INDEX
LXI
Comment
Dieu se manifeste à l'âme qui l'aime.
LXII
Pourquoi Jésus-Christ ne dit pas : “Je manifesterai mon Père”, mais : “Je me
manifesterai”.
LXIII
Comment
l'âme monte sur le second degré du pont.
LXIV
En
aimant Jésus imparfaitement, on aime imparfaitement le prochain. Signes de
cet amour imparfait.
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1. Sais-tu comment je me manifeste dans l'âme qui
m'aime en vérité et qui suit la doctrine de mon doux et bien-aimé Verbe ? Je
manifeste de différentes manières ma vérité dans l'âme, selon son désir, et
j'ai trois sortes de manifestations.
2. Je manifeste premièrement dans l'âme mon amour et
ma charité par le moyen du Verbe, mon Fils ; et cet amour, cette charité se
voit dans son sang répandu avec tant d'ardeur. La charité se montre de deux
manières l'une est générale et commune à tous ceux qui vivent dans la
charité ordinaire. Ils la voient et l'éprouvent dans les nombreux bienfaits
qu'ils reçoivent de moi l'autre manière est réservée à ceux qui sont devenus
mes amis ; ils connaissent la charité plus que les autres, parce qu'ils la
connaissent, la goûtent et l'éprouvent sensiblement dans leurs âmes.
3. La seconde manifestation est pour ceux auxquels je
me révèle par le sentiment de l'amour. Je ne regarde pas la créature, mais
les saints désirs, et je me montre à l'âme avec la même perfection qu'elle
me recherche. Quelquefois je me révèle, dans cette seconde manifestation, en
dominant l'esprit de prophétie et cri montrant les choses futures : et cela
de beaucoup de manières, selon les besoins de cette âme ou des autres
créatures.
4. D'autres fois, et c'est la troisième
manifestation, je forme dans leur esprit la présence de ma Vérité, mon Fils
unique, par plusieurs moyens, selon que l'âme le désire et le veut. Tantôt
elle une cherche dans la prière en voulant connaître ma puissance, et je la
satisfais en lui faisant goûter et sentir ma vertu ; tantôt elle me cherche
dans la sagesse de mon Fils, et je la satisfais en l'offrant aux regards de
son intelligence ; tantôt elle nie cherche dans la clémence de l'Esprit
saint, et alors ma bonté lui fait goûter le feu de la divine charité, qui
enfante les vraies et solides vertus, fondées sur la charité pure du
prochain.
1. Tu vois que mon Fils a dit la vérité dans cette
parole : “Celui qui m'aimera sera une même chose avec moi” ; car en suivant
sa doctrine avec amour vous êtes unis lui, et étant unis à lui vous êtes
unis à moi, parce que nous sommes une même chose, et puisque nous sommes une
même chose, je me manifesterai aussi à vous.
2. Ainsi mon Fils a dit la vérité en disant : “Je me
manifesterai à vous”, parce qu'en se manifestant il me manifeste, et en me
manifestant il se manifeste. Mais pourquoi ne dit-il pas : Je vous
manifesterai mon Père ? Pour trois raisons. La première est qu'il veut
montrer que je ne suis pas séparé de lui, ni lui de moi ; et quand saint
Philippe lui dit : “Montrez-nous le Père, et cela nous suffira”, il répond :
“Qui me voit, voit le Père ; et qui voit le Père, me voit” (Jn, XIV, 8-9).
Il le dit parce qu'il est une même chose avec moi ; et ce qu'il avait, il
l'avait de moi, et non pas moi de lui. Aussi dit-il aux Juifs : “Ma doctrine
n'est pas de moi, mais de mon Père, qui m'a envoyé”. Parce que mon Fils
procède de moi, et non pas moi de lui. Mais comme je suis une même chose
avec lui et lui avec moi, il ne dit pas ; Je manifesterai le Père, mais je
me manifesterai ; parce que je suis une même chose avec le Père.
3. La seconde raison, c'est qu'en se manifestant à
vous il ne montrait que ce qu'il avait de moi, le Père ; comme s'il eût
voulu dire : Le Père s'est manifesté entièrement en moi, puisque je suis une
même chose avec lui. Je me manifesterai et je le manifesterai à vous par mon
moyen.
