5-La sainteté
(suite)

Contemplation

Jésus veut être un homme comme les autres et durant le jour, pendant le travail quotidien ou les rencontres familiales, rien ne révèle sa divinité, sauf peut-être un recueillement profond, le recueillement de l’union à Dieu. Mais cela n’a rien d’extraordinaire. Aucun événement mystique particulier ne dévoilera le secret de sa divinité: cela ne pouvait pas se faire puisque, innocent et saint, Il n’avait pas à subir certaines manifestations liées à des purifications. Mais revenons à Jésus dans son petit jardin de Nazareth, témoin privilégié de ses relations avec le Père.

L’aube commence à peine à pointer et sa lueur rose pénètre dans la petite pièce où Jésus dort. Doucement, très doucement pour ne pas réveiller Joseph qui dort encore, Il se lève et sort. Il a saisi au passage un vêtement qu’Il met sur son dos, car il fait très frais à cette heure matinale... Il avance en caressant les plantes et les fleurs qui bordent la petite allée. Il les caresse doucement, avec amour, et Il tourne son regard vers le Père: “Merci, Père, pour toute cette beauté que Tu mets à la disposition des hommes. Merci, Père pour ta libéralité. Merci, Père, Toi qui nous donnes notre nourriture quotidienne.”

Ce matin-là, Jésus quitte le jardin: la campagne n’est pas bien loin et elle semble L’appeler. Voici un verger: tout est calme et silence, même les oiseaux se sont tus pour Le laisser à sa prière, à sa rencontre avec le Père, aux affaires de son Père. Jésus s’est d’abord appuyé sur le tronc d’un pommier et regarde au loin. Maintenant Il avance un peu afin de mieux contempler le Ciel. Ses yeux se ferment; un nimbe très ténu, à peine discernable, semble illuminer son visage. Jésus n’est plus de la terre. Jésus-Dieu a rejoint la Trinité, Jésus-Dieu-Fils a rejoint le Père. Le corps de Jésus-Dieu-Fils devient diaphane, voici que nous ne Le voyons plus...

Jésus sourit et fait quelques pas... Le Ciel L’illumine. Il s’arrête, contemple le Ciel et dit: “Oui Père, si c’est ta volonté.” Puis Jésus  revient lentement vers sa maison. Marie est déjà debout. Elle Le contemple, Lui sourit, mais ne dit rien: elle a l’habitude de ses sorties matinales, de son oraison divine qui Le fait rayonner de bonheur et d’Amour.

Joseph arrive en chantant un psaume: c’est sa façon à lui de dire “Bonjour!” Joseph, maintenant bénit le petit déjeuner et s’asseoit: il semble content et savoure la nourriture préparée avec amour par son épouse bien-aimée. Il regarde Jésus: “Comme il est grand! J’ai l’impression qu’il grandit chaque jour davantage. Pourtant, il a bientôt vingt ans, et on ne grandit plus à cet âge.” Puis Joseph parle d’une charpente qu’il va falloir commencer bientôt, car la maison à laquelle elle est destinée grandit, elle aussi. Jésus acquiesce. Tout est paix et amour à Nazareth.

Jésus est redevenu un homme, un homme de tous les jours, un homme humble, avec ses devoirs et ses soucis quotidiens. Il est redevenu un homme ordinaire, cent pour cent homme, quoique Dieu, mais l’Amour L’illumine encore. Est-ce sa nature divine qui n’arrive pas à se cacher complètement? Est-ce l’Amour qui est Lui, l’Amour qu’Il est, qui déborde de son Cœur, de son âme et rayonne de Lui transformant son Corps en ostensoir d’amour?

Marie et Joseph Le regardent, se regardent, et sans rien se dire, paraissent se comprendre. Marie et Joseph rayonnent d’amour eux aussi: sans le savoir, ils sont devenus des miroirs de l’Amour, de l’Amour de Dieu qui est Jésus. Il fait bon dans la maison de Jésus à Nazareth, la maison où le Père a suscité, pour l’enseignement de tous les hommes et à côté de l’humilité et de l’Amour de son Fils, d’autres miracles d’humilité et d’amour, miroirs humains du divin, comme des ostensoirs, des ostensoirs de son Amour. La Sainte Famille de Nazareth est vraiment le modèle de la sainteté que Dieu désire de tous les hommes.

Méditation sur la Sainte trinité

L’humilité de Dieu, infinie grandeur

Comment connaître la Trinité alors que nous ne connaissons même pas le Père? Comment imaginer l’Esprit qui est inimaginable? Comme l’apôtre Philippe nous disons à Jésus: “Montre-nous le Père, et cela nous suffit.” Et comme à Philippe, Jésus nous répond: “Depuis le temps que vous êtes avec Moi, vous ne Me connaissez pas encore! Pourtant, qui Me voit, voit le Père.”

