INDEX
DEUXIÈME PARTIE
LXXXIX
Des différentes sortes de larmes.
XC
Résumé du chapitre précédent.- Le démon fuit ceux qui
sont arrivés aux cinquièmes larmes.- Les attaques du démon sont la voie
véritable pour parvenir à cet état.
XCI
Ceux qui désirent pleurer et ne le peuvent pas, ont
des larmes de feu.- Pour quelle raison Dieu retire les larmes corporelles.
XCII
Dieu veut être servi comme l'être infini, et non
comme une chose finie.
XCIII
Du fruit des larmes que répandent les hommes du
monde.
XCIV
Les mondains qui pleurent sont battus par quatre
vents différents.
XCV
Du fruit des secondes et des troisièmes larmes.
XCVI
Du fruit des quatrièmes larmes unitives.
XCVII
L'âme remercie Dieu de lui avoir appliqué les larmes,
et elle lui fait trois demandes.
XCVIII
La lumière de la raison est nécessaire à celui qui
veut servir Dieu.- De la lumière générale.
XCIX
De la seconde lumière, plus parfaite que la lumière
générale.
C
De la troisième et parfaite lumière.- Des oeuvres de
l'âme parvenue à cette lumière.
CI
Ceux qui sont dans la perfection de la troisième
Lumière reçoivent dès ce monde un avant-goût de la vie éternelle.
|
1. Apprends, ma fille, que toute larme vient du cœur,
car aucune partie du corps ne correspond si parfaitement que l’œil aux
affections du cœur. Si le cœur souffre, l’œil le fait paraître. Si sa
douleur est sensuelle, les larmes le sont aussi et engendrent la mort, parce
qu'elles procèdent d'un amour déréglé qui m'offense et qui empoisonne la
douleur et les larmes. Cette douleur et ces larmes sont plus ou moins
coupables, selon la mesure de l'amour déréglé, ceux qui pleurent ainsi
répandent les larmes de mort dont je t'ai parlé.
2. Voici maintenant les larmes qui commencent à
donner la vie : ce sont les larmes de ceux qui à la vue de leurs fautes
commencent à pleurer par crainte du châtiment. Ces larmes sont humaines et
sensibles, parce que l'âme n'a pas encore la haine parfaite de sa faute, à
cause de l'offense qu'elle m'a faite ; sa douleur vient de la peine qui suit
le péché commis, et l’œil pleure parce qu'il obéit au mouvement du cœur.
3. Lorsque l'âme s'exerce à la vertu, elle commence à
perdre la crainte, parce qu'elle connaît que la seule crainte ne suffit pas
pour donner la vie éternelle, comme je te l'ai expliqué dans le second état
de l'âme. Alors elle s'élève avec amour à la connaissance d'elle-même et de
ma bonté jour elle, et elle commence à espérer de ma miséricorde dans
laquelle se réjouit son cœur. La douleur de sa faute se mêle à la joie de
l'espérance dans ma miséricorde, et l’œil commence à verser des larmes qui
viennent de la source du cœur.
4. Mais, parce que l'âme n'est pas parvenue à la
véritable perfection, souvent ces larmes sont encore sensuelles. Et si tu me
demandes pourquoi, je te répondrai : Parce que la racine de l'amour-propre
n'est pas détruite : Je ne parle pas de l'amour-propre sensitif, car il est
vaincu, mais de l'amour-propre spirituel, qui fait désirer à l'âme les
consolations qui viennent de moi ou de quelque créature qu'elle aime d'une
affection spirituelle.
5. Lorsqu'elle est privée de ces consolations
intérieures ou extérieures, intérieures si elles viennent de moi, ou
extérieures si elles viennent des créatures, lorsqu'elle est éprouvée par
les tentations du démon et par les persécutions des hommes, son cœur
souffre, et aussitôt l’œil ressent sa douleur et commence à répandre des
larmes personnelles qui viennent de la tendresse que l'âme u pour elle-même,
parce que sa volonté propre n'est pas encore entièrement foulée aux pieds et
détruite. Ces larmes sont sensuelles, car elles procèdent d'une passion
spirituelle dont je t'ai montré l'imperfection.
6. Mais si l'âme, en augmentant la connaissance
d'elle-même, se méprise et se hait parfaitement ; si elle acquiert ainsi une
vraie connaissance de ma bonté et un ardent amour, elle commence à unir et
conformer sa volonté à la mienne, et à ressentir intérieurement la joie de
la compassion, la joie de l'amour et la compassion du prochain, comme je te
l'ai dit en parlant du troisième état. Aussitôt l’œil qui veut satisfaire le
cœur verse des larmes excitées par ma charité et par l'amour du prochain.
L'âme pleure sur l'offense qui m'est faite, et sur le malheur du prochain,
sans penser à la peine qu'elle peut en recevoir elle-même, parce qu'elle
s'oublie pour ne penser qu'à rendre gloire à mon nom ; et dans l'ardeur de
son désir elle se rassasie à la table de la sainte Croix, en imitant
l'humilité, la patience de l'Agneau sans tache, mon Fils unique, dont j'ai
fait un pont pour les hommes.
7. Lorsque l'âme a passé sur ce pont, en suivant la
doctrine de rua Vérité et l'exemple de mon Verbe, elle souffre avec une
sincère patience les épreuves et les afflictions que je permets pour son
salut ; non seulement elle les supporte avec patience, mais encore avec joie
et empressement. Elle trouve que c'est une gloire d'être persécutée pour mon
nom, selon ma volonté et non selon la sienne. Elle est contente, pourvu
qu'elle souffre, et elle goûte une consolation et une paix qu'aucune langue
n'est capable d'exprimer.
8. En suivant ainsi la doctrine de mon Fils, elle
fixe son intelligence en moi, la Vérité suprême ; en me voyant elle me
connaît, en me connaissant elle, m'aime. L'amour suit l'intelligence et
savoure ma divinité qu'elle connaît et qu'elle voit dans la nature divine
unie à votre humanité. Elle se repose en moi, l'océan de la paix, et son
cœur m'est uni par les liens de l'amour, comme je l'ai dit dans le quatrième
état unitif. Le sentiment de ma divinité fait verser aux yeux de douces
larmes qui sont un lait pur dont l'âme se nourrit clans la patience. Ces
larmes sont un baume précieux qui répand un parfum d'une extrême suavité.
9. O ma fille bien-aimée ! quelle gloire pour cette
âme qui a réellement su passer de la mer orageuse du monde à moi, l'océan de
la paix, pour y remplir le vase de son cœur dans les abîmes de ma divinité !
L’œil, qui est le canal dit cœur, en reçoit les larmes et les répand avec
abondance. C'est le dernier état, où l'âme est heureuse et affligée :
heureuse par l'union qu'elle éprouve en moi, et par l'amour divin qu'elle
goûte ; affligée par l'offense qu'elle voit faire à ma bonté, à ma grandeur
qu'elle a vue et goûtée dans la connaissance d'elle-même. C'est par cette
connaissance et. par la mienne qu'elle arrive à ce dernier état.
10. Cet état unitif n'empêché pas qu'elle ne répande
des larmes d'une extrême douceur, que lui causent la connaissance
d'elle-même et la charité du prochain. Elle pleure d'amour pour ma divine
miséricorde, et de douleur pour l'offense du prochain ; elle pleure avec
ceux qui pleurent, et se réjouit avec ceux qui se réjouissent. L'âme se
réjouit avec ceux qui vivent dans la charité, parce qu'elle me voit rendre
grâce et honneur par mes serviteurs.
11. Les secondes larmes n'empêchent pas les dernIères,
c'est-à-dire celles du second état d'union. Les unes conduisent aux autres.
Si les dernières larmes, où l'âme a trouvé une si grande union, n'étaient
pas venues des secondes, c'est-à-dire du troisième état de la charité du
prochain, elles ne seraient pas parfaites. Il faut qu'elles viennent les
unes des autres : sans cela la présomption serait à craindre ; le vent
perfide de la propre estime pourrait faire tomber l'âme des hauteurs de la
vertu jusqu'aux abîmes des premières chutes.
12. Il faut soutenir et entretenir la-charité du
prochain par la vraie connaissance de soi-même. Ainsi s'alimentera le feu de
ma charité dans l'âme, parce que la charité du prochain vient de ma charité,
c'est-à-dire de cette connaissance que l'âme a d'elle et de ma bonté en
elle. Elle voit un amour ineffable envers elle, et du même amour dont elle
se voit aimée, elle aime toute créature raisonnable. C'est pour cela que
l'âme, aussitôt qu'elle me connaît, aime le prochain, et elle aime avec
ardeur ce qu'elle voit que j'aime le plus.
13. Elle comprend qu'elle né peut m'être utile
personnellement et me rendre ce pur amour que je lui porte ; alors elle
s'applique à me rendre cet amour par le moyen que je lui ai donné,
c'est-à-dire par le prochain. C'est le moyen dont vous devez profiter ; car,
comme je te l'ai dit, toute vertu s'accomplit par le moyen du prochain, en
agissant envers lui en général et en particulier, selon les grâces de la
vocation que je vous donne.
14. Vous devez aimer du même amour pur dont je vous
aime. Vous ne le pouvez faire à mon égard, parce que je vous ai aimés sans
être aimé et sans aucun intérêt, car je vous ai aimés avant même votre
existence. L'amour m'a porté à vous créer à mon image et ressemblance. Vous
ne pouvez me rendre cet amour gratuit, mais vous devez le rendre aux
créatures raisonnables ; vous devez les aimer sans en être aimés et sans
songer à aucun intérêt spirituel ou temporel. Vous devez les aimer
uniquement pour l'honneur et la gloire de mon nom, parce que je les aime :
et ainsi vous accomplirez le commandement de la loi qui est de m'aimer par
dessus toute chose et d'aimer le prochain comme vous-mêmes.
