INDEX
CXL
Dieu explique sa providence envers ses créatures, et
se plaint de leur infidélité.
CXLI
La Providence nous envoie la tribulation pour notre
salut.- Malheur de ceux qui espèrent en eux-mêmes au lieu d'espérer en Dieu.
CXLII
Providence de Dieu dans le sacrement de
l'Eucharistie.
CXLIII
Providence de Dieu à l'égard de ceux qui sont en
péché mortel.
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1. Après t'avoir montré ma providence dans cette
occasion, je veux te l'expliquer dans son action générale. Tu ne pourras
jamais comprendre à quel degré l'ignorance de l'homme est grande. II perd
l'intelligence lorsqu'il espère en lui et qu'il se confie dans son propre
sens. O pauvre insensé, ne vois-tu pas que tu ne sais rien de toi-même, et
que c'est ma bonté qui t'accorde tout selon tes besoins ? Qui te le fera
donc comprendre? Ton expérience même.
2. Combien souvent veux-tu faire une chose sans le
pouvoir et sans le savoir faire ! Quand tu le sais, tu ne le peux pas, le
temps te manque ; si tu as le temps, c'est la volonté qui te fait défaut.
Tout t'a été donné par ma grâce pour ton salut, pour que tu reconnaisses et
tu comprennes que tu n'as pas l'être par toi-même, et pour que tu aies plus
raison, de t'humilier que de t'enorgueillir. En toute chose tu trouves des
privations et des changements, parce que rien n'est en ta puissance ; il n'y
a que ma grâce que tu trouveras ferme et inébranlable aucune force ne pourra
t'en séparer, à moins que tu t'en éloignes toi-même en retournant au mal.
3. Comment donc peux-tu résister à ma bonté ? Le
ferais-tu, si tu consultais ta raison, et placerais-tu tes espérances dans
tes pensées, et ta confiance en ce qui vient de toi ? Mais tu es devenu
comme l'animal sans raison ; tu ne vois pas et tu ne reconnais pas que tout
change, excepté ma grâce. Pourquoi ne pas te fier à moi, qui suis ton
Créateur ? pourquoi compter sur toi ? Ne te suis-je pas toujours fidèle?
Comment pouvoir en douter, puisque tu l'éprouves tous les jours ?
4. O ma fille bien-aimée ! vois combien l'homme
m'est infidèle. Il manque à l'obéissance que je lui avais imposée, et il
tombe dans la mort. Moi, au contraire, je lui ai toujours été fidèle, en lui
procurant le bien pour lequel je l'avais créé. Afin qu'il puisse l'atteindre
et le posséder, j'ai uni ma divinité à l'infirmité de sa nature. L'homme,
ainsi racheté et renouvelé dans la grâce par le sang de mon Fils bien-aimé,
devrait me connaître par expérience. Et cependant ce pauvre infidèle semble
douter que je sois assez puissant pour le secourir, assez fort pour le
défendre contre ses ennemis, assez sage pour éclairer son intelligence,
assez bon pour lui donner ce qui est nécessaire à son salut.
5. Il pense que je n'ai pas des trésors pour le
rendre riche, une beauté pour l'embellir, une nourriture pour le rassasier,
un vêtement pour le couvrir. Ses actions prouvent qu'il en juge ainsi. S'il
en était autrement, ne ferait-il pas des oeuvres bonnes et saintes ?
L'expérience devrait pourtant lui montrer que je suis fort ; car tous les
jours je conserve son être, et ma main le défend contre ses ennemis.
Personne ne peut résister à l'action de ma puissance ; si l'homme ne le voit
pas, c'est qu'il ne veut pas voir.
6. Ma sagesse a tout ordonné dans le monde, et le
gouverne avec tant de sollicitude, que rien n'y manque, et qu'il est
impossible d'y ajouter quelque chose pour l'âme et pour le corps. J'ai
pourvu à tout, sans que votre volonté m'y ait forcé, puisque vous n'étiez
pas encore, et c'est ma seule bonté qui m'a fait agir. J'ai créé le ciel, la
terre et la mer : j'ai étendu le firmament au dessus de vos têtes ; j'ai
fait l'air pour que vous respiriez, le feu et l'eau pour les modérer par
leur opposition ; le soleil, pour que vous ne fussiez pas dans les
ténèbres : tout a été fait et ordonné pour satisfaire aux besoins de
l'homme. Le ciel est peuplé d'oiseaux, la mer est riche de poissons, la
terre, d'animaux et de fruits, afin que l'homme puisse en vivre. Ma
providence a tout réglé avec ordre et sagesse.
