Entre plusieurs
grands et
saints
personnages que le royaume
d'Angleterre a produits, saint Boniface est l'un des principaux, car
par sa vie et par sa doctrine il convertit une infinité de peuples
idolâtres à la lumière de l'Évangile. Ses parents l'élevèrent
soigneusement. Son père eût bien désiré de l'avancer dans le monde :
mais plus il s'efforçait de l'y engager, plus il s'en éloignait.
Finalement, son père reconnaissant que c’était là sa vocation, il
lui accorda de se mettre dans un monastère pour y servir Dieu plus
librement, selon sou désir. Le saint jeune homme y demeura quelques
années, pour apprendre la science et la vertu, mais n'y trouvant pas
d'assez bans maîtres, avec la licence de son abbé, il alla eu un
autre couvent, où il s'en faisait un meilleur exercice. Il apprit là
les sciences convenables à sa profession, et l'excellence de sa
doctrine, jointe à l'intégrité de sa vie, le mit eu grand crédit.
Il fut fait
prêtre à l'âge de trente-huit ans, et après que l'abbé du cou veut
où il était fut décédé, tous les religieux le prièrent d'être leur
supérieur, ce qu'il refusa, s'en jugeant indigne par humilité et
parce que Dieu l'appelait ailleurs, et lui donnait un désir véhément
d'annoncer l'Évangile aux Gentils, et de confirmer sa prédication de
son propre sang. Il s'en découvrit aux religieux, qui y
acquiescèrent, voyant que c'était la volonté de Dieu. Il prit donc
congé d'eux, et alla trouver l'évêque du lieu, nommé Daniel, pour
lui faire entendre l'intention qu'il avait d'aller à Rome, en
dévotion de visiter les corps des
saints
apôtres saint
Pierre et saint Paul : et ayant reçu sa bénédiction avec des lettres
testimoniales au pape Grégoire II, il sortit d'Angleterre accompagné
de plusieurs serviteurs qui désiraient de le suivre.
Étant venu à Rome,
après avoir fait ses dévotions, il baisa les pieds du Pape, et lui
dit le sujet de son voyage. Grégoire en fut bien aise, et ayant lu
les lettres de l'évêque, il reconnut que c'était une affaire de
Dieu, et alors il traita plus familièrement avec lui de diverses
choses. Enfin il le fit prédicateur apostolique, lui donna un bref
favorable pour prêcher l'Évangile aux infidèles par tout le monde,
lui enjoignant de suivre toujours l'ordre et la règle de l'Église
romaine, et il l'avertit de tout ce qu'il devait faire dans une si
haute entreprise.
Boniface reçut la
bénédiction de Sa Sainteté, avec un grand trésor de reliques qu'il
avait demandées, et s'achemina vers l'Allemagne. Passant par la
Lombardie, il vit Luitprand, roi des Lombards, qui le reçut
très-favorablement : de là il entra en Bavière par les Alpes, et
vint jusqu'en Thuringe en Allemagne, où il commença à jeter la
semence du ciel, gagnant les cœurs des princes séculiers, et
exhortant les prêtres à réformer leurs mœurs : mais ayant su la mort
de Radbod, roi des Frisons, cruel ennemi des catholiques, et
destructeur des églises, il y passa, en espérance d'y trouver une
plus riche moisson, et d'augmenter beaucoup, en souffrant, la gloire
de Jésus-Christ. Notre-Seigneur le favorisa en cette sainte
entreprise, où il gagna plusieurs ail>es sur les païens, et les
amena comme des brebis égalées à leur vrai et premier pasteur.
Il était si humble,
qu'il ne voulut pas exercer lui-même la charge apostolique, que le
Pape lui avait commise : mais il se joignit avec saint Willebrod,
évêque d'Utrecht, homme très-saint, qui travaillait à ce même
dessein, et le servit trois ans avec toute humilité, obéissance et
charité. Le saint évêque se voulant retirer, à cause de sa
vieillesse, il pria Boniface d'accepter l'évêché, et de prendre le
soin de cette Église; à quoi il ne put le réduire; au contraire,
désirant continuer la prédication de l'Évangile, dont le Pape
l'avait chargé, et éclairer les Gentils, il retourna en Allemagne,
laissant en Frise un monastère de religieux qu'il avait fondé.