15. Il est vrai qu'on ne peut arriver à cette hauteur
que par le second degré de l'union ; et, quand on y est parvenu, on ne peut
le conserver, si on s'éloigne de cet amour qui conduit aux secondes larmes.
Il est impossible d'accomplir ma loi sans celle qui regarde le prochain. Ce
sont les deux pieds de l'affection qui font observer les commandements et
les conseils que vous a donnés ma Vérité, Jésus crucifié. Ces deux états,
qui n'en font qu'un, nourrissent l'âme dans la vertu, en augmentant sa
perfection et son état d'union. L'âme ne change pas d'état quand elle est
parvenue à ce degré ; mais à ce degré augmente la richesse de la grâce par
de nouveaux dons et d'admirables extases, avec une connaissance de la Vérité
qui semble être du ciel plus que de la terre, parce que le sentiment de sa
propre sensualité est vaincu, et que sa volonté est morte par l'union
qu'elle a avec moi.
16. Oh ! combien cette union est douce pour l'âme qui
en jouit et qui voit ainsi mes secrets ! Souvent l'esprit de prophétie lui
fait connaître les choses futures ; c'est un don de ma bonté, que l'âme
humble ne doit pas demander, parce qu'elle doit fuir, non pas les effets de
ma charité, mais le désir des consolations. Pour entretenir sa vertu, elle
sa reconnaît indigne de la paix et du repos ; elle ne s'arrête pas au second
état, mais elle descend dans la vallée de la connaissance de sa faiblesse.
17. Ma grâce lui accorde cette lumière pour qu'elle
grandisse. Car l'âme n'est jamais si parfaite en cette vie, qu'elle ne
puisse arriver à une plus grande perfection d'amour. Il n'y a que mon Fils
bien-aimé, votre Chef, qui ne pouvait pas croître en perfection, parce qu'il
était une même chose avec moi et moi avec lui. Son âme était bienheureuse
par l'union de sa nature divine. Mais vous qui êtes ses membres, vous
pouvez, pendant votre pèlerinage, croître toujours en perfection ; vous ne
pouvez, cependant arriver à un autre état que celui dont je vous ai parié ;
vous êtes arrivés au dernier, mais vous pourrez toujours y croître dans la
perfection, autant que vous le désirerez, avec le secours de ma grâce.
1. Tu as vu maintenant toutes les larmes et leur
différence, parce qu'il a plu à ma Vérité de satisfaire ton désir. Les
premières viennent de ceux qui sont dans un état de mort et de péché mortel.
Tu as vu que la douleur procède généralement du cœur, et comme le principe
du sentiment qui cause les larmes est corrompu, cette douleur est corrompue
et misérable, et toutes leurs oeuvres sort mauvaises. Dans le second état.
se trouvent ceux qui commencent à connaître leur malheur par le châtiment
qui doit suivre la faute. C'est là un premier mouvement que ma bonté donne
aux faibles et aux aveugles qui se noient dans le fleuve, en méprisant la
doctrine de mon Fils. Mais il en est un très grand nombre qui connaissent
leur malheur sans crainte servile du châtiment et qui ressentent aussitôt
une grande haine d'eux-mêmes ; à cause de cette haine ils se reconnaissent
dignes de toutes sortes de peines.
2. Plusieurs s'appliquent en toute simplicité à me
servir et à se repentir de l'offense qu'ils ont faite à leur Créateur. Il
est vrai que celui qui a une grande haine de lui-même est plus apte que tout
autre à parvenir, à la perfection ; tous y arrivent en s'exerçant à la
vertu, mais celui-là y arrive le premier. Celui qui avance avec une grande
haine de lui même doit prendre garde de rester dans la crainte servile ;
celui qui marche plus simplement doit prendre garde de s'engourdir dans la
tiédeur, cette route cependant est la vocation la plus commune.
3. Dans le troisième et le quatrième état se trouvent
ceux qui ont quitté la crainte, pour arriver à l'amour et à l'espérance ;
ils goûtent ma divine miséricorde, et reçoivent de moi des faveurs et des
consolations abondantes ; leurs yeux pleurent d'abord pour satisfaire le
sentiment de leur cœur, mais comme ce sentiment est encore imparfait et
mélangé de regrets spirituels, en s'exerçant à la vertu, ils arrivent au
degré où l'âme, augmentant son désir, s'unit et se conforme tellement à ma
volonté, qu'elle ne peut vouloir et désirer que ce que je veux. Elle trouve
alors en elle des pleurs d'amour et de douleur pour l'offense et le malheur
du prochain. Cet état est inséparable de la perfection où l'âme s'unit dans
la vérité, et augmente l'ardeur du saint désir.
4. Le démon fuit ce saint désir et ne peut ébranler
l'âme, ni par l'injure qui lui est faite parce qu'elle est devenue patiente
dans la charité du prochain, ni par les consolations spirituelles ou
temporelles parce que la haine d'elle-même, son humilité sincère lui font
tout mépriser. Il est vrai que de son côté le démon ne dort jamais : il vous
donne en cela des leçons, lorsque par votre négligence vous perdez à dormir
le temps dont vous pourriez profiter. Mais sa vigilance ne peut nuire à
cette âme, parce qu'il ne peut supporter l'ardeur de sa charité, ni l'odeur
de l'union qu'elle a contractée avec moi, l'océan de la paix.
5. L'âme ne peut être trompée tant qu'elle est unie à
moi ; le démon s'en éloigne, comme la mouche fuit la vapeur d'un vase qui
bout sur le feu ; si le vase était tiède, la mouche ne le craindrait pas ;
elle s'y arrêterait, quoique souvent elle y périsse, en y trouvant plus de
chaleur qu'elle ne croyait. Il en arrive de même pour l'âme qui n'est pas
encore parvenue à l'état parfait : le démon, parce qu'il la croit tiède, s'y
présente avec beaucoup de tentations ; mais il y trouve une connaissance de
soi-même, une ferveur et une horreur des fautes qui lui résistent et fixent
la volonté dans les liens de la haine du péché et de l'amour de la vertu.
6. Que l'âme se réjouisse quand elle éprouve ces
tentations, car c'est là le chemin pour arriver à ce doux et glorieux degré.
Je te l'ai dit, vous arrivez à la perfection par la connaissance et la haine
de vous-mêmes, et par la connaissance de ma bonté. Jamais l'âme ne se
connaît aussi parfaitement, si je suis en elle, qu'au moment de ces
combats : elle se connaît en se voyant dans des combats qu'elle ne peut
éviter malgré sa volonté ; elle peut seulement y résister en refusant
toujours son consentement mais pas autrement. Elle peut alors comprendre
qu'elle n'est pas ; car si elle était quelque chose par elle-même, elle se
délivrerait de ces tentations qui lui répugnent.
7. Elle s'humilie ainsi dans la connaissance
d'elle-même, et avec la lumière de la sainte foi elle court vers moi
l'Éternel, dont la bonté conserve sa volonté dans la droiture et la justice,
si elle ne consent pas, pendant le combat, à obéir à ces misères qui la
tourmentent. Vous avez donc bien raison de vous fortifier dans la doctrine
du doux et tendre Verbe, mon Fils unique, lorsque l'adversité et les
tentations des hommes et du démon vous éprouvent car ce sont des moyens pour
augmenter la vertu et parvenir à la perfection.
1. Je t'ai parlé des larmes parfaites et imparfaites
toutes sortent du cœur comme d'un vase, qu'elle qu'en soit la raison : aussi
peut-on les appeler toutes des larmes. du cœur. Leur différence vient de
l'amour réglé ou déréglé, parfait ou imparfait, comme je te l'ai dit : il me
reste maintenant à te parler, pour satisfaire ton désir, de ceux qui
souhaitent la perfection des larmes et semblent ne pouvoir l'atteindre.
2. Y a-t-il une autre manière de pleurer ? Oui, car
il y a des larmes de feu, c'est-à-dire les larmes d'un vrai et saint désir,
les larmes de ceux qui se consument d'amour et qui voudraient perdre la vie
dans la douleur, par haine pour eux-mêmes, par zèle pour le salut des âmes ;
et il semble qu'ils ne peuvent y réussir. Je te dis que ceux-là ont des
larmes de feu, par lesquelles le Saint-Esprit pleure devant moi, pour eux et
pour le prochain. Ma divine charité embrase de ses flammes cette âme, qui
m'offre ses ardents désirs sans pouvoir pleurer.
3. Ces larmes sont des larmes de feu, et c'est pour
cela que je te dis que le Saint-Esprit pleure dans cette âme. Au lieu des
larmes qu'elle ne peut répandre, elle offre le désir, la volonté qu'elle a
de pleurer par amour pour moi. Lorsque mes serviteurs exhalent le parfum des
saints désirs, et offrent en ma présence d'humbles et continuelles prières,
l'Esprit Saint gémit en eux. C'est ce que mon glorieux apôtre saint Paul
voulait exprimer lorsqu'il disait que l'Esprit Saint me sollicite pour vous
par des gémissements inénarrables (Rom., VIII, 26).
4. Tu vois donc que ces larmes de feu ne sont pas.
moins efficaces que les larmes qui coulent des yeux. Souvent même elles
valent davantage, selon la mesure de l'amour : L'âme ne doit donc pas se
troubler et se croire privée de moi parce qu'elle désire les larmes et
qu'elle ne peut en répandre comme elle le voudrait. Elle doit les désirer en
conformant sa volonté à la mienne, et s'humilier toujours, qu'elle les
obtienne ou qu'elle ne les obtienne pas, selon qu'il plaît à ma bonté
divine.
