PREMIER SERMON POUR
LE JOUR DE LA PENTECOTE
Comment le Saint-Esprit opère trois choses en nous.
1. Mais, bien chers frères, nous faisons
aujourd'hui la fête du Saint-Esprit, elle mérite d'être célébrée avec toute
sorte de sentiments de joie et de dévotion, car il n'est rien de plus doux en
Dieu que son Saint-Esprit ; il est la bonté même de Dieu, il n'est autre que
Dieu même. Si donc nous faisons la fête des saints, à combien plus forte raison
devons-nous célébrer la fête de celui par qui tous les saints sont devenus
saints? Si nous vénérons ceux qui ont été sanctifiés, à combien plus juste titre
devons-nous honorer celui qui les a sanctifiés? Nous faisons doue aujourd'hui la
fête de l'Esprit-Saint qui a apparu sous une forme visible, tout invisible qu'il
soit, et aujourd'hui ce même Esprit-Saint nous révèle quelque chose de sa
personne, comme le Père et le Fils s'étaient précédemment révélés à nous; car
c'est dans la parfaite connaissance de la Trinité que se trouve la vie
éternelle. Quant à présent nous ne la connaissons qu'en partie, et pour le reste
qui nous échappe, que nous ne pouvons comprendre, nous le tenons par la foi.
Pour ce qui est du Père, je le connais comme créateur de toutes choses, en
entendant les créatures s'écrier toutes d'une voix : " C'est lui qui nous a
faites, nous ne nous sommes point faites nous-mêmes (Psal. XCIX, 3), " et saint
Paul, apôtre, dire : "Ce qu'il y a d'invisible en Dieu est devenu visible depuis
la création du monde, par la connaissance que les créatures en donnent (Rom., I,
20). " Quant à son éternité et à son immutabilité, cela me dépasse trop pour que
je puisse y rien comprendre, car il habite dans une lumière inaccessible. Pour
ce qui est du Fils, j'en sais, par sa grâce, de grandes choses, je sais qu'il
s'est incarné. Quant à sa génération éternelle, qui pourra la raconter (Isa.
LIII, 8)? Qui peut comprendre que le Fils est égal au Père? En ce qui regarde le
Saint-Esprit, si je ne connais point sa procession du Père et du Fils, car cette
connaissance admirable est si loin de mon esprit, et si élevée que je ne pourrai
jamais y atteindre (Psal. CXXXVIII, 8), du moins je sais quelque chose de lui,
c'est l'inspiration. Il y a deux choses dans sa procession, c'est le lieu d'où
il procède et celui où il procède. La procession du Père et du Fils se trouve,
pour moi, enveloppée d'épaisses ténèbres, mais sa procession vers les hommes
commence à devenir accessible à ma connaissance aujourd'hui, et elle est claire
maintenant pour les fidèles.
2. Dans le principe, l'Esprit-Saint invisible
manifestait sa venue par des signes visibles, il fallait qu'il en fût ainsi;
mais aujourd'hui, plus les signes sont spirituels, plus ils conviennent à leur
nature, plus ils semblent dignes de lui. Il vint donc alors sur les apôtres sous
la forme de langues de feu, afin qu'ils parlassent dans la langue de tous les
peuples des paroles de feu, et qu'ils annonçassent avec une langue de feu une
loi de feu. Que personne ne se plaigne que l'Esprit ne se manifeste plus à nous
ainsi maintenant, " car le Saint-Esprit se manifeste à chacun selon qu'il est
besoin (I Cor. XII, 7). " Après tout, s'il faut le dire, c'est plutôt à nous
qu'aux apôtres que s'est faite cette manifestation du Saint-Esprit : en effet, à
quoi devaient leur servir ces langues des nations, sinon à convertir les
nations? Le Saint-Esprit s'est manifesté à eux d'une autre manière qui leur
était plus personnelle, et c'est de cette manière là qu'il se manifeste encore
en nous à présent. En effet, il devint clair pour tous qu'ils avaient été
revêtus de la vertu d'en haut, quand on les vit passer d'une si grande
pusillanimité à une telle constance. Ils ne cherchent plus à fuir, ils ne
songent plus à se cacher, dans la crainte des Juifs, bien loin de là, ils
prêchent en public avec une constance plus grande que la crainte qui les
poussait naguère à se cacher. On ne peut douter que le changement opéré en eux
ne soit l'oeuvre du Très-Haut, quand on se rappelle les craintes du prince dès
apôtres à la voix d'une servante, et qu'on voit aujourd'hui sa force sous les
coups dont les princes des prêtres le font charger. " Les apôtres sortirent du
conseil; dit l'Écriture, tout remplis de joie de ce qu'ils avaient été jugés
dignes de souffrir des opprobres pour le nom de Jésus (Act. V, 41), " qu'ils
avaient abandonné quand on le conduisait lui-même, devant le conseil, et laissé
seul par leur fuite. Peut-on douter après cela, qu'ils aient été visités par
l'Esprit de force qui seul a pu faire éclater une puissance invisible dans leur
âme ? C'est de la même manière aussi que les choses que l'Esprit-Saint opère en
nous rendent témoignage de sa présence en nous.
3. Comme il nous a été ordonné de nous détourner
du mal et de faire du bien (I Petr. III, 11, et Psal. XXXIII, 145), voyez
comment le Saint-Esprit vient au secours dé notre faiblesse pour nous faire
accomplir ces deux commandements, car si les grâces sont différentes, l'Esprit
qui les donne est le même. Ainsi, pour nous détourner du mal, il opère trois
choses en nous, la componction, la supplication et la rémission. En effet, le
commencement de notre retour à Dieu est dans le repentir qui n'est certainement
point le fruit de notre esprit, mais de l'Esprit-Saint : c'est une vérité que la
raison nous enseigne et que l'autorité confirme. En effet, quel homme, s'il
s'approche du feu, transi de froid, hésitera à croire, quand il se sera
réchauffé, que c'est du feu que lui vient la chaleur qu'il n'aurait pu se
procurer ailleurs? Ainsi en est-il de celui .qui, transi de froid par le péché,
s'il vient se réchauffer aux ardeurs du repentir, il ne peut douter qu'il a reçu
un autre esprit que le sien, qui le gourmande et le juge? C'est d'ailleurs ce
que nous apprend l'Évangile; car, en parlant du Saint-Esprit que les fidèles
doivent recevoir, le Sauveur dit : " Il convaincra le monde de péché (Joan. XVI,
8). "
4. Mais à quoi bon le repentir de sa faute, si on
ne prie point pour en obtenir le pardon? Or, il faut encore que ceci soit opéré
par le Saint-Esprit, pour qu'il remplisse notre âme d'une douce confiance qui la
porte à prier avec joie et sans hésiter. Voulez-vous que je vous montre que
c'est là encore l'oeuvre du Saint-Esprit? D'abord, tant qu'il sera éloigné de
vous, soyez sûr que vous ne trouverez rien qui ressemble à la prière au fond de
votre coeur. D'ailleurs, n'est-ce pas en lui que nous nous écrions : Mon Père,
mon Père (Rom. VIII, 16) ? N'est-ce pas lui encore qui prie pour nous avec des
gémissements inénarrables (Ibidem, 26), et cela dans le fond même de notre
coeur? Que ne fait-il point dans le coeur du Père? Mais, de même qu'au dedans de
nous, il intercède pour nous, ainsi, dans le Père, il nous pardonne nos fautes
de concert avec le Père; dans nos coeurs, il remplit auprès du Père le rôle de
notre avocat, et dans le coeur du Père il se conduit divers nous comme notre
Seigneur. Ainsi c'est lui qui nous donne la grâce de prier, et c'est lui qui
nous accorde ce que 'nous demandons dans la prière, et, en même temps qu'il nous
élève vers Dieu, par une pieuse confiance en lui, il incline bien plus encore le
cœur de Dieu vers nous, par un effet de sa bonté et de sa miséricorde. Aussi,
pour que vous ne doutiez point que c'est le Saint-Esprit qui opère la rémission
des péchés, écoutez,ce qui fut dit un jour aux apôtres : "Recevez le
Saint-Esprit, les péchés seront remis à ceux à qui vous les remettrez (Joan. XX,
22 et 23). " Voilà donc ce que fait le Saint-Esprit pour nous éloigner du péché.
5. Quant au bien, qu'est-ce que le Saint-Esprit
opère en nous pour nous le faire faire ? Il nous avertit, il nous meut, il nous
instruit. Il avertit notre mémoire, il instruit notre raison, il meut notre
volonté; car toute l'âme est dans ces trois facultés. Pour ce qui est de la
mémoire le Saint-Esprit lui suggère le souvenir du bien dans ses saintes
pensées, et c'est par là qu'il secoue notre lâcheté et réveille notre torpeur.
Aussi, toutes les fois, ô mon frère, que vous sentirez naître dans votre coeur
le souvenir du bien, rendez gloire à Dieu, et hommage au Saint-Esprit, c'est sa
voix qui retentit à vos oreilles, car il n'y a que lui qui parle de justice, et,
comme dit l'Evangile : " Il vous fera ressouvenir de tout ce que je vous ai dit
(Joann. XIV, 26). " Mais remarquez ce qui précède : " Il vous enseignera toutes
choses (Ibid.). " Or, je vous ai dit qu'il instruit la raison. Il y en a
beaucoup qui sont pressés de bien faire, mais ils ne savent ce qu'ils doivent
faire, il leur faut, pour cela, encore une grâce du Saint-Esprit. Il faut
qu'après nous avoir suggéré la pensée du bien, il nous apprenne à en venir aux
actes, et
à ne pas laisser la grâce de Dieu stérile dans
notre cœur. Mais quoi! n'est-il pas dit que " celui-là est plus coupable, qui
sait ce qu'il faut faire et ne le fait point (Jacob. IV, 17) ? " Ce n'est donc
point assez d'être averti et instruit du bien à faire, il faut encore que nous
soyons mus, et portés à le faire par le Saint-Esprit qui aide notre faiblesse,
et répand dans nos cœurs la charité qui n'est autre que la Bonne volonté.
6. Mais, lorsque le Saint-Esprit,
survenant ainsi en vous, se sera mis en possession de votre âme tout entière,
lui suggérera de bonnes pensées, l'instruira et l'excitera, en faisant entendre
constamment sa voix dans nos âmes, et que nous entendrons ce que le Seigneur
Dieu dira au dedans de nous en éclairant notre raison et enflammant notre
volonté. Ne vous semble-t-il pas alors qu'il aura rempli, de langues de feu, la
maison entière de notre âme? Car, comme je vous l'ai déjà dit, l'âme est toute
dans ces trois facultés. Que ces langues de feu nous semblent distinctes les
unes des autres, c'est un signe de la multiplicité des pensées de notre esprit,
mais dans leur multiplicité même, la lumière de la vérité, et la chaleur de la
charité, en fera comme un seul et même foyer. D'ailleurs, on peut dire que la
maison de notre âme ne sera complètement remplie qu'à la fin, lorsqu'il sera
versé dans notre sein une bonne mesure, une mesure foulée, pressée, enfaîtée par
dessus les bords. Mais quand en sera-t-il ainsi? Seulement, lorsque les jours de
la Pentecôte seront accomplis. Heureux ceux qui sont déjà entrés dans la
quadragésime du repos, et qui ont commencé l'année jubilaire, je veux parler de
ceux de nos frères à qui le Saint-Esprit a donné l'ordre de se reposer de leurs
travaux, car c'est encore une de ses opérations. En effet, il y a deux époques
que nous célébrons particulièrement, l'une est la Quadragésime, et l'autre la
Quinquagésime; l'une précède la Passion et l'autre suit la Résurrection; la
première est consacrée à la componction du coeur et aux larmes de la pénitence;
la seconde à la dévotion de l'esprit, et au chant solennel de l'Alléluia. La
sainte quarantaine est la figure de la vie présente, et les cinquante jours qui
la suivent sont l'image du repos des saints qui succède à leur mort. Lorsque les
jours de cette cinquantaine seront terminés, c'est-à-dire au jugement dernier,
et à la résurrection, le jour de la Pentecôte sera venu, et la maison sera toute
remplie de la plénitude du Saint-Esprit. Car, la terre entière sera pleine de sa
majesté lorsque, non seulement notre âme, mais aussi notre corps devenu
spirituel ressuscitera, si toutefois, selon l'avis que l'Apôtre nous donne, nous
avons eu soin de le semer enterre, lorsqu'il était encore tout animal (I Cor. XV,
44).
DEUXIÈME SERMON
POUR LE JOUR DE LA PENTECÔTE
Des opérations de la Trinité en nous et de trois sortes de grâces du
Saint-Esprit.
1. C'est. aujourd'hui, mes frères bien-aimés, que
les cieux se sont fondus en eau à la face du Dieu d'Israël, et qu'une pluie
volontaire est tombée sur l'héritage du Christ (Psal. LXVII, 10) ; car c'est
aujourd'hui que l'Esprit-Saint qui procède du Père, est descendu sur les apôtres
dans la plénitude de sa majesté, et leur a fait part des dons de sa grâce. Après
les magnificences de la résurrection, après les splendeurs de l'ascension, après
la gloire décernée à Jésus dans le séjour des cieux, il ne nous restait plus
qu'à voir enfin la joie des justes, depuis si longtemps attendue, et les hommes
du ciel remplis des dons des cieux. N'est-ce pas ce qu'avait prédit Isaïe
longtemps d'avance, en termes d'un grand poids, et dans un ordre parfait,
lorsqu'il disait : " Un jour viendra où le germe du Seigneur sera dans la
magnificence et dans la gloire; où les fruits de la terre seront abondants, et
ceux qui auront été sauvés en Israël seront dans la joie (Isa. IV, 2) ? " Ce
germe du Seigneur n'est autre que Jésus-Christ, qui seul a été conçu tout à fait
sans péché, car s'il est venu dans une chair semblable à celle du péché,
cependant elle n'était point une chair de péché, et pour avoir été fils d'Adam
selon la chair, il ne fut point son fils selon les privations; il ne fut pas un
enfant de colère par la nature comme le reste des hommes qui sont tous conçus
dans l'iniquité. Or, ce germe de la tige de Jessé qui se développe dans le sein
fécond d'une vierge, fut dans toute sa magnificence le jour où il ressuscita
d'entre les morts; car, c'est alors, Seigneur mon Dieu, que vous avez fait
paraître votre grandeur d'une manière éclatante, que vous vous êtes environné de
gloire et de majesté, et revêtu de lumière et d'éclat comme d'un manteau (Psal.
CIII, 1 et 2). Mais ensuite, quelle ne fut point la gloire de votre ascension,
lorsque vous retournâtes à votre Père, au milieu du cortège des anges et des
âmes saintes, ce jour où, la palme du triomphe à la main, vous êtes entré dans
les cieux, et où vous avez enfermé l'humanité que vous avez prise, dans
l'identité même de la divinité ? Quel homme pourrait, je ne dis point expliquer
par des paroles, mais seulement concevoir dans sa pensée, l'élévation de ce
fruit mûri sur la terre, quand il alla se placer à la droite du Père, sur ce
trône où il éblouit les yeux des natures célestes, lui que les anges n'osent
contempler , et qu'ils craignent de toucher même du regard? O Seigneur Jésus,
que ceux qui ont été sauvés en Israël, que vos apôtres dont vous avez fait choix
avant la création du monde, soient inondés d'allégresse. Que votre esprit qui
est bon, qui lave nos souillures et sème les vertus, vienne enfin dans un esprit
de jugement et de ferveur.
2. Allons, mes frères, repassons dans notre esprit
les opérations de la Trinité en nous et sur nous, depuis le commencement jusqu'à
la fin du monde, et voyons avec quelle sollicitude, cette majesté divine, sur
qui repose l'administration et le gouvernement des siècles, a pris soin de ne
point nous perdre pour l'éternité. Elle avait tout créé dans la puissance, elle
gouvernait tout dans la sagesse, et multipliait les preuves de l'une et de
l'autre, c'est-à-dire de la puissance et de la sagesse, dans la création et dans
la conservation de la machine ronde; quant à la bonté, cette bonté excessive qui
était aussi en Dieu, elle y demeurait cachée dans le coeur du Père, mais elle
devait, un jour, se répandre comme un trésor depuis longtemps grossi, sur la
race des enfants d'Adam. Mais en attendant le jour propice pour cela, le
Seigneur disait : " Je nourris des pensées de paix (Isa. XXIX, 11), " et
songeait à nous envoyer celui qui est notre paix, celui qui a réuni en un, ce
qui était divisé en deux, il méditait, dis-je, de donner enfin la paix par
dessus la paix, la paix à ceux qui étaient loin de lui, et la paix à ceux qui en
étaient proches. Le Verbe de Dieu était établi au plus haut des cieux, mais sa
propre bonté l'engagea à descendre vers nous, sa miséricorde l'arracha de son
trône, la vérité, comme il avait promis de venir, le contraignit à le faire, la
pureté d'un sein virginal, le reçut sans détriment pour la virginité de sa mère,
et sa puissance l'en fit sortir de même; l'obéissance fut son guide en toute
occasion, et la patience, son armure ; sa charité le fit reconnaître à son
langage et à ses miracles.
3. A présent, je trouve dans la pensée de mes maux
et dans le souvenir des larmes de mon Dieu, une ample matière à réflexion sur
les voies que je suis, et un motif de tourner mes pas vers ses commandements. En
effet, ces liens sont ineffables, parce que, pour tout dire en un mot, le Dieu
sage n'a rien trouvé de meilleur pour nous racheter dans toute sa sagesse. Mais
nous étions environnés de maux sans nombre; car, comme dit le Juste : " Mes
péchés ont dépassé le nombre des grains de sable de la mer, et vous, Seigneur,
vous me pardonnerez ces péchés pour la gloire de votre nom, parce qu'ils sont
nombreux (Psal. XXIV, 12). " Si le diable envoya un serpent, aux replis
tortueux, verser, par le conduit de l'oreille, dans l'âme de la femme, un venin
qui devait se répandre ensuite dans toute sa race, Dieu, de son côté, envoya
aussi un ange, Gabriel, pour faire entrer également par le conduit de l'oreille,
dans le sein d'une vierge, le Verbe du Père, et faire pénétrer l'antidote par la
même voie que le poison avait suivie. Ah! nous avons vu sa gloire, et c'était
bien la gloire qui convenait au Fils unique du Père, et ce que le Christ nous a
apporté du cœur de son Père n'avait rien que de paternel; en sorte que le genre
humain pouvait, dans sa crainte, soupçonner dans le Fils de Dieu rien qui ne fût
doux et digne du coeur d'un Père. Nous n'étions qu'une plaie depuis la plante
des pieds jusqu'au sommet de la tète, nous étions hors de la bonne voie dès le
ventre de nos mères, nous étions damnés dam leur sein avant même d'y être nés,
car nous sommes conçus du péché et conçus dans le péché.
4. Jésus-Christ est donc venu apporter un premier
remède là même où nous sommes atteints par la première blessure; il descend
substantiellement dans le sein d'une Vierge, et y est conçu par l'opération du
Saint-Esprit, pour purifier ainsi notre propre conception, que l'esprit du mal
avait infestée sinon faite; ne voulant pas que sa vie terrestre fût stérile, il
purifie, pendant les neuf mois passés dans le sein de sa mère, notre antique
blessure, en scrutant à fond, comme on dit, ce pays de purulence, afin d'y faire
revenir une santé perpétuelle. Voilà comment il apparaît alors notre salut au
milieu de la terre, c'est-à-dire dans le sein même de la Vierge Marie, qui est
appelée le milieu de la ferre avec une admirable propriété de termes. En effet,
Marie est comme le juste milieu, comme l'arche de Dieu, comme la cause de toutes
choses, et l'affaire de tous les siècles, où se fixent les regards de ceux qui
habitent dans le ciel, et de ceux qui sont dans les enfers, de ceux qui nous ont
précédés, de nous qui venons après eux, et de ceux qui viendront après nous, des
enfants de nos enfants, et des enfants qui descendront de nos petits-enfants.
Ceux qui sont dans le ciel la contemplent pour être réparés, et ceux qui
habitent dans les enfers fixent les yeux sur elle pour en être tirés ; ceux qui
font précédée la considèrent pour être trouvés des prophètes fidèles; et ceux
qui la suivent, pour être glorifiés. Voilà pourquoi toutes les nations vous
proclament bienheureuse, ô Mère de Dieu, Maîtresse du inonde, Reine du ciel
(Luc. I, 48); oui, dis-je, toutes les nations, car il y a des générations dans
le ciel comme il en est sur la terre, selon ces paroles de l'Apôtre : a Le père
des esprits, de qui découle touffe paternité dans le ciel et sur la terre (Eph.
III, 15). " Ainsi désormais toutes les générations, ô Vierge, vous proclameront
bienheureuse, parce que vous avez enfanté pour elles toutes, la vie et la
gloire. N'est-ce point en vous que les anges trouvent à jamais la joie, les
justes, la grâce, et les pécheurs, le pardon? C'est donc avec raison que toute
créature a les yeux fixés sur vous, puisque ce n'est que par vous, en vous et,
de vous que la main du Tout-Puissant a récréé ce qu'il avait créé une première
fois.
5. Mais vous, Seigneur Jésus, me ferez-vous la
grâce de me donner votre vie de même que vous m'avez donné votre conception? Car
ce n'est pas assez que ma conception soit impulse, ma mort est perverse et ma
vie pleine de péril; mais ma mort est suivie, d'une seconde mort plus grave que
la première. Je te donnerai, me répond-il, non-seulement ma conception, mais ma
vie aussi; et cela à tous les degrés des âges que tu pourras parcourir; je te
donnerai donc, ô homme, mon bas-âge, mon enfance, mon adolescence, ma jeunesse,
je te donnerai tout, je te donnerai même ma mort, ma résurrection, et mon
ascension, je t'enverrai ensuite le Saint-Esprit, et cela je le feras afin due
ma conception purifie la tienne, que ma, vie façonne ta vie, ove ma mort
détruise ta mort, que ma résurrection prélude à la tienne, que mon ascension
prépare ton ascension et que ton esprit vienne en aide à ta faiblesse. Ainsi, tu
verras sans obscurité la voie où tu dois ,marcher, tu sauras avec quelle
prudence on doit y marches, et' tu verras le séjour où tu dois tendre. Dans nia
vie tu connaîtras ta voie, et, en me voyant frayer les sentiers de la pauvreté,
et de l'obéissance, de l'humilité et de la patience, de la charité et de la
miséricorde, sans jamais m'en écarter, tu pourras marcher sur mes pas, sans
t’écarter ni à droite ni à gauche. Mais dans ma mort te donnerai ma justice, je
briserai le joug de ta captivité, je débusquerai les ennemis qui assiègent tes
voies et les occupent et les empêcherai de te nuire. Après cela je retournerai
dans le séjour d'où je suis parti, et je rendrai la vue de ma personne à ces
brebis qui étaient restées sur les montagnes et que j'avais quittées, non pas
pour te ramener, toi, mais pour te rapporter sur mes épaules.
6. Mais, ô homme, pour que tu ne te plaignes point
de mon absence et que ton coeur n'en soit point attristé, je t'enverrai l'Esprit
paraclet, qui te donnera un gage de salut, la force de la vie, 1a lumière de la
science: le gage du salut, c'est le témoignage que cet Esprit saint rendra à ton
esprit que tu es fils de Dieu : ce sont les signes bien certains (a) de
prédestination qu'il imprimera et montrera dans ton coeur.
Il répandra la joie dans ton coeur et il
arrosera, sinon constamment, du moins bien souvent, ton âme de la féconde rosée
du Ciel. Il te donnera aussi la force de la vie en sorte que ce qui est
impossible à la nature, par sa grâce, non-seulement te deviendra possible, mais
même te sera facile, et te fera marcher avec bonheur comme au sein de la
richesse et de l'abondance, au milieu des travaux et des veilles, dans la faim
et la soif et dans toutes les observances religieuses, qui sembleraient un plat
de mort si elles n'étaient édulcorées par cette douce farine. Il te donnera
enfin la lumière de la science qui te fera dire, quand tu auras tout fait comme
il faut que ce soit fait, que tu es un serviteur inutile : cette lumière de
science qui t'empêchera de t'attribuer le bien que tu pourras trouver en toi,
attendu que tout bien vient de lui, de lui, dis-je, sans qui non seulement, ô
homme, tu es incapable de commencer le moindre bien, mais de commencer quelque
bien que ce soit, bien loin de pouvoir le mener à bonne fin, Voilà donc, comment
cet esprit t'instruira en ces trois choses, de toutes choses ; oui, de tout ce
qui a rapport à ton salut, car c'est en ces trois choses que se trouve la
perfection pleine et entière.
7. C'est précisément ce qui faisait dire à un
prophète, sous l'inspiration du même esprit: " semez pour vous dans la justice,
" voilà pour le gage du salut : " moissonnez l'espérance de la vie, " ces mots
rappellent la force de la vie; et "Allumez-vous la lumière de la science "
paroles qui n'ont besoin d'aucun commentaire; et si ce même esprit a apparu sur
les apôtres en langue de feu, c'est pour rappeler qu'il éclaire en même temps
qu'il échauffe; aussi ceux qu'il remplit de sa présence les remplit-il en même
temps de ferveur, et leur fait-il connaître en vérité qu'il n'y a que la
miséricorde toute seule qui les a prévenus et qui les conduit. Le serviteur de
Dieu qui disait " la miséricorde de mon Dieu me préviendra (Psal. LVIII, 11), "
ou bien, " votre miséricorde, Seigneur, est devant mes yeux (Psal. XXV, 3), " ou
bien encore, " votre miséricorde me suivra tous les jours de ma vie (Psal. XXII,
6), " et ailleurs, " le Seigneur m'environne de la miséricorde (Psal. CII, 4), "
et enfin, " mon Dieu et ma miséricorde (Psal. LVIII, 11), " était bien rempli
des preuves de cette miséricorde. Avec quelle douceur, Seigneur Jésus,
n'avez-vous point vécu parmi les hommes! avec quelle abondance et quelle
largesse ne leur avez-vous point fait du bien! quelle force n'avez-vous point
montrée au milieu des traitements indignes et cruels que vous avez essuyés pour
les hommes! On peut bien dire qu'il eût été plus facile d'aspirer le miel de la
pierre et l'huile des rochers les plus durs, tant vous fûtes vous-mêmes dur et
insensible aux paroles, plus dur encore aux coups, extrêmement dur enfin au
supplice de la croix, car, au milieu de toutes ces épreuves on vous vit muet
comme l'agneau qui se tait, et n'ouvre même point la bouche entre les mains de
celui qui lui ravit sa toison. Vous voyez avec quelle vérité s'exprimait celui
qui disait : " le Seigneur prend soin de moi (Psal. 39, 23). " Dieu le Père pour
racheter un esclave n'épargne pas même son Fils, et le Fils va de lui-même au
devant des épreuves; le Père et ce Fils envoient ensuite le Saint-Esprit, et le
Saint-Esprit enfin prie pour nous avec des gémissements inénarrables.
8. O enfants d'Adam, ô hommes de pierre et de
bronze, que tant de bonté, une telle flamme, un amour si brûlant, un coeur si
ardent qui a échangé de si riches vêtements contre des hardes si viles, ne
peuvent attendrir! cet amant de nos âmes ne nous a point rachetés au prix de
choses corruptibles, à prix d'or ou d'argent, mais au prix de son précieux sang
dont il a versé la dernière goutte pour nous, car Veau et le sang ont coulé à
flots des cinq plaies du corps de Jésus. Qu'aurait-il dû faire de plus qu'il
n'ait pas fait? il a rendu la vue aux aveugles, il a ramené dans la droite voie
ceux qui s'étaient égarés; il a réconcilié les pécheurs avec Dieu, il a justifié
les impies, il a passé trente-trois ans sur la terre, il vécut au milieu des
hommes et mourut pour les hommes, lui qui n'eut qu'un mot à dire, et toutes les
vertus angéliques, les séraphins et les chérubins, ont été créés, lui enfin qui
peut tout ce qu'il veut. Que te demande donc, ô homme, celui qui t'a recherché
avec une pareille sollicitude? rien autre chose que de te voir pressé du désir
de monter avec ton Dieu. Or ce désir, il n'y a que le Saint-Esprit qui le fasse
naître, lui qui scrute le fond de nos coeurs, qui discerne les parties de notre
âme et les intentions de notre esprit, lui qui ne souffre point la présence du
plus petit brin de paille dans la demeure de notre coeur, lorsqu'il s'y est
établi, sans le consumer aussitôt aux ardeurs de son seul regard, cet esprit,
dis-je, plein de douceur et de suavité, qui plie notre volonté, ou plutôt la
redresse et la conforme à la sienne, afin que nous puissions comprendre
exactement quelle elle est, l'aimer avec ferveur, et l'accomplir avec
efficacité.
TROISIEME SERMON
POUR LE JOUR DE LA PENTECOTE
De l’opération multiple du Saint-Esprit en nous.
1. L'Esprit-Saint, dont nous faisons aujourd'hui
la fête, d'une manière toute particulière, plût au ciel que ce fût aussi avec
une dévotion toute particulière, m'est témoin du bonheur avec lequel je vous
ferais part de toutes les inspirations de la grâce d'en haut, si j'en recevais
quelques unes, oui, il le sait, dis-je, cet Esprit qui vous a réunis, non
seulement dans une même cité, mais dans une même demeure, afin d'y descendre sur
vous, et de se reposer sur vous, mes frères bien-aimés, qui avez le coeur
humble, et écoutez ses paroles avec tremblement. C'est le même esprit qui a
couvert la vierge Marie de son ombre, et fortifié les apôtres d'un côté, pour
tempérer l'effet de l'arrivée de la divinité dans le sein de cette vierge, et de
l'autre pour revêtir les apôtres de la vertu d'en haut, je veux dire de la plus
ardente charité. C'est, en effet, la cuirasse dont se recouvrit le collège
apostolique tout entier, comme un géant, qui se prépare à se venger des nations,
et à châtier les peuples, à lier leurs rois en chargeant leurs pieds de chaînes,
et les grands d'entre eux, en leur mettant les fers aux mains (Psal., CXLIX, 7
et 8), car ils étaient envoyés vers la maison du fort armé, pour le garrotter et
s'emparer de tous ses meubles, il leur fallait donc une force plus grande que la
sienne. Quelle mission n'aurait-ce point été pour leur faiblesse, de triompher
de la mort, et de ne point laisser les portes de l'enfer prévaloir contre eux,
s'ils n'avaient eu, vivante au fond de leur coeur, pour triompher par elle, une
charité aussi forte que la mort même, un zèle aussi inflexible que l'enfer
(Cant. VIII, 6) ? Or, c'est de ce zèle qu'ils faisaient preuve, quand on les
prit pour des hommes ivres (Act. II, 13). Ils l'étaient, en effet, mais non du
vin que pensaient ceux qui ne croyaient pas à leur parole. Oui,, dis je, ils
étaient ivres, mais d'un vin nouveau, dont de vieilles outres étaient indignes,
et que, d'ailleurs, elles n'auraient pu contenir. Ce vin, c'était celui que la
vraie vigne avait laissé couler du haut du ciel, un vin capable de réjouir le
mur de l'homme, non point de troubler son esprit; un vin qui fait germer les
vierges, et ne force point les sages à apostasier le sagesse. C'était un vin
nouveau pour les habitants de la terre, car, pour ceux du ciel, il se trouvait
jadis en extrême abondance, non dans des outres de peaux, ou dans des vases de
terre, mais dans des celliers à vin, dans des outres spirituelles. Il coulait à
flot, dans les rues et les places de la sainte cité, où il répandait la joie du
coeur, non la luxure de la chair, car les habitants de la terre et les enfants
des hommes n'avaient point de vin de cette nature.
2. Ainsi, il avait au ciel un vin particulier que
la terre ignorait mais la terre avait aussi un produit qui lui était propre,
c'est la chair du Christ, dont elle était fière, et dont les cieux
ambitionnaient la vue. Qui donc empêche qu'il ne se fasse un fidèle commerce
entre le ciel et la terre, entre les auges et les apôtres, un échange de la
chair du Christ entre les uns et les autres, en sorte que la terre possède l'Esprit-Saint,
et le ciel, la chair du Christ , et que l'un et l'autre soient à jamais possédés
en commun par la terre et par les cieux en même temps ? Jésus avait dit : " Si
je ne m'en vais, le Paraclet ne viendra point à vous (Joann. XVI, 7.) " C'était
dire : Si vous ne cédez l'objet de votre amour, vous n'aurez point celui de vos
désirs; il vous est donc avantageux que je m'en aille et que je vous transporte
de la terre au ciel, de la chair à l'esprit, car le Père est esprit, le Fils est
esprit, et l'Esprit-Saint est esprit aussi. Enfin le Christ est un esprit devant
.ans yeux. Or, le Père étant esprit cherche des adorateurs qui l'adorent en
esprit et en vérité. Quant au Saint-Esprit, il semble avoir reçu le nom d'esprit
par excellence, parce qu'il procède du. Père et du fils, et se trouve être le
lien le plus ferme et le plus indissoluble de la Trinité, et celui de saint
également en propre, parce qu'il est un don du Père et du Fils et qu'il
sanctifie toute créature. Mais le Père n'en est pas moins aussi esprit et saint
; de même que le Fils est également saint et esprit, le Fils, dis-je, " de qui,
en qui et par qui toutes choses sont (Rom. XI, 36), " selon le mot de l'Apôtre.
3. Il y a trois choses dans l'oeuvre de ce monde
qui doivent attirer nos pensées : qu'est ce que le monde, comment existe-t-il,
et pourquoi a-t-il été fait? Dans la création des êtres éclate, d'une manière
admirable, la puissance qui a créé tant et de si grandes choses, en si grand
nombre et avec tant de magnificence. Dans la manière dont elles ont été faites,
se montre une sagesse unique qui a placé les uns en haut, les autres en bas et
d'autres encore au milieu. Si nous réfléchissons sur la fin pour lesquelles
toutes ces choses ont été faites, nous trouvons, en elles toutes, la preuve
d'une si utile bonté et d'une si bonne utilité, qu'il y a en elles de quoi
accabler sous la multitude et la grandeur des bienfaits dont elles sont pleines
pour nous, les plus ingrats des hommes. Dieu a donc montré sa puissance infinie,
en faisant tout de rien, d'une sagesse égale, en ne faisant rien que de beau, et
d'une bonté pareille à sa sagesse et à sa puissance, en ne créant rien que
d'utile. Mais noua savons qu'il y eut, dès le commencement, et nous voyons tous
les jours qu'il y en a beaucoup parmi les enfants des hommes, que les biens de
l'ordre mystérieux et sensible de la nature tiennent courbés sous les
jouissances sensuelles, bien des hommes, dis-je, qui se sont donnés tout entiers
aux choses créées sans se demander jamais ni comment, ni pourquoi elles ont été
créées. Comment les appellerons-nous, sinon hommes charnels ? Il y en a bien
quelques-uns, je pense, et l'histoire nous apprend qu'il en a existé plusieurs
dans ces dispositions-là, dont le goût unique et la suprême occupation sont de
rechercher ce que Dieu a fait, et comment il l'a fait, d'une manière si
exclusive, que non-seulement, pour la plupart, ils ont négligé de s'enquérir de
l'utilité des choses, mais sont allés même jusqu'à les mépriser avec
magnanimité, et à se contenter d'une nourriture à peine suffisante et vile. Ces
gens-là se sont donné à eux-mêmes le titre de philosophes ; quant à moi, pour
les appeler par leur véritable nom, je dirai que ce sont des hommes curieux et
vains.
4. A ces deux espèces d'hommes en ont succédé de
beaucoup plus sages qui, comptant pour peu de chose de savoir ce que Dieu a fait
et comment il l'a fait, ont appliqué toute la sagacité de leur esprit à
découvrir pour quelle fin il l'a fait, aussi ne leur a-t-il point échappé que
tout ce que Dieu a fait, il l'a fait pour lui et pour les siens; non pas
toutefois de la même manière pour lui que pour les siens. Quand nous disons
qu'il a fait tout pour lui (Prov.), notre pensée se reporte à celui qui est
l'origine et la source même des choses; et quand nous disons il a fart " tout
pour les siens, " nous avons en vue les conséquences de ce qu il a fait. Il a
donc fait toute chose pour lui, par nue bonté gratuite, et il a fait toutes
choses pour ses élus, c'est-à-dire en vue de leur utilité, en sorte que dans le
premier cas, nous avons la cause efficiente des êtres, et dans le second nous en
trouvons la cause finale. Les Hommes spirituels sont donc ceux qui usent de ce
monde comme s'ils n'en usaient pas, et qui cherchent Dieu dans la simplicité de
leur âme, sans se mettre beaucoup en peine de savoir de quelle manière tourne la
machine du monde. Ainsi les premiers sont pleins de volupté, les seconds de
vanité et les troisièmes de vérité.
5. Je suis heureux, mes frères, que vous
apparteniez à l'école de ces derniers, c'est-à-dire à l'école du Saint-Esprit,
où vous apprendrez la bonté, la discipline et la science et où vous pourriez
vous écrier : J'ai eu plus d'intelligence que tous ceux qui m'instruisaient (Psal.
CXVIII, 99). Pourquoi cela? Est-ce parce que je me suis paré de vêtements de
pourpre et de lin, parce que je me suis assis à des tables mieux servies que le
reste des hommes? Est-ce parce que j'ai compris quelque chose aux arguties de
Platon, aux artifices d'Aristote, ou parce que je me suis donné bien du mal pour
les comprendre? Non, non, mais parce que " j'ai recherché vos commandements, ô
mon Dieu (Ibid. 100). " Heureux celui qui repose sur ce lit nuptial du
Saint-Esprit, pour comprendre ces trois sortes d'esprits dont le même serviteur
de Dieu, dans son intelligence qui dépassait celle des vieillards, disait dans
ses chants : " Seigneur ne me rejetez point de devant votre face, et ne retirez
pas votre Saint-Esprit de moi : créez en moi, ô mon Dieu, un coeur pur, et
rétablissez de nouveau un esprit droit au fond de mes entrailles ; rendez-moi la
joie de votre salutaire assistance et affermissez-moi par la grâce de votre
esprit principal (Psal. L, 11, 12 et 13.) " Par les mots esprit saint, il faut
comprendre le Saint-Esprit lui-même. Le Prophète demande donc de ne pas être
rejeté de sa face comme un être immonde, parce que cet esprit a horreur de ce
qui est souillé et ne saurait habiter dans un corps sujet au péché. Celui qui
par sa nature repousse le péché, ne peut pas ne point haïr tout ce lui est
péché, et certainement on ne rencontrera jamais ensemble tant de pureté et tant
d'impureté- sous le même toit. Aussi après avoir reçu le Saint-Esprit, par la
justification sans laquelle nul ne saurait voir Dieu, on peut oser se présenter
devant sa face comme étant net et pur de toute souillure, attendu qu'on se
retient de toute espèce de maux quand on soumet toutes ses actions sinon toutes
ses pensées au frein.
6. Comme toute pensée mauvaise et immonde nous
éloigne de Dieu, nous demandons donc à Dieu de créer un coeur pur en nous, ce
qui ne peut manquer d'arriver dès qu'un esprit droit s'est renouvelé dans nos
entrailles. Quant à ce qui est de cet esprit droit dont parle le Prophète, il me
semble qu'on peut parfaitement l'entendre de la personne du Fils, car c'est lui
qui nous a dépouillés du vieil homme et revêtus de l'homme nouveau, lui aussi
qui nous a renouvelés dans le fond même de notre âme (Eph. IV, 13), et comme
dans le plus intime de nos entrailles, pour que nous n'ayons que des pensées
droites et que nous marchions dans la nouveauté de l'esprit, non dans la
vieillesse de la lettre (Rom. VII, 6). Car il nous a apporté du ciel la forme de
la droiture qu'il a laissée sur la terre, mettant et mêlant ensemble la douceur
à la droiture en toutes ses oeuvres, ainsi que le même prophète l'avait prédit
en disant : " Le Seigneur est plein de douceur et de droiture, et c'est pour
cela qu'il donnera sa loi à ceux qui pèchent dans leur voie (Psal. XXIV, 8). "
Ainsi donc lorsque notre corps est châtié par la sainteté des oeuvres, et notre
coeur purifié ou plutôt renouvelé par la rectitude des pensées, alors il nous
rendra la joie du salut, en sorte que nous marchions à la lumière de sa face et
que nous nous réjouissions tout le jour en son nom.
7. Alors que reste-t-il à faire, sinon à nous
confirmer par l'esprit principal, c'est-à-dire par le Père? car c'est ce que
nous devons entendre par ces mots, l'esprit principal. Non pas qu'il l'ait plus
grand que le Fils et le Saint-Esprit, mais parce que seul il ne vient d'aucune
autre personne, le Fils, au contraire, vient de lui, et le Saint-Esprit vient du
Père et du Fils. Or, en quoi nous confirme-t-il, sinon dans la charité? Quel
autre don est, en effet, plus digne de lui, plus véritablement paternel? " Qui
donc, s'écrie l'Apôtre, nous séparera de l'amour de Jésus-Christ? Sera-ce
l'affliction ou les épreuves, sera-ce la faim ou la nudité, les périls, la
persécution ou la crainte de l'épée (Rom. VIII, 35) ? " Soyez certains, mes
frères, que ni la mort, ni la vie, ni aucune des choses que l'Apôtre énumère
avec autant d'entrain que d'audace, ne saurait nous séparer de la charité de
Dieu qui est en Jésus-Christ. Est-ce que cela ne montre pas en tout point la
force de cette proposition? Si vous savez conserver le vase fragile de votre
chair en toute sainteté et en tout honneur, exempt de tous les mouvements de la
concupiscence (I Thess. IV, 4), vous avez reçu le Saint-Esprit. Etes-vous dans
l'intention de faire aux autres ce que vous voudriez qu'on vous fit, et de ne
point leur faire ce que vous ne voudriez pas qu'ils vous fissent, vous avez reçu
un esprit de droiture en ce qui concerne votre conduite envers le prochain. Car
cette droiture est commandée en même temps par la loi naturelle, et par la loi
révélée dans les Saintes Ecritures. Si vous persévérez fermement dans ces deux
sortes de bien et dans tout ce qui s'y rattache, vous avez reçu l'esprit
principal, celui seul que Dieu approuve. D'ailleurs, celui qui est l'être par
excellence ne saurait avoir pour agréable, ce qui tantôt est, et tantôt n'est
plus, et l'éternel ne peut se complaire dans tout ce qui est caduc. Si donc vous
avez à coeur que Dieu établisse en vous sa demeure, n'ayez qu'une pensée, celle
d'avoir pour vous un esprit, saint, pour le prochain un esprit droit, et pour
celui qui est le prince et le vrai père des esprits, un esprit principal.
8. On peut bien dire en vérité que
c'est un esprit multiple que celui qui se communique aux enfants des hommes de
tant de manières différentes, qu'il n'est personne qui puisse se soustraire à sa
chaleur bienfaisante. En effet, il se communique à nous pour l'usage, pour les
miracles et pour le salut, pour l'aide, pour la consolation et pour la ferveur.
Il se communique d'abord pour l'usage, en donnant aux bons et aux méchants, aux
dignes et aux indignes, avec une grande abondance tous les bien communs de la
vie, tellement que sur ce point il ne semble faire aucune distinction entre les
uns et les autres, aussi faut-il être bien ingrat pour ne pas reconnaître dans
ces biens les dons du Saint-Esprit. Pour le miracle, dans les merveilles, dans
les prodiges et dans les différentes vertus qu'il opère par la main de qui il
lui plaît. C'est lui qui a renouvelé les miracles des anciens temps, afin de
nous faire croire aux merveilles des temps passés, par la vue de celles qui se
produisent de nos jours. Mais comme le pouvoir des miracles est accordé
quelquefois à certains hommes, sans qu'ils s'en servent pour leur propre salut,
le Saint-Esprit se communique en troisième lieu à nous, pour le salut, lorsque
nous nous convertissons au Seigneur notre Dieu de tout notre coeur. Il nous est
donné pour l'aide, lorsqu'il vient au secours dé notre faiblesse dans toutes nos
luttes; mais lorsqu'il rend témoignage à notre esprit, que nous sommes enfants
de Dieu, il vient à nous pour la consolation; il se donne enfin pour la ferveur,
lorsque dirigeant son souffle puissant dans le coeur des saints, il y allume le
violent incendie de l'amour qui fait que nous nous glorifions non seulement dans
l'espérance des enfants de Dieu, mais même dans nos tribulations, recevant les
avanies comme un honneur, les affronts comme une joie, les humiliations enfin
comme une élévation. Nous avons tous reçu le Saint-Esprit pour le salut, si je
ne me trompe, mais je ne pense pas qu'on puisse dire de même que nous l'avons
tous reçu pour la ferveur. En effet, il y en a bien peu qui soient remplis de ce
dernier esprit-là, et bien peu qui cherchent à l'avoir. Satisfaits dans les
entraves où nous nous trouvons, nous ne faisons rien pour respirer en liberté,
rien même pour aspirer à cette liberté. Prions donc, mes frères, que les jours
de la Pentecôte, ces jours de détente et de joie, ces vrais jours de Jubilé
s'accomplissent en nous. Puisse le Saint-Esprit nous retrouver toujours tous
ensemble, unis de corps, unis également de coeur, et rassemblés dans le même
lieu, en vertu de notre promesse de stabilité, à la louange et à la gloire de l'Epoux
de l'Église, Notre-Seigneur Jésus-Christ qui est élevé par dessus tout, étant
Dieu, et béni dans tous les siècles. Ainsi soit-il.
Source :
http://www.abbaye-saint-benoit.ch/
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