BIENHEUREUSE
ANNE CATHERINE EMMERICH
religieuse et visionnaire
(
1774-1824)

LA DOULOUREUSE PASSION
DE N. S. JÉSUS-CHRIST

LIX
ON MET DES GARDES AU TOMBEAU DE JÉSUS

Dans la nuit du vendredi au samedi, je vis Caïphe et les principaux d'entre les Juifs se consulter sur ce qu'ils avaient à faire, eu égard aux prodiges qui avaient eu lieu et à la disposition du peuple. A la suite de cette délibération, ils se rendirent, dans la nuit, chez Pilate, et lui dirent que, comme ce séducteur avait assuré qu'il ressusciterait le troisième jour, il fallait faire garder le tombeau pendant trois jours : sans cela, les disciples de Jésus pourraient dérober son corps et répandre le bruit de sa résurrection, d'où il résulterait une nouvelle déception pire que la première. Pilate ne voulait plus se mêler de cette affaire, et il leur dit : “Vous avez une garde, faites garder le tombeau comme vous l'entendrez”. Il leur donna pourtant Cassius, qui devait tout observer et lui faire un rapport exact de ce qu'il verrait. Je les vis sortir de la ville au nombre de douze, avant le lever du soleil : les soldats qui les accompagnaient n'étaient pas habillés à la romaine ; c'étaient des soldats du Temple. Ils avaient des lanternes placées sur des perches, afin de tout voir malgré la nuit, et de s'éclairer dans l'obscurité du caveau sépulcral.

Aussitôt arrivés, ils s'assurèrent de la présence du corps de Jésus, puis ils attachèrent une corde en travers, devant la porte du tombeau, en firent passer une seconde sur la grosse pierre qui était placée en avant, et scellèrent le tout avec un cachet demi circulaire. Ils revinrent ensuite à la ville, et les gardes se postèrent en lace de la porte extérieure. Il y avait là cinq a six hommes à tour de rôle. Cassius ne quitta pas son poste ; il se tenait ordinairement assis ou debout devant l'entrée du caveau, de manière à voir le côté du tombeau où reposaient les pieds du Sauveur. Il avait reçu de grandes grâces intérieures et l'intelligence de beaucoup de mystères. N'étant pas accoutumé à se trouver dans cet état d'illumination spirituelle, il resta presque tout le temps dans une sorte d'enivrement et n'ayant pas la conscience des objets extérieurs. Il fut entièrement transformé, devint un nouvel homme, et passa toute la journée dans le repentir, l'action de grâces et l'adoration.

LX
LES AMIS DE JÉSUS LE SAMEDI SAINT

Je vis hier au soir environ vingt hommes rassemblés an Cénacle ; ils avaient de longs habits blancs avec des ceintures, et célébraient le sabbat, ainsi que je l'ai dit plus haut. Ils se séparèrent pour se livrer au sommeil, et plusieurs regagnèrent leurs demeures accoutumées. Aujourd'hui encore, je les vis rassemblés au Cénacle; ils gardaient le silence la plupart du temps et se succédaient pour faire la prière ou la lecture ; de nouveaux venus étaient introduits de temps en temps.

Dans la partie de la maison où se tenait la sainte Vierge il y avait une grande salle où l'on avait pratiqué, au moyen de tapis et de cloisons mobiles, quelques cellules séparées pour ceux qui voulaient y passer la nuit. Lorsque les saintes femmes, revenues du tombeau, eurent remis en place les objets dont elles s'étaient servies, une d'elles alluma une lampe suspendue au milieu de cette salle, et sous laquelle elles vinrent se placer autour de la sainte Vierge ; elles prièrent à tour de rôle avec beaucoup de tristesse et de recueillement et prirent ensuite une petite réfection. Bientôt entrèrent Marthe, Maroni, Dina et Mara, lesquelles après le sabbat étaient venues de Béthanie avec Lazare, celui-ci était allé trouver les disciples dans le Cénacle. On leur raconta avec larmes la mort et la sépulture du Sauveur ; puis, comme il était tard, quelques-uns des hommes, parmi lesquels Joseph d'Arimathie, vinrent prendre celles des saintes femmes qui voulaient retourner chez elles dans la ville. Comme ils s'en revenaient ensemble, Joseph, ainsi que je l'ai déjà dit, fut enlevé prés de Caïphe et renfermé dans une tour.

Les femmes, restées au Cénacle, entrèrent dans les cellules disposées autour de la salle, s'enveloppèrent la tête de longs voiles et restèrent quelque temps silencieuses et tristes, assises par terre et appuyées contre les couvertures qui étaient roulées prés du mur ; puis elles se levèrent, déployèrent ces couvertures, ôtèrent leurs souliers, leurs ceintures et une partie de leurs vêtements, se voilèrent de la tête aux pieds, comme elles ont d'habitude de le faire pour dormir, et se placèrent sur les couches pour prendra un peu de sommeil. A minuit, elles se relevèrent, s'habillèrent, roulèrent leurs couches et se rassemblèrent sous la lampe autour de la sainte Vierge afin de prier encore.

Quand la mère de Jésus et ses compagnes, quoique brisées par de si grandes souffrances, eurent satisfait à ce devoir de la prière nocturne, que je vois soigneusement rempli dans toute la suite des temps par les fidèles enfants de Dieu et les âmes saintes qu'une grâce particulière y excite, ou qui le font pour se conformer à des règles prescrites par Dieu et son Église, Jean vint frapper à la porte de leur salle avec quelques disciples, et aussitôt elles s'enveloppèrent dans leurs manteaux et le suivirent au Temple avec la sainte Vierge.

Vers trois heures du matin, au moment à peu près où le tombeau fut scelle, je vis la sainte Vierge se rendre au Temple, accompagnée des autres saintes femmes, de Jean et de plusieurs autres disciples. Beaucoup de Juifs avalant coutume de se rendre au Temple avant l'aurore, le lendemain du jour où ils avaient mangé l'Agneau pascal ; aussi le Temple était-il ouvert dés minuit, parce que les sacrifices commençaient de très bonne heure. Mais la fête ayant été troublée, et le Temple rendu impur par les prodiges de la veille, on avait tout abandonné, et il me sembla que la sainte Vierge venait seulement prendre congé du Temple où elle avait été élevée, et où elle avait adora le Saint des saints, jusqu'à ce qu'elle-même portât dans ses entrailles le Saint des saints lui-même, le véritable Agneau pascal qui avait été si cruellement immolé la veille. Il était ouvert selon l'usage ; les lampes étaient allumées, et le parvis des prêtres accessible au peuple, ainsi que cela devait avoir lieu ce jour-là ; mais le Temple était presque vide, à l'exception de quelques gardiens et de quelques serviteurs ; tout y était encore en désordre par suite des terribles incidents de la veille : il avait été profané par les apparitions des morts, et je me demandais toujours : “Comment pourra-t-on le purifier de nouveau ?”

