PREMIER SERMON POUR
LE PREMIER DIMANCHE APRÈS L'OCTAVE DE L’ÉPIPHANIE
Sur le miracle de Cana et sur ces paroles de Notre-Seigneur : "Et vous, soyez
semblables à ceux qui attendent que leur maître revienne des noces (Luc. XII,
36). "
1. L'Evangile nous apprend aujourd'hui, mes
frères, que Notre-Seigneur rendit à des noces. Eh bien, suivant le conseil qu'il
nous donnes un endroit " soyons semblables à ceux qui attendent que leur maître
revienne des noces (Luc, XII, 36). " Lorsque nous voyons dans les champs un
hommes qui à la main à la charrue ou dans le marché, quelqu'un qui vend ou qui
achète quelque chose, nous ne leur disons point qu'attendez-vous ? Car ils ne
ressemblent tas à des, gens qui sont dans l'attente. Mais quand nous voyons
quelqu'un debout à la porte, frapper plusieurs fois de suite, et jeter les yeux
vers les fenêtres, nous lui demandons ce qu'il attend, et personne n'est surpris
de notre question. Ceux qui n'ont point fait la sourde oreille à la voix qui
leur rasait: " Soyez dans un saint repos et considérez crue c'est moi qui suis
véritablement Dieu (Ps. XLV, 11)," ressemblent à des gens qui, sont dans
l'attente. Or, le Seigneur viendra trouver ceux qui l'attendent en vérité et qui
sont dans les mêmes dispositions que celui qui disait : "J'ai attendu le
Seigneur dans une grande impatience (Psal. XXXIX, 2). " Il arrivera comme s'il
revenait des noces, le coeur enivré du vin de la charité et oublieux de toute
iniquité. Pour ceux qui ne l'attendent pas, il arrivera comme un maître qui
revient des noces et comme un homme dont le vin, qu'il a bu en abondance, a
doublé les forces (Psal. LXXVII, 71). Oui, il sera ivre et il aura oublié son
penchant à la miséricorde, car pour ce qui concerne ces gens-là, Dieu ne saura
plus ce que c'est que la pitié. Il viendra, mais colère, indigné, furieux en
quelque sorte. Mais, ô Seigneur, veuillez ne point me reprendre quand vous serez
ainsi animé par la fureur. Mais en voilà assez comme cela, non seulement sur les
noces présentes, mais encore sur ce qui m'a donné occasion de vous en parler.
2. Unissons-nous maintenant aux apôtres, et
suivons le Seigneur avec eux afin de voir ce qu'il va faire, et de croire comme
eux. " Or, le vin étant venu à manquer, la mère de Jésus lui dit : ils n'ont
plus de vin (Joan. II, 3);" elle eut pitié d'eux dans sa bonté et prit part à
leur embarras. Que peut-il couler de la source de la bonté sinon de la bonté ?
Oui, je vous le demande, comment nous étonner que des entrailles mêmes de fa
bienveillance se produise une telle bienveillance? Est-ce que la main qui,
pendant une demi-journée, a tenu un fruit n'en conservera point l'odeur le reste
du jour? Quels parfums de bonté n'a donc point répandus dans les entrailles de
Marie, la vertu même de charité qui y a séjourné pendant neuf mois entiers?
D'ailleurs elle remplit son coeur avant d'avoir rempli son sein, mais en sortant
de son sein, elle n'est point sortie de son coeur. Peut-être la réponse du
Seigneur paraîtra-t-elle un peu dure et sévère; mais celui qui la fit savait
bien à qui il parlait, de même que, celle-ci n'ignorait pas,qui- la lui faisait.