5. Quelquefois je n'accorde pas les larmes dû corps,
pour que l'âme persévère dans l'humilité, la prière et le désir de me
goûter ; car si elle recevait de moi ce qu'elle me demande, elle n'en
retirerait pas l'utilité qu'elle en attend, mais elle serait contente de
posséder ce qu'elle désire, et ralentirait son ardeur. Pour soutenir et
augmenter sa vertu, je la prive des larmes des yeux ; je lui donne des
larmes du cœur tout embrasées du feu de ma divine charité. Je suis le
médecin, et vous êtes les malades ; je donne à tous ce qui est nécessaire à
votre salut et à la perfection de vos âmes.
6. Ceci est la vérité et l'explication des
différentes sortes de larmes que tu m'as demandée, ma fille bien-aimée.
Baigne-toi dans le sang de Jésus crucifié, dans le sang de l'humble Agneau
sans tache, et avance toujours dans la vertu, afin d'augmenter en toi le feu
de ma divine charité.
1. Ces cinq états sont comme cinq canaux principaux
dont quatre versent une abondance et une variété de larmes infinies, qui
toutes donnent la vie si elles sont appliquées à la vertu. Vous n'êtes pas
infinis dans votre douleur, mais vos larmes sont infinies par le désir
infini de l'âme.
2. Tu sais maintenant que toute larme procède du
cœur, c'est le cœur qui donne les larmes aux yeux lorsque l'ardeur du désir
les y fait naître. Quand le bois vert est dans le feu, la force de la
chaleur le fait pleurer, parce qu'il est vert ; s'il était sec il ne
pleurerait pas. De même le cœur reverdit par l'action de la grâce, et perd
la sécheresse de l'amour-propre qui dessèche l'âme ; ce cœur renouvelé
trouve des larmes dans le feu des saints désirs, et, parce que le désir ne
finit jamais, il ne peut être rassasié en cette vie.
3.- Plus l'âme aime, moins il lui semble aimer. Aussi
excite-t-elle sans cesse le saint désir, qui est fondé sur la charité et qui
lui fait répandre des larmes. Mais dès que l'âme est séparée du corps et
qu'elle est arrivée à moi, sa fin, elle n'abandonne plus le désir qui la
porte vers moi et vers la charité du prochain ; car la charité est entrée
dans le ciel comme une reine, avec le fruit de toutes lés autres vertus.
4. Il est vrai que la peine du désir est finie, mais
le désir dure toujours. L'âme me désire, mais elle me possède en vérité ;
sans aucune crainte de perdre ce qu'elle a si longtemps désiré, et de cette
manière elle se nourrit de sa faim, elle a faim et elle est rassasiée ; elle
est rassasiée et elle a faim, sans jamais connaître le dégoût de la satiété,
ni la douleur de la faim, parce que sa béatitude est parfaite.
5. Ainsi votre désir est infini. Aucune vertu ne
pourrait vous mériter la vie éternelle, si vous me serviez d'une manière
finie ; car moi, le Dieu infini, je veux être servi par vous d'une manière
infinie, et vous n'avez d'infini que le désir et l'élan de votre âme. Aussi
je disais que vous aviez une variété de larmes infinies, et c'est la vérité,
à cause du désir infini qui se mêle à vos larmes.
6. Aussitôt que l'âme est séparée du corps, les
larmes des yeux lui sont étrangères ; mais l'ardeur de la charité attire le
fruit des larmes qu'elle a consumées, comme l'eau est absorbée par une
fournaise : l'eau ne reste pas dehors, mais la chaleur du feu' l'attire et
la détruit. De même, l'âme qui est parvenue à goûter le feu de ma charité
divine, et qui a quitté la vie avec l'ardeur de ma charité et de la charité
du prochain dans l'amour unitif qui lui faisait répandre des larmes, ne
cesse jamais de m'offrir ses saints désirs, toujours pleins de bonheur et de
larmes.
7. Ces larmes ne sont pas pénibles comme celles que
l’œil répand et que le feu a consumées, mais ce sont les larmes de feu du
Saint-Esprit. Tu vois donc que ces larmes sont infinies, et dans cette vie
même, la langue ne peut suffire à raconter la variété de celles qui coulent
en cet état. Je t'ai expliqué la différence des quatre états des larmes, il
me reste à te dire le fruit des larmes du désir et ce qu'il produit dans
l'âme (Dans l'édition de Gigli, cette dernière phrase commence le
chapitre suivant. La traduction latine nous semble préférable.). (154)
1. Je commencerai d'abord par les premières larmes
dont je t'ai parlé, c'est-à-dire par celles que répandent les malheureux qui
,vivent dans le monde, et qui font leur Dieu des choses créées et de leur
propre sensualité, ce qui entraîne la ruine de leur âme et de leur corps. Je
te dirai que toute larme procède du cœur, et c'est la vérité ; car le cœur
souffre autant qu'il aime. Les hommes du monde pleurent quand leur cœur
souffre, c'est-à-dire quand il est privé de ce qu'il aime.
2. Ils ont bien des sortes de larmes. Sais-tu
combien ? Autant qu'ils ont de sortes d'amour. Et parce que la racine est
corrompue par l'amour-propre sensuel, tout ce qui en sort est corrompu :
c'est un arbre qui n'a que des fruits de mort, des fleurs infectes, des
feuilles souillées, des rameaux qui traînent à terre et qu'agitent tous les
vents. Tel est l'arbre de l'âme. Vous êtes tous des arbres d'amour, et sans
l'amour vous ne pouvez vivre ; car vous avez été faits par moi, par amour.
L'âme qui vit saintement place la racine de son arbre dans la vallée de
l'humilité véritable ; mais celle qui vit misérablement l'enterre dans la
montagne de l'orgueil, et, parce que l'arbre est mal planté, il ne produit
pas des fruits de vie, mais des fruits de mort.
3. Ces fruits sont leurs oeuvres, qui sont toutes
empoisonnées par le péché, et si parfois ils font quelque bien, comme, la
racine est gâtée, ce qui en sort l'est aussi. L'âme qui est en péché mortel
ne peut faire aucune chose méritoire pour la vie éternelle, puisqu'elle
n'est pas en état de grâce. Elle ne doit pas cependant abandonner les bonnes
oeuvres, parce que tout bien est récompensé et toute faute punie. Le bien
fait en dehors de la grâce ne sert pas à la vie éternelle, mais ma bonté et
ma justice divine donnent une récompense imparfaite comme l’œuvre imparfaite
que l'âme me présente.
4. Quelquefois je la récompense par des biens
temporels ; quelquefois je lui accorde, comme je te l'ai dit ; du temps pour
qu'elle puisse se corriger. D'autres fois je lui donne la vie de la grâce
par le moyen de mes serviteurs que j'aime et que j'écoute. Ainsi l'ai-je
fait pour mon glorieux apôtre saint Paul, qui, par la prière de saint
Étienne, cessa d'être infidèle et de persécuter les chrétiens. Dans quelque
état que l'homme se trouve, il ne doit jamais cesser de bien faire.
5. Je t'ai dit que les fleurs de cet arbre étaient
corrompues, et c'est la vérité. Ces fleurs sont les pensées infectes du cœur
qui m'offense et qui déteste le prochain ; l'homme, comme un voleur, dérobe
mon honneur pour se le donner à lui-même. Ses fleurs répandent l'infection
des faux jugements de deux manières. D'abord l'homme me juge faussement en
jugeant mal mes jugements secrets et mes mystères ; il reçoit avec haine ce
que j'ai fait par amour ; il voit le mensonge où j'ai mis la vérité, et la
mort où j'ai placé la vie. Il juge et condamne d'après sa faiblesse et son
ignorance. Parce qu'il a obscurci l’œil de l'intelligence recouvert la
pupille de la sainte foi avec l'amour-propre sensuel, il ne peut plus voir
et connaître la vérité.
6. Il juge ensuite faussement le prochain ; ce qui
cause souvent de grands maux. Ce pauvre homme, qui s'ignore lui-même, veut
connaître le cœur et les sentiments de la créature raisonnable, et les juger
d'après un acte qu'il verra ou une parole qu'il entendra. Mes serviteurs
jugent toujours en bien, parce qu'ils s'appuient sur moi, le Bien suprême ;
les malheureux, au contraire, jugent tout en mal, parce qu'ils partent d'un
principe mauvais. Leurs Jugements engendrent souvent la haine, l'homicide,
l'aversion pour le prochain et l'éloignement de l'amour de la vertu dans mes
serviteurs.
7. Viennent ensuite les feuilles, qui sont les
paroles qui sortent de la bouche pour me blâmer, pour profaner le sang de
mon Fils et pour injurier le prochain. Ils ne songent à autre chose qu'à
maudire et condamner mes œuvres, à blasphémer et à dire du mal de tous ceux
qu'ils rencontrent et qu'ils jugent témérairement. Ils ne pensent pas, les
malheureux, que la langue et uniquement faite pour m'honorer, pour confesser
leurs fautes, pour pratiquer la vertu et travailler au salut du prochain. Ce
sont là les feuilles du péché, car le cœur d'où elles viennent n'est pas
pur ; il est tout souillé de fausseté et de misère, Outre le tort que cause
à l'âme la privation de la grâce, que de malheurs temporels occasionnent ces
langues coupables ! car par leurs paroles combien ne voit-on pas de
changements de fortune, de bouleversements dans les villes, d'homicides et
de catastrophes ? Une parole entre dans le cœur de celui qui l'entend ; elle
pénètre là où ne pouvait arriver le poignard.
8. Cet arbre a sept branches qui traînent par terre
et qui donnent des fleurs et dès feuilles, comme je viens de le dire. Ces
branches sont les sept péchés capitaux, qui en portent tant d'autres. Leur
commune racine est l'amour de soi-même et l'orgueil, d'où partent les fleurs
des pensées mauvaises, les feuilles des paroles coupables et les fruits des
actions criminelles.