Les fils de Siméon et les neveux de Joseph d'Arimathie, que la nouvelle de l'emprisonnement de leur oncle avait fort attristés, vinrent joindre la sainte Vierge et ses compagnons, et les conduisirent partout, car ils étaient surveillants dans le Temple ; tous contemplèrent avec terreur les signes de la colère de Dieu, dont ils adorèrent les desseins en silence ; seulement ceux qui conduisaient la sainte Vierge racontaient de temps en temps, en peu de mots, les événements de la veille. On n'avait encore réparé presque aucun des dégâts causés par le tremblement de terre. Au lieu où le parvis et le sanctuaire se réunissent, le mur s'était tellement écarté de part et d'autre, qu'on pouvait passer dans l'ouverture ; tout menaçait encore de s'écrouler. Le linteau qui était au-dessus du rideau placé devant le sanctuaire s'était affaissé : les colonnes qui le supportaient avaient fléchi et le rideau, déchire du haut au bas, pendait des deux côtés. La chute de la grosse pierre qui s'était détachée du cote septentrional du Temple, près de l'oratoire du vieux Siméon, avait ouvert, à l'endroit où Zacharie était apparu, une telle brèche dans le mur du parvis, que les saintes femmes purent y passer sans obstacle, et, placées prés de la grande chaire où Jésus, encore enfant, avait enseigné, voir dans l'intérieur du Saint des saints à travers le rideau déchiré, ce qui, autrement, ne leur eût pas été permis. Ce n'était partout que murs crevassés, dalles enfoncées, colonnes ébranlées et penchées. La sainte Vierge se rendit à tous les endroits que Jésus avait rendus sacrés pour elle ; elle se prosterna pour les baiser, et exprima ses sentiments par des larmes et par quelques paroles touchantes : ses compagnes l'imitèrent.

Les Juifs ont une grande vénération pour tous les lieux sanctifiés par quelque manifestation de la puissance divine ; ils les touchent, les baisent et s'y prosternent je visage contre terre. Je ne saurais m'en étonner, car, sachant et croyant que le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob est un Dieu vivant, qu'il habitait parmi son peuple, dans sa maison, le Temple de Jérusalem, il eût été bien plus étonnant qu'ils ne lui donnassent pas ces marques de respect. Celui qui croit à un Dieu vivant, père, rédempteur et sanctificateur des hommes, ses enfants, ne s'étonne pas qu'il habite vivant parmi les vivants et que ceux-ci lui témoignent, à lui et à tout ce qui le touche, plus d'amour, de respect et d'adoration qu'à leurs parents, amis, maîtres, magistrats et princes terrestres. Le Temple et les lieux sanctifiés faisaient éprouver aux Juifs quelque chose de ce que nous autres chrétiens éprouvons devant le Saint-Sacrement. Mais il y avait, chez les Juifs, des aveugles et de soi-disant éclairés, de même qu'il y en a chez nous, qui n'adorent pas le Dieu vivant et présent, tandis qu'ils rendent un culte superstitieux aux idoles du monde. Ils ne se souviennent pas des paroles de Jésus-Christ : “Celui qui me renie devant les hommes, je le renierai devant mon Père céleste”. Ces hommes qui mettent sans relâche au service de l'esprit du monde et de ses mensonges, leurs pensées, leurs paroles et leurs actions, qui rejettent tout culte extérieur envers Dieu, disent bien, quand ils n'ont pas rejeté Dieu lui-même comme trop extérieur, “qu'ils adorent Dieu en esprit et en vérité”, mais ils ne savent pas que cela veut dire l'adorer dans le Saint-Esprit et dans le Fils, “qui a pris chair de la Vierge !” Marie, qui a rendu témoignage à la vérité, qui a vécu parmi nous, qui est mort pour nous sur la terre et qui veut rester près de son Église, présent dans le Saint-Sacrement, jusqu'à la consommation des siècles.

La sainte Vierge, accompagnée de ses amies, visita plusieurs endroits du Temple avec un respect religieux ; elle leur montra le lieu de sa présentation lorsqu'elle était encore enfant, ceux où elle avait été élevée, où elle avait épousé saint Joseph, où elle avait présenté Jésus, où Siméon et Anne avaient prophétisé ; elle pleura amèrement à ce souvenir, car la prophétie était accomplie, le glaive avait traversé son âme. Elle montra aussi l'endroit où elle avait trouve Jésus enseignant dans le Temple, et elle baisa respectueusement la chaire. Elles s'arrêtèrent encore près du tronc où la veuve avait jeté son denier et au lieu où le Seigneur avait pardonné à la femme adultère. Quand elles eurent ainsi rendu l'hommage de leurs souvenirs, de leurs larmes et de leurs prières, à toutes les places sanctifiées par Jésus, elles retournèrent à Sion.

La sainte Vierge se sépara du Temple avec une profonde tristesse et en versant des larmes abondantes ; la désolation et la solitude qui y régnaient en un jour si saint témoignaient des crimes de son peuple ; elle se souvint que Jésus avait pleuré sur le Temple, et qu'il avait dit : “Renversez ce Temple, et je le rebâtirai en trois jours”. Elle pensa que les ennemis de Jésus avaient détruit le temple de son corps, et désira ardemment voir luire le troisième jour, où la parole de l'éternelle vérité devait s'accomplir.

De retour au Cénacle au point du jour, Marie et ses compagnes se retirèrent dans la partie des bâtiments située à droite. Jean et les disciples se séparèrent d'elles à l'entrée et se joignirent aux autres hommes, au nombre d'une vingtaine, qui, rassemblés dans la grande salle, y passèrent dans le deuil toute la journée du sabbat, priant alternativement sous la lampe. De temps en temps de nouveaux venus s'introduisaient timidement, et l'on s'entretenait en pleurant : tous éprouvaient un respect mêlé d'un peu de confusion pour Jean qui avait assisté à la mort du Seigneur. Jean était bienveillant et affectueux pour tous, et il avait la simplicité d'un enfant dans ses rapports avec eux. le les vis manger une fois : du reste le plus grand calme régnait dans la maison, et les portes étaient fermées. On ne pouvait d'ailleurs les y inquiéter, car cette maison appartenait à Nicodème et ils l'avaient louée pour le repas pascal.

Je vis de nouveau les saintes femmes rassemblées jusqu'au soir dans la grande salle, éclairée seulement par la lumière d'une lampe, car les portes étaient fermées et les fenêtres voilées. Tantôt elles priaient autour de la sainte Vierge sous la lampe, tantôt elles se retiraient à part, couvraient leur tête de leurs voiles de deuil, et s'asseyaient sur des cendres en signe de douleur, ou priaient je visage tourné vers la muraille. Toutes les fois qu'elles se rassemblaient pour prier sous la lampe ; elles déposaient leurs manteaux de deuil. Je vis que les plus faibles d'entre elles prirent un peu de nourriture, les autres jeûnèrent.

