JE CROIS LA VIE ETERNELLE
Les Saints Apôtres, nos
guides et nos maîtres, ont voulu que le Symbole, cet abrégé de notre
Foi, se terminât par l’article de la Vie Eternelle. C’est qu’en
effet, d’une part, après la Résurrection de la Chair, les Fidèles
n’ont plus à attendre que la récompense de la Vie Eternelle, et,
d’autre part,. ils doivent sans cesse avoir devant les yeux cette
félicité si pleine et si complète, et en faire le but et la fin de
toutes leurs pensées et de tous leurs désirs.
C’est pourquoi, en
instruisant les peuples, les Pasteurs ne perdront aucune occasion de
leur rappeler ces magnifiques récompenses de la Vie Eternelle, Par
ce moyen ils les exciteront sûrement, non seulement à supporter en
leur qualité de Chrétiens, les choses les plus difficiles, mais même
à les trouver faciles et agréables, et à servir Dieu avec une
obéissance plus prompte et plus joyeuse.
§ I — QU’EST-CE QUE LA VIE ÉTERNELLE ?
Les paroles qui servent
à exprimer dans cet article le bonheur qui nous attend cachent plus
d’un mystère. Il faut donc les expliquer avec soin, afin que chacun
puisse les comprendre selon la portée de son intelligence.
Les Pasteurs devront
donc apprendre aux Fidèles que ces mots, la Vie Eternelle, ne
désignent pas tant l’éternité de la vie des Saints — puisque les
démons et les méchants vivront éternellement comme les bons — que
l’éternité de leur béatitude ; béatitude qui comblera tous leurs
désirs. C’est ainsi que les comprenait ce docteur de la Loi qui,
dans l’Evangile, demanda à notre Divin Sauveur ce qu’il avait à
faire pour posséder la Vie Eternelle. Comme s’il eût dit: que
faut-il que je fasse pour parvenir au lieu où l’on jouit d’une
parfaite félicité ? C’est dans ce sens que les Saintes Ecritures
emploient ces paroles. On peut s’en convaincre par de nombreux
exemples.
La raison principale
qui a fait donner ce nom de Vie Eternelle au bonheur souverain et
parfait, c’est qu’on voulait écarter absolument l’idée que ce
bonheur pût consister dans des choses corporelles et caduques, qui
ne peuvent être éternelles. Ce mot de béatitude n’exprimait point
assez par lui-même ce que nous attendons, d’autant qu’il s’est
rencontré des hommes enflés d’une vaine sagesse, qui n’ont pas
craint de placer le Souverain Bien dans les choses sensibles. Mais
chacun sait qu’elles vieillissent et passent ; tandis que le bonheur
n’est limité par aucun temps. Au contraire ces choses sensibles sont
tellement opposées au bonheur, que plus on se laisse prendre par le
goût et l’amour du monde, plus on s’éloigne de la félicité
véritable. Aussi est-il écrit: N’aimez pas le monde, ni les
choses qui sont dans le monde. Si quelqu’un aime le monde, la
Charité du Père n’est pas en lui. Et un peu plus loin: Le
monde passe et sa concupiscence avec lui.
Voilà ce que les
Pasteurs s’efforceront de graver dans le cœur des Fidèles, afin
qu’ils n’aient que du mépris pour les choses périssables, et qu’ils
soient bien persuadés qu’il n’y a point de vrai bonheur en ce monde,
où nous ne sommes que des étrangers, et non de vrais citoyens . Nous
pouvons sans doute nous dire heureux dès ce monde, par l’espérance,
lorsque, renonçant à l’impiété et aux désirs du siècle, nous
vivons ici-bas avec tempérance, justice et piété, attendant la
bienheureuse espérance et l’arrivée de la gloire du grand Dieu, et
de notre Sauveur Jésus-Christ . Mais un grand nombre d’hommes,
qui étaient pleins de sagesse à leurs propres yeux, n’ont pas
compris cette Vérité, et ils ont cru qu’il fallait chercher le
bonheur sur cette terre. En quoi ils ont été de pauvres insensés qui
sont tombés ensuite dans les plus grands malheurs .
Ce mot de Vie
Eternelle nous fait comprendre également que le bonheur une fois
acquis ne peut plus se perdre, quoi qu’en aient dit plusieurs contre
toute vérité. En effet, la vraie félicité renferme tous les biens,
sans aucun mélange de mal. Et s’il est vrai qu’elle doit remplir
tous les désirs de l’homme, il faut nécessairement qu’elle soit
éternelle. Celui qui est heureux peut-il ne pas désirer ardemment de
jouir sans fin de ce qui fait son bonheur ? et sans l’assurance
d’une félicité stable et certaine, ne sera-t-il pas malgré lui en
proie à tous les tourments de la crainte ?
