VIE DE LA SAINTE VIERGE

D'APRÈS LES MÉDITATIONS
D'ANNE CATHERINE EMMERICH

Publiées en 1854
Traduction de l'Abbé DE CAZALES

DEUXIÈME PARTIE

LV
La naissance du Christ annoncée en divers lieux.

Au moment de la naissance de Jésus, mon âme fit d'innombrables voyages dans toutes les directions pour voir divers événements miraculeux qui annonçaient la naissance de notre Sauveur ; mais, comme j'étais malade et fatiguée, il me sembla souvent que les tableaux venaient à moi. J'ai vu un grand nombre de choses arrivées à cette occasion ; mais les souffrances et les dérangements m'en ont fait oublier la plupart : je ne me souviens guère que de ce qui suit.

Je vis cette nuit, dans le temple, Noémi, la maîtresse de la sainte Vierge, ainsi que la prophétesse Anne et le vieux Siméon, à Nazareth sainte Anne, à Juttah sainte Élisabeth, avoir des visions et des révélations sur la naissance du Sauveur. Je vis le petit Jean-Baptiste, près de sa mère, manifester une joie extraordinaire. Tous virent et reconnurent Marie dans ces visions, mais ils ne savaient pas où le miracle avait eu lieu, Elisabeth même l'ignorait ; sainte Anne seule savait que Bethléem était le lieu du salut.

Je vis cette nuit, dans le temple, un événement merveilleux. Tous les rouleaux d'écriture des saducéens furent plusieurs fois jetés hors des armoires qui les contenaient, et dispersés ça et là. On en fut très effrayé : les saducéens l'attribuèrent à la sorcellerie, et donnèrent beaucoup d'argent pour que la chose restât secrète. (Elle raconta ici quelque chose d'assez peu clair sur les fils d'Hérode qui étaient saducéens, et qu'il avait placés dans le temple, parce qu'il était en lutte avec les pharisiens, et cherchait à prendre de l'influence dans le temple.)

J'ai vu bien des choses se passer à Rome pendant cette nuit ; mais d'autres tableaux m'en ont fait oublier une grande partie, et il est possible que je fasse quelque confusion. Voici à peu près ce dont je me souviens. Je vis, lorsque Jésus naquit, un quartier de Rome situé au delà du fleuve, et où habitaient beaucoup de Juifs (ici, elle décrivit un peu confusément un lieu qui ressemblait à une colline entourée d'eau et qui formait une sorte de presqu'île) ; il y jaillit comme une source d'huile, et tout le monde en fut fort émerveillé.

Une statue magnifique de Jupiter tomba en morceaux dans un temple dont toute la voûte s'écroula. Les paiens, effrayés, tirent des sacrifices et demandèrent à une autre idole, celle de Vénus, à ce que je crois, ce que cela voulait dire. Le démon fut forcé de répondre par la bouche de cette statue : " Cela est arrivé parce qu'une vierge a conçu un fils sans cesser d'être vierge, et qu'elle vient de le mettre au monde ". Cette idole parla aussi de la source d'huile qui avait jailli. Dans l'endroit où elle est sortie de terre, s'élève aujourd'hui une église consacrée à la Mère de Dieu'.

Je vis les prêtres des idoles consternés faire des enquêtes à ce sujet. Soixante-dix ans auparavant, lorsqu'on revêtit cette idole d'ornements magnifiques, couverts d'or et de pierreries, et qu'on lui offrit des sacrifices solennels, il y avait à Rome une bonne et pieuse femme : le ne sais plus bien si elle n'était pas Juive. Son nom était comme Serena ou Cyrena ; elle avait une certaine aisance ; elle eut des visions à la suite desquelles elle prophétisa ; elle dit publiquement aux païens qu'ils ne devaient pas rendre de si grands honneurs à l'idole de Jupiter, ni faire de si grands frais pour elle, parce qu'elle devait un jour se briser au milieu d'eux.

Sainte Marie au delà du Tibre porte aussi le nom de Sancta Maria in Fonte Olei, par suite d'une tradition conforme à cette vision de la soeur Emmerich. (Note du trad.)

Les prêtres la firent venir et sur demandèrent quand cela arriverait ; et, comme elle ne pouvait pas alors fixer l'époque, on l'emprisonna et on la persécuta jusqu'à ce qu'enfin Dieu lui fit connaître que l'idole se briserait quand une vierge pure mettrait un fils au monde. Lorsqu'elle fit cette réponse, on se moqua d'elle et on la relâcha comme étant folle. Mais lorsque le temple, en s'écroulant, mit réellement l'idole en pièces, ils reconnurent qu'elle avait dit la vérité, et s'étonnèrent seulement de ce qui avait- été dit pour fixer l'époque où la chose arriverait, parce que naturellement ils ne savaient pas que la sainte Vierge eût mis le Christ au monde.

Je vis aussi que les magistrats de la ville de Rome prirent des informations sur cet événement et sur l'apparition de la source d'huile. L'un d'eux s'appelait Lentulus ; il fut l'aïeul de Moise, prêtre et martyr, et de ce Lentulus qui devint plus tard l'ami de saint Pierre à Rome.

Je vis aussi quelque chose touchant l'empereur Auguste, mais je ne m'en souviens plus bien. Je vis l'empereur avec d'autres personnes sur une colline de Rome, à l'un des côtés de laquelle était le temple qui s'était écroulé. Des degrés conduisaient au haut de cette colline, et il s'y trouvait une porte dorée. On traitait là beaucoup d'affaires. Quand l'empereur descendit, il vit à droite, au-dessus de la colline, une apparition dans le ciel : c'était une vierge sur un arc-en-ciel, avec un enfant suspendu en l'air et qui semblait sortir d'elle'. Je crois qu'il fut le seul à voir cela. Il fit consulter, sur la signification de cette apparition, un oracle qui était devenu muet, et qui pourtant parla d'un enfant nouveau-né auquel ils devaient tous céder la place. L'empereur fit alors ériger un autel à l'endroit de la colline au-dessus duquel il avait vu l'apparition ; et, après avoir offert des sacrifices :, il le dédia au premier-né de Dieu. J'ai oublié une grande partie de tout cela.

Ce fut vraisemblablement la même apparition que virent les rois mages à l'heure de la naissance de Jésus, et qui est décrite plus loin.

Je vis aussi en Egypte un évènement qui annonçait la naissance du Christ. Bien au delà de Matarée, d'Héliopolis et de Memphis, une grande idole, qui rendait ordinairement des oracles de toute espèce, devint muette. Alors le roi fit faire des sacrifices dans tout le pays afin que l'idole pût dire pourquoi elle se taisait. L'idole fut forcée par Dieu à répondre qu'elle se taisait et devait disparaître, parce que le Fils de la Vierge était né, et qu'un temple lui serait élevé en cet endroit. Le roi voulut là-dessus lui élever, en effet, un temple près de celui de l'idole. Je ne me souviens plus bien de tout ce qui arriva ; je sais seulement que l'idole fut retirée, et qu'on dédia là un temple à la Vierge annoncée et à son enfant ; on l'y honora à la manière païenne.

Je vis à l'heure de la naissance de Jésus une apparition merveilleuse qu'eurent les rois mages. Ils étaient adorateurs des astres, et avaient sur une montagne une tour en forme de pyramide, où l'un d'eux se tenait toujours avec plusieurs prêtres pour observer les étoiles. Ils écrivaient leurs observations et se les communiquaient mutuellement. Pendant cette nuit, je crois avoir vu deux des rois mages sur cette tour. Le troisième, qui demeurait à l'orient de la mer Caspienne, n'était pas avec eux. C'était une constellation déterminée qu'ils observaient toujours ; ils y voyaient de temps en temps des changements avec des apparitions dans le ciel. Cette nuit, je vis l'image dont ils eurent connaissance. Ce ne fut pas dans une étoile qu'ils la virent, mais dans une figure composée de plusieurs étoiles parmi lesquelles il semblait s'opérer un mouvement.

Ils virent un bel arc-en-ciel au-dessus du croissant de la lune. Sur cet arc-en-ciel était assise une vierge. Son genou gauche était légèrement relevé ; sa jambe droite était plus allongée, et le pied reposait sur le croissant. Du côté gauche de la Vierge, au dessus de l'arc-en-ciel, parut un cep de vigne, et du côté droit un bouquet d'épis de blé. Je vis devant la Vierge paraître ou monter la figure d'un calice, semblable à celui qui servit pour la sainte cène. Je vis sortir de ce calice un enfant, et au-dessus de l'enfant un disque lumineux, pareil à un ostensoir vide, duquel partaient des rayons semblables à des épis. Cela me fit penser au saint sacrement. Du côté droit de l'enfant sortit une branche à l'extrémité de laquelle se montra, comme une fleur, une église octogone qui avait une grande porte dorée et deux petites portes latérales. La Vierge, avec sa main droite, fit entrer le calice, l'enfant et l'hostie dans l'église, dont je vis l'intérieur, et qui alors me parut très grande. Je vis dans le fond une manifestation de la sainte Trinité ; puis l'église se transforma en une cité brillante, semblable aux représentations de la Jérusalem céleste.

Je vis dans ce tableau beaucoup de choses se succéder et naître, pour ainsi dire, les unes des autres pendant que je regardais dans l'intérieur de l'église dont j'ai parlé ; mais je ne me souviens plus dans quel ordre. Je ne me rappelle pas non plus de quelle manière les rois mages furent instruits que l'enfant était né en Judée. Le troisième roi, qui demeurait à une grande distance, vit l'apparition à la même heure que les autres. Les rois éprouvèrent une joie inexprimable. Ils rassemblèrent leurs trésors et leurs présents et se mirent en route. Ce ne fut qu'au bout de quelques jours qu'ils se rencontrèrent. Dès les derniers jours qui précédèrent la naissance du Christ, je les vis sur leur grand observatoire, où ils eurent différentes visions.

Combien a été grande la miséricorde de Dieu envers les paiens ! Savez-vous d'où cette prophétie était venue aux rois mages ? Je vous en dirai seulement quelque chose, car tout ne m'est pas présent en ce moment. Cinq cents ans avant la naissance du Messie (Elie vivait environ huit cents ans avant Jésus-Christ), les ancêtres des trois rois étaient riches et puissants : ils l'étaient plus que leurs descendants, car leurs possessions étaient plus étendues et leur héritage était moins divisé. Alors aussi ils vivaient sous la tente, excepté l'ancêtre établi à l'orient de la mer Caspienne, dont je vois maintenant la ville. Elle a des substructions en pierre au haut desquelles sont dressés des pavillons, car elle est près de la mer qui déborde souvent. Il y a des montagnes très élevées : je vois deux mers, l'une à ma droite et l'autre à ma gauche.

Ces chefs de race étaient dès lors adorateurs des étoiles ; mais il y avait en outre dans ce pays un culte abominable. On sacrifiait des vieillards et des hommes mal conformés on immolait aussi des enfants. Ce qu'il y avait de plus horrible, c'est que ces enfants, habillés de blanc, étaient mis dans des chaudières et qu'on les faisait bouillir tout vivants ; mais tout cela finit par être aboli. C'était à ces aveugles paiens que Dieu, si longtemps d'avance, avait annoncé la naissance du Sauveur.

Ces princes avaient trois filles, versées dans la connaissance des astres : toutes trois reçurent en même temps l'esprit de prophétie, et connurent par une vision qu'une étoile sortirait de Jacob et qu'une vierge enfanterait le Sauveur. Elles avaient de longs manteaux, parcouraient le pays, prêchaient la réforme des moeurs, et annonçaient que les envoyés du Rédempteur viendraient un jour apporter à ces peuples le culte du vrai Dieu. Elles faisaient beaucoup d'autres prédictions, même relatives à notre époque et à des époques plus éloignées. Là-dessus, les pères de ces trois vierges élevèrent un temple à la future mère de Dieu, vers le midi de la mer, à l'endroit où leurs pays se touchaient, et ils y offrirent des sacrifices La prédiction des trois vierges parlait spécialement d'un. constellation et de divers changements qu'on y verrait. Alors on commença à observer cette constellation du haut d'une colline, prés du temple de la future mère d Dieu, et d'après les observations qu'on faisait, on changeait continuellement quelque chose dans les temples, dans le culte et dans les ornements. Le pavillon du temple était tantôt bleu, tantôt rouge, tantôt jaune ou de quelque autre couleur. Ce qui me parut remarquable, c'est qu'ils transportèrent leur jour de fête hebdomadaire au samedi. C'était auparavant le vendredi : je sais encore comment ils appelaient ce jour. Ici elle balbutia quelque chose comme Tanna ou Tanneda, mais sans prononcer bien distinctement'.

Ici il y eut dans son discours une interruption soudaine d'une nature si particulière que nous la raconterons comme propre à caractériser son état. Ce fut le 27 novembre 1821, un peu avant six heures du soir, qu'elle dit ce qui précède, étant endormie. Il ne faut pas oublier que depuis plusieurs années elle avait les pieds paralysés ; que, loin de pouvoir marcher, elle ne pouvait qu'à grand peine se mettre sur son séant, et qu'elle était alors, comme toujours, étendue sur son lit : la porte de sa chambre était ouverte sur une pièce antérieure où son confesseur était assis, disant son bréviaire à la lueur une lampe. Elle avait dit ce qui précède avec une telle vérité d'expression, qu'il était impossible de croire que toutes ces choses ne se passassent pas devant ses yeux. Mais à peine eut-elle balbutié le mot Tanneda, que tout d'un coup la paralytique endormie sauta de son lit avec la rapidité de l'éclair, se précipita dans la pièce antérieure, et remua vivement les pieds et les mains du côté de la fenêtre comme une personne qui lutte et se détend ; puis elle dit à son confesseur : "Ah ! le coquin ! il était bien grand, mais je l'ai chassé à coups de pied "Après ces mot. elle tomba comme en défaillance et resta par terré en travers de la fenêtre, dans une posture grave et modeste. Le prêtre, quoique aussi étonné que l'écrivain de cet incident extraordinaire, ne lui dit autre chose que ceci : " Au nom de l'obéissance, soeur Emmerich, retournez à votre couche. "Aussitôt elle se releva, rentra dans sa chambre et s'étendit de nouveau sur son lit. L'écrivain lui ayant alors demandé ce que c'était que cette singulière aventure, elle raconta ce qui suit, étant bien éveillée et en pleine connaissance. Quoique fatiguée, elle parla avec l'humeur joyeuse d'une personne qui vient de remporter une victoire : "Oui, c'était bien singulier : comme j'étais si loin, si loin dans le pays des rois mages, au haut de la chaîne de montagnes qui est entre les deux mers, et comme je regardais dans leurs villes formées de tentes de même qu'on regarde de la fenêtre dans la basse cour, je me sentis tout à coup rappelée à la maison par mon ange gardien. Je me retournai, et je ils ici, à Dulmen, devant notre maisonnette, passer une pauvre vieille femme de ma connaissance, retenant d'une boutique. Eue était exaspérée, pleine de malice ; elle grondait et jurait horriblement. Je vis alors son ange gardien s'éloigner, et une grande et sombre figure de démon se mettre en travers sur son chemin pour la faire tomber afin qu'elle se rompit le cou et mourut ainsi en état de péché. Quand je vis cela, je laissai les trois rois, priai ardemment le bon Dieu de secourir la pauvre femme, et me retrouvai dans ma chambre. Je vis alors que le diable furieux se précipitait vers la fenêtre et voulait entrer dans la chambre. avant dans ses griffes un gros paquet de lacets et de cordes entortillées ; car il voulait, pour se venger, ourdir avec tout cela des intrigues et susciter ici tonte sorte de troubles. Alors je me suis précipitée et lui ai donné un coup de pied qui l'& fait tomber en arrière : Je crois qu'il s'en souviendra. Je me suis mise en travers devant la fenêtre pour l'empêcher d'entrer ". C'est là assurément quelque chose de très étrange : pendant qu'elle regarde du haut du Caucase et raconte des choses arrivées cinq siècles avant Jésus-Christ comme d'elles se passaient sous ses yeux, elle voit en même temps le danger que court devant sa porte une pauvre vieille de son pays et s'empresse de voler à son secours. Il était effrayant de la voir se précipiter comme un squelette animé et se mettre en défense avec tant de vivacité, elle qui depuis le 8 septembre pouvait à peine faire deux pas sur des béquilles sans tomber en défaillance.

La soeur Vit dans la nuit de la Nativité beaucoup de choses touchant la détermination précise du temps de la naissance du Christ ; mais son état de maladie et les visites qu'on lui fit le jour Suivant, qui était la fête de sa patronne, Sainte Catherine' lui en firent beaucoup oublier. Cependant, peu de temps après, se trouvant en état d'extase, elle Communiqua quelques fragments de ses visions, où il est à remarquer qu'elle voyait toujours les nombres écrits en chiffres romains, et qu'elle avait souvent de la peine à les lire ; mais elle les expliquait en répétant le nom des lettres dans l'ordre Ou elle les voyait Ou en les traçant avec Ses doigts. Cette fois pourtant elle dit les chiffres.

Vous pouvez le lire, dit-elle ; voyez, C'est marque là. Jésus Christ est né avant que l'an 3907 du monde fût accompli ; on a oublié postérieurement les quatre années, moins quelque chose, écoulées depuis sa naissance jusqu'à la fin de l'an 4000 ; puis ensuite on a fait commencer notre nouvelle ère quatre ans plus tard.

Un des consuls de nome s'appelait alors Lentulus ; il fut l'ancêtre de Saint Moise, prêtre et martyr, dont j'ai ici une relique, et qui vivait du temps de saint Cyprien. C'est aussi de lui que descendait ce Lentulus qui devint l'ami de saint Pierre, à Rome. Hérode a régné quarante ans. Pendant sept ans, il ne fut pas indépendant, mais il opprima déjà le pays et exerça beaucoup de cruautés. Il mourut, si je ne me trompe ; dans la sixième année de la vie de Jésus. Je crois que sa mort fut tenue secrète pendant un certain temps '. Il fut sanguinaire jusque dans sa mort, et dans ses derniers jours il fit encore bien du mal. Je le vis se traîner dans une grande chambre toute matelassée ; il avait une lance près de lui et voulait en frapper les gens qui l'approchaient. Jésus naquit à peu près la trente-quatrième année de son règne.

Deux ans avant l'entrée de Marie au temple, Hérode y fit faire des constructions. Ce n'était pas un nouveau temple qu'on faisait, c'étaient des changements et des embellissements. La faite en Égypte eut lieu quand Jésus avait neuf mois, et le massacre des innocents quand il était dans sa deuxième année. Elle mentionna encore plusieurs circonstances et plusieurs traits de la vie d'Hérode, qui prouvaient combien elle voyait tout dans le détail ; mais il ne fut pas possible de mettre en ordre ce qu'elle avait raconté à bâtons rompus.

La naissance de Jésus-Christ eut lieu dans une année où les Juifs comptaient treize mois. C'était un arrangement analogue à celui de nos années bissextiles. Je crois aussi que les Juifs avaient deux fois dans l'année des mois de vingt et un de vingt-deux jours ; j'ai entendu quelque chose à ce sujet à propos des jours de fête, mais je n'en ai qu'un souvenir confus. J'ai vu aussi que, plusieurs fois, on fit des changements dans le calendrier : ce fut au sortir d'une captivité, quand on travailla au temple. J'ai vu l'homme qui changea le calendrier, et j'ai su son nom.

Ou peut-être ce fut le mort du second Hérode, touchant lequel elle dit quelque chose de semblable et qu'elle paraissait confondre quelquefois avec celui-ci.

LVI
Adoration des bergers.

(Le dimanche, 25 novembre)

Aux premières lueurs du crépuscule, les trois chefs des bergers vinrent de la colline à la grotte de la Crèche avec les présents qu'ils avaient préparés. C'étaient de petits animaux qui ressemblaient assez à des chevreuils. Si c'étaient des chevreaux, ils différaient de ceux de notre pays : ils avaient de longs cous, de beaux yeux fort brillants ; ils étaient très gracieux et très légers à la course. Les bergers les conduisaient avec eux attachés à des cordes menues. Ils portaient aussi sur leurs épaules des oiseaux qu'ils avaient tués, et sous le bras d'autres oiseaux vivants de plus grande taille.

Ils frappèrent timidement à la porte de la grotte de la Crèche, et Joseph vint à leur rencontre. Ils lui répétèrent ce que les anges leur avaient annoncé, et lui dirent qu'ils venaient rendre leurs hommages à l'enfant de la promesse et lui présenter leurs pauvres offrandes. Joseph accepta leurs présents avec une humble gratitude, et il les conduisit à la sainte Vierge, qui était assise près de la crèche et tenait l'Enfant-Jésus sur ses genoux. Les trois bergers s'agenouillèrent humblement, et restèrent longtemps en silence, absorbés dans un sentiment de joie indicible ; ils chantèrent ensuite le cantique qu'ils avaient entendu chanter aux anges, et un psaume que j'ai oublié. Quand ils voulurent se retirer, la sainte Vierge leur donna le petit Jésus, qu'ils tinrent tour à tour dans leurs bras ; puis ils le lui rendirent en pleurant, et quittèrent la grotte.

(Le dimanche, 25 novembre, dans la soirée.)

La soeur avait été toute cette journée dans de grandes souffrances physiques et morales. Le soir, à peine endormie, elle se trouva transportée dans la terre promise. Comme, indépendamment de ses contemplations sur la Nativité, elle avait, en outre, une série de visions sur la première année de la prédication de Jésus, et, précisément à cette époque, sur son jeûne de quarante jours, elle s'écria avec un étonnement naïf : " Combien cela est touchant ! Je vois, d'un côté, Jésus, âgé de trente ans, jeûnant et tenté par le diable dans la caverne du désert, et de l'autre côté, je le vois, enfant nouveau-né, adoré par les bergers dans la grotte de la Crèche ". Après ces paroles, elle se leva de sa couche avec une rapidité surprenante, courut à la porte ouverte de sa chambre, et, comme ivre de joie, elle appela les amis qui se trouvaient dans la pièce antérieure, leur disant : " Venez, venez vite adorer l'enfant, il est près de moi ". Elle revint à son lit avec la même vitesse et commença, le visage rayonnant d'enthousiasme et de ferveur, à chanter, d'une voix claire et singulièrement expressive, le Magnificat, le Gloria in excelsis, et quelques cantiques inconnus, d'un style simple, d'un sens profond, et en partie rimés. Elle chanta le second dessus d'un de ces airs. il' avait en elle une émotion de joie qui était singulièrement touchante. Voici ce qu'elle raconta dans la matinée suivante :

"Hier soir, plusieurs bergers, avec leurs femmes et même leurs enfants, sont venus de la tour des bergers, qui est à quatre lieues de la crèche. Ils portaient des oiseaux, des oeufs, du miel, des écheveaux de fil de différentes couleurs, des petits paquets qui ressemblaient à de la soie brute, et des bouquets d'une plante ressemblant au jonc et qui a de grandes feuilles. Cette plante avait des épis pleins de gros grains. Quand ils eurent remis leurs présents à Joseph, ils s'approchèrent humblement de la crèche, près de laquelle la sainte Vierge était assise. Ils saluèrent la mère et l'enfant, al, s'étant agenouillés, ils chantèrent de très beaux psaumes, le Gloria in excelsis, et quelques cantiques très courts. Je chantai avec eux. Ils chantèrent à plusieurs parties, et je fis une fois le second dessus. Je me souviens à peu près des paroles suivantes : " O petit enfant, vermeil comme la rose, tu parais, semblable à un messager de paix " ! Quand ils prirent congé, ils se courbèrent au-dessus de la crèche, comme s'ils embrassaient le petit Jésus.

(Le lundi, 26 novembre.)

J'ai vu aujourd'hui les trois bergers aider tour à tour saint Joseph à tout disposer plus commodément dans la grotte de la Crèche et dans les grottes latérales. Je vis aussi, près de la sainte Vierge, plusieurs femmes pieuses qui lui rendaient divers services. C'étaient des Esséniennes, qui demeuraient à peu de distance de la grotte de la Crèche, dans une gorge située au levant de la colline. Elles habitaient, les unes près des autres, des espèces de chambres creusées dans le roc à une assez grande hauteur. Elles avaient de petits jardins près de leurs demeures, et instruisaient des enfants de leur secte. C'était saint Joseph qui les avait fait venir. Il connaissait cette association depuis sa jeunesse ; car, lorsqu'il fuyait ses frères dans la grotte de la Crèche, il avait plus d'une fois visité ces pieuses femmes. Elles venaient tour à tour près de la sainte Vierge, apportaient de petites provisions et s'occupaient des soins du ménage pour la sainte Famille.

(Le mardi, 27 novembre.)

Je vis aujourd'hui une scène très touchante dans la grotte de la Crèche. Joseph et Marie se tenaient près de la crèche et regardaient l'Enfant-Jésus avec un profond attendrissement. Tout à coup l'âne se jeta sur ses genoux et courba sa tête jusqu'à terre. Marie et Joseph versèrent des larmes.

Le soir, il vint un message de la part de sainte Anne. Un homme âgé vint de Nazareth avec une veuve, parente d'Anne et qui la servait. Ils apportaient différents petits objets pour Marie. Ils furent extraordinairement touchés à la vue de l'enfant. Le vieux serviteur versa des larmes de joie. Il se remit bientôt en route pour porter des nouvelles à sainte Anne. La servante resta près de la sainte Vierge.

(Le mercredi, 28 novembre.)

Je vis aujourd'hui la Sainte Vierge avec l'Enfant-Jésus et la servante quitter la grotte de la Crèche pendant quelques heures'.

A ceci se rapporte ce qu'elle dit le 29-30 décembre 1820 : Je vis aujourd'hui Marie avec l'Enfant-Jésus dans une autre grotte que je n'avais pas remarquée auparavant. Elle s'ouvrait dans l'entrée a gauche, près de l'endroit où Joseph faisait le feu. On descendait un peu sur un étroit passage assez incommode. La lumière y pénétrait par des trous faits dans la voûte. Marie était assise près de l'Enfant-Jésus qui était devant elle sur une couverture. Elle s'était retirée là pour se dérober a certaines visites - . Je vis plusieurs personnes prés de la crèche, Joseph leur parla.

Je la vis se cacher dans la grotte latérale où avait jailli une source après la naissance de Jésus-Christ. Elle resta environ quatre heures dans cette grotte, où plus tard elle passa deux jours. Joseph, dès le point du jour, l'avait arrangée pour qu'elle pût s'y tenir sans trop d'incommodité.

Ils allèrent là par suite d'un avertissement intérieur, car quelques personnes vinrent aujourd'hui de Bethléem à la grotte de la Crèche. Je crois que c'étaient des émissaires d'Hérode. Par suite des propos des bergers, le bruit s'était répandu que quelque chose de miraculeux avait eu lieu en cet endroit, lors de la naissance d'un enfant. je vis les hommes échanger quelques paroles avec saint Joseph, qu'ils trouvèrent devant la grotte avec les bergers, et le quitter en ricanant lorsqu'ils eurent vu sa pauvreté et sa simplicité. La sainte Vierge, après être restée environ quatre heures dans la grotte latérale, revint à la crèche avec l'Enfant-Jésus.

La grotte de la Crèche jouit d'une aimable tranquillité. Il n'y vient personne de Bethléem : les bergers seuls sont en rapport avec elle. Du reste, on ne s'inquiète guère, à Bethléem, de ce qui s'y passe, car il y a beaucoup de mouvement et d'agitation dans la ville, à cause du grand nombre d'étrangers qui s'y trouvent. On vend et on tue beaucoup d'animaux, parce que plusieurs arrivants payent leur impôt en bétail ; il y a aussi beaucoup de paiens qui sont employés comme domestiques.

Ce soir, la soeur étant endormie dit tout à coup : " Hérode a fait mourir un homme pieux qui avait un emploi important au temple. Il l'a fait inviter amicalement à venir le trouver à Jéricho et l'a fait assassiner en route. Cet homme s'opposait aux empiétements d'Hérode dans le temple. On accuse Hérode de ce meurtre, mais cela ne fait qu'augmenter son influence dans le temple ". Elle dit ensuite qu'Hérode avait fait donner à deux de ses bâtards deux emplois considérables dans le temple, qu'ils étaient saducéens, et que tout ce qui s'y passait lui était révélé par eux.

(Le jeudi, 29 novembre)

Le matin, l'hôte de la dernière auberge où la sainte Famille avait passé la nuit, a envoyé à la grotte de la Crèche un serviteur avec des présents. Lui-même est venu dans la journée pour rendre ses hommages à l'enfant. L'apparition de l'ange aux bergers à l'heure de la naissance de Jésus est cause que tous les braves gens des vallées ont entendu parler du merveilleux enfant de la promesse ; ils viennent maintenant pour honorer l'enfant.

(Le vendredi, 30 novembre.)

Aujourd'hui plusieurs bergers et d'autres braves gens vinrent à la grotte de la Crèche et honorèrent l'Enfant-Jésus avec beaucoup d'émotion. Ils étaient en habits de fête et allaient a Bethléem- pour le sabbat. Parmi ces gens, je vis la femme qui, le 20 novembre, avait réparé la grossièreté de son mari envers la sainte Famille en lui offrant l'hospitalité Elle aurait pu aller pour le sabbat à Jérusalem qui était près de chez elle ; mais elle fit un détour jusqu'à Bethléem, pour voir le saint enfant et ses parents. Elle se sentit tout heureuse de leur avoir donné cette marque d'affection.

Je vis aussi, dans l'après-midi, un parent de saint Joseph près de la demeure duquel la sainte Famille avait passé la nuit le 22 novembre, venir à la crèche et saluer l'enfant. C'était le père de Jonadab, qui, lors du crucifiement, porta à Jésus un drap pour se couvrir. Il avait su que Joseph avait passé près de chez lui et avait entendu parler des miracles qui avaient signalé la naissance de l'enfant ; et comme il allait à Bethléem pour le sabbat, il était venu à la crèche porter des présents. Il salua Marie et rendit hommage à l'Enfant-Jésus. Joseph le reçut très amicalement, mais il ne voulut rien recevoir de lui ; seulement il lui emprunta de l'argent et lui remit en gage la jeune Anesse', à condition de Pouvoir la reprendre quand il le rembourserait. Joseph avait besoin de cet argent à cause des présents à faire et du repas à donner lors de la cérémonie de la circoncision de l'enfant.

Comme je méditais sur cette jeune ânesse, mise en gage pour fournir aux frais de la circoncision, et que je pensais que dimanche prochain, jour où aura lieu cette cérémonie, on lirait l'Evangile du dimanche des Rameaux (en allemand et en latin dimanche des Palmes), qui raconte l'entrée à Jérusalem de Jésus, monté sur un âne, je vis le tableau suivant, mais je ne sais plus où je le vis, et je ne puis plus bien m'en expliquer le sens. Je vis sous un palmier deux écriteaux tenu' par des anges. Sur l'un je vis représentés divers instruments de martyre, et au milieu une colonne sur laquelle était un mortier avec deux anses ; sur l'autre écriteau 0e trouvaient des lettres ; je crois que c'étaient des chiffres indiquant des années et des époques de l'histoire de l'Église. Au-dessus du palmier était agenouillée une vierge qui semblait sortir de sa tige et dont la robe flottait autour d'elle. Elle tenait dans ses mains, Au-dessous de la poitrine, un vase de la forme du calice de la sainte cène, duquel sortait une figure d'enfant lumineux. Je vis ensuite le Père éternel sous la forme où il m'est montré ordinairement, s'approcher du palmier sur des nuées, en détacher une grosse branche qui avait 1a figure d'une croix et la placer sur l'enfant. Je vis aussitôt l'enfant comme attaché à cette croix de palmier, et 'a Vierge présenter à Dieu le Père cette branche avec l'enfant crucifie, tandis qu'elle tenait de l'autre main le calice vide, qui m'apparut aussi comme étant son coeur. Comme je voulais lire les lettres qui étaient sur l'écriteau au-dessous du palmier, je fus réveillée par une visite. Je ne sais pas si je vis ce tableau dans la grotte de la Crèche, ou si ce fut ailleurs. On peut comparer cette description avec celle de la figure que les rois mages virent dans les étoiles à l'heure de la naissance de Jésus, et aussi avec les apparitions qui ont été racontées à l'occasion de la présentation de Marie au temple.

Quand tout ce monde fut parti pour la synagogue de Bethléem, Joseph prépara dans la grotte la lampe du sabbat, qui avait sept mèches, l'alluma, et plaça au-dessous une petite table sur laquelle étaient les rouleaux qui contenaient les prières. Ce fut sous cette lampe qu'il célébra le sabbat avec la sainte Vierge et la servante de sainte Anne. Deux bergers se tenaient un peu en arrière de la grotte. Des Esséniennes étaient aussi là.

Aujourd'hui, avant le sabbat, les Esséniennes et la servante préparèrent des aliments. J'ai vu qu'elles faisaient rôtir des oiseaux à une broche placée au-dessus du feu. Elles les roulaient aussi dans une espèce de farine faite avec des grains qui viennent en épis sur une plante semblable au roseau ; on la trouve à l'état sauvage dans les endroits humides et marécageux du pays. On la cultive dans plusieurs lieux ; elle vient souvent sans culture près de Bethléem et d'Hébron ; je ne la vis pas près de Nazareth. Les pâtres de la tour des bergers en avaient apporté à Joseph. Je vis ces femmes Jaire aussi avec les grains une espèce de crème blanche assez épaisse et pétrir des gâteaux avec la farine. La sainte Famille ne garda pour son usage qu'une très petite quantité des nombreuses provisions que les bergers avaient apportées ; le reste fut donné en présents, et surtout distribué aux pauvres.

(Le samedi, 1er décembre.)

Je vis aujourd'hui, dans l'après-midi. plusieurs personnes venir à la grotte de la Crèche, et le soir, après la clôture du sabbat, je vis les Esséniennes et la servante de Marie apprêter un repas dans une cabane de feuillage devant l'entrée de la grotte. Joseph l'avait dressée avec l'aide des bergers. Il avait aussi vidé la chambre située dans l'entrée de la grotte, y avait étendu des couvertures par terre, et avait tout arrangé comme pour une fête, autant que le comportait sa pauvreté. Il avait ainsi disposé les choses avant l'ouverture du sabbat ; car le lendemain était le huitième jour depuis la naissance du Christ, lequel devait être circoncis ce jour-là, conformément au précepte divin.

Joseph était allé vers le soir à Bethléem, et il en avait ramené trois prêtres, un homme âgé et une femme qui paraissait une sorte de garde ou d'assistante, employée ordinairement dans cette cérémonie. Elle apportait un siège dont on se servait en pareille circonstance, et une pierre plate, fort épaisse et de forme octogone, où se trouvaient les objets nécessaires. Tout cela fut placé sur des nattes, à l'endroit où la cérémonie devait se faire, c'est-à-dire dans l'entrée de la grotte, entre le réduit de saint Joseph et le foyer : le siège était un coffre avec des espèces de tiroirs, qui, mis à la suite les uns des autres, formaient comme un lit de repos avec un appui d'un côté : an y était plutôt étendu qu'assis. La pierre octogone avait plus de deux pieds de diamètre, au milieu était une cavité également octogone, recouverte d'une plaque de métal, et où se trouvaient, dans des compartiments séparés, trois boîtes et un couteau de pierre. Cette pierre fut placée à côté du siège, sur un petit escabeau à trois pieds, qui jusqu'alors était toujours resté sous une couverture à la place où était né le Sauveur

Quand on eut fait ces arrangements, les prêtres saluèrent la sainte Vierge et l'Enfant-Jésus ; ils s'entretinrent amicalement avec Marie, et ils prirent dans leurs bras l'enfant, dont la vue les toucha. Ensuite le repas eut lieu dans la cabane de feuillage ; une quantité de pauvres gens, qui avaient suivi les prêtres, comme il arrivait toujours dans de semblables occasions, entourèrent la table, et, pendant le repas, reçurent des présents de Joseph et des prêtres, en sorte que tout fut bientôt distribué. Je vis le soleil se coucher; son disque paraissait plus grand qu'il ne parait dans notre pays. Je le vis s'abaisser à l'horizon ; ses rayons pénétraient jusque dans la grotte par la porte ouverte.

LVII
Circoncision du Christ. Le nom de Jésus.

(Le dimanche, 2 décembre.)

La soeur ne dit pas si les prêtres, après Le repas, retournèrent à la ville et revinrent le lendemain matin, ou s'ils passèrent la nuit près de la grotte ou dans le voisinage ; mais voici ce qu'elle raconta :

Des lampes étaient allumées dans la grotte, et je vis que pendant la nuit on pria beaucoup et qu'on chanta des cantiques La circoncision eut lieu au point du jour. La sainte Vierge était attristée et inquiète. Elle avait apprêté elle-même les linges destinés à recevoir le sang et à bander la plaie ; elle les tenait devant elle dans un pli de son manteau. La pierre octogone fut recouverte par les prêtres d'un drap rouge et d'un autre drap blanc par dessus, avec des prières et des cérémonies ; puis l'un des prêtres s'appuya plutôt qu'il ne s'assit sur le siège, et la sainte Vierge, qui se tenait voilée au fond de la grotte, avec l'Enfant-Jésus sur les bras, le donna à la servante avec les linges. Saint Joseph le reçut des mains de la servante, et le donna à la garde qui était venue avec les prêtres. Celle-ci plaça l'enfant recouvert d'un voile sur la couverture de la pierre octogone.

On fit encore des prières ; puis cette femme ôta à l'enfant ses langes et le remit sur les genoux du prêtre qui était assis. Saint Joseph se pencha par-dessus les épaules du prêtre et tint l'enfant par le haut du corps. Deux prêtres s'agenouillèrent à droite et à gauche, tenant chacun un de ses petits pieds : celui qui devait accomplir la cérémonie s'agenouilla devant lui. On découvrit la pierre octogone et on enleva la plaque de métal pour avoir sous la main les trois boîtes où il y avait des eaux vulnéraires et de l'onguent. Le manche et la lame du couteau étaient de pierre. Le manche, brun et poli, avait une rainure où l'on faisait entrer la lame : celle-ci, qui était de couleur jaunâtre, ne me parut pas très affilée. L'incision se fit avec la pointe recourbée du couteau. Le prêtre fit aussi usage de l'ongle tranchant de son doigt. Il exprima le sang de la blessure, et y mit du vulnéraire et d'autres ingrédients de même nature qu'il prit dans les boîtes. La garde prit alors l'enfant, et, après avoir bandé la plaie, elle lui remit ses langes. Cette fois, on emmaillota, aussi ses bras qui étaient libres auparavant, et on roula autour de sa tête le voile dont on l'avait couverte. Il fut placé de nouveau sur la pierre octogone, et on fit encore des prières.

L'ange avait dit à Joseph que l'enfant devait s'appeler Jésus ; mais le prêtre d'abord n'agréa pas ce nom, et il se mit en prières à cette occasion. Je vis alors un ange lui apparaître et lui montrer le nom de Jésus sur un écriteau pareil à celui qui surmonta la croix sur le Calvaire. Je ne sais pas si en effet cet ange fut vu par lui ou par un autre prêtre ; mais je le vis tout ému écrire ce nom sur un parchemin, comme poussé par une impulsion d'en haut. L'Enfant-Jésus pleura beaucoup après la cérémonie de la circoncision. Je vis saint Joseph le reprendre et le mettre dans les bras de la sainte Vierge qui était restée au fond de la grotte avec deux femmes. Elle le prit en pleurant, se retira dans le coin où était la crèche, s'assit' couverte de son voile, et apaisa l'enfant en lui donnant le sein. Saint Joseph lui remit aussi les linges teints de sang. On pria de nouveau et on chanta des cantiques. La lampe brûlait encore ; il faisait alors tout à fait jour. Bientôt la sainte Vierge vint avec l'enfant et le posa sur la pierre octogone. Les prêtres tournèrent vers elle leurs mains croisées sur la tête de l'enfant, et elle se retira avec lui.

Les prêtres, avant de se retirer, mangèrent quelque chose avec Joseph et deux bergers dans la cabane de feuillage. J'ai su que tous ceux qui avaient assisté à la sainte cérémonie étaient des gens de bien, et que les prêtres plus tard embrassèrent la doctrine du Sauveur. Toute la matinée on fit encore des distributions aux pauvres qui venaient à la porte. Pendant la cérémonie, l'âne était resté attaché dans un lieu séparé.

Encore aujourd'hui beaucoup de mendiants fort sales portant des paquets et venant de la vallée des bergers, passèrent devant la grotte de la Crèche. Ils semblaient aller à Jérusalem pour une fête. Ils demandèrent l'aumône très insolemment et proférèrent des malédictions et des injures près de la crèche, parce qu'ils ne trouvaient pas que Joseph leur eût donné assez. Je ne sais pas qui étaient ces gens, ils me déplaisaient beaucoup.

Dans la nuit suivante, je vis l'enfant souvent privé de sommeil par la douleur qu'il ressentit: il pleurait beaucoup. Marie et Joseph le prirent tour à tour sur leurs bras et le portèrent autour de la grotte en essayant de le calmer.

LVIII
Élisabeth vient à la Crèche.

(Le lundi, 3 décembre)

Ce soir je vis Élisabeth se rendre de Juttah à la grotte de la Crèche, montée sur un âne que conduisait un vieux domestique. Joseph la reçut très amicalement ; Marie et elle s'embrassèrent avec des sentiments de joie indicible. Elle pressa l'Enfant-Jésus sur son coeur en versant des larmes. On lui prépara une couche près de la place où Jésus était né. Devant cette place il y avait un tréteau élevé, comme une espèce de tréteau de scieur, sur lequel était un petit coffre où l'on mettait souvent l'Enfant-Jésus. Ce devrait être une chose habituelle pour les enfants, car, déjà chez sainte Anne, j'avais vu Marie, dans sa petite enfance, reposer sur un tréteau semblable.

(Le mardi, 4 décembre.)

Hier soir et aujourd'hui, dans la journée, je vis Marie et Élisabeth assises à côté l'une de l'autre et s'entretenant affectueusement. J'étais prés d'elles et j'écoutais toutes leurs paroles avec un vif sentiment de joie. La sainte Vierge raconta à sa cousine tout ce qui lui était arrivé jusqu'alors, et quand elle parla de ce qu'elle avait souffert en cherchant un logement à Bethléem, Élisabeth pleura de tout son coeur. Elle lui raconta aussi beaucoup de choses touchant la naissance de Jésus, et je m'en rappelle encore quelque chose. Elle dit qu'au moment de l'annonciation elle avait été ravie en esprit pendant dix minutes, et qu'elle avait eu le sentiment que son coeur devenait double, et qu'un bien inexprimable entrait en elle et la remplissait tout entière. Au moment de la nativité, elle avait eu aussi un ravissement avec le sentiment que les anges la portaient en l'air agenouillée, et il lui avait semblé que son coeur était divise en deux et qu'une moitié se séparait de l'autre. Elle avait perdu dix minutes l'usage de ses sens ; puis, ressentant un vide intérieur et un désir immense d'un bien infini qu'elle avait eu jusque là au dedans d'elle et qui n'y était plus, elle avait vu devant elle une lumière éclatante dans laquelle son enfant avait semblé croître sous ses y eux. Elle l'avait alors vu remuer et entendu pleurer ; puis, revenant à elle, elle l'avait pris sur la couverture et pressé contre son sein, car au commencement il lui avait semblé qu'elle rêvait, et elle n'avait pas osé toucher l'enfant environné de lumière. Elle dit aussi qu'elle n'avait pas eu la conscience du moment où l'enfant s'était séparé d'elle. Élisabeth lui dit : " Vous avez eu dans votre enfantement des grâces que n'ont pas les autres femmes ; celui de Jean aussi a été plein de douceur, mais les choses se sont passées autrement ". Voilà ce que je me rappelle de leurs discours.

Vers le soir, Marie se cacha encore avec l'Enfant-Jésus et Elisabeth dans la grotte latérale voisine de la grotte de la Crèche. Je crois qu'elles y restèrent toute la nuit. Marie s'y décida, parce que des gens de distinction de Bethléem venaient en foule à la crèche par curiosité. Elle ne voulut pas se montrer à eux.

Je vis aujourd'hui la sainte Vierge avec l'Enfant-Jésus sortir de la grotte de la Crèche et aller dans une autre grotte placée à droite. L'entrée en était très étroite : quatorze marches en pente conduisaient d'abord dans un petit caveau, puis dans une chambre souterraine, plus grande que la grotte de la Crèche. Joseph la sépara en deux au moyen d'une couverture suspendue en l'air. La partie voisine de l'entrée était semi-circulaire, l'autre partie était carrée. La lumière ne venait pas par en haut, mais par des ouvertures latérales qui traversaient une grande épaisseur de rocher. J'ai vu, les jours précédents, un homme âgé enlever de cette grotte des fagots, des bottes de paille et des paquets de roseaux, comme ceux dont Joseph se servait pour faire du feu. Ce fut un berger qui leur rendit ce service. Cette grotte était plus claire et plus spacieuse que celle de la Crèche. L'âne n'y était pas. J'y vis l'Enfant-Jésus couché dans une auge creusée dans le roc. Pendant les jours précédents, j'ai vu souvent Marie montrer à quelques visiteurs son enfant, couvert d'un voile et tout nu, à l'exception d'un linge autour du corps. D'autres fois, je le vis de nouveau entièrement emmailloté. Je vis la garde qui avait assisté à la circoncision visiter souvent l'enfant. Marie lui donnait presque tout ce qu'apportaient les visiteurs, afin qu'elle le distribuât aux pauvres de Bethléem.

LIX
Voyage des trois Rois Mages à Bethléem.

(Communiqué le 21 novembre)

(Le 25 novembre.)

J'ai déjà raconté comment je vis la naissance de Jésus-Christ annoncée aux trois rois la nuit même de Noël. Je vis Mensor et Sair ; ils étaient dans le pays du premier et regardaient les astres. Tous leurs préparatifs de voyage étaient faits. Ils regardaient l'étoile de Jacob du haut d'une tour en forme de pyramide, cette étoile avait une queue. Elle se dilata, pour ainsi dire, à leurs yeux, et ils virent une vierge brillante devant laquelle planait un enfant lumineux. Du côté droit de l'enfant sortit une branche, et à l'extrémité de celle-ci parut, comme une fleur, une petite tour à plusieurs entrées, qui finit par devenir une ville. Aussitôt après cette apparition, tous deux se mirent en route. Théokéno, le troisième, demeurait plus à l'orient, à deux journées de voyage. Il vit la même chose à la même heure, et partit aussitôt en toute hâte pour se réunir à ses deux amis, qu'il rejoignit en effet.

(Le 26 novembre.)

Je m'endormis avec un grand désir de me trouver dans la grotte de la Crèche, près de la mère de Dieu, afin qu'elle me donnât l'Enfant-Jésus, pour le tenir quelque temps dans mes bras et le serrer sur mon coeur, et j'y allai en effet. Il faisait nuit. Joseph dormait, appuyé sur son bras droit, derrière son réduit, près de l'entrée. Marie était éveillée ; elle était assise à sa place accoutumée près de la crèche, et tenait sur son sein le petit Jésus recouvert d'un voile. Je m'agenouillai et j'adorai avec un grand désir de voir l'enfant. Ah ! elle le savait bien ; elle sait tout et elle accueille tout ce qu'on lui demande avec une bonté si touchante, quand on prie avec une foi sincère. Mais elle était silencieuse, recueillie ; elle adorait respectueusement celui dont elle était la mère, et elle ne me donna pas l'enfant, parce qu'elle l'allaitait, à ce que je crois. A sa place, j'aurais fait comme elle.

Mon désir allait toujours croissant et se confondait avec celui de toutes les âmes qui soupiraient pour l'Enfant-Jésus. Mais cette ardente aspiration vers le Sauveur n'était nulle part si pure, si naive et si sincère que dans le coeur des bons rois mages de l'Orient, qui l'avaient attendu pendant des siècles dans la personne de leurs ancêtres, croyant, espérant et aimant. Aussi mon désir se tourna vers eux. Quand j'eus fini d'adorer, je me glissais respectueusement hors de la grotte de la Crèche, et je fus conduite par une longue route jusqu'au cortège des trois rois.

Sur cette route, j'ai vu bien des pays, des habitations et des gens, leurs costumes, leurs moeurs et leurs usages, et aussi quelque chose de leur culte ; mais j'ai presque tout oublié. Je raconterai comme je le pourrai ce qui m'est resté présent à la mémoire.

Je fus conduite à l'orient dans une contrée où je n'avais jamais été. Elle était presque partout stérile et sablonneuse. Près de quelques collines habitaient, dans des cabanes de branchage, de petites réunions d'hommes. C'étaient comme des familles isolées, de cinq à huit personnes. Le toit, fait avec des branches, s'appuyait à la colline, où les demeures étaient creusées. Cette contrée ne produisait presque rien ; il n'y venait que des buissons, et ça et là un petit arbre avec quelques boutons dont on tirait une laine blanche. Je vis, en outre, quelques arbres plus grands sous lesquels ils plaçaient leurs idoles. Ces hommes étaient encore très sauvages ; ils me parurent se nourrir le plus souvent de chair crue, spécialement d'oiseaux, et vivre en partie de brigandage.

Ils étaient de couleur cuivrée et avaient des cheveux roussâtres comme le poil du renard. Ils étaient petits, trapus, plutôt gras que maigres, du reste adroits, lestes et actifs. Je ne vis pas chez eux d'animaux domestiques, ni de troupeaux. Ces gens faisaient des espèces de couvertures avec une laine blanche qu'ils recueillaient sur de petits arbres. Ils filaient avec cette laine de longues cordes de l'épaisseur du doigt, qu'ils tressaient ensuite pour en faire de larges bandes d'étoffe. Quand ils en avaient préparé un certain nombre, ils mettaient sur leur tête de grands rouleaux de ces couvertures, et allaient en troupe les vendre à une ville.

Je vis aussi en divers lieux, sous de grands arbres leurs idoles, qui avaient des têtes de taureau, avec des cornes et une grande bouche. Il y avait dans le corps des trous ronds, et en bas une ouverture plus large où l'on faisait du feu pour brûler les offrandes placées dans les autres ouvertures plus petites. Autour de chacun de ces arbres sous lesquels étaient les idoles, se trouvaient, sur de petites colonnes de pierre, d'autres figures d'animaux. Il y avait des oiseaux, des dragons, et une figure qui avait trois têtes de chien et une queue de serpent roulée sur elle-même.

Au commencement de mon voyage j'eus le sentiment qu'il y avait à ma droite un grand amas d'eau dont je m'éloignais de plus en plus. Au delà de la contrée dont je viens de parler le chemin allait toujours en montant, et je traversais une crête de montagne de sable blanc, où gisaient en grande quantité de petites pierres noires brisées, semblables à des fragments de pots et d'écuelles. De l'autre côté, je descendis dans une contrée couverte d'arbres, qui semblaient rangés dans un ordre régulier. Quelques-uns de ces arbres avaient des troncs écailleux et des feuilles d'une grandeur extraordinaire. Il y en avait, aussi de forme pyramidale avec de grandes et belles fleurs. Ces derniers avaient des feuilles d'un vert jaunâtre, et des branches avec des boutons. Je vis aussi des arbres avec des feuilles très lisses en forme de coeur.

J'arrivai ensuite dans un pays de pâturages qui s'étendaient à perte de vue entre des hauteurs. Tout y fourmillait de troupeaux innombrables. La vigne croissait autour des collines, et elle y était cultivée. Il y avait des rangées de ceps sur des terrasses, avec de petites haies de branchages pour les protéger. Les possesseurs de ces troupeaux habitaient sous des tentes dont l'entrée était fermée par des claies légères. Ces tentes étaient faites avec l'étoffe de laine blanche que fabriquaient les peuplades sauvages chez lesquelles j'avais passé. Il y avait au centre une grande tente entourée d'une quantité d'autres plus petites. Les troupeaux, séparés suivant leurs espèces, erraient dans ces grands pâturages, qui étaient entrecoupés par places de masses de buissons, formant comme des taillis. Je distinguai là des troupeaux d'espèces fort différentes. Je vis des montons dont la laine pendait en longues tresses et qui avaient de longues queues laineuses ; puis des animaux très agiles, avec des cornes comme celles des boucs ; ils étaient grands comme des veaux ; d'autres étaient de la taille des chevaux qui courent ici en liberté dans les prairies. Je vis aussi des troupes de chameaux et d'animaux de même espèce avec deux bosses. Dans un endroit, je vis dans une enceinte fermée quelques éléphants blancs et tachetés : ils étaient apprivoisés et servaient pour les usages domestiques.

Cette vision fut interrompue trois fois, parce que mon attention fut appelée d'un autre côté, et j'y revins toujours à différentes reprises. Ces troupeaux et ces pâturages me parurent appartenir à un des rois mages alors en voyage ; je crois que c'était à Mensor et à sa famille. Ils étaient confiés aux soins de bergers subalternes, qui portaient des jaquettes tombant jusqu'aux genoux, à peu près de la forme des habits de nos paysans, si ce n'est qu'elles étaient plus étroites. Je crois que le chef étant parti pour un long voyage, tous ses troupeaux furent in . . . (bas de page absent)

en temps des gens en manteaux longs venir prendre connaissance de tout. Ils se rendaient dans la grande tente centrale, et alors on faisait passer les troupeaux entre celle-ci et les petites tentes ; on les comptait et on les examinait. Ceux qui en faisaient le compte avaient à la main des espèces de tablettes, de je ne sais quelle matière, sur lesquelles ils écrivaient quelque chose. Je me disais alors à moi-même : Puissent nos évêques examiner avec la même diligence leurs troupeaux confiés aux pasteurs du second ordre !

Quand, après la dernière interruption, je revins à cette contrée de pâturages, il était nuit. Un profond silence régnait partout. La plupart des bergers dormaient sous les petites tentes ; quelques-uns seulement veillaient et erraient ça et là autour des troupeaux, lesquels étaient endormis et parqués, suivant leur espèce, dans de grandes enceintes séparées. Pour moi, je regardais avec attendrissement ces troupeaux dormant en paix, en pensant qu'ils appartenaient à des hommes qui, cessant de contempler les immenses pâturages azurés du ciel, semés d'innombrables étoiles, étaient partis à l'appel de leur Créateur tout-puissant, reconnaissant en lui leur pasteur, comme des troupeaux fidèles, pour suivre sa voix avec plus d'obéissance que les brebis de cette terre ne suivent celle de leurs pasteurs mortels. Et comme je voyais les bergers qui veillaient regarder plus souvent les étoiles du ciel que les troupeaux confiés à leur garde, je me disais à moi-même : ils ont bien raison de tourner des yeux étonnés et reconnaissants vers le ciel où, depuis des siècles, leurs ancêtres, persévérant dans l'attente et la prière, n'ont cessé d'attacher leurs regards. Le bon pasteur qui cherche sa brebis égarée, ne se repose pas qu'il ne l'ait trouvée et rapportée ; ainsi vient de faire le Père qui est dans les cieux, le vrai pasteur de ces innombrables troupeaux d'étoiles répandues dans l'immensité. L'homme auquel il avait soumis la terre ayant péché, et la terre ayant été maudite par lui en punition de ce crime, il était allé chercher l'homme tombé et la terre, . . .

(renvoi incohérent entre deux pages)

. . . on séjour, comme une brebis perdue : il a envoyé du haut du ciel son Fils unique pour se faire homme, ramener cette brebis perdue, prendre sur lui tous ses péchés en qualité d'agneau de Dieu et satisfaire en mourant à la justice divine. Et cet avènement du Rédempteur promis venait d'avoir lieu. Les rois de ce pays, conduits par une étoile, étaient partis la nuit précédente pour aller rendre hommage au Sauveur nouvellement né. C'est pourquoi ceux qui veillaient sur les troupeaux regardaient avec émotion les pâturages célestes et priaient ; car le Pasteur des pasteurs venait d'en descendre, et c'était aux bergers qu'il avait d'abord annoncé sa venue.

Pendant que je méditais ainsi en regardant l'immense plaine, le silence de la nuit fut interrompu par le bruit des pas d'une cavalcade qui arrivait en toute hâte : c'était une troupe d'hommes montés sur des chameaux. Le cortège, passant le long des troupeaux qui reposaient, se dirigea rapidement vers la tente principale du camp des bergers. Quelques chameaux endormis se réveillaient ça et là et tournaient leurs longs cous vers le cortège. On entendait bêler des agneaux troublés dans leur sommeil ; quelques-uns des arrivants sautaient à bas de leurs montures et réveillaient les bergers dormant dans les tentes. Les plus voisins des veilleurs accostaient le cortège. Bientôt tout fut sur pied et en mouvement autour des voyageurs ; on s'entretint en regardant le ciel et en se montrant les étoiles. Ils parlaient d'un astre ou d'une apparition dans le ciel qui avait cessé de se montrer, car moi-même je ne la vis pas.

C'était le cortège de Théokéno, le troisième des rois mages, celui qui demeurait le. plus loin. Il avait vu dans sa patrie le même signe dans le ciel, qu'avaient vu d'autres, et il s'était aussitôt mis en route. u demandait maintenant combien Mensor et Sair devaient avoir d'avance sur lui, et si l'on pouvait encore voir l'étoile qu'ils avaient prise pour guide. Quand il eut reçu les informations nécessaires, le cortège continua son voyage sans s'arrêter plus longtemps. Cet endroit était celui où les trois rois, qui demeuraient fort loin les uns des autres, avaient coutume de se réunir pour observer les astres, et la tour, en forme de pyramide, au haut de laquelle il' faisaient leurs observations, était dans le voisinage. Théokéno était celui des trois qui demeurait le plus loin. Il habitait au delà du pays dans lequel Abraham avait d'abord vécu, et à l'entour duquel tous les trois étaient établis.

Dans les intervalles entre les visions que j'eus à trois reprises pendant la journée sur ce qui se passait dans la grande plaine des troupeaux, différentes choses me furent montrées touchant les pays où Abraham avait vécu : j'en ai oublié la plus grande partie. Je vis une fois, à une grande distance, la hauteur sur laquelle Abraham voulait sacrifier Isaac. Une autre fois, je vis très distinctement, quoique ce fût fort loin d'ici, l'aventure d'Agar et d'Ismael dans le désert. La première demeure d'Abraham était située à une grande élévation, et les pays des trois rois, qui se trouvaient alentour, étaient plus bas. Je raconterai ici ce que je vis d'Agar et d'Ismael. A l'un des côtés de la montagne d'Abraham, plus près du fond de la vallée, je vis Agar avec son fils errer au milieu des buissons. Elle semblait comme hors d'elle-même. L'enfant était encore fort jeune : il avait une longue robe. Elle-même était enveloppée dans un long manteau qui recouvrait la tête, et sous lequel elle portait un vêtement court avec un corsage étroit. Elle plaça l'enfant sous un arbre, près d'une colline, et lui fit des marques sur le front, au haut du bras droit, sur la poitrine et au haut du bras gauche. Je ne vis pas la marque sur le front, mais les autres, qui étaient faites sur les habits, restèrent visibles et semblaient tracées avec une couleur rouge. Elles avaient la forme d'une croix, mais non pas d'une croix ordinaire. Cela ressemblait à une croix de Malte, ayant au milieu un cercle duquel partaient les quatre triangles formant la croix. Dans les quatre triangles, elle écrivit des signes ol1 des lettres en forme de crochets dont je ne comprenais pas la signification. Dans le cercle qui était au centre, je la vis tracer deux ou trois lettres. Elle traça tout cela très vite, avec une couleur rouge, qu'elle semblait avoir dans la main. Peut-être était-ce du sang. Elle s'éloigna ensuite, leva les yeux au ciel et ne regarda plus du côté de son fils. Elle alla à peu près à une portée de fusil et s'assit sous un arbre. Alors elle entendit une voix venant du ciel, se leva et alla plus loin ; puis elle entendit de nouveau la voix, et vit une source sous le feuillage. Elle remplit son outre de cuir, retourna près de son fils, auquel elle donna à boire, et elle le conduisit près de la source, où elle lui mit un autre vêtement par-dessus celui où elle avait fait les marques dont j'ai parlé.

Voilà tout ce que je me rappelle de cette vision. Je crois qu'antérieurement j'avais vu deux fois Agar dans le désert, une fois avant la naissance de son fils, et l'autre fois comme celle-ci avec le jeune Ismael.

(Dans la nuit du 27 au 28 novembre.)

Quand la soeur Emmerich communiqua, en 1821, ces visions sur le voyage des trois rois, elle avait déjà raconté toute la période de la prédication de Jésus. Elle avait vu entre autres choses le Sauveur se retirer au delà du Jourdain, après la résurrection de Lazare, et, pendant une absence de seize semaines, faire une visite aux rois mages, qui, à leur retour de Bethléem, s'étaient établis ensemble dans un pays plus voisin que le leur de la terre promise. Mensor et Théokéno vivaient encore ; mais, lors du voyage de Jésus, Sair, le roi basané, était mort. Il a paru nécessaire d'instruire le lecteur de ces événements, postérieurs de trente-trois ans, mais racontés précédemment, afin de rendre intelligibles certaines choses qui y font allusion dans le récit qui suit.

(Dans la nuit du 27 au 28 novembre)

Je vis à l'aube du jour le cortège de Théokéno rejoindre celui de Mensor et de Sair dans une ville en ruine. Il y avait là de longues rangées de hautes colonnes isolées. Les portes étaient surmontées de tours carrées à moitié écroulées. Il s'y trouvait de grandes et belles statues ; elles n'étaient pas raides comme celles de l'Egypte, mais elles avaient de belles attitudes qui leur donnaient l'air vivant. Le pays était sablonneux, et il y avait beaucoup de rochers. Dans les ruines de cette ville abandonnée étaient établis des gens qui avaient l'air de bandits ; ils n'étaient vêtus que de peaux de bêtes jetées sur le corps, et ils étaient armés d'épieux. Ils avaient la peau basanée ; ils étaient petits et trapus, mais singulièrement agiles. Il me semblait avoir été déjà dans cet endroit, peut-être lors de ces voyages que je fis en songe à la montagne des prophètes et aux bords du Gange. Les trois cortèges se trouvant réunis, ils quittèrent cette ville de grand matin pour continuer leur voyage en toute bâte, et beaucoup de pauvres habitants de ce lieu se joignirent à eux, attirés par la libéralité des trois rois. Ils allèrent à une demi-journée plus loin, et firent là une halte. Après la mort de Notre Seigneur Jésus-Christ, l'apôtre saint Jean envoya deux disciples, Saturnin ' et Jonadab, le demi frère de saint Pierre, annoncer l'Evangile dans cette ville ruinée.

Je vis les trois rois ensemble. Le dernier arrivé, Théokéno, avait le teint tirant sur le jaune; je le reconnus pour celui qui, trente-deux ans plus tard, était malade dans sa tente, lorsque Jésus visita les rois mages dans leur établissement voisin de la terre promise. Chacun des trois rois avait avec lui quatre proches parents ou amis intimes, de sorte qu'il y avait en tout dans le cortège quinze personnes de haut rang, accompagnées d'une foule de conducteurs de chameaux et de serviteurs. Parmi plusieurs jeunes gens de ce cortège, qui étaient à peu prés nus jusqu'à la ceinture, et qui pouvaient sauter et courir avec une agilité extraordinaire, je reconnus Éléazar, qui, plus tard, devint martyr, et dont j'ai une relique.

Elle vit les trois rois passer par cette ville le jour de la fête de saint Saturnin, duquel elle possédait une relique : c'est ce qui lui fit remarquer les relations du saint avec cet endroit. Plus tard, l'écrivain lut dans la légende de saint Saturnin qu'il avait prêché l'Evangile en Asie, jusque dans la Médie.

Dans l'après-midi, comme son confesseur lui demandait encore le nom des trois rois, elle répondit : Mensor le brun, baptisé par saint Thomas après la mort du Sauveur, reçut au baptême le nom de Léandre. Théokéno, le jaune, qui était malade lors du passage de Jésus en Arabie, fut baptisé par le même saint Thomas sous le nom de Léon. Le plus basané, qui était déjà mort lors de la visite du Sauveur, s'appelait Séir ou Sair. Son confesseur lui demanda : " Comment donc celui-ci fut-il baptisé " ? Elle ne se déconcerta pas, et dit en souriant : " il était déjà mort, et avait eu le baptême de désir ". Le confesseur lui dit alors : " Je n'ai jamais entendu ces noms : comment s'accordent-ils avec ceux de Gaspard, Melchior et Balthazar " ? Elle répondit : " On les a ainsi nommés parce que cela se rapporte à leur caractère, car ces mots signifient : 1, il va avec amour ; 2, il erre tout autour, il va en caressant, il s'approche doucement ; 3, il saisit promptement avec sa volonté, il unit promptement sa volonté à la volonté de Dieu ". Elle dit cela d'un air très gracieux et indiqua la signification de ces noms par une espèce de pantomime en remuant sa main sur la couverture de son lit. C'est aux orientalistes a dire jusqu'à quel point ces trois noms peuvent être interprétés de cette manière.

(Le 28 novembre.)

Une demi journée au delà de la ville en ruine où se trouvaient tant de colonnes et de figures de pierre, je crus rencontrer pour la première fois le cortège réuni des trois rois mages. C'était dans un pays assez fertile. On voyait ça et là des habitations de bergers construites en pierres blanches et noires Le cortège arriva dans la plaine à un puits, dans le voisinage duquel se trouvaient plusieurs hangars spacieux. Il y en avait trois au milieu et plusieurs autres alentour. C'était comme des lieux de repos pour les voyageurs.

Le cortège entier était divisé en trois groupes : dans chacun d'eux se trouvaient cinq personnages de distinction, et parmi ceux-ci le chef et le roi, qui, comme un père de famille, ordonnait tout, réglait tout et faisait les parts. Chacun de ces trois groupes se composait d'hommes dont je visage était de couleur différente. La tribu de Mensor avait le teint d'un brun agréable, celle de Saïr était d'un brun plus foncé ; celle de Théokéno avait un teint éclatant tirant sur le jaune. Je ne vis personne d'un noir brillant, à l'exception de quelques esclaves.

Les principaux personnages étaient assis sur leurs bêtes de somme, entre des paquets recouverts de tapis. Ils avaient des bâtons à la main. Ils étaient suivis d'autres bêtes grandes à peu près comme des chevaux, sur lesquelles étaient des serviteurs et des esclaves au milieu du bagage. Quand ils furent arrivés, ils descendirent, déchargèrent entièrement les animaux et les firent boire au puits. Celui-ci était entouré d'un petit terrassement sur lequel était un mur avec trois entrées ouvertes. Dans cette enceinte se trouvait le réservoir d'eau, qui était placé un peu plus bas. L'eau sortait par trois conduits fermés avec des chevilles. Le réservoir était fermé par une espèce de couvercle ; il fut ouvert par un homme de la ville en ruine qui s'était joint au cortège. Ils avaient des outres de cuir séparées en quatre compartiments, où quatre chameaux pouvaient boire à la fois quand elles étaient remplies d'eau. Ils étaient si soigneux en ce qui concernait l'eau, qu'ils n'en laissaient pas perdre une goutte ; les bêtes furent ensuite installées dans des enceintes découvertes qui se trouvaient près du puits, et où chacune avait sa place à part. Elles avaient là devant elles des auges de pierre où on leur fit manger d'un fourrage qu'elles portaient avec elles. C'étaient des grains gros à peu près comme des glands (peut-être des fèves). Dans le bagage se trouvaient aussi de grandes cages suspendues aux flancs des bêtes de somme, et où se trouvaient de, oiseaux de diverses espèces, gros à peu près comme des pigeons ou des poulets, ils en mangeaient pendant le voyage. Ils avaient dans des boites de cuir des pains d'égale grandeur, semblables à des tablettes pressées les unes contre les autres. Ils portaient avec eux des vases précieux d'un métal Jaune, couverts d'ornements et de pierres fines, lesquels avaient à peu près la forme de ne. vases sacrés, tels que calices, patènes, etc. Ils s'en servaient pour boire et pour présenter les aliments Le. bords de ces vases étaient le plus souvent ornés de pierres rouges.

Les tribus n'étaient pas tout à fait habillées de la même manière. Théokéno et sa famille, aussi bien que Mensor, portaient sur la tête une sorte de calotte élevée, autour de laquelle était roulée une bande d'étoffe blanche ; leurs tuniques descendaient jusqu'aux jarrets : elles étaient très simples et avaient à peine quelques ornements sur la poitrine ; ils avaient des manteaux légers, amples et très longs, qui traînaient par derrière. Sair, le basané, et sa famille, portaient des bonnets avec une coiffe ronde, brodée de diverses couleurs, et un petit bourrelet blanc ; ils avaient des manteaux plus courts, et là-dessous des tuniques boutonnées descendant jusqu'aux genoux, chamarrées de lacets, de boutons reluisants et d'autres ornements ; sur l'un des côtés de leur poitrine, se trouvait une plaque brillante de la forme d'une étoile. Tous avaient les pieds nus, posant sur des semelles assujetties avec des cordons qui entouraient le bas des jambes. Les principaux d'entre eux avaient à la ceinture des sabres courts ou de grands coutelas ; ils y portaient aussi des bourses et de petites boites. Il y avait là des hommes de cinquante ans, de quarante, de trente et de vingt ; les uns avaient une longue barbe, les autres la portaient plus courte. Les serviteurs et les chameliers étaient vêtus beaucoup plus simplement ; plusieurs n'avaient sur eux qu'une pièce d'étoffe ou une vieille couverture.

Quand les bêtes furent désaltérées et parquées, et quand eux-mêmes eurent bu, ils firent du feu au milieu du hangar sous lequel ils s'étaient établis : ils se servirent pour cela de morceaux de bois d'environ deux pieds et demi de long, que les pauvres gens du pays avaient apportés en fagots, lesquels paraissaient préparés d'avance pour l'usage des voyageurs ; ils en firent une espèce de bûcher de forme triangulaire, laissant sur le côté une ouverture pour donner de l'air : c'était très habilement arrangé. Je ne sais pas bien comment ils se procurèrent di1 feu : je vis qu'on mit un morceau de bois dans un autre où l'on avait fait un creux, et qu'on le fit tourner quelque temps ; après quoi on le retira allumé. Ils firent ainsi leur feu, et je les vis tuer quelques oiseaux et les faire rôtir.

Les trois rois et les plus âgés firent chacun pour sa tribu ce que fait un père de famille dans sa maison ; ils firent les parts et présentèrent à chacun la sienne : ils placèrent les oiseaux découpés sur de petites patènes ou assiettes, et les firent passer à la ronde ; ils remplirent aussi les coupes et donnèrent à boire à chacun. Les serviteurs subalternes, parmi lesquels étaient des nègres, étaient assis par terre sur une couverture ; ils attendaient patiemment leur tour et recevaient aussi leur part. Je pense que c'étaient des esclaves.

Combien sont touchantes la bonté et la simplicité naive de ces excellents rois ! ils donnent de tout ce qu'ils ont aux gens qui sont venus avec eux ; ils leur portent même les vases d'or à la bouche, et les font boire comme des enfants.

J'ai appris aujourd'hui beaucoup de choses sur les saints rois, notamment les noms de leurs pays et de leurs villes, mais j'ai presque tout oublié. Je dirai ce que j'ai retenu. Mensor, le brun, était Chaldéen ; sa ville avait un nom comme Acaiaia ; elle était entourée d'un fleuve et comme sur une île. Il résidait habituellement dans la plaine, près de ses troupeaux. Sair, le basané, était déjà auprès de lui tout prêt à partir, la nuit de la Nativité. Je me souviens que son pays avait un nom qui ressemblait à Partherme. (C'est peut-être le nom de Parthiène ou de Parthomaspe défiguré.) un peu au-dessus de ce pays se trouvait un lac. Lui et sa tribu étaient de couleur très foncée) mais avec les lèvres rouges. Les autres gens qu'étaient avec eux étaient blancs Il n'y avait qu'une ville, à peu près grande comme Munster.

L'écrivain trouva, en 1839, par conséquent dix-huit ans après cette mention d'Acaiaia, l'indication suivante dans le Dictionnaire des écoles industrielles de Franke : "Achaiacula, forteresse sur les iles de l'Euphrate en Mésopotamie. "(Ammian., 2 i-2.) Nous désirons qu'on puisse établir une relation entre ces noms.

Théokéno, le blanc, venait de Médie, pays situé plus haut, entre deux mers ; il habitait sa ville, dont j'ai oublié le nom. Elle était composée de tentes dressées sur des fondements en pierres. Je pense que Théokéno, qui était le plus riche des trois, et celui qui avait renoncé à plus de choses, aurait pu se rendre à Bethléem par une voie plus directe, et qu'il avait fait un détour pour se réunir aux autres. Il me semble presque qu'il avait dû passer près de Babylone pour les rejoindre.

Saïr demeurait à trois journées de voyage de l'habitation de Mensor, en évaluant chaque journée à douze lieues. Théokéno était à cinq de ces journées de voyage. Mensor et Sair se trouvaient réunis chez le premier, lorsqu'ils virent l'étoile qui annonçait la naissance de Jésus. Ils s'étaient mis en route le jour suivant. Théokéno vit chez lui la même apparition ; il partit en toute hâte pour rejoindre les deux autres et les rencontra dans la ville en ruine.

L'étoile qui les conduisait était comme un globe rond, et la lumière en sortait comme d'une bouche. (Cette expression peut s'être présentée à elle, parce qu'elle voyait souvent de la lumière sortir de la bouche du Seigneur et de celle des saints.) il me semblait toujours que ce globe était comme suspendu à un fit lumineux et dirigé par une main. Pendant la journée je voyais au-devant d'eux un corps brillant dont la clarté surpassait celle du jour. Quand je considère la longueur du voyage, je suis étonnée de la vitesse avec laquelle ils le firent ; mais les animaux qu'ils montaient avaient un pas si léger et si égal, que leur marche me paraissait ordonnée, rapide et uniforme comme le vol d'une bande d'oiseaux de passage. Les pays des trois rois formaient ensemble comme un triangle.

Le cortège étant resté jusqu'au soir dans l'endroit où je l'avais vu s'arrêter, les gens qui s'y étaient joints aidèrent à recharger les bêtes de somme, et emportèrent chez eux différentes choses qui avaient été laissées là par les voyageurs. La nuit tombait lorsque ceux-ci se mirent en route. L'étoile était visible ; elle jetait une lueur rougeâtre comme la lune lorsqu'il fait grand vent. Ils marchèrent quelque temps près de leurs montures, la tête découverte, et ils firent des prières. Le chemin ici était tel qu'on ne pouvait pas aller vite. Plus tard, quand il devint uni, ils remontèrent sur leurs bêtes, qui avaient une allure très rapide. Quelquefois ils allaient lentement, et alors ils entonnaient tous ensemble, à travers la nuit, des chants singulièrement expressifs et touchants.

(Du 29 novembre au 2 décembre.)

Dans la nuit du 29 au 30 novembre, je me trouvai de nouveau prés du cortège des trois rois. Ils s'avancent toujours dans la nuit, suivant l'étoile qui, en ce moment, semble toucher la terre de sa longue queue lumineuse. Ils la regardent avec une joie tranquille, descendent de leurs montures et s'entretiennent ensemble. Quelquefois ils chantent alternativement de courtes sentences sur un air lent et expressif, dont les notes sont tantôt très hautes, tantôt très basses. Il y a quelque chose d'extrêmement touchant dans ces mélodies qui interrompent le silence de la nuit, et j'ai le sentiment de tout ce qu'ils chantent. Le cortège s'avance dans une belle ordonnance : c'est d'abord un grand chameau portant de chaque côté des coffres sur lesquels sont étendus de larges tapis ; en haut est assis un des chefs, avec son épieu à la main et un sac auprès de lui. Puis viennent des animaux plus petits, comme des chevaux ou des ânes de haute taille, et sur eux, entre les bagages, les hommes qui dépendent de ce chef. Puis, vient un autre chef sur un chameau, etc. Ces animaux marchent légèrement, quoique à grand pas, et ils posent le pied avec précaution. Leur corps ne remue pas ; leurs pieds seuls sont en mouvement. Les hommes sont aussi calmes que s'ils n'avaient à s'occuper de rien. Tout cela est si tranquille et si doux ! c'est comme un songe paisible.

Je ne puis m'empêcher de faire une réflexion frappante sur ce que je vois. Ces bonnes gens ne connaissent pas encore le Seigneur, et ils vont à lui avec tant d'ordre, de paix et de bonne grâce ! tandis que nous, qu'il a délivrés et comblés de ses bienfaits, nous sommes si désordonnés et si irrévérencieux dans nos processions.

Le vendredi, 30 novembre, je vis le cortège s'arrêter dans une plaine près d'un puits. Un homme, sorti d'une cabane comme il y en avait plusieurs dans le voisinage, leur ouvrit ce puits. Ils abreuvèrent leurs bêtes, et firent une courte halte sans les décharger.

Le samedi, 1er décembre, je vis le cortège, qui avait suivi hier un chemin montant sur un plateau élevé. A leur droite étaient des montagnes, et il me sembla qu'à l'endroit où le chemin descendait, ils s'approchèrent d'une contrée où se trouvaient fréquemment des habitations, des arbres et des fontaines. Il me sembla que c'était le pays de ces gens que j'avais vus l'année dernière et récemment encore filer et tisser du coton. Ils adoraient des images de taureaux. Ils offrirent libéralement des aliments à la troupe nombreuse qui suivait le cortège ; mais ils ne se servaient plus des plats dans lesquels ceux-ci avaient mangé, ce dont je fus surprise.

Le dimanche, 2 décembre, Je vis les saints rois dans le voisinage d'une ville dont le nom me parait ressembler à Causour, et qui se compose de tentes dressées sur des fondations en pierres. Ils s'arrêtèrent là chez un autre roi auquel cette ville appartenait, et dont la demeure était à quelque distance. Depuis leur jonction dans la ville en ruine jusqu'ici, ils avaient fait cinquante-trois ou soixante-trois heures de route. Ils racontèrent au roi de Causour tout ce qu'ils avaient vu dans les étoiles. Il fut très étonné, regarda l'étoile qui les conduisait, et y vit un petit enfant avec une croix. Il les pria de lui raconter à leur retour ce qu'ils auraient vu, parce qu'il voulait aussi élever des autels à l'enfant et lui offrir des sacrifices. Je suis curieuse de savoir s'il tiendra sa parole lorsqu'ils reviendront. Je les ai entendus lui raconter l'origine de leurs observations sur les astres, et je me souviens de ce qui suit :

Les ancêtres des trois rois étaient de la race de Job, qui anciennement avait habité près du Caucase, et qui avait eu des possessions dans d'autres pays très éloignés. Environ quinze cents ans avant Jésus-Christ, ils ne formaient encore qu'une seule tribu. Le prophète Balaam était de leur pays ; un de ses disciples y avait fait connaître sa prophétie : " une étoile naîtra de Jacob ", et avait donné des instructions à ce sujet. Sa doctrine s'y était fort répandue : on avait élevé une grande tour sur une montagne, et plusieurs savants astronomes y résidaient alternativement. J'ai vu cette tour, qui était elle-même comme une montagne, large par en bas et se terminant en pointe. Tout ce qu'ils observaient dans le ciel était noté et passait de bouche en bouche. A plusieurs reprises, ces observations furent interrompues par suite de divers événements. Plus tard, ils en vinrent à des abominations impies, au point de sacrifier des enfants. Ils croyaient pourtant que l'enfant promis devait venir bientôt. Environ cinq siècles avant la naissance de Jésus-Christ, les observations avaient cessé. Ils s'étaient alors divisés en trois branches, formées par trois frères qui vivaient séparés avec leurs familles. Ces frères avaient trois filles auxquelles Dieu avait accordé le don de prophétie. Elles parcouraient le pays, vêtues de longs manteaux, et faisaient des prédictions relativement à l'étoile et à l'enfant qui devait sortir de Jacob. On se remit alors à observer les astres, et l'attente de l'enfant redevint très vive dans les trois tribus. Les trois rois descendaient de ces trois frères par quinze générations qui s'étaient succédé en ligne directe depuis environ cinq cents ans. Mais, par suite du mélange avec d'autres races, la couleur de leur peau avait changé, et ils différaient les uns des autres à cet égard.

Depuis cinq siècles, les ancêtres des trois rois n'avaient jamais cessé de se réunir de temps en temps pour observer ensemble les astres. Tous les événements remarquables et relatifs à l'avènement futur du Messie leur étaient indiqués par des signes merveilleux qu'ils voyaient dans le ciel. J'en vis plusieurs pendant leur récit, mais je ne puis les rapporter clairement. Depuis la conception de la sainte Vierge, par conséquent depuis quinze ans, ces signes marquaient plus distinctement que la venue de l'Enfant était proche. Enfin ils avaient vu aussi bien des choses qui se rapportaient à la Passion de Notre Seigneur. Ils pouvaient calculer au juste l'époque où sortirait de Jacob l'étoile prophétisée par Balaam, car ils avaient vu l'échelle de Jacob, et, d'après le nombre des échelons et la succession des tableaux qui s'y montraient, ils pouvaient calculer l'approche du Sauveur, comme sur un calendrier ; car l'extrémité de l'échelle aboutissait à cette étoile, ou bien l'étoile était la dernière image qui y apparût. A l'époque de la conception de Marie, ils avaient vu la Vierge avec un sceptre et une balance, sur les plateaux de laquelle étaient des épis de blé et des raisins. Un peu plus tard ils virent la Vierge avec l'enfant. Bethléem leur apparut comme un beau palais, une maison où étaient rassemblées et distribuées d'abondantes bénédictions. Ils y virent aussi la Jérusalem céleste, et entre ces deux demeures, une route sombre, pleine d'épines, de combats et de sang.

Ils prirent tout cela à la lettre. Ils croyaient que le roi attendu était né au milieu d'une grande pompe, et que tous les peuples lui rendaient hommage. C'est pourquoi ils allaient, eux aussi, l'honorer et lui porter leurs présents. Ils prenaient la Jérusalem céleste pour son royaume sur la terre, et c'était là qu'ils croyaient aller. Quant à la route semée de difficultés, ils pensaient qu'elle représentait leur voyage, ou bien une guerre qui menaçait le nouveau roi. Ils ne savaient pas que c'était le symbole de la voie douloureuse de sa Passion. Au-dessous, sur l'échelle de Jacob, ils virent (et je vis aussi) une tour artistement construite, assez semblable aux tours que je vois ; sur la montagne des prophètes, et où la Vierge se réfugia une fois pendant un orage. Je ne sais plus ce que cela signifiait. (Peut-être la fuite en Egypte.) il y avait une longue série de tableaux sur cette échelle de Jacob, entre autres beaucoup de symboles figuratifs de la sainte Vierge, dont quelques-uns se trouvent dans les litanies, en outre la fontaine scellée, le jardin fermé, et aussi des figures de rois dont les uns tenaient un sceptre et les autres des branches d'arbre.

Ils virent ces tableaux se montrer dans les étoiles ; ils les virent continuellement pendant les trois dernières nuits Alors le principal d'entre eux envoya des messagers aux autres ; et quand ils virent les rois présenter des offrandes à l'enfant nouveau-né, ils se mirent en route avec leurs présents, ne voulant pas être les derniers à lui rendre hommage. Toutes les tribus des adorateurs des astres avaient vu l'étoile, mais celles-ci seules la suivirent. L'étoile qui les conduisait n'était pas une comète, mais un météore brillant que portait un ange.

Ce furent ces visions qui les firent partir dans l'attente de grandes choses, et ils furent ensuite très surpris de ne rien trouver de tout cela. Ils furent très étonnés de la réception d'Hérode et de l'ignorance où tout le monde était. Quand ils arrivèrent à Bethléem, et qu'au lieu du palais magnifique qu'ils avaient vu dans l'étoile, ils virent une pauvre grotte, ils furent assaillis de bien des doutes. Mais ils restèrent fermes dans leur foi, et, à la vue de l'Enfant-Jésus, ils reconnurent que ce qu'ils avaient vu dans les astres était accompli.

Leurs observations des étoiles étaient accompagnées d. jeûnes, de prières, de cérémonies, de toute sorte d'abstinences et de purifications. Ce culte des astres exerçait des influences pernicieuses sur des gens qui étaient en rapport avec le mauvais esprit. Ces gens, lors de leurs visions, étaient saisis de convulsions violentes ; c'était à leur suite qu'avaient lieu d'abominables sacrifices d'enfants. D'autres, comme par exemple les saints rois, virent tout cela clairement, tranquillement, avec une douce émotion, et ils en devinrent meilleurs et plus pieux.

(Du lundi 3 au mercredi 5 décembre.)

Lorsque les trois rois quittèrent Causour, je vis se joindre à eux une troupe considérable de voyageurs de distinction qui suivaient la même route. Les 3 et 4 décembre, je vis la caravane traverser une grande plaine. Le b, ils firent une halte près d'un puits. Ils firent boire et manger leurs bêtes de somme sans les décharger, et préparèrent quelques aliments pour eux-mêmes.

Pendant ces derniers jours, la soeur Emmerich, tout en dormant, chanta plusieurs fois des paroles rimées sur des airs étranges, mais très touchants. Comme on l'interrogeait à ce sujet. elle répondit : Je chante avec ces bons rois ; ils chantent si agréablement des paroles comme celles-ci, par exemple :

Nous voulons franchir les montagnes,
et nous agenouiller devant le nouveau roi.

Ils improvisent et chantent ces vers alternativement ; l'un d'eux commence, et tous les autres répètent le vers qu'il a chanté ; alors un autre ajoute un autre vers, et ils continuent ainsi, tout en chevauchant, à chanter leurs douces et touchantes mélodies.

Dans le centre de l'étoile, ou plutôt du globe lumineux qui leur montrait le chemin, je vis apparaître un enfant avec une croix. Ce globe lumineux, lorsqu'ils eurent vu l'apparition de la Vierge dans les étoiles, s'était montré au-dessus de cette image et s'était tout d'un coup mis en mouvement.

LX
Bethléem.
La sainte Vierge a le pressentiment
de rapproche des trois Rois.

La contemplation passe alternativement de la grotte de la Crèche, à Bethléem, à la caravane des trois rois.

(Mercredi, 5 décembre.)

Marie avait eu une vision sur l'approche des trois rois pendant leur halte près du roi de Causour. Elle vit aussi que celui-ci voulait élever un autel à l'enfant. Elle raconta cela à saint Joseph et à Élisabeth, et dit qu'il fallait vider la grotte de la Crèche et tout préparer pour la réception des trois rois à leur arrivée.

Les gens à cause desquels Marie s'était retirée hier dans l'autre grotte étaient des visiteurs curieux : il en vint un plus grand nombre dans les derniers jours. Aujourd'hui Élisabeth revint à Juttah, en compagnie d'un serviteur.

(Du 6 au 8 décembre.)

Il y eut plus de tranquillité dans la grotte de la Crèche pendant ces deux jours. La sainte Famille resta seule la plupart du temps. La servante de Marie, femme d'environ trente ans, très sérieuse et très humble, était seule présente. C'était une veuve sans enfants, parente d'Anne, qui lui avait donné asile chez elle. Son défunt mari avait été très dur envers elle parce qu'elle allait souvent chez les Esséniens ; car elle était très pieuse et attendait le salut d'Israel. Il s'irritait à cause de cela, comme de méchants hommes de nos jours qui trouvent que leurs femmes vont trop souvent à l'église ; il l'avait quittée et était mort quelque temps après.

Les vagabonds qui avaient mendié et proféré des injures et des malédictions près de la grotte de la Crèche ne revinrent plus dans ces derniers jours. C'étaient des mendiants qui allaient à Jérusalem pour la fête de la dédicace du temple, instituée par les Machabées.

Joseph célébra le sabbat sous la lampe, dans la grotte de la Crèche, avec Marie et la servante. Le samedi soir commença la fête de la dédicace du temple. On est tranquille aujourd'hui ; les nombreux visiteurs étaient des voyageurs qui allaient à la fête. Anne envoie plusieurs fois des messagers pour apporter des présents et avoir des nouvelles. Les femmes juives ne nourrissent pas longtemps leurs enfants sans leur donner d'autre aliment que leur lait : aussi l'Enfant-Jésus prit-il, après les premiers jours, une bouillie faite de la moelle d'une espèce de roseau : cette bouillie est douce, légère et nourrissante.

(Du 9 au 10 décembre.)

Joseph allume le soir et le matin ses petites lampes pour célébrer la fête de la Dédicace. Depuis le commencement de la fête à Jérusalem, on est fort tranquille ici.

(Le lundi 10.)

Il vint aujourd'hui un serviteur de la part de sainte Anne. Il portait à la sainte Vierge, outre divers autres objets, tout ce qu'il fallait pour travailler à une ceinture, ainsi qu'une charmante corbeille pleine de fruits et recouverte de roses qui étaient placées sur les fruits et qui étaient restées très fraîches. Cette corbeille était mince et haute. Les roses n'étaient pas de la couleur des nôtres, mais pâles et presque couleur de chair ; il y en avait aussi de jaunes et de blanches ; il s'y trouvait des boutons. Marie parut y prendre plaisir et plaça la corbeille près d'elle.

(Caravane des trois rois.) J'ai vu plusieurs fois les trois rois en marche ; le chemin était montueux. Ils franchirent ces montagnes dont j'ai parlé, et où se trouvent semées des pierres minces semblables à des fragments de poterie. J'aimerais à en avoir : elles sont belles et polies. Il y a aussi là d'autres montagnes où se trouvent beaucoup de pierres transparentes semblables à des oeufs d'oiseau, ainsi que beaucoup de sable blanc. Je les vis dans la contrée où ils s'établirent plus tard, et où Jésus les visita pendant sa troisième année de prédication.

(Mardi,1 décembre ; jeudi, 13 décembre.) il me semble que Joseph aurait envie de rester à Bethléem et de s'y fixer après la purification de Marie ; je crois qu'il a pris quelques renseignements dans cette intention. Il y a trois jours, il vint à la grotte de la Crèche des gens aisés de Bethléem ; maintenant ils prendraient volontiers la sainte Famille chez eux. Marie se cacha dans la grotte latérale, et Joseph déclina leurs offres. Sainte Anne visitera bientôt la sainte Vierge. Je l'ai vue dernièrement très affairée : elle faisait des parts de ses troupeaux pour les pauvres et pour le temple. La sainte Famille distribuait également tout ce qu'elle avait. La fête de la Dédicace était encore célébrée matin et soir. Il doit s'y être joint une autre fête le 13. Je vis à Jérusalem faire des changements dans les cérémonies de la fête. Je vis un prêtre avec un rouleau prés de saint Joseph dans la grotte : ils prièrent ensemble près d'une petite table qui avait une couverture rouge et blanche. Il semblait que ce prêtre voulût voir si Joseph célébrait la fête ou qu'il lui annonçât une nouvelle fête. (Il lui sembla voir un jour de fête ; cependant elle croyait que celle de la nouvelle lune (néoménie) devait avoir commencé : elle ne savait pas bien ce qui en était.) Dans les derniers jours la grotte fut tranquille et sans visiteurs.

LXI
Bethléem. Visite à le Crèche.
Caravane des Rois.
Ils arrivent dans la terre promise.

(Du 14 au 18 décembre.)

La fête de la Dédicace finit avec le sabbat. Joseph n'alluma plus les petites lampes. Le dimanche 16 et le lundi 17, beaucoup de gens des environs vinrent encore à la crèche ; les mendiants effrontés se montrèrent aussi à l'entrée. C'était parce qu'on revenait alors de la fête.

Le 17, il vint deux messagers de sainte Anne avec des provisions de bouche et divers effets. Mais Marie est bien plus prompte que moi à donner. Tout cela fut bientôt distribué. Je vis Joseph commencer à faim divers arrangements dans la grotte de la Crèche, dans les grottes latérales et aussi dans cette du tombeau de Maraha. Ils attendaient bientôt la visite de sainte Anne et aussi celle des trois rois, d'après la vision qu'avait eue Marie.

(Le lundi, 17 décembre.)

Je vis aujourd'hui la caravane des trois rois arriver le soir dans une petite ville où les habitations étaient dispersées ça et là ; plusieurs des maisons étaient entourées de grandes haies, il me sembla que c'était le premier endroit de la Judée. Ils étaient là dans la direction de Bethléem ; cependant ils prirent à droite, probablement parce qu'il n'y avait pas de route directe. Quand ils arrivèrent dans ce lieu, leur chant sembla plus animé et plus expressif ; ils étaient tout joyeux, parce que l'étoile avait ici un éclat extraordinaire : c'était comme un clair de lune, en sorte que les ombres se dessinaient très distinctement. Cependant les habitants de ce lieu paraissaient ou ne pas voir l'étoile, ou ne point s'en occuper particulièrement. Ces gens étaient, du reste, bons et obligeants. Quelques-uns des voyageurs étaient descendus de leurs montures, et les habitants les aidèrent à les abreuver. Je pensai alors au temps d'Abraham, où tous les hommes étaient si bienveillants et si serviables. Beaucoup de gens du pays accompagnaient le cortège à son passage dans la ville, portant à la main des branches d'arbre. Je ne voyais pas l'étoile toujours également brillante ; quelquefois elle s'obscurcissait. Il semblait qu'elle jetât plus de clarté dans les lieux où habitaient des gens de bien. Quand les voyageurs la voyaient plus éclatante, ils étaient très émus, et croyaient que c'était peut-être en cet endroit qu'ils allaient trouver le Messie.

(Le mardi, 18 décembre.)

Ce matin, ils contournèrent, sans s'y arrêter, une ville sombre et couverte d'un brouillard. Peu après, ils traversèrent un cours d'eau qui se jette dans la mer Morte (peut-être l'Arnon). Plusieurs des gens qui s'étaient adjoints à eux restèrent dans les deux derniers endroits. J'ai su que l'une de ces villes avait servi de refuge à quelqu'un lors d'un débat qui avait eu lieu avant que Salomon ne montât sur le trône. Ils traversèrent le torrent ce matin, et trouvèrent ensuite une bonne route.

(Le mercredi 19.)

Ce soir, je vis le cortège des trois rois, qui pouvait être d'environ deux cents personnes, parce que leur libéralité avait porté beaucoup de menu peuple à se joindre à eux, s'approcher, par le côté oriental, d'une ville à l'occident de laquelle Jésus passa, sans y entrer, le 31 juillet de sa seconde année de prédication. Le nom de cette ville ressemblait à Manathea, Methanea, Medana ou Madian. Il s'y trouvait des Juifs et des paiens ; les habitants étaient méchants.

Saint Jérôme mentionne une ville appelée Methane, prés de l'Arnon. De là les Methanites dont il est parlé dans le premier livre des Paralipomènes (XI, 48).

Quoiqu'une grand route la traversât, les trois rois ne voulurent pas y entrer. Ils passèrent devant le côté oriental pour gagner une enceinte murée où se trouvaient des hangars et des écuries. Les rois y dressèrent leurs tentes, firent boire et manger leurs bêtes, et mangèrent eux-mêmes.

Je vis les rois s'arrêter ici le jeudi 20 et le vendredi 21 ; mais ils furent très attristés, parce qu'ici, comme dans la ville précédente, personne ne savait rien du roi nouvellement né. Cependant je les entendis raconter très amicalement aux habitants beaucoup de choses touchant la cause de leur départ, la longueur de la route et toutes les circonstances de leur voyage. Voici ce que je m'en rappelle encore :

Le roi nouveau-né leur avait été annoncé depuis très longtemps. Je pense que ce fut peu de temps après Job, et avant qu'Abraham n'allât en Égypte ; car une troupe, d'environ trois mille hommes de la Médie, venus du pays de Job (il y en avait aussi d'autres venus de pays différents), avaient fait une expédition en Égypte, et étaient venus jusque dans la contrée d'Eliopolis. Je ne sais pas bien pourquoi ils étaient allés si loin, mais c'était une expédition militaire ; je crois qu'ils étaient venus au secours de quelqu'un. Cependant leur expédition était blâmable, elle était dirigée contre quelque chose de saint ; je ne sais plus si c'était contre de saints hommes ou contre un mystère religieux qui concernait l'accomplissement de la promesse divine.

Dans les environs d'Héliopolis, plusieurs de leurs chefs eurent une révélation par suite de l'apparition d'un ange qui les empêcha d'aller plus loin. Il leur annonça un Sauveur qui devait naître d'une vierge et être honoré par leurs descendants. Je ne sais plus comment les choses se passèrent ; mais ils durent s'arrêter, revenir chez eux et observer les astres. Je les vis établir en Egypte des fêtes de réjouissance ; ils élevèrent des arcs de triomphe et des autels, les ornèrent de fleurs, puis ils revinrent dans leur patrie. C'étaient des gens de la Médie, adorateurs des étoiles ; ils étaient fort grands, presque comme des géants ; ils avaient une taille avantageuse et un beau teint brun tirant sur le jaune. Ils allaient avec leurs troupeaux d'un lieu à un autre, et dominaient partout à cause de leur force supérieure. J'ai oublié le nom d'un prophète principal qui était parmi eux. Ils connaissaient beaucoup de prédictions et observaient certains signes que leur donnaient les animaux. Souvent les animaux se mettaient en travers de leur route et se laissaient tuer plutôt que de se retirer. C'était pour eux un signe, et ils se détournaient des chemins où cela arrivait.

Ces Mèdes, revenant de l'Égypte, avaient les premiers, suivant le récit des saints rois, rapporté la prophétie, et l'on commença dès lors à observer les étoiles. Ces observations tombèrent en désuétude ; mais elles furent renouvelées par les soins d'un disciple de Balaam, et mille ans après celui-ci, les trois prophétesses, filles des ancêtres des trois rois, les firent reprendre. Cinquante ans plus tard, c'est-à-dire à l'époque où l'on était parvenu, l'étoile avait apparu et ils la suivaient pour adorer le nouveau roi.

Ils racontaient tout cela à leurs auditeurs avec beaucoup de simplicité et de sