SERMONS
SUR LA VIERGE MARIE

SERMON POUR LA NATIVITÉ DE LA BIENHEUREUSE VIERGE MARIE
L'aqueduc.

1. Le ciel jouit. de la présence de la Vierge féconde, la terre en vénère le souvenir, là-haut se trouvent tous les biens, ici-bas n'en subsiste que le souvenir; au ciel la satiété, sur la terre à peine un avant-goût des prémices; là-haut la chose, ici-bas le nom seulement. " Seigneur, dit le Prophète, votre nom est éternel et la mémoire de votre nom passe de race en race (Psal. CI, 13); " de race en race d'hommes sans doute, non point d'anges. Voulez-vous vous convaincre que son nom et son souvenir seul est en nous, et que sa présence est pour les cieux? Le Sauveur vous dit : " Voici comment vous prierez : Notre Père qui êtes dans les cieux, que votre nom soit sanctifié (Matt. VI, 9). " Voilà une prière digne d'un fidèle, son début nous rappelle, en même temps, notre adoption de Dieu et notre pèlerinage sur la terre ; afin que nous sachions bien que, tant que nous ne sommes point au ciel, nous sommes en exil loin de Dieu, et que nous gémissons au dedans de nous-mêmes, en attendant l'effet de l'adoption des enfants, je veux dire le bonheur de jouir de la présence de notre Père (Rom. VIII, 23). C'est donc particulièrement du Christ que parle le Prophète quand il dit : " L'esprit, le Christ Notre-Seigneur est devant notre face; c'est à son ombre que nous vivrons parmi les nations (Thren. VI, 20); " car, au sein de la béatitude de cieux, ce n'est point à son ombre, mais à sa splendeur que l'on vit, selon le mot de l'Apôtre : " C'est au milieu de la splendeur des saints que je vous ai engendré aujourd'hui de mon propre sein (Psal. CIX, 4). " Tel est le langage que tient son Père.

2. Mais sa mère ne l'a point enfanté au sein de la splendeur, elle l'a enfanté à l'ombre, mais à l'ombre dont la couvrit le Très-Haut. C'est donc avec raison que l'Église, non point l'Église des saints qui est maintenant dans les cieux, et dans la splendeur, mais celle qui se trouve actuellement en exil sur la terre, s'écrie " Je me suis assise à l'ombre de celui qui était l'objet de tous mes désirs, et son fruit était doux à mon palais (Cant. II, 3). " Elle s'était, en effet, avancée vers la lumière du midi où l'Epoux fait paître son troupeau, mais elle s'est vue refoulée, et elle n'a plus trouvé que l'ombre au lieu de la lumière, et un simple goût, à la place de la satiété. Elle ne dit pas à l'ombre de celui qui était l'objet de tous nos désirs, mais "Je me suis assise à l'ombre de celui qui faisait l'objet de tous mes désirs. " Elle n'avait point recherché son ombre, mais l'éclat du midi, la pleine lumière de la pleine lumière. "Et son fruit, continue-t-elle, était doux à mon palais. " Jusques à quand diffèrerez-vous de m'épargner, et de me donner quelque relâche, afin que je puisse un peu respirer (Job. VII, 19) ? Jusques à quand sera-t-il dit, " Goûtez et voyez combien le Seigneur est doux ( Psal. XXXIII, 9)? " Oui il est doux au goût, et agréable au palais, et on comprend après cela - que l'Épouse ait éclaté en paroles d'action de grâces et de louange.

3. Mais quand sera-t-il dit : "mangez, mes amis, buvez, enivrez-vous, mes bien-aimés (Cant. V, 1) ? Que les justes se réjouissent, " dit le prophète, " mais en la présence de Dieu (Psal. LXVII, 3), " non point â Gon ombre. Ailleurs, le même prophète dit encore, en parlant de lui "Je serai rassasié quand apparaîtra votre gloire (Psal. XVI, 15), " et le Seigneur, en s'adressant à ses apôtres, dit également : " Pour vous qui ôtes toujours demeurés fermes avec moi dans toutes mes épreuves, je vous prépare le royaume céleste comme mon Père me l'a préparé, afin que vous mangiez et que vous buviez à ma table. " Mais où cela ? " Dans mon royaume (Luc. XXII, 28 à 30), " dit-il. Heureux certainement celui qui mangera son pain dans le royaume de Dieu. Que votre nom soit donc sanctifié, Seigneur, votre nom, dis-je, qui fait que vous êtes parai nous, Seigneur, que vous habitez en nous par la foi, car votre nom a été invoqué sur nous. Que votre règne arrive. Oui, que ce qui est parfait nous arrive, et que ce qui est imparfait soit aboli (I Cor. XIII, 10). L'Apôtre nous dit " le fruit que vous recueillez est pour la sanctification, et la fin sera la vie éternelle (Rom. VI, 22). " La vie éternelle est une source intarissable qui arrose, que dis-je qui arrose ? qui enivre le Paradis tout entier. C'est la fontaine des jardins, et le puits des eaux vives qui coulent avec impétuosité du Liban (Cant. IV, 15), c'est le fleuve qui réjouit la cité de Dieu (Psal. XLV, 5). Mais qu'est-ce que cette fontaine de vie, si ce n'est le Seigneur Jésus ? L'Apôtre nous dit, en effet : " Lorsque le Christ qui est votre vie viendra à paraître, vous apparaîtrez aussi dans la gloire avec lui (Coloss. III, 4). " Sans doute la plénitude s'est faite vide pour être notre justice, notre sanctification, notre rémission; elle cessa de paraître une vie, une gloire, une béatitude. Sa source s'est détournée vers nous, les eaux se sont répandues sur les places publiques, bien que nul étranger ne puisse en boire ( Prov. V, 16). Ce filet d'eau du Ciel est descendu à nous par un aqueduc, il ne prit point l'apparence d'une source abondante, mais, laissant tomber la grâce goutte à goutte dans nos âmes arides, il a donné aux lins plus, aux autres moins. L'aqueduc est rempli par ce filet, et on recevait de sa plénitude, mais ou ne reçoit pas la plénitude elle-même.

4. Vous voyez déjà, si je ne me trompe, de qui je veux parler par cet aqueduc : il a pris au coeur du Père, la plénitude même de la source, et nous l'a donnée ensuite, sinon telle qu'il l'avait reçue, du moins telle que nous pouvions la recevoir. Vous savez bien, en effet, à qui s'adressaient ces paroles : " Je vous salue pleine de grâce. " Faut-il nous étonner qu'on ait pu trouver comment faire un tel et si grand aqueduc? car, à l'exemple de l'échelle que vit le patriarche Jacob (Gen. XXVIII, 12), par le haut il touche aux cieux, que dis-je, il perce les cieux mêmes, et va prendre à sa source cette eau vive, qui se trouve au dessus des cieux. Salomon, frappé d'étonnement, s'écriait avec une sorte de désespoir : " Qui trouvera la femme forte (Prou. XXXI, 10)? " Sans doute, si le courant de la grâce fut si longtemps desséché pour, le genre humain, c'est qu'il n'avait pas encore cet, aqueduc si désirable, dont je vous parle. Et vous, rues frères, vous ne, serez point surpris qu'on l'ait attendu longtemps, si vous vous rappelez combien d'années le saint homme Noé a travaillé à la construction d'une arche où si peu d'âmes, huit seulement, se sauvèrent et encore pour bien peu de temps.

5. Mais comment notre aqueduc a-t-il pu aller prendre une source si élevée? Comment ? par la violence du désir, par la ferveur de la dévotion, par la pureté de la prières, selon ce mot : " La prière du juste pénètre les cieux. " Or qui est ce juste ? si ce n'est Marie, la juste, dont nous est né le Soleil même de justice? Et comment aurait-elle pu atteindre à cette inaccessible majesté, si; ce n'est eu frappant, en demandant et en cherchant ? En effet, n'avait-elle point, trouvé ce qu'elle cherchait quand il lui a été dit : " Vous avez trouvé grâce devant Dieu. " Mais quoi, elle est pleine de grâce et elle trouve encore la grâce ? Elle. était bien digne de trouver ce qu'elle cherchait, puisqu'elle n'était pas satisfaite encore de. la plénitude, et ne pouvait se contenter du bien qu'elle avait, et qui, selon ce mot de l’Écriture : " Celui qui me boit, aura soif encore (Eccli. XXIV, 29), " demande d'être inondée pour contribuer au salut de l'univers. " L'Esprit-Saint, dit l'ange, surviendra en vous," et ce précieux baume coulera en vous avec une telle abondance, et une telle plénitude, qu'il s'épanchera de tous les côtés. C'est, en effet, ce qui est arrivé, ainsi que nous le sentons par nous-mêmes, car notre face est inondée des parfums de la joie, et nous nous écrions maintenant : " Votre nom est une huile parfumée qui se répand (Cant. I, 2), " et votre souvenir passe de génération en génération. Et ce n'est point, en pure perte qu'il en est ainsi, car si cette huile se répand, elle n'est point perdue pour cela; car elle est la cause pour laquelle les jeunes filles, je veux dire nos pauvres petites âmes, aiment l'Époux et l'aiment beaucoup; ses parfums, en descendant de sa tête n'embaument pas sa barbe seulement, mais embaument jusqu'aux franges de ses vêtements.

6. O homme, considère le dessein de Dieu , reconnais le dessein de sa sagesse, le dessein de sa bonté. Avant de répandre la rosée du ciel sur la terre, il la fait tomber tout entière sur la toiture; avant de racheter le genre humain , il en dépose tout le prix en Marie. Pourquoi agit-il ainsi? Peut-être n'est-ce que pour excuser Ève par sa fille, et pour ne plus laisser à (homme un prétexte de, se plaindre désormais de la femme. Ne dis plus maintenant ô Adam : " La femme que vous m'avez donnée m'a présenté du fruit défendu (Gen. III, 12) : " dis plutôt, la femme que vous m'avez donnée m'a nourri d'un fruit béni. C'est là déjà un très pieux mystère ; mais peut-être n'est-ce point tout, peut-être en est-il un autre caché dessous. Celui-là est fondé, mais, si je ne me trompe, il ne suffit pas à vos désirs. Vous y trouverez la douceur du lait, peut-être, en le pressant d'avantage, pourrons-nous en exprimer le beurre. Reprenons donc les choses de plus haut, et voyons avec quels sentiments dé piété et de dévotion celui qui a déposé la plénitude du bien en Marie, veut que nous l'honorions, comme il veut que nous sachions bien que tout, espérance, grâce, salut, tout, dis-je, déborde sur nous de celle qui monte à nos yeux comblée de délices. Elle est un jardin de délices; que le divin Auster, non seulement a caressé de son souffle, en passant , mais qu'il a tout agité, en fondant sur lui d'en haut, afin que ses odeurs parfumées, je veux dire l'onction de ses grâces, s'écoulent et soient emportées au loin. Otez ce soleil qui éclaire le monde , c'en est fait du jour. Enlevez Marie, cette étoile de la mer, mais de notre grande et vaste mer à nous, que reste-t-il , sinon un voile de ténèbres, une ombre de mort, une extrême obscurité.

7. C'est donc du plus intime de nos coeurs, du fond même de nos entrailles et de tous nos voeux que nous devons honorer la vierge Marie, c'est la volonté de celui qui a voulu que tout nous vint par Marie. Oui, c'est ce qu'il a voulu, mais il ne l'a voulu que pour nous, car en toutes choses et de mille manières, elle pourvoit à nos misères, elle nous console dans nos appréhensions , elle excite notre foi, fortifie notre espérance, chasse le désespoir, et relève notre courage. Vous craigniez de vous approcher du père ; effrayé au seul son de sa voix, vous alliez vous cacher sous les feuilles, il vous a donné Jésus pour médiateur. Qu'est-ce qu'un tel fils n'obtiendra point d'un tel père? Il sera donc exaucé, ou égard à la déférence dont il est digne, car le Père aime son Fils. Est-ce que vous craindriez aussi de vous présenter devant le Fils ? Il est votre frère, il est de votre sang, il a passé par toutes vos épreuves, sauf celle du péché, pour apprendre à devenir miséricordieux. C'est Marie qui vous l'a donné pour frère. Mais peut-être est-ce sa majesté divine que vous redoutez en lui, attendu que pour s'être fait homme, il n'en est pas moins demeuré Dieu. Vous voulez avoir un avocat auprès de lui, allez à Marie ; en elle, il n'y a rien que l'humanité toute pure, non seulement toute pure de toute souillure, mais toute pure de tout mélange d'une autre nature. Or, je n'hésite point à le dire, elle aussi sera exaucée à cause de la considération dont elle est digne. Oui, le fils exaucera sa mère, et le Père exaucera son Fils. Mes petits enfants, voilà l'échelle des pécheurs, là est ma plus grande confiance, là se trouvé toute la raison de nos espérances. Et quoi, en effet, ce Fils peut-il faire entendre ou essuyer lui-même un refus? Peut-il se montrer sourd ou ne se point faire écouter. Non, non mille fois. " Vous avez trouvé grâce devant Dieu (Luc. 1, 30), " dit l'ange ; et c'est un bonheur. Toujours elle trouvera grâce, et nous n'avons besoin que de la grâce. Notre Vierge prudente ne demandait point la sagesse comme Salomon, elle ne cherchait ni les richesses ni les honneurs, ni la puissance, elle ne cherchait que la grâce, car il n'y a que la grâce qui nous sauve.

8. Pourquoi désirons-nous autre chose, mes frères? Cherchons la grâce, mais cherchons-la par Marie, attendu qu'elle trouve ce qu'elle cherche, et qu'elle ne peut être frustrée dans ses désirs. Oui, cherchons la grâce, mais la grâce auprès de Dieu, car la grâce qui n'existe qu'aux yeux des hommes est trompeuse. Que d'autres recherchent le mérite, pour nous, mettons tous nos soins à trouver la grâce. Eh quoi, en effet, n'est-ce pas à la grâce que nous devons d'être ici? On ne saurait douter que c'est un effet de la miséricorde de Dieu que nous n'ayons point été consumés. Mais de qui parlé-je ainsi? De nous qui sommes parjures, adultères, homicides et ravisseurs; de nous, enfin, vrais rebuts du monde. Rentrez dans vos consciences, mes frères, et reconnaissez que la grâce a surabondé là où l'iniquité a été abondante. Marie n'a point mis en avant son mérite, mais elle a cherché la grâce. En un mot, elle mit tellement sa confiance dans la grâce, elle eut si peu une haute estime d'elle-même, qu'elle se montra effrayée du salut qu'un ange lui adressa. En effet, l'Évangéliste nous dit : " Marie songeait quelle pouvait être cette salutation. " Elle se regardait comme indigne d'être saluée par un ange, et peut-être se disait-elle en elle-même . D'où me vient cet honneur, qu'un ange du Seigneur vienne à moi ? O Marie, ne craignez rien, ne soyez point étonnée de la visite de cet ange, car il en est un plus grand que lui qui vient aussi à vous. Après tout, pourquoi ne recevriez-vous point la visite d'un ange, puisque vous menez la vie des anges; pourquoi un des anges ne rendrait-il point visite à celle qui partage leur genre de vie? Pourquoi ne saluerait-il point une concitoyenne des saints, une domestique de Dieu? La virginité n'est point autre chose que la vie des anges, car ceux qui n'ont ni femmes, ni maris, seront comme les anges de Dieu.

