Le 20 novembre 1890, le
Pape Léon XIII disait aux étudiants du collège de Saint-Antoine à Rome : "Et
vous, Franciscains, vous avec le Maître que vous ne devez pas cesser d'étudier
pour soutenir et défendre la doctrine catholique… Vous,
Franciscains, vous avez
le séraphique Docteur saint Bonaventure, qui après avoir touché au sommet de la
spéculation scientifique, sut s'élever dans la théologie mystique à une hauteur
que nul autre n'a pu atteindre ; nous le lisons volontiers et souvent ; après
cette lecture, nous nous sentons toujours, levés, renouvelés et réjouis dans
notre âme, Saint Bonaventure conduit à Dieu par ma main…"
En sa "Divine Comédie",
Dante nous fait apparaître en son voyage, dans le Paradis, d'abord, saint Thomas
qui figure comme chef de la théorie de science ; c'est lui qui répond aux
interrogations du pieux pèlerin et fait l'éloge du séraphique François, Dès “que
la flamme bienheureuse eut dit ― c'est-à-dire
que saint Thomas eut parlé ― la
sainte meule commença à tourner ; c'est alors Bonaventure, le théologien de
l'amour qui prend la parole ― Du
cœur de l'une des nouvelles lumières sortit une voix qui, me tournant vers elle,
me fit ressembler à l'aiguille tournée vers le pôle… l'amour qui me fit belle.”
Et le Docteur séraphique
raconte les vertus de saint Dominique : "Il est juste là où est l'un d'eux,
l'autre paraisse aussi, puisqu'ils ont milité pour la même cause, il faut que
leur gloire brille en même temps."
Ce passage de Dante a
toute son application quand il s'agit du Docteur angélique et du Docteur
séraphique. Ne sont-ils pas, après Dominique et François, les astres les plus
brillants au ciel de deux Ordres frères! En effet, si Thomas d'Aquin triomphe
sur le terrain de la dogmatique, sur celui de la mystique, Bonaventure occupe
une place que ne lui dispute pas son ami, par la force, la clarté et la
puissance de sa logique, Thomas affermit les esprits dans la foi Bonaventure
entraîne les cœurs dans les sphères de la plus sublime contemplation. Leur mode
d'action est divers, le terme visé est un, il faut connaître pour aimer, la
vertu est le fruit de l'intelligence et de la volonté, Thomas compte plus de
partisans, parce que sa théologie est pour l'intelligence alors que celle de
Bonaventure tend à l'amour, à l'amour divin, Voilà pourquoi le bienheureux
Raymond Lulle se lamentera de ce que la philosophie de l'Amour compte moins
d'amis que la philosophie de la science.
Saint Bonaventure pose
d'abord comme principe, que par ses dons "Le Saint -Esprit se prépare en la
demeure de l'âme une joyeuse habitation et s'y constitue un saint monde
d'action ; puis il dispose toute la famille de l'âme à servir Dieu et à lui
obéir, facilement, enfin il dresse et instruit toutes les facultés intérieures,
les prémunissant contre les tentations , les défauts naturels, et autres, qui
parfois manifestent empêchant ainsi l'âme de s'engourdir dans l'oisive
tranquillité et possession des dons."
Le don d'intelligence
révèle la vérité de la dilection du Christ, c'est-à-dire de son immense amour ;
et voici que Bonaventure pénètrera jusqu'au fond, car il ne lui suffit pas de
voir à travers des voiles. La perspicacité de sa foi ne s'arrêtera pas là; la
contemplation de la chair pantelante d'un crucifix ; il plongera son regard de
la plaie béante du côté transpercé de Jésus ; la forme de la petite hostie et sa
blancheur ne lui seront plus un obstacle, il pénètrera bien au delà. La vérité
de la dilection du Christ est dans la charité, dans la charité sans borne et
sans limites ; la charité a son centre et son foyer dans le cœur . C'est
jusqu'au Cœur de Jésus que s'étendra la dévotion du séraphique Docteur, sa piété
ne s'arrêtera pas aux formes extérieures de la Passion, elle va plus loin que
les espèces eucharistiques.
Éminemment chrétienne,
elle monte jusqu'aux sources de l'amour divin incarné dans le Christ notre
Sauveur. Quand le pieux Docteur verse des larmes de compassion en méditation sur
les souffrances du Rédempteur du monde, quand son cœur est rempli de délicieuse
affection devant le tabernacle, c'est que dans la Passion comme dans
l'Eucharistie, il trouve le Cœur infiniment aimant de Jésus. La Passion,
l'Eucharistie n'ont de signification pour son âme que si elle rencontre le Cœur
de Jésus brûlant d'amour pour les hommes. Ce cœur est éternellement inséparable
du Verbe fait chair." Jésus est dans l'Eucharistie, Jésus est sur la croix,
c'est Jésus qui aime, son Cœur n'est en résumé autre chose que l'amour, amour
substantiel éternel et divin, et c'est cet amour principe et fin de tout que
saint Bonaventure contemple et vers lequel il tend.
