral, celui qui est «signifié par les
paroles de l’Écriture et découvert par l’exégèse qui suit les règles
de la juste interprétation».
Par exemple, saint Thomas d’Aquin affirme: «tous les sens de la
Sainte Écriture se basent sur le sens littéral».
Il est nécessaire, cependant, de rappeler qu’au temps patristique et
médiéval, toute forme d’exégèse, y compris littérale, était conduite
sur la base de la foi et ne faisait pas nécessairement la
distinction entre sens littéral et sens spirituel. Rappelons
ici la distinction classique qui établit la relation entre les
divers sens de l’Écriture:
«Littera gesta
docet, quid credas allegoria,
Moralis quid agas, quo tendas anagogia.
Le sens littéral
enseigne les événements, l’allégorie ce qu’il faut croire, le sens
moral ce qu’il faut faire, l’anagogie vers quoi il faut tendre».
Notons ici l’unité et
l’articulation entre sens littéral et sens spirituel, lequel
se subdivise en trois sens, avec lesquels sont décrits les contenus
de la foi, de la morale et de la tension eschatologique.
En définitive, en
reconnaissant la valeur et la nécessité, même avec ses limites, de
la méthode historico-critique, nous apprenons de l’exégèse
patristique que «on n’est fidèle à l’intentionnalité des textes
bibliques que dans la mesure où l’on essaie de retrouver, au cœur de
leur formulation, la réalité de foi qu’ils expriment et où l’on
relie cette réalité à l’expérience croyante de notre monde».
C’est seulement dans cette perspective que l’on peut reconnaître que
la Parole de Dieu est vivante et s’adresse à chacun dans l’actualité
de sa vie. En ce sens, l’affirmation de la
Commission biblique pontificale
demeure pleinement valable, qui définit le sens spirituel selon la
foi chrétienne comme «le sens exprimé par les textes bibliques
lorsqu’on les lit sous l’influence de l’Esprit Saint dans le
contexte du Mystère pascal du Christ et de la vie nouvelle qui en
résulte. Ce contexte existe effectivement. Le Nouveau Testament y
reconnaît l’accomplissement des Écritures. Il est donc normal de
relire les Écritures à la lumière de ce nouveau contexte, qui est
celui de la vie dans l’Esprit».
Le nécessaire dépassement de la lettre
38. Dans la saisie de
l’articulation entre les différents sens de l’Écriture, il devient
alors décisif de comprendre le passage de la lettre à l’esprit.
Il ne s’agit pas d’un passage automatique et spontané; il faut
plutôt un dépassement de la lettre: «la Parole de Dieu, en effet,
n’est jamais simplement présente dans la seule littéralité du texte.
Pour l’atteindre, il faut un dépassement et un processus de
compréhension qui se laisse guider par le mouvement intérieur de
l’ensemble des textes et, à partir de là, doit également devenir un
processus vital».
Nous découvrons ainsi pourquoi le processus d’interprétation
authentique n’est jamais purement intellectuel mais aussi vital,
pour lequel est requis une pleine implication dans la vie
ecclésiale, en tant que vie «sous la conduite de l’Esprit de Dieu» (Ga
5, 16). De cette façon, les critères mis en évidence par le
numéro 12 de la Constitution dogmatique
Dei Verbum deviennent plus clairs: un tel
dépassement ne peut être réalisé à partir d’un seul fragment
littéraire mais en lien avec la totalité de l’Écriture. C’est en
effet en direction d’une Parole unique que nous sommes appelés à
opérer ce dépassement. Un tel processus comporte un caractère
dramatique profond puisque, dans le processus de dépassement, le
passage qui s’accomplit dans l’Esprit rencontre inévitablement la
liberté de chacun. Saint Paul a pleinement vécu ce passage dans sa
propre existence. Ce que signifie le dépassement de la lettre et sa
compréhension uniquement à partir du tout, il l’a exprimé de façon
radicale dans la phrase: «la lettre tue, mais l’Esprit donne la
vie» (2 Co 3, 6). Saint Paul découvre que «l’Esprit qui
rend libre possède un nom et donc que la liberté a une mesure
intérieure: “Le Seigneur, c’est l’Esprit, et là où l’Esprit du
Seigneur est présent, là est la liberté” (2 Co 3, 6).