Qui voit Jésus, voit le Père! Et Jésus regarde le Père, et le Père regarde le Verbe, son Verbe, son Fils, son Unique, et le Père, regardant son Fils, se voit comme dans un miroir. Le Père a dit à Saint Bernard et à d’autres saints: “Mon Fils et Moi, nous sommes UN.” Le Père regarde le Fils, L’aime infiniment, et se complaît en Lui. Le Fils regarde le Père, et L’aime infiniment, de toute éternité. Et le Fils dit éternellement, dans un acte d’Amour éternel et puissant, infiniment donné: “Père, que ta volonté soit faite.”

Le Père aime le Fils et ce que le Fils fait. Le Fils aime le Père et tout ce que sa volonté aimante veut. L’Amour du Père pour le Fils et du Fils pour le Père les enveloppe tous deux dans un immense souffle éternel d’Amour, un Esprit d’Amour infini, l’Amour que l’amour du Père et du Fils a personnifié. Le Père, le Fils et leur Amour: l’Esprit Saint. C’est une petite et bien faible idée que l’on peut se faire de la Trinité. Et cela reste bien abstrait, et nous faisons d’immenses efforts pour essayer de nous représenter ce qui, justement, ne peut pas être représenté.

Le Père parle une éternelle Parole, son Verbe. De leur mutuel embrassement, de leur amoureuse étreinte éternelle jaillit l’Esprit. Un seul Dieu et Père, un seul Dieu créateur mais trois personnes égales, identiques, une seule essence, une même substance... Infinie grandeur de Dieu trois fois saint!... Infini mystère de Dieu-Trinité qui veut, depuis toute éternité, unifier toute la création par le canal de l’humanité créée à son image et ressemblance, par le Corps mystique de Jésus, le Fils Unique, Verbe fait chair, seconde Personne de la Sainte Trinité, par le Corps mystique: l’Église, dont Jésus est la tête et dont nous sommes les membres. Le Cœur du Verbe, c’est le Cœur du Père puisqu’ils ne sont qu’UN.

Le Cœur de Jésus, c’est le Cœur du Corps mystique, le Corps mystique né de la Croix, Amour infini de Jésus pour les hommes. Le Cœur de Jésus, mort sur la Croix et ressuscité glorieux. Donc le Cœur du Corps mystique, rejoint le Cœur du Père dans un ineffable courant d’Amour qui embrase le Corps entier de ses flammes brûlantes. Dieu aime les hommes à ce point: l’humilité de Dieu, quelle infinie grandeur!

5-3-3-Le bonheur des humbles de cœur

”Bienheureux les cœurs humbles, ils seront près de Dieu et ils vivront en Dieu.” Quand nous relisons les Béatitudes rapportées par Saint Matthieu, nous ne trouvons pas cette béatitude. Pourtant, la Béatitude des cœurs humbles déborde de partout dans les Évangiles. Et la vie de Jésus la crie, même. Et sur la Croix elle trouve son accomplissement. C’est là un grand mystère, un mystère si profond et si vaste, que nous ne le comprenons pas, que nous ne pouvons pas le comprendre.

Bienheureux les cœurs humbles, ils seront près de Dieu et ils vivront en Dieu! Jésus fut et est toujours doux et humble de cœur. C’est Lui qui nous l’a dit. Jésus fut doux et humble durant toute sa vie. Il fut doux et humble quand Il enseignait ses disciples à l’esprit si borné. Il fut doux et humble dans les contradictions. Il fut doux et humble face à ses ennemis. Il fut doux et humble pendant son agonie, Il fut doux et humble durant sa Passion. Il fut doux et humble sur le Chemin de Croix. Il fut doux et humble en mourant sur la Croix.

Bienheureux les cœurs humbles, ils seront près de Dieu et ils vivront en Dieu!

Jésus fut doux et humble même en ressuscitant. Il triompha de ses ennemis, mais Il ne les a pas écrasés, car pour eux, l’heure de leur conversion n’était pas encore venue, et Dieu respecte toujours la liberté humaine. Jésus, doux et humble de cœur nous aime tellement qu’Il attend toujours que nos cœurs soient prêts à L’accueillir pour nous inviter à Le suivre sur son chemin d’humilité.

Comme il est si difficile à comprendre, ce chemin d’humilité que Jésus a choisi, celui qui Le conduisit à la Croix, qui mena ses disciples au martyre, celui qui est encore le sien dans sa vie glorieuse de Ressuscité!

Comme il est difficile à suivre le chemin d’humilité emprunté par Jésus! Et pourtant Il ose le qualifier de “bienheureux”, ce chemin qui nous effraie tant, ce chemin que nous avons tant de mal à emprunter même avec Jésus!

