PARDONNEZ-NOUS NOS OFFENSES
COMME NOUS PARDONNONS A CEUX QUI NOUS ONT OFFENSÉS.
Il n’y a qu’à ouvrir
les yeux pour apercevoir la Puissance infinie, la Sagesse et la
Bonté de Dieu. Elles éclatent de toutes parts, dans une multitude de
choses. Partout où nous pouvons porter nos regards et notre pensée,
nous sommes en face des preuves les plus admirables et les plus
certaines de ce pouvoir et de cette bienveillance sans bornes.
néanmoins, rien ne manifeste mieux l’amour immense que Dieu a pour
nous, et son incompréhensible Charité, que l’ineffable mystère de la
Passion de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Voilà la Source intarissable
qui purifie les souillures de nos péchés, et où nous demandons à
Dieu la grâce d’être plongés et purifiés quand nous disons:
pardonnez-nous nos offenses.
Cette Prière renferme
donc, comme en une sorte d’abrégé, tous les biens dont le genre
humain a été comblé par Jésus-Christ. C’est l’affirmation formelle
d’Isaïe: « L’iniquité de la maison de Jacob, dit-il, lui
sera pardonnée et le comble des avantages pour elle, c’est que son
péché sera effacé. » David dit aussi la même chose, en chantant
le bonheur de ceux qui ont pu participer à cette faveur si
précieuse: « Heureux, ceux dont les iniquités ont été remises. »
Les Pasteurs auront
donc à étudier et à expliquer avec beaucoup de soin cette cinquième
demande dont nous connaissons l’extrême importance au point de vue
du Salut.
Ici, nous entrons dans
un nouvel ordre de Prière. Jusqu’ici en effet, nous avons demandé à
Dieu non seulement les biens éternels et spirituels, mais encore les
avantages périssables qui se rapportent à cette vie. Maintenant nous
Le prions d’éloigner de nous les maux de l’âme et ceux du corps, les
maux du temps et ceux de l’éternité. Mais comme il est nécessaire,
pour être exaucé, de demander convenablement, il nous parait utile
de bien marquer les dispositions dans lesquelles il faut être pour
adresser à Dieu cette Prière.
§ I. — DES DISPOSITIONS NÉCESSAIRES POUR
FAIRE CETTE PRIÈRE. — REPENTIR.
Les Pasteurs ont donc à
prévenir les Fidèles que celui qui veut s’approcher de Dieu pour Lui
faire cette demande, est obligé d’abord de reconnaître ses propres
fautes, puis de ressentir une véritable douleur de les avoir
commises, et en même temps d’être bien persuadé que Dieu a la
volonté de pardonner à tous les pécheurs qui sont dans les
dispositions que nous venons de rappeler. Autrement, le souvenir
plein d’amertume et la vue effrayante de tous nos péchés pourraient
nous jeter dans le désespoir de Caïn et de Judas, qui ne voulurent
voir en Dieu qu’un Vengeur et un Justicier, et non point la Bonté
même de la Miséricorde infinie.
La principale
disposition que nous devons apporter à cette Prière est donc de
reconnaître nos fautes avec une vraie Contrition, et de nous
adresser à Dieu comme à un Père et non point comme à un Juge. En un
mot nous devons Lui demander de nous traiter non d’après sa Justice,
mais selon sa Miséricorde.