Mais si vous voulez savoir comment elle reçut cette réponse et combien elle
comptait sur la bonté de son Fils, écoutez ce qu'elle dit à ceux qui servaient :
" Faites tout ce qu'il vous ordonnera (Joan. II, 4). "
3. " Or, il y avait là six grandes urnes de pierre
( Ibid., 6 ). " Il faut maintenant que je place devant vous ces urnes qui
doivent servir aux purifications des vrais Juifs, je veux dire de ceux qui sont
Juifs selon l'esprit, non selon la lettre : ou plutôt fi faut que je vous
explique le sens de ces urnes qui se trouvaient là. Tant que l'Eglise ne sera
point encore arrivée à cet état de perfection dans lequel le Christ la fera
paraître devant lui pleine de gloire, n'ayant ni tache, ni rides, ni rien de
semblable (Eph. V, 27), elle aura besoin de nombreuses purifications, que
l'indulgence abonde autant que le péché, la miséricorde à l'égal de la misère;
bien plus, que la grâce ne suive même pas la proportion du péché (Rom. V, 15),
car non-seulement elle efface le péché, mais encore elle est la source des
mérites. Il y a donc six urnes disposées dans l'Eglise pour ceux qui tombent
dans quelque péché après leur baptême, nous ne parlons que de ceux-là parce que
nous sommes de leur nombre. Nous avons déposé notre ancien vêtement, mais hélas!
nous l'avons repris pour notre plus grand mal. Nous nous sommes lavés les pieds,
mais nous les avons depuis souillés plus qu'ils ne l'étaient d'abord. Mais de
même 'que ce fut un autre que nous qui lava nos pieds qu'un autre que nous aussi
avait souillés, ainsi maintenant comme c'est nous qui les avons salis de
nouveau, c'est à nous de les laver. L'eau versée par des mains étrangères nous a
purifiés d'une faute que nous tenions d'un autre que nous. Pourtant je ne dois
point la présenter comme nous étant si étrangère qu'elle ne soit pas nôtre en
même temps, autrement elle n'aurait pu nous;souiller, mais elle est étrangère en
ce sens que c'est à notre insu que nous en sommes tous devenus coupables en
Adam, et elle est nôtre en ce sens , que, bien que nous ayons péché dans un
autre, cependant c'est nous qui avons péché, et cette faute nous sera imputée
par un jugement aussi juste qu'impénétrable de Dieu. Mais pour que tu n'aies
point d'excuse; ô homme, pour réparer la désobéissance d'Adam, il t'a été donné
l'obéissance de Jésus-Christ, en sorte que si tu as été vendu gratuitement , tu
sois aussi racheté gratuitement; si tu as péri dans Adam à ton insu, c'est
également à ton insu que tu es purifié en Jésus-Christ. Quand Adam a porté une
main malheureuse sur le fruit défendu, tu n'en eus pas plus conscience de ce que
fit le Sauveur quand il étendit ses mains innocentes sur l'arbre du salut. Du
premier homme a découlé en ton âme la faute qui l'a souillée, et du côté de
Jésus-Christ, l'eau qui l'a purifiée. Mais à présent, souillé par tes propres
fautes, c'est dans ton eau à toi que tu devras te laver, mais toujours en celui
et par celui qui seul purifie l'homme de ses péchés.
4. La première de ces urnes et la première de nos
purifications est la componction dont nous lisons que le Seigneur a dit : " du
moment que le pécheur la ressentira dans son coeur, je ne me rappellerai plus
aucune de ses iniquités (Ezech. IV, 18). " La seconde est la confession, car la
confession lave tous les péchés. La troisième consiste dans l'aumône, selon ce
que nous voyons dans l'Evangile : " Donnez l'aumône, et toutes choses seront
pures pour vous (Luc. XI, 41). " Le pardon des injures est le quatrième; car
nous disons dans la prière : " Pardonnez-nous nos offenses comme nous les
pardonnons à ceux qui nous ont offensés (Matth. VI,12). " La cinquième est la
mortification de la chair, aussi demandons-nous dans la prière a d'être purifiés
-par l'abstinence, afin de chanter la gloire de Dieu. La sixième est la
soumission aux préceptes, à l'exemple des disciples qui méritèrent d'entendre
ces paroles, et Dieu veuille que nous nous rendions dignes de les entendre aussi
: " Pour vous, vous êtes purs à cause de la parole que je vous ai dite (Joan. XV,
3). " Il est vrai qu'ils ne ressemblaient point à ceux dont il est dit : " Ma
parole ne trouve point d'accès en vous (Joan. VIII, 37), "
du contraire ils étaient soumis à la parole
du Sauveur dès qu'ils l'entendaient. Voilà quelles sont les six urnes qui ont
été disposées pour nous purifier; elles sont vides ou ne sont pleines que de
vent si elles tue vous servent qu'à la vaine gloire, au contraire elles sont
remplies d'eau si elles sont gardées par la crainte de Dieu, attendu que la
crainte du Seigneur est une source de vie. Oui, la crainte du Seigneur est une
eau, une eau qui peut-être flatte peu le palais, mais dont la fraîcheur tempère
admirablement les ardeurs des mauvais désirs; enfin c'est une eau qui éteint les
traits enflammés de l'ennemi. Une ressemblance de plus entre la crainte et
l'eau, c'est que celle-ci recherche toujours les fonds, et celle-là abaisse nos
pensées, se plaît aussi à descendre, parcourt les endroits horribles avec une
âme tremblante, selon ces paroles : " J'irai aux portes mêmes de l'enfer (Is.