Enfin cette même
expression de Vie Eternelle est bien propre à nous faire
concevoir combien est grande la félicité des Bienheureux qui vivent
dans la céleste Patrie ; cette félicité est si grande que personne,
excepté les Saints eux-mêmes, ne saurait s’en faire une juste idée.
Car dès qu’on emploie, pour désigner un objet, un terme qui est
commun à plusieurs autres, c’est une marque évidente qu’il manque un
mot propre pour exprimer cet objet d’une manière complète.
Si donc nous désignons
le bonheur des Saints par des mots qui ne s’appliquent pas plus
nécessairement à eux, qu’en général à tous ceux qui vivront
éternellement, nous sommes en droit d’en conclure que c’est une
chose trop élevée et trop excellente, pour qu’il soit possible d’en
donner, par un mot propre, une idée assez étendue. II est vrai que
dans la Sainte Ecriture, nous trouvons un bon nombre d’expressions
différentes pour le désigner, comme Royaume de Dieu , de
Jésus-Christ , des cieux , Paradis , cité
sainte, nouvelle Jérusalem , maison du Père .
Mais il est évident
qu’aucun de ces noms ne suffit pour en exprimer toute la grandeur.
Les Pasteurs ne
laisseront donc point échapper l’occasion qui leur est offerte ici
d’exhorter les Fidèles à la piété, à la justice, et à
l’accomplissement de tous les devoirs de la Vie Chrétienne, en
faisant briller à leurs yeux ces récompenses incomparables que l’on
désigne sous le nom de Vie Eternelle. La vie en effet compte
toujours parmi les plus grands biens que notre nature puisse
désirer. C’est donc avec raison que l’on a exprimé de préférence le
souverain Bonheur par l’idée de la Vie Eternelle. Et lorsque cette
vie, qui pourtant est si courte, si calamiteuse, si sujette à tant
de misères, qu’elle mériterait plutôt d’être appelée une véritable
mort, lorsqu’une pareille vie, disons-nous, ne laisse pas d’être
pour nous le bien le plus cher, le plus aimé, le plus agréable, avec
quel zèle, avec quelle ardeur ne devons-nous pas nous empresser vers
cette Vie Eternelle, qui détruit tous les maux, et nous offre
l’abondance parfaite de tous les biens ?
§ II. — NATURE DU BONHEUR ÉTERNEL.
Selon les saints Pères
la félicité de la Vie Eternelle, c’est à la fois la délivrance de
tous les maux, et la possession de tous les biens.
En ce qui concerne les
maux, nos Saints Livres sont clairs et formels. Ainsi il est écrit
dans l’Apocalypse: Les Bienheureux n’auront plus ni faim, ni
soif ; le soleil, ni aucune chaleur ne les incommodera plus. Et
ailleurs: Dieu essuiera toutes les larmes de leurs yeux ; il n’y
aura plus ni mort, ni deuil ni cris, ni douleur, parce que le
premier état sera passé.
En ce qui concerne les
biens, leur gloire sera immense, et en même temps ils posséderont
tous les genres de joie et de délices. Mais aujourd’hui il est
impossible que nous comprenions la grandeur de ces biens ; ils ne
peuvent se manifester à notre esprit.
Pour les goûter, il
faut que nous soyons entrés dans la joie du Seigneur. Alors
nous en serons comme inondés et enveloppés de toutes parts, et tous
nos désirs seront satisfaits.
L’énumération des maux
dont nous serons délivrés semble beaucoup plus facile à faire,
remarque Saint Augustin que celle des biens et des plaisirs dont
nous jouirons. Cependant les Pasteurs devront s’employer à expliquer
clairement et brièvement ce qu’ils croiront propre à allumer dans le
cœur des Fidèles le désir d’acquérir cette félicité souveraine: Pour
cela ils auront à distinguer, avec les meilleurs auteurs
ecclésiastiques, deux sortes de biens qui composent la Béatitude
éternelle, les uns qui tiennent à la nature même du bonheur, les
autres qui n’en sont que des conséquences. D’où le nom de biens
essentiels qu’ils donnent aux premiers, afin que leur enseignement
soit plus précis, et le nom de biens accidentels qu’ils réservent
aux seconds.
La véritable béatitude,
celle qu’on peut appeler essentielle consiste dans la vision
de Dieu et la connaissance de sa Beauté, principe et source de tout
bien et de toute perfection. La Vie Eternelle, dit
Notre-Seigneur Jésus-Christ, c’est de vous connaître, vous, le
seul Dieu véritable, et celui que vous avez envoyé, Jésus-Christ.
Paroles que saint Jean semble expliquer quand il dit: Mes
bien-aimés, nous sommes maintenant les enfants de Dieu ; mais ce que
nous serons un jour ne paraît pas encore. nous savons que lorsque
Jésus-Christ se montrera, nous lui serons semblables, parce que nous
Le verrons tel qu’Il est. Il nous fait entendre en effet que la
béatitude consiste en deux choses: à voir Dieu tel qu’Il est en
Lui-même et dans sa propre nature et à devenir nous-mêmes comme des
dieux. Ceux qui jouissent de Dieu conservent toujours, il est vrai,
leur propre substance, mais en même temps ils revêtent une forme
admirable et presque divine, qui les fait paraître plutôt des dieux
que des hommes.
Et il n’est pas
difficile de concevoir la raison de cette transformation. Les choses
ne peuvent se connaître qu’en elles-mêmes et dans leur essence, ou
bien par des images et des ressemblances. Or, rien n’étant
réellement semblable à Dieu ; il n’y a aucune image, aucune
ressemblance de Dieu capable de nous donner de lui une connaissance
parfaite. Par conséquent personne ne peut voir sa nature et son
essence, à moins que cette essence divine elle-même ne vienne s’unir
à nous. C’est ce qui signifient ces paroles de l’Apôtre: Nous
voyons maintenant comme dans un miroir et par des énigmes, mais
alors nous verrons face à face.
Ce que Saint Paul
entend par énigmes, dit Saint Augustin, c’est une image propre à
nous faire connaître Dieu. Saint Denis l’enseigne nettement aussi
quand il assure que les images des choses inférieures ne peuvent
servir à faire connaître les choses supérieures. Et en effet comment
l’image d’une chose corporelle pourrait-elle nous révéler la nature
et la substance d’une chose incorporelle, puisque les idées et les
images doivent nécessairement être moins grossières et plus
spirituelles que les objets qu’elles représentent. Il est facile de
nous convaincre de cette vérité, en remarquant ce qui se passe dans
la connaissance que nous avons de chaque chose. Si donc rien de créé
ne peut nous fournir une image aussi pure, aussi spirituelle que
Dieu Lui-même, il s’ensuit qu’aucune image ne peut nous donner une
connaissance exacte de l’Essence divine.
D’ailleurs toutes les
créatures sont bornées et limitées dans les perfections qu’elles
peuvent avoir. Dieu au contraire est infini. Par conséquent l’image
des choses créées ne saurait représenter son immensité. Il ne reste
donc qu’un moyen, et un seul, de connaître l’Essence divine, c’est
que cette essence s’unisse à nous, qu’Elle élève notre esprit d’une
manière merveilleuse, et qu’Elle l’élève assez haut pour nous rendre
capables de la contempler en elle-même et face à face.
C’est la lumière de la
Gloire qui réalisera en nous cette merveille, lorsque nous serons
éclairés par sa splendeur, et que nous verrons Dieu qui est la
vraie lumière, dans sa propre lumière. Les bienheureux
contempleront éternellement Dieu présent devant eux ; et ce don, le
plus excellent et le plus admirable de tous, les rendra participants
de la nature divine, et les mettra en possession de la vraie et
définitive Béatitude. Béatitude à laquelle nous devons avoir une
foi si grande que le Symbole des Pères de Nicée nous ordonne de
l’attendre de la Bonté de Dieu, avec la plus ferme espérance,
j’attends la Résurrection des morts et la Vie du siècle à venir.
Ces choses sont
tellement divines qu’il nous est absolument impossible de les
concevoir et de les exprimer. Cependant nous pouvons en trouver
quelque image dans les choses sensibles. Ainsi le fer que l’on
soumet à l’action du feu, prend la forme du feu ; et bien qu’il ne
change pas de substance, cependant il est tout autre, et semble
n’être plus que du feu. De même ceux qui ont été introduits dans la
gloire du Ciel sont tellement enflammés par l’amour de Dieu que,
sans changer de nature, ils diffèrent néanmoins beaucoup plus de
ceux qui vivent sur la terre que le fer incandescent ne diffère de
celui qui est froid. Pour tout dire en un mot, la félicité
souveraine et absolue, que nous appelons essentielle, consiste dans
la possession de Dieu. Que peut-il manquer en effet au parfait
bonheur de celui qui possède le Dieu de toute Bonté et de toute
perfection.