9. Voyez-vous que c'est ainsi que notre aqueduc monte jusqu'à la source, mais il ne pénètre pas les cieux seulement par la prière, il y entre aussi par l'absence de toute corruption : or la parfaite pureté approche l'homme de Dieu (Sap. VI, 20). " Oui, elle était sainte de corps et d'esprit, ne doutez point qu'en cela il ait rien manqué à cet aqueduc. Il était fort élevé, j'en conviens, mais il n'en était pas moins parfaitement entier. Elle est donc, en même temps, un jardin fermé, une source scellée, le temple du Seigneur, le sanctuaire même du Saint-Esprit, car on ne saurait la prendre pour une vierge folle, puisqu'elle avait non-seulement de l'huile, mais toute l'huile renfermée dans sa lampe. Elle a disposé des degrés dans son coeur, où elle s'élève en même temps, comme je l'ai déjà dit, par son genre de vie, et par la prière. Enfin elle s'en va par les montagnes en toute hâte, salue Élisabeth, à qui elle prodigue ses services pendant trois mois environ, de manière à pouvoir, elle la mère de Dieu, emprunter, en parlant à cette autre mère, le langage que son fils doit, un jour, faire entendre au fils d'Elisabeth, quand il lui dira : " Laissez-moi faire pour cette heure; car c'est ainsi qu'il faut que nous accomplissions toute justice (Matt. III, 15). " On peut bien dire qu'elle s'est, en effet, élevée sur la montagne, cette vierge dont la justice est élevée au dessus des montagnes mêmes de Dieu. La vierge s'élèvera par un troisième degré, c'est comme le triple lien qui se rompt difficilement (Eccli. IV, 12). Si les ardeurs de la charité se faisaient sentir dans sa recherche de la grâce, sa virginité éclatait dans son corps, et son humilité s'élevait dans ses services à Élisabeth, car s'il est vrai que quiconque s'abaisse doit être élevé, que peut-on voir de plus élevé que cette humilité? Élisabeth s'étonnait de voir que Marie vint à elle, et s'écriait : " D'où me vient cet honneur que la mère de mon Seigneur vienne à moi (Luc. I, 43) ? " Mais ce qui doit l'étonner bien davantage, c'est que Marie, ainsi que son fils le fera un jour, soit venue pour servir, non pour être servie. Aussi, est-ce avec raison qu'un chantre divin disait à son sujet, dans son admiration prophétique : " Quelle est cette femme qui monte comme l'aurore à son lever; belle comme la lune, éclatante comme le soleil, et terrible comme une armée rangée en bataille (Cant. VI, 8)? " Elle s'élève, en effet, bien au dessus du genre humain, elle monte jusques aux anges, elle les dépasse même et s'avance plus haut que toute créature. Il faut d'ailleurs qu'elle aille puiser au dessus des anges cette eau vive qu'elle doit répandre sur les hommes.

10. " Comment cela se fera-t-il, dit-elle, car je ne connais point d'homme? " Non seulement cette femme, sainte de corps et d'esprit, avait conservé sa chair vierge, mais elle avait. formé le dessein de la conserver toujours ainsi. L'ange, en lui répondant : " Le Saint-Esprit surviendra en vous, et la vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre, " semble dire, ne m'interrogez point sur ce sujet, il est trop au dessus de moi, et je ne saurais vous répondre. L'Esprit-Saint, non point un esprit angélique, surviendra cri vous, et la vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre, ce n'est pas moi qui ferai cela. Ne vous arrêtez point parmi les anges. vierge sainte, la terre altérée de soif attend de vous, pour se désaltérer, une eau qui vienne de plus haut; à peine les aurez-vous dépassés que votre âme trouvera son bien aimé ; si je dis : vous les aurez à peine dépassés, que. vous le trouverez, ce n'est pas que votre Bien-aimé ne soit à une hauteur infinie au dessus d'eux, mais c'est parce que vous ne trouverez plus aucun être entre eux et lui. Passez donc les vertus, les dominations, les chérubins même et les séraphins, et vous arriverez ensuite à Celui dont ils parlent quand ils se disent les uns aux autres : " Saint, saint, saint est le Seigneur Dieu de Sabaoth (Isa. VI, 3). Le fruit saint qui doit naître de vous sera appelé le Fils de Dieu (Luc. I, 35). " C'est la fontaine de sagesse, le verbe du Père, au plus haut des cieux.. Par votre moyen, ce Verbe se fera chair, et Celui qui dit : " Je suis en mon Père, et mon Père est en moi (Joan. XIV, 10), " dira aussi : " Je suis sorti de Dieu, et je viens de lui. Dans le principe, est-il dit, le Verbe était (Joan. I, 1. " Dès lors, la source avait jailli, mais, jusqu'à présent, elle n'a jailli qu'en elle-même. Enfin " le Verbe était eu Dieu, " où il habitait une. lumière inaccessible, et le Seigneur disait depuis le commencement : " Les pensées que j'ai sont des pensées de paix, non point des pensées d'affliction (Jerem. XIX, 11). " Mais votre pensée est en vous, et nous ne la connaissons point. Qui connaissait, en effet, la pensée de Dieu, et qui était son conseiller? La pensée de paix est donc descendue dans une oeuvre de paix; le Verbe s'est fait chair, et il habite parmi nous. Oui, il habite, en effet, par la foi, dans nos coeurs, il habite dans notre mémoire, il habite dans notre pensée, il est même descendu jusque dans notre imagination. En effet, quelle idée l'homme se faisait-il de Dieu auparavant? Ne se le représentait-il point. dans son coeur sous la forme d'une idole? Il. Il était incompréhensible et inaccessible, invisible et tout à fait insaisissable à la pensée; mais maintenant il a voulu être saisi, vu et pensé. Comment cela, me direz-vous? On le verra placé dans une crèche, couché sur le sein d'une vierge, prêchant sur une montagne, passant des nuits en prière, attaché à la croix, dans les pâleurs de la mort, entre les morts, et commandant aux enfers, puis ressuscitant le troisième jour, montrant à ses apôtres les marques de ses clous, en signe de sa. victoire, et enfin s'élevant, devant eux, au plus haut des cieux. Auquel de ces faits ne peut-on penser avec vérité, avec piété, avec sainteté même? Toutes les fois que je songé à l'un d'eux, c'est à Dieu que je songe, et, dans tous ces faits, il est toujours mon Dieu. Méditer sur ces choses, c'est pour moi la sagesse, en annoncer le souvenir, dont la douceur est comme l'amande du fruit abondant produit par la verge sacerdotale que Marie est allée cueillir dans les hauteurs des cieux, pour le répandre à profusion sur nous, c'est, à nos yeux, de la prudence. Oui, c'est bien au plus haut des cieux qu'elle est allée le prendre, et par delà les anges, quand elle a reçu le Verbe du sein de Dieu même, selon ce qui est écrit : " Le jour l'annonce au jour (Psal. 18, 2). " Or, par ce mot le jour, il faut entendre le Père, puisque le jour du jour signifie le salut de Dieu. Mais ne peut-on entendre aussi la Vierge, par le même mot ? Oui certes, et elle est même un bien beau jour. Oui, elle est un jour ..plein de vives clartés; elle s'avance comme l'aurore à son lever, belle comme la lune, élevée comme le soleil.

12. Considérez donc comment elle s'est élevée jusques aux anges par la plénitude de la grâce, et par delà les anges, par la plénitude du Saint-Esprit qui est survenu en elle. On trouve dans les anges charité, pureté, humilité. Laquelle de ces vertus a fait défaut en Marie? D'ailleurs, je vous en ai parlé tout à l'heure du mieux que j'ai pu; élevons-nous maintenant jusqu'à sa suréminente. Or, à qui, parmi les anges, a-t-il jamais été dit : " L'Esprit-Saint surviendra cri vous, et la vertu du Très-Haut vous couvrira. Voilà pourquoi le fruit saint qui naîtra de vous, sera appelé le Fils de Dieu? " Après tout, c'est de la terre, non des anges que la vérité est née; elle n'a pas fait choix des anges, mais de la race d'Abraham. La grandeur de l'ange, c'est d'être le serviteur du Seigneur; Marie a obtenu quelque chose de bien plus élevé, elle a mérité d'être sa mère. La fécondité de la Vierge fait, donc toute, la suréminence de sa gloire, et, par ce privilège unique, elle s'est trouvée. placée bien plus haut que les anges, d'autant plus haut qu'elle a reçu un nom bien préférable à celui de simples ministres, dans le nom de mère. Voilà la grâce qu'a trouvée celle qui est déjà pleine de grâce, elle a eu le bonheur dans sa fervente charité, dans sa virginité, et dans sa pieuse humilité, de devenir grosse sans connaître l'homme, et mère sans connaître les douleurs de l'enfantement, C'est peu encore, le fruit qui est né d'elle est appelé saint, et est le Fils de Dieu (Luc. I, 35).

13. Après cela, mes frères, nous devons particulièrement veiller à ce que le Verbe de Dieu, qui est sorti de la bouche de son père pour venir à nous, par le moyen de la Vierge, ne s'en retourne point vide, et que, par l'intercession de la même Vierge, nous rendions grâce pour grâce. Célébrons son souvenir tant que nous soupirons après sa présence. Faisons ainsi remonter à leur source les courants de la grâce, afin qu'ils nous reviennent encore plus abondants. Autrement s'ils ne retournent vers leur source, ils se dessécheront, et trouvés infidèles en de moindres grâces, nous ne mériterons point d'en recevoir de plus grandes. Or, c'est bien peu que le simple souvenir dans le présent, c'est peu en comparaison de ce que nous espérons, mais c'est beaucoup par rapport à ce que nous méritons. Oui, le souvenir est bien au dessous du désir, niais il faut avouer qu'il est bien au dessus du mérite. Aussi, est-ce avec sagesse que l'Épouse se félicite beaucoup d'avoir obtenu ce peu. En effet, après avoir dit : " Dites-moi où vous faites paître vos troupeaux, où vous vous reposez durant le midi (Cant. I, 6), " ne recevant que bien peu, en comparaison de ce qu'elle avait demandé, car au lieu du pâturage de midi, elle ne goûte qu'au sacrifice du soir, au lieu d'éclater en murmures ou de se laisser aller à la tristesse, comme cela ne se voit que trop souvent, elle rend grâces à son bien-aimé, et se montre en tout plus dévouée encore qu'auparavant. Elle savait bien que si elle se montrait reconnaissante à l'ombre du simple souvenir, elle obtiendrait certainement la lumière de sa présence. Ne demeurez donc point en silence, ô vous qui vous souvenez du Seigneur, ne restez point muets. Il est certain que ceux qui jouissent de la présence de Dieu n'ont pas besoin d'exhortation, et ces paroles du Prophète, " Jérusalem loue le Seigneur, Sion célèbre les louanges de ton Dieu (Psal. CXLVII, 1), " sont des paroles de félicitation, plutôt que des mots d'exhortation; mais ceux qui vivent encore dans la foi ont besoin qu'on les engage à ne point demeurer muets et à ne pas répondre à Dieu par le silence. Car pour lui, il fait entendre sa voix, il a des paroles de paix sur son peuple, sur ses saints, sur tous ceux qui se convertissent du fond du coeur. Après tout, il est dit : " Vous serez saint, Seigneur, avec les saints, et innocent avec l'innocent (Psal. XVII, 26). " Dieu écoutera donc ceux qui l'écoutent et adressera fa parole à ceux qui lui parlent. Si vous gardez le silence, vous le forcez donc à le garder aussi lui-même. Mais de. quel silence parlé-je? Du silence que gardent ceux qui ne parlent point de sa gloire. Il est dit, en effet. " Ne vous taisez point, et ne demeurez point en silence devant lui, jusqu'à ce qu'il ait affermi Jérusalem et qu'il l'ait rendue un objet de louanges sur la terre (Is. LXII, 7). " Les louanges de Jérusalem sont des louanges aussi douces que belles (Psal. CXLVI, 1). A moins peut-être que nous ne pensions que les anges, qui sont les citoyens de la Jérusalem céleste, s'enivrent les uns les autres de leurs louanges, et se trompent mutuellement dans leurs vains compliments (Psal. LXII, 10).

14. Que votre volonté, ô notre Père, se fasse donc sur la terre comme dans les cieux, pour que Jérusalem soit affermie sur la terre. Mais quoi, l'ange ne désire-t-il point recueillir de la gloire de la bouche de l'ange dans la Jérusalem céleste, et sur la terre l'homme ne brûle-t-il point du désir d'être loué par l'homme? O perversité exécrable ! Que ce soit le partage de ceux qui ne connaissent point Dieu et qui ont oublié le Seigneur, mais pour vous, qui vous souvenez du Seigneur, ne vous taisez point et ne demeurez point en silence devant lui (Is. LXII, 6), jusqu'à ce qu'il ait affermi Jérusalem, et qu'il l'ait rendue parfaite sur la terre. Il y a un silence irrépréhensible, il y en a même un qui est louable, de même qu'il y a des paroles qui sont bonnes. Autrement le Prophète ne dirait pas : " Il est bon d'entendre en silence. le salut de Dieu (Thren. III, 27). " Il est bon que la jactance fasse silence, que le blasphème se taise, que le murmure et la détraction demeurent silencieux. Celui-ci, sous la grandeur de sa tâche et sous le poids du jour, murmure dans son âme, et juge ceux qui sont établis pour veiller à son salut, et qui rendront, compte de son âme. Ce murmure est un cri, et ce cri d'un coeur endurci fait taire. plus que tous les silences possibles, la voix de Dieu qu'elle ne permet plus d'entendre. Celui-là, dans la pusillanimité de son âme, se fatigue d'attendre, sa défaillance est un affreux blasphème, qui ne sera remis ni en cette vie ni en l'autre. Un troisième s'élève dans ses pensées orgueilleuses au dessus de lui (Psal. CXXX, 1), en disant : ma main est puissante (Dent. XXXII, 27), il se croit quelque chose, et n'est rien. Que pourrait lui dire celui qui ne parle que de paix? En effet, il dit, je suis riche, je n'ai besoin de rien; or la vérité a dit : " malheur à vous qui êtes riches, parce que vous avez reçu votre consolation ici bas (Luc. VI, 24), " et encore : " Heureux au contraire ceux qui pleurent, parce qu'ils seront consolés (Matt. V, 5). " Que la voix de la médisance, que celle du blasphème et celle de l'orgueil fassent donc silence en nous, car il est bon d'entendre dans ce triple silence les paroles de salut du Seigneur, et de pouvoir lui dire: " Parlez, mou Dieu, votre serviteur écoute (I Reg. III, 10). " Ces trois voix, en effet, ne s'élèvent point vers Dieu, mais contre Dieu, selon ce que le législateur disait aux murmurateurs : " Ce n'est pas nous, que vos murmures attaquent, c'est le Seigneur (Exod. XVI, 8). "

15. Si vous devez imposer silence à ces trois voix, vous ne devez pourtant point demeurer muets vous-mêmes, et ne parler à Dieu que par le silence. Parlez-lui contre la jactance dans la confession, afin d'obtenir ainsi le pardon du passé. Parlez-lui dans l'action de grâces contre le murmure, afin d'obtenir des grâces plus abondantes en cette vie, Parlez lui, enfin, dans l'oraison contre le découragement, si vous voulez obtenir la gloire dans l'autre monde. Oui, confessez-vous, dis-je, pour le passé, rendez grâces, pour le présent, et priez avec plus de ferveur pour l'avenir, si vous voulez qu'il ne garde point le silence lui-même sur la rémission, sur le pardon et sur la promesse. Non, non, ne demeurez pas muets, vous dis-je, et ne restez point en silence devant lui; parlez-lui, et il vous parlera, et il vous dira : " Mon bien-aimé est à moi, et moi je suis à lui (Cant. II, 16). " C'est là un mot bien agréable, une parole bien douce; on ne peut pas dire que c'est un murmure, à moins que ce ne soit le murmure même de la tourterelle. Ne me dites pas : "Comment pourrions-nous chanter un cantique sur la terre étrangère (Psal. CXXXVI, 5)? " Car on ne saurait appeler ainsi la terre dont l'Époux a dit : " La voix de la tourterelle s'est fait entendre dans notre terre (Cant. II, 12). " Elle l'avait entendu dire . " prenez-nous ces petits renards (Ibidem, 15), " et peut-être, est-ce là ce qui la fit éclater en paroles d'allégresse et s'écrier : " Mon bien-aimé est à moi, et moi je suis tout à lui. " Assurément, c'est bien la voix de la tourterelle que celle qui continue à se faire entendre avec une admirable pureté, auprès de son compagnon, soit vivant, soit mort; et c'est bien la tourterelle qui ne peut se séparer de la charité de Jésus-Christ, ni par la vie ni par la mort. Regardez, en effet, s'il est quelque chose qui puisse éloigner ce bien-aimé de celle qu'il aime, quand on voit qu'il lui demeure encore attaché, même quand elle l'offense et l'abandonne. Des nuages amoncelés allaient offusquer ses rayons, et nos iniquités creusaient un abîme entre Dieu et nous; mais le soleil a pris de la chaleur, et il a fondu toutes nos glaces. Autrement, quand seriez-vous revenu à lui, mon frère, s'il n'était demeuré constamment auprès de vous, et s'il n'avait continué à vous dire : " Revenez, revenez, Sunamite, revenez, revenez, que je vous revoie (Cant. VI, 12)? " Demeurez lui donc, vous aussi, constamment attaché, et que ni les fatigues, ni le fouet même ne vous éloignent de lui.