L’Esprit qui rend libre ne se réduit pas à l’idée ou à la vision
personnelle de celui qui interprète. L’Esprit, c’est le Christ et le
Christ est le Seigneur qui nous indique le chemin».
Nous savons aussi combien, pour saint Augustin, ce passage fut à la
fois dramatique et libérateur; il crut aux Écritures, qui lui
apparurent dans un premier temps si particulières et en même temps
grossières, uniquement grâce à ce dépassement qu’il apprit de saint
Ambroise à travers l’interprétation typologique, selon laquelle tout
l’Ancien Testament est un chemin vers Jésus-Christ. Pour saint
Augustin, le dépassement de la lettre a rendu crédible la lettre
elle-même et lui a permis de trouver enfin la réponse aux profondes
inquiétudes de son âme, assoiffée de la vérité.
L’unité intrinsèque de la Bible
39. À l’école de la
grande Tradition de l’Église, nous apprenons à saisir également dans
le passage de la lettre à l’esprit l’unité de toute l’Écriture,
puisque unique est la Parole de Dieu qui interpelle notre vie en
l’appelant constamment à la conversion.
Les expressions d’Hugues de Saint-Victor demeurent un guide sûr pour
nous: «Toute l’Écriture divine constitue un Livre unique et ce Livre
unique, c’est le Christ, il parle du Christ et trouve dans le Christ
son accomplissement».
Envisagé sous l’aspect purement historique ou littéraire, la Bible
n’est certainement pas simplement un livre, mais un recueil de
textes littéraires, dont la composition s’étend sur plus d’un
millénaire et dont chaque livre n’est pas aisément reconnaissable
comme faisant partie d’un tout; il existe au contraire entre ces
textes des tensions visibles. Ceci vaut déjà dans la Bible d’Israël
que nous, Chrétiens, appelons l’Ancien Testament. Et cela vaut plus
encore quand nous, en tant que Chrétiens, relions le Nouveau
Testament et ses écrits, presque comme clé herméneutique, avec la
Bible d’Israël, l’interprétant comme un chemin vers le Christ. Dans
le Nouveau Testament, en général, le terme «l’Écriture» (cf.
Rm 4, 3; 1 P 2, 6) n’est pas utilisé, mais plutôt «les
Écritures» (cf. Mt 21, 43; Jn 5, 39; Rm 1,
2; 2 P 3, 16), qui, néanmoins, sont ensuite considérées dans
leur ensemble comme l’unique Parole de Dieu qui nous est adressée.
Il apparaît ainsi clairement comment la personne du Christ donne son
unité aux «Écritures» en référence à l’unique «Parole». Ainsi, on
comprend ce qu’affirme le
numéro 12 de la Constitution dogmatique
Dei Verbum, en indiquant l’unité interne de la
Bible comme le critère décisif pour une herméneutique correcte de la
foi.
Le rapport entre
l’Ancien et le Nouveau Testament
40. Dans la perspective
de l’unité des Écritures dans le Christ, il est nécessaire pour les
théologiens comme pour les Pasteurs d’être conscients des relations
qui existent entre l’Ancien et le Nouveau Testament. Avant tout, il
est évident que le Nouveau Testament lui-même reconnaît l’Ancien
Testament comme Parole de Dieu et c’est pourquoi il accueille
l’autorité des Saintes Écritures du peuple juif.
Il le reconnaît implicitement en recourant au même langage et en
faisant fréquemment allusion à des passages de ces Écritures. Il le
reconnaît explicitement parce qu’il en cite de nombreux extraits et
qu’il s’en sert pour argumenter. Une argumentation fondée sur des
textes de l’Ancien Testament possède ainsi dans le Nouveau Testament
une valeur décisive, supérieure à celle des raisonnements purement
humains. Dans le quatrième Évangile, Jésus déclare à ce propos que «l’Écriture
ne peut être abolie» (Jn 10, 35) et saint Paul précise en
particulier que la Révélation de l’Ancien Testament continue à
valoir pour nous Chrétiens (cf. Rm 15, 4; 1 Co 10, 11).