Il convertit et baptisa
un grand nombre d'infidèles dans la province de Hesse, qui confine à
celle des Saxons, faisant fleurir de jour en jour la Religion en ces
pays, où le diable se faisait adorer. On abattait les temples des
faux dieux, on en bâtissait au vrai Dieu, on fondait des monastères
pour ceux qui aspiraient à la perfection. Tant de gens venaient
trouver Boniface pour être instruits, qu'il eut besoin d'appeler du
secours d'Angleterre, d'où il fit venir des religieux et des femmes
dévotes et bien instruites, afin d'avoir soin de celles qui se
convertissaient et des monastères qu'on leur bâtissait.
Comme il désirait
être conduit par le Saint-Siège, de peur de faillir, il envoya à
Rome Bina, l'un de ses plus familiers, pour informer Sa Sainteté de
l'état de cette nouvelle Église, et la supplier de l'éclairer sur
les doutes qu'il lui proposerait. Le Pape reçut avec beaucoup de
contentement l'ambassade de Boniface, et il lui fit une réponse,
portant commandement de le venir trouver à Rome : ce qu'il fit comme
enfant d'obéissance. Sa Sainteté, voyant par les effets que c'était
un homme de Dieu, le sacra évêque, et au lieu du nom de Winfrind
qu'il portait, le Pape lui imposa celui de Boni- face, recevant son
serment d'obéissance au Saint-Siège. Il lui donna des lettres
adressées au duc Charles-Martel, qui gouvernait alors la monarchie
des François, et aux autres princes chrétiens d'Allemagne, mettant
Boniface sous leur protection. Il écrivit aussi au clergé et au
peuple de Thuringe, avec des brefs particuliers aux principaux, même
aux peuples infidèles de Saxe : le saint Pontife
se montrant Pasteur universel, Père amoureux, et jaloux de la gloire
du souverain Pasteur.
Saint Boniface retourna
très-content en Allemagne, après avoir reçu la bénédiction du
Saint-Père, et ses brefs apostoliques ; il fut bien accueilli des
princes auxquels ces brefs s'adressaient, de sorte qu'il mit
incontinent la main à l'œuvre, défrichant cette terre épineuse avec
toutes sortes de fatigues et de travaux, en une extrême pauvreté,
même des choses nécessaires. Il trouvait plusieurs grandes
difficultés, qu'il s'efforçait de surmonter par ses prières
continuelles et celles de ses amis qui étaient serviteurs de Dieu,
il résolut un jour d'arracher un haut chêne, qu'ils appelaient
l'arbre de Jupiter, à cause qu'il était dédié aux démons. Encore que
les païens accourussent pour l'en empêcher, et le tuer comme ennemi
de leurs dieux, néanmoins il persista et le jeta par terre en quatre
pièces, du premier coup de cognée qu'il lui donna. Les gentils
voyant ce miracle se convertirent, et au lieu même il y bâtit un
oratoire sous le nom de l'apôtre saint Pierre, auquel il était fort
dévot.
Il écrivit à l'abbesse
Eddeburge, en Angleterre, pour la prier de faire écrire les épitres
de saint Pierre en lettres d'or, et de les lui envoyer, afin qu'il
les portât sur soi, comme un précieux trésor, puisque le successeur
de saint Pierre lui avait commandé de prêcher l'Évangile.
Ce saint ne se contenta
pas d'éclairer les infidèles, au nombre de plus de cent mille; mais
aussi il eut soin d'extirper les vices qui naissaient entre les
chrétiens, eu quoi il eut beaucoup à souffrir, résistant aux
persécutions de ceux qui le travaillaient par leurs péchés, et à
certains hérétiques, qui sous le masque de catholiques semaient la
zizanie de leurs erreurs parmi le bon grain de Notre- Seigneur.
Entre les églises qu'il
bâtit en Thuringe, il y en eut une du nom de Saint-Michel; à cause
qu'étant en oraison au bord d'une rivière, saint Michel lui apparut
tout éclatant de lumière, et l'encouragea de continuer comme il
avait commencé.