16. Luttez contre l'ange, et ne faiblissez point; car le royaume des cieux souffre violence, et il n'y a que les violents qui s'en rendent maîtres. N'est-ce point une lutte, " mon bien-aimé est à moi et moi je suis à lui? " Il vous a fait connaître son amour (Matt. XI, 12), il lui reste à recevoir des preuves du vôtre. Le Seigneur votre Dieu, vous soumet à bien des épreuves; souvent il s'éloigne un peu, il détourne son visage, mais ce n'est point dans un mouvement de colère. C'est pour vous éprouver, non pour vous réprouver. Votre bien-aimé vous a attendu avec patience, attendez-le à votre tour, attendez le Seigneur, agissez en homme. Vos péchés ne l'ont point vaincu, que le fouet dont il s'arme, ne vous éloigne pas non plus, et vous finirez par être béni. Mais quand sera-ce ? Au lever de l'aurore, quand le jour commencera à poindre, quand il aura établi fermement Jérusalem dans la gloire sur la terre. " Et un homme, dit l'historien sacré, lutta contre lui jusqu'au matin (Gen. XXXII, 25). " Mais au matin, Seigneur, faites moi entendre un mot de miséricorde, parce que j'ai mis en vous mon espérance. Je ne garderai point le silence, je ne demeurerai pas muet devant vous jusqu'au matin. Fasse le ciel que je ne demeure pas non plus à jeûn. Vous daignez me faire paître, et même au milieu des lis. " Mon bien-aimé est à moi, et moi je suis à lui, parce qu'il se nourrit parmi les lis (Cant. II, 16). " Vous vous rappelez, je pense, que dans le même cantique il est marqué d'une tisanière expresse, que l'apparition des fleurs accompagne le chant des tourterelles {Carat. II, 11). Mais remarquez bien qu'il ne parle que dé l'endroit bû il est, non de la nourriture qu'il y trouve, car il ne dit point ce qu'il mange, il dit seulement au milieu de quelles fleurs il se nourrit. Peut-être ne se nourrit-il point des lis en les mangeant, mais seulement en jouissant de leur entourage car il n'est pas dit qu'il s'en nourrit, mais seulement qu'il se trouve au milieu d'eux. d'est donc le parfum plutôt que le goût des lis qui lui plaît, et s'il s'en nourrit c'est plutôt par la vue que par le goût.

17. Aussi il paît au milieu des lis; jusqu'à ce que le jour commence à poindre, et que la richesse des fruits succède à là beauté des fleurs. Mais, en attendant, comme c'est le temps des fleurs, non celui des fruits, puisque nous ne sommes encore que dans l'attente, non dans la réalité, que nous ne marchons que par la foi, non point encore par une claire vue (Cor. V, 7), et que nous nous félicitons plutôt de l'espérance, que de la possession; considérez combien ces fleurs sont tendres encore, et rappelez-vous l'observation de l'Apôtre : " C'est dans des vases bien fragiles que nous portons notre trésor (II Cor. IV, 7). " A combien de périls, en effet, ne sont point exposées des fleurs ? Avec quelle facilité les épines déchirent la tige des lis ! combien le bien-aimé a-t-il raison de dire : " Mon amie est comme les lis au milieu des épines (Cant. II, 2) ? " N'était-ce pas aussi un lis au milieu des épines celui qui disait " Pour moi je gardais un esprit de paix avec ceux qui haïssaient la paix (Psal. CXIX, 6) ? " D'ailleurs, si le juste germe comme un lis, ce n'est pourtant point de lis que se nourrit l'Époux, et de plus il n'aime point la singularité. Entendez-le parler celui qui demeure au milieu des lis : " En quelque lieu que se trouvent deux ou trois personnes assemblées en mon nom, je m'y trouve au milieu d'elles (Matt. XVIII, 20). " Toujours Jésus a aimé le milieu, toujours le Fils de l'homme, le médiateur entre Dieu et lés hommes, a réprouvé les lieux écartés, les endroits solitaires. " Mon bien-aimé est à moi, et moi je suis à lui, qui paît entre les lis. " Ayons soin de cultiver des lis; mes frères, arrachons les ronces et les épines, et plantons des lis à la place. Peut-être un jour le bien-aimé daignera-t-il descendre chez nous, pour y prendre sa nourriture.

18. Il la trouvait chez Marie, il la trouvait même là en une abondance extraordinaire, eu égard au nombre des lis. Ne sont-ce point des lis, que la gloire de la virginité, que les insignes de l'humilité; que la suréminence de la charité ? Nous pouvons aussi avoir nos lis quoique beaucoup moins beaux, mais quels qu'ils soient, l'Époux ne dédaignera

certainement pas de venir se nourrir au milieu d'eux, si la gaieté de dévotion fait fleurir les actions de grâce, ont je vous ai parlé, si le pureté d'intention blanchit notre prière, et l’indulgence de notre confession, selon ce qui est écrit : " Quand même vos péchés seraient comme l'écarlate, ils deviendraient blancs comme de la neige, et quand ils seraient rouges comme du vermillon, ils seront blancs comme la laine la plus blanche (Isa. I, 18). " D'ailleurs, recommandez à Marie tout ce que vous offrez à Dieu, afin que la grâce retourne à celui qui nous l'a donnée, par le même lit qu'elle a coulé vers nous. Dieu n'était pas hors d'état de nous verser la grâce; sans faire passer par ce conduit, s'il l'avait voulu, mais il a voulu nous donner un moyen de la faire descendre jusqu'à nous. Peut-être vos mains sont-elles pleines de sang, eau gâtées par des présents, parce que vous ne les en avez pas encore complètement débarrassées ; ayez donc soin de lui présenter le peu que vous avez à lui offrir par les mains parfaitement pures, et dignes de Marie, si vous voulez ne point essuyer un refus. Les mains de Marie sont des lis d'une éclatante blancheur, et le Dieu qui aime les lis, ne se plaindra pas que ce que vous aurez placé entre les mains de Marie; ne se trouve point au milieu des lis. Ainsi soit-il.

PURIFICATION
 
 
PREMIER SERMON POUR LE JOUR DE LA PURIFICATION DE LA SAINTE VIERGE MARIE
Des trois miséricordes.

1. Aujourd'hui, une vierge mère porte le Seigneur du temple dans le temple du Seigneur, et Joseph vient offrir à Dieu, non pas son fils à lui Joseph, mais le Fils même de Dieu, en qui le Père a mis toutes ses complaisances. Siméon, le juste, reconnaît celui qu'il attendait, Anne; la veuve, le confesse. Ces quatre personnages sont les premiers qui ont célébré, en ce jour, une procession qui devait ensuite être l'objet d'une fête joyeuse, fête pour tous les peuples de la terre, et dans tous les endroits du monde. Ne vous étonnez point si cette procession fut petite, Celui qui en était l'objet était si petit lui-même! Mais, dans ses rangs, il n'y avait point de place pour un seul pécheur, ceux qui la composaient étaient tous justes, saints et parfaits. Mais Seigneur, ne sauverez-vous que ceux-là? Vous grandirez et votre compassion grandira aussi, et, quand votre miséricorde se sera multipliée, vous ne sauverez pas seulement les hommes, Seigneur Dieu, vous sauverez les animaux même. Dans une seconde procession, le Sauveur marche précédé et suivi de la foule, mais alors ce n'est plus une vierge, c'est un âne qui le porte. Il ne dédaigne donc personne, pas même ceux qui se sont corrompus, comme les animaux qui pourrissent dans leurs propres ordures (Joel. I, 17) ; non, il ne rejette personne, mais à condition qu'on ait les vêtements des apôtres, qu'on soit imbu de leur doctrine; si on est de moeurs pures, si à l'obéissance on joint la charité, qui couvre une multitude de péchés, alors on sera jugé digne de l'honneur de suivre sa procession. Je vais plus loin et je trouve que cette procession même, où il semble n'avoir admis qu'un si petit nombre de personnes, nous est réservée, à nous aussi. Et pourquoi n'aurait-il pas réservé, pour la postérité, cet honneur qu'il a accordé à nos devanciers ?

2. David, le Roi prophète, a désiré avec ardeur de voir ce jour, et il l'a vu, et il en a été comblé de joie (Joan. VIII, 56) ; car s'il ne l'avait point vu, comment aurait-il pu dire dans ses chants: " Nous avons reçu, ô mon Dieu, votre miséricorde au milieu de votre temple (Psal. XLVII, 8). " Cette miséricorde du Seigneur, David l'a reçue, Siméon l'a reçue, nous-mêmes et quiconque est prédestiné à la vie éternelle l'avons reçue; puisque Jésus était hier, est aujourd'hui et sera demain (Hébr. XIII, 8). De plus, ce n'est pas dans un angle, mais au milieu même du temple qu'elle se trouve, attendu qu'il n'y a en Dieu acception de personne. Elle est donc placée en commun, elle est offerte à tous les hommes, et nul n'en est privé que celui qui refuse d'en prendre sa part. Les eaux de votre miséricorde se répandent au dehors, Seigneur mon Dieu, la source ne vous en appartiendra pas moins à vous seul et les étrangers ne pourront y puiser pour en. boire (Prov., 16 et 17). Quiconque est vôtre ne connaîtra point la mort qu'il n'ait vu l'oint du Seigneur auparavant, afin qu'il meure en paix et en sûreté. Et pourquoi ne mourrait-il pas en paix celui qui a l'oint du Seigneur dans son coeur ? N'est-il pas lui-même votre paix, lui qui par la foi habite dans nos âmes ? Mais toi, ô âme malheureuse, toi qui ne connais point Jésus pour t'indiquer la voie, comment pourras-tu sortir de ce monde ? Car il y en a qui ne connaissent point Dieu. D'où cela vient-il ? De ce que la lumière étant venue dans le monde, les hommes ont préféré les ténèbres à la lumière. L'Évangéliste dit en effet : " La lumière luit dans les ténèbres, et les ténèbres ne l'ont point comprise (Joan. 1, 5). " C'est comme s'il avait dit : Les eaux de votre miséricorde se répandent sur les places publiques, mais nul étranger n'en boit; ainsi votre miséricorde est au milieu du temple, mais aucun de ceux qu'attend la damnation éternelle n'en approche. O malheureux hommes, au milieu de vous est Celui que vous ne connaissez pas, et parce que vous mourrez avant d'avoir vu l'oint du Seigneur, vous ne sauriez vous en aller en paix, vous serez, au contraire, entraînés avec violence par des lions rugissants et tout prêts à vous dévorer.

3. " Seigneur Dieu, nous avons reçu votre miséricorde au milieu de votre temple (Psal. XLVII, 10. " Quelle parole de reconnaissance, différente de ce gémissement : " Votre miséricorde, ô mon Dieu, est dans le Ciel, et votre vérité s'élève jusqu'aux nues (Psal. XXXV, 6)! " Eh quoi, en effet, trouvez-vous que la miséricorde était au milieu du temple, lorsqu'elle ne se rencontrait qu'au milieu des seuls esprits célestes ? Mais lorsque le Christ se fut abaissé un peu au dessous des anges, et se fut fait médiateur entre les hommes et Dieu, et que, par son sang; il pacifia et réunit ensemble, comme la pierre angulaire, les choses du Ciel et celles de la terre, on peut dire que c'est alors que nous avons reçu votre miséricorde, ô mon Dieu, au milieu de votre temple. Nous étions auparavant des enfants de colère, mais nous avons obtenu miséricorde. Comment étions-nous enfants de colère, et quelle miséricorde avons-nous reçue ? Nous étions des enfants d'ignorance, de lâcheté et de servitude, et la miséricorde que nous avons reçue est une miséricorde de sagesse, de force et de rédemption. L'ignorance de la première femme que le serpent avait séduite, nous avait aveuglés; la mollesse du premier homme attiré, entraîné par sa propre concupiscence, nous avait énervés ; la malice du démon à laquelle Dieu nous avait justement exposés, nous avait réduits en esclavage. Voilà dans quel état nous venons tous au monde. Aussi, en premier lieu, nous ignorons complètement la voie qui conduit à la sainte cité qui doit être notre séjour; puis, nous sommes si faibles et si lâches, que connussions-nous le chemin qui mène à la vie, nous serions retenus en place et empêchés de le suivre par notre propre lâcheté. Enfin, nous sommes réduits en esclavage par un tyran si mauvais et si cruel, que, quand même nous connaîtrions et pourrions parcourir la voie de la vie, nous en serions empêchés par le poids accablant de notre malheureuse servitude. Ne vous semble-t-il point qu'une pareille misère a besoin d'une compassion, et d'une miséricorde excessives? Mais si nous avons déjà été sauvés de cette triple colère par Jésus-Christ qui nous a été donné (le Dieu son père, pour être notre sagesse, notre justice, notre sanctification et notre rédemption (I Car. I, 30), quelle ne doit pas être notre vigilance, mes frères bien-aimés, pour que notre fin ne devienne pas pire que notre commencement? Dieu nous préserve de ce malheur, parce que nous retomberions dans la colère, et redeviendrions ainsi des enfants de colère, non plus seulement par un effet de notre nature, mais par suite de notre propre volonté !