En outre, nous affirmons que «Jésus de Nazareth était un Juif et que
la Terre Sainte est la terre-mère de l’Église».
La racine du Christianisme se trouve dans l’Ancien Testament et le
Christianisme se nourrit toujours de cette racine. Aussi, la saine
doctrine chrétienne a-t-elle toujours refusé toute forme récurrente
de marcionisme qui tend, de diverses manières, à opposer l’Ancien et
le Nouveau Testament.
Par ailleurs, le
Nouveau Testament lui-même s’affirme conforme à l’Ancien et proclame
que dans le Mystère de la vie, de la mort et de la Résurrection du
Christ, les Saintes Écritures du Peuple juif ont trouvé leur parfait
accomplissement. Il faut observer cependant que le concept
d’accomplissement des Écritures est complexe, parce qu’il possède
une triple dimension: un aspect fondamental de continuité
avec la Révélation de l’Ancien Testament, un aspect de rupture
et un aspect d’accomplissement et de dépassement. Le Mystère
du Christ est en continuité d’intention avec le culte sacrificiel de
l’Ancien Testament; il s’est cependant réalisé d’une manière très
différente, qui correspond à plusieurs oracles des prophètes, et il
a atteint ainsi une perfection jamais obtenue auparavant. L’Ancien
Testament, en effet, est plein de tensions entre ses aspects
institutionnels et ses aspects prophétiques. Le Mystère pascal du
Christ est pleinement conforme – d’une façon qui toutefois était
imprévisible – aux prophéties et à l’aspect préfiguratif des
Écritures; néanmoins, il présente des aspects évidents de
discontinuité par rapport aux institutions de l’Ancien Testament.
41. Ces considérations
manifestent ainsi l’importance incontournable de l’Ancien Testament
pour les Chrétiens, mais en même temps, mettent en évidence
l’originalité de la lecture christologique. Depuis les temps
apostoliques et ensuite dans la Tradition vivante, l’Église a mis en
lumière l’unité du plan divin dans les deux Testaments grâce à la
typologie, laquelle n’a pas un caractère arbitraire mais est
intrinsèque aux événements racontés par le texte sacré et concerne
par voie de conséquence toute l’Écriture. La typologie «discerne
dans les œuvres de Dieu sous l’Ancienne Alliance des préfigurations
de ce que Dieu a accompli dans la plénitude des temps, en la
personne de son Fils incarné».
Les Chrétiens lisent donc l’Ancien Testament à la lumière du Christ
mort et ressuscité. Si la lecture typologique révèle l’inépuisable
contenu de l’Ancien Testament en relation avec le Nouveau, cela ne
doit toutefois pas conduire à oublier qu’il conserve sa valeur
propre de Révélation que Notre Seigneur lui-même a réaffirmée (cf.
Mc 12, 29-31). En conséquence, «le Nouveau Testament demande
aussi d’être lu à la lumière de l’Ancien. La catéchèse chrétienne
primitive y aura constamment recours (1 Co 5, 6-8; 1 Co
10, 1-11)».
Les Pères synodaux ont pour cette raison affirmé que «la
compréhension juive de la Bible peut aider les Chrétiens dans
l’intelligence et l’étude des Écritures».
«Le Nouveau Testament
est caché dans l’Ancien et l’Ancien est révélé dans le Nouveau»,
c’est ainsi qu’avec une profonde sagesse, saint Augustin s’exprimait
sur ce thème. Il est donc important qu’aussi bien dans la pastorale
que dans le milieu académique, soit bien mise en évidence la
relation intime entre les deux Testaments, en rappelant avec saint
Grégoire-le-Grand que ce que «l’Ancien Testament a promis, le
Nouveau Testament l’a fait voir; ce que celui-là annonçait de façon
cachée, celui-ci le proclame ouvertement comme présent. C’est
pourquoi l’Ancien Testament est prophétie du Nouveau Testament; et
le meilleur commentaire de l’Ancien Testament est le Nouveau
Testament».