XXXVIII, 10). " Mais par un effet de la puissance de Dieu, cette eau se change
en vin, lorsque la chasteté parfaite chasse toute crainte de notre âme.
5. Il est dit que ces urnes étaient de pierre,
c'est moins pour en indiquer la dureté que pour en montrer la fixité. " Chacune
contenait environ deux ou trois mesures." Les deux mesures nous représentent
deux sortes de craintes; la première, de nous voir peut-être un jour précipités
en enfer, la seconde de nous entendre peut-être, exclure de la vie éternelle.
Mais comme il s'agit là de choses qui peuvent ne point arriver, et que l'âme
peut se flatter de faire un jour pénitence après avoir passé une partie de la
vie dans les plaisirs des sens, et de pouvoir échapper ainsi à l'enfer et
obtenir le ciel, il est bon d'ajouter une troisième crainte aux deus premières,
une crainte bien connue des hommes spirituels, et d'autant plus utile qu'elle se
rapporte au temps présent. Or ceux qui connaissent la nourriture spirituelle ne
craignent rien tant que de s'en voir privés. C'est qu'en effet quiconque a mis
la main à de fortes entreprises sent le besoin d'une forte nourriture. Que ceux
qui passent leur vie aux oeuvres de terre et de briques se contentent des
pailles de l'Egypte; pour nous qui avons une longue route à faire, nous avons
besoin d'une nourriture plus forte afin de continuer notre chemin. Or cette
nourriture c'est le pain des anges, c'est le pain de vie, c'est notre pain
quotidien. C'est: de lui qu'il est question dans la promesse qui nous a été
faite que nous recevrions le centuple en cette vie. De même a qu'aux mercenaires
on donne leur pain quotidien pendant que durent leurs travaux, en réservant la
récompense pour la fin, ainsi le Seigneur nous donnera à la fin, la vie
éternelle; mais il nous montre et nous promet en attendant le centuple en cette
vie. Faut-il s'étonner si tous ceux qui,
ont déjà reçu ce centuple ont peur de le perdre?, Or voilà quelle est la
troisième mesure qui ne se trouve liée aux deux premières que par la
disjonctive, ou pour donner à entendre que le centuple n'est point promis à tout
le monde, mais seulement à ceux qui ont tout quitté.
DEUXIÈME SERMON
POUR LE PREMIER DIMANCHE APRÈS L'OCTAVE DE L'EPIPHANIE
Sur les noces spirituelles désignées dans l’Evangile.