4. La troisième raison est, qu'étant invisible, je
ne puis être vu de vous tant que vous ne serez pas séparés de vos corps.
Alors vous verrez ma divinité face à face, et vous verrez aussi le Verbe,
mon Fils intellectuellement jusqu'au temps de la résurrection générale,
lorsque votre humanité se conformera et se réjouira dans l'humanité du
Verbe, comme je te l'ai dit en te parlant de la résurrection (Le texte dit :
nel Trattato della resurrettione. Ces mots semblent indiquer un
ouvrage de sainte Catherine de Sienne qui ne nous est pas parvenu).
5. Vous ne pouvez me voir maintenant dans mon
essence, et alors j'ai voilé la nature divine avec le voile de votre
humanité, afin que vous pussiez me voir. Moi, l'invisible, je me suis fait
pour ainsi dire visible en vous donnant le verbe, mon Fils, revêtu de votre
nature ; Il m'a manifesté à vous. Il ne dit pas : Je manifesterai mon Père,
mais : Je me manifesterai à vous ; comme s'il disait : Selon ce que m'a
donné mon Père, je me manifesterai à vous. Tu vois que dans cette
manifestation, en se manifestant il me manifeste. Tu ne lui a pas entendu
dire : Je vous manifesterai le Père, car tant que vous êtes dans un corps
mortel, vous ne pouvez me voir ; mais mon Fils est une même chose avec moi.
1. Tu as pu comprendre l'excellence de celui qui est
parvenu à l'amour de l'ami ; il a monté par les pieds de l'affection, et il
est arrivé au secret du cœur, c'est-à-dire au second degré, figuré sur le
corps de mon Fils. Je t'ai dit que ces trois, degrés correspondaient aux
trois puissances de l'âme ; et maintenant je les appliquerai aux trois états
de l'âme. Avant de te conduire au troisième degré, je veux te montrer
comment on parvient à être ami, et quand on est ami, comment on devient
enfant par l'amour filial ; ce que fait celui qui est ami, et à quel signe
on reconnaît l'ami.
2. Premièrement, comment parvient-on à être ami ?
L'homme était d'abord imparfait par la crainte servile ; mais avec
l'exercice et la persévérance il parvient à l'amour de la jouissance et de
l'utilité qu'il trouve en moi. Telle est la voie par laquelle passe celui
qui désire arriver à l'amour parfait, c'est-à-dire à l'amour des amis et des
enfants.
3. Je dis que l'amour filial est parfait, parce que,
dans l'amour du Fils, l'homme reçoit mon héritage, l'héritage du Père
éternel ; et parce que l'amour du Fils comprend toujours l'amour de l'ami,
je t'ai dit que l'ami était devenu fils. Quel est le moyen de parvenir à
l'amour filial ? Le voici. Toute perfection et toute vertu procède de la
charité, et la charité est nourrie par l'humilité ; l'humilité vient de la
connaissance et de la haine de soi-même, c'est-à-dire de sa sensualité. Pour
y arriver, il faut persévérer et rester dans la cellule de la connaissance
de soi-même, où on connaîtra ma miséricorde dans le sang de mon Fils unique,
en attirant par son amour ma charité divine, en s'exerçant à détruire toute
mauvaise volonté spirituelle et temporelle, et en se cachant humblement dans
son intérieur.
4. C'est ce que fit Pierre avec les autres
disciples : il gémit amèrement après avoir eu le malheur de renier mon Fils.
Sa douleur était encore imparfaite, et elle fut imparfaite pendant quarante
jours et jusqu'après l'Ascension ; car, mon Fils étant retourné vers moi
quant à son humanité, Pierre et les autres disciples se cachèrent dans le
cénacle pour attendre la venue du Saint-Esprit, que ma Vérité leur avait
promis. Ils étaient renfermés par crainte, car l'âme craint toujours jusqu'à
ce qu'elle soit arrivée à l'amour véritable ; mais en persévérant dans leurs
veilles et dans leurs humbles prières jusqu'à ce qu'ils eussent reçu
l'abondance de l'Esprit Saint, ils perdirent la crainte ; ils suivirent et
prêchèrent Jésus crucifié.