Or, nous n’aurons
aucune peine à confesser que nous sommes de pauvres pécheurs, si
nous voulons écouter ce que Dieu Lui-même nous dit dans nos Saints
Livres par la bouche de David: « Ils se sont tous égarés ; tous
se sont corrompus. Il n’en est pas qui fasse le bien, non, pas un
seul, » Salomon dit dans le même sens: « Il n’y a point de
juste sur la terre qui fasse le bien et ne pèche jamais ; » puis
encore: « Qui peut dire: mon cœur est pur ; je suis exempt de
péché ? » et pour détourner les hommes de l’orgueil, Saint Jean
a écrit: « Si nous nous disons sans péché nous nous trompons
nous-mêmes, et la vérité n’est pas en nous ; » enfin Jérémie:
« Tu as dit: Je suis sans péché, je suis innocent, éloignez donc
de moi votre colère. Eh bien ! voilà que Je vais entrer en jugement
avec toi, parce que tu as dit: Je n’ai pas péché. »
Tous ces témoignages
que Notre-Seigneur Jésus-Christ avait donnés au monde par la bouche
des Prophètes, II a voulu les confirmer Lui-même en nous prescrivant
une Prière qui nous oblige à confesser nos fautes. Il est défendu
d’entendre cette demande dans un autre sens, le décret du Concile de
Milève est formel: « Si quelqu’un interprète ces paroles de
l’Oraison Dominicale: pardonnez-nous nos offenses, comme si les
Saints ne les prononçaient que par humilité et non point avec
sincérité et vérité, nous voulons qu’il soit anathème. » Et en
effet, qui pourrait souffrir un homme capable de mentir non aux
hommes mais à Dieu même, et affirmant de bouche qu’il veut être
pardonné, pendant que dans son cœur il prétendrait n’avoir pas
besoin de pardon !
Mais dans cette
reconnaissance nécessaire de nos péchés, il ne suffit pas de nous
les rappeler légèrement, il faut que ce souvenir nous soit amer,
qu’il pénètre au fond de notre cœur, y éveille le remords et nous
inspire une vive douleur. Aussi bien les Pasteurs auront grand soin
d’insister sur cette vérité, pour convaincre les Fidèles qui sont
obligés non seulement de se rappeler leurs iniquités et leurs
désordres, mais de se les rappeler avec une douleur profonde et un
repentir sincère. Ainsi, le cœur vraiment contrit, ils se jetteront
dans les bras de Dieu leur Père, et ils Le supplieront en toute
humilité d’arracher de leurs âmes les terribles aiguillons du péché.
Et ils ne se
contenteront pas de mettre sous les yeux des Fidèles toute la
laideur du péché, ils leur représenteront encore l’indignité et la
bassesse de l’homme, qui n’étant rien par lui-même que corruption et
péché ne laisse pas d’offenser lâchement l’incompréhensible Majesté,
l’Excellence infinie de ce Dieu qui l’a créé, qui l’a racheté et l’a
enrichi d’une multitude innombrable de grâces et de bienfaits.
Et pourquoi ? pour se
séparer de Dieu son Père qui est le souverain Bien, et pour aller,
séduit par la honteuse récompense du péché, se vouer au démon et à
la plus misérable des servitudes. Car on ne saurait dire avec quelle
cruauté Satan règne sur l’esprit de ceux qui ont abandonné le joug
si léger de la Loi de Dieu, et rompu le lien si doux qui nous
attache à Lui, pour passer à cet ennemi acharné que nos Saints
Livres appellent: « Le prince et le maître de ce monde, le
prince des ténèbres, le roi de tous les fils de l’orgueil. »
Car c’est bien aux malheureux opprimés sous la tyrannie du démon,
que peuvent s’appliquer les paroles d’Isaïe: « Seigneur notre
Dieu, d’autres maîtres que vous nous ont possédés. »
Si nous sommes peu
touchés d’avoir perdu la Charité de Dieu et d’en avoir brisé les
liens, soyons-le du moins par les calamités et les misères dans
lesquelles nous précipite le péché. Il viole la sainteté de notre
âme que nous savons être l’épouse de Jésus-Christ, il profane en
elle le temple du Seigneur, et l’Apôtre prononce contre ceux qui
souillent ce temple, ce terrible anathème: « Si quelqu’un viole
le temple du Seigneur, le Seigneur le perdra. » Enfin les maux
que le péché attire sur l’homme sont innombrables ; c’est comme une
peste générale que David a exprimée en ces termes: « A la vue de
votre colère, il ne reste rien de sain dans mon corps ; et il n’y a
plus de paix dans mes os à la vue de mes péchés. » Pouvait-il
mieux caractériser la gravité du mal que le péché lui avait fait,
que d’avouer qu’il n’y avait aucune partie de son corps qui n’en eût
été blessée, que cette peste avait pénétré jusque dans ses os,
c’est-à-dire, avait infecté sa raison et sa volonté qui sont les
deux parties les plus fortes de l’âme ? La sainte Ecriture nous
peint bien l’étendue des ravages du péché, quand elle donne au
pécheur le nom de boiteux, de sourd, de muet, d’aveugle, et de
paralytique de tous les membres.