1. Mes frères, s'il y a ans la consécration
extérieure des œuvres de Dieu, de quoi nourrir les esprits les moins capables;
ceux qui sont plus exercés trouvent, dans la considération intérieure de ces
mêmes oeuvres, une nourriture plus solide, un aliment plus doux, comme la
graisse et la moelle du froment ; car si elles charment par leur apparence
extérieure, elles charment par un bien plus puissant attrait, par leur vertu
intérieure. Elles sont comme le Christ qui au dehors était le plus beau des
enfants des hommes, et à l'intérieur est semblable à l'éclat de la lumière
éternelle et grand aux yeux mêmes des anges. En effet, si au dehors on voyait en
lui un homme exempt de péché, une chair sans souillure, un agneau sans tache; si
" ses pieds sont beaux quand il annonce et prêche la paix (Is. LII, 7),"
combien, semble plus belle et plus précieuse encore la tête même du Christ qui
n'est autre que Dieu ! C'est un charme bien grand de voir un homme en qui le
péché n'a point de prise, et j'estime bien heureux les yeux qui purent le
contempler, mais je trouve bien des fois plus heureux. encore " les coeurs purs
parce qu'ils verront Dieu, (Matth. V, 8). " Aussi quand l'Apôtre eut aperçu
l'amande, ne comptant plus pour rien l'enveloppe brisée qui l'avait dérobée à
ses yeux, quoiqu'elle fût belle aussi , il s'écriait : " Si nous avons connu
autrefois le Christ selon la chair, nous ne le connaissons plus maintenant de
cette sorte (Cor. V, 17). " Le Seigneur avait bien prédit lui-même qu'il en
serait ainsi, car il avait dit : " La chair ne sert de rien, c'est l'esprit qui
vivifie (Jean. VI, 64 et alibi)." C'est dans cette ,vision que consiste la
sagesse dont saint Paul parle au. milieu des parfaits, non point parmi ceux. à
qui nous voyons qu'il disait " Je n'ai point fait profession de savoir autre
chose parmi vous que Jésus-Christ, et même Jésus-Christ crucifié (I. Cor. II,
2). " Il est tout entier plein de charme et de douceur, tout entier salutaire,
enfin, comme dit l'épouse des Cantiques, il est tout entier désirable (Cant. V,
16). On le trouve dans ses couvres tel qu'il fut montré en lui-même. En effet,
si l'enveloppe extérieure est charmante à l'oeil, on trouve au-dedans, quand on
la brise, un fruit bien plus doux. et bien plus délectable. Ce n'est pas ce
qu'on retrouve dans les Pères de l'Ancien Testament. En effet si le sens caché
de leurs actions était beau et plein de charme, cependant considérées en
elles-mêmes elles semblent quelquefois peu louables; tel est, par exemple, ce
que fit Jacob, tel encore l'adultère de David et beaucoup d'autres actions
pareilles, C'étaient comme des vases de peu de valeur qui renfermaient de
précieuses essences. Peut-être, est-ce à cause de cela qu'il est dit: "Elles
ressemblaient à un nuage s6nibre dans les airs (Psal., XVII, 12); " leurs
actions étaient, en effet, comme des nuées ténébreuses et que le Psalmiste
ajoute aussitôt, en parlant du Seigneur : " Les nuées s'évanouirent à l'éclat de
sa présence (Ibid. 13). "
2. Je pense que vous avez compris où je veux en
venir en vous parlant ainsi. Vous avez, en effet,. entendu dans l'Evangile du
jour, que le miracle que Notre-Seigneur, fit au noces de Cana fut le premier de
ses miracles. Le récit en est bien admirable, mais le sens caché est plus
délectable encore; car si ce fut une grande preuve de sa divinité que le
changement de l'eau en vin à sa seule volonté, celui dont il n'est que la figure
est un changement bien meilleur de la droite du Très-Haut. Nous avons été tous
appelés à des noces spirituelles où l'époux est Jésus. Christ même. Voilà
pourquoi nous chantons avec le Psalmiste : " Il est semblable à un époux sortant
de sa chambre nuptiale (Psal. XVIII, 6). " Mais c'est nous qui sommes l'épouse
si vous voulez bien m'en croire, tous ensemble nous ne faisons qu'une seule
épouse, et chacune de nos âmes est comme une épouse distincte. Mais quand
sera-t-il donné à notre fragilité de sentir que son coeur a pour nous le même
amour qu'un époux pour son épouse? Car cette épouse est bien loin d'égaler son
époux par sa naissance, sa beauté et ses qualités. Et pourtant c'est pour cette
Ethiopienne que le Fils du Roi- éternel est venu de si loin, et c'est afin de
pouvoir l'épouser qu'il n'a pas craint de donner même sa vie pour elle. Moïse
aussi a épousé une Ethiopienne (Num. XII); mais il: ne put changer la couleur de
sa peau: Le Christ, au contraire, s'est fait une Eglise pleine de gloire, sans
tache ni ride; de celle qu'il a aimée dans sa honte et sa souillure. Qu'Aaron se
plaigne, que Marie murmure, je veux parler de l'ancienne, non de la nouvelle
Marie, de la soeur de Moïse non de la mère du Seigneur, non de notre Marie,
dis-je, qui se montre inquiète, si par hasard il manque quelque chose à la table
des: noces. Mais vous, ce n'est que trop juste; laissant le grand-prêtre et la
Synagogue murmurer; répandez-vous de toute votre âme en vives actions de grâces.