Bienheureux les cœurs humbles, ils seront près de Dieu et ils vivront en Dieu.

5-3-4-Bienheureux les cœurs humbles

Bienheureux les cœurs humbles, ils seront près de Dieu

Bienheureux les cœurs humbles, ils seront près de Dieu et ils vivront en Dieu. Contemplons Jésus. Tout en Lui est douceur et humilité, car, homme parmi les hommes, mais Dieu aussi, donc Amour empli de la Sagesse créatrice de Dieu, Il connaît la vraie place de l’homme, sa grandeur et sa petitesse, son extrême faiblesse, et sa vulnérabilité. Et Il sait que l’homme n’est que par Dieu qui le crée à chaque instant. Jésus sait que l’homme n’est rien, ne peut rien par lui-même, et qu’il disparaîtrait instantanément si Dieu cessait de le penser, cessait de le vouloir.

Quand nous méditons sur ces réalités nous sommes pris d’un vertige qui pourrait être destructeur s’il ne se réfugiait immédiatement dans l’Amour et la miséricorde, s’il ne se plongeait pas, s’il ne s’abandonnait pas dans la confiance, une confiance éperdue en Dieu, l’Amour Tout-Puissant Créateur. Jésus-Homme  savait tout cela, quand, sur la terre, Il partageait notre nature, nos contraintes et nos contingences. Mais l’orgueil n’était pas en Jésus, et sa dimension humaine restait parfaitement à sa place. Devant le Père, le Fils, incarné pour sauver l’homme, ne pouvait qu’être humble, car c’est en étant humble qu’Il était le Fils.

Jésus-Christ, Dieu égal au Père, mais ayant choisi notre nature humaine pour parfaire sa Création et réaliser son Corps mystique qui achèverait, de la manière que Dieu voulait depuis le commencement, l’union de la matière à la vie des esprits, ne pouvait qu’être humble, étroitement uni au Père et assumant notre matière.

Jésus était doux et humble, car son cœur ne faisait qu’un avec le cœur du Père. Dans une éternelle étreinte d’Amour, son cœur se perdait dans le cœur du Père pour être le cœur éternel et unique de Dieu. Entre le Père et Jésus, Fils du Père, c’est l’accord éternel et parfait, c’est l’obéissance amoureuse et libre unie à la volonté amoureuse du Père avec qui Il est un; c’est l’unicité d’une Trinité qui est trine car elle est Amour. Et dans cette unicité des Trois, dans cette égalité des Trois, il ne peut exister aucune rivalité... Dieu, forcément est humble, de l’humilité de l’Amour.

Dieu est Amour, et Dieu est bonheur infini, et Dieu est humble. Incarné parmi nous, le Cœur de Jésus-Dieu-fait-homme restait humble. Et Il voulait que l’homme, créé à l’image de Dieu, mais déformé par le péché, Il voulait que l’homme, pour redevenir la véritable image de Dieu, fût ou redevînt humble. Seulement alors, libéré de l’ennemi et de son orgueil, l’homme serait heureux. Il reviendrait vers Dieu, pourrait vivre avec Dieu et pourrait vivre en Dieu. Bienheureux les cœurs humbles, ils seront près de Dieu, et ils vivront en Dieu.

Jésus a dit: “Bienheureux ceux qui ont un cœur de pauvre, le Royaume des cieux est à eux.” Pourquoi Jésus n’a-t-Il pas dit: Bienheureux les humbles de cœur? Pourtant Il avait dit de Lui: “Apprenez de Moi que je suis doux et humble de cœur.” Pourquoi Jésus n’a-t-Il pas intégré l’humilité dans les Béatitudes? À moins que les apôtres aient oublié de nous transmettre cette béatitude étonnante qui va tellement à l’encontre de notre nature orgueilleuse... Pourquoi Jésus n’a-t-Il pas dit: Bienheureux les humbles de cœur? Pourtant, s’il est une vertu qu’Il aime, c’est bien l’humilité. L’obéissance et l’humilité sont les deux vertus que Dieu impose à tous ses saints, à tous sans exception. Alors, l’humilité du cœur ne rendrait-elle pas heureux? Pourtant les saints ont tous été des gens heureux, même au milieu des tribulations! N’y a-t-il aucune béatitude attachée à l’humilité du cœur? Sommes-nous dans une impasse?

Jésus était humble de cœur, et obéissant. Tellement obéissant qu’Il a donné sa vie pour nous, parce que c’était la volonté du Père. Et Il était tellement humble qu’Il a accepté de mourir sur une croix, ce supplice réservé aux esclaves. Il a accepté la mort sur la Croix au milieu des pires infamies, des moqueries, des sévices de toutes sortes parce que c’était la volonté du Père, parce que c’était la condition de notre Rédemption, parce qu’il fallait que nous comprenions combien est grand le malheur dû au péché qui nous sépare de Dieu.