Mais il faut le dire,
outre la douleur que David ressentait de la grandeur de son crime,
il était surtout plongé dans la plus cruelle affliction à la vue de
la colère de Dieu qu’il savait avoir allumée par son péché. Car
Dieu, qui se sent offensé par nos crimes, au delà de ce que nous
pouvons concevoir, déclare au pécheur une guerre implacable, Saint
Paul le dit: « La colère et l’indignation, la tribulation et
l’angoisse, voilà le partage de tout homme qui fait le mal ! »
Sans doute l’acte du
péché passe, mais la tache et la culpabilité restent ; et la colère
de Dieu, toujours menaçante, suit le pécheur comme l’ombre suit le
corps. David se sentant pressé par les aiguillons de cette
redoutable colère, demandait avec ardeur le pardon de ses fautes. Il
nous a laissé dans le Psaume cinquantième un modèle de douleur, avec
les raisons et les motifs de cette douleur. Les Pasteurs feront bien
de le mettre sous les yeux des Fidèles afin qu’à l’exemple du
Prophète ils puissent s’exciter à un véritable repentir, à une
douleur sincère de leurs péchés, et concevoir l’espérance du pardon.
II est en effet très
utile d’enseigner aux Fidèles les moyens d’exciter en eux le
repentir de leurs fautes ; et Dieu Lui-même, par la bouche du
Prophète Jérémie, exhortant les enfants d’Israël à faire pénitence,
leur recommandait de bien méditer sur les effets toujours désastreux
du péché. « Voyez, leur dit-Il, les maux et les
afflictions qui vous arrivent pour avoir abandonné le Seigneur votre
Dieu, et pour n’avoir pas conservé ma crainte en votre cœur, dit le
Seigneur Dieu des armées. »
Ceux qui ne
reconnaissent point leurs péchés et n’en éprouvent point un sincère
repentir, n’ont qu’un cœur dur , un cœur de pierre ,
un cœur de diamant , selon les expressions d’Isaïe, d’Ezéchiel
et de Zacharie. Semblables en effet à la pierre, aucune douleur ne
les amollit ; ils n’ont aucun sentiment de vie véritable,
précisément parce qu’ils manquent de ce double sentiment dont nous
venons de parler, l’aveu et le repentir de leurs péchés.
§ II. — CONFIANCE EN DIEU.
Mais dans la crainte
que les Fidèles, épouvantés à la vue de leurs péchés, ne désespèrent
d’en obtenir le pardon, les Pasteurs ne manqueront pas de les
rappeler à l’Espérance par les considérations que voici: d’abord,
notre Seigneur Jésus-Christ a donné à l’Eglise le pouvoir de
remettre les péchés, comme le déclare le dixième article du Symbole
des Apôtres ; ensuite, dans cette demande même, II nous montre
clairement combien Dieu est bon et généreux envers le genre humain.
Car s’il n’était pas toujours prêt et empressé à pardonner à ceux
qui se repentent, jamais Il ne nous eût imposé cette formule de
Prière : pardonnez-nous nos offenses.
Croyons donc fermement
et sans aucun doute, que Celui-là ne manquera jamais d’étendre sur
nous sa paternelle Miséricorde, qui nous ordonne de L’implorer en
ces termes. Car le vrai sens attaché à cette demande, c’est que Dieu
a pour nous des sentiments tels qu’Il nous pardonne volontiers dès
que notre repentir est sincère.
Sans aucun doute, c’est
un Dieu que nous offensons par notre désobéissance, un Dieu dont
nous troublons, autant qu’il est en nous, l’ordre si sage qu’il a
établi, un Dieu que nous outrageons par nos paroles et par nos
actes, mais ce Dieu est en même temps le plus tendre des Pères. Il
peut tout nous pardonner ; et non seulement il nous a déclaré qu’Il
en avait la Volonté, mais encore Il nous oblige à Lui demander
pardon et nous apprend même en quels termes nous devons le faire,
pour être exaucés. Il n’est donc pas douteux qu’avec l’aide de Dieu
il est toujours en notre pouvoir de nous réconcilier avec Lui.