9. Les branches sont courbées jusqu'à terre, car les
péchés mortels inclinent vers la terre et abaissent vers les choses fragiles
du monde les hommes qui ne songent qu'à s'en repaître sans pouvoir s'en
rassasier Ils sont insatiables et insupportables à eux-mêmes. Il est bien
juste qu'ils soient toujours inquiets, toujours vides, puisqu'ils ne
désirent qu'une chose qui ne pourra jamais les satisfaire. Ce qui les
empochent d'être rassasiés, c'est qu'ils désirent une chose finie, tandis
qu'ils sont une chose infinie, puisque leur être ne finira jamais,
quoiqu'ils meurent à la grâce par le péché.
10. L'homme est au-dessus des choses créées, et les
choses créées ne sont pas au dessus de lui ; il ne peut se rassasier et
trouver le repos que dans une chose plus grande que lui. Au dessus de lui ;
il n'y a rien que moi, l'Éternel, aussi je puis seul le rassasier. Tant
qu'il se prive de moi par sa faute, il est dans une peine et un tourment
continuels Après la peine viendront les larmes, et les vents frapperont
l'arbre de l'amour sensuel, qui est le principe de tout mal.
1. Les mondains sont agités par quatre sortes de
vents, le vent de la prospérité, le vent de l'adversité, le vent de la
crainte et le vent de la conscience. Le vent de la prospérité nourrit dans
l'âme l'orgueil, la haute estime de soi-même et le mépris du prochain. S'il
domine, il multiplie l'injustice, la vanité du cœur, les impuretés du corps
et de l'esprit, l'amour-propre, et tous les vices qui en viennent. Ta langue
ne suffirait pas à les raconter.
2. Est-ce le vent de la prospérité qui est corrompu
lui-même ? Non certainement, ni ce vent ni les autres. Ce qui est corrompu,
c'est la racine de l'arbre, et tout ce qui en sort est corrompu. Moi qui
suis la Bonté suprême, je vous donne toute chose, et le vent de la
prospérité que je vous envoie ne peut être mauvais. Si les mondains
pleurent, c'est que leur cœur n'est pas rassasié, il désire ce qu'il ne peut
avoir; cette privation cause sa peine et la peine cause les larmes; parce
que l’œil veut toujours satisfaire le cœur.
3. Vient ensuite le vent de la crainte servile, qui
fait que l'homme a peur de son ombre, tant il craint de perdre ce qu'il
aime. Il craint de perdre, ou sa vie, ou ses enfants, ou d'autres créatures.
Il tremble pour sa fortune ou celle des autres qui l'intéressent, pour ses
honneurs et ses richesses. Cette crainte ne le laisse pas jouir en paix,
parce qu'il ne possède pas selon les règles de ma volonté : de là sa crainte
servile et continuelle. Il se rend l'esclave malheureux du péché ; il
s'assimile à la chose qu'il sert, et comme le péché est un néant, il va au
néant.
4. Lorsque le vent de la crainte l'a frappé, il
ressent bientôt celui de l'adversité, qu'il redoutait et qui le prive de ce
qu'il possède, en tout ou en partie. Quelquefois il perd tout en perdant la
vie; la mort le dépouille de toute chose. Quelquefois la ruine n'est pas si
complète il perd la santé, ou ses enfants, ses richesses, son rang, ses
honneurs, selon que moi, le bon médecin, je vois que votre salut le réclame.
Je vous avais donné ces choses pour votre bien, mais votre fragilité a tout
corrompu. L'âme méconnaît la vérité et ne goûte pas le fruit de la patience.
Elle produit l'impatience, les scandales, les murmures, la haine, l'aversion
pour moi et pour mes créatures.
5. Ainsi, ce que je lui avais donné pour la vie, elle
le reçoit pour la mort, et la douleur de leur perte est proportionnée à leur
amour. Elle est réduite à des larmes pleines d'impatience, qui la dessèchent
et la tuent, en lui enlevant la vie de la grâce. Le corps lui-même se
consume et dépérit ; l'homme malheureux perd la vue spirituelle et
corporelle ; il n'a plus de bonheur, d'espérance, parce qu'il est privé de
ce qu'il aimait, de ce qui était son affection, sa foi, son espérance ; et
il verse des larmes. Ce ne sont pas seulement ces larmes qui causent ces
tristes effets, c'est aussi l'amour déréglé et la peine du cœur d'où
viennent ces larmes.
6. Les larmes des yeux ne donnent pas la mort, c'est
la racine d'où elles procèdent, c'est à-dire l'amour propre déréglé du cœur.
Si le cœur était réglé et avait la vie de la grâce, ses larmes seraient
réglées, et il connaîtrait que moi, l'Éternel, je veux lui faire
miséricorde. J'ai dit que les larmes donnaient la mort, car les larmes sont
des messagères qui vous annoncent la vie ou la mort qui est dans le cœur.
7. Le vent de la conscience se fait aussi sentir, et
c'est un acte de ma divine bonté. J'ai voulu attirer l'homme par l'amour, au
moyen de la prospérité. J'ai essayé ensuite la crainte, pour le porter par
le trouble de son cœur à aimer d'une manière sainte et méritoire. Je I'ai
enfin éprouvé par la tribulation, afin qu il connut la fragilité et le peu
de consistance du monde. Lorsque tout a été inutile, mon amour ineffable lui
accorde le remords de la conscience, afin qu'il ouvre la bouche et qu'il
vomisse la corruption du péché par la sainte confession. Mais les malheureux
obstinés s'éloignent toujours de moi par leurs fautes et ne veulent recevoir
ma grâce d'aucune manière. Ils fuient le remords de la conscience, et s'en
délivrent par des plaisirs coupables, par des offenses contre moi et contre
le prochain Il en est ainsi parce que la racine et l'arbre sont corrompus
tout devient mortel pour eux, et ils sont dans des peines continuelles et
des larmes amères.
8. S'ils ne se convertissent pas pendant qu'ils ont
encore le temps de se servir du libre arbitre, ils passent des larmes finies
à des larmes infinies. Le fini devient infini, parce que ces larmes ont été
répandues avec une haine infinie de la vertu, c'est-à-dire avec un désir de
l'âme fondé sur une haine infinie. Il est vrai que, s'ils avaient voulu, ils
seraient sortis de ces larmes, avec le secours de ma grâce, quand ils
étaient encore libres. J'ai dit ces larmes infinies quant au désir et à
l'être de l'âme, mais non quant à la haine et à l'amour qui est dans l'âme.
Car, tant que vous êtes dans cette vie, vous pouvez aimer et haïr à votre
gré : mais si l'homme finit dans l'amour de la vertu, il reçoit un bien
infini, et s'il finit dans la haine, il reste dans une haine infinie en
recevant l'éternelle damnation, comme je te l'ai dit lorsque je te parlais
de ceux qui se noyaient dans le fleuve.
9. Ceux-là ne peuvent désirer le bien parce qu'ils
sont privés de ma miséricorde et de la charité que goûtent les saints, les
uns avec les autres. Ils sont privés aussi de votre charité pendant que vous
êtes voyageurs sur cette terre, où je vous ai placés pour que vous arriviez
à moi, la Vie éternelle ; les prières, les aumônes, les autres bonnes
oeuvres ne leur servent plus de rien. Ce sont des membres retranchés du
corps de ma charité divine, parce que, pendant qu'ils ont vécu, ils n'ont
pas voulu être unis à l'obéissance de mes saints commandements, dans le
corps mystique de la sainte Église, leur mère, dans sa douce obéissance, où
vous puisez le sang de l'Agneau sans tache, mon Fils bien-aimé.
10. Ils recueillent le fruit de l'éternelle damnation,
avec les pleurs et les grincements de dents. Ce sont les martyrs du démon ;
le démon leur donne le fruit qu'il a lui-même. Ainsi, tu le vois, les pleurs
des mondains leur procurent des peines amères dans le temps, et à la mort la
société éternelle des démons.
1. Il me reste maintenant à te parler du fruit que
reçoivent ceux qui commencent à quitter le péché par crainte du châtiment.
Quelques-uns sortent de la mort du péché mortel par crainte du châtiment,
et, comme je te l'ai dit, c'est la vocation commune. Quel fruit en
retirent-ils ? ils commencent à purifier la demeure de leur âme des
souillures du péché. Le libre arbitre y est déterminé par la crainte, et dès
qu'ils ont ainsi purifié l'âme de ses fautes, ils reçoivent la paix de la
conscience, disposent leur âme à l'amour, et, en considérant leur intérieur,
où ils n'apercevaient, avant de l'avoir débarrassé, que la corruption de
leurs nombreux péchés, ils commencent à recevoir la consolation, parce que
le ver de la conscience est tranquille et qu'ils sont prêts à prendre la
nourriture des vertus.
2. Ainsi fait l'homme lorsque son estomac est
débarrassé des humeurs mauvaises ; son appétit le porte à prendre des
aliments. De même ceux-ci attendent que la main du libre arbitre prépare
avec le désir la nourriture des vertus que l'âme doit prendre. En effet,
l'âme, en éprouvant cette crainte, purifie du péché ses affections ; elle
reçoit le second fruit, c'est-à-dire le second état des larmes où l'âme,
poussée par l'amour, commence à orner de vertus sa demeure, quoiqu'elle soit
encore imparfaite. Pourvu qu'elle quitte la crainte, elle reçoit la
consolation et la douceur, parce que son cœur jouit de ma vérité et de moi,
qui suis l'amour même. Et à cause de la douceur, et de la consolation
qu'elle trouve en moi, elle commence à aimer avec bonheur, parce qu'elle
jouit de moi et des créatures à cause de moi.