3. Mais d'où te vient ce bonheur, ô âme de
l'homme; d'où te, vient-il ? D'où te, vient la gloire ineffable d'être choisie
pour épouse par celui sur qui les anges mêmes brûlent du désir de pouvoir
arrêter leurs regards ? Qu'est-ce qui te vaut l'honneur d'avoir pour époux celui
dont le soleil et la lune admirent l'éclat, celui à un signe de qui tout change
de nature ! Que rendras-tu au Seigneur en reconnaissance de tout ce qu'il t'a
donné, en t'admettant à sa table, en,te faisant partager sa couronne et son lit;
en te faisant entrer dans sa couche royale ? Vois quels doivent être tes
sentiments pour ce Dieu, vois ce que tu peux attendre de lui, vois enfin quel
amour tu dois lui rendre et avec quelles étreintes affectueuses tu dois
l'embrasser, lui qui t'a témoigné tant d'estime et qui t'a regardée comme d'une
si grande valeur pour lui. Il t'a reformée, en effet, du sang même de son flanc,
quand il s'est endormi pour toi, sur l'arbre de la crois, et livré au sommeil de
la mort. C'est pour toi qu'il a laissé la société de son père et quitté sa mère
la Synagogue; c'était pour t'attacher si bien à lui que tu ne fisses plus qu'un
seul esprit avec lui, Ecoute donc maintenant, ma fille, vois et considère quel
honneur ton Dieu t'a fait, oublie ton peuple et la maison de ton père : quitte
tes affections charnelles, désapprends les moeurs du monde; renonce à tes
premiers défauts, perds le souvenir de tes mauvaises habitudes. A quoi
penses-tu, en effet? L'Ange du Seigneur n'est-il point là, près de toi, pour te
mettre en pièces si tu as le malheur (que Dieu t'en préserve!) de t'abandonner à
un autre amant que lui?
4. Car déjà tu es fiancée avec lui, déjà le dîner
des noces est servi, et le couper se Prépare dans les cieux, à la cour
éternelle. Est-ce que le vin manquera jamais à ce souper ? Non, non; car on y
sera enivré de l'abondance qui distingue la maison de Dieu, et on y boira à même
une abondance de délices (Psal. XXXV, 9). Pour ce souper de noces, est en effet
préparé un fleuve de vin, oui de vin, dis-je, pour réjouir le coeur, puisqu'il
est parlé d'un fleuve dont le cours réjouit la cité de Dieu (Psal. XLV, 3). Mais
pour ce moment il nous reste- une longue route à parcourir, nous. commençons par
dîner ici-bas, mais non pas avec une pareille abondance; attendu que la
plénitude et la satiété sont réservées pour le souper: de l'éternité. Pendant la
vie, le vin fait quelquefois défaut à notre table, et par-là je veux dire que la
grâce de la dévotion et la ferveur de la charité nous manquent quelquefois. Que
de fois, en effet, ne suis-je pas forcé, mes frères, après que vous avez prié et
gémi, de supplier la Mère de miséricorde, de rappeler à son aimable Fils, que
vous n'avez plus de vin ? Quant à elle, soyez-en sûrs, mes frères bien-aimés,
c'est moi qui vous le dis, si vous frappez à l'aorte de son coeur avec piété,
elle ne fera point défaut à notre misère, car elle a le coeur miséricordieux et
elle est la Mère de la miséricorde. En effet si elle, a compati à l'embarras de
ceux qui l'avaient invitée, elle compatira bien plus à nos privations, si nous
l’invoquons avec piété, attendu qu'elle aime nos noces, et qu'eue s'y :intéresse
bien plus encore qu'à celles de Cana, parce que ce sont aussi celles du céleste
Epoux qui est sorti de son sein comme de sa chambre nuptiale.