7. Après avoir créé toutes ces choses bonnes et
parfaites, j'ai enfin créé l'homme à mon image et ressemblance, et je l'ai
placé dans un jardin qui, par la faute d'Adam, mm produit des épines, tandis
qu'il n'avait donné d'abord que des fleurs embaumées d'innocence et de
sainteté. Tout obéissait à l'homme ; mais, dès qu'il eut commis sa faute, il
trouva la révolte en lui et dans les autres créatures. Le monde devint
sauvage, et l'homme, qui le résume, partagea son sort.
8. Mais ma tendresse paternelle vint à son secours
en envoyant au monde mon Verbe, qui en ôta la stérilité de la chute et en
arracha les épines. Je refis du monde un beau jardin que j'arrosai avec le
Sang précieux de mon Fils unique, et, après en avoir ôté les épines du péché
mortel, j'y plantai les fleurs des sept dons du Saint Esprit.
9. Cela fut accompli seulement après la mort de mon
Fils, ainsi que l'explique une figure de l'Ancien Testament. Élisée fut prié
de ressusciter un enfant (IV Reg. IV, 22) ; il n'y alla pas, mais il
envoya Giézi avec son bâton, lui ordonnant de placer le bâton sur celui qui
était mort. Giézi exécuta ce qui lui avait été commandé, mais l'enfant ne
ressuscita pas. Alors Élisée vint en personne ; il appliqua ses membres aux
membres de l'enfant, lui souffla sept fois au visage, et l'enfant fut
rappelé à la vie. Cette figure représente Moïse, que j'ai envoyé avec le
bâton de la loi, pour qu'il l'appliquât sur le genre humain, qui était
mort ; mais le bâton de la loi ne lui rendit pas la vie, j'envoyai donc mon
Fils unique, qui est figuré par Élisée, et qui prit les proportions du mort
par l'union de la nature divine avec la nature humaine. Cette nature divine
lui fut, unie par tous ses membres, par la puissance du Père, par la sagesse
du Fils et par la clémence du Saint Esprit. Ainsi, moi, Dieu éternel, dans
mon unité et ma trinité, je fus muni et assimilé à votre nature humaine.
10. Après cette union, le Verbe adorable en fit une
autre. Dans l'ardeur de son amour, il s'élança vers la mort ignominieuse de
la Croix pour s'y livrer tout entier. Et après cette seconde union, il donna
les sept dons du Saint Esprit à celui qui était mort, en respirant sept fois
sur son visage, et en soufflant dans la bouche de son cœur. Il ôte ainsi
dans le baptême la mort du péché, et rend la vie de la grâce. Le mort
respire aussitôt, et en signe de vie, il rejette ses péchés par une humble
confession.
11. Alors le jardin est orné de fruits suaves et
délicieux. Il est vrai que le jardinier, qui est le libre arbitre, peut le
rendre fertile ou sauvage, selon qu'il le cultive ou le néglige. Car, s'il y
sème le poison de l'amour-propre, qui fait naître les sept vices capitaux et
tous ceux qui viennent d'eux, il chasse les sept dons du Saint Esprit et se
prive de toute vertu. Il n'y a plus de force, parce qu'il s'est affaibli ;
il n'y a plus de tempérance et de prudence, parce qu'il a perdu la lumière
dont se servait sa raison ; il n'y a plus de foi, d'espérance, de justice,
parce qu'il est devenu injuste. Il espère en lui, et parce que sa foi est
morte, il se confie plutôt dans les créatures qu'en moi, son Créateur. Il
n'y a plus de charité, parce qu'il l'a détruite dans son cœur par l'amour de
sa propre faiblesse. Et parce qu'il a été cruel envers lui-même, il ne peut
être bon envers son prochain. Ainsi privé de tout bien, il tombe dans le mal
et dans les horreurs de la mort.