Les pages «obscures» de la Bible
42. Dans le contexte de
la relation entre l’Ancien et le Nouveau Testament, le Synode a
aussi abordé le thème des pages de la Bible qui se révèlent obscures
et difficiles en raison de la violence et de l’immoralité qu’elles
contiennent parfois. À ce sujet, il faut avant tout tenir compte du
fait que la Révélation biblique est profondément enracinée dans
l’histoire. Le dessein de Dieu s’y manifeste progressivement
et se réalise lentement à travers des étapes successives,
malgré la résistance des hommes. Dieu choisit un peuple et l’éduque
avec patience. La Révélation s’adapte au niveau culturel et moral
d’époques lointaines et rapporte par conséquent des faits et des
usages, par exemple des manœuvres frauduleuses, des interventions
violentes, l’extermination de populations, sans en dénoncer
explicitement l’immoralité. Cela s’explique par le contexte
historique, mais peut surprendre le lecteur moderne, surtout
lorsqu’on oublie les nombreux comportements «obscurs» que les hommes
ont toujours eus au long des siècles, et cela jusqu’à nos jours.
Dans l’Ancien Testament, la prédication des prophètes s’élève
vigoureusement contre tout type d’injustice et de violence,
collective ou individuelle, et elle est de cette façon l’instrument
d’éducation donné par Dieu à son Peuple pour le préparer à
l’Évangile. Il serait donc erroné de ne pas considérer ces passages
de l’Écriture qui nous apparaissent problématiques. Il faut plutôt
être conscient que la lecture de ces pages requiert l’acquisition
d’une compétence spécifique, à travers une formation qui lit les
textes dans leur contexte historico-littéraire et dans la
perspective chrétienne qui a pour ultime clé herméneutique
«l’Évangile et le Commandement nouveau de Jésus-Christ accompli dans
le Mystère pascal».
J’exhorte donc les chercheurs et les Pasteurs à aider tous les
fidèles à s’approcher aussi de ces pages à travers une lecture qui
fasse découvrir leur signification à la lumière du Mystère du
Christ.
Chrétiens et Juifs face aux Écritures
43. En considérant les
étroites relations qui lient le Nouveau Testament à l’Ancien, notre
attention se porte spontanément sur le lien particulier qui en
résulte entre Chrétiens et Juifs, un lien qui ne devrait jamais être
oublié. Aux Juifs, le Pape
Jean-Paul II a déclaré: vous
êtes «‘nos frères préférés’ dans la foi d’Abraham, notre patriarche».
Certes, cette déclaration ne signifie pas une méconnaissance des
ruptures affirmées dans le Nouveau Testament à l’égard des
institutions de l’Ancien Testament et encore moins, de
l’accomplissement des Écritures dans le Mystère de Jésus-Christ,
reconnu Messie et Fils de Dieu. Cependant, cette différence profonde
et radicale n’implique aucunement une hostilité réciproque.
L’exemple de saint Paul (cf. Rm 9-11) démontre, au contraire,
qu’«une attitude de respect, d’estime et d’amour pour le Peuple juif
est la seule attitude véritablement chrétienne dans cette situation
qui fait mystérieusement partie du dessein, totalement positif, de
Dieu».
Saint Paul, en effet, affirme à propos des Juifs que «le choix de
Dieu en a fait des bien-aimés, et c’est à cause de leurs pères. Les
dons de Dieu et son appel sont irrévocables» (Rm 11, 28-29).
En outre, saint Paul
utilise la belle image de l’olivier pour décrire les relations très
étroites entre Chrétiens et Juifs: l’Église des Gentils est comme un
rameau d’olivier sauvage, greffé sur l’olivier franc qui est le
Peuple de l’Alliance (cf. Rm 11, 17-24). Nous tirons donc
notre nourriture des mêmes racines spirituelles. Nous nous
rencontrons comme des frères, des frères qui à certains moments de
leur histoire ont eu une relation tendue, mais qui sont maintenant
fermement engagés dans la construction de ponts sur la base d’une
amitié durable.