Cette certitude que
nous avons des dispositions constantes de Dieu à nous pardonner ne
peut qu’augmenter notre Foi, nourrir notre espérance et enflammer
notre Charité. C’est pourquoi il est bien à propos que les Pasteurs,
en traitant cette matière, rapportent quelques-uns des témoignages
divins et des exemples les plus frappants pour prouver que Dieu a
accordé le pardon des plus grands crimes. Mais cette considération
ayant été développée par nous, autant qu’elle pouvait l’être, dans
la préface de l’Oraison Dominicale, et dans l’article du Symbole sur
la rémission des péchés, les Pasteurs pourront prendre en ces deux
endroits ce dont ils auront besoin pour leurs explications. Le
reste, ils le puiseront aux sources mêmes de la Sainte Ecriture.
§ III. — CE QU’ON ENTEND PAR LE MOT DETTES.
Et ils voudront bien
suivre le même ordre que celui que nous leur avons indiqué dans les
demandes précédentes. De cette manière les Fidèles comprendront ce
qu’il faut entendre par le mot dettes, ils ne seront pas
trompés par une équivoque et ils ne demanderont pas autre chose que
ce qu’ils doivent demander.
Et d’abord il faut leur
apprendre que nous ne demandons pas du tout à Dieu de nous dispenser
de L’aimer de tout notre cœur, de toute notre âme et de tout notre
esprit. Cette dette est irrémissible. nous sommes obligés de la
payer, si nous voulons être sauvés.
Ce mot de dette
exprime aussi, comme il les renferme, l’obéissance, le culte,
l’adoration, et tous les autres devoirs de ce genre envers Dieu. Par
conséquent nous ne demandons pas non plus ici d’en être dispensés.
Mais nous prions Dieu de nous délivrer de nos péchés. Ainsi l’a
compris Saint Luc, qui s’est servi du mot de péché au lieu de
celui de dette. C’est qu’en effet par le péché nous devenons
coupables devant Dieu, nous contractons une véritable dette de
peines que nous acquittons soit par la satisfaction, soit par la
souffrance. C’est de cette dette que parlait Notre-Seigneur
quand Il disait par la bouche du Prophète: «J’ai payé ce que Je
ne devais pas. »
Il suit de ces paroles,
entendues en ce sens, que non seulement nous sommes débiteurs envers
Dieu, mais même des débiteurs insolvables, puisque le pécheur ne
saurait en aucune façon satisfaire par lui-même. Voilà pourquoi nous
avons besoin de nous réfugier dans le sein de la Miséricorde de
Dieu. Et comme cette Miséricorde ne va pas en Dieu sans une Justice
non moins grande, et dont Dieu est aussi très jaloux, nous devons
employer en même temps la Prière et l’appui de la Passion de
Notre-Seigneur Jésus-Christ, sans laquelle nul n’obtient jamais le
pardon de ses péchés, et qui est le principe et la source de toutes
nos satisfactions.
Le prix que le Sauveur
a payé sur la Croix, et que nous nous approprions par les
Sacrements, lorsque nous les recevons en réalité, ou même lorsque
nous désirons seulement les recevoir, ce prix est d’une valeur si
haute qu’il obtient et qu’il opère ce que nous demandons ici: la
Rémission de nos péchés. Et non seulement la Rémission de nos péchés
légers, et dont le pardon est très facile à obtenir, mais encore des
fautes graves et mortelles. toutefois, quand il s’agit de péché
mortel, notre Prière n’a de vertu que celle qui lui vient du
sacrement de Pénitence reçu au moins en désir, sinon dans la
réalité.
Mais nous disons:
nos dettes, bien autrement que plus haut nous disions: notre
pain. Ce pain est notre pain, parce que Dieu dans sa Bonté veut
bien nous le donner, mais les péchés sont nos péchés, parce
que la culpabilité en réside en nous: C’est notre volonté qui les
fait ce qu’ils sont. Ce ne seraient point des péchés, s’ils
n’étaient point volontaires.