12. Comment pourra-t-il retrouver la vie ? Par Élisée,
par le Verbe, mon Fils unique. Et de quelle manière ? Le jardinier arrachera
les épines de sa faute par une sainte haine de lui-même ; car, s'il ne se
hait pas, il ne pourra jamais les arracher. Qu'il s'empresse de se
conformer, par un amour sincère, à la doctrine de ma Vérité incarnée ; qu'il
arrose son jardin avec le sang précieux de mon Fils, avec ce Sang que le
prêtre répand sur la tête du pécheur, lorsqu'il reçoit l'absolution, avec la
contrition, la confession, la satisfaction et la ferme résolution de ne plus
m'offenser. De cette manière, l'homme peut renouveler et comme le jardin de
son âme pendant cette vie ; mais après sa mort, il ne pourra plus le faire,
comme je te l'ai expliqué ailleurs.
1. Vois comment ma providence a réparé la ruine de
l'homme, J'ai laissé dans le monde les épines nombreuses de la tribulation,
et l'homme y a rencontré la révolte en toutes choses. Je l'ai voulu ainsi
pour votre bien, car il était très utile que l'homme ne mit pas son
espérance dans la vie présente, pour qu'il courût avec ardeur vers moi, son
bonheur véritable et sa fin dernière. Les peines et les contrariétés doivent
détacher son cœur du inonde et l'élever vers moi. Et cependant l'homme, dans
son ignorance, ne voit pas cette vérité. Il est si faible et si porté aux
choses du monde, que, malgré les peines et les tribulations qu'il y
rencontre, il ne voudrait jamais .s'en séparer pour retourner dans la patrie
qui lui est préparée.
2. Tu peux comprendre par cela, ma fille bien-aimée,
et que ferait l'homme malheureux s'il trouvait dans le monde la jouissance,
la satisfaction de ses désirs, et un repos sans orage. Aussi, par un acte
miséricordieux de ma douce providence, je permets que le monde produise des
peines et des épreuves en abondance ; c'est le moyen d'éprouver sa vertu, et
je trouve dans la violence qu'il se fait le motif de lui donner une
récompense. Ma providence règle ainsi tout avec une souveraine sagesse.
3. J'ai donné beaucoup à l'homme, parce que je suis
riche, et je puis lui donner bien davantage, parce que mes richesses sont
infinies. Tout a été fait par moi, et sans moi rien ne pourrait être. Si
quelqu'un veut voir et posséder la beauté, je suis la beauté suprême ; si
quelqu'un désire la bonté, je suis l'éternelle Bonté. Je suis la vraie
Sagesse, la Douceur, la Tendresse, la Justice, la Miséricorde par
excellence. Je suis un Dieu prodigue et non pas avare, j'accorde avec
abondance à ceux qui me demandent, j'ouvre avec empressement à ceux qui
frappent véritablement, et je réponds à, tous ceux qui m'appellent. Je ne
suis pas ingrat, mais reconnaissant, et je récompense avec largesse ceux qui
souffrent pour ma gloire. Je suis aimable surtout, et je conserve dans une
grande joie l'âme qui s'est revêtue de ma volonté. Je suis cette providence
certaine qui ne manque jamais à mes serviteurs qui espèrent en moi ; je leur
accorde tout ce qui est utile pour l'âme et pour le corps.
4. L'homme infidèle me voit nourrir le ver dans un
bois aride, faire vivre les animaux sauvages, les poissons de la mer, les
oiseaux du ciel, régler le soleil, la rosée, les saisons, pour engraisser la
terre qui doit porter des plantes et des fruits. Comment peut-il croire que
je ne veille pas sur lui, que j'ai créé à mon image et ressemblance, lorsque
j'ai tout fait pour ses besoins et son service ? De quelque côté qu'il se
tourne, spirituellement ou temporellement, il ne pourra trouver autre chose
que l'abîme et le feu de mon éternelle charité, qui agit avec une vraie et
parfaite sagesse.