C’est encore le Pape
Jean-Paul II qui disait:
«Nous avons beaucoup en commun. Ensemble, nous pouvons faire
beaucoup pour la paix, pour la justice et pour un monde plus
fraternel et plus humain».
Je désire réaffirmer
encore une fois combien le dialogue avec les Juifs est
précieux pour l’Église. Il est bon que, là où on en voit
l’opportunité, se créent des occasions de rencontre et d’échange, y
compris publiques, qui favorisent l’approfondissement de la
connaissance mutuelle, de l’estime réciproque et de la
collaboration, également dans l’étude des Saintes Écritures.
L’interprétation
fondamentaliste de la Sainte Écriture
44. L’attention que
nous avons voulu donner jusqu’à présent au thème de l’herméneutique
biblique sous ses différents aspects nous permet d’aborder celui,
apparu plusieurs fois au cours du débat synodal, de l’interprétation
fondamentaliste de la Sainte Écriture.
Sur ce thème, la
Commission biblique pontificale,
dans le document sur L’interprétation de la Bible dans l’Église,
a formulé des indications importantes. Dans ce contexte, je voudrais
attirer l’attention surtout sur ces lectures qui ne respectent pas
la nature authentique du texte sacré, favorisant des interprétations
subjectives et arbitraires. En effet, le «littéralisme» mis en avant
par la lecture fondamentaliste représente en réalité une trahison
aussi bien du sens littéral que du sens spirituel, ouvrant la voie à
des instrumentalisations de diverses natures, répandant par exemple
des interprétations anti-ecclésiales des Écritures elles-mêmes.
L’aspect problématique de la «lecture fondamentaliste est que, en
refusant de tenir compte du caractère historique de la Révélation
biblique, on se rend incapable d’accepter pleinement la vérité de
l’Incarnation elle-même. Le fondamentalisme fuit l’étroite relation
du divin et de l’humain dans les rapports avec Dieu (…) Pour cette
raison, il tend à traiter le texte biblique comme s’il avait été
dicté mot à mot par l’Esprit et n’arrive pas à reconnaître que la
Parole de Dieu a été formulée dans un langage et une phraséologie
conditionnés par telle ou telle époque».
Au contraire, le Christianisme perçoit dans les paroles la
Parole, le Logos lui-même, qui fait rayonner son Mystère à
travers cette multiplicité et la réalité d’une histoire humaine.
La véritable réponse à une lecture fondamentaliste est «la lecture
croyante de l’Écriture Sainte, pratiquée depuis l’Antiquité dans la
Tradition de l’Église, [Celle-ci] cherche la vérité qui sauve pour
la vie de chaque fidèle et pour l’Église. Cette lecture reconnaît la
valeur historique de la Tradition biblique. C’est précisément à
cause de cette valeur de témoignage historique que celle-ci veut
redécouvrir la signification vivante des Écritures Saintes destinées
aussi à la vie du croyant d’aujourd’hui»,
sans ignorer, donc, la médiation humaine du texte inspiré et ses
genres littéraires.
Le dialogue entre Pasteurs, théologiens et
exégètes
45. L’herméneutique
authentique de la foi entraîne avec elle certaines conséquences
importantes dans le domaine de l’activité pastorale de l’Église.
Précisément à ce propos, les Pères synodaux ont recommandé, par
exemple, un lien plus étroit entre Pasteurs, exégètes et
théologiens. Il est bon que les Conférences épiscopales favorisent
ce type de rencontre «en vue de promouvoir une plus grande communion
au service de la Parole de Dieu».