Mon regard se tourna plusieurs fois vers elles et je les vis toujours prier ou marquer leur douleur de la manière que j'ai décrite. Quand ma pensée s'unissait à celle de la sainte Vierge qui était toujours occupée de son fils je voyais le saint Sépulcre et six ou sept gardes assis à l'entrée : contre la porte du caveau se tenait Cassius, plongé dans la méditation. Des portes du tombeau étaient fermées, et la pierre était devant. Je vis pourtant encore à travers les portes le corps du Seigneur, tel qu'on l'y avait déposé, entouré de splendeur et de lumière, et deux anges en adoration. Mais ma méditation s'étant dirigée vers la sainte âme du Rédempteur, je vis un tableau si vaste et si compliqué de la descente aux enfers, que je n'ai pu en retenir qu'une faible partie : je vais la raconter du mieux que je pourrai.

LXII
LE SOIR D'AVANT LA RESURRECTION

Quand le sabbat fut terminé, Jean vint trouver les saintes femmes, pleura avec elles, et leur donna des consolations. Il les quitta au bout de quelque temps : alors Pierre et Jacques le Majeur vinrent les voir dans le même but, mais eux aussi ne restèrent pas longtemps avec elles. Les saintes femmes se retirèrent encore à part, exprimèrent encore leur douleur, en s'enveloppant dans leurs manteaux de deuil et en s'asseyant sur des cendres.

Pendant que la sainte Vierge priait intérieurement, pleine d'un ardent désir de revoir Jésus, un ange vint à elle, et lui dit de se rendre à la petite porte de Nicodème, parce que le Seigneur était proche. Le cœur de Marie fut inondé de joie : elle s'enveloppa dans son manteau, et quitta les saintes femmes, sans dire à personne où elle allait. Je la vis aller en toute hâte à cette petite porte percée dans le mur de la ville, par laquelle ses compagnons et elle étaient rentrés en revenant du tombeau.

Il pouvait être neuf heures du soir : la sainte Vierge approchait, à pas pressés, de cette porte, lorsque je la vis s'arrêter tout à coup en un lieu solitaire. Elle regarda avec un air de ravissement en haut du mur de la ville, et je vis l'âme du Sauveur, toute lumineuse et sans aucune marque de blessures, descendre jusqu'à Marie, accompagnée d'une troupe nombreuse d'âmes des patriarches. Jésus, se tournant vers eux, et montrant la sainte Vierge, prononça ces paroles : “Marie, ma mère”, me sembla qu'il l'embrassait, puis il disparut. La sainte Vierge tomba sur ses genoux, et baisa la terre à la place où il avait apparu.

Ses genoux et ses pieds restèrent empreints sur la pierre, et elle revint, pleine d'une consolation ineffable, vers les saintes femmes qu'elle trouva occupées à préparer des onguents et des aromates. Elle ne leur dit pas ce qu'elle avait vu, mais ses forces étaient renouvelées ; elle consola toutes les autres et les fortifia dans la foi.

Lorsque Marie revint, je vis les saintes femmes près d'une longue table dont la couverture pendait jusqu'à terre. Il y avait là plusieurs paquets d'herbes qu'elles arrangeaient et mêlaient ensemble ; elles avaient aussi des flacons d'onguent et d'eau de nard, et en outre des fleurs fraîches parmi lesquelles étaient, je crois, un iris rayé ou un us. Elles enveloppaient le tout dans des linges. Pendant l'absence de Marie, Madeleine, Marie, fille de Cléophas, Salomé, Jeanne, et Marie Salomé, étaient allées acheter tout cela à la ville. Elles voulaient le lendemain en couvrir le corps enseveli du Sauveur. Je vis les disciples en prendre une partie chez la marchande et le remettre à la porte de la maison où étaient les saintes femmes, sans y entrer eux-mêmes.

LXIII
JOSEPH D'ARIMATHIE EST MIS EN LIBERTÉ

Peu après le retour de la sainte Vierge auprès de ses compagnes, je vis Joseph d'Arimathie priant dans sa prison. Tout à coup le cachot fut inondé de lumière, et j'entendis une voix qui l'appelait par son nom. Le toit fut soulevé de manière à laisser une ouverture ; puis je vis une forme lumineuse lui tendre un drap qui me rappela le linceul où il avait enseveli Jésus et lui dire de s'en servir pour monter. Joseph le saisit à deux mains, et, appuyant ses pieds sur des pierres qui faisaient saillie, il s'éleva à la hauteur de dix ou douze pieds, jusqu'à l'ouverture qui se referma derrière lui. Lorsqu'il fut au haut de la tour, l'apparition s'évanouit. Je ne sais si ce fut le Sauveur lui même, ou si ce fut un ange qui le délivra.

Il suivit quelque temps le mur de la ville jusque dans le voisinage du Cénacle qui était près du mur méridional de Sion. Il descendit alors et frappa au Cénacle. Les disciples rassemblés avaient fermé les portes : ils avaient été très affligés de la disparition de Joseph, et croyaient qu'on l'avait jeté dans un égout, parce que le bruit s'en était répandu. Lorsqu'on lui ouvrit et qu'il entra, leur joie fut grande, comme elle le fut plus tard lorsque saint Pierre fut délivré de sa prison. Il raconta ce qui lui était arrivé : ils en furent réjouis et consolés, lui donnèrent à manger et remercièrent Dieu. Pour lui, il quitta Jérusalem dans la nuit, et s'enfuit à Arimathie, sa patrie ; il revint pourtant lorsqu'il sut qu'il n'y avait plus de danger pour lui.

Je vis aussi, vers la fin du sabbat, Caïphe et d'autres prêtres s'entretenir avec Nicodème dans sa maison. Ils lui firent plusieurs questions avec une bienveillance feinte ; je ne me souviens plus de ce que c'était. Il resta ferme dans sa foi, défendit constamment l'innocence de Jésus, et ils se retirèrent.

LXIV
NUIT DE LA RESURRECTION

Bientôt après je vis la tombeau du Seigneur ; tout était calme et tranquille alentour : il y avait six à sept gardes, les uns assis, les autres debout vis-à-vis et autour de la colline. Pendant toute la journée, Cassius n'avait presque pas quitté sa place dans le fossé, à l'entrée de la grotte. En ce moment il était encore là, dans la contemplation et dans l'attente, car il avait reçu de grandes grâces et de grandes lumières : il était éclairé et touché intérieurement. Il faisait nuit, les lanternes placées devant la grotte jetaient alentour une vive lueur. Je m'approchai alors en esprit du saint corps pour l'adorer. Il était enveloppé dans son linceul et entouré de lumière et reposait entre deux anges que j'avais vus constamment en adoration à la tête et aux pieds du Sauveur, depuis la mise au tombeau. Ces anges avaient l'air de prêtres ; leur posture et leurs bras croisés sur la poitrine me firent souvenir des Chérubins de l'arche d'alliance, mais je ne leur vis point d'ailes. Du reste, le saint sépulcre tout entier me rappela souvent l'arche d'alliance à différentes époques de son histoire. Peut-être cette lumière et la présence des anges étaient-elles visibles pour Cassius, car il était en contemplation prés de la porte du tombeau, comme quelqu'un qui adore le Saint-Sacrement.

En adorant le saint corps, je vis comme si l'âme du Seigneur, suivie des âmes délivrées des patriarches, entrait dans le tombeau à travers le rocher et leur montrait toutes les blessures de son corps sacré. En ce moment, les voiles semblèrent enlevés : je vis le corps tout couvert de plaies, c'était comme si la divinité qui y habitait eut révélé à ces âmes d'une façon mystérieuse toute l'étendue de son martyre. Il me parut transparent de manière que l'intérieur était visible ; on pouvait reconnaître dans tous leurs détails les lésions et les altérations que tant de souffrances y avaient produites, et voir jusqu'au fond de ses blessures. Les âmes étaient pénétrées d'un respect indicible mêlé de criante et de compassion.

J'eus ensuite une vision mystérieuse que je ne puis pas bien expliquer ni raconter clairement. Il me sembla que l'âme de Jésus, sans avoir encore rendu la vie à son corps par une complète union, sortait pourtant du sépulcre en lui et avec lui : je crus voir les deux anges qui adoraient aux extrémités du tombeau enlever ce corps sacre, nu, meurtri, couvert de blessures, et monter ainsi jusqu'au ciel à travers les rochers qui s'ébranlaient ; Jésus semblai présenter son corps supplicié devant le trône de son Père céleste, au milieu de chœurs innombrables d'anges prosternés : ce fut peut-être de cette manière que les âmes de plusieurs prophètes reprirent momentanément leurs corps après la mort de Jésus et les conduisirent au temple, sans pourtant revenir à la vie réelle, car elles s'en séparèrent de nouveau sans le moindre effort. Je ne vis pas cette fois les âmes des patriarches accompagner le corps du Seigneur. Je ne me souviens pas non plus où elles restèrent jusqu'au moment où je les vis de nouveau rassemblées autour de l'âme du Seigneur.

Pendant cette vision, je remarquai une secousse dans le rocher : quatre des gardes étaient allés chercher quelque chose à la ville, les trois autres tombèrent presque sans connaissance. Ils attribuèrent cela à un tremblement de terre et en méconnurent la véritable cause. Mais Cassius fut très ému : car il voyait quelque chose de ce qui se passait, quoique cela ne fût pas très clair pour lui. Toutefois, il resta à sa place, attendant dans un grand recueillement ce qui allait arriver. Pendant ce temps les soldats absents revinrent.

Ma contemplation se tourna de nouveau vers les saintes femmes : elles avaient fini de préparer et d'empaqueter leurs aromates et s'étaient retirées dans leurs cellules. Toutefois elles ne s'étaient pas couchées pour dormir, mais s'appuyaient seulement sur les couvertures roulées. Eues voulaient se rendre au tombeau avant le jour. Elles avaient manifesté plusieurs fois leur inquiétude, car elles craignaient que les ennemis de Jésus ne leur tendissent des embûches lorsqu'elles sortiraient, mais la sainte Vierge, pleine d'un nouveau courage depuis que son fils lui était apparu, les tranquillisa et leur dit qu'elles pouvaient prendre quelque repos et se rendre sans crainte au tombeau, qu'il ne leur arriverait point de mal. Alors elles se reposèrent un peu.

Il était à peu près onze heures de la nuit lorsque la Sainte Vierge, poussée par l'amour et par un désir irrésistible, se leva, s'enveloppa dans un manteau gris, et quitta seule la maison. Je me demandais avec inquiétude comment on laissait cette sainte mère, si épuisée, si affligée, se risquer seule ainsi au milieu de tant de dangers. Elle alla, plongée dans la tristesse, à la maison de Caïphe, puis au palais de Pilate, ce qui l'obligeait à traverser une grande partie de la ville, et elle parcourut ainsi tout le chemin de la croix à travers les rues désertes, s'arrêtant à tous les endroits où le Sauveur avait eu quelque chose à souffrir ou quelque outrage à essuyer. Elle semblait chercher un objet perdu ; souvent elle se prosternait par terre et promenait sa main sur les pierres : après quoi elle la portait à sa bouche, comme si elle eût touche quelque chose de saint, le sang sacré du Sauveur qu'elle vénérait en y appliquant ses lèvres. L'amour produisait en elle quelque chose de surhumain, car toutes les places sanctifiées lui apparaissaient lumineuses. Elle était absorbée dans l'amour et l'adoration. Je l'accompagnai pendant tout le chemin et je ressentis et fis tout ce qu'elle ressentit et fit elle-même, selon la faible mesure de mes forces.

Elle alla ainsi jusqu'au Calvaire, et comme elle en approchait, elle s'arrêta tout d'un coup. Je vis Jésus avec son corps sacré apparaître devant la sainte Vierge, précédé d'un ange, ayant à ses côtés les deux anges du tombeau, et suivi d'une troupe nombreuse d'âmes délivrées. Il ne faisait aucun mouvement et semblait planer dans la lumière qui l'entourait ; mais il en sortit une vois qui annonça à sa mère ce qu'il avait fait dans les limbes, et qui lui dit qu'il allait ressusciter et venir à elle avec son corps transfiguré ; qu'elle devait l'attendre près de la pierre où il était tombé au Calvaire. L'apparition parut se diriger du côté de la ville, st la sainte Vierge, enveloppée dans son manteau, alla s'agenouiller en priant à la place qui lui avait été, désignée. Il pouvait bien être minuit passé, car Marie était restée assez longtemps sur le chemin de la croix. Je vis alors le cortège du Sauveur suivre ce même chemin, tout le supplice de Jésus fut montré aux âmes avec ses moindres circonstances : les anges recueillaient, d'une manière mystérieuse, toutes les portions de sa substance sacrée qui avaient été arrachées de son corps. Je vis que le crucifiement, l'érection de la crois, l'ouverture du côté, la déposition et l'ensevelissement leur furent aussi montrés. La sainte Vierge de son côté contemplait tout cela en esprit et adorait, pleine d'amour.

          Il me sembla ensuite que le corps du Seigneur reposait de nouveau dans le tombeau, et que les anges y rejoignaient, d'uns façon mystérieuse, tout ce que les bourreaux et leurs instruments de supplice en avaient enlevé. Je le vis de nouveau resplendissant dans son linceul, avec les deux anges en adoration à la tête et aux pieds. Je ne puis exprimer comment je vis tout cela. Il y a là tant de choses, des choses si diverses et si inexprimables, qua notre raison dans son état ordinaire n'y peut rien comprendre. D'ailleurs, ce qui est clair et intelligible quand la le vois, devient plus tard complètement obscur et je ne puis le rendre avec des paroles.