5. Mais qui n'est frappé de la réponse que le
Seigneur fit aux noces de Cana, à sa très sainte et très bienveillante Mère,
quand il lui dit " Femme, qu'y a-t-il de commun entre vous et moi ? " Ce qu'il y
a de commun, Seigneur, entre vous et elle? Mais n'est-ce point ce qu'il y a de
commun entre un fils et sa mère? vous demandez quel rapport il y a entre vous et
elle; mais n'êtes-vous point le fruit béni de ses entrailles ? Ne vous a-t-elle
point conçu sans préjudice pour sa virginité, et ne vous a-t-elle point enfanté
sans souillure ? N'est ce pas dans son sein que vous avez passé neuf mois
entiers, ne sont-ce point ses mamelles qui vous ont allaité, enfin n'est-ce pas
avec elle, qu'a l'âge de douze ans, vous êtes revenu de Jérusalem, et à elle que
vous étiez soumis alors? Pourquoi donc aujourd'hui, Seigneur, lui parlez-vous si
durement et lui dites-vous : " Femme, qu'y a-t-il de commun entre vous et moi ?
" Il y a beaucoup de commun entre vous et elle. Mais, je le vois bien, ce n'est
point avec impatience, ni avec la pensée de confondre la respectueuse tendresse
de votre Mère que vous lui dites : " femme, qu'y a-t-il de commun entrevous et
moi ? " puisque, dès que les serviteurs se présentent à vous, selon ce que votre
mère leur a recommandé, vous n'hésitez point à faire le miracle dont elle vous a
suggéré la pensée. Pourquoi donc, mes frères; oui, pourquoi a-t-il donc commencé
par lui faire cette réponse ?: C'est pour nous, n'en doutez point, afin qu'une
fois que nous nous sommes convertis à Dieu, nous ne nous préoccupions plus de
nos parents selon la chair, et que leurs besoins ne fassent point obstacles à
nos exercices spirituels. Tant que nous vivons dans le siècle, il est
indubitable que nous nous devons à notre famille. Ma is,dès l'instant que nous
nous sommes renoncés à nous-mêmes, nous devons à plus forte raison nous regarder
comme délivrés de toute préoccupation en ce qui les concerne. Aussi l'histoire
rapporte-t-elle qu'un jour, un homme qui avait embrassé la vie du désert, voyant
venir à lui un de ses frères pour lui demander quelques secours, lui répondit:
Adressez-vous à notre autre frère, lui du moins n'est pas mort: oui, il l'est,
répondit le solliciteur étonné; et moi aussi, reprit l'ermite. C'est donc pour
nous apprendre a ne point nous inquiéter de nos proches selon la chair, plus que
la profession religieuse ne le permet, que le Seigneur répondit à sa mère, et à
quelle mère encore! "Femme, qu'y a-t-il de commun entre vous et moi? " C'est
ainsi que dans un autre endroit, quelqu'un lui disant tout bas que sa mère était
à la porte avec ses frères et l'attendait pour lui parler, il reprit : " Qui est
ma Mère et qui sont mes frères (Matth. XII, 48)? " Où sont après cela ceux qui
se montrent aussi remplis d’une vaine et charnelle sollicitude pour, leurs
proches selon la chair, que s'ils vivaient encore eux-mêmes au sein de leur
famille.