Une telle coopération aidera chacun à mieux remplir sa tâche propre
au bénéfice de toute l’Église. En effet, s’inscrire sur l’horizon du
travail pastoral signifie, également pour les chercheurs, se trouver
face au texte sacré en tant que communication que le Seigneur fait
aux hommes pour leur salut. C’est pourquoi, comme l’a déclaré la
Constitution dogmatique
Dei Verbum, il est
recommandé que «les exégètes catholiques et ceux qui s’adonnent à la
théologie sacrée, unissant avec zèle leurs forces, s’appliquent,
sous la vigilance du Magistère sacré, et par le recours aux moyens
appropriés, à scruter les divines lettres et à les présenter si bien
que le plus grand nombre possible des serviteurs de la Parole divine
puissent fournir au Peuple de Dieu, de façon fructueuse, l’aliment
des Écritures, qui éclaire les esprits, affermit les volontés,
enflamme le cœur des hommes pour l’amour de Dieu».
Bible et œcuménisme
46. Dans la conscience
que l’Église a d’être fondée sur le Christ, le Verbe de Dieu fait
chair, le Synode a voulu souligner le caractère central des études
bibliques dans le dialogue œcuménique en vue de la pleine expression
de l’unité de tous les croyants dans le Christ.
Dans l’Écriture elle-même, en effet, nous trouvons la prière
vibrante de Jésus au Père pour que ses disciples soient un afin que
le monde croie (cf. Jn 17, 21). Tout cela nous renforce dans
la conviction qu’écouter et méditer ensemble les Écritures nous fait
vivre une communion réelle même si elle n’est pas encore pleine;
«l’écoute commune des Écritures nous pousse ainsi au dialogue de la
charité et fait grandir celui de la vérité».
En effet, écouter ensemble la Parole de Dieu, pratiquer la Lectio
divina de la Bible, se laisser surprendre par la nouveauté, qui
jamais ne vieillit ou ne s’épuise, de la Parole de Dieu, dépasser
notre surdité sur ces paroles qui ne s’accordent pas avec nos
opinions et nos préjugés, écouter et étudier dans la communion avec
les croyants de tous les temps: tout cela constitue un chemin à
parcourir pour atteindre l’unité de la foi, en tant que réponse à
l’écoute de la Parole.
Les paroles du
Concile Vatican II étaient
véritablement éclairantes: «Les Écritures Saintes sont, dans le
dialogue [œcuménique] lui-même, des instruments insignes entre les
mains puissantes de Dieu pour obtenir cette unité que le Sauveur
offre à tous les hommes».
En conséquence, il est bon de développer l’étude, le débat et les
célébrations œcuméniques de la Parole de Dieu, dans le respect des
règles en vigueur et des diverses traditions.
Ces célébrations profitent à la cause de l’œcuménisme et, quand
elles sont vécues dans leur sens véritable, elles constituent des
moments intenses d’une authentique prière pour demander à Dieu de
hâter le jour désiré où nous pourrons tous nous approcher de la même
table et boire à l’unique calice. Cependant, dans la juste et
louable promotion de ces moments, il faut faire en sorte qu’ils ne
soient pas proposés aux fidèles en remplacement de la sainte Messe
prévue les jours d’obligation.
Dans ce travail d’étude
et de prière, nous reconnaissons avec sérénité également les aspects
qui demandent à êtres approfondis et sur lesquels nous sommes encore
éloignés, comme par exemple la compréhension du sujet qui, dans
l’Église, fait autorité pour l’interprétation et le rôle décisif du
Magistère.
Je voudrais souligner,
par ailleurs, ce qu’ont dit les Pères synodaux au sujet de
l’importance, dans ce labeur œcuménique, des traductions de la
Bible dans les différentes langues. Nous savons en effet que
traduire un texte n’est pas une tâche purement mécanique mais fait
partie en un certain sens du travail d’interprétation. À ce sujet,
le vénérable
Jean-Paul II a affirmé: «Ceux
qui se rappellent quelle influence les débats autour de l’Écriture
ont eue sur les divisions, surtout en Occident, peuvent comprendre
l’avancée notable que représentent ces traductions communes».
En ce sens, la promotion des traductions communes de la Bible
participe à l’effort œcuménique. Je désire remercier ici tous ceux
qui portent cette grande responsabilité et les encourager à
poursuivre leur tâche.