C’est donc en nous
avouant coupables, et en assumant la responsabilité de nos fautes,
que nous implorons la Clémence divine seule capable de nous
purifier. nous n’apportons aucune excuse, nous ne rejetons notre
faute sur personne, comme firent Adam et Eve, nos premiers parents ;
mais nous nous accusons nous-mêmes, si nous avons la vraie sagesse,
et nous empruntons au Prophète sa Prière: « Seigneur, ne
permettez pas que mon cœur s’égare dans des paroles de malice, pour
chercher des excuses à mes iniquités. »
Nous ne disons pas non
plus: pardonnez-moi, mais pardonnez-nous, parce que
l’union et la Charité fraternelle qui doivent exister entre tous les
hommes exigent de chacun de nous que nous nous intéressions au salut
de tous, et que, en priant pour nous, nous n’oublions pas de prier
pour les autres. C’est Notre-Seigneur Jésus-Christ Lui-même qui nous
a appris cette manière de prier ; puis, l’Eglise de Dieu l’a reçue
et conservée fidèlement, et le Apôtres l’ont pratiquée et enseignée
aux Fidèles. L’Ancien et le Nouveau testament nous fournissent deux
beaux modèles de ces Prières vraiment brûlantes de charité pour le
salut du prochain. L’une est de Moise: « ou pardonnez-leur cette
faute, ou, si Vous ne la leur pardonne pas, effacez-moi de votre
livre », l’autre est de Saint Paul: « Je souhaitais que
Jésus-Christ me rendit moi-même anathème pour mes Frères. »
IV. — COMME NOUS PARDONNONS A CEUX QUI NOUS
ONT OFFENSÉS.
Ce mot comme peut
s’entendre ici de deux manières d’abord, dans le sens de
comparaison. nous demandons à Dieu que, de même que nous pardonnons
les injures et les outrages de ceux qui nous ont offensés, de même
aussi Il nous pardonne nos offenses envers Lui. En second lieu ce
mot marque une condition, et c’est précisément le sens que
Notre-Seigneur lui donne dans ces paroles: « Si vous pardonnez
aux hommes leurs fautes envers vous, votre Père céleste vous
pardonnera aussi les vôtres contre Lui ; mais si vous ne pardonnez
rien aux hommes, votre Père ne pardonnera point non plus vos
péchés. »
Or ces deux choses sont
également nécessaires pour obtenir de Dieu le pardon de nos
infidélités. Si nous voulons que Dieu nous pardonne, il est de toute
nécessité que nous pardonnions à ceux de qui nous avons reçu quelque
offense. Dieu exige de nous d’une part l’oubli des injures, et de
l’autre des sentiments de Charité mutuelle, et ces deux choses Il
les exige à tel point qu’Il repousse et méprise. les sacrifices et
les offrandes de ceux qui ne veulent pas se réconcilier ensemble.
C’est aussi une loi de la nature que nous soyons envers les autres
tels que nous désirons qu’ils soient pour nous. Et celui-là serait
un parfait impudent, qui demanderait à Dieu de lui remettre la peine
de son péché, pendant qu’il conserverait, dans son cœur des
sentiments d’inimitié pour son prochain.
Ainsi donc nous devons
être toujours disposés et prêts à pardonner les injures que nous
avons reçues. La Prière que nous récitons nous en fait un devoir, et
Dieu Lui-même nous l’ordonne dans Saint Luc: « Si votre frère a
péché contre vous, reprenez-le, et s’il se repent, pardonnnez-lui ;
et s’il pèche contre vous sept fois le jour, et que sept fois le
jour il se retourne vers vous en disant: Je me repens,
pardonnez-lui. » Saint Matthieu nous dit de même: « Aimez
vos ennemis ; » et Saint Paul, après Salomon, veut que « nous
donnions à manger à notre ennemi s’il a faim, et à boire s’il a soif. »
Enfin Notre-Seigneur, dans Saint Marc, nous dit: « Quand vous
serez au moment de prier, si quelqu’un vous a offensé,
pardonnez-lui, afin que votre Père qui est dans les cieux, vous
pardonne aussi vos péchés. »
§ V. — MOTIFS ET MANIÈRES DE PARDONNER AU
PROCHAIN.