3. En exerçant l'amour qui est entré dans le cœur
purifié par la crainte, l'âme commence à goûter les fruits de ma divine
bonté ; et dès que l'amour est maître de l'âme, elle commence à jouir en
recevant les fruits nombreux et variés de la consolation. Par la
persévérance, elle, obtient enfin de s'asseoir au festin, c'est-à-dire que,
quand elle a passé de la crainte à l'amour des vertus, et qu'elle est
arrivée aux troisièmes larmes, elle s'assoit à son festin, elle dresse la
table de la très sainte Croix dans son cœur ; dès qu'elle l'a mise, elle y
trouve la nourriture du doux et tendre Verbe, qui lui montre mon honneur et
votre salut ; car c'est pour mon honneur et votre salut que le cœur de mon
Fils bien-aimé a été ouvert, et que sa chair vous a été offerte en aliment.
Alors elle se nourrit de mon honneur et du salut des âmes, avec la haine et
l'horreur, du péché.
4. Quel fruit reçoit l'âme de ce troisième état des
larmes ? Elle reçoit une force fondée sur une sainte haine de la sensualité,
avec le doux fruit d'une humilité véritable et d'une patience qui ôte tout
scandale et délivre l'âme de toute affliction, parce qu'avec le glaive de la
haine elle a tué sa propre volonté, principe de vos peines. Il n'y a que la
volonté sensitive qui se scandalise des injures, des persécutions, de la
privation des consolations temporelles et spirituelles, comme je te l'ai
dit, et ç'est ainsi que l'âme tombe dans l'impatience. Mais quand sa volonté
est morte dans les douces larmes du désir, elle commence à goûter le fruit
de la patience.
5. O fruit d'une extrême suavité, combien tu es doux
à qui te goûte, et combien tu m'es agréable ! Tu fais trouver la douceur
dans l'amertume, la paix au milieu des injures. Lorsque la mer est
bouleversée par la tempête, et que les vents furieux poussent des vagues
immenses sur la barque de ton âme, tu restes calme et tranquille sans
recevoir aucun mal. Ta barque est protégée par la volonté divine, une
ardente charité l'enveloppe comme d'un vêtement, et il est impossible à
l'eau d'entrer.
6. O ma fille bien-aimée, la patience est une reine
qui résiste sur un roc inébranlable ; elle est toujours victorieuse, jamais
vaincue. Elle n'est pas seule, car la persévérance l'accompagne ; elle est
la moelle de la charité, et c'est celle qui montre qu'on porte la robe
nuptiale. Si ce vêtement est déchiré par l'imperfection, elle le fait voir
sur-le-champ par son contraire, c'est-à-dire par l'Impatience.
7. Toutes les vertus peuvent tromper quelque temps et
faire croire qu'elles sont parfaites, lorsqu'elles sont imparfaites ; mais
elles ne peuvent se cacher devant, toi, ô Patience, parce que tu es le
miroir de l'âme : tu es l'essence de la charité et tu montres si les vertus
sont vivantes et parfaites. Dès que tu es absente, on voit que toutes les
vertus sont imparfaites, et qu'elles ne sont pas encore nourries à la table
de la sainte Croix. L'âme te conçoit dans la connaissance d'elle-même et
dans la connaissance de ma bonté ; elle t'enfante par une sainte haine et te
fortifie par une humilité véritable ; tu peux toujours prendre la nourriture
de mon honneur et du salut des âmes, et tu t'en rassasies sans cesse.
8. Ma fille bien-aimée, regarde mes doux et glorieux
martyrs, qui se nourrissaient des âmes par la patience. Leur mort donnait la
vie ; ils ressuscitaient les morts, et chassaient les ténèbres du péché. Le
monde et toutes ses grandeurs, les princes et toute leur puissance ne
pouvaient leur résister, à cause de la royale vertu de la patience.
9. Cette vertu est la lampe sur le candélabre ; c'est
le fruit glorieux que donnent les larmes, lorsque l'âme, parvenue à la
charité du prochain, se nourrit avec l'Agneau sans tache, mon Fils unique,
par le supplice de son, désir, et le tourment qu'elle ressent de l'offense
qui m'outrage. Ce n'est pas une peine qui l'afflige, parce que l'amour avec
la vraie patience tue la crainte et l'amour-propre, qui donnent la peine.
Mais c'est une peine pleine de douceur qui vient de l'offense qui m'est
faite, et du malheur du prochain. Elle a pour principe la charité, et cette
peine engraisse l'âme qui s'en réjouit, parce que c'est une preuve qui lui
montre que je suis en elle par ma grâce.
1. Je t'ai dit le fruit des troisièmes larmes ; vient
ensuite le quatrième et dernier état des larmes unitives, qui n'est pas
séparé du troisième. Ils sont unis ensemble, comme ma charité avec celle du
prochain ; l'une est préparée par l'autre ; mais, en arrivant au quatrième
état, l'âme a fait tant de progrès, qu'elle souffre non seulement avec
patience, mais qu'elle désire encore souffrir. Elle méprise toute
jouissance, de quelque côté qu'elle vienne, pourvu qu'elle puisse ressembler
à Jésus crucifié.
2. Elle reçoit un fruit de paix spirituelle, une
union par sentiment avec ma nature divine, dont elle goûte le lait comme
l'enfant qui se repose paisiblement sur le sein de sa mère, pendant que ses
lèvres y puisent la nourriture de même, l'âme arrivée à ce dernier état
repose sur le sein de ma divine charité, Elle tient les lèvres du saint
désir sur la chair de Jésus crucifié : c'est-à-dire qu'elle suit ses traces
et sa doctrine ; car elle a bien compris dans le troisième état, qu'on ne
pouvait avancer par moi le Père, parce qu'en moi ne peut se trouver la peine
; elle se trouve dans mon Fils bien-aimé, le doux et tendre Verbe.
3. Oui, vous ne pouvez avancer sans peine ; c'est en
souffrant beaucoup que vous arriverez à des vertus solides. L'âme se placé
donc sur le sein de Jésus crucifié ; elle tire à elle le lait des vertus qui
lui donnent la vie de la grâce, elle y goûte ma nature divine qui rend
douces les vertus. Les vertus en elles-mêmes n'étaient pas douces, mais
elles le sont devenues, parce qu'elles ont été faites et unies en moi,
l'Amour suprême ; car l'âme n'a pas pensé à elle, mais seulement à mon
honneur et au salut des âmes.
4. Regarde, ma fille, combien est doux et glorieux
cet état où l'âme s'attache tellement au sein de la charité, que jamais ses
lèvres ne se séparent de cette source inépuisable. L'âme ne se trouve ainsi
jamais sans Jésus crucifié, et sans moi le Père, qu'elle a trouvé en goûtant
l'éternelle et souveraine Déité. Oh ! qui pourra comprendre combien
s'enrichissent les puissances de cette âme ? La mémoire se remplit
continuellement de mon Souvenir ; elle se rappelle avec amour tous mes
bienfaits ; non pas à cause des bienfaits eux-mêmes, mais à cause de la
charité avec laquelle je les lui ai accordés. Elle se rappelle d'abord le
bienfait de la création qui l'a faite à mon image et ressemblance ; puis,
dans le premier état, la peine qui a puni son ingratitude, et ensuite la
délivrance de ses fautes par le bienfait du sang du Christ dans lequel je
l'ai fait renaître à la grâce en lui ôtant la lèpre du péché. Elle se
rappelle que, dans le second état, elle a goûté la douceur de l'amour et le
repentir du péché qu'elle voit m'avoir tellement déplu que je l'ai puni sur
le corps de mon Fils unique. Elle se rappelle enfin le bienfait de la venue
du Saint-Esprit, qui l'a éclairée, et qui l'éclaire dans la vérité.
5. Quand l'âme reçoit-elle cette lumière ?
Lorsqu'elle a reconnu, dans le premier et le second état, ma libéralité
envers elle. Elle reçoit alors la lumière parfaite ; elle connaît ma vérité,
c'est-à-dire que par mon amour paternel je l'ai créée pour lui donner la vie
éternelle ; et cette vérité je l'ai montrée par le sang de Jésus crucifié.
Dès qu'elle la connaît elle l'aime ; dès qu'elle l'aime, elle le prouve en
aimant purement ce que j'aime et en haïssant ce que je hais. Elle se trouve
ainsi dans le troisième état de la charité du prochain. La mémoire se
nourrit alors sur le sein de la charité ; elle se dépouille de toute
imperfection, parce qu'elle s'est rappelé et qu'elle a retenu mes bienfaits.
6. L'intelligence a reçu la lumière ; en regardant
dans la mémoire elle a connu la vérité, et en perdant l'aveuglement de
l'amour-propre, elle est restée dans le soleil de son objet, Jésus crucifié,
qu'elle connaît vrai Dieu et vrai homme. Outre cette connaissance que lui
donne cette union, elle s'élève à une lumière acquise, non par sa nature, ni
par son propre mérite, mais par la grâce particulière que lui donne ma
Vérité, qui ne méprise jamais l'ardeur des désirs et les fatigues qu'on
offre devant moi. Alors le cœur qui suit toujours l'intelligence, s'unit à
moi d'un amour très parfait et très enflammé. Et si quelqu'un me demandait
ce qu'est cette âme, je répondrais : Un autre moi-même par l'union de
l'amour.
7. Quelle langue pourrait dire l'excellence de ce
dernier état, et les fruits nombreux et variés qu'en retirent les trois
puissances de l'âme ? C'est de leur sainte union que je te parlais en
t'expliquant, à l'occasion des trois degrés, la parole de ma Vérité. Non, la
langue ne peut le dire ; cependant les saints docteurs, éclairés par cette
glorieuse lumière, l'ont montrée en expliquant la Sainte Écriture. Tu sais
que le grand saint Thomas d'Aquin, de ton Ordre, puisa plutôt la science
dans la prière, l'extase et la lumière de l'intelligence, que dans les
études humaines. C'est une lumière que j'ai donnée au corps mystique de la
sainte Église pour dissiper les ténèbres de l'erreur.