Jésus, qui était Dieu, a pris la condition de serviteur et Il s’est abaissé Lui-même, devenant obéissant jusqu’à la mort et la mort sur une croix. Lui qui était le Créateur et Maître du monde, s’est fait le plus petit et le plus humble de tous les hommes. “C’est pourquoi Dieu le Père L’a exalté, afin qu’au nom de Jésus, tout genou fléchisse, au Ciel, sur terre et aux enfers, et que toute langue proclame: Jésus-Christ est Seigneur, à la Gloire de Dieu le Père.” (Ph. II, 6-11) L’obéissance de Jésus et son humilité sont incomparables: elles L’ont conduit à la Croix, elles ont été pour Lui le chemin de sa Gloire tout en permettant la réalisation de notre Rédemption.

L’obéissance et l’humilité de Jésus sont toujours l’apanage de son Sacré-Cœur, son Cœur doux et humble, et plein de tendresse et d’Amour. Son obéissance et son humilité, Jésus nous les offre continuellement, parce qu’Il sait bien que nous ne pourrons bénéficier pleinement du salut qu’Il nous a acquis, et que nous ne pourrons retrouver la grâce de Dieu, que si nous aussi nous devenons doux et humbles de cœur.  Et ce n’est que si nous sommes doux et humbles de cœur, comme Jésus, que nous pourrons être unis à Dieu, dès cette vie terrestre.

Et c’est seulement si nous sommes doux et humbles de cœur, comme Jésus, que nous pourrons accueillir pleinement la Rédemption, et, comme l’Apôtre, “achever dans nos vies ce qui manque aux souffrances du Christ, pour son Corps qui est l’Église”. Et être aussi, éternellement unis à Dieu, dans un bonheur sans fin.

Alors nous pouvons maintenant oser dire, avec Jésus, une nouvelle béatitude: Heureux les cœurs obéissants et humbles, ils participeront à l’oeuvre de la Rédemption et connaîtront la grâce de l’union divine?

Oh! les merveilles de l’humilité!

5-3-5-Les merveilles de l’humilité

Écoutons Jésus nous révéler les secrets du bonheur. C’est d’abord un peu déconcertant: “Bienheureux les pauvres, bienheureux ceux qui ont faim et soif, bienheureux les cœurs purs, bienheureux les doux, bienheureux ceux qui pleurent, bienheureux ceux qui savent pardonner, bienheureux êtes-vous si l’on vous persécute...”  

“Bienheureux les pauvres de cœur.” Oui, heureux ceux qui ont un cœur de pauvre, un cœur qui ne s’accroche pas désespérément à ses richesses pour en jouir égoïstement, un cœur qui sait partager... Heureux ces pauvres de cœur qui ne jalousent pas les autres qui ont plus qu’eux ou qui réussissent mieux qu’eux. Heureux ceux qui ont un cœur humble, compatissant et disponible, un cœur qui ouvre largement sa porte pour laisser Dieu entrer et recevoir le Royaume des Cieux. Bienheureux les pauvres de cœur qui savent que rien ne leur appartient, mais qu’ils ont tout reçu de Dieu, absolument tout, et gratuitement. Bienheureux ceux qui font aveuglément confiance à la divine Providence. “Bienheureux ces pauvres de cœur, (qui sont aussi des humbles de cœur) car le Royaume des Cieux est à eux!” Le Royaume des Cieux appartient à tous les pauvres de la terre, à tous les pauvres de cœur, dès cette vie, car ce sont eux qui possèdent Dieu, car ce sont eux qui, comme Jésus, sont doux et humbles de cœur.

Réfléchissons encore sur la pauvreté que Jésus aime, la pauvreté qui rend heureux. Suivons encore Jésus, tout au long de sa vie publique. Il a aimé les pauvres, mais curieusement l’Évangile nous parle rarement des pauvres tels que nous les connaissons aujourd’hui. Pour Jésus, les plus pauvres, c’étaient ceux qui savaient L’accueillir. C’étaient toutes ces foules de gens avides de Le connaître, avides aussi des guérisons qu’Il multipliait... C’étaient ces foules avides de Dieu, mais que tant de savants continuent à mépriser, estimant que ce sont des gens trop crédules.

Ceux qui couraient vers Jésus, c’étaient de pauvres types aux yeux des docteurs de la Loi. Ce sont ceux qui, de nos jours, las d’un monde sans Dieu, courent à Medjugorie, ou dans tant d’autres sanctuaires mariaux non encore officiellement reconnus par l’Église, ce qui est normal... Tous ces gens qui cherchent Dieu, sont-ce des crédules... La plupart de nos soit-disant savants les méprisent: et pourtant, que de conversions, que de guérisons dans ces sanctuaires bénis! Tous ces gens courent après Jésus qui ne les écarte pas; ce sont les pauvres de cœur qu’Il aime.

Jésus n’a jamais glorifié la misère. Jésus n’a jamais dit: “Heureux les misérables, les crève-la-faim.” Oh! non! Il demande, avec insistance, que nous donnions à manger à ceux qui ont faim, que nous donnions des vêtements à ceux qui sont nus et qui ont froid... On peut se demander comment Jésus regarderait nos foules contemporaines de manifestants, presque toujours des favorisés, qui ne manifestent que pour “en” avoir encore davantage. Que dirait Jésus? Il ne semble pas que ce soient là de vrais pauvres.

Les pauvres que Jésus aime, ce sont les pauvres de cœur, ce sont ceux qui savent aimer, partager, aimer leurs frères, mais sans se montrer, discrètement. Jésus a aimé Lazare et ses sœurs. Il aimait se retrouver chez eux, et Il mangeait avec eux. Pourtant, c’étaient des riches, mais Jésus devait les ouvrir à son Amour de telle sorte que leur cœur devienne un cœur de pauvre, un cœur ouvert à Dieu, un cœur qui sait que Tout vient de Dieu, et qui vit dans la confiance. Nous aussi, essayons d’ouvrir notre cœur à la pauvreté demandée par Jésus, la pauvreté de ceux qui sont bons et généreux, même s’ils sont riches matériellement. Car il est nécessaire qu’il y ait  des riches qui soient bons pour venir en aide à ceux qui n’ont pas le nécessaire.

Heureux les pauvres de cœur, le Royaume des Cieux est à eux! La pauvreté que Dieu aime, c’est la pauvreté du cœur, c’est la pauvreté du cœur humble qui sait que Dieu EST. L’humilité, dit-on, c’est la vérité, et l’unique Vérité c’est de savoir que seul Dieu EST, et que les créatures, toutes les créatures, ne sont rien, ou plutôt ne sont que par le désir de l’ÊTRE qui veut les faire exister. De nous-mêmes nous ne sommes rien, nous ne pouvons rien, tous nos efforts, même les plus grands ne peuvent que nous conduire à mettre notre néant et notre impuissance en évidence. Nous n’existons que parce que Dieu veut que nous existions, et nous dépendons entièrement de sa volonté à LUI. Dieu seul EST, Dieu seul peut, Dieu seul est QUELQU’UN par Lui-même.

“Bienheureux ceux qui ont faim et soif, oui, mais de la justice, car ils seront rassasiés!” Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice, c’est-à-dire qui savent rendre à Dieu ce qui est à Dieu et à César ce qui est à César. Bienheureux les justes selon l’expression juive, ceux que nous appellerions aujourd’hui des saints. “Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait” a aussi dit Jésus. Ne trichez pas, soyez honnêtes, ne jugez pas à tort et à travers, car vous ne connaissez pas les vraies causes de certaines actions: laissez le jugement à Dieu qui, seul, voit ce qu’il y a dans les cœurs. Et n’oubliez pas que Dieu est Miséricorde... et que s’Il est Justice, Il est aussi pardon, et Amour.   “Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice, car ils seront rassasiés!” Oui, bienheureux ceux-là qui veulent que le Règne de Dieu arrive, qui ont faim et soif de sa justice, de sa sainteté, de son Amour! Ceux-là seront tous rassasiés!

Nous entendons Jésus dire avec joie: “Bienheureux les cœurs purs, purs comme des cœurs d’enfants, car Ils verront Dieu.” Nos cœurs voient Jésus sur la Croix. Il est déjà mort, mais Pilate ne peut pas autoriser que l’on descende son corps de la Croix sans qu’un soldat se soit assuré qu’Il est vraiment mort. Alors, d’un coup de lance, un soldat Lui transperce le cœur. “Il en sort de l’eau et du sang!” Et le centurion au cœur pur, ébloui par tout ce qu’il vient de vivre et de voir, ébloui par la dignité surhumaine du supplicié, par sa Royauté qui transparaissait malgré la souffrance et les ignominies, le centurion s’écrie: “Sûrement cet homme-là était un juste! Vraiment, cet homme était le Fils de Dieu!” 

Le centurion au cœur pur, au cœur sans pli, sans recoin, sans détour, au cœur pur largement ouvert à la grâce qui coulait déjà du cœur ouvert de Jésus, venait de voir Dieu. Le centurion romain, ce païen méprisé des juifs, fut le premier à reconnaître le Fils de Dieu dans l’Homme crucifié. Le premier à voir Dieu! Le premier cri de foi qui jaillit de l’Église naissante, ce fut celui d’un soldat romain, un païen au cœur pur, d’un païen qui avait vu Dieu! “Bienheureux les cœurs purs, car ils verront Dieu!”