Le pieux Docteur n'aima
pas moins Marie que ne l'avaient fait ses devanciers, car la dévotion de saint
François et des premiers Frères Mineurs envers Marie, est demeurée comme un
héritage sacré dans l'Ordre ; ce fut lui qui en divers Chapitres généraux
ratifia les usages, les cérémonies et les fêtes établies en l'honneur de la
reine du Ciel. Lorsque l'Ordre est plus violemment attaqué, le saint Ministre
général prenant sa défense le met sous la tutelle plus spéciale de Marie en
cette façon : "O très digne Reine du monde, force des pauvres, avocate des
humbles, plus sublimement élevée parmi ton peuple, qu'Esther, par une pieuse
ferveur de ta miséricorde, Reine, daigne arracher à l' incursion hostile de
leurs ennemis, tes frères mineurs ; ils sont vraiment et particulièrement
tiens."
La piété est par dessus
tout le culte de Dieu ; et quand ce tribut divin est payé, elle se tourne vers
le prochain, "car la piété est un port où trouvent asile les indigents, c'est
un refuge pour les malheureux, une source de clémence pur les pécheurs, elle a
pour fin la foi pure et la sainte vérité. Mais son second acte est la
miséricorde, aussi s'étant-elle aux besoins spirituels et corporels." Le
saint docteur saint Bonaventure eut cette véritable piété, se manifestant plus
particulièrement par la miséricorde spirituelle, Volontiers, il pardonnait les
défaillances avec charité et bonté, il corrigeait les délinquants, il donnait et
prodiguait les conseils à quiconque en avait besoin, consolait les affligés,
priait pour le prochain et supportait avec patience les injures.
Grand fut saint
Bonaventure dans l'administration de son Ordre. Non seulement il eut à défendre
des Frères contre les détracteurs étrangers à sa famille religieuse, il eut
aussi a concilier les divergences de vue des Frères eux -mêmes. Il se montra
fort contre la malveillance des uns, ferme et énergique contre l'intransigeance
des autres. A tous il put démontrer, s'il ne réussit pas à les convaincre, que
la discipline, la dévotion, la régularité de l'observance exigeaient qu'on ne se
contentât plus de petits couvents ou de simples ermitages, comme cela se pouvait
alors que les Frères étaient peu nombreux. Les modifications qu'il sanctionna de
son autorité s'imposaient, comme le prouvait l'exemple suivi par de très saints
religieux, amis de la pauvreté et la sainte Règle. Sa grandeur de vue fut de
réglementer selon les règles de la plus sage prudence ce qui convenait à tous,
puis de laisser à chacun la latitude de se contenter en son particulier de
l'indispensable, se confirmant en cette manière aux intentions du séraphique
patriarche.
Ministre général, il
s'entoura de sages conseillers, de qui il prenait fréquemment l'avis. Dans les
délibérations capitulaires, il proposait humblement ce qu'il croyait utile au
bien, mais se rangeait à l'avis de l'assemblée. Loin de mépriser l'œuvre de ses
prédécesseurs, il recueillit toutes les constitutions établies par eux, les
rendit obligatoires et les compléta par de nouvelles ordonnances, devenu
nécessaires.
Humble, il n'ambitionnait
pas les honneurs. Il supplia le Pape Clément IV de ne point le forcer à accepter
l'archevêché d'York, en Angleterre, et quand Grégoire X le nomma cardinal et
députa vers lui les ambassadeurs chargés de lui remettre les insignes de sa
dignité, ceux-ci le trouvèrent occupé à la dernières des pratiques conventuelles
; tout comme le dernier des novices, Bonaventure lavait la vaisselle. Sans
discontinuer son travail, il pria les messagers du Pape de déposer sur un
branche d'arbre le chapeau que décemment il ne pouvait en ce monde prendre et
recevoir de leurs mains. Il termina son humble besogne, oui, après avoir repris
sur l'arbre le chapeau de cardinal, il alla rejoindre les envoyés apostoliques à
qui il rendit les honneurs dus à leur rang. Durant le concile de Lyon, le saint
Bonaventure joua un rôle considérable, il tomba fracassé par un malaise
inexplicable, il tomba, s'effondra, c'est le mot, telle une colonne qui
s'écroule en un violent cataclysme. Certains attribuent sa mort à l 'épuisement
et la fatigue ; un seul historien, le seul qui le dise, mais son affirmation est
absolue : "Une main criminelle, dit-il, empoisonna une coupe dont le contenu
conduisit au tombeau l'illustre champion de l'Église." Il n'avait que 53
ans.
Tiré des
Fleurs Franciscaines ;
Série-2- 15 Juillet
|