8. Si tu regardes le glorieux évangéliste saint
Jean, quelle lumière puisa-t-il sur le sein du Christ, ma Vérité ! Et avec
cette lumière, combien longtemps il annonça ma Vérité ! Tous, par leur
parole, ont propagé cette lumière d'une manière ou d'une autre. Mais quant
au sentiment intérieur, à la douceur ineffable que donne l'union parfaite,
la langue ne pourra jamais l'exprimer, puisqu'elle est une chose finie.
C'est ce que saint Paul affirmait en disant : "L’œil ne peut voir, l'oreille
entendre, le cœur imaginer le bonheur que Dieu a préparé pour ceux qui
l'aiment véritablement" (I Cor., II, 9).
9. Oh ! qu'elle est douce cette demeure ! douce au
dessus de toutes les douceurs, par l'union parfaite de l'âme en moi. Cette
union est telle que la volonté disparaît de l'âme, parce qu'elle ne fait
plus qu'un avec moi. Elle répand par le monde le parfum et le fruit de ses
humbles et continuelles prières ; l'encens de son désir prie sans cesse pour
le salut des âmes ; c'est une voix sans parole humaine, qui crie toujours en
présence de ma divine Majesté.
10. Ce sont ces fruits de l'union qui nourrissent
l'âme pendant la vie, dans ce dernier état, acquis par bien des fatigues,
des larmes et des sueurs. Elle passe ainsi avec la persévérance dans la
grâce de cette union qui est encore imparfaite, à l'union durable et
éternelle. Je dis imparfaitement, uniquement parce qu'elle ne peut se
rassasier de ce qu'elle désire tant qu'elle est dans les liens d'un corps
mortel, où se trouve une loi perverse ; cette loi est endormie par l'amour
de la vertu : elle n'est pas morte, et elle peut se réveiller, si la
puissance de la vertu qui l'endort, disparaît. C'est pour cela qu'on peut
appeler cette union imparfaite, mais cette union imparfaite conduit l'âme à
recevoir la perfection durable que rien ne peut détruire, comme je te le
disais en parlant des Bienheureux qui me goûtent véritablement, moi la Vie,
le Bien suprême qui ne finit jamais.
11. Ceux-là ont reçu la vie, tandis que les autres
n'ont recueilli de leurs larmes que la mort. Ils sont arrivés à la joie par
des larmes qui leur ont mérité des récompenses éternelles, et leur ardente
charité crie toujours vers moi et m'offre sans cesse des larmes de feu pour
vous. Maintenant je t'ai dit les différents degrés de larmes, leur valeur,
leurs perfections et les fruits qu'en retirent les âmes. Les parfaits
reçoivent la vie éternelle et les méchants l'éternelle damnation.
1. Alors cette âme enflammée d'un ardent désir par
les explications que Dieu, la Vérité même, lui avait données des différents
états de larmes, disait dans la violence de son amour : Grâces, grâces vous
soient rendues, ô Père, qui satisfaites les saints désirs, et qui vous
passionnez pour nôtre salut ; vous qui, au moment où nous étions en guerre
avec vous, nous avez montré tant d'amour, par le moyen de votre Fils unique!
Au nom de cet amour ineffable, je vous demande, par grâce et miséricorde, de
pouvoir arriver sûrement à vous, non dans les ténèbres, mais dans la
lumière ; ne suivre la doctrine de votre Vérité, que vous m'avez clairement
montrée.
2. Afin de pouvoir distinguer deux pièges que je
crains de rencontrer, je voudrais, ô Père éternel, qu'avant de finir ce
sujet vous m'expliquiez ces deux points : D'abord, si quelqu'un s'adressait
à moi ou à un de vos autres serviteurs, et demandait conseil sur la manière
de vous servir, quelle doctrine faudrait-il lui donner ? Je sais bien ; mon
Dieu, que vous m'avez déjà expliqué cette parole que vous m'avez dite : "Je
suis celui qui aime peu de mots et beaucoup d'actions". Cependant, s'il
plaisait fi votre bonté de m'en dire e-acore quelque chose, je serais bien
heureuse.
3. Si en priant pour vos créatures et
particulièrement pour vos serviteurs, je voyais, dans l'oraison, une âme
bien disposée et paraissant jouir de vous et si j'en voyais une autre qui
semblerait obscure, devrais-je, ô Père éternel, juger que l'une est dans la
lumière et l'autre dans les ténèbres ? Ou si je voyais quelqu'un faire de
grandes pénitences et un autre y être étranger, devrais je juger qu il y a
une plus grande perfection dans celui qui fait de grandes pénitences que
dans celui qui a en fait pas ? Faites, mon Dieu, que je ne m'égare pas dans
mon peu de clairvoyance, et expliquez moi plus particulièrement ce que vous
m avez dit d'une manière générale.
4. La seconde chose que je vous demande, c'est de me
montrer davantage, le signe auquel on reconnaît si c'est vous qui visitez
l'âme, ou si ce n'est pas vous. Il me semble que vous me disiez, Ô Vérité
éternelle, que l'âme reste alors joyeuse et portée à la vertu. Je voudrais
savoir si cette joie peut être une illusion de la passion spirituelle ; si
cela était, je ne m'arrêterais qu'au signe de la vertu. Ces choses, je vous
les demande afin de pouvoir vous servir dans la vérité, afin de servir le
prochain et de ne faire aucun faux jugement à l'égard de vos créatures et de
vos serviteurs. Car juger ainsi éloigne l'âme de vous, et je ne voudrais pas
tomber dans ce malheur.
1. Alors l'Éternel, se délectant de la soif et de la
faim de cette âme, de la pureté de son cœur et du désir avec lequel elle
demandait les moyens de le servir, jeta-sur elle les regards de sa
miséricordieuse bonté, en lui disant : Ma bien-aimée, ma chère et douce
fille, mon épouse fidèle, élève-toi au dessus de toi-même, et ouvre l’œil de
ton intelligence pour contempler ma bonté infinie et l'amour ineffable que
j'ai pour toi et pour mes autres serviteurs. Ouvre l'oreille de ton cœur et
de ton désir ; car, si tu ne voyais pas, tu ne pourrais pas entendre et
connaître ma Vérité.
2. L'âme qui ne voit pas avec l’œil de son
intelligence l'objet de ma Vérité, ne peut entendre ni connaître ma Vérité,
et je veux que, pour la mieux connaître, tu t'élèves au dessus de tes sens.
Tes demandes et tes désirs me sont agréables et je vais y satisfaire. Mon
bonheur ne peut venir de vous, car je suis Celui qui suis ; je puis vous
enrichir, et vous ne pouvez rien pour moi ; je nie réjouis en moi-même de
mes oeuvres.
3.- Alors cotte âme obéissante s'éleva au dessus
d'elle-même, pour connaître la vérité sur ce qu'elle demandait ; et
l'Éternel lui dit : Afin que tu puisses mieux comprendre ce que je te dirai,
je commencerai par te parler des trois lumières qui sortent de moi, la vraie
Lumière.
4. La première lumière est une lumière générale pour
ceux qui sont dans la charité commune. Je t'en ai déjà entretenu de
plusieurs manières, mais je te répéterai certaines choses, afin que ton
faible entendement comprenne mieux ce que tu désires savoir : Les deux
autres lumières sont pour ceux qui se séparent du monde et veulent atteindre
la perfection ; et sur ce sujet je te dirai ce que tu m'as demandé, et je
t'expliquerai particulièrement ce que j'en ai dit d'une manière générale.
5. Tu sais que, sans la lumière de la raison,
personne ne peut aller par la voie de la vérité ; et cette lumière de la
raison, vous la tirez de moi, la vrai Lumière, au moyen de l'intelligence et
avec la lumière de la foi que je vous ai donnée dans le saint baptême, si
vous ne vous en privez pas par vos fautes.
6. Le baptême, par la vertu du sang de mon Fils
unique, vous a donné la forme de la foi ; et cette foi s'exerce par la
vertu, par la lumière de la raison. La raison s'illumine de cette lumière
qui vous donne la vie et vous fait marcher dans la voie de la vérité. Avec
cette lumière vous parvenez à moi, la vraie Lumière, et sans elle vous
n'arriverez qu'aux ténèbres.
7. Deux lumières qui viennent de cette lumière vous
sont nécessaires, et à ces deux lumières j'en joindrai une troisième. La
première vous fait clairement comprendre les choses transitoires du monde
qui passe comme le vent ; mais vous ne pouvez le bien connaître, si vous ne
connaissez pas d'abord votre propre fragilité, et combien elle s'incline
vers la loi perverse qui est attachée à vos membres pour combattre contre
moi, votre Créateur. Cette loi ne peut forcer personne à commettre le
moindre péché, si la volonté n'y consent pas, mais elle combat violemment
contre l'esprit.
8. Je n'ai pas donné cette loi pour que la créature
raisonnable fût vaincue, mais pour que la vertu augmentât et fût éprouvée
dans l'âme, car la vertu ne s'éprouve que par les contraires. La sensualité
est contraire à l'esprit, et c'est par la sensualité que l'âme montre
l'amour qu'elle a pour moi, son Créateur. Comment le prouve-t-elle ?
Lorsqu'elle se combat elle-même par le mépris.
9. J'ai aussi donné cette loi aux hommes, pour les,
conserver dans l'humilité véritable. Tu dois voir qu'en créant l'âme à mon
image et à ma ressemblance, et en l'élevant à une si haute dignité et
beauté, je l'ai associée en même temps aux choses les plus viles en lui
donnant cette loi perverse, en la liant à un corps formé de la fange de la
terre, afin que, voyant sa beauté, elle ne levât pas orgueilleusement la
tête contre moi.