Comment, dans notre monde de violence, Jésus peut-Il arriver à transformer les cœurs et à juger bienheureux ceux qui sont doux? “Bienheureux les doux, car ils posséderont la terre!”

Nous entendons Jésus dire à ses apôtres: “Apprenez de moi que Je suis doux et humble de cœur.” Les fils du Tonnerre se regardent... Ils regardent leur Maître et se demandent s’ils ont bien entendu. Ils se souviennent avec fierté du jour où, au Temple, Jésus avait renversé les tables des changeurs, leur reprochant de transformer la maison son Père en caverne de voleurs. Vraiment, Il s’affirmait comme un homme vaillant et prêt à tout pour qu’on respecte le lieu saint et la Gloire de Dieu.

Jacques et Jean se regardent, sourient, mais bientôt les fils du Tonnerre baissent les yeux: Jésus vient de les regarder, sans dire un mot. Ils se souviennent alors d’avoir voulu appeler le feu du Ciel sur un pauvre village qui avait refusé de les recevoir et d’accueillir la Parole de Dieu. Jésus les avait traités d’insensés. Il avait même ajouté qu’ils ne savaient pas ce qu’ils demandaient. Peu à peu Jésus leur faisait comprendre que ce n’est pas par la force que l’on étend le Règne de Dieu, mais par la douceur et la bonté. Mais aller jusqu’à dire que les doux étaient bienheureux, il y avait de la marge! 

Écoutons Jésus redire et insister: “Bienheureux les doux, car ils posséderont la terre!” Ils posséderont la terre? Mais Il vient de dire, il n’y a qu’un instant, que les pauvres étaient bienheureux car le Royaume de Dieu était à eux! Comment peut-on en même temps avoir un cœur de pauvre qui possède le Royaume de Dieu, et, en même temps être bienheureux si on est doux, car les doux posséderont la terre? Et Jésus ajoute: “Bienheureux ceux qui font la paix autour d’eux, car ils seront appelés fils de Dieu!”

Cette fois, c’est Simon le Zélote qui réagit. Il aime, Jésus, il L’aime même beaucoup depuis que le Maître l’a guéri d’une sale maladie. Il est prêt à Le suivre partout... Mais il n’oublie pas qu’il était zélote, qu’il a combattu durement et en prenant des risques insensés pour la sauvegarde et la délivrance de la Patrie. Il a été ce que l’on appellerait aujourd’hui un terroriste, et il en est fier, et jamais il ne renierait son passé. Pour Simon le Zélote, les doux, ceux qui veulent la paix à tout prix, ce sont des lâches, ce sont même des traîtres. Et lui, Simon, il ne trahira pas son pays, non, jamais! Jésus regarde Simon, longuement... mais Simon se tait encore: il deviendra doux plus tard.

“Bienheureux ceux qui pleurent, ils seront consolés.” Jésus a souvent pleuré pendant sa vie publique. Il a pleuré sur Jérusalem et sur sa patrie. Il voulait rassembler “tous les enfants de Jérusalem comme une poule rassemble ses petits, mais elle n’a pas voulu...”

Jésus a pleuré à cause des hommes au cœur dur qui ne voulaient pas mettre en oeuvre la Loi d’Amour, et qui écrasaient les pauvres. Il a pleuré à cause de ceux qui ne se convertiraient pas, Il a pleuré à cause de ceux pour qui sa Passion serait inutile, Il a pleuré à cause de Judas et de tous les traîtres de tous les temps, Il a pleuré pendant son Agonie...

Jésus, a beaucoup pleuré à cause de nous, les pécheurs qu’Il venait sauver, à cause de nous qui, si souvent refusons le salut... Jésus a beaucoup pleuré mais pour Lui, il n’y avait pas de consolateur. Il ne pouvait pas y en avoir: c’était écrit: “J’ai cherché des consolateurs et je n’en ai pas trouvé.”

Regardons Jésus. Voici que nous voudrions chanter son Amour, louer sa Gloire, nous voudrions nous extasier sur ses perfections, nous émerveiller de Lui, Lui dire notre reconnaissance pour la vie, cette vie merveilleuse qu’Il a mise en nous. Nous voudrions crier notre reconnaissance pour nous avoir faits pour Lui, de nous avoir donné son Amour. Nous voudrions contempler sa bonté, son Amour et sa Miséricorde.