Pendant qu'il
s'occupait en ces exercices, éclairant comme un soleil les nuits
obscures de la gentilité, Grégoire II décéda à Rome, le 2 île
février l'an 731. Grégoire III lui succéda. Boniface députa
incontinent vers lui, tant pour rendre l'obéissance au vicaire de
Jésus-Christ, que pour l'avertir du fruit qu'il faisait en
Allemagne, et avoir la résolution de quelques doutes qui lui
survenaient en l'établissement de cette nouvelle Église. Le Pape se
réjouit d'entendre ces bonnes nouvelles, et lui accorda ce qu'il
demandait, satisfaisant à ses questions et à d'autres choses qu'il
ne prétendait pas : car il le fit archevêque, et lui envoya le
pallium, lui prescrivant d'ordonner des évoques partout où il y en
aurait besoin.
Ces grâces du
Saint-Siège encouragèrent davantage saint Boni- face, qui érigea
deux églises : l'une en l'honneur de saint Pierre, l'autre de saint
Michel Archange; et deux monastères auprès, afin que les religieux
louassent continuellement Dieu. De là il passa eu la province de
Bavière, qu'il éclaira de sa prédication ; puis il s'achemina à Rome
accompagné de plusieurs François, Anglais et Allemands, qui allaient
en dévotion aux tombeaux des apôtres saint Pierre et saint Paul :
mais Boniface y allait pour connaître le nouveau Pape, et conférer
avec lui de ce qui concernait les infidèles déjà convertis, ou en
voie de se réduire : comme aussi pour extirper les abus et les
corruptions qui s'étaient introduites parmi les gens d'Église. Tout
succéda au désir de saint Boniface; le Pape lui donna sa
bénédiction, avec plusieurs reliques, et écrivit aux princes, aux
évêques et aux communautés d'Allemagne.
Eu s'en
retournant il visita le roi de Lombardie, à cause du corps de saint
Augustin qui est en la ville de Pavie. Il demeura quelques jours
avec le roi; mais le duc de Bavière Utilon l'ayant convié de
retourner, il prêcha dans sa province, et y ordonna trois évêques
pour bannir ceux qui eu usurpaient faussement la qualité. Il fit
assembler un concile (parce qu'il n'en avait point été célébré aucun
depuis quatre-vingts ans), afin de remédier aux inconvénients
innombrables des provisions qui se faisaient en laveur des séculiers
ignorants et débauchés, lesquels étant promus à la prêtrise et à la
prélature, vivaient de façon dissolue, au scandale du peuple et au
déshonneur de la dignité sacerdotale. A ce concile, saint Boniface
présida,
comme légat du Saint-Siège apostolique, et on y ordonna plusieurs
choses utiles au service divin, ainsi qu'au bien de l'Église. Saint
Boniface avait été mis par le Pape Zacharie à la place de
l'archevêque de Mayence, qui fut déposé pour avoir tué un homme.
Mais Boniface écrivit à Sa Sainteté; il la supplia d'y mettre un
autre archevêque, et d'envoyer en Allemagne quelqu'un de plus
capable que lui pour être légat du Saint-Siège. Il demanda ceci
parce qu'il avait entendu dire que quelques envieux l'avoient
calomnié envers Sa Sainteté. Zacharie, comme un saint et bénin
pasteur, lui fit une honnête réponse, l'exhortant à continuer ce
qu'il avait bien commencé, et l'assurant qu'il n'enverrait point
d'autre légat, ni d'autre archevêque de Mayence que lui, de son
vivant. Depuis il lui commanda de couronner Pépin, roi de France, à
la place de Chilpéric, qui fut renfermé dans un monastère : ce que
Boni face exécuta de point en point. Il obtint du même Pépin la
confirmation des privilèges que son père avait octroyés au monastère
de Fulda, fondé par Boniface, pour le repos de sa vieillesse : ce
que Pépin lui accorda volontiers en l'honneur du glorieux apôtre
saint Pierre. Boniface fut ensuite averti que les Frisons qu'il
avait convertis, étaient retombés dans leurs anciennes superstitions
et idolâtries; il eu fut très-marri, et ayant eu révélation que Dieu
le voulait bientôt retirer de ce monde, il résolut d'aller
auparavant en Frise, pour rétablir les dommages que le diable y
avait causés.