5. Mais il ne voit pas, parce qu'il s'est privé de la
lumière, et qu'il ne veut pas voir. Il se trouble et limite sa charité
envers le prochain, parce qu'il s'inquiète avec avarice du lendemain. Ma
Vérité le lui a défendu lorsqu'elle a dit : "Ne pensez pas au lendemain, à
chaque jour suffit sa peine" (S. Mt. VI, 34). Cette parole condamne
votre infidélité, en vous montrant ma providence et la rapidité du temps ;
elle vous dit de ne pas penser au lendemain : car pourquoi se tourmenter de
ce qu'on n'est pas sûr d'avoir ?
6. Il faut, avant tout, chercher le royaume de Dieu
et sa justice, c'est-à-dire une vie bonne et sainte. Votre Père, qui est
dans l'éternité, ne connaît-il pas les petites choses dont vous pouvez
manquer ? ne les ai-je pas faites pour vous, et n'ai-je pas dit à la terre
de vous donner ses fruits ? Le malheureux qui par sa défiance rétrécit le
cœur et la main qu'il devait ouvrir à son prochain, n'a pas lu cette loi de
ma Vérité, puisqu'il n'en Suit pas les traces ; et c'est pour cela qu'il se
rend insupportable à lui-même, Tout son mal vient de ce qu'il espère en lui,
au lieu d'espérer en moi.
7. Il se fait juge de la volonté des hommes, sans
songer que ce droit m'appartient. Il ne tient aucun compte de ma volonté, et
ne trouve bien que ce qui est heureux et agréable selon le monde. Si ce
bonheur lui manque, il lui semble ne rien éprouver, ne rien recevoir de ma
providence et de ma bonté. Il croit être privé de tout bien, parce qu'il a
placé tonte son affection dans les joies du monde et dans son propre
plaisir. L'amour de lui-même l'aveugle au point qu'il ignore ce que sont les
richesses intérieures et les fruits d'une véritable pénitence. Il aspire
ainsi la mort, et goûte dès cette vie les arrhes de l'enfer.
8. Malgré cela, ma bonté ne cesse de veiller sur
lui, car j'ai commandé à la terre de donner ses fruits au juste et au
pécheur. Je leur accorde également la pluie et le soleil (S. Mt., V. 45).
Souvent même le pécheur en jouira plus que le juste. Ma bonté agit ainsi
pour donner en plus grande abondance les richesses invisibles à l'âme du
juste, qui par amour pour moi s'est dépouillé de tous les biens temporels,
en renonçant au monde, aux plaisirs et à sa propre volonté. Ceux-là
enrichissent leur âme et dilatent leur cœur dans l'abîme de ma charité. Ils
perdent tout soin d'eux-mêmes ; ils ne se tourmentent plus des choses du
monde ; et renoncent à tout ce qui les regarde ; alors je me charge de leur
âme et de leur corps, et j'ai pour eux une providence particulière. L'Esprit
Saint devient pour ainsi dire leur serviteur.
9. N'as-tu pas lu dans la vie des saints Pères
l'histoire de ce grand solitaire qui avait renoncé à tout pour l'amour de
moi ? Lorsqu'il tomba malade, je lui envoyai un ange pour le servir et
l'assister dans ses besoins rien ne manquait à son corps, et son âme
trouvait une joie ineffable dans la conversation de l'envoyé céleste.
10. L'Esprit Saint, comme une mère tendre, nourrit ces
hommes sur le sein de sa divine charité ; il les rend libres et souverains
en les délivrant des chaînes de l'amour-propre. Car, là où se trouve le feu
de mon infinie charité, on ne trouve jamais l'eau de l'amour-propre, qui
éteint sa douce flamme dans les âmes. Oui, l'Esprit Saint est un bon
serviteur, que ma bonté leur a donné ; il revêt l'âme, il l'enivre, l'inonde
de douceur et la comble de richesses.
11. Celui qui a tout abandonné pour moi retrouve tout
en moi. Je revêts avec magnificence sa nudité volontaire, et l'humilité qui
le fait servir est la cause de sa puissance. Sa vertu l'élève au dessus du
monde et des sens, parce qu'il a renoncé à voir par lui-même. Il jouit d'une
lumière parfaite, parce qu'il n'espère pas en lui une ferme espérance, une
foi vive l'attachent à moi, et il goûte ainsi la vie éternelle, sans
ressentir dans son esprit aucune amertume, aucune douleur. Il juge tout en
bien, parce qu'il trouve en tout ma volonté, et qu'il comprend à la lumière
de la foi que je cherche en tout sa sanctification. Aussi rien n'altère sa
patience.
12. Oh ! que cette âme est heureuse, puisque dans un
corps mortel elle goûte un bien éternel ! Elle reçoit et voit tout avec
respect. La main gauche ne lui pèse pas plus que la main droite ; elle aime
autant la tribulation que la consolation, la faim et la soif que la
nourriture et le rafraîchissement, le froid que la chaleur, la nudité qu'un
vêtement, la vie que la mort, la gloire que les affronts. En toutes choses
elle est calme et inébranlable, parce qu'elle est affermie sur la pierre
vivante, et qu'elle voit à la sainte lumière de la foi et avec une forte
espérance que je fais tout par amour, dans l'unique but de votre salut :
13. C'est dans les grandes épreuves que je montre la
grandeur de ma puissance. Je ne donne les fardeaux pesants qu'à ceux qui
peuvent les porter, en les acceptant par amour pour moi. Le sang de mon Fils
vous a prouvé que je ne veux pas la mort du pécheur, mais plutôt qu'il se
convertisse et qu'il vive ; n'est pour cela que je lui domine tout ce qu'il
reçoit. Ceci est évident pour l'âme qui se dépouille d'elle-même, qui se
réjouit de tout ça qu'elle voit en elle ou dans les autres. Comment
craindrait-elle que ces petites choses lui manquent, lorsque dans les
grandes et les difficiles, la foi lui montre toujours ma providence ? Oh
qu'elle est belle la lumière de la très sainte foi, avec laquelle on voit et
on comprend ma vérité, la lumière qui vient par les bons soins du Saint
Esprit, la, lumière surnaturelle que l'âme acquiert par ma grâce, en usant
bien de la lumière naturelle que je lui ai d'abord donnée !
1. Ne sais-tu pas, ma fille bien-aimée, comment ma
providence agit envers mes serviteurs et les âmes qui espèrent en moi ? Elle
agit de deux manières, pour l'âme. et pour le corps ; et ce que je fais pour
le corps est utile à l'âme, afin que la lumière de la foi croisse et
augmente en elle, afin qu'elle espère en moi et qu'elle connaisse clairement
que je suis le seul qui ai l'être, le pouvoir, la volonté et l'intelligence,
pour subvenir à ses besoins et à son salut.
2. C'est pour la vie de l'âme que j'ai institué les
sacrements de la sainte Église, qui sont sa nourriture ; car le pain est mi
aliment grossier qui convient au corps ; mais l'âme incorporelle vit de ma
parole. Ma Vérité a dit dans l'Évangile : "L'homme ne vit pas seulement de
pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu" (S. Mt., IV, 4).
C'est-à-dire, en suivant de cœur la doctrine de mon Verbe incarné pour vous.
C'est par le Verbe et par la vertu du précieux Sang que les sacrements vous
donnent la vie. Ces moyens spirituels sont pour l'âme, quoiqu'ils lui
arrivent par l'intermédiaire du corps. Mais l'acte extérieur et corporel ne
donne la vie de la grâce qu'autant que l'âme l'accepte par une disposition
intérieure, par un saint et ardent désir, dont elle est seule capable. C'est
pour cela que je t'ai dit que les sacrements étaient les biens spirituels de
l'âme, parce qu'il faut son désir pour les recevoir, quoiqu'ils lui soient
administrés par l'intermédiaire du corps.
3. Quelquefois, pour augmenter cette faim, ce désir
de l'âme, je fais en sorte qu'elle souhaite ces biens sans pouvoir les
obtenir. Cette privation augmente son ardeur, et, dans son indigence, elle
se connaît mieux elle-même. Elle se trouve indigne de ces biens et alors je
l'en rends digne en lui prodiguant les trésors de ma bonté dans mon
Sacrement. Tu le sais bien toi-même par expérience ; car par mon ordre la
grâce du Saint Esprit, qui règle tout, porte le ministre de l'Autel à
préparer cette nourriture, et le force intérieurement à en rassasier l'âme.
Quelquefois je diffère jusqu'au dernier instant l'accomplissement de son
désir, et je le satisfais à l'instant où elle doit perdre toute espérance.
4. Remarque que je pourrais accorder sur-le-champ ce
que je fais tant attendre ; mais j'agis de cette manière pour augmenter la
lumière de la foi dans l'âme et l'habituer à ne jamais se lasser d'espérer
en moi. Elle devient ainsi fidèle et prudente ; elle ne regarde pas en
arrière avec méfiance, et ne laisse pas éteindre l'ardeur de son désir.
Souviens-toi que j'ai ainsi éprouvé une âme qui m'aime (Les exemples que
Dieu cité sont des faits arrivés à sainte Catherine elle-même.).
5. Cette âme était venue à l'église avec un grand
désir de la sainte Communion. Elle demanda humblement au ministre de l'Autel
le corps de l'Homme-Dieu parfait ; elle fut refusée : mais son cœur grandit
au milieu de ses pieux gémissements, et le prêtre ressentit dans sa
conscience un tel remords, que quand il voulut offrir le Calice, il fut
forcé par le Saint Esprit de lui faire dire que, si elle voulait recevoir le
corps de Jésus-Christ, il le lui donnerait avec empressement. Ma bonté
voulut ainsi rassasier le désir de cette âme ; l'étincelle d'amour et de foi
qu'elle ressentit d'abord devint un tel incendie, qu'il lui semblait que la
vie allait abandonner son corps. Je n'avais permis ce refus que pour
affermir son espérance et détruire en elle tout amour-propre. Je me suis
servi de la créature dans cette occasion ; mais dans beaucoup d'autres le
Saint Esprit veut bien agir sans intermédiaire. Je t'en donnerai deux
exemples qui doivent fortifier ta foi et te faire admirer ma providence.
6. Tu sais que le jour de la conversion de mon
apôtre Paul, il y avait dans une église une âme qui était dévorée du désir
de recevoir la sainte Communion. Presque tous les prêtres qui devaient
célébrer la messe lui dirent qu'elle ne pourrait pas communier. Je permis
ces refus pour lui montrer que si les hommes lai faisaient défaut, elle ne
serait pas abandonnée par le Créateur. J'attendis la dernière messe, et
j'employai ce doux stratagème pour la mieux enivrer de ma providence. Voici
comment je la trompai : elle avait dit à celui qui allait servir la messe
qu'elle voulait communier ; mais celui-ci n'avertit pas le prêtre. N'ayant
pas reçu de réponse contraire, elle attendait avec ardeur la sainte
Communion ; quand la messe fut terminée et qu'elle se vit frustrée de son
espérance, elle sentit s'augmenter son désir et sa faim de la nourriture des
anges ; mais son humilité profonde lui persuadait qu'elle en était indigne,
et elle se reprochait d'avoir osé demander un si grand Sacrement.
7. Alors moi qui me plais à élever les humbles, je
l'attirai vers moi, en lui faisant connaître l'abîme de l'éternelle Trinité.
Je montrai à l’œil de son intelligence la puissance du Père, la sagesse du
Fils, la douceur du Saint Esprit, qui ne font qu'un par essence. Et cette
âme tut ravie à un tel degré d'union, que son corps était élevé de terre ;
car, comme je te l'ai dit, dans cette union, l'âme est plus unie à moi par
l'amour qu'elle ne l'est, naturellement au corps. Alors, pour satisfaire
enfin son désir, je lui donnai moi-même la sainte Communion ; et comme
preuve de cette grâce, pendant plusieurs jours elle ressentit d'une manière
ineffable le goût et l'odeur du corps et du sang de mon Fils unique, Jésus
crucifié. Elle fut toute renouvelée et fortifiée par la lumière de ma
providence, qu'elle avait, dans cette occasion, si délicieusement éprouvée.
Le monde ignora cette grâce ; mais elle la comprit d'une manière claire et
sensible.
8. Le second fait que je veux te citer eut pour
témoin le prêtre qui célébrait à l'Autel. Cette âme avait ardemment désiré
entendre la messe et y communier ; mais la maladie la retarda, et elle ne
put arriver qu'au moment de la Consécration. La messe se disait près du
grand autel, au chevet de l'église ; elle se mit en prière à l'autre
extrémité, parce qu'on le lui avait ordonné ; et elle disait au milieu de
ses larmes et de ses pieux gémissements : Âme infortunée, ne vois-tu pas la
grâce que Dieu a bien voulu te faire, en te permettant d'entrer dans son
église sainte, et d'apercevoir le ministre qui consacre à l'Autel ? Ne
mériterais-tu .pas plutôt par tes fautes d'être en enfer ? Mais en
s'abaissant ainsi dans les profondeurs de son humilité, son désir au lieu de
diminuer, augmentait toujours, parce qu'elle croyait fermement à ma bonté,
et qu'elle espérait de l'Esprit Saint la consolation qu'elle attendait.
9. Je la lui accordai d'une manière qu'elle ne
pouvait prévoir et demander ; car, au moment où, selon les rites de
l'Église, le prêtre divise l'Hostie, une fraction de cette hostie s'éloigna
de l'autel par un acte de ma puissance, et alla à l'autre extrémité de
l'Église vers la personne qui priait et qui put ainsi communier. Elle pensa
d'abord que j'avais satisfait l'ardeur de son désir d'une manière invisible,
comme je l'avais déjà fait plusieurs fois ; mais le prêtre savait le
contraire, car il fut profondément affligé de ne pas trouver cette fraction
de l'Hostie, jusqu'à ce que le Saint Esprit lui eût révélé ce qu'elle était
devenue ; son inquiétude ne fut calmée que par l'assurance de la personne
qui l'avait reçue.
10. Ne pouvais-je pas facilement détruire l'obstacle de
la maladie et permettre à cette personne d'arriver à temps pour entendre la
messe et communier comme à. l'ordinaire ? Je le pouvais certainement ; mais
je voulus prouver par expérience à cette âme qu'avec ou sans l'intermédiaire
des créatures, en quelque lieu et de quelque manière qu'il me plaise, je
puis, je veux et je sais satisfaire admirablement, et plus qu'elle ne
saurait l'imaginer, les saintes ardeurs de son désir. Que ce que je viens de
dire sur ce sujet, ma fille bien-aimée, te suffise pour te faire connaître
ma providence. Je vais maintenant t'expliquer les moyens que j'emploie au
dedans de l'âme sans l'intermédiaire du corps ou des agents extérieurs. Je
t'en ai déjà dit quelque chose eu t'entretenant des états de l'âme.
1. L'âme est en état de péché mortel ou en état de
grâce ; et en état de grâce, elle est parfaite ou imparfaite. Dans tous ces
états, ma providence agit avec sagesse et diversement, selon ce que je vois
être le plus utile. Quant aux hommes du monde qui dorment dans l'obscurité
du péché mortel, je réveille leur conscience par la douleur de l'aiguillon
qu'ils ressentent au fond de leur cœur, et par des moyens si variés que la
parole humaine ne saurait les dire ; les remords et les peines intérieures
qu ils éprouvent les éloignent bien souvent du maI.
2. Quelquefois aussi je cueille les roses sur les
épines. Lorsque je vois l'homme qui penche vers le péché mortel et vers
l'amour désordonné de la créature, ma bonté lui ôte l'occasion et le temps
de céder à sa volonté mauvaise ; et alors la tristesse qu'il en éprouve
trouble son âme, réveille le cri de sa conscience et le guérit de la folie
où il était tombé ; car ne peut-on pas appeler une folie cette affection
pour une chose dont on reconnaît ensuite le néant ? La créature qu'il aimait
d'un amour corrompu est bien quelque chose ; mais l'usage qu'il voulait en
faire n'était rien, parce que le péché n'est que la privation de la grâce,
comme l'aveuglement est la privation de la vue.
3. Ainsi, de la faute même qu'on peut bien appeler
une épine, puisqu'elle déchire cruellement, je tire une rose en y trouvant
un moyen de salut. Qui me fait agir de la sorte ? Ce n'est pas le pécheur,
qui ne me cherche pas et qui me demande le secours de ma providence que pour
pécher, ou jouir des richesses, des plaisirs et des honneurs du monde ;
c'est mon amour, ma tendresse paternelle qui me poussent ; car je vous ai
aimés avant votre naissance, et je, désire être aimé de vous.
4. Je suis aussi excité et forcé par les prières de
mes serviteurs et de mes amis, qui, par la grâce du Saint Esprit, pour ma
gloire et pour le salut du prochain, demandent avec ardeur leur conversion,
s'efforçant d'apaiser ma colère et de lier les mains de ma justice sous les
coups de laquelle le pécheur devrait tomber. Leurs larmes et leurs humbles
supplications me retiennent et me font pour ainsi dire violence Qui les
pousse à crier ainsi vers moi ? C'est ma providence, qui veille aux besoins
de ceux que tue te péché ; car il est écrit : "Je ne veux pas la mort du
pécheur, mais qu'il se convertisse et qu'il vive" (Ézéchiel XXXIII, 11).
5. O ma fille bien-aimée, passionne-toi pour ma
providence ; ouvre les yeux de ton esprit et de ton corps, tu verras les
hommes coupables auxquels la lèpre du péché communique la corruption de la
mort. Ils sont plongés dans les ténèbres, parce qu'ils sont privés de la
lumière de la grâce ; ils marchent en chantant et en riant ; ils perdent le
temps que ma bonté leur accorde, dans la vanité, les plaisirs et les
honteuses jouissances ; ils se gorgent de vin et d'aliments avec une telle
avidité, qu'ils semblent avoir fait un dieu de leur ventre. Ils vivent dans
ces haines, ces vengeances, cet orgueil et ces vices que je t'ai déjà fait
connaître ; ils ignorent leur état et courent vers la mort éternelle qui les
attend s'ils ne se convertissent ; les infortunés se réjouissent au milieu
d'un si grand péril !
6. Ne devrait-on pas croire bien insensés des
condamnés à mort qui iraient au supplice en chantant, en dansant et en
donnant les signes d'une folle joie ? Ne sont-ils pas aussi insensés, ces
malheureux, et ne le sont-ils même pas davantage, puisque la mort de l'âme
est bien plus à craindre que la mort du corps ? Ils perdent la vie de la
grâce et courent à une peine infinie, s'ils meurent dans cet, état ; tandis
que les autres ne perdent que la vie du corps et n'endurent qu'une peine
finie et passagère. Et cependant ils chantent, dans leur délire, comme des
insensés et des fous.
7. Mes serviteurs, au contraire, sont dans les
gémissements et la douleur ; ils persévèrent dans les veilles, dans la
prière, dans les larmes et les jeûnes, afin d'obtenir leur salut. Les hommes
les tournent en dérision, mais leurs insultes retombent sur leur tête ; la
punition suit nécessairement la faute, tandis que toutes les peines que les
justes souffrent pour mon amour auront leurs joies et leur récompenses. Ne
suis-je pas un Dieu juste, qui rendra à chacun selon ses œuvres.
8. Mes vrais serviteurs, malgré ces injures, cette
ingratitude et ces persécutions, ne cessent pas de prier ; ils crient, au
contraire, vers moi, avec plus de force, et redoublent de charité. Qui les
pousse à frapper avec tant d'ardeur à la porte de la miséricorde ? C'est mon
ineffable providence, parce qu'ainsi je procure le salut de ces malheureux,
et j'augmente en même temps la vertu et les fruits de la charité dans le
cœur de mes amis. Je multiplie ainsi et je varie sans cesse les moyens que
ma providence emploie pour retirer les âmes des ténèbres du péché mortel.
Maintenant je te dirai ce que fait ma providence pour ceux qui se sont
retirés du mal, mais qui sont encore imparfaits ; sans cependant répéter ce
que j'ai dit des états de l'âme, je t'expliquerai ce sujet rapidement.
FIN DE LA
DEUXIÈME PARTIE
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