4. Embrassons donc. la miséricorde que nous avons reçue au milieu du temple, et ne nous éloignons pas plus du temple que la bienheureuse Anne ne s'en éloignait elle-même. " Car le temple de Dieu est saint, mais ce temple n'est autre que vous-même ( I Cor. III, 17), " dit l'Apôtre. Par conséquent, cette miséricorde n'est pas loin de. vous, la parole de Dieu n'est point éloignée de vous, elle est dans votre bouche, dans votre cœur (Rom. X, 8). D'ailleurs, le Christ habite dans vos coeurs par la foi, voilà quel est son temple, quel est son trône; car je ne pense pas que vous ayez oublié ces paroles . " L'âme du juste est le trône de la sagesse (a). " Aussi, s'il est une chose que je veux rappeler souvent à mes frères, que je veux leur rappeler toujours, et que je leur demande aujourd'hui avec instance, c'est que, dans cette chair, nous ne vivions point selon la chair, si nous ne voulons point déplaire à Dieu. Ne soyons pas amis de ce siècle, si nous ne voulons être ennemis de Dieu. Résistons aussi au diable, et il s'éloignera de nous, il nous laissera marcher librement selon l'esprit, et vivre dans notre coeur. Aussi bien, le corps qui se corrompt appesantit, énerve et effémine l'âme, et cette habitation de boue accable l'esprit par la multitude de soins dont elle l'occupe, et l'empêche de s'élever aux choses du ciel (Sap. IX, 15). Voilà pourquoi la sagesse de ce monde est appelée folie auprès de Dieu, et celui qui se laisse vaincre par le malin lui est abandonné en esclavage. Or, c'est dans le cœur que nous recevons la miséricorde, c'est dans le cœur que Jésus-Christ habite, c'est dans le cœur enfin qu'il parle de paix à sort peuple, à ses saints, à ceux, en un mot, qui rentrent dans leur coeur.

DEUXIÈME SERMON POUR LE JOUR DE LA PURIFICATION DE LA SAINTE VIERGE
Ordre de la procession du Christ dans le temple et manière dont elle s'accomplit.

1. Grâces soient rendues à notre Rédempteur qui nous a si généreusement prévenus des douceurs de ses bénédictions, qui a multiplié nos motifs de joie dans les mystères de son enfance. Il y a quelques jours à peine, nous célébrions sa Nativité, sa Circoncision et son Epiphanie, et aujourd'hui se lève encore un jour de fête pour nous, celui de sa Présentation au temple. En effet, c'est aujourd'hui qu'on offre au Créateur le fruit sublime de la terre, aujourd'hui que, par les mains d'une Vierge, est présentée à Dieu, dans son temple, une hostie de propitiation, une victime agréable; 'aujourd'hui qu'elle est portée par ses parents, et attendue par des vieillards. Aujourd'hui, en effet, Marie et Joseph viennent offrir un sacrifice de louanges, un vrai sacrifice matinal; Siméon et Anne le reçoivent. Voilà les quatre personnes qui ont fait la procession qui est aujourd'hui rappelée à notre souvenir, comme un jour de fête, sous les quatre vents du ciel. Comme nous devons, nous aussi, faire aujourd'hui cette procession avec un appareil de fête inaccoutumé a dans nos autres solennités; il ne me semble pas hors de propos de vous faire remarquer en quel ordre et de quelle manière elle se passe. Nous avançons deux à deux, tenant à la main un cierge allumé, mais allumé à un feu consacré d'abord à l'Eglise par la bénédiction du prêtre, non à un feu ordinaire. De plus, dans cette procession, les derniers sont les premiers, et les premiers sont les derniers, et, en parcourant les voies du Seigneur, nous célébrons dans nos chants la grandeur de sa gloire.

2. Ce n'est pas sans raison que nous nous avançons deux à deux. Nous voyons, en effet, dans l'Évangile (Luc. X, 1) que c'est ainsi que le Sauveur envoya ses disciples pour nous faire estimer la charité fraternelle et la vie commune. Celui qui voudrait marcher seul à son rang dans cette procession, en troublerait l'ordre, se nuirait à lui-même dans sa solitude, et gênerait en même temps les autres, ceux qui se mettent ainsi à l'écart sont des hommes charnels qui n'ont point l'esprit de Dieu (Jud. 19), et qui n'ont aucun souci de conserver l'unité d'un même esprit par le lien de la paix (Ephes. IV, 3). Mais, s'il n'est pas bon que l'homme soit seul, il ne faut pas non plus qu'il se présente à Dieu les mains vides. (Exod. XXIII, 15), car si on reproche à ceux mêmes qui n'ont point trouvé de maître pour les employer (Matt. XX, 6), de demeurer à ne rien faire, à combien plus forte raison ceux qui sont loués mériteront-ils d'être blâmés s'ils ne font rien? "La foi sans les oeuvres n'est-elle pas une foi morte (Jacob. II, 26) ? " Nous devons donc accomplir les oeuvres que nous avons à faire, avec ferveur, et dans tous les désirs de notre âme, si nous voulons avoir des lampes ardentes dans nos mains, autrement craignons, si nous sommes tièdes, de causer des nausées à Celui qui s'exprime ainsi dans son Evangile : " Je suis venu apporter le feu sur la terre, et que désiré-je, sinon qu'il s'allume (Luc. XII, 49) ? " Il est bien certainement lui-même le feu béni, le feu sacré que le Père a sanctifié et envoyé dans le monde, et qui est l'objet de nos bénédictions dans nos Eglises, selon ce mot du Psalmiste : " Bénissez le Seigneur dans vos églises, c'est-à-dire dans vos assemblées, (Psal. LVIII, 27). " Notre ennemi a aussi, car c'est un pervers imitateur des oeuvres de Dieu, notre ennemi, dis-je, a aussi son feu à lui, c'est le feu de la concupiscence de la chair, le feu de l'envie et de l'ambition, ce feu que le Sauveur n'est certes pas venu allumer, mais éteindre sur la terre. Si jamais quelqu'un ose se servir de ce feu étranger dans le sacrifice qu'il offre à Dieu, il périra dans son iniquité, eût-il Aaron même pour auteur de sa race.

3. Mais c'est peu de ce que nous avons dit de la vie commune, de la charité fraternelle, des bonnes oeuvres, et de la sainte ferveur, la vertu de l'humilité est plus grande encore, et nous est bien nécessaire aussi pour que nous nous prévenions les uns les autres par des témoignages de déférence et d'honneur (Rom. XII, 10), et que chacun de nous donne le pas sur lui non-seulement à ceux qui sont placés avant lui, mais à ceux qui sont plus jeunes que lui, car c'est en cela que consiste la perfection de l'humilité et la plénitude de la justice. Puis, comme Dieu aime celui qui donne le coeur gai (II Cor. IX, 7), et que le fruit de la charité est la joie dans le Saint-Esprit, chantons, comme il est dit, dans les voies du Seigneur, et célébrons la grandeur de sa gloire ; faisons entendre au Seigneur un cantique nouveau, parce qu'il a fait des merveilles. Dans tout cela, s'il s'en trouve par hasard un seul quine veuille point avancer, et qui ne cherche point à marcher de vertu en vertu, il faut qu'il sache, quel qu'il soit, qu'il est en station, non en procession; que dis-je, il recule au lieu de stationner, car dans le chemin de la vie, ne point avancer c'est reculer, puisque rien n'y demeure constamment dans le même état. Or, votre avancement à vous, mes frères, consiste, comme je vous l'ai dit bien souvent, à être convaincus que nous n'avons point encore atteint le but, à marcher sans cesse en avant, à tendre constamment vers quelque chose de mieux, et à mettre toujours nos imperfections sous les yeux de la miséricorde divine.

TROISIÈME SERMON POUR LE JOUR DE LA PURIFICATION DE LA SAINTE VIERGE
L'enfant Jésus, Marie et Joseph.

1. Nous. célébrons aujourd'hui la purification de la Sainte Vierge qui eut lieu, selon la loi de Moïse (Levit. XII, 2) quarante jours après la naissance du Seigneur. D'après la loi, toute femme qui, devenue grosse des oeuvres d'un homme, avait mis un fils au monde, était impure l'espace de sept jours, son enfant devait être circoncis le huitième; à partir de ce jour, toute entière au soin de se laver et de se purifier, elle devait se tenir un mois entier éloignée 'du temple, après quoi elle allait offrir son fils au Seigneur avec des présents. Mais qui ne comprend que, par les premiers mots de cette loi, la mère du Seigneur se trouvait exemptée de s'y soumettre? En effet, ne pensez-vous pas que Moïse eut peur en disant simplement, toute femme qui mettra un fils au monde, sera impure, de passer pour blasphémer contre la mère du Seigneur, et que c'est pour cela qu'il ajoute ces mots : "Toute femme devenue grosse des oeuvres d'un homme? " S'il n'avait pas prévu qu'une vierge concevrait un jour sans le secours de l'homme, pourquoi aurait il parlé de celles qui conçoivent par ce moyen ? Il est donc évident que la loi de Moïse ne regardait pas la sainte Vierge, car elle n'a pas mis au monde un fils conçu par l'opération d'un homme, ainsi d'ailleurs que Jérémie l'avait annoncé en disant : " Le Seigneur doit faire un nouveau prodige sur la terre (Jorem. XXXI, 22). " Vous me demandez de quel nouveau prodige il veut parler? Le voici " Une femme enceindra, un homme. " Elle ne recevra pas dans son sein un homme par l'opération d'un autre homme, elle ne recevra pas un fils selon les lois de la nature, mais elle renfermera un homme dans son sein demeuré intact et vierge, si bien que, soit en entrant, soit en sortant, selon le mot d'un autre prophète (Ezech. XLIV, 2), le Seigneur laissera la porte de l'Orient constamment close.

2. Ne vous semble-t-il point, par conséquent, que Marie aurait pu protester dans son coeur et s'écrier : Qu'ai-je besoin de purification? Pourquoi m'abstiendrais-je d'aller au temple, moi dont le sein que l'homme n'a point touché, est devenu le temple du Saint-Esprit ? Pourquoi enfin, ne pourrais-je entrer au temple du Seigneur même du temple ? Dans cette conception, dans cet enfantement, il n'y eut rien, absolument rien d'impur, car le fruit de mes entrailles est là source même de la pureté, et n'est venu que pour laver la souillures des péchés. Qu'est-ce que la purification légale purifiera en moi, qui suis devenue parfaitement pure par mon enfantement immaculé ? C'est vrai, ô Vierge bienheureuse, oui il n'y a pour vous aucun motif de vous purifier, nul besoin de purification. Mais votre fils avait-il besoin d'être circoncis ? Soyez donc parmi les femmes comme l'une d'entre elles, puisque votre Fils a été comme l'un d'entre nos enfants. Il a voulu être circoncis, pourquoi ne voudrait-il pas plus encore être offert? Offrez donc votre fils, Vierge consacrée, et présentez au Seigneur le fruit béni de votre ventre; oui, offrez pour notre réconciliation à tous, cette hostie Sainte et agréable à Dieu. Certainement Dieu le Père aura pour agréable cette victime nouvelle, cette hostie infiniment précieuse dont il a dit lui-même: "celui-ci est mou Fils bien aimé, en qui j'ai mis toute mes complaisances (Matt. III, 17). " Mais il me semble, mes frères, que cette offrande est bien douce, car on se contente de le présenter au Seigneur, puis on le rachète pour quelques oiseaux et on le remporte. Un jour viendra où il ne sera point racheté par un sang étranger, mais où il cachettera les autres par son propre sang, car son Père l'a envoyé pour être la rédemption de son peuple. Cette seconde oblation sera celle du sacrifice du soir, celle d'aujourd'hui est l'offrande du sacrifice du matin, celle-ci est plus douce, celle-la sera plus complète. L'une se fait aux premiers jours de sa vie, l'autre se trouve dans la plénitude de l'âge, mais dans l'un et l'autre cas on peut dire avec le Prophète . " Il a été offert parce qu'il l'a bien voulu (Isa. LIII, 7). " En effet, il est offert aujourd'hui, non parce qu'il avait besoin de l'être, non parce que la loi l'atteignait, mais uniquement parce qu'il l'a bien voulu; et sur la croix, il n'en fut pas moins offert également parce qu'il l'a bien voulu encore, non pas parce qu'il avait mérité de l'être, ou parce que le Juif avait le moindre pouvoir sur lui. Aussi, je vous offrirai volontiers mon sacrifice, Seigneur, parce que vous vous êtes vous-même offert volontairement pour mon salut, non point pour votre propre nécessité.

3. Mais qu'offrons-nous à Dieu, mes frères, et que lui rendons-nous pour tous les biens qu'ils nous a donnés? Pour nous, il a offert l'hostie la p,us précieuse qu'il y ait, et même il n'aurait pu en trouver de plus précieuse que celle-là; faisons donc aussi de notre côté tout ce que nous pouvons, offrons-lui ce que nous avons de meilleur, offrons-lui tout ce que nous sommes. Il s'est offert : qui êtes-vous donc, mon frère, pour hésiter à vous offrir de même ? Ah, qui me fera la grâce de voir mon offrande acceptée d'une si grande Majesté ? Seigneur, je n'ai que deux choses, mon corps et mon âme, elles sont de bien peu de valeur, plaise au ciel que je puisse vous les offrir, parfaitement, en sacrifice de louange ! Car, s'il est quelque chose de bon, de glorieux, d'avantageux pour moi, c'est bien que je vous sois offert, plutôt que de nie voir laissé par vous à moi-même. Abandonnée à elle-même, mon âme est dans le trouble, mais, en vous, Seigneur, si elle vous est véritablement offerte, elle est au comble du bonheur. Mes frères, au Seigneur qui devait être immolé un jour, le Juif n'offrait que des victimes immolées, mais aujourd'hui, dit le Seigneur, " je suis vivant, et je ne veux point la mort du pécheur, je veux plutôt qu'il se convertisse et qu'il vive (Ezech. XXXIII, 11). " Le Seigneur ne veut donc point ma. mort, et ce ne serait qu'à regret que je lui offrirais ma vie? C'est là pourtant une hostie propitiatoire, agréable à Dieu et vivante. Mais dans l'offrande du Seigneur, nous trouvons trois choses, de même le Seigneur veut rencontrer trois choses aussi dans les nôtres. Ainsi, à la présentation de Jésus, se trouvait Joseph, l'époux de la mère du Seigneur, celui dont Jésus passait pour être le fils ; il y avait aussi la Vierge mère, et enfin on y voyait l'enfant Jésus lui-même qu'ils venaient offrir. Qu'il y ait ainsi dans notre offrande une constance virile, une chair continente, et une humble conscience. Oui, qu'on y retrouve la résolution virile de persévérer dans l'état que nous avons embrassé, une chasteté virginale dans la continence, et dans notre conscience, une simplicité et une humilité d'enfant. Ainsi soit-il.