Conséquences sur l’organisation des études
théologiques
47. Une autre
conséquence qui dérive d’une herméneutique correcte de la foi
concerne la nécessité d’en montrer les implications pour la
formation exégétique et théologique, en particulier des candidats au
sacerdoce. On doit faire en sorte que l’étude de la Sainte Écriture
soit véritablement l’âme de la théologie dans la mesure où l’on
reconnaît en elle la Parole de Dieu, qui s’adresse aujourd’hui au
monde, à l’Église et à chacun personnellement. Il est important que
les critères indiqués par le
numéro 12 de la Constitution dogmatique
Dei Verbum soient effectivement pris en
considération et fassent l’objet d’un approfondissement. Qu’on évite
de cultiver un concept de recherche scientifique, que l’on voudrait
neutre face à l’Écriture. C’est pourquoi, en même temps que l’étude
des langues dans lesquelles la Bible a été écrite et des méthodes
d’interprétation qui conviennent, il est nécessaire que les
étudiants aient une profonde vie spirituelle, de façon à saisir
qu’on ne peut comprendre l’Écriture que si on la vit.
Dans cette perspective,
je recommande que l’étude de la Parole de Dieu, transmise et écrite,
ait lieu dans un esprit profondément ecclésial. Dans ce but, qu’on
tienne justement compte, dans la formation académique, des
interventions du Magistère sur cette thématique, lequel «n’est pas
au-dessus de la Parole de Dieu, mais est à son service, n’enseignant
que ce qui a été transmis, pour autant que, par mandat divin et avec
l’assistance du Saint-Esprit, il écoute cette Parole pieusement, la
garde saintement et l’expose fidèlement».
Il convient donc de veiller à ce que les études se déroulent dans la
conviction que «selon le très sage dessein de Dieu, la sainte
Tradition, la Sainte Écriture et le Magistère de l’Église sont
reliés et associés entre eux de telle façon qu’aucun d’entre eux ne
subsiste sans les autres».
Je souhaite donc que, selon l’enseignement du
Concile Vatican II, l’étude
de l’Écriture Sainte, lue dans la communion de l’Église universelle,
soit réellement comme l’âme des études théologiques.
Les saints et
l’interprétation de l’Écriture
48. L’interprétation de
la Sainte Écriture demeurerait incomplète si on ne se mettait pas à
l’écoute de qui a véritablement vécu la Parole de Dieu, c’est-à-dire
les saints.
De fait, «viva lectio est vita bonorum».
En effet, l’interprétation la plus profonde de l’Écriture vient
proprement de ceux qui se sont laissés modeler par la Parole de
Dieu, à travers l’écoute, la lecture et la méditation assidue.
Ce n’est certainement
pas un hasard si les grandes spiritualités qui ont marqué l’histoire
de l’Église sont issues d’une référence explicite à l’Écriture. Je
pense par exemple à saint Antoine abbé, mu par l’écoute des paroles
du Christ: «Si tu veux être parfait, va, vends ce que tu possèdes,
donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans les cieux. Puis
viens, suis-moi» (Mt 19, 21).
Le cas de saint Basile le Grand n’est pas moins suggestif, lui qui,
dans l’opera Moralia s’interroge: «Qu’est-ce qui est le
propre de la foi? C’est la pleine et indubitable certitude de la
vérité des paroles inspirées par Dieu […] Qu’est-ce qui est le
propre du fidèle? De se conformer avec cette totale certitude à ce
qu’expriment les paroles de l’Écriture, et ne pas oser en retrancher
ou en ajouter une seule».
Saint Benoît, dans sa Règle, renvoie à l’Écriture en tant que
«norme parfaitement droite pour la vie humaine».
Saint François d’Assise – écrit Tommaso de Celano – «en entendant
que les disciples du Christ ne devaient posséder ni or, ni argent,
ni monnaie, ni prendre de besace, ni pain, ni bâton pour la route,
ni avoir de sandales, ni deux tuniques … aussitôt, exultant dans
l’Esprit Saint, s’exclama: ‘cela je le veux, cela je le demande,
cela je désire le faire de tout mon cœur!’».