A cette Béatitude
essentielle, il se joint encore quelques avantages accessoires,
communs à tous les Saints. Avantages qui sont plus à la portée de
nos moyens, et qui, par le fait, sont ordinairement plus puissants
pour remuer nos cœurs et exciter nos désirs. De ce nombre sont ceux
que l’Apôtre avait en vue, quand il écrivait aux Romains :
Gloire, honneur et paix à quiconque fait le bien ! en effet,
outre cette gloire qui se confond avec la béatitude essentielle, ou
du moins qui en est inséparable, il est une autre espèce de gloire
dont jouiront les Saints. C’est celle qui résultera de la
connaissance claire et distincte que chacun aura du mérite et de
l’élévation des autres.
Ne sera-ce pas aussi un
très grand honneur pour les Saints d’être appelés par le Seigneur,
non plus ses serviteurs, mais ses amis, ses frères,
et les enfants de Dieu ? et dans ces paroles que notre
Sauveur adressa aux élus: Venez, les bénis de mon Père, possédez
le Royaume qui vous a été préparé, Il y a autant de tendresse et
d’amour, elles sont si honorables et si glorieuses que nous avons le
droit de nous écrier: Seigneur, Vous honorez vraiment trop vos
amis !
De plus Jésus-Christ
les comblera de louanges devant son Père céleste et devant les
Anges.
Enfin, si la nature a
gravé dans tous les cœurs le désir d’obtenir l’estime de ceux qui
brillent par leur sagesse — précisément parce qu’ils sont les
témoins et les juges les plus capables d’apprécier le mérite —
quelle augmentation de gloire pour les Bienheureux de ce qu’ils
auront les uns pour les autres l’estime la plus profonde ?
Ce serait un travail
sans fin d’énumérer les plaisirs dont les Saints seront comblés au
sein de la gloire. II n’est même pas possible de les concevoir tous.
Cependant les Fidèles doivent être bien persuadés que tout ce qu’ils
peuvent éprouver et même désirer ici-bas d’agréable, qu’il s’agisse
des joies de l’esprit, ou bien des plaisirs qui se rapportent à
l’état normal et parfait du corps, ils possèderont tout sans
exception, et avec une pleine abondance, mais d’une manière si
élevée et si incompréhensible que, suivant l’Apôtre l’œil n’a
rien vu, l’oreille n’a rien entendu, et le cœur de l’homme n’a
jamais rien conçu de semblable.
Ainsi le corps,
auparavant grossier et matériel, quand il aura perdu sa mortalité
dans le ciel, et qu’il sera devenu subtil et spirituel, le corps
n’aura plus besoin de nourriture.
De son côté, l’âme
trouvera une volupté ineffable à se rassasier de cet aliment éternel
de la Gloire, que le Maître de ce grand festin distribuera à tous.
Qui donc pourrait
désirer encore des vêtements précieux, ou les ornements des rois,
alors qu’ils ne seront plus d’aucun usage, et que tous les Saints se
verront revêtus d’immortalité, brillants de lumière et couronnés
d’une éternelle Gloire ?
Sur la terre, on est
heureux de posséder une maison vaste et magnifique, mais peut-on
imaginer rien de plus vaste et de plus magnifique que le Ciel qui
brille de toutes parts, et qui reçoit sa splendeur de la Lumière
même de Dieu ? Aussi, lorsque le Prophète se représentait la beauté
de ce séjour, et qu’il brûlait du désir d’arriver à ces heureuses
demeures: Que vos tabernacles sont aimables, s’écriait-il,
Seigneur Dieu des vertus ! Mon âme soupire et se consume du
désir de la maison du Seigneur. Mon cœur et ma chair brûlent
d’ardeur pour le Dieu Vivant.
Tels sont les
sentiments et le langage que les Pasteurs ne doivent pas seulement
désirer pour les Fidèles, mais travailler sans cesse à leur
inspirer. Car, dit le Seigneur Jésus, il y a plusieurs demeures
dans la maison de mon Père , et chacun, selon ses mérites, y
recevra une récompense plus ou moins grande. Celui qui sème peu
recueillera peu ; celui qui sème beaucoup, moissonnera beaucoup.
Il ne suffira donc pas d’exhorter les Fidèles à mériter cette
béatitude. Il faudra encore leur représenter fréquemment que le
moyen le plus sûr de l’acquérir, c’est de s’armer de la Foi et de la
Charité, de persévérer dans la prière et dans la pratique si
salutaire des Sacrements, et enfin de remplir, envers le prochain,
tous les devoirs de la Charité. C’est le moyen assuré d’obtenir de
la Miséricorde de Dieu, quia préparé cette Gloire bienheureuse à
ceux qui L’aiment, l’accomplissement de cette prophétie d’Isaïe:
Mon peuple habitera dans une paix délicieuse ; il sera tranquille
sous ses tentes, et jouira du repos au milieu de l’abondance. |