5. Ainsi, après s'être purifiée du péché mortel et
s'être reconnue coupable, l'âme qui veut parvenir à la perfection commence à
pleurer par crainte du châtiment ; puis elle s'élève à la considération de
ma miséricorde, où elle trouve son bien-être et son avantage. Elle est
encore imparfaite, et pour la faire arriver à la perfection, après quarante
jours, c'est-à-dire après ces deux états, je me retire d'elle de temps en
temps, non par grâce, mais par sentiment.
6. C'est ce que mon Fils annonçait lorsqu'il disait
aux disciples : “Je m'en vais, et je reviendrai vers vous”. Tout ce qu'il
disait en particulier à ses disciples était dit en général à tous les hommes
présents et futurs. Il dit : Je m'en vais, et je reviendrai vers vous ; et
il en fut ainsi : car lorsque l'Esprit Saint fut descendu sur les disciples,
il revint lui-même. Le Saint-Esprit ne vint pas seul, mais il vint avec ma
puissance, avec la sagesse du Fils, qui est un avec moi, et avec la clémence
du Saint-Esprit, qui procède du Père et du Fils.
7. Or, je te le dis de même : Pour faire sortir l'âme
de son imperfection, je me retire d'elle d'une manière sensible et je la
prive de la consolation qu'elle avait d'abord. Lorsqu'elle était dans la
souillure du péché mortel, elle s'est éloignée de moi, et je l'ai privée de
ma grâce par sa faute ; parce qu'elle m'avait fermé la porte de son désir.
Le soleil de la grâce ne brille plus au-dedans, non par la faute du soleil,
mais par la faute de la créature, qui ne lui ouvre pas par le désir ; mais
dès qu'elle reconnaît les ténèbres, elle ouvre la fenêtre et nettoie sa
demeure par une sainte confession. Alors, par ma grâce, je retourne dans
l'âme, et si je m'en retire quelquefois, elle ne perd pas la grâce, elle
n'en perd que le sentiment.
8. Je le fais pour la rendre humble, pour l'exercer
âme chercher véritablement, pour l'éprouver à la lumière de la foi et lui
faire acquérir la prudence. Alors, si elle aime d'une manière désintéressée,
avec une foi vive et avec la haine d'elle-même, elle se réjouit dans la
peine, parce qu'elle se trouve indigne de la paix et du repos de l'esprit.
C'est la seconde des trois choses que je t'annonçais en te promettant de
t'expliquer comment l'âme arrive à le perfection, et ce qu'elle fait quand
elle y est arrivée. Voici ce qu'elle fait. Quand elle sent que je me suis
retiré, elle ne retourne pas en arrière, mais elle persévère humblement dans
ses exercices, et se renferme avec soin dans la connaissance d'elle-même.
9. Elle y attend avec une foi vive l'avènement de
l'Esprit Saint ; elle m'attend, moi, le feu de la charité. Comment
m'attend-elle ? Elle m'attend, non dans l'oisiveté, mais dans les veilles et
dans la prière continuelle ; non seulement dans les veilles du corps, mais
dans les veilles de l'intelligence. L’œil de son intelligence ne se ferme
jamais ; elle veille à la lumière de la foi pour arracher par la haine les
pensées inutiles de son cœur ; elle attend l'ardeur de ma charité, car elle
sait que je ne veux pas autre chose que la sanctification des âmes : le sang
de mon Fils l'a bien prouvé.
10. Pendant que son intelligence veille ainsi dans ma
connaissance et dans la connaissance d'elle-même, l'âme prie toujours par
une sainte et ferme volonté : c'est la prière continuelle. Elle prie aussi
par la prière actuelle, c'est-à-dire qu'elle fait dans leur temps les
prières ordonnées par l'Église. Voici ce que fait l'âme qui a quitté
l'imperfection pour arriver à la perfection.