Mais comme il n’y a
rien de plus difficile à notre nature dégradée que de pardonner les
injures, les Pasteurs se feront un devoir d’employer toutes les
ressources de leur zèle et de leur intelligence pour changer le cœur
des Fidèles et pour les plier à cet esprit de douceur et de
miséricorde si nécessaire au Chrétien. Ils insisteront le plus
possible sur ces oracles divins dans lesquels Dieu Lui-même commande
expressément de pardonner aux ennemis. Ils proclameront cette Vérité
incontestable que l’une des meilleures preuves que nous sommes
vraiment les enfants de Dieu, c’est que nous pardonnons facilement
les injures, et que nous aimons nos ennemis du fond du cœur. C’est
qu’en effet, l’amour pour nos ennemis fait briller en nous une
ressemblance particulière avec Dieu notre Père qui s’est réconcilié
avec les hommes, ses ennemis acharnés, en les rachetant de la
damnation éternelle par la mort de son propre Fils. Enfin ils
termineront leurs instructions et leurs exhortations par ce précepte
de Notre-Seigneur, que nous ne pourrions repousser sans nous couvrir
de honte, et sans nous condamner aux plus grands malheurs: « Priez
pour ceux qui vous persécutent et qui vous calomnient, afin que vous
soyez les enfants de votre Père qui est dans les cieux. »
C’est ici qu’il faut
aux Pasteurs une prudence consommée pour ne porter personne au
découragement et au désespoir, en faisant connaître d’une part la
difficulté. Et de l’autre la nécessité de ce devoir. Car il en est
qui, comprenant fort bien qu’ils doivent ensevelir les injures dans
un oubli volontaire, et aimer ceux qui les ont offensés, désirent de
le faire, et le font en effet autant qu’ils le peuvent. Mais
cependant ils se sentent dans l’impossibilité d’épuiser jusqu’au
dernier souvenir des injures reçues, et parce qu’ils trouvent encore
dans leur cœur certains restes d’inimitié, ils s’agitent et se
tourmentent d’une manière terrible, craignant de n’avoir point
pardonné avec assez de franchise et de sincérité, et d’avoir ainsi
résisté au commandement de Dieu.
C’est alors que les
Pasteurs devront expliquer clairement l’opposition constante de la
chair et de l’esprit. La chair est portée à la vengeance, mais
l’esprit est enclin au pardon. De là entre eux ces luttes
incessantes, ces combats sans trêve. Ils diront et enseigneront aux
Fidèles qu’ils n’ont rien à craindre pour leur Salut, malgré
l’opposition et les combats de la nature corrompue contre la raison,
pourvu que l’esprit persiste dans le devoir, et dans la volonté
sincère de pardonner les injures et d’aimer le prochain.
Que si, par hasard, il
s’en rencontrait quelques-uns, qui n’auraient pu se résoudre encore
à oublier les injures reçues, et à aimer leurs ennemis, et qui par
suite négligeraient de réciter l’Oraison Dominicale, précisément
parce qu’ils ne peuvent remplir la double condition exigée, — il
faudrait, pour détruire en eux cette erreur funeste, employer les
deux raisons suivantes :
Premièrement, chaque
Fidèle fait cette Prière au nom de toute l’Eglise: Or il est certain
qu’il y a nécessairement dans l’Eglise un grand nombre de Fidèles
qui remettent à leurs débiteurs ces sortes de dettes que nous
rappelons ici.
Secondement, en faisant
cette demande, nous prions Dieu en même temps de nous accorder tout
ce qui nous est nécessaire pour mériter d’être exaucés. nous
demandons en effet et le pardon de nos péchés et le don d’une vraie
pénitence ; nous demandons la douleur intérieure, l’horreur et la
détestation de nos fautes, et la grâce d’en faire au Prêtre une
pieuse et sincère confession. Et comme il est nécessaire que nous
pardonnions à ceux qui nous ont fait quelque tort, ou causé quelque
dommage, lorsque nous prions Dieu de nous pardonner, nous Lui
demandons en même temps qu’Il nous accorde la grâce de nous
réconcilier avec ceux que nous haïssons. Il y a donc lieu d’arracher
à leur opinion ceux qui sont frappés de cette crainte mal fondée et
même criminelle, qu’en priant ainsi ils ne feraient qu’irriter Dieu
davantage. Il faut même les exhorter à réciter souvent l’Oraison
Dominicale, pour demander à Dieu leur Père cet esprit qui nous fait
pardonner à ceux qui nous offensent, et aimer même nos ennemis.
