Les temps sont
accomplis
“Jésus
venait d’être baptisé”. Saint Jean Chrysostome, dans son
commentaire à l’Évangile de saint Matthieu, homélie XIII,
explique :
« Il fallait
que tous les baptisés apprissent à ne point s'étonner si,
après la grâce reçue, ils éprouvent de grandes tentations ;
la chose est dans l'ordre : vous avez reçu des armes, c'est
pour combattre et non pour vous reposer. Enfin, pour que
vous ayez une preuve de la grâce qui vous a été faite : le
démon ne vous aurait pas attaqué si Dieu ne vous avait élevé
à cet honneur. C'est ainsi qu'il s'attaqua à Adam et ensuite
à Job. »
Saint Hilaire
de Poitiers, commentant le même Évangile de saint Matthieu,
ajoute, en précisant :
« Vous qui
êtes devenus chrétiens, vous devez vous attendre à des
attaques plus violentes du démon ; car la victoire qu'il
remporte sur les saints lui donne plus de gloire, et il la
désire avec plus d'ardeur. »
Saint Marc
semble affectionner particulièrement le mot “aussitôt”, car,
dans son Évangile il l’utilise 42 fois
(dont 11 fois dans le premier
chapitre) ; ici, il relie la ten-tation au baptême.
“L'Esprit le pousse”. Cette petite phrase qui dans le
contexte aurait pu paraître équi-voque, saint Hilaire
l’explique ainsi :
« Ce fut
l'Esprit Saint qui conduisit lui-même Jésus au désert,
voulant exprimer l'assurance avec laquelle il possède celui
qu'il remplit de sa présence et l'offre aux traits du
tentateur. »
“L'Esprit le pousse au désert”,
lieu vide et délaissé, région
quasi inhabitée, sorte de garrigue inculte ; celui de Juda,
le long de la Mer Morte, peut-être la vallée méridionale du
Jourdain. Mais, dans l’Évangile de Marc, le désert semble
être “un lieu privilégié de rencontre avec Dieu”, donc un
lieu propice à) la prière et à la méditation, ce qui
explique, peut-être le grand nombre de “Pères du désert”,
dans les premiers siècles du christianisme.
“Et dans le désert il resta quarante jours”. Cette
permanence de “quarante jours” dans le désert rappelle un
épisode particulier de l’histoire des Hébreux :
après leur sortie d'Égypte, ils
connurent, dans le désert, bien des épreuves (Exode, XVI 1-4
& XVII 1-7), avec la différence importante que pour eux cela
dura quarante ans (Deutéronome, VIII 2). Ici, Jésus refait
l'itinéraire spirituel du peuple de Dieu : quarante jours
comme les quarante ans du désert.
C’est ce que nous explique saint
Ambroise de Milan dans son commentaire de l’Évangile selon
saint Luc :
« Vous
reconnaissez-là un nombre à signification mystique. Ce fut
pendant ce nombre de jours que les eaux du Déluge se
répandirent sur la terre, que le prophète Elie jeûna dans sa
caverne, que Moïse jeûna avant de recevoir la Loi. Il
convient donc de passer dans le jeûne un nombre semblable de
jours pour préparer notre entrée dans la vie. »
Pendant cette longue période de quarante jours, Jésus fut
“tenté par Satan”.
Saint Jacques, dans son épître
fait une remarque très pertinente : « Que personne, étant
dans l’épreuve, ne dise : “C’est Dieu qui m’éprouve” ; car
Dieu est à l’abri des épreuves du mal, et lui-même n’éprouve
personne. »
La tentation est la sollicitation au mal qui vient du
démon ; Dieu ne nous tente pas mais permet que nous soyons
tentés.
Le Mal n’est pas une abstraction,
mais il désigne une personne, Satan, le Mauvais, l’ange qui
s’oppose à Dieu. Le « diable » est
celui qui « se jette en travers » du dessein
de Dieu et de son « œuvre de salut » accomplie
dans le Christ. « Homicide dès l’origine, menteur et
père du mensonge » (évangile selon saint Jean, VIII
44), « le Satan, séducteur du monde entier »
(Apocalypse, XII 9), c’est par lui que le péché et la
mort sont entrés dans le monde et c’est par sa défaite
définitive que la création toute entière sera « libérée
du péché et de la mort » (« Catéchisme de l’Église
catholique », publié en 1992).
Saint Cyrille d'Alexandrie, dans
son homélie sur l’Évangile de saint Luc, dit encore :
« Le voilà donc au milieu des
combattants celui qui, en tant que Dieu, ordonne les
combats ; et celui qui couronne les saints veut lui-même
mériter la couronne. »
Saint Augustin, quant à lui, nous
explique que « le chef combat pour apprendre aux soldats
à combattre. »
Car, « vous qui êtes
devenus chrétiens — nous prévient saint Hilaire —,
vous devez vous attendre à des attaques plus violentes du
démon ; car la victoire qu'il remporte sur les saints lui
donne plus de gloire, et il la désire avec plus d'ardeur. »
“Les anges Le servaient”.
Saint Bède le Vénérable donne de cet épisode une
explica-tion importante et pertinente :
« Les anges ne descendent pas du
ciel, ils étaient toujours près de lui ; si à un moment, sur
l’ordre du Sauveur, ils s’étaient un peu écartés, pour
laisser son cours à la tentation, ils reviennent vite et
sont heureux de le servir. Dans ce désert où il vécut avec
des bêtes, il est servi par les anges ; ainsi l’homme qui
aura résisté vaillamment à la tentation, la verra s’en aller
un jour ou l’autre, connaissant par là qu’elle est un état
normal, et au milieu d’un monde dont les mœurs rappellent
celles des bêtes, il sentira qu’il vit avec les anges, il
conversera avec eux, sera servi par eux ».
Après avoir jeuné pendant quarante jours et avoir été servi
par les Anges, « Jésus par-tit pour la Galilée proclamer la
Bonne Nouvelle de Dieu ; il disait : “Les temps sont
ac-complis : le règne de Dieu est tout proche.
Convertissez-vous et croyez à la Bonne Nouvelle”. »
“Le temps est accompli”.
« Contrairement aux Grecs, les Juifs s'intéressent plus au
contenu historique du temps qu'à la question philosophique
de sa nature. L'élément qualitatif du temps est, pour les
Juifs, plus important que l'élément quantitatif, par-ce que
le temps est un objet d'expérience plus qu'un objet
mathématique ; souvent, l'Écriture détermine le temps par
les sensations et il faut attendre les derniers siècles
vétéro-testamentaires pour trouver la division de la journée
en heures. Dieu a ses temps qui échappent aux cycles
naturels (plaisir, colère, visite, vengeance, guérison),
spécialement le jour de Yahvé. L'action de Dieu dans
le monde détermine la nature véritable du temps et le sort
de l'humanité. La plénitude des temps (épître de
saint Paul aux Galates, IV 4). L'époque prévue de toute
éternité pour l'avènement du règne de Dieu est arrivée (kairos =
le temps favorable). »
Attendons dans
l’espérance que nous procure l’amour de Dieu, ce temps béni
de l’arrivée solennelle du règne de Dieu, le “Jour de
Yahvé”. Amen.
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