Nous voudrions dire tant de choses à Notre Seigneur... Car, au pied de la Croix de Jésus, toute l’humanité était présente: les juifs, purs ou pécheurs, les saints et les malfaiteurs, et les païens. Il y avait les gens ordinaires, les pauvres sans appui et les gens bien placés, les hébreux moyens et les soldats sans grade et qui plus est, étrangers. Il y avait aussi des gens aisés, voire riches, de ceux que de nos jours on appellerait des patrons[1]

L’humanité tout entière était là, avec Jésus, près de sa Croix. L’humanité était là, représentée par six personnes: Marie, Jean, Marie-Madeleine, les deux larrons, le soldat romain, celui qui transperça le Cœur de Jésus. Mis à part le mauvais larron dont on ne sait rien, ceux qui étaient là étaient des pauvres de cœur. Car Jésus n’a jamais exclu personne, et de tous les hommes Il peut faire des pauvres de cœur, c’est-à-dire des saints.

Beaucoup de chrétiens ont expérimenté la sagesse de Jésus-Christ, sa connaissance des cœurs humains. Beaucoup ont senti sa compassion et sa Miséricorde... Et par dessus tout son Amour. Jésus est constamment avec nous, Il nous guide, oriente nos pensées, complète nos actions non terminées ou insuffisantes.

Regardons Jésus. Plongeons notre regard dans le sien. Laissons-nous envahir par son Amour et sa douceur. Ecoutons-Le nous dire: “Sois pauvre, sois humble, et Je ferai le reste. Je T’aiderai à devenir pauvre et à devenir humble selon mon Cœur, mon Cœur doux et humble.”

La volonté de Dieu, dès l’origine, c’est que nous soyons des saints, c’est que nous soyons heureux dans cette sainteté. Oui, il faut savoir le dire et le redire: Dieu nous a créés pour le bonheur, pour partager son bonheur. Dieu nous veut heureux comme Il est heureux dans sa Trinité Sainte. Dieu est heureux et Il nous veut heureux, car ses délices sont d’être avec les enfants des hommes. Dieu nous veut des hommes heureux, heureux dans la sainteté, car seule la sainteté, la sainteté que Dieu prévoit pour chacun de nous, seule cette sainteté peut nous rendre heureux.

La sainteté est le secret du bonheur, du vrai bonheur. Et il n’existe pas de saint malheureux. Cela il faudrait le dire, le redire, le crier. Le secret du bonheur, c’est la sainteté!

A certaines âmes qu’Il se choisit Lui-même, Jésus demande un amour encore plus absolu, une offrande plus radicale, une offrande à son Amour miséricordieux vivant pour nous dans l’Eucharistie. Leur mission est de tout abandonner pour Le consoler, de s’unir à Lui, de s’immoler avec Lui de la manière qu’Il veut, Lui, de s’oublier pour penser à Lui. Ces âmes devront vivre dans l’humilité et la pauvreté choisie par Lui, surtout la pauvreté du cœur; elles devront accepter de n’être aimées que de Lui et de n’aimer que Lui, de toute leur âme, ce qui ne les empêchera pas, bien au contraire, d’aimer leurs frères comme Jésus les aime. Elles devront accepter d’être purifiées de toutes leurs fautes pour Lui donner un pur et véritable amour, total et désintéressé.

Et nous? Où en sommes-nous? Pouvons-nous dire, avec tant de saints: Jésus est tout pour moi?

5-3-6-L’humilité des saints

Lorsque l’on étudie ce qui fit la vie des saints, on est souvent étonné de découvrir que l’origine de leur force, c’était leur l’humilité. Et l’on découvre aussi que, paradoxalement, leur humilité fut la base de leur grandeur, de leur dignité, de leur bonheur et de leur l’amour. Quelle chose étrange que l’on présente généralement l’humilité comme un abaissement, comme une mutilation psychologique associée parfois à l’imbécilité! Que de gens ont été détruits à cause d’une mauvaise compréhension de l’humilité!

L’homme humble n’est pas diminué: il est grandi. Il n’est pas mutilé, il est pleinement épanoui. Il n’est pas affaibli, il est fort et audacieux. Il n’est pas abaissé, il est élevé, dans son cœur, dans son âme, dans son intelligence qui retrouve les chemins de la vie. Il faudrait crier aux jeunes, et aux autres, que le monde, celui qui est bon et qui a épanoui l’homme, c’est-à-dire le Royaume de Dieu, n’a été construit que par des humbles, des saints qui n’ont pas cherché à asservir l’homme ou à l’avilir, mais à le servir et à le grandir. Car l’humilité ne conduit pas à la sottise, mais à l’intelligence.

5-3-7-L’humilité de la Vierge Marie

L’Amour de Dieu est extraordinaire: c’est un gouffre de bonté et de sollicitude, c’est un abîme de tendresse, de sagesse et de puissance. L’Amour de Dieu est une telle perfection, que la Vierge Marie pouvait rester des heures à Le contempler et à s’en emplir l’âme et le cœur, et, cependant, une telle contemplation n’empêchait pas Marie de vaquer à ses occupations, car jamais il n’a été dit que Marie fût paresseuse. Bien au contraire, plus on contemple Dieu, plus on devient fécond. Plus l’action devient réelle et riche. Plus on devient humble, aussi. A plus forte raison, Marie.

Étonnant et étrange! Une méditation sur l’humilité, et particulièrement sur l’humilité de Marie, nous conduit à découvrir la grandeur de l’homme. La grandeur de l’homme est insoupçonnée, et elle ne peut exister que s’il sait rester un outil dans les mains de Dieu. Dieu, en effet, veut que nous découvrions, avec Lui, son Univers magnifique, et Il veut aussi se servir de nous pour, d’une certaine façon, l’achever, selon Sa Volonté, mais avec notre participation, notre humble participation.

Marie! Marie, la parfaite, la toute pure, la tout humble ignorait qu’elle était aussi la plus grande entre toutes les femmes. Elle se savait seulement bienheureuse entre toutes les femmes car Dieu l’avait visitée et elle avait dit: ”Oui!”. Et elle avait été remplie de grâces. Mais sa consécration, sa virginité et sa maternité virginale restaient cachées aux yeux de tous les hommes de son temps qui ne voyaient en elle qu’une femme comme toutes les autres, donc un être inférieur[2], pauvre de surcroît.

5-3-8-Humilité et pauvreté de cœur

Vivons encore avec Jésus sa vie à Nazareth. Joseph n’était pas un prolétaire. Il était un artisan, certainement très apprécié. Il ne roulait pas sur l’or, Il ne jouait pas à la bourse, d’ailleurs la bourse n’existait pas en ce temps-là. Joseph n’était pas un nanti, mais il avait le nécessaire pour vivre: une petite maison, un jardin, du travail, et une Sainte Famille. À Nazareth, Jésus avait de quoi reposer sa tête... La sainte Famille ne vivait pas dans le dénuement. Joseph et Jésus exerçaient une profession très bien considérée: charpentier[3]

Quand Jésus dit: “Bienheureux les pauvres!” il est évident qu’il s’agit de la pauvreté selon l’esprit. Cette expression, traduite de l’hébreu anaw,  signifie à la fois pauvre, doux, humble et affligé. “La pauvreté évangélique n’a rien à voir avec la pauvreté matérielle. Le Messie, qui nous dévoile le Père, nous montre l’humilité de Dieu dans la pauvreté de sa naissance, et dans sa Passion où Il est le serviteur souffrant. Il est  par excellence l’affligé, qui demeure doux et humble de cœur, et qui, insulté, ne rend pas l’insulte. Plus tard, Jésus nous dira de Lui: ”Apprenez de Moi que je suis anaw, celui qui est doux et humble de cœur.”

Les prophètes furent tous des anawim. La Vierge Marie se nomme elle-même anaw, servante du Seigneur, dans le Magnificat. C’est Marie qui doit nous guider dans la douceur qui est le contraire de la dureté, de la rigidité. C’est Marie qui nous apprend la véritable humilité, ce contraire de l’orgueil spirituel, et cela dans la pauvreté qui est si éloignée de la suffisance et de la condescendance ou de l’amertume, cette cousine de la jalousie. Les plus pauvres sont les plus proches du Royaume des Cieux, et au soir de notre vie, nous serons jugés sur l’amour.

Sainte Thérèse d’Avila enseignait à ses sœurs que ceux qui s’aimaient avaient besoin de solitude pour bénéficier du cœur à cœur qui fait leur joie et soude leur amour. Il en est de même pour ceux qui aiment Dieu. À ce propos, il n’est peut-être pas inutile de citer ici Frederico d’Ossuna qui enseigna l’oraison à Thérèse d’Avila: “Si nous n’avions pas de grâces sensibles dans l’oraison, nous nous réfugierions dans des compensations humaines. Et c’est un piège du démon que d’affirmer qu’il faut demeurer dans la sécheresse. Ces grâces sensibles dans l’oraison affective nourrissent notre amour pour Celui qui est notre époux et qui veut s’unir à nous. Elles ne fleurissent que dans une prière profonde et fidèle qui n’est pas exempte de temps d’épreuves et de sécheresse, certes, mais qui ne sont pas le pain quotidien de ceux qui se nourrissent à la Table eucharistique.”


[1] Lazare, un grand patron de l’époque, un  amoureux de Jésus, n’était pas au pied de la Croix: aux dires de certains mystiques, Dieu lui avait réservé une tâche très ingrate: accueillir les apôtres quand ils se seraient enfuis après l’arrestation de Jésus.

[2] À cette époque les hommes méprisaient les femmes; il en est encore de même aujourd’hui encore, dans de nombreuses sociétés non chrétiennes.

[3] Des études récentes révèlent que les charpentiers, chez les hébreux, étaient des gens estimés, instruits, à qui l’on venait souvent demander conseil.
 

   

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