10. Ainsi donc, l'homme fragile qui a cette lumière, a
raison d'humilier son âme, et n'a aucun sujet de s'enorgueillir, mais il
doit concevoir une humilité sincère et parfaite. Cette loi ne peut
aucunement forcer au péché, mais elle est un moyen de vous donner la
connaissance de vous-même et de l'instabilité de la vie présente. C'est ce
que doit voir l’œil de l'intelligence avec la lumière de la sainte foi qui
est, comme je te l'ai dit, la prunelle de l’œil.
11. Cette lumière est nécessaire à toute créature
raisonnable qui désire, dans quelque état que ce soit, participer à la vie
de la grâce et au fruit du sang de l'Agneau sans tache. C'est la lumière
générale que chacun doit avoir : et. s'il ne l'avait pas, il serait en état
de damnation. Et ce qui l'empêche d'être en état de grâce, c'est de n'avoir
pas la lumière ; celui qui n'a pas la lumière ne connaît pas le mal de la
faute et ce qui en est la cause, et par conséquent il ne peut pas fuir et
détester cette cause.
12. Il ne connaît pas non plus le bien et la cause du
bien, c'est-à-dire la vertu ; il ne peut m'aimer et me désirer, moi qui suis
le Bien suprême ; il ne peut aimer et désirer la vertu, que je vous ai
donnée comme instrument et comme moyen pour obtenir ma grâce et le bien
véritable. Tu dois comprendre quel besoin vous avez de cette lumière ; car
vos fautes ne consistent qu'à aimer ce que je hais et à haïr ce que j'aime.
J'aime la vertu et je hais le vice ; celui qui aime le vice et hait la
vertu, m'outrage et se prive de ma grâce. Il va comme un aveugle, ne
connaissant pas la cause du vice, qui est l'amour-propre sensitif. Il ne se
hait pas lui-même ; il ne connaît pas le vice et le mal qui vient du vice ;
il ignore aussi la vertu, et il m'ignore, moi qui lui donne la vertu et qui
lui accorde la vie et la dignité où il se conserve et acquiert la grâce par
le moyen de la vertu. Tu vois que son aveuglement est la cause de son mal,
et que cette lumière vous est nécessaire.
1. Lorsque l'âme est parvenue à la lumière générale
dont je viens de te parler, elle ne doit pas s'en contenter ; car tant que
vous êtes dans le pèlerinage de cette vie, vous pouvez avancer, et celui qui
n'avance pas recule. Il faut avancer dans la lumière générale acquise par ma
grâce et s'efforcer d'atteindre la seconde lumière en allant de l'imparfait
au parfait, parce qu'il faut avec la lumière arriver à la perfection.
2. Dans cette seconde lumière il y a deux sortes de
parfaits ; les parfaits sont ceux qui ont quitté la vie commune du monde, et
dans cette perfection il y a deux états : le premier, où sont ceux qui
s'appliquent entièrement à châtier leur corps par de rudes et de grandes
pénitences, pour que leurs sens ne se révoltent pas Contre la raison ; ils
mettent plus de soin à mortifier leur corps qu'à tuer leur volonté, comme je
te l'ai déjà dit.
3. Ceux-là se nourrissent à la table de la pénitence.
Ils sont bons et parfaits si leur pénitence est fondée en moi, avec la
lumière de la discrétion, c'est-à-dire avec l'humble connaissance
d'eux-mêmes et de moi, surtout s'ils s'appliquent plus à voir ma volonté que
celle des hommes. S'il en était autrement, c'est-à-dire s'ils ne se
revêtaient pas humblement de ma volonté, ils nuiraient souvent à leur
perfection, en jugeant mal ceux qui ne suivent pas la voie où ils marchent.
Et sais-tu pourquoi cela leur arriverait ? Parce qu'ils mettent plutôt leurs
soins et leurs désirs à mortifier leur corps qu'à tuer leur volonté.
4. Ils veulent choisir eux-mêmes le temps, le lieu
des consolations spirituelles, comme aussi les tribulations du monde et les
attaques du démon, Ils se laissent égarer par la volonté propre que j'ai
appelée la volonté spirituelle, et ils disent : Je voudrais cette
consolation et non cette tentation, cette attaque du démon. Je ne le désire
pas pour moi, mais pour plaire davantage à Dieu et avoir une grâce plus
abondante dans mon âme ; car il me semble que je le servirai bien mieux de
cette manière que d'une autre.
5. C'est ainsi que souvent l'âme tombe dans la peine
et l'ennui, et qu'elle devient insupportable à elle-même. Elle nuit de la
sorte à sa perfection et ne s'aperçoit pas de la corruption de l'orgueil qui
l'envahit. Car, si l'âme était véritablement humble et sans présomption,
elle verrait, à la lumière de la raison, que moi, la Vérité même, je
distribue à chacun l'état, le temps, le lieu, la consolation, la
tribulation, selon que le réclament votre salut et la perfection à laquelle
j'appelle les âmes ; elle verrait que toute chose vient de mon amour et
quelle doit recevoir tout par conséquent avec soumission et amour, comme le
font ceux qui parviennent au troisième état et qui restent dans la lumière
parfaite.
1. Ceux qui arrivent à cette glorieuse lumière sont
parfaits dans toutes les conditions où ils se trouvent. Ils reçoivent avec
respect tout ce qui leur arrive par ma permission, ainsi que je te l'ai dit
en te parlant du troisième état unitif de l'âme. Ils se croient dignes des
peines, des scandales du monde, et de la privation de toute sorte de
consolation ; comme ils se croient dignes des peines, ils se trouvent
indignes des récompenses qui suivent les peines.
2. Ils connaissent et goûtent dans la lumière mon
éternelle volonté qui ne veut autre chose que votre bien, car tout ce que je
donne et permet est afin que vous soyez sanctifiés en moi. Dès que l'âme l'a
reconnu, elle se revêt de ma volonté ; elle ne songe à autre chose qu'au
moyen de conserver et d'accroître sa perfection pour la gloire et l'honneur
de mon nom. Elle fixe par la lumière de la foi l’œil de son intelligence sur
Jésus crucifié, mon Fils unique, en, aimant et en suivant sa doctrine qui
est la règle et la voie des parfaits et des imparfaits. Elle voit que le
tendre Agneau, mon Fils, lui donne la doctrine de la perfection, et cette
vue la remplit d'amour.
3. La perfection est la connaissance de ce doux et
tendre Verbe, mon Fils unique, qui s'est nourri à la table du saint désir,
en cherchant l'honneur de son Père et votre salut. C'est ce désir qui l'a
fait courir avec ardeur à la mort ignominieuse de la Croix, et satisfaire à
l'obéissance que moi le Père, je lui avais imposée. Il n'a pas craint la
fatigue et les opprobres ; il n'a pas reculé devant votre ingratitude et
votre aveuglement à ne pas reconnaître les bienfaits dont il vous comblait.
Il ne s'est pas laissé arrêter par les persécutions des Juifs, les mépris,
les affronts, les murmures du peuple ; mais il a triomphé de tout comme un
vaillant capitaine, un généreux chevalier que j'avais envoyé sur le champ de
bataille pour vous tirer des mains du démon, pour vous affranchir, vous
délivrer du plus triste esclavage où vous puissiez tomber, pour enseigner la
voie et la doctrine qui peut vous conduire à moi, la Vie éternelle, au moyen
de son sang précieux, répandu avec tant d'amour et avec tant de haine de vos
fautes.
4. C'est comme si le doux ,et tendre Verbe, mon
Fils, vous disait : Voici que je vous ai tracé la voie et que je vous ai
ouvert la porte avec mon sang ; ne soyez donc pas négligents à la suivre, ne
vous arrêtez pas dans votre amour-propre, dans l'ignorance de la voie et
dans la prétention de vouloir me servir à votre manière et non à la mienne.
Je vous ai tracé la voie droite par -le moyen du Verbe incarné qui l'a
arrosée de son sang. Levez-vous donc et suivez-le, car personne ne peut
venir à moi, le Père, si ce n'est par lui. Il est la voie et la porte par
laquelle il faut entrer en moi, l'océan de la paix.
5.- Lorsque l'âme est parvenue à goûter cette lumière et
qu'elle en connaît la douceur parce qu'elle l'a goûtée, elle court vers moi
dans l'ardeur et la passion de son amour, sans penser à elle, sans chercher
les consolations spirituelles et temporelles, comme une personne qui a
complètement renoncé à sa propre volonté. Dans cette lumière et cette
connaissance, elle ne fuit aucune fatigue, de quelque côté qu'elle vienne :
elle se réjouit au contraire de souffrir les opprobres, les attaques du
démon, les murmures des hommes ; elle se nourrit de mon honneur et du salut
des âmes sur la table de la sainte Croix. Elle ne demande aucune récompense
ni de moi ni des créatures, car elle s'est dépouillée de l'amour mercenaire
qui m'aime par intérêt. Elle s'est revêtue de la lumière parfaite en
m'aimant, sans songer à autre chose qu'à la gloire, à la louange de mon nom,
et en me servant, sans penser au bonheur qu'elle y trouve et à l'utilité que
lui procure le prochain, mais en agissant par pur amour.
6. Ceux-là se sont perdus eux-mêmes et se sont
dépouillés du vieil homme, c'est-à-dire de la sensualité, pour se revêtir de
l'homme nouveau, le Christ, le doux Jésus, ma Vérité, qu'ils suivent avec
courage. Ceux-là sont assis à la table du saint désir et s'appliquent plus à
tuer leur propre volonté qu'à tuer et à mortifier leur corps. Ils mortifient
bien aussi leur corps, mais ce n'est pas là leur but principal ; c'est
seulement un moyen pour les aider à tuer leur propre volonté, comme je te
l'ai dit en t'expliquant cette parole : que je voulais peu de mots et
beaucoup d'actions.
