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4-1-Les premiers ennemis du LausToutes les œuvres de Dieu sont persécutées. Le pèlerinage du Laus n’échappa pas à cette règle, et en 1671, Jean Peytieu écrivit à Mgr de Genlis: “De toutes les dévotions consacrées à la Mère de Dieu, il n’y en eut jamais de si combattue, et l’on peut dire que cette chapelle est un rocher qui s’est levé malgré tous, au milieu des orages.” Parmi les opposants, il y a: – ceux qui refusent de croire au témoignage de Benoîte, – ceux qui n’admettent pas les guérisons miraculeuses, – ceux qui prétendent que le Laus est l’œuvre du démon. Les historiens du Laus sont restés très discrets sur les personnes. Cependant un évènement fâcheux a été signalé. 4-1-1-L’interdit contre le Laus.Contre toute attente, pendant l’hiver 1668-1669, une affiche, qui semblait officielle, placée sur la porte de l’église mentionnait l’interdiction d’y faire tout acte religieux. Personne ne sut jamais qui avait osé faire cela. Mais ce qui est certain, c’est que, peu de temps après, Marie apparaissait à Benoîte et lui demandait d’ôter ce papier. Il fallait dire la messe dans cette église, comme on le faisait auparavant. 4-1-2-Le miracle des rosesEn mars 1669, deux nouveaux chapelains, Jean Peytieu et Barthélémy Hermitte, furent nommés au Laus. Tout allait rentrer dans l’ordre... C’est alors que Benoîte fut favorisée d’une grâce exceptionnelle, couronnée par le miracle des roses. Le 15 mars 1669, quelques hommes étaient venus pour tailler une vigne appartenant à la mère de Benoîte. Cette dernière profita de l’occasion pour aller prier dans une petite chapelle, près du Pindrau. Benoîte pria longtemps, “toute la nuit” affirme M. Gaillard. Le matin, la Vierge Marie lui donna une grande brassée de roses fraîches. Benoîte en donna aux ouvriers qui s’étonnèrent “ de ces roses aussi précoces, qui avaient une odeur très suave, délicieuse et extraordinaire, plus encore que les nostres.” Benoîte garda quelques-unes de ces roses pendant 15 ans dans son coffre. 4-2-Benoîte est interrogée à Embrun (du 26 mai au 8 juin 1670)Le vicaire général d’Embrun, Jean Javelly, entendait, venant de ses confrères, toutes sortes de propos contradictoires concernant le pèlerinage du Laus. Aussi désira-t-il s’informer exactement et par lui-même de cette dévotion. Il fit donc convoquer Benoîte, avec sa mère. Pendant 10 jours, du 26 mai au 8 juin 1670, la voyante fut interrogée, “sans suite ni liaison, afin de la faire couper, et avoir quelque sujet pour détruire la dévotion...” Mais Benoîte demeura ferme et constante dans ses récits et ses affirmations. Les enquêteurs: Jean Javelly, des jésuites d’Embrun et des prêtres, furent étonnés de trouver en Benoîte un témoin assuré et simple, d’une mémoire précise et infaillible. D’autres faits vont également étonner les juges: – Pendant tout son séjour à Embrun, Benoîte observa un jeûne total sans que ses facultés intellectuelles en pâtissent. – Elle eut l’honneur de voir, pendant la messe, la Vierge Marie qui lui dit, entre autres, de ne pas avoir peur, “que les orgues[1] étaient de petits instruments pour honorer son cher Fils dont c’était la plus grande fête (la Fête-Dieu), la marque de son amour infini... que ce lieu (Embrun) serait bien contraire à la dévotion du Laus, mais qu’il fallait avoir bon courage, bien prier son très cher Fils, faire toujours de bonnes œuvres, souffrir très patiemment tout ce qu’on ferait contre elle et contre le Laus; mais tous les ennemis de ce saint lieu seront un jour confondus.” Jean Javelly vit Benoîte en extase, l’interrogea sur les propos de Marie, et pensa qu’elle était vraiment favorisée de grâces exceptionnelles. La voyante était imprégnée du parfum qui se manifestait après ses visions. Benoîte put rentrer chez elle, à Saint-Étienne du Laus où elle arriva le samedi 8 juin 1670. 4-3-Les épreuves continuent4-3-1-L’interrogatoire du 4 décembre 1671Le rayonnement du pèlerinage du Laus se confirme; les conversions sont toujours nombreuses. Un nouvel évêque est nommé pour le diocèse d’Embrun, Mgr Charles Brulard de Genlis. Il entre solennellement à Embrun le 7 novembre 1671 où il restera jusqu’à sa mort, le 3 novembre 1714. Il fut un administrateur remarquable et conduisit son diocèse avec ordre et vigueur, mais aussi avec sagesse et beaucoup de charité. Très incrédule sur les évènements du Laus, il n’hésita pas cependant à s’y rendre pour voir, et surtout pour interroger Benoîte, le 4 décembre 1671. L’interrogatoire dura trois heures et demie. Mgr de Genlis fut très impressionné et convaincu que la Vierge Marie avait vraiment choisi Benoîte pour établir son œuvre. De 1670 à 1672, les visites de Marie continuent: Marie veille à l’accueil des pèlerins et poursuit l’éducation de Benoîte. En parfaite éducatrice, Marie insiste auprès de Benoîte pour qu’elle obéisse à ses ordres, et qu’elle avertisse les pécheurs de leurs péchés afin qu’ils vivent la miséricorde de Dieu. Et surtout, Marie se fâche quand Benoîte, par timidité, néglige ces ordres. Parmi les nombreux avis que Marie donne à Benoîte, il y a des avis pour les prêtres concernant, notamment, leur tenue et leurs fréquentations, la prudence vis à vis des opinions jansénistes; il y a des conseils pour la Bergère qui doit se préparer à des souffrances spirituelles très éprouvantes; il y a aussi des recommandations destinées aux pèlerins pour qu’elle les éclaire sur la gravité de l’orgueil, de la haine, de l’avarice, et des vices impurs, ou pour dénoncer les fausses voyantes. Benoîte mûrit, humainement et spirituellement; elle est maintenant prête pour aborder une nouvelle étape de sa vie. 4-3-2-Les visions et la crucifixion mystiqueVers 1669 ou 1670, Benoîte commence à habiter au Laus, et elle se rend régulièrement à la Croix d‘Avançon pour prier. L’année du miracle des roses, Benoîte se sent un jour comme attirée vers la Croix d’Avançon. Là, elle voit, pour la première fois, le Christ crucifié. Dès lors Benoîte se rend souvent à la Croix d’Alençon, et quelques semaines plus tard, Jésus crucifié lui apparaît de nouveau. Enfin, en juillet 1673, un vendredi, Benoîte était occupée à la moisson avec plusieurs autres personnes. Soudain elle s’arrête et s’en va jusqu’à la Croix d’Avançon. Là elle voit Jésus crucifié et tout ensanglanté. Il lui dit: “Ma fille, je me fais voir en cet état afin que vous participiez aux douleurs de ma Passion.” À partir de ce moment, tous les vendredis, Benoîte fut crucifiée, “son corps étendu en forme de croix, ses pieds l’un sur l’autre, ses doigts tant soit peu fermés et rétrécis, aussi moins pliables qu’une barre de fer.[2]” Mais la Vierge Marie venait souvent la visiter pour la soutenir. Puis ces souffrances s’arrêtèrent pendant la durée des travaux de construction de la maison des prêtres, (1677-1679) Benoîte ayant été chargée par la Vierge d’assurer le service des ouvriers qui travaillaient sur le chantier. Mais au mois de novembre 1679, au pied de la Croix d’Avançon, Benoîte eut une autre vision de Jésus crucifié, et ses souffrances reprirent pour durer jusqu’en 1684. Enfin, un jour “la Mère de Dieu lui dit : ― Vous ne souffrirez plus ces douleurs du vendredi, mais vous en aurez d’autres.” Et les phénomènes disparurent. Remarques:1°Il faut remarquer que, pendant ces périodes de grande douleur, Benoîte fut souvent visitée par la Vierge Marie, et par “l’Ange”. Un jour que Benoîte était particulièrement affligée par les douleurs du Seigneur, un ange lui dit : ― Ne vous troublez point, ma sœur, quoique notre divin Maître vous ait paru dans cet état, il ne souffre rien; ce n’est que pour vous faire voir ce qu’Il a souffert pour l’amour du genre humain. Il faut préciser qu’il s’agissait ici d’une crucifixion mystique et non d’une stigmatisation, car il n’y avait pas de marques sanglantes visibles. 2°Les messages de Marie à cette époque montrent combien elle a le souci des prêtres: qu’ils soient zélés, chastes, et “de saine doctrine”. Marie insiste sur la valeur des sacrements: mariage, baptême, pénitence. Elle prépare Benoîte à la souffrance spirituelle et à l’union au mystère de la Croix. Elle l’encourage, d’une manière de plus en plus pressante, à travailler à la conversion des pécheurs. De son côté, l’Ange l’engage à compter totalement sur la Providence de Dieu et il lui donne des conseils sur la façon de transmettre ses messages aux pécheurs; il l’initie aussi à la lutte contre le démon. 4-3-3-Comment Benoîte parle de ses visionsLorsque Benoîte est obligée de parler de ses visions, c’est toujours avec une extrême discrétion. Pierre Gaillard a écrit: “La Bonne mère lui parle de bien des choses qu’elle n’ose pas dire de peur d’en tirer vanité. Elle ne dit purement et simplement que ce qui regarde le salut et la conduite de son prochain... Ce qu’il faut observer de cette fille... c’est qu’elle ne dit rien des douceurs et des consolations qu’elle reçoit de la Mère de Dieu, quand elle a l’honneur de la voir, de peur d’en tirer vanité. Elle ne dit... que quand on la reprend, ou les avis qu’elle lui donne d’avertir les pécheurs de leurs péchés pour les ramener à la pénitence et les tirer du bourbier de leurs crimes; mais elle ne parle jamais des grandes consolations qu’elle reçoit, ni quand elle lui parle des choses célestes, ni des consolations qu’elle a quand elle la voit, ni des bonnes odeurs célestes qu’elle sent ce jour-là, même le lendemain, ni de ce qui lui arrive dans ses extases...” Pierre Gaillard rapporte aussi que, en 1670, la Mère de Dieu confia à Benoîte “que ce saint lieu (le Laus) serait bien contrarié mais qu’elle devrait avoir toujours bon courage, prier son cher Fils, faire des bonnes œuvres, prendre patience dans les souffrances, et sur tout ce qu’on fait contre le Laus; que tous les ennemis de ce saint lieu seront un jour confondus, et la dévotion plus grande que jamais.” C’est vers cette époque aussi que l’ange réprimande Benoîte à cause de ses trop grandes mortifications; il lui confisque tous ses instruments de pénitence. 4-3-4-L’essor du LausDe 1684 à 1692, le pèlerinage du Laus connaît un exceptionnel développement. Benoîte a quarante ans. En pleine possession de ses moyens elle collabore avec les directeurs: Jean Peytieu et Barthélémy Hermitte qui confessent des journées et des nuits entières. Les conversions sont nombreuses et parfois spectaculaires. Toutes sortes de gens viennent au Laus:
Malheureusement Jean Peytieu, le dévoué directeur meurt, épuisé, le 19 mars 1689. Hermitte, Benoîte et le frère Aubin sont douloureusement touchés. Bientôt, les grandes épreuves commenceront. Mais déjà, Benoîte doit se battre contre le démon; de 1684 à 1688 les combats sont particulièrement intenses. 4-3-5-Les combats contre SatanLes “transports” ont commencé en 1684, après la première crucifixion. Benoîte se sent transportée physiquement. Elle est emmenée hors de sa chambre, martyrisée et abandonnée loin du Laus, dans la montagne, dans le froid et la nuit, car c’est toujours la nuit que les transports ont lieu. Benoîte doit rentrer seule au Laus, heureusement parfois guidée par l’ange. Elle garde des traces visibles sur son corps des mauvais traitements subis. Car Benoîte est l’instrument que Dieu s’est choisi pour la conversion des pécheurs, et les démons s’efforcent d’amener Benoîte à renoncer à sa mission. D’où ces persécutions et ces menaces contre elle ou contre le pèlerinage. Mais Benoîte résiste. Outre les transports, Benoîte doit subir d’autres sévices, d’autres actes de violence. Elle peut être malmenée dans sa chambre, ou jetée dans le feu, etc. Fréquemment, la présence des démons est signalée par “une puanteur extrême.” Benoîte tient bon, et le pèlerinage grandit, jusqu’en juillet 1692. 4-3-6-La fuite à MarseilleEn juillet 1692, les troupes de la Ligue d’Augsbourg conduites par le duc de Savoie, Victor-Amédée[3] II, envahirent la Savoie, semant rapines, vols, incendies et dévastations dans toute la région. Le 2 août 1692, Pierre Gaillard assista, en secret, à un conseil de notables qui suggéra “de faire main-basse sur les affaires du Laus, car cela aiderait à payer la contribution aux ennemis.” Gaillard incita ses amis à partir immédiatement en emmenant toutes leurs affaires... Le 3 août, ils étaient à La Saulce où Benoîte demeura huit jours, attendant les affaires précieuses qu’ils firent porter au Pertuis. Benoîte dit à Barthélémy Hermitte, “de la part de la Bonne Mère, d’aller à Marseille, où ils trouveraient des gens qui les logeraient honnêtement.” En effet, Benoîte fut logée dans une famille très pieuse, chez Mr Hyacinthe de Rémusat. On lui fit visiter plusieurs couvents, et elle ramena la paix dans plusieurs d’entre eux. Un ange tenait Benoîte au courant des destructions faites par l’ennemi. Marie la visita au moins une fois. À Marseille, Benoîte rencontra l’aveugle François Malaval (1627-1719) qu’elle connaissait déjà car il était venu plusieurs fois au Laus. Il était devenu aveugle, à l’âge de neuf mois, à la suite d’un accident. Il avait cependant pu faire des études supérieures et sa culture était immense, y compris sur le plan scientifique. Il avait publié en 1664 une “Pratique facile pour élever l’âme à la contemplation”. On l’avait surnommé “l’aveugle mystique”. Il mourut le 15 mai 1719, à l’âge de quatre vingt douze ans, en odeur de sainteté. En septembre 1692, la ville de Gap et la cathédrale furent entièrement brûlées: “Les ennemis ont fait dans la ville et au voisinage des actions criantes et d’horribles sacrilèges.” Avançon fut aussi incendié et pillé. Le Laus ne fut pas épargné. Vers la fin septembre 1692, Benoîte et ses compagnons rentrèrent au Laus. Leur voyage à Marseille avait duré environ un mois et demi. |
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