Lorsque le ciel commença à blanchir à l'orient, je vis Madeleine, Marie, fille de Cléophas, Jeanne Chusa et Salomé quitter le Cénacle, enveloppées dans leurs manteaux. Elles portaient des aromates empaquetés, et l'une d'elles avait une lumière allumée, mais cachée sous ses vêtements. Les aromates consistaient en fleurs fraîches qui devaient être jetées sur le corps, en sucs extraits de diverses plantes, en essences et en huiles dont elles voulaient l'arroser. Je les vis se diriger timidement vers la petite porte de Nicodème.

LXV
RESURRECTION DU SEIGNEUR

Je vis apparaître l'âme de Jésus comme une gloire resplendissante entre deux anges en habits de guerre (des deux anges que j'avais vus précédemment étaient en habits sacerdotaux) ; une multitude de figures lumineuses l'environnait. Pénétrant à travers le rocher, elle vint se reposer sur son corps très saint : elle sembla se pencher sur lui et se confondit tout d'un coup avec lui. Je vis alors les membres se remuer dans leurs enveloppes, et le corps vivant et resplendissant du Seigneur uni à son âme et à sa divinité, se dégager du linceul par le côté, comme s'il sortait de la plaie faite par la lance : cette vue me rappela Ève sortant du côté d'Adam. Tout était éblouissant de lumière.

Il me sembla au même moment qu'une forme monstrueuse sortait de terre au-dessous du tombeau. Elle avait une queue de serpent et une tête de dragon qu'elle levait contre Jésus ! Je crois me souvenir qu'elle avait en outre une tête humaine. Mais je vis à la main du Sauveur ressuscité un beau bâton blanc au haut duquel était un étendard flottant : il marcha sur la tête du dragon et frappa rois fois avec le bâton sur sa queue ; à chaque coup, je vis le monstre se replier davantage sur lui-même, diminuer de grosseur et disparaître : la tête du dragon était rentrée sous terre, la tête humaine paraissait encore. J'ai souvent eu cette vision lors de la résurrection, et j'ai vu un serpent pareil qui semblait en embuscade lors de la conception du Christ. Il me rappela celui du Paradis ; seulement il était encore plus horrible. Je pense que ceci se rapporte à la prophétie : “La semence de la femme écrasera la tête du serpent”. Tout cela me parut seulement un symbole de la victoire remportée sur la mort, car lorsque je vis le Sauveur écraser la tête du dragon, je ne vis plus de tombeau.

Je vis bientôt Jésus resplendissant s'élever à travers le rocher. La terre trembla ; un ange, semblable à un guerrier, se précipita comme un éclair du ciel dans le tombeau, mit la pierre à droite et s'assit dessus. La secousse fut telle que les lanternes s'agitèrent violemment et que la flamme jaillit de tous les côtés. A cette vue, les gardes tombèrent comme atteints de paralysie ; ils restèrent étendus par terre, les membres contournés et ne donnant plus signe de vie. Cassius, ébloui d'abord par l'éclat de la lumière, revint promptement à lui et s'approcha du tombeau : il entrouvrit la porte, toucha les linges vides, et se retira dans le dessein d'annoncer à Pilate ce qui était arrivé. Toutefois il attendit encore un peu, dans l'espoir de voir quelque chose de plus ; car il avait senti le tremblement de terre, il avait vu la pierre jetée de côté, l'ange assis dessus et le tombeau vide, mais il n'avait pas aperçu Jésus. Ces premiers événements furent racontés aux disciples soit par Cassius, soit par les gardes.

Au moment où l'ange entra dans le tombeau et où la terre trembla. je vis le Sauveur ressuscité apparaître à sa Mère près du Calvaire. Il était merveilleusement beau et radieux. Son vêtement, semblable à un manteau, flottait derrière lui, et semblait d'un blanc bleuâtre, comme la fumée vue au soleil. Ses blessures étaient larges et resplendissantes ; on pouvait passer le doigt dans celles des mains. Des rayons allaient du milieu des mains au bout des doigts. Les âmes des patriarches s'inclinèrent devant la Mère de Jésus à laquelle le Sauveur adressa quelques mots que j'ai oubliés pour lui dire qu'elle le reverrait. Il lui montra ses blessures, et, comme elle se prosternait à terre pour baiser ses pieds, il la prit par la main, la releva et disparut. Les lanternes brillaient prés du tombeau dans le lointain, et l'horizon blanchissait à l'orient au-dessus de Jérusalem.

LXVI
LES SAINTES FEMMES AU TOMBEAU

Les saintes femmes étaient près de la petite porte de Nicodème, lorsque Notre-Seigneur ressuscita ; mais elles ne virent rien des prodiges qui eurent lieu au tombeau. Elles ne savaient pas qu'on y avait mis des gardes, car elles n'y étaient pas allées la veille, à cause du sabbat. Elles se demandaient avec inquiétude : “Qui nous ôtera la pierre de devant la porte ?” Car dans leur empressement à honorer le corps du Seigneur, elles n'avaient pas pensé à cette pierre. Leur dessein était de verser de l'eau de nard et de l'huile odorante sur le corps de Jésus, et d'y répandre des aromates et des fleurs. N'ayant contribué en rien aux dépenses de l'embaumement de la veille dont Nicodème seul s'était chargé, elles voulaient maintenant offrir au Seigneur ce qu'elles avaient pu trouver de plus précieux, et honorer ainsi sa sépulture. Celle qui avait apporté le plus de choses était Salomé. Ce n'était pas la mère de Jean, mais une femme riche de Jérusalem, parente de saint Joseph. Elles résolurent de placer leurs aromates sur la pierre qui fermait le tombeau et d'attendre là que quelque disciple vint leur en ouvrir l'entrée.

Les gardes étaient étendus par terre comme frappés d'apoplexie ; la pierre était rejetée à droite, de sorte qu'on pouvait ouvrir la porte sans peine. Je vis à travers la porte, sur la couche sépulcrale, les linges dans lesquels le corps de Jésus avait été enveloppé. Le grand linceul était à sa place, mais retombé sur lui-même et ne contenant plus que les aromates ; la bande de toile avec laquelle on l'avait serré autour du corps n'avait pas été dépliée ; et elle était déposée sur le bord antérieur du tombeau. Quant au linge dont Marie avait recouvert la tête de son fils, il était à part au lieu même où cette tête sacrée avait reposé : seulement la partie qui avait voilé la face était relevée.

Je vis les saintes femmes approcher du jardin ; lorsqu'elles virent les lanternes des gardes et les soldats couches autour du tombeau, elles eurent peur et se retournèrent un peu du coté du Golgotha. Mais Madeleine, sans penser au danger, entra précipitamment dans le jardin, et Salomé la suivit à quelque distance, c'étaient elles deux qui s'étaient principalement occupées de préparer les onguents. Les deux autres femmes furent moins hardies, et s'arrêtèrent à l'entrée. Je vis Madeleine, lorsqu'elle fut près des gardes, revenir un peu effrayée vers Salomé ; puis toutes deux ensemble, passant, non sans quelque crainte, au milieu des soldats étendus par terre, entrèrent dans la grotte du sépulcre. Elles virent la pierre déplacée, mais les portes avaient été refermées, probablement par Cassius. Madeleine les ouvrit, pleine d'émotion, fixa les yeux sur la couche sépulcrale, et vit les linges où le Seigneur avait été enseveli vides, repliés et mis de côté. Le tombeau était resplendissant, et un ange était assis à droite sur la pierre. Madeleine fut toute troublée ; je ne sais pas si elle entendit les paroles de l'ange, mais je la vis sortir rapidement du jardin et courir dans la ville vers les apôtres assemblés. Je ne sais non plus si l'ange parla à Marie Salomé, qui était restée à l'entrée du sépulcre ; je la vis, tout effrayée, sortir du jardin en grande hâte aussitôt après Madeleine, rejoindre les deux autres femmes et leur annoncer ce qui venait de se passer. Tout cela se fit précipitamment et avec un sentiment d'épouvante comme en présence d'une apparition. Le récit de Salomé troubla et réjouit à la fois les autres femmes, lesquelles hésitèrent un peu avant d'entrer dans le jardin. Mais Cassius, qui avait attendu et cherché quelque temps dans les environs, espérant peut-être voir Jésus, se rendit en ce moment même vers Pilate pour lui faire son rapport. En passant près des saintes femmes, il leur dit très brièvement ce qu'il avait vu et les exhorta à s'en assurer par leurs propres yeux. Elles prirent courage et entrèrent dans le jardin. Comme elles étaient à l'entrée du sépulcre, elles virent les deux anges du tombeau en habits sacerdotaux d'une blancheur éclatante. Elles lurent saisies de frayeur se serrèrent l'une contre l'autre, et, mettant les mains devant leurs yeux, se courbèrent jusqu'à terre. Mais un des anges leur dit de n'avoir pas peur, qu'elles ne devaient plus chercher là le Crucifié, qu'il était ressuscité et plein de vie. Il leur montra la place vide, et leur ordonna de dire aux disciples ce qu'elles avaient vu et entendu. Il ajouta que Jésus les précéderait en Galilée, et qu'elles devaient se ressouvenir de ce qu'il leur avait dit : “Le Fils de l'homme sera livré entre les mains des pécheurs ; on le crucifiera, et il ressuscitera le troisième jour”. Alors les anges disparurent. Les saintes femmes, tremblantes, mais pleines de joie, regardèrent en pleurant le tombeau et les linges, et s'en revinrent vers la ville. Mais elles étaient encore tout émues ; elles ne se pressaient pas, et s'arrêtaient de temps en temps pour voir si elle n'apercevraient pas le Seigneur, ou si Madeleine ne revenait pas.

Pendant ce temps, je vis Madeleine arriver au Cénacle ; elle était comme hors d'elle-même et frappa fortement à la porte. Plusieurs disciples étaient encore couchés le long des murs, et dormaient ; quelques-uns étaient levés et s'entretenaient ensemble. Pierre et Jean lui ouvrirent. Madeleine leur dit seulement du dehors : “On a enlevé le Seigneur du tombeau ; nous ne savons pas où on l'a mis”. Et après ces paroles, elle s'en retourna en grande hâte vers le jardin. Pierre et Jean rentrèrent dans la maison et dirent quelques mots aux autres disciples ; puis ils la suivirent en courant, Jean toutefois plus vite que Pierre. Je vis Madeleine rentrer dans le jardin et se diriger vers le tombeau, tout émue de sa course et de sa douleur. Elle était couverte de rosée ; son manteau était tombé de sa tête sur ses épaules, et ses longs cheveux dénoués et flottants. Comme elle était seule, elle n'osa pas d'abord descendre dans la grotte, mais elle s'arrêta un instant devant l'entrée ; elle s'agenouilla pour regarder jusque dans le tombeau à travers les portes, et comme elle rejetait en arrière ses longs cheveux qui tombaient sur son visage, elle vit deux anges en vêtements sacerdotaux d'une blancheur éclatante, assis aux deux extrémités du tombeau, et entendit la voix de l'un d'eux qui lui disait : “Femme, pourquoi pleures-tu ?” Elle s'écria dans sa douleur (car elle ne voyait qu'une chose, n'avait qu'une pensée, à savoir que le corps de Jésus n'était plus là) : “Ils ont enlevé mon Seigneur, et je ne sais pas où ils l'ont mis”. Après ces paroles, ne voyant que le linceul vide, elle quitta le tombeau et se mit à chercher ça et là. Il lui semblait qu'elle allait trouver Jésus : elle pressentait confusément qu'il était près d'elle, et l'apparition même des anges ne pouvait la distraire, elle ils paraissait pas s'apercevoir que c'étaient des anges ; elle ne pouvait penser qu'à Jésus. “Jésus n'est pas là ! Où est Jésus ?” Je la vis errer de côte et d'autre comme une personne qui aurait perdu son chemin. Sa chevelure tombait à droite et à gauche sur son visage. Une fois, elle prit tous ses cheveux à deux mains, puis elle les partagea en deux et les rejeta en arrière. C'est alors qu'en regardant autour d'elle, elle vit, à dix pas du tombeau, vers l'orient au lieu où le jardin monte vers la ville, une grande figure habillée de blanc apparaître entre les buissons, derrière un palmier, à la lueur du crépuscule, et comme elle courait de ce côté, elle entendit ces paroles : “Femme, pourquoi pleures-tu ? Qui cherches-tu ?” Elle crut que c'était le jardinier et, en effet, celui qui lui parlait avait une bêche à la main, et sur la tête un large chapeau qui semblait fait d'écorce d'arbre. J'avais vu sous cette forme le jardinier de la parabole que Jésus avait racontée aux saintes femmes, à Béthanie, peu de temps avant sa passion. Il n'était pas resplendissant de lumière, mais semblable à un homme habillé de blanc qu'on verrait à la lueur du crépuscule. A ces paroles : “Qui cherches-tu ?” elle répondit aussitôt : “Si c'est vous qui l'avez enlevé, dites-moi où il est, et j'irai le prendre”. Et elle se mit tout de suite à regarder de nouveau autour d'elle. C'est alors que Jésus lui dit avec son accent de voix ordinaire : “Marie !” Elle reconnut sa voix, et aussitôt, oubliant le crucifiement, la mort et la sépulture, elle se retourna rapidement, et lui dit comme autrefois : “Rabboni !” (Maître !) Elle tomba à genoux et étendit ses bras vers les pieds de Jésus. Mais le Sauveur l'arrêta d'un geste, et lui dit : “Ne me touche pas ! car je ne suis pas encore monté vers mon Père, mais va trouver mes frères, et dis-leur que je monte vers mon Père et leur Père, vers mon Dieu et leur Dieu”. Alors il disparut. Il me fut expliqué pourquoi Jésus avait dit : “Ne me touche pas !” mais je n'en ai plus un souvenir bien distinct. Je pense qu'il parla ainsi à cause de l'impétuosité de Madeleine, trop absorbée dans le sentiment qu'il vivait de la même vie qu'auparavant, et que tout était comme autrefois. Quant aux paroles de Jésus : “Je ne suis pas encore monté vers mon Père”, il me fut expliqué qu'il ne s'était pas encore présenté à son Père céleste après sa résurrection, et qu'il ne l'avait pas encore remercié pour sa victoire sur la mort et pour l'œuvre accomplie de la Rédemption. C'était comme s'il eût dit que les prémices de la joie appartenaient à Dieu, qu'elle devait d'abord se recueillir et remercier Dieu pour l'accomplissement du mystère de la Rédemption : car elle avait voulu embrasser ses pieds comme autrefois ; elle n'avait pense à rien qu'à son maître bien-aimé, et elle avait oublié, dans l'emportement de son amour, le miracle qui était sous ses yeux. Je vis Madeleine, après la disparition du Seigneur, se relever promptement, et, comme si elle avait fait un rêve, courir de nouveau au sépulcre. Là, elle vit les deux anges assis : ils lui dirent ce qu'ils avaient dit aux deux autres femmes touchant la résurrection de Jésus. Alors, sûrs du miracle et de ce qu'elle avait vu, elle se hâta de chercher ses compagnes, et elle les trouva sur le chemin qui menait au Calvaire ; elles y erraient de côté et d'autre, toutes craintives, attendant le retour de Madeleine et ayant une vague espérance de voir quelque part le Seigneur.

Toute cette scène ne dura guère que deux minutes ; il pouvait être trois heures et demie du matin quand le Seigneur lui apparut, et elle était à peine sortie du jardin que Jean y entra, et Pierre un instant après lui. Jean s'arrêta à l'entrée du caveau ; se penchant en avant, il regarda par la porte entrouverte du tombeau et vit le linceul vide. Pierre arriva alors et descendit dans la grotte, jusque devant le tombeau : il y vit les linges repliés des deux côtés vers le milieu : les aromates y étaient enveloppées et la bande de toile roulée autour : le linge qui avait couvert la face était également plié et déposé à droite contre la paroi. Jean alors suivit de Pierre, vit tout cela et crut à la résurrection. Ce que Jésus leur avait dit, ce qui était dans les Écritures devenait clair pour eux maintenant, et jusqu'alors ils ne l'avaient pas compris. Pierre prit les linges sous son manteau, et ils s'en revinrent en courant par la petite porte de Nicodème, Jean courut encore en avant de Pierre.

J'ai vu le sépulcre avec eux et avec Madeleine, et chaque fois j'ai vu les deux anges assis à la tête et aux pieds, comme aussi tout le temps que le corps de Jésus fut dans le tombeau. Il me sembla que Pierre ne les vit pas. J'entendis plus tard Jean dire aux disciples d'Emmaüs que, regardant d'en haut, il avait aperçu un ange. Peut-être l'effroi que lui causa cette vue fut-il cause qu'il se laissa devancer par Pierre, et peut-être aussi n'en parle-t-il pas dans son Évangile par humilité, pour ne pas dire qu'il a vu plus que Pierre.

Je vis en ce moment seulement les gardes étendus par terre se relever et reprendre leurs piques et leurs lanternes. Ces dernières, placées sur des perches à l'entrée de la grotte, avaient quelque peu éclairé l'intérieur. Les gardes, frappés de stupeur, sortirent en hâte du jardin et gagnèrent la porte de la ville. Pendant ce temps, Madeleine avait rejoint les saintes femmes, et leur racontait qu'elle avait vu la Seigneur dans le jardin, et ensuite les anges. Ses compagnes lui répondirent qu'elles avaient aussi vu les anges. Madeleine courut alors à Jérusalem, et les saintes femmes retournèrent du côté du jardin où elles croyaient peut-être trouver les deux apôtres. Je vis les gardes passer devant elles et leur adresser quelques paroles. Comme elles approchaient du jardin, Jésus leur apparut revêtu d'une longue robe blanche qui couvrait jusqu'à ses mains, et leur dit : “Je vous salue”. Elles tressaillirent, tombèrent à ses pieds et semblèrent vouloir les embrasser ; toutefois je ne me rappelle pas bien distinctement cette dernière circonstance. Je vis que le Seigneur leur adressa quelques paroles, sembla leur indiquer quelque chose avec la main, et disparut.

Alors elles coururent en hâte au Cénacle, et rapportèrent aux disciples qu'elles avaient vu le Seigneur et ce qu'il leur avait dit. Ceux-ci d'abord ne voulaient croire ni elles, ni Madeleine, et traitèrent tout ce qu'elles leur dirent d'imaginations de femmes jusqu'au retour de Pierre et de Jean.

Comme Jean et Pierre que l'étonnement avaient rendus tout pensifs s'en revenaient, ils rencontrèrent Jacques le Mineur et Thaddée qui avaient voulu les suivre au tombeau, et qui étaient aussi très émus, car le Seigneur leur était apparu prés du Cénacle. l'avais aussi vu Jésus passer devant Pierre et Jean, et Pierre me parut l'avoir aperçu, car il sembla saisi d'une terreur subite. Je ne sais pas si Jean le reconnut.

Dans ces visions relatives à la Résurrection, ou d'autres apparitions, je vis souvent, soit à Jérusalem, soit ailleurs, le Seigneur Jésus en présence de diverses personnes, sans remarquer que celles-ci le voient aussi. Quelquefois je vois les uns frappés d'un effroi soudain et saisis d'étonnement, tandis que les autres restent indifférents. Il me semble que je vois toujours le Seigneur, mais je remarque en même temps que les hommes ne le voyaient alors qu'à certains moments. Je vis de même continuellement les deux anges en habits sacerdotaux se tenir dans l'intérieur du sépulcre, à partir du moment où le Seigneur y fut déposé ; je vis aussi que les saintes femmes, tantôt ne les voyaient pas, quelquefois n'en voyaient qu'un, tantôt les voyaient tons doux. Les anges qui parlèrent aux femmes étaient les anges du tombeau. Un seul d'entre eux leur parla, et comme la porte n'était qu'entrouverte, elles ne virent pas l'autre. L'ange qui descendit comme un éclair, rejeta la pierre du tombeau et s'assit dessus, parut sous la figure d'un guerrier. Cassius et les gardes le virent au commencement assis sur la pierre. Les anges qui parlèrent ensuite étaient les anges du tombeau ou l'un d'eux. Je ne me souviens plus pour quelle raison tout cela se fit ainsi : quand je le vis, je n'en fus pas surprise, car alors ces choses paraissent toutes simples et rien ne semble étrange.

LXVII
RAPPORT DES GARDES SUR LE TOMBEAU

Cassius était venu trouver Pilate environ une heure après la résurrection. Le gouverneur romain était encore couché, et on fit entrer Cassius prés de lui. Il lui raconta tout ce qu'il avait vu avec une grande émotion, lui parla du rocher ébranlé, de la pierre repoussés par un ange, des linceuls restés vides : il ajouta que Jésus était certainement le Messie et le Fils de Dieu, qu'il était ressuscité et qu'il n'était plus là. Il parla encore de diverses autres choses qu'il avait vues. Pilate écouta ce récit avec une terreur secrète, mais il n'en laissa rien voir, et dit à Cassius : “Tu es un superstitieux, tu as follement agit en allant te mettre près du tombeau du Galiléen ; ses dieux ont pris avantage sur toi, et t'ont fait voir toutes ces visions fantastiques ; je te conseille de ne pas raconter cela aux Princes des prêtres, car ils te feraient un mauvais parti”. Il fit aussi semblant de croire que le corps de Jésus avait été dérobé par ses disciples et que les gardes racontaient la chose autrement, soit pour s'excuser et cacher leur négligence, soit pares qu'ils avaient été trompés par des sortilèges. Quand il eût parlé quelque temps sur ce ton, Cassius le quitta, et Pilate alla sacrifier à ses dieux.

Quatre soldats vinrent bientôt faire le même récit à Pilate ; mais il ne s'expliqua pas avec eux et les renvoya à Caïphe. Je vis une partie de la garde dans une grande cour voisine du Temple où étaient rassemblés beaucoup de vieux Juifs. Après quelques délibérations, on prit les soldats un à un, et, à force d'argent et de menaces, on les poussa à dire que les disciples avaient enlevé le corps de Jésus pendant leur sommeil. Ils objectèrent d'abord que leurs compagnons qui étaient allés chez Pilate les contrediraient, et les Pharisiens leur promirent d'arranger la chose avec le gouverneur. Mais lorsque les quatre gardes arrivèrent, ils ne voulurent pas dire autrement qu'ils n'avaient fait chez Pilate. Le bruit s'était déjà répandu que Joseph d'Arimathie était sorti miraculeusement de sa prison, et comme les Pharisiens donnaient à entendre que ces soldats avaient été subornés pour laisser enlever le corps de Jésus et leur faisaient de grandes menaces, s'ils ne le représentaient pas, ceux-ci répondirent qu'il ne pouvaient pas plus représenter ce corps, que les gardes de la prison ne pouvaient représenter Joseph d'Arimathie. Ils persévérèrent dans leurs dires et parlèrent si librement du jugement inique de l'avant veille, et de la manière dont la Pâque avait été interrompue. qu'on les arrêta et qu'on les mit en prison. Les autres répandirent le bruit que Jésus avait été enlevé par ses disciples et ce mensonge fut propagé par les Pharisiens, les Sadducéens et les Hérodiens : il eut cours dans toutes les synagogues où on l'accompagna d'injures contre Jésus.

Toutefois cette imposture ne réussit pas généralement, car après la résurrection de Jésus, beaucoup de justes de l'ancienne loi apparurent de nouveau à plusieurs de leurs descendants qui étaient encore capables de recevoir la grâce, et les poussèrent à se convertir à Jésus. Plusieurs disciples qui s'étaient dispersés dans le pays et dont le courage était abattu, virent aussi des apparitions semblables qui les consolèrent et les confirmèrent dans la foi.

L'apparition des morts qui sortirent de leurs tombeaux après la mort de Jésus ne ressemblait en rien à la résurrection du Seigneur. Jésus ressuscita avec son corps renouvelé et glorifié, qui n'était plus sujet à la mort et avec lequel il monta au ciel sous les yeux de ses amis. Mais ces corps sortis du tombeau n'étaient que des cadavres sans mouvement, donnés un instant pour vêtement aux âmes qui les avait habités, et qu'elles replacèrent dans le sein de la terre, d'où ils ne ressusciteront comme nous tous qu'au jugement dernier. Ils étaient moins ressuscités d'entre les morts que Lazare qui vécut réellement et dut mourir une seconde fois.

LXVIII
FIN DE CES MEDITATIONS POUR LE CAREME

“Le dimanche suivant [34], si je ne me trompe, je vis les Juifs laver et purifier le Temple. Ils y jetèrent des herbes et des cendres d'os de morts, offrirent des sacrifices expiatoires, enlevèrent les décombres, cachèrent les traces du tremblement de terre avec des planches et des tapis, et reprirent celles des cérémonies de la Pâque qui n'avaient pas pu être accomplies le jour même.

          Ils s'efforcèrent de mettre un terme à tous les propos et à tous les murmures, en déclarant que l'interruption de la fête et les dégâts opérés dans le Temple, avaient été le résultat du tremblement de terre et de l'assistance au sacrifice de personnes impures. Ils appliquèrent, je ne sais pas bien comment, à ce qui s'était passé, une vision d'Ézéchiel sur la résurrection des morts. Ils obtinrent ainsi le silence d'autant plus aisément qu'un grand nombre de gens avaient été complices du crime. Du reste, ils menacèrent de peines graves ceux qui parleraient ou murmureraient : toutefois, ils ne calmèrent que la portion du peuple la plus grossière et la moins morale : les meilleurs se convertirent d'abord en silence, puis ouvertement après la Pentecôte, ou plus tard, revenus chez eux, lorsque les apôtres vinrent y prêcher. Les Princes des prêtres devinrent de moins en moins arrogants à la vue de la rapide propagation de la doctrine de Jésus. Au temps du diaconat d'Étienne, Ophel tout entier et la partie orientale de Sion ne pouvaient plus contenir la communauté chrétienne, dont une partie dut occuper sous des baraques et des tentes l'espace qui s'étend de la ville à Béthanie. Je vis, en ces jours-là, Anne comme possédé du démon on l'enferma et il ne reparut plus. Caïphe était comme un fou furieux, tant la rage secrète qui l'animait était violente”.

          Le jeudi après Pâques, elle dit :

          “J'ai vu aujourd'hui Pilate faire chercher inutilement sa femme. Je vis ensuite qu'elle était cachée dans la maison de Lazare, à Jérusalem. On ne pouvait le deviner, car il n'y avait point de femmes logées là ; c'était Étienne, encore peu connu comme disciple, qui allait quelquefois la visiter : il lui apportait sa nourriture et des nouvelles du dehors, et la préparait à la connaissance de l'Évangile. Étienne était cousin de Paul : ils étaient fils des deux frères. Simon de Cyrène vint trouver les apôtres après le sabbat, demandant à être baptisé et admis dans la communauté chrétienne”.

          Ici se termine le récit de ces visions, qui dura depuis 18 février jusqu'au 6 avril 1823, jeudi de la semaine après Pâques.

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NOTES

[34] Elle raconta ceci un peu plus tard, et il est difficile de savoir si elle veut parler du jour même de la Résurrection ou du premier dimanche après Pâques.

FIN DU LIVRE
" LA PASSION DE NOTRE SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST "

 

 

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