7. En effet, tous vos efforts doivent tendre à tuer
votre volonté, et ne vouloir autre chose que suivre ma douce Vérité, le
Christ crucifié, en cherchant l'honneur et la gloire de mon nom et le salut
des âmes ceux qui sont dans cette glorieuse lumière le font, et c'est pour
cela qu'ils sont toujours dans la paix et le repos. Rien ne les scandalise,
parce qu'ils ont éloigné ce qui cause le scandale, c'est-à-dire la volonté
propre. Les persécutions que le monde et le démon peuvent soulever passent à
leurs pieds ; ils traversent les grandes eaux de la tribulation et de la
tentation sans qu'elles puissent leur nuire, parce qu'ils sont revêtus et
fortifiés par l'ardeur de leur désir. Ils se réjouissent de tout, et ne
jugent pas mes serviteurs ni aucune créature raisonnable.
8. Ils sont heureux de tout ce qu'ils voient, de
tout ce qu'ils rencontrent, et ils disent : Grâces vous soient rendues, ô
Père éternel ! de ce qu'il y a en votre maison plusieurs demeures (S.
Jean, XIV,2). Ils se réjouissent plus de voir mes amis suivre des routes
différentes que de les voir suivre tous le même chemin, parce qu'ils
admirent plus la grandeur de ma bonté ; tout leur est agréable, et leur
semble des roses. Non seulement ils sont édifiés du bien, mais ils ne
veulent pas juger ce qui est évidemment mal ; ils éprouvent seulement alors
une sainte et vraie compassion, me priant pour ceux qui m'offensent et
disant avec une humilité parfaite : Aujourd'hui c'est toi, demain ce sera
moi, si la grâce divine ne me conserve.
9. O ma fille bien-aimée ! passionne-toi pour ce
doux, cet excellent état. Contemple ceux qui courent à cette glorieuse
lumière ; vois comme leurs âmes sont saintes et se nourrissent pour mon
honneur de la nourriture des âmes à la table du saint désir. Ils sont
revêtus du beau vêtement de l'Agneau, mon Fils unique, c'est-à-dire de sa
doctrine, par l'ardeur de sa charité. Ils ne perdent pas le temps à faire de
faux jugements sur mes serviteurs et sur les serviteurs du monde ; ils ne
sont jamais scandalisés d'aucun murmure contre eux ou contre le prochain.
Ils sont contents de souffrir pour mon nom, et quand une injure est faite
aux autres, ils la supportent en compatissant au prochain, ne murmurant pas
contre celui qui la fait ou contre celui qui la reçoit.
10. Leur amour est réglé en moi, le Père céleste. Ils
ne s'égarent jamais, et parce qu'il est réglé, ma chère fille, ils ne se
scandalisent pas de ceux qu'ils aiment ni d'aucune créature raisonnable.
Leur opinion est morte et non vivante. Ils ne s'arrêtent pas à juger la
volonté des autres, mais ils ne voient partout que l'expression de ma
miséricordieuse bonté. Ils observent la doctrine qui, tu le sais, te fut
donnée au commencement de ta vie par ma Vérité, quand tu lui demandais avec
un grand désir comment tu pourrais parvenir à une pureté parfaite. Lorsque
tu en cherchais les moyens, tu sais ce qui te fut répondu. Tu t'étais
endormie dans ce désir, et la parole retentit non seulement à ton esprit,
mais à ton oreille, de telle sorte, s'il t'en souvient, que tu fus rappelée
à toi-même.
11. Ma Vérité te disait clairement : si tu veux arriver
à la pureté parfaite ; et que ton esprit ne soit troublé par aucun scandale,
il faut toujours m'être unie par l'amour, car je suis la souveraine,
l'éternelle Pureté. Je suis le feu qui purifie l'âme véritablement. Plus tu
t'approcheras de moi, plus tu deviendras pure ; et plus tu t'en éloigneras,
plus tu seras souillée. Les hommes du monde ne tombent dans de si grandes
souillures que parce qu'ils sont séparés de moi ; car l'âme qui s'unit à moi
participe nécessairement à ma pureté.
12. Il faut faire une autre chose pour arriver à cette
union, à cette pureté : il faut t'abstenir de tout jugement sur ce que tu
vois faire ou dire par quelque créature que ce soit, contre toi ou contre
les autres ; il ne faut jamais considérer la volonté de l'homme, mais voir
ma volonté en toute chose. Si tu vois un péché ou un défaut évident, il faut
tirer de l'épine la rose, en m'offrant les coupables par une sainte et
fraternelle compassion. Au milieu des injures que tu reçois, juge que ma
volonté les permet pour éprouver la vertu en toi et en mes serviteurs,
pensant que celui qui les dit est un instrument choisi par moi, et que
souvent ses intentions sont bonnes ; car personne ne peut juger les secrets
du cœur de l'homme.
13. Ce que tu ne vois pas être évidemment un péché
mortel, tu dois ne pas le juger dans ton esprit et ne voir que ma volonté.
Lorsque tu vois un péché évident, tu ne dois pas le condamner, mais en avoir
compassion ; de cette manière tu arriveras à la pureté parfaite, parce qu'en
faisant ainsi, ton esprit ne sera scandalisé ni en moi, ni dans le prochain.
Vous tombez dans le mépris du prochain lorsque vous ne voyez que sa mauvaise
volonté envers vous, et non pas ma volonté dans ses actes. Ce mépris et ce
scandale séparent l'âme de moi, et empêchent sa perfection. Dans
quelques-uns même la grâce est détruite plus ou moins, selon la gravité du
mépris et de la haine qu'ils ont contre le prochain en le jugeant.
14.- Le contraire arrive à l'âme qui en tout, comme je te
l'ai dit, voit ma volonté toujours attentive à votre bien. Tout ce que je
donne et permets est pour que vous parveniez à la fin pour laquelle je vous
ai créés. Le moyen de rester toujours dans l'amour du prochain est de rester
toujours dans le mien, et l'âme en m'aimant m'est toujours unie.
15.- Si tu veux absolument parvenir à cette pureté que tu
me demandes, il faut faire surtout trois choses : T'unir à moi par l'amour,
en conservant dans ta mémoire le souvenir des bienfaits que tu as reçus de
moi ; voir avec l’œil de ton intelligence l'ardeur ineffable de ma charité
envers vous ; voir enfin ma volonté dans la volonté de l'homme, et non pas
sa méchanceté, parce que c'est moi qui suis juge, ce n'est pas vous. Tu
arriveras ainsi à la perfection. Telle est la doctrine que t'enseigna ma
Vérité, s'il t'en souvient bien.
16. Maintenant, ma très chère fille, je dis que ceux
qui suivent cette doctrine ont, dès cette vie, un avant-goût de la vie
éternelle. Si tu la conserves dans ton âme, tu ne tomberas jamais dans les
pièges du démon ; car tu les reconnaîtras aux signes que tu m'as demandés.
Mais pour satisfaire plus complètement tes saints désirs, je te montrerai
que votre jugement ne doit jamais condamner, mais seulement compatir.
1. Mes serviteurs reçoivent les arrhes de la vie
éternelle. Je dis les arrhes et non pas la plénitude de la récompense, parce
qu'ils espèrent la recevoir en moi, la Vie durable, où la vie est sans mort,
le rassasiement sans dégoût, la faim sans souffrance ; la peine alors sera
séparée de la faim, parce qu'ils auront ce qu'ils désirent, et leur
rassasiement ne connaîtra pas l'ennui, parce que je suis une nourriture sans
aucun défaut. Ici-bas ils reçoivent les arrhes de ce bonheur, parce que
l'âme est affamée de mon honneur et du salut des âmes ; et comme elle en a
faim, elle s'en nourrit, c'est-à-dire que l'âme se nourrit de la charité du
prochain, dont elle a faim comme d'une nourriture, et en s'en nourrissant
elle ne s'en rassasie jamais, parce qu'elle est insatiable et qu'elle a une
faim continuelle.
2. Les arrhes sont une garantie qu'on donne à
l'homme pour qu'il attende le payement. Cette sûreté n'est pas parfaite en
elle-même, mais par la foi elle donne la certitude d'arriver au complément,
et de recevoir en totalité le payement. De même cette âme passionnée et
revêtue de ma Vérité a reçu, dès cette vie, les arrhes de ma charité et de
la charité du prochain ; elle n'est pas parfaite, mais elle attend la
perfection de la vie éternelle.
3. Ce qu'elle reçoit n'est pas parfait, parce qu'elle
n'est, pas arrivée à cette perfection où elle ne souffre ni en elle, ni dans
les autres : en elle, par l'offense que me cause la loi perverse qui est
dans ses membres et qui combat contre l'esprit ; dans les autres, par les
fautes du prochain. Ce qu'elle reçoit est parfait quant à la grâce, mais
elle n'a pas la perfection dont jouissent les saints dans le ciel ; car,
comme je te l'ai dit, leurs désirs sont sans peine, tandis que les vôtres
vous font souffrir.
4. Mes serviteurs, qui se nourrissent à la table des
saints désirs, sont heureux et affligés comme mon Fils unique l'était sur le
bois de la sainte Croix ; car sa chair était douloureuse et tourmentée,
tandis que son âme était bienheureuse par l'union de la nature divine. De
même ceux-là sont bienheureux par l'union de leur saint désir en moi, parce
qu'ils ont revêtu ma douce volonté. Ils souffrent parce qu'ils compatissent
au malheur du prochain, et qu'ils affligent leurs sens en leur retranchant
tous les plaisirs et toutes les consolations temporelles.
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