§ VII. — DISPOSITIONS NÉCESSAIRES POUR FAIRE
CETTE PRIÈRE AVEC FRUIT.
Mais pour faire cette
Prière avec tout le fruit possible, il faut d’abord y entrer avec
cette pensée et cette préoccupation très vives que nous nous
présentons devant Dieu comme des suppliants, et que nous Lui
demandons un pardon qui ne s’accorde qu’au vrai pénitent. Dès lors
notre cœur doit être rempli de cette Charité et de cette piété qui
vont si bien avec le repentir. Et rien ne convient mieux au pénitent
sincère que d’expier dans les larmes les iniquités et les crimes
dont le triste tableau afflige ses regards.
A cette pensée il faut
joindre certaines précautions pour éviter à l’avenir ce qui a été
pour nous une occasion de péché, et qui pourrait l’être encore,
vis-à -vis de Dieu, notre Père. Ces sentiments étaient ceux de
David, quand il disait: « Mon péché est toujours devant moi ; »
et dans un autre endroit: « chaque nuit ma couche est baignée de
mes pleurs, et mon lit est arrosé de mes larmes. »
Chacun de nous pourra
se rappeler très utilement que ceux qui ont obtenu de Dieu le pardon
de leurs péchés le Lui avaient demandé avec les désirs les plus
ardents. Par exemple, ce Publicain qui restait loin de l’Autel, tout
pénétré de confusion et de douleur, les yeux humblement baissés, et
se frappait la poitrine en disant: « Mon Dieu, ayez pitié de moi
qui ne suis qu’un pécheur ! » Par exemple encore, cette
pécheresse qui se tenait derrière le Sauveur, arrosait ses pieds de
ses larmes, les essuyait avec ses cheveux et les baisait. Et enfin
Pierre, le Prince des Apôtres qui, « étant sorti, pleura
amèrement ».
Il faut bien voir aussi
que plus les hommes sont faibles et prédisposés aux maladies de
l’âme, qui sont le péché, plus ils ont besoin de remèdes nombreux et
fréquents. Or, les remèdes de l’âme malade sont la Pénitence et
l’Eucharistie. Les Fidèles ne sauraient donc y recourir trop
souvent.
L’Aumône ensuite, comme
nous le disent nos Saints Livres, est également un remède très
salutaire pour guérir les plaies de l’âme. C’est pourquoi ceux qui
désirent réciter cette Prière avec une parfaite piété, n’oublieront
pas de faire aux pauvres tout le bien possible. L’Aumône possède une
vertu merveilleuse pour effacer les taches du péché. C’est la parole
de l’ange Raphaël au jeune Tobie « L’Aumône délivre de la mort,
c’est elle qui lave les péchés et fait trouver la miséricorde et la
Vie Eternelle. »C’est aussi celle de Daniel au Roi
nabuchodonosor: « Rachetez vos péchés par des aumônes, et vos
iniquités par la miséricorde envers les pauvres. »
Mais la meilleure
Aumône, la meilleure manière d’exercer la miséricorde, c’est
d’oublier les injures et de vouloir du bien à ceux qui nous ont fait
tort à nous, ou aux nôtres, dans nos biens, dans notre réputation et
dans notre personne. Quiconque veut trouver Dieu miséricordieux pour
soi-même, doit Lui sacrifier généreusement toutes ses inimitiés,
pardonner toute espèce d’offense, prier très volontiers pour ses
ennemis, et profiter de toutes les occasions pour leur rendre
service.
Mais comme nous avons
déjà traité ce sujet, en parlant de l’homicide, nous y renvoyons les
Pasteurs.
En terminant
l’explication de cette demande, ils ne manqueront pas de faire voir
qu’il n’y a rien, qu’on ne peut même imaginer rien de plus injuste
que de demander à Dieu d’être pour nous plein de douceur et de
miséricorde, si nous-mêmes nous sommes durs pour notre prochain, et
ne pratiquons la douceur envers personne.
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