11. C'est pour qu'elle y arrive que je me retire
d'elle, non par la grâce, mais par le sentiment. Je m'en éloigne pour
qu'elle voie et connaisse ses défauts, parce que, dès qu'elle se sent privée
de la consolation, elle éprouve sa faiblesse ; elle comprend que seule elle
ne peut être ferme et persévérante, et par là elle découvre la racine de
l'amour-propre spirituel. Elle se connaît ainsi, elle s'élève au-dessus
d'elle-même, et s'asseyant sur le tribunal de sa conscience, elle ne fait
grâce à aucun sentiment blâmable en arrachant la racine de l'amour-propre
avec la haine de cet amour et avec l'amour de la vertu.
1. Je veux que tu saches que toute imperfection et
toute perfection qui se manifestent et s'acquièrent en moi, se manifestent
et s'acquièrent par le moyen du prochain. C'est ce qu'éprouvent les âmes
simples qui aiment les créatures d'un amour spirituel. Si l'on m'aime d'un
amour pur et désintéressé, on aime de même le prochain.
2. Quand on remplit un vase à une fontaine, si on le
retire de la fontaine pour boire, le vase est bientôt vide, mais si l'on
boit en tenant le vase dans la fontaine, il ne se vide pas, mais il est
toujours plein. Il en est de même de l'amour spirituel ou temporel du
prochain, il faut y boire en moi, sans le tirer à soi.
3. Je vous demande que vous m'aimiez comme je vous
aime. Vous ne pouvez le faire complètement, puisque je vous ai aimés sans
être aimé. L'amour que vous ayez pour moi est une dette que vous acquittez,
et non pas une grâce que vous m'accordez. L'amour que j'ai pour vous au
contraire est une grâce, et non une dette.
4. Vous ne pouvez donner me rendre l'amour que je
réclame, et cependant je vous en offre le moyen dans votre prochain faites
pour lui ce que vous ne pouvez faire pour moi. Mon Fils l'a montré lorsqu'il
disait a Paul qui me persécutait “Saul, Saul, pourquoi me persécutes tu ?” (Ac
IX, 4). Il le disait parce que Paul me persécutait en persécutant mes
fidèles.
5. Il faut que votre amour soit pur et qu'avec cet
amour dont vous m'aimez, vous aimiez les autres. Sais-tu, ma fille, comment
on reconnaît que l'amour spirituel dont on aime n'est pas parfait ? Il est
imparfait si l'âme souffre quand il lui semble que la créature qu'elle aime
ne répond pas à son amour ou qu'elle n'en est pas aimée autant qu'elle croit
l'aimer. Si elle souffre de la perte de sa présence, de ses consolations, ou
de la préférence qu'elle donne à un autre.
6. C'est à cela et à beaucoup d'autres choses
semblables qu'on voit l'imperfection de l'amour que l'âme a pour moi et pour
le prochain. Elle boit alors dans le vase hors de la fontaine, quoique
l'amour l'ait rempli de moi. Mais parce qu'elle m'aime encore
imparfaitement, elle montre qu'elle aime imparfaitement aussi le prochain.
Cela vient de la racine de l'amour-propre spirituel, qui n'est pas encore
arrachée.
7. Je permets souvent ces épreuves de l'amour pour
que l'âme se connaisse dans son imperfection. Je lui retire ma présence
sensible pour qu'elle se renferme dans la connaissance d'elle-même, et
qu'elle acquière ainsi la perfection. Je reviens ensuite avec une plus
abondante lumière, avec une connaissance plus grande de ma vérité, pourvu
qu'elle soit persuadée que c'est par ma grâce seulement qu'elle pourra tuer
sa volonté.
8. Qu'elle ne cesse jamais de travailler à sa vigne,
d'en arracher les épines des pensées inutiles, et d'y mettre les pierres des
vertus affermies dans le sang de Jésus crucifié, qu'elle a trouvées en
allant par le pont de mon Fils bien-aimé. Car je te l'ai dit, si tu te le
rappelles bien, sur ce pont de la doctrine de ma Vérité sont les pierres
fondées sur la vertu de son sang, et les vertus vous donnent la vie par la
vertu du sang.
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