6. Mais voyons la suite. " Or, il y avait là, dit
l'Evangéliste, six grandes urnes de pierre, pour servir aux purifications qui
étaient en usage chez les Juifs. " Ces mots vous indiquent manifestement qu'on
n'en est encore qu'aux préparatifs des noces, puisqu'on a encore besoin de
purifications. Ce repas de noces n'est donc réellement que le festin des
fiançailles, non pas encore celui de l'union nuptiale, car il s'en faut bien que
nous croyions qu'on aura besoin des vases destinés aux purifications, lorsque le
Christ fera paraître à ses yeux, une Eglise pleine de gloire, sans tache, sans
vide ou quoi que ce soit de semblable. En effet, quel besoin de purification la
où il n'y a plus de souillure? Le temps des purifications est celui de la vie
présente, il est évident, en effet, que s'il y a nécessité de se purifier
quelque part, c'est bien là où personne n'est exempt de souillure, pas même
l'enfant qui n'a encore passé qu'un jour sur la terre. C'est donc maintenant que
l'épouse se purifie, afin de pouvoir se présenter sans tache à son époux le jour
des noces célestes. Recherchons donc ces six urnes, où nous puissions pratiquer
la purification des Juifs, c'est-à-dire de ceux qui confessent leurs péchés; car
si nous prétendons être sans péché, nous nous séduisons nous-mêmes, et la vérité
n'est point en nous, la vérité, dis-je, qui seule nous affranchit, seule nous
sauve et seule nous purifie. Si nous confessons nos péchés, nous serons les
vrais Juifs; et les urnes de la purification ne nous manqueront point; car Dieu
est fidèle, il nous remettra donc nos péchés, et nous purifiera de toute
iniquité.
7. Pour moi, ces six urnes ne sont autre chose que
six pratiques que nos pères ont établies pour purifier le coeur de ceux qui
confessent leurs péchés, et si je ne me trompe, nous allons pouvoir les trouver
toutes ici. Ainsi, la première de ces urnes est la continence (a) dont la
chasteté efface toutes les souillures de la luxure. La seconde est le jeûne qui
lave dans l'abstinence les taches que l'excès du boire et du manger a faites à
l'âme. La paresse et l'oisiveté, qui sont ennemies de l'âme, nous ont fait
contracter aussi bien des souillures, alors que, nonobstant le précepte divin,
au lieu de manger notre pain à la sueur de notre front, c'est à la sueur du
front d'autrui que nous l'avons mangé. La troisième urne est donc celle du
travail des mains qui enlève ces souillures. Il y a bien des fautes aussi que
nous commettons pendant le demi-sommeil de la nuit et des heures de ténèbres,
pour elles, se trouve disposée là la a quatrième urne, je veux parler de la
pratique des veilles qui nous fait s lever la nuit, pour chanter les louanges de
Dieu, et pour racheter les nuits mauvaises du temps passé. Qui rie sait aussi
combien de souillures la langue aussi, a été la source pour nous, dans ces vains
entretiens, dans ces adulations, dans ces mensonges, dans ces paroles de malice
ou d'orgueil ? Pour toutes ces taches, il nous faut une cinquième urne, c'est
celle du silence, du silence, dis-je, qui est le gardien de la vie religieuse,
et qui fait notre force. La sixième urne est la discipline, qui ne nous permet
plus de vivre à notre gré, mais nous astreint à la volonté d'autrui, afin de
nous purifier de tous les péchés que nous avons commis, en vivant sans règle et
sans discipline. Toutes ces urnes sont de pierre, c'est-à-dire sont dures, mais
nous n'en sommes pas moins obligés de nous y purifier, si nous ne voulons point
que, à cause de nos souillures, le Seigneur ne nous donne un billet de divorce.
Pourtant, si l'Évangéliste nous dit qu'elles étaient de pierres, c'est bien
moins pour nous faire comprendre qu'elles sont dures, que pour nous faire
entendre qu’elles sont solides, c'est, qu'en effet, toutes ces observances ne
purifient qu'à condition qu'elles seront stables.