Sainte Claire d’Assise reprend pleinement à son compte l’expérience
de saint François: «La forme de vie de l’Ordre des Sœurs pauvres (…)
est celle-ci: observer le saint Évangile de notre Seigneur
Jésus-Christ».
Saint Dominique de Guzman aussi, «partout, se présentait comme un
homme évangélique, dans ses paroles comme dans ses œuvres»
et il voulait que tels soient ses frères prédicateurs: «des hommes
évangéliques».
Sainte Thérèse de Jésus, carmélite, qui dans ses écrits recourt
continuellement à des images bibliques pour expliquer son expérience
mystique, rappelle que Jésus lui-même lui révèle que «tout le mal du
monde provient de l’absence de connaissance claire des vérités de
l’Écriture Sainte».
Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus découvre l’Amour comme sa vocation
personnelle en scrutant les Écritures, en particulier les chapitres
12 et 13 de la première Lettre aux Corinthiens;
c’est la même sainte qui décrit la fascination qu’exercent les
Écritures: «Je n’ai qu’à jeter les yeux dans le saint Évangile,
aussitôt je respire les parfums de la vie de Jésus et je sais de
quel côté courir».
Chaque saint représente comme un rayon de lumière qui jaillit de la
Parole de Dieu: de même nous pensons à saint Ignace de Loyola dans
sa recherche de la vérité et dans le discernement spirituel; à saint
Jean Bosco dans sa passion pour l’éducation des jeunes; à saint
Jean-Marie Vianney dans sa conscience de la grandeur du sacerdoce
comme don et devoir; à saint
Pio de Pietrelcina en tant
qu’instrument de la miséricorde divine; à saint
Josemaría Escrivá dans sa
prédication sur l’appel universel à la sainteté; à la bienheureuse
Teresa de Calcutta,
missionnaire de la charité de Dieu pour les plus délaissés, et
jusqu’aux martyrs du nazisme et du communisme, représentés, d’une
part, par
sainte Bénédicte de la Croix (Édith
Stein), moniale carmélite, et, d’autre part, par le
bienheureux Aloys Stepinac, Cardinal Archevêque de Zagreb.
49. La sainteté dans
son rapport à la Parole de Dieu s’inscrit ainsi d’une certaine façon
dans la tradition prophétique, où la Parole de Dieu prend à son
service la vie même du prophète. En ce sens, la sainteté dans
l’Église constitue une herméneutique de l’Écriture dont personne ne
peut faire abstraction. L’Esprit Saint qui a inspiré les auteurs
sacrés est le même qui conduit les saints à donner leur vie pour
l’Évangile. Se mettre à leur école représente un chemin sûr pour
entreprendre une interprétation vivante et efficace de la Parole de
Dieu.
De ce lien entre Parole
de Dieu et sainteté, nous avons eu un témoignage direct pendant la
XIIe Assemblée du Synode,
lorsque le
12 octobre, sur la place saint Pierre,
s’est déroulée la canonisation de quatre nouveaux saints:
le prêtre Gaetano Errico, fondateur de la Congrégation des
Missionnaires des Sacrés Cœurs de Jésus et Marie; Mère Maria
Bernarda Bütler, née en Suisse et missionnaire en Équateur et en
Colombie; Sœur Alphonsine de l’Immaculée Conception, première sainte
canonisée née en Inde; la jeune laïque équatorienne Narcisa de Jésus
Martillo Morán. Par leur vie, ils ont rendu témoignage pour le monde
et pour l’Église à la fécondité éternelle de l’Évangile du Christ.
Demandons au Seigneur que, par l’intercession de ces saints,
canonisés précisément au cours de l’Assemblée synodale sur la Parole
de Dieu, notre vie soit cette «bonne terre» sur laquelle le divin
Semeur puisse semer la Parole afin qu’elle porte en nous des fruits
de sainteté, «trente, soixante, cent pour un» (Mc 4, 20).
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