ANNONCIATION
 
 
PREMIER SERMON POUR L'ANNONCIATION DE LA SAINTE VIERGE MARIE
Sur ces paroles de psaume LXXXIV, verset 10 : " Pour que la gloire habitât sur notre terre. "

1. " Pour que la gloire habitât sur notre terre, la miséricorde et la vérité se sont rencontrées, la justice et la paix se sont donné un baiser (Psal. LXXXIV, 10 et 11). " Or, " notre gloire à nous, dit l'Apôtre, c'est le témoignage de notre conscience (II Cor. I, 12) ;" non point celui que se rendait l'orgueilleux Pharisien et qu'il puisait dans une conscience séduite et séductrice, car ce témoignage n'était point exact, mais le témoignage que le Saint-Esprit rend au nôtre. Or ce témoignage est de trois sortes. D'abord nous devons croire, avant tout, que nous ne pouvons obtenir la rémission de nos péchés que par la. grâce de Dieu; ensuite que nous ne pouvons faire une seule bonne oeuvre sans le secours de cette même grâce, et enfin que nous ne saurions mériter la vie éternelle par aucune œuvre, si Dieu ne nous l'accordait gratuitement. En effet, qui est-ce qui peut rendre pur l'homme conçu d'un germe impur, si ce n'est celui qui seul est pur (Job. XIV, 4) ? Certainement ce qui est fait ne peut pas ne pas être fait, mais s'il ne vous l'impute point ce sera comme si ce n'était pas; c'est ce qui faisait dire au Prophète : " Heureux l'homme à qui le Seigneur n'a point imputé le péché (Psal. XXXI, 2). " Quant aux bonnes oeuvres, il est hors de doute que personne n'en fait de soi-même. En effet, si l'humanité avant sa chute n'a pu se maintenir, à combien plus forte raison ne pourrait-elle se relever elle-même, maintenant qu'elle est tombée? Il est certain que toutes choses tendent, par elles-mêmes, à revenir à leur point de départ, et que c'est de ce côté qu'est leur pente naturelle. Ainsi en est-il de nous, qui, tirés du néant, ne cessons de tendre, la chose est évidente, vers le péché, qui n'est, après tout, que le néant.

2. Pour ce qui est de la vie éternelle, nous savons que tout ce qu'on peut souffrir eu cette vie ne saurait nous rendre dignes d'en obtenir la gloire, pas même si un homme endurait à lui seul toutes les souffrances à la fois. Car nos mérites ne sont pas tels que la vie éternelle leur soit due, à la rigueur, et que Dieu fût injuste, en quoi que ce soit, s'il ne nous l'accordait point. Car, sans m'arrêter à cette pensée que tous nos mérites sont des dons de Dieu, et que, par conséquent, ces mérites même nous rendent débiteurs de Dieu, au lieu de faire de Dieu notre débiteur, qu'est-ce, après tout, que tous nos mérites, en comparaison d'une si grande gloire? D'ailleurs, où trouver un homme meilleur que le Prophète, à qui Dieu a rendu ce témoignage insigne : " J'ai trouvé un homme selon mon cœur (I Reg. XIII, 14, et Act. 22) ? " Or cet homme-là s'est trouvé dans la nécessité de dire à Dieu : " Seigneur, n'entrez point en jugement avec votre serviteur (Psal. CXLII, 2). " Que personne donc ne se fasse illusion, car, s'il veut y réfléchir, il trouvera certainement qu'il ne saurait se présenter avec dix mille mérites devant celui qui vient à lui avec vingt mille (Luc. XIV, 31).

3. Mais ce dont je viens de parler ne suffit pas encore entièrement, il faut même le regarder plutôt comme le principe et le fondement de la foi. Si donc vous êtes convaincu que vos péchés ne peuvent être effacés que par Celui envers qui vous avez péché, mais en qui le péché n'a point de prise, vous avez raison; mais il faut encore que vous teniez pour certain que c'est par lui aussi que vos péchés vous sont pardonnés. Eu effet, d'après l'Apôtre, l'homme est justifié gratuitement par la foi (Rom. III, 28). Mais j'en dis autant des mérites : si vous pensez qu'on ne peut les acquérir que par lui, c'est bien, mais cela ne suffit pas, tant que l'Esprit de vérité ne vous rend pas témoignage que vous en avez obtenu par lui. Enfin, pour ce qui est de la vie éternelle, il vous faut encore le témoignage du Saint-Esprit, que vous ne pouvez de même y parvenir que par la grâce de Dieu. Car il n'y a que lui qui nous donne des mérites, et lui encore qui nous en récompense.

4. Or, vos témoignages, Seigneur, sont extrêmement dignes de confiance. En effet, pour la rémission des péchés, j'ai un argument sans réplique dans la passion de Notre-Seigneur. La voix de son sang a plus de force évidemment que celle du sang d'Abel, lorsqu'elle crie, dans le coeur des élus, la rémission des péchés. " Il a été livré, en effet, à cause de nos péchés (Rom. IV, 25); " je ne saurais clouter que sa mort soit plus efficace pour le bien que tous nos péchés pour le mal. Quant aux bonnes oeuvres, je trouve également un argument irrécusable dans sa résurrection, attendu qu'il " est ressuscité pour notre justification (Ibidem), " et pour ce qui concerne l'espoir de la récompense, nous le trouvons dans sa résurrection, car il est monté aux cieux pour notre glorification. Nous retrouvons ces trois choses dans les psaumes, quand le Prophète s'écrie : " Heureux l'homme à qui Dieu n'a point imputé le péché (Psal. XXXI, 2), " et ailleurs, " Heureux celui qui trouve son secours en vous, Seigneur (Psal. LXXXIII, 6), " et encore : " Heureux celui que vous avez choisi et enlevé, il habitera dans vos parvis (Psal. LXIV, 8). " Or la vraie gloire, la gloire qui habite en nous, est celle qui nous vient de Celui qui habite dans nos tueurs par la foi. Mais les enfants d'Adam, en recherchant la gloire qu'ils peuvent se donner les uns aux autres, rie voulaient point avoir la gloire qui ne vient que de Dieu et voilà comment, en n'ambitionnant que la gloire qui vient du dehors, la gloire qu'ils avaient, ils l'avaient plutôt dans les autres qu'eu eux.

5. Voulez-vous savoir d'où vient à l'homme la gloire qui se trouve en lui? Je vous le dirai en peu de mots, car la pensée, en moi, a hâte d'arriver au suris mystique, attendu que je n'avais que lui particulièrement en vue dans les paroles du Prophète que j'ai citées; mais les paroles de l'Apôtre, sur la gloire intérieure et le témoignage de la conscience, qui se sont tout de suite présentées à ma pensée, m'ont détourné vers le sens moral. Ainsi donc on peut dire que la gloire véritable dont j'ai parlé tout à l'heure, se rencontre même sur cette terre, si la miséricorde et la vérité se sont rencontrées et si la paix et la justice se sont donné le baiser. Il est nécessaire que la vérité de notre confession courre au devant de la miséricorde qui la prévient, et qu'ensuite nous embrassions la justice et la paix, sans quoi on ne saurait jouir de la vue de Dieu. Dès que la componction pénètre dans une âme, elle y est prévenue par la miséricorde, mais elle n'y entrera jamais si la vérité de la confession ne court au devant d'elle. " J'ai péché contre le Seigneur (II Reg. XII, 13), " s'écrie David, en parlant au prophète Nathan, qui était venu lui reprocher son adultère et sou homicide, et aussitôt le Prophète lui répond : " Le Seigneur a ôté votre péché de votre âme. " Il est clair que la miséricorde et la vérité venaient de se rencontrer. Tout cela soit dit pour nous tirer du mal; mais, pour faire le bien, il nous faut chanter en choeur, au son du tambourin, c'est-à-dire il nous faut mener de front, et dans un parfait accord, la mortification de la chair, les fruits de pénitence, et les oeuvres de justice, attendu que l'unité de l'esprit est le lien de la perfection, et ne nous écarter ni à droite ni à gauche, car il y en a dont la droite est une droite inique, comme il est arrivé pour ce Pharisien dont nous avons parlé plus haut et qui n'était pas comme le reste des hommes (Luc. XVIII, 1). Il se rendait témoignage à lui-même, comme je l'ai dit, mais son témoignage n'était pas vrai. Mais quel que soit celui en qui la miséricorde et la vérité se sont rencontrées, en même temps que la justice et la paie se sont embrassées, il peut se glorifier en toute sécurité, pourvu toutefois qu'il ne se glorifie qu'en celui qui se rend témoignage à lui-même dans l'esprit de vérité.

6. " Pour que la gloire habitât sur notre terre, la miséricorde et la vérité se sont rencontrées, la justice et la paisse sont donné un baiser." Si un fils sage est la gloire de son père, comme il n'y a personne de plus sage que la Sagesse même, il est clair que la gloire de Dieu le Père est Jésus-Christ, la vertu, la sagesse de Dieu. Et comme il avait été prédit dans les prophéties, en diverses occasions, et de diverses manières, qu'il serait vu sur la terre et qu'il vivrait au milieu des hommes (Hebr. I, 1) le Psalmiste nous apprend comment cela s'est fait, et comment se sont accomplies les paroles des prophètes, pour que la gloire ait habité sur notre terre. C'est comme s'il nous avait dit en propres termes : Pour que la vertu se fît chair et habitât parmi nous " la miséricorde et la vérité se sont rencontrées, la justice et la paix se sont donné un baiser (Psal. LXXXIV, 11). " 11 y a là un grand mystère, mes frères, et bien digne d'être approfondi, si l'intelligence ne nous manquait pour le sonder, et si les expressions ne nous faisaient défaut pour rendre ce que nous aurions compris. J'essaierai pourtant de dire du mieux qu'il me sera possible ce que je sens; peut-être donnerai-je par là au sage l'occasion d'acquérir plus de sagesse. Il me semble, mes frères bien-aimés, que je vois l'homme au sortir des mains du Créateur, orné de quatre vertus, et, si je puis parler le langage du Prophète, revêtu des vêtements du salut (Isa. LXI, 10), car le salut n'est autre part qu'en elles, et ne peut subsister sans elles, d'autant plus que l'une d'elles sans les autres ne saurait même être une vertu. L'homme avait donc reçu la miséricorde comme gardienne et comme suivante, pour marcher devant ses pas et venir après lui, pour le protéger et le conserver partout. Vous voyez quelle nourrice Dieu a procurée à son jeune entant, et quelle suivante il a donnée à l'homme à peine sorti de ses mains, Mais il lui fallait de plus un maître, comme il convient à une créature noble et raisonnable, afin qu'il ne fût point gardé comme on garde le bétail, mais élevé comme un enfant; doit l'être. Or, pour cet emploi nul précepteur plus capable ne pouvait. se trouver que la vérité même qui devait le conduire un jour à la connaissance parfaite de la Vérité suprême. Après cela, pour qu'il ne se trouvât point savant pour le mal et qu'il ne commit pas la faute de ne point faire le bien qu'il sait être bien, il lui fat donné la justice pour guide. La main pleine de bonté du Créateur ajouta une quatrième vertu aux trois autres, la paix pour le bercer et le charmer; mais une paix double qui ne laissât subsister ni combats au dehors, ni craintes au dedans, une paix, dis-je, qui ne permît point à la chair de désirer contre l'esprit, ni à quelque créature que ce fût de lui inspirer de la crainte. Aussi est-ce lui qui donna librement leur nom à tous les animaux, et le serpent lui-même n'osa point l'attaquer ouvertement, il dut recourir à la ruse. Que manquait-t-il à celui qui avait la miséricorde pour garde, la vérité pour maîtresse, la justice pour guide et la paix pour berceuse ?

7. Mais hélas ! pour son malheur et dans sa folie cet homme descendit de Jérusalem à Jéricho, et il tomba au milieu des voleurs, qui commencèrent par le dépouiller de tout (Luc. X, 30). Ne vous semble-t-il point assez dépouillé, cet homme qui se plaint d'être nu quand le Seigneur vient à lui ? Il n'aurait jamais pu se revêtir, ni recouvrer les vêtements qui lui avaient été enlevés, si le Christ n'avait pas été dépouillé des siens; car, de même que son âme n'aurait pu recouvrer la vie sans la mort corporelle du Christ, ainsi ne pouvait-elle reprendre ses vêtements si le Christ n'eût été dépouillé des siens. Peut-être même, est-ce à cause des quatre parties dont se composait le vêtement qu’avait perdu le premier, le vieil homme, que ceux du second, de l'homme nouveau, ont été divisés en quatre parts. Vous voulez savoir sans doute ce que représente sa tunique sans couture dont le sort décida : selon moi, elle est l'image divine qui n'a point été cousue à la nature humaine, mais qui fut placée et comme imprimée en elle, et qu'on ne peut ni partager ni déchirer. En effet, l'homme a été créé à l'image et ressemblance de Dieu, à son image, dis-je, par le libre arbitre, et à sa ressemblance par les autres vertus. Quant à la ressemblance, elle disparut tout à fait, mais l'image dure autant que l'homme, En effet, elle peut être brûlée même dans l'enfer, mais non point consumée ; elle peut rougir au feu, mais jamais s'effacer. Voilà donc la tunique qui n'a point été déchirée, et qui fut tirée au sort. En quelque lieu que l'âme se trouve, elle se trouvera avec elle. Quant à la ressemblance, il n'en est pas de même, elle se conserve dans l'homme de bien, et s'il . pèche elle s'altère misérablement, pour ne plus laisser à l'homme que la ressemblance avec les animaux sans raison.

8. J'ai dit que l'homme s'est vu dépouillé de ses quatre vertus, il me reste à vous montrer à présent comment chacune d'elles lui fut. enlevée. Il perdit la justice à l'instant où Ève obéit à la voix du serpent, et Adam à la voix d'Ève, plutôt qu'à celle de Dieu. Il leur restait pourtant un moyen qu'ils pouvaient prendre, et que le Seigneur leur suggérait, par l'interrogatoire même auquel il les soumit ; mais ils le laissèrent échapper, en se laissant aller à des paroles de malice, et eu cherchant des excuses à leur péché; car la justice se compose de deux éléments, d'abord, ne point pécher, et, en second lieu, détruire le péché par la pénitence. Pour la miséricorde, Ève la perdit au moment où elle céda à la concupiscence avec tant d'ardeur que, s'oubliant elle-même, oubliant son mari et les enfants qui devaient naître d'elle un jour, elle les voua tous avec elle à une terrible malédiction et à la mort. Adam la perdit de son côté, quand il offrit à la colère de Dieu la femme pour laquelle il avait péché, comme s'il eût voulu s'abriter derrière elle, contre sa flèche vengeresse. " La femme vit donc que le fruit de l'arbre était beau à l'oeil et doux au goût (Gen. III, 6), " et le serpent lui avait dit qu'ils seraient comme des Dieux. Il y avait là pour elle un triple réseau difficile à rompre, le réseau de la curiosité, du plaisir et de la vanité. Pour le monde, tout est là, concupiscence de la chair et des yeux, orgueil de la vie. Attirée, emportée par cette triple concupiscence (Jacob. I, 44), notre cruelle mère dépouilla tout sentiment de miséricorde. De même. Adam, qui avait eu la miséricordieuse faiblesse de pécher pour sa femme, n'eut pas la bonne miséricorde de prendre sa faute sur lui. Quant à la vérité, Ève s'en trouva dépouillée dès l'instant où, changeant d'une manière coupable les paroles qu'elle avait entendues : " Tu mourras de mort, " elle dit : " De peur que peut-être nous ne mourrions, " et lorsqu'elle ajouta foi aux discours du serpent qui niait hardiment qu'il dût en être ainsi, et qui disait " Non, non, vous ne mourrez point (Gen. III, 4). " Adam se vit également dépouillé de la vérité quand il rougit de la confesser, et mit en avant les feuilles dont il se couvrait, je me trompe, dont il couvrait ses excuses. En effet, c'est elle, cette Vérité qui a dit : " Je rougirai devant mon Père de quiconque aura rougi de moi devant les hommes (Luc. IX, 26). " Enfin, ils perdirent la paix, attendu qu'il n'y a point de paix pour les impies, dit le Seigneur. En effet, n'ont-ils point trouvé dans leurs membres une loi d'opposition, quand ils commencèrent à rougir de leur nudité ? " J'ai craint, dit Adam, parce que je me voyais nu (Gen. III, 10). " Ah ! malheureux Adam, tu 'ne craignais pas ainsi auparavant, tu ne cherchais point des feuilles pour te couvrir, quoique tu fusses nu comme tu l'es maintenant.