Pour cet effet,
il laissa à sa place à Mayence, du consentement du Pape Etienne III,
successeur de Zacharie, un sien disciple nommé Lulle, homme selon
son cœur, plein de prudence et de zèle. Il recommanda au roi Pépin
tous ses compagnons et les ouvriers évangéliques qui l'avoient aidé
à planter et à cultiver la vigne de Jésus-Christ. Il ordonna que son
corps fût enterré dans le monastère de Fulda, auprès de celui d'une
sainte religieuse (qu'il avait fait venir d'Angleterre pour la
conduite des vierges sacrées), désirant que leurs corps attendissent
en un même lieu le jour de la résurrection, puisque leurs esprits
avoient travaillé en même temps à la gloire de Notre-Seigneur. Après
avoir ainsi ordonné le tout, il passa en Frise, accompagné de trois
prêtres, trois diacres
et quatre religieux, qui méritèrent
tous la couronne du martyre, avec leur capitaine saint Boniface, ce
qui arriva ainsi.
Sa venue consola
fort les bons chrétiens ; il releva plusieurs qui étaient déchus, et
éclaira les aveugles par sa prédication. Mais il y eut des obstinés
qui s'endurcirent au lieu de s'amollir, et déterminèrent de le tuer,
comme ennemi et destructeur de leur fausse religion. En effet, comme
le saint était avec ses compagnons sur le bord d'une rivière,
attendant que ceux qui avoient été baptisés vinssent recevoir le
sacrement de Confirmation, ces barbares et ces gentils survinrent à
l'improviste, armés, et donnant furieusement jusqu'où était le
saint, ils le massacrèrent, ainsi que ceux qui étaient avec lui,
sans aucune résistance : puis ils pillèrent les livres et les
coffres des reliques, pensant y trouver de grands trésors, ce qui
fut cause qu'en partageant, ils s'entretuèrent des mêmes armes dont
ils avoient assassiné les
saints.
Ceux qui
restèrent en vie ne trouvèrent que des reliques et des livres :
entre autres le Nouveau Testament que saint Boniface portait
toujours sur lui, lequel se trouva transpercé d'un coup d'estoc,
sans qu'il y eût une seule lettre coupée, ce qui hit tenu pour un
prodige.
Quand les chrétiens de
Frise surent la mort de leur apôtre et de leur pasteur, ils
entrèrent à main armée sur les terres de ces païens, qu'ils
ruinèrent, et tuèrent les meurtriers du saint. Depuis le clergé
d'Utrecht enleva le corps de saint Boniface du lieu où il fut
martyrisé, et l'ensevelit fort honorablement dans son église. Mais
l'archevêque Lulle, sachant l'heureux martyre de son maître, et se
ressouvenant de ce qu'il lui avait commandé, fit solennellement
transporter ce corps saint de l'église d'Utrecht en celle de
Mayence, et de là à Fulda, Notre-Seigneur faisant de grands miracles
par son intercession. Le vénérable Bède rapporte qu'il y eut
cinquante-trois des compagnons de saint Boniface martyrisés avec
lui.
La vie de saint
Boniface a été écrite par Guillebaud, son disciple. Rutard, écolier
de Raban, a décrit son martyre en vers héroïques. Les Martyrologe ;
de Bède, d'Usuard, d'Adon, et d'autres font mention de lui le 5 de
juin. Le cardinal Baronius en parle eu ses Annotations et au
neuvième tome de ses Annales.
Saint Boniface fut
martyrisé l'an de Notre-Seigneur sept cent -cinquante-cinq, selon
Trithème en la Chronique d'Hirsang ; mais selon Bède en l'Épitome,
Sigebert et Baronius, l'an sept cent cinquante-quatre. Il est
rapporté dans le décret et au concile de Tivoli, que saint Boniface,
parlant des prêtres et des calices anciens au prix de ceux de son
temps, disait que les prêtres d'or se servaient de calices de bois,
et (1ue les prêtres de bois usaient de calices d'or. Sitôt qu'on sut
le martyre de saint Boniface, on en fit mémoire, comme d'un saint
martyr, spécialement au royaume de France. |