8. Le Seigneur dit donc à ceux qui servaient : "
Emplissez d'eau ces urnes." Que dites-vous là Seigneur ? Les serviteurs sont en
peine pour se procurer du vin, et vous leur ordonnez de remplir d'eau ces urnes?
N'est-ce pas ainsi que Laban donnait Lia au lieu de Rachel, à Jacob qui
soupirait après la possession de cette dernière (Gen. XXIX) ? C'est à nous, mes
frères, à nous qui sommes vos domestiques et vos serviteurs, que Jésus-Christ
ordonne de remplir les urnes d'eau, toutes les fois que le vin manque. C'est
comme s'il nous disait : ils n'ont plus de dévotion, ils manquent de vin, ils
demandent la ferveur ; mais mon heure n'est point encore venue, remplissez d'eau
les urnes. Or, quelle est l'eau de la sagesse, cette eau salutaire, sinon douce,
sinon la crainte du Seigneur, qui est la source de la vie et le commencement de
la sagesse? Il dit donc aux ministres : inspirez la crainte, emplissez de cette
eau, non pas tant les vases que les coeurs, attendu que, pour arriver à la
charité, il faut qu'ils commencent par la crainte, afin de pouvoir dire avec le
Prophète : " Nous avons conçu dans votre crainte, Seigneur, et nous avons
enfanté un esprit de salut ( Isa. XXVI, 18). " Mais comment les remplira-t-on
ces urnes? L'Évangéliste nous a déjà prévenus que " les unes tiennent deux
mesures, et les autres trois? Or, qu'est-ce qu'il faut entendre par ces deux
mesures, et quelle est la troisième? Je vous réponds, il y a deux sortes de
craintes communes et connues de tous; il en est une troisième moins commune et
moins connue. La première est celle des tourments de l'enfer; la seconde est
l'appréhension d'être privé de la vue de Dieu, et exclu de sa gloire
inestimable; la troisième est celle qui remplit l'âme timide de toutes sortes
d'appréhensions d'être un jour abandonnée de la grâce.
9. Or, toute crainte du Seigneur éteint la
concupiscence du péché, comme l'eau éteint le feu. Mais cela est tout
particulièrement vrai de la crainte qui s'élève dans une âme, au premier souffle
de la tentation et lui fait appréhender le malheur de perdre la grâce et d'en
venir à cet état où l'homme abandonné, tombe tous les jours d'un mal dans un
pire, d'une faute moindre dans une plus grande, absolument comme on voit les
personnes qui, une fois dans la malpropreté, se souillent encore davantage. Avec
cette crainte, il n'y a pas de danger que l'âme se flatte elle-même, en. se
disant que la faute est légère, ou qu'elle s'en corrigera plus tard, car ce sont
les deux prétextes qui paralysent le plus ordinairement les deux premières
craintes. Eh bien, voilà l'eau dont le Seigneur nous ordonne d'emplir les urnes,
car elles sont vides quelquefois, ou ne sont remplies que d'air ; ce qui arrive,
par exemple, lorsque quelqu'un, est tellement insensé que, chez lui, l'amour de
la vanité rend vides de mérites éternels, les observances dont je vous ai parlé
tout à l’heure, et les fait ressembler aux vierges folles qui n'avaient pas
d'huile dans leurs lampes. Il peut se faire aussi quelquefois que ces urnes
soient pleines, mais pleines de poison, c'est-à-dire remplies par l'envie,
parles murmures, par la rancune et par les détractions. Voilà pourquoi, de peur
que tous ces vices ne viennent à les remplir quand elles sont vides de vin, le
Seigneur nous ordonne de les remplir d'eau, c'est-à-dire de la crainte qui fait
observer les commandements de Dieu. Cette eau se trouve changée en vin lorsque
la crainte cède la place à la charité, et que tout s'accomplit avec un esprit de
ferveur, de plaisir et de dévotion.
Source :
http://www.abbaye-saint-benoit.ch/
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