9. A partir de ce moment-là, je crois, pour en revenir à la parabole du Prophète, qui nous montre les vertus allant au-devant les unes des autres, et se mettant enfin d'accord d'ans un baiser de paix, après cela, dis-je, il me semble qu'il s'éleva une sorte de lutte terrible entre les vertus. La vérité et la justice accablaient le malheureux Adam, mais la paix et la miséricorde, moins ardentes que les deux autres, étaient d'avis qu'il fallait l'épargner. ; car ces deux vertus sont soeurs de lait comme le sont aussi les deux premières entre elles. De là vient que les unes persévérèrent dans les pensées de la vengeance, et, frappant chacune de son côté le prévaricateur Adam qu'elles menaçaient des supplices de l'autre vie, en même temps qu'elles l'accablaient de maux présents, les deux autres remontèrent dans le coeur du Père et revinrent au Seigneur qui les avait données à l'homme. Aussi n'y avait-il que lui qui eût des pensées de paix quand tout paraissait plein d'affliction. En effet, la paix ne se tenait point en repos, la miséricorde ne gardait point le silence, mais, s'adressant l'une et l'autre à Dieu, elles s'efforçaient d'émouvoir ses entrailles paternelles par leurs douces paroles. Elles lui disaient: " Dieu nous repoussera-t-il donc toujours, et ne voudra-t-il plus jamais se montrer un peu plus favorable ? Oubliera-t-il sa bonté compatissante , et son courroux arrêtera-t-il le :meurs de ses miséricordes (Psal. LXXVI, 7 et 9) ? " Aussi bien que le Père des miséricordes parut longtemps ne point s'apercevoir de leurs discours, pour n'écouter d'abord que le zèle de la justice et de la vérité, pourtant les prières des deux autres ne furent point vaines, et elles finirent par être exaucées en leur temps.

10. Peut-être peut-on supposer qu'à leurs instances il fut répondu .en ces termes ou en des termes semblables : " Jusques à quand me prierez-vous ? Je dois écouter aussi vos lieux, soeurs, la Justice et la Vérité, que vous voyez à l'oeuvre de la vengeance parmi les hommes ; qu’on les appelle, qu'on les fasse venir, et tenons conseil ensemble sur le sujet qui nous occupe. Aussitôt les messagers célestes partent en diligence, mais en voyant la misère des hommes et les maux cruels dont ils souffrent, " ces,anges de la paix se mirent à verser des larmes amères (Isa. XXXIII, 7), " s'il faut en croire, le Prophète. Au fait, qui est-ce qui rechercherait avec plus,de fidélité et demanderait plus ardemment ce qui a rapport à la paix, que les anges même de la paix ? Je me figure donc que, après s'être concertée avec sa soeur, la Vérité ,:vint au jour fixé, et s'éleva jusqu'aux nues, non pas. dans tout son éclat, mais tant soit peu voilée, et cachée sous le zèle de l'indignation. Alors il arriva, selon le Prophète, " que votre miséricorde, ô mon Dieu, se ,trouva dans les cieux, tandis que votre vérité s'élevait jusques aux nues (Psal. XXXV, 6). " Entre elles était assis le Père des lumières, et chacune d'elles fit valoir les arguments les plus favorables à sa cause. Ah! qui est-ce qui eut le bonheur d'assister à cet entretien, et pourra nous en dévoiler, le, secret?.Qui l'a entendu et nous le racontera ? Peut-être ont-elles dit des choses inénarrables qu'il n'est pas donné à l'homme de répéter. Toutefois, il me semble que le, débat tout entier peut se résumer ainsi : " La créature raisonnable a besoin qu'on ait pitié d'elle, disait la Miséricorde, parce qu'elle est devenue malheureuse et excessivement ,digne de pitié. Le temps est venu d'avoir compassion d'elle; il s'est même. écoulé déjà bien des jours depuis qu'il aurait dû en être ainsi. " De son côté, la Vérité répondait : " Il faut que tout ce que vous avez dit, Seigneur, s'accomplisse. Il faut que tout Adam meure avec tous ceux qui étaient en lui; il ne peut en être autrement depuis le jour où il a mangé du fruit défendu, dans sa prévarication. En ce cas, reprenait la Miséricorde, :pourquoi, ô mon. Père, m'avez-vous donné le jour, si je devais vivre si peu de temps ? Votre vérité sait bien elle-même que votre miséricorde a péri, et que c'en est fait d'elle à jamais si vous ne cédez enfin à la pitié. " Et la Vérité, à son tour, disait de même : " Qui, ne sait que si l'homme, devenu pécheur, échappe à la sentence de mort, portée contre lui, votre vérité, Seigneur, n'est plus, elle a cessé d'être à jamais ? "

11. Mais voici venir un. chérubin, qui suggère la pensée de les renvoyer l'une et l'autre au roi Salomon, puisque, dit-il, tout jugement est déféré au Fils (Joan. V, 22). La miséricorde et la justice se rendent en conséquence devant lui, et là chacune répète les arguments que je vous ai dits. "J'avoue, dit la Vérité, que ce que dit la Miséricorde part d'un bon sentiment, mais plût au ciel que son zèle fût réglé sur la science : mais pourquoi est-elle plus portée en faveur de l'homme pécheur que de moi qui suis sa soeur. Mais vous, ma soeur, reprend la Miséricorde, vous n'épargnez ni le pécheur ni moi dans votre indignation contre le pécheur: quel mal ai-je donc fait ? Si vous avez quelque chose à me reprocher, dites-le moi; sinon, pourquoi me persécutez-vous ? " La querelle ne laisse point que d'être grande, mes frères, et la dispute singulièrement emmêlée. Ne serait-on pas en droit de .s'écrier en entendant. cela : " Il vaudrait mieux que l'homme ne fût pas né. " Oui, mes bien-aimés frères, oui, les choses en étaient là, et il ne semblait pas qu'il fût possible de concilier pour l'homme la miséricorde et la justice. Et quand la Vérité ajoutait, en s'adressant au Juge lui-même, que l'injustice qui lui serait faite retomberait sur lui-même, et continuait en disant que c'était à lui à faire en sorte que la parole de son Père ne fût pas une parole vaine, que cette parole efficace et vivante (Hebr. IV, 12), ne fût point éludée à toute occasion; la Paix intervint en s'écriant: "Trêve, je vous en prie, trêve de semblables discours ; de pareilles discussions ne sont point faites pour nous; il ne convient pas aux vertus de disputer entre elles.

12. Mais le juge s'étant baissé, écrivait du doigt sur la terre, et la Paix qui était la plus rapprochée de lui, lut à haute voix ce qu'il avait écrit, le voici. L'une dit : C'en est fait de moi, si Adam ne meurt, et l'autre reprend : Je suis perdue, s'il ne lui fait miséricorde. Que la mort devienne bonne, et chacune aura gagné son procès. A ces mots, chacun est dans l'étonnement, on est frappé de cette parole de sagesse, en même temps que de la forme du compromis et du jugement. Il était clair, en effet, qu'elles n'avaient plus, ni l'une ni l'autre, motif de se plaindre, puisque ce que chacune réclamait devenait possible, car il devait y avoir eu même temps mort et miséricorde. Mais, disent-elles, comment cela sera-t-il? La mort est très cruelle et excessivement amère, la mort est terrible, on ne peut en entendre prononcer le nom sans trembler: comment donc peut elle devenir bonne? Mais le juge : la mort des pécheurs, dit-il, est très mauvaise, mais celle des saints est précieuse peut-il en être autrement quand elle devient la porte de la vie, la porte de la gloire? Oui, répondent-elles, cette mort est précieuse, ruais comment en sera-t-il ainsi ? Il en sera ainsi, reprend le juge, s'il se trouve quelqu'un. qui, ne devant rien à la mort, veuille bien souffrir la mort par amour pour l'homme, car la mort ne saurait retenir un innocent, et comme on dit, la mâchoire de Leviathan sera percée (Job. XL, 19), le milieu de la muraille sera détruit, le grand chaos qui sépare la vie ale la mort sera comblé. Car l'amour est aussi fort, est plus fort que la mort ; si ce fort armé entre dans la maison de l'autre , il la garrottera, il s'emparera de tous ses meubles, et, en passant, il ouvrira un passage au fond même de la mer, pour que ceux qu'il aura délivrés puissent passer aussi.

13. Ce discours parut bon, il était juste et digne d'être bien accueilli (I Tim. II, 15). Mais où trouver cet innocent qui veuille bien mourir, non pour acquitter une dette, mais par bon vouloir, non pour l'avoir mérité, mais pour l'avoir bien voulu ? La Vérité jette un regard sur l'univers entier et personne ne s'offre à 'ses yeux exempt de toute souillure, personne, dis-je, pas même l'enfant qui ne compte encore qu'un jour de vie sur la terre. La Miséricorde, de son côté, cherche dans le ciel, et si elle ne trouve point de coupables parmi les anges, elle n'en trouve point non plus qui ait cet excès d'amour. La victoire, en effet, était réservée à un autre qu'à l'un d'eux, à un autre, dont personne parmi les anges ne pût surpasser la charité qui devait le conduire jusqu'à sacrifier sa vie pour, des serviteurs, non seulement inutiles, niais indignes de plus. Car s'il ne nous donne point le nom de serviteurs, cela ne tient qu'à l'excès même de son amour, qu'à l'excellence de sa bonté. Mais, pour nous, lors même que nous ferions tout ce qui nous est commandé, quel nom devrions-nous nous donner, si ce n'est celui de serviteurs inutiles (Luc. XVII, 12) ? Mais qui est-ce qui osera le questionner sur ce point. La Vérité et la Miséricorde reviennent au jour fixé, d'autant plus inquiètes l'une et l'autre, qu'elles n'ont point trouvé ce qu'elles désirent.

14. C'est alors que la Paix les prenant en particulier, les console en ces termes : Ne savez-vous point une chose, et n'y pensez-vous donc point ? Il n'y a absolument personne pour faire cette bonne action; non il n'y a personne si ce n'est un : que celui qui a indiqué le remède, le donne. Le Roi sut ce qui se disait, et il s'écria alors : " Je suis fâché d'avoir fait l'homme (Gen. VI, 7.), " oui, dit-il, j'en suis peiné; il faut que j'en souffre, et que je fasse pénitence pour l'homme que j'ai créé. C'est alors qu'il dit : me voici, je viens, car ce calice ne peut s'éloigner, il faut que je le boive. Appelant alors l'archange Gabriel, il lui dit : " Vas, et dit à la fille de Sion : " Voici ton roi qui vient. " L'ange vole et dit : " Sion, prépare ta chambre nuptiale, et reçois ton Roi (Zach. IX, 9). " Mais la Miséricorde et la Vérité prévinrent l'arrivée de leur Roi, selon ce qui est écrit : " La Miséricorde et la Vérité marcheront devant vous (Psal. LXXXIV, 11). " Quant à la justice, elle lui prépare son trône, comme il est dit : " La justice et le jugement sont la préparation de son trône. " Pour ce qui est de la Paix, elle vient avec le Roi lui-même, pour vérifier ces paroles d'un Prophète : " Il sera notre paix sur la terre, quand il sera venu. " Aussi le Seigneur était à peine né, que les chœurs des anges faisaient entendre ces chants : " Paix sur la terre aux hommes de bonne volonté (Luc. III, 14). " Enfin la Justice et la Paix se sont embrassées, quand jusqu'alors elles n'avaient pas paru peu divisées entre elles. En effet, la première, s'il y a une justice d'après la loi, avait plutôt un dard en main que le baiser sur les lèvres, et inspirait beaucoup moins d'amour que de crainte; mais elle ne se réconcilia point alors avec la Paix, comme le fait aujourd'hui la paix qui naît de la justice. Autrement, comment se serait-il fait que, ni Abraham, ni Moïse, ni aucun juste de ces temps-là, n'auraient pu obtenir, à leur mort, la paix de la bienheureuse éternité, ni entrer dans le royaume de la paix? Évidemment alors, la Justice et la Paix, ne s'étaient pas encore donné le baiser. Mais à présent, mes frères bien aimés, nous devons rechercher la Justice, avec d'autant plus de zèle et d'ardeur, que la Paix et la Justice, se sont embrassées, et ont fait une éternelle alliance. Désormais, quiconque se présente avec le témoignage de la justice, ne peut manquer d'être accueilli par la Paix, avec un visage serein, et les bras tout grands ouverts, où il peut se reposer et dormir.

DEUXIÈME SERMON POUR L'ANNONCIATION DE LA BIENHEUREUSE VIERGE MARIE
Sur les sept dons de l'Esprit en Jésus-Christ.

1. Mes frères, dans la solennité de l'Annonciation de Notre Seigneur que nous célébrons aujourd'hui, il faut voir la simple histoire de notre rédemption se présentant à nos yeux, comme une vaste et agréable plaine. L'ambassade dont l'ange Gabriel est chargé est nouvelle, la vertu que professe la Vierge est une vertu nouvelle, et le respect qui est témoigné à Marie l'est dans les termes d'une salutation nouvelle; aussi l'antique malédiction qui pesait sur la femme, est mise de côté; Marie reçoit une bénédiction nouvelle, comme sa maternité. Celle qui ne connaît point les ardeurs de la concupiscence est remplie de la grâce, et pour avoir dédaigné tout commerce avec un homme, elle va concevoir du Saint-Esprit, qui va survenir en elle, le Fils même du Très-Haut. L'antidote du salut entre chez nous par la même porte qu’était entré le venin du serpent, qui a infesté le genre humain tout entier. On peut cueillir aisément dans les prés, de nombreuses fleurs, pareilles à celles que je viens d'y prendre; mais j'aperçois au milieu un abîme d'une effroyable profondeur. Oui t'est un insondable abîme que le mystère de l'incarnation de Notre Seigneur, un abîme, dis-je, tout à fait impénétrable, " le Verbe s'est fait chair, il a habité parmi nous. " Qui peut en effet voir clair dans cet abîme, y découvrir, y saisir quelque chose? C'est un puits d'une grande profondeur, et je n'ai personne pour y puiser pour moi. Mais ordinairement, la vapeur qui s'élève des puits est assez aorte pour rendre un peu humide les linges qu'on étend au dessus de leur ouverture; c'est ce qui fait, Seigneur, que si je n'ose me plonger dans le puits de ce mystère, parce que j'ai conscience de ma propre infirmité, j'élève souvent les mains vers vous, car mon âme est devant vous, comme une terre sans eau. Et maintenant, si le léger tissu de ma pensée s'est pénétré un peu de l'humidité qui monte du fond de ce puits; je veux, mes frères, vous en faire part, si peu que ce soit, et ne point la garder pour moi; je veux presser le tissu, afin d'en faire sortir au moins quelques gouttes de la céleste rosée.

2. Et d'abord, je me demande pourquoi c'est le Fils plutôt que le père ou le Saint-Esprit qui s'incarne, puisque la gloire des trois personnes de la Sainte Trinité, est, je ne dis pas, est égale mais est une seule et même gloire ? Mais qui a connu les desseins de Dieu? Et qui est entré dans le secret de ses conseils (Rom. XI, 34)? C'est un profond mystère, et nous ne devons point en pareille matière hasarder imprudemment une opinion précipitée. Toutefois, ils me semble que si t'eût été le Père, ou le Saint-Esprit, qui se fût incarné, il serait résulté une inévitable confusion de la pluralité de Fils. attendu qu'une des trois personnes eût été le Fils de Dieu, et une autre eût été Fils de l'homme. D'ailleurs, il semble parfaitement convenable que celui-là devînt Fils de l'homme qui était déjà Ip Fils de Dieu, puisque par là se trouvait évitée l'ambiguïté des noms. Après cela, c'est une gloire singulière, et un privilège unique, excellent pour notre Vierge, pour Marie, d'avoir eu pour Fils, par un effet de la grâce. un seul et même Fils avec Dieu le Père, car il n'en eût certainement pas été ainsi, si ce n'avait point été le Fils qui se fût incarné. Et nous-mêmes, il n'aurait pu nous être donné, si les choses se fussent passées autrement, un égal motif d'espérer le salut et l'héritage du Ciel, tandis que, en le faisant l'aîné de tous ses frères, lorsqu'il était déjà le Fils unique du Père, il ne saurait manquer de nous appeler à partager son héritage, puisqu'il nous a appelés déjà à être adoptés pour enfants. Ainsi donc, Jésus-Christ, notre fidèle médiateur, après avoir uni. dans un ineffable mystère, la substance de l'homme, et celle de Dieu en une seule personne, sut également, par un dessein d'une grande profondeur, garder, en nous réconciliant, ce juste milieu qui lui fit donner à Dieu et à l'homme ce qui leur convenait, à Dieu la gloire, et à l'homme la pitié. C'est en effet, par un excellent compromis entre le Seigneur offensé et son esclave coupable, que celui-ci, n'a point été frappé d'une sentence trop sévère, par le hèle de la gloire de lieu, en même temps que Dieu n'a point été frustré de l'honneur qui lui est dû par une condescendance excessive pour l'homme.

3. Aussi prêtez une oreille attentive aux deux propositions qui se partagent le chant des anges là la naissance du Sauveur : " Gloire à Dieu au plus haut des cieux, disent-ils, et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté (Luc. II, 14), " et remarquez que l'esprit de crainte n'a point fait défaut à notre fidèle réconciliateur, Jésus-Christ, car c'est dans cet esprit qu'il n'a cessé de fendre à son Père le respect qui lai est dû, de rechercher sa gloire et de lui rendre ses hommages. L'esprit de piété ne lui a point non plus manqué; c'est dans cet esprit qu'il a compati avec miséricorde au malheureux sort des hommes. Mais pour tenir la balance égale entre la crainte et la piété, il dut nécessairement avoir l'esprit de science. Or notez que dans le péché de nos premiers parents on retrouve trois auteurs, dont chacun manqua de quelque chose en particulier. Ces trois auteurs du péché, ce sont Ève, le diable et Adam. Ce qui faisait défaut en Ève, c'est la science, puisque, selon le mot. de l'Apôtre, elle fut séduite et fut ainsi amenée à prévariquer (I Tim. II, 14); mais elle ne manquait point au serpent qui est représenté comme le plus rusé de tous les animaux; il est vrai qu'il n'eut point la piété puisqu'il fut homicide dès le principe. Quant à Adam, peut-être peut-on trouver une certaine piété en lui, puisqu'il ne voulut point contrister sa femme, mais il sacrifia la crainte de Dieu en obéissant à Ève plutôt qu'au Seigneur. Plût au ciel que la crainte de Dieu eût prévalu en lui ! comme nous voyons, en particulier, dans les Saintes Écritures, que Jésus fut rempli non de (esprit de piété, mais de l'esprit de crainte (Isa. XI, 3). Car en toutes choses, et par dessus tout, la crainte de Dieu doit l'emporter sur la piété, pour le prochain; il n'y a qu'elle qui puisse revendiquer pour elle la possession de l'homme tout entier. C'est donc par ces trois vertus, c'est-à-dire par la crainte, par la piété et par la science que notre médiateur a réconcilié les hommes avec Dieu, car c'est dans un esprit de conseil et de force qu'il nous a délivrés de la main de notre ennemi. En effet, c'est en donnant le conseil, c'est en donnant à notre ennemi le pouvoir de mettre une main violente sur l'innocent, qu'il l'a dépouillé de ses droits antiques; il a prévalu aussi par la force, et le mit hors d'état de retenir de force les hommes rachetés par lui, alors qu'il remonta des enfers en vainqueur, et que notre vie à tous ressuscita avec lui.

4. Dès lors, il nous nourrit du pain de vie et d'intelligence et nous donne en breuvage l'eau de la science du salut. En effet, l'intelligence des choses spirituelles et invisibles, c'est un vrai pain pour Pâme; un pain qui fortifie le coeur et lui donne l'énergie nécessaire pour toutes les bonnes oeuvres dans l'ordre spirituel. Quant à l'homme charnel qui ne comprend rien aux choses de l'esprit de Dieu, pour qui elles sont même une vraie folie, il ne peut que gémir et pleurer en disant : " Mon coeur s'est desséché parce que j'ai oublié de manger mon pain (Psal. CI, 5). " Ainsi, s'il est une vérité aussi simple que parfaite, c'est celle-ci : il ne sert à rien à l'homme de gagner le monde entier, s'il vient à perdre son âme. Or quand un avare arrive-t-il à comprendre cela? N'est-ce pas perdre son temps que de s'efforcer de lui faire goûter cette vérité-là? Pourquoi cela ? Évidemment parce que, pour lui, c'est une folie. Quoi de plus incontestable encore que cette vérité, que le joug de Jésus-Christ est doux? Présentez-la à l'homme du monde, et vous verrez s'il ne prend pas ce morceau de pain pour une pierre. Il n'est pourtant rien de plus certain, que c'est de l'intelligence de cette vérité-là que vit l'âme, qu'elle est pour elle une véritable nourriture spirituelle; car " l'homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu (Deut. VIII, 3). " Mais tant que vous ne goûterez point cette vérité, il sera bien difficile qu'elle passe dans votre âme; mais à peine aurez-vous commencé à y prendre goût, que pour vous ce ne sera même plus une nourriture, ce sera un breuvage qui pénétrera, sans difficulté aucune, dans votre coeur, là où la nourriture spirituelle de l'intelligence se digère aisément, au contact du breuvage de la sagesse, et empêche que les membres de l'homme intérieur, c'est-à-dire ses sentiments, ne se dessèchent, et ne deviennent plus nuisibles qu'utiles.

5. Ainsi, rien de ce qui était nécessaire pour le salut des hommes n'a fait défaut au Sauveur. Or c'est de lui que parlait le prophète Isaïe, quand il disait : " Il sortira un rejeton de la tige de Jessé, et une fleur naîtra de sa racine. L'esprit du Seigneur se reposera sur lui, je veux dire l'esprit de sagesse et d'intelligence, l'esprit de conseil et de force, l'esprit de science et de piété ; et il sera rempli de l'esprit de la crainte du Seigneur (Isa. XI, 1 à 3). " Remarquez, je vous prie, que la fleur ne doit point apparaître sur le rejeton, mais sortir de la racine. Si la chair de Jésus-Christ avait été créée du néant dans la Vierge Marie, comme plusieurs l'ont cru, peut-être pourrait-on dire que la fleur n'a point poussé sur la racine, mais sur le rejeton; mais comme, d'après le Prophète, elle est sortie de la racine, il s'en suit qu'elle a été formée de la racine et qu'elle en partage la substance. S'il est dit que le Saint-Esprit s'est reposé sur cette fleur, il n'y a point là de contradiction. En effet, comme en nous l'esprit n'est point du tout supérieur, il ne se repose point, la chair lui fait une guerre continuelle, et l'esprit, de son côté, a des désirs en opposition avec ceux de la chair. Puisse vous délivrer de cette lutte, Celui qui n'a rien de semblable en lui, je veux dire l'homme nouveau, le vrai homme qui a reçu la vraie chair de notre origine, mais n'a point reçu avec elle le vieux levain de la concupiscence !

TROISIÈME SERMON POUR L'ANNONCIATION DE LA SAINTE VIERGE
Suzanne et Marie.

25 mars 1150

1. Que vous êtes riche en miséricorde, Seigneur mon Dieu, que vous êtes magnifique en justice, et libéral en grâce ! Il n'y a personne qui puisse vous être comparé, donneur infiniment généreux, rémunérateur souverainement juste, libérateur extrêmement bon. C'est gratuitement que vous abaissez vos regards sur les humbles, c'est avec justice que vous Jugez l'innocent, et c'est avec miséricorde que vous sauvez même le pécheur. Voilà, mes frères bien aimés, les mets qui vous sont servis aujourd'hui, si nous y faisons attention, avec une abondance inaccoutumée, par les Saintes Lettres, sur la table du riche Père de famille. Cette abondance nous vient de ce que le saint temps du carême et le très-saint jour de fête de, l'Annonciation de Notre Seigneur coïncident ensemble cette année. En effet, nous avons vu aujourd'hui la femme adultère renvoyée absoute par notre indulgent Rédempteur, l'innocente Suzanne soustraite à la mort, et la bienheureuse Vierge remplie, d'une manière unique, du don gratuit de la grâce. Voilà un grand festin, mes frères, puisqu'on sert en même. temps devant nous, la miséricorde, la justice et la grâce. Dira-t-on que la miséricorde n'est point une nourriture pour l'homme? C'en est une, au contraire, excellente et souveraine pour le guérir. Et la justice n'est-elle point aussi du pain pour le coeur ? C'en est, et même c'en est un qui le fortifie admirablement, c'est pour lui un aliment tout à fait solide; et même, heureux ceux qui en ont faim, car ils en seront rassasiés ( Mt. V, 6). Enfin, ne peut-on voir un aliment pour l'âme dans la grâce de Dieu ? C'en est un des plus doux, car il a toute sorte de douceur et possède tout ce qu'il y a clé plus agréable au goût; bien plus, réunissant en elle la vertu des deus autres, non seulement elle flatte le goût, mais elle réconforte et elle guérit.

2. Asseyons-nous donc à cette table, mes frères; et goûtons, au moins un peu, à chacun des mets qui nous y sont servis. " Dans sa loi, Moïse nous ordonne de lapider ces femmes-là (Joan. VIII, 5), " disaient des pécheurs, en parlant d'une pécheresse, s'écriaient es Pharisiens en montrant une femme adultère. Mais, en réponse à votre coeur de pierre, pour toute parole ""sus se Pais~sç à terre. " Seigneur, abaissez vos yeux et descendez (Psal. CXLIII, 5). " Jésus s'incline donc vers la terre, et se penche en même temps vers la miséricorde, car il n'avait pas un coeur de Juif, " et il se mit à écrire, " non content dé le faire une fois, il recommence une seconde; c'est comme Moïse pour les deux tables de la loi. Peut-être, la première fois, écrivit-il là vérité et la gloire, et la seconde, les imprima-t-il sur la terre, selon le mot de l'apôtre saint Jean : " La Loi a été donnée par Moïse, mais la justice et la vérité ont été faites par Jésus-Christ (Joan. I, 17). " D'ailleurs, voyez s'il ne semble pas qu'il a emprunté à la tablé (le la vérité cette sentence qui devait confondre les Pharisiens : " Que celui d'entre vous qui est sans péché lui jette la première pierre. " C'est là un mot bien court, mais Plein de vie et d'efficacité, et qui pénètre dans l'âme comme un glaive à deux tranchants; comme il perce d'outre en outre des coeurs de pierre. Comme cette petite pierre réduit aisément en poudre ces fruits durs comme le roc; on va bientôt le voir à la rougeur de la honte qui va leur monter au visage, et à la façon dont ils vont discrètement s'éclipser. Sans doute cette femme adultère mérite d'être lapidée; mais pour se hâter de la châtier, il faudrait n'être pas soi-même dans le cas d'être puni; il n'y a que celui qui n'a point mérité le même châtiment qu'elle, qui ait le droit de se montrer rigoureux pour elle, autrement que ne commence-t-il par sévir sur le coupable qui est le plus près de lui, c'est-à-dire sur lui-même ? La première chose qu'il a à faire, c'est de se juger lui-même et d'exécuter la sentence. Voilà quel fut le langage de la vérité.

3. Mais, après tout, c'est là la moindre des choses, pour avoir confondu les accusateurs de cette femme, la Vérité ne l'a point encore renvoyée absoute. Qu'il écrive donc encore, qu'il écrive la grâce, qu'il lise la sentence, et nous écoutons : " Femme, personne ne vous a-t-i1 condamnée? Non, personne, Seigneur. Eh bien, ni moi non plus, je ne vous condamnerai point ; allez, et désormais ne péchez plus. " O parole pleine de miséricorde, parole pleine de joie à entendre, parole de salut! Faites-moi entendre de bonne heure votre miséricorde, Seigneur, parce que j'ai mis mon espérance en vous (Psal. CXLII, 8). Il n'y a, en effet, que l'espérance qui ait des droits à la miséricorde auprès de vous ; vous ne faites couler l’huile de la miséricorde que dans les vases de l'espérance. Il y a pourtant une espérance trompeuse qui ne renferme Que des malédictions dans son sein, c'est celle qui vit dans le péché. Après cela, peut-être ne doit-on point l'appeler espérance, ce u'est peut-être qu'une sorte d'insensibilité et de dissimulation pernicieuse. Qu'est-ce, en effet, que l'espérance pour quelqu'un qui n'a pas même la pensée du danger? Et que peut être le remède de la crainte lorsqu'il n'y a point de crainte, et qu'on ne voit pas même qu'il y ail sujet de craindre ? L'espérance est une consolation; mais quel besoin de consolation peut éprouver celui qui est heureux du mal qu'il fait, et est au comble de la joie dans les pires choses ? Prions donc, mes fières, qu'on nous dise quelles sont nos iniquités et nos fautes ; désirons qu'on nous ouvre les yeux sur nos crimes et nos délits. Scrutons nos voies et nos sentiments ,et pesons avec une attention scrupuleuse tous les périls qui nous menacent. Que chacun de nous répète au milieu de ses craintes : " Je vais aller jusqu'aux portes de l'enfer, pour ne plus respirer que dans la miséricorde de Dieu. " L‘espérance véritable pour l'homme est celle que la miséricorde ne repousse point, et dont parle le Prophète quand il dit : " Le Seigneur se complaît dans ceux qui le craignent, et dans ceux qui espèrent en sa miséricorde (Psal. CXLVI, 11). " Or, il n'y a point pour nous une cause petite de craindre, si nous nous considérons, et d’espérer, si nous avons les yeux élevés vers Dieu. Il est doux et bon, en effet, ses miséricordes sont abondantes; il est facile à l'égard .de notre malice, et il est bien porté à pardonner. Nous pouvons en juger, par le fait même de ses ennemis, qui n'ont point trouvé d'autre motif de jeter le blâme sur lui. Ils se disaient, en effet : " Il aura pitié de cette pécheresse, et il ne souffrira pas, si nous la lui amenons, qu'on la mette à mort. On verra alors manifestement qu'il est ennemi de la Loi, puisqu'il aura absous une personne que la loi condamne. O pharisiens ! votre malignité retombera tout entière sur votre tête. Vous vous défiez de votre cause, puisque vous vous retirez à la dérobée, et dès lors qu'il n'y a plus là personne pour accuser cette femme, elle reçoit son pardon sans qu'il soit porté atteinte à la Loi.

4. Mais remarquons, mes frères, où les pharisiens se sont retirés en s'éloignant. Ne voyez-vous point ces deux vieillards (vous savez qu'ils se retirèrent à commencer par les plus vieux), ne voyez-vous point ces deux vieillards allant se cacher dans le verger de Joachim ? Ils cherchent, Suzanne, son épouse, leur coeur est tout occupé d'une pensée mauvaise à son égard. " Cède à nos désirs (Daniel, XII, 20), " lui disent les deux vieillards, ces pharisiens, ces loups, qui n'ont pu dévorer tout à l'heure une autre victime, une pauvre petite brebis errante, il est vrai. " Cède à nos désirs, et laisse-nous-nous unir à toi. " O hommes qui avez vieilli dans le mal, tout à l'heure vous vous faisiez les dénonciateurs de l'adultère, et en ce moment, vous sollicitez une femme à ce crime. Mais, voilà votre vertu à vous, vous faites en secret ce que vous reprenez en public. Voilà pourquoi vous vous en alliez les uns après les autres, celui qui lit au fond de tons les coeurs avait frappé juste et fort sur vos consciences, quand il s'était écrié : "Que celui d'entre vous qui est sans péché, lui jette le premier la pierre (Joan. VIII, 7). " C'est donc à bien juste titre que la Vérité a dit à ses disciples : " Si votre justice n'est pas plus pleine que celle des scribes et des pharisiens, vous n'entrerez point dans le royaume des cieux (Matt. V, 20). " Si tu ne consens, continuent-ils, nous rendrons témoignage contre toi. O race de Chanaan, non de Juda, ce n'est certes pas ce que Moïse avait prescrit dans la Loi. Est-ce que celui qui a ordonné de lapider une adultère a voulu qu'on accusât une femme sage ? Est-ce qu'en réglant qu'on écraserait la femme infidèle sous les pierres, il a prescrit aussi qu'on rendrait faux témoignage contre une femme innocente ? Bien loin de là, mais il a établi que les faux témoins seraient punis de la même manière que la femme adultère (Deut. XIX, 46, et Prov. XIX, 9). Et vous qui vous glorifiez dans la Loi, vous déshonorez Dieu en prévariquant contre la Loi.

5. " Suzanne poussa un soupir et dit : Il n'y a pour moi que périls de quelque côté que je me tourne. " Partout, en effet, la mort s'offrait à ses yeux, d'un côté, la mort du corps, de l'autre, celle de l'âme. " Si je fais ce que vous voulez, dit-elle, je suis morte, et si je ne le fais point, je ne puis échapper à vos mains. " O pharisiens! ni la femme adultère, ni la femme de bien n'échappe à vos mains; ni le saint, ni le pécheur, ne sont à l'abri de vos accusations. Vous fermez les yeux sur vos propres péchés, quand les péchés d'autrui ne vous font point défaut, et s'il se trouve quelqu'un sans péché, vous lui imputez le vôtre. Mais que fit Suzanne ainsi placée entre la mort de l'âme et celle du corps, et menacée des deux côtés ? " Mieux vaut pour moi, dit-elle, ne point faire ce que vous demandez et tomber entre vos mains, que d'abandonner la loi de mon Dieu. " Évidemment, elle savait combien il est horrible de tomber dans les mains du Dieu vivant, car, pour les hommes, s'ils peuvent quelque chose sur le corps, ils ne peuvent plus rien ensuite sur l'âme ( Matt. X, 28), mais celui qu'il faut craindre, c'est celui qui, après avoir frappé le corps, peut ensuite envoyer l'âme en enfer. Pourquoi les serviteurs de Joachim tardèrent-ils tant à venir? Qu'ils fondent donc par la porte dérobée, car un cri vient de se faire entendre dans son verger, le cri de loups ravissants auquel se mêlent les bêlements d'une pauvre petite brebis qui se trouve au milieu d'eux. Mais celui qui n'a pas permis que la brebis errante qui méritait son sort périt sous leur dent, ne permettra pas non plus que l'innocente soit dévorée par eux. Aussi est-ce avec raison que même " en marchant à la mort, son coeur avait confiance dans le Seigneur, " dont la seule crainte avait chassé de son âme toute autre crainte, et lui avait fait préférer sa Loi sainte à sa vie, à sa réputation même. " Jamais il n'avait couru sur le compte de Suzanne un bruit comme celui-là ; les parents étaient aussi des gens de bien, et son mari un des plus honorables de tous les Juifs. Aussi est-ce avec justice crue cette femme, qui avait eu faim de la justice au point de mépriser pour elle la mort du corps, l'opprobre de sa famille, le deuil incontestable de ses amis, s'est vue enfin justement vengée de ses injustes accusateurs, de la main même par son juste Juge.

6. Et nous aussi, mes frères, si nous avons entendu ces paroles de la bouche du Christ. " Ni moi non plus, je ne vous condamnerai point; " si nous sommes résolus à ne plus pécher contre lui, si enfin nous voulons mener une vie pieuse en lui, il faut que nous supportions avec patience la persécution, que nous ne rendions point le mal pour le mal, ni une malédiction pour une malédiction, sinon ceux qui n'auront point conservé la patience perdront la justice même, c'est-à-dire la vie; en un mot, ils perdront leur âme. " Je me réserve la vengeance, dit le Seigneur, et c'est moi qui l'exercerai (Rom. XII, 19). " Il en est, en effet, ainsi. Il exercera la vengeance, mais si vous la lui abandonnez, si vous ne lui enlevez point le jugement, si enfin vous ne rendez point le mal à ceux qui vous font du mal. Il rendra la justice, mais à celui qui souffre l'injustice, il jugera avec équité, mais c'est en faveur des hommes au coeur doux sur la terre. Si je ne me trompe, vous trouvez long et pénible d'attendre les délices; il ne faut pourtant point vous étonner de cette attente, car ce sont des délices. Elles ne chargeront point ceux mêmes qu'elles auront rassasiés, bien plus, elles ne répugneront point à ceux qui en auront encore la bouche pleine.

7. L'ange Gabriel fut envoyé de Dieu dans une ville de Galilée, appelée Nazareth (Luc. I, 26). " Vous vous étonnez qu'un aussi petite ville que Nazareth soit honorée par l'envoi d'un messager (et quel. messager) d'un aussi grand Roi ? Mais c'est que dans cette humble cité est caché un trésor d'un grand prix, oui, caché, mais pour les hommes, non pour Dieu. Marie n’est-ce point, en effet, le trésor de Dieu? Son coeur est partout où elle se trouve. Ses yeux ne cessent d'âtre abaissés sur elle, partout il regarde l'humilité de sa servante. Le Fils unique du Père connaît-il le ciel ? S'il le connaît, il connaît donc Nazareth. Pourquoi, après tout, ne connaîtrait-il point sa patrie ? Pourquoi ignorerait-il le lieu de son héritage? Si le ciel est à lui par son Père, Nazareth est sa patrie par sa mère, car il est 'en même temps le Fils dé David et son Seigneur. " Le ciel est pour le Seigneur, mais il a donné la terre aux enfants des hommes (Psal. CXIII, 25). " Ils lui reviennent donc l'un et l'autre, parce qu'il est non-seulement le Seigneur, mais encore le Fils de l'homme. Aussi entendez comme il revendique la terre à ce titre, et comme il la partage ensuite à titre d'époux. " Les fleurs, dit-il, ont commencé à paraître dans notre terre (Cant, II, 12). " Ce langage convient bien en ce cas, puisque Nazareth signifie fleur. La fleur de la racine de Jessé aime une patrie où poussaient les fleurs; celui qu'on appelle la fleur du champ, le lis des vallées grandit volontiers au milieu des lis. Trois choses, trois grâces se font particulièrement remarquer dans les fleurs : l'éclat, l'odeur et le fruit en espérance. Vous serez donc une fleur pour Dieu, et il se complaira en vous, si, à l'éclat d'une vie pure et sainte, et à la bonne odeur d'une foi irréprochable, vous ajoutez l'intention à la récompense future, car vous savez que le fruit de l'esprit n'est autre chose que la vie éternelle.

8. " Ne craignez point, ô Marie , car vous avez trouvé grâce devant le Seigneur. " Quelle grâce ? une grâce pleine, une grâce singulière dois-je dire singulière ou agréable ? Je dirai l'un et l'autre, attendu qu'elle est pleine, et qu'elle est d'autant plus singulière qu'elle est générale, car il n'y a qu'elle qui ait reçu la grâce générale d'une façon si particulière. Oui, je le répète, elle a reçu une grâce d'autant plus singulière qu'elle est générale, car seule entre toutes les femmes, ô Marie, vous avez trouvé grâce. Elle a donc reçu une grâce singulière, parce que, seule entre toutes, elle a reçu la plénitude de la grâce; et elle a reçu une grâce générale, puisque c'est de sa plénitude que nous recevons tous la grâce, selon ce mot : " Vous êtes bénie entre toutes les femmes, et le fruit de vos entrailles est béni (Luc. I, 28). " Sans doute, ô Marie, il est bien le fruit de votre ventre, mais, par vous, il est allé à toutes les âmes. Voilà comment jadis, oui voilà comment toute la rosée du ciel était tombée sur la seule toison, comment aussi elle était tombée tout entière sur la terre : mais elle ne fut nulle part sur la terre aussi' entière qu'elle se trouva dans la toison. Il n'y a qu'en vous, que le grand roi, le roi riche et puissant entre nous, s'est anéanti, que le sublime s'est humilié, que l'immense s'est fait petit, plus petit même que les anges, que le vrai Dieu enfin, le vrai fils de Dieu s'est incarné. Mais quel fruit avait-il en vue de produire? C'était de nous enrichir tous par sa pauvreté, de nous élever par son abaissement, de nous grandir par son rapetissement, de nous rattacher à Dieu par son incarnation, et de nous faire commencer à devenir un seul et même esprit avec lui.

9. Mais que dis-je, mes frères ? Quel vaisseau réclame surtout la grâce pour y être versée ? Si, comme je l'ai déjà dit, la confiance est le vaisseau où doit couler la miséricorde, et la patience celui qui doit contenir la justice; quel est celui que nous jugerons propre à recevoir la grâce ?Le baume demande un vase aussi pur que solide. Or, où trouver un vaisseau plus pur et plus solide que l'humilité du coeur? Aussi, est-ce avec raison que Dieu donne sa grâce aux humbles, et avec raison qu'il jette les yeux sur son humble servante. Pourquoi est-ce avec raison, me demandez-vous ? Parce qu'un coeur humble n'est occupé par aucun mérite humain qui empêché la plénitude de la grâce divine d'y couler en liberté. Mais pour atteindre à cette humilité-là, il faut gravir quelques degrés: Le premier degré est celui où le coeur de l'homme qui aime toujours le péché et n'a point encore remplacé ses mauvaises dispositions par de meilleures résolutions, est fermé à la grâce par ses propres vices. Le second est celui où, après avoir résolu de se corriger et de ne plus retomber dans ses premières iniquités, l'homme a encore le coeur fermé à la grâce par ses péchés passés, tant qu'ils restent en son âme, bien qu'ils semblent, en quelque sorte, déjà coupés flans la racine. Or, ils restent dans l'âme jusqu'à ce qu'ils soient lavés dans les eaux de la confession et étouffés par les dignes fruits de pénitence qui croissent après eux. Mais que je vous plains s'il vous arrive de tomber alors dans l'ingratitude, qui est un mal pire peut-être que tous vos vices et vos péchés; il n'y a rien évidemment de plus contraire à la grâce. Avec le temps, nous perdons un peu de la chaleur des premiers jours de notre profession, peu à peu notre charité se refroidit, l'iniquité prend le dessus, et nous succombons sous le poids de la chair, après avoir commencé par l'esprit. C'est comme cela, en effet, que nous en venons à ne plus savoir quels biens nous avons reçus de Dieu, et à nous montrer aussi pleins d'ingratitude que vides de piété. Nous laissons la crainte de Dieu, nous négligeons la solitude religieuse; bavards, curieux, facétieux, détracteurs même et murmurateurs, occupés de bagatelles, ennemis dit travail et de la discipline, voilà ce que nous sommes, toutes les fois que nous pouvons l'être sans nous faire remarquer, comme si, pour n'être point noté, un pareil état en était moins mauvais. Comment nous étonner ensuite de nous trouver dépourvus de la grâce, quand elle rencontre en nous de pareils obstacles? Mais, au contraire, si, selon ce que, dit l'Apôtre, nous témoignons à Dieu notre reconnaissance, afin que la parole du Christ, la parole de la grâce habite en nous (Coloss. III, 15), si nous sommes pieux, scrupuleux, fervents, gardons-nous bien de faire fond sur nos mérites, et de nous appuyer sur nos oeuvres, autrement la grâce n'entrera point dans notre coeur, elle le trouverait plein, et il n'y aurait plus de place pour elle en lui.

10. Avez-vous remarqué la prière du Pharisien? Il n'était ni voleur, ni injuste, ni adultère (Luc. XVIII, 12). Ne vous imaginez pas non plus qu'il fût stérile en fruits de pénitence ; il jeûnait deux fois la semaine, et donnait la dîme de tous ses biens. Ne croyez pas davantage qu'il eût l'âme ingrate: Ecoutez-le, en effet, s'écrier : " Mon Dieu, je vous rends grâces. " Mais, son coeur n'était pas vide, il n'était point abaissé, il n'était pas humble ; il était plein d'orgueil. En effet, ce n'est pas de voir ce qui lui manquait encore qu'il se mettait en peine, mais il s'exagérait ses mérites: aussi n'était-ce point en son âme une grosseur ferme et solide, ce n'était qu'une tumeur; c'est pourquoi, après avoir simulé la plénitude, il revint vide. Au contraire, le Publicain qui s'était anéanti et qui avait eu à coeur de présenter un vaisseau complètement vide, remporta une grâce plus abondante. Aussi, mes frères, si nous voulons trouver la grâce, abstenons-nous d'abord de tout mal, puis faisons pénitence de nos péchés passés; ensuite, travaillons à nous montrer au Seigneur pieux et complètement humbles; car, c'est sur ceux qui se trouvent dans ces dispositions d'âme qu'il se plaît à abaisser les yeux, selon ce mot du Sage : " La grâce de Dieu et sa miséricorde sont sur les saints, et ses regards favorables se reposent sur les élus (Sap. IV, 15). " Peut-être est-ce pour ces motifs qu'il rappelle quatre fois à lui l'âme qui captive ses regards, lorsqu'il dit : " Revenez, revenez, ô Sunamite; revenez, revenez afin que je vous considère (Cant. VI, 12) ; " il ne veut point qu'elle reste dans l'habitude du péché, et dans la conscience de ses fautes, ni dans la tiédeur et dans la torpeur de l'ingratitude. Puissions-nous être soustraits à ce quadruple péril et en être éloignés par Celui qui a été fait pour nous par Dieu le Père, sagesse et justice, sanctification et rédemption, par Notre-Seigneur Jésus-Christ qui vit et règne en Dieu, avec le Père et le Saint-Esprit pendant les siècles infinis des siècles. Ainsi soit-il.

Source : http://www.abbaye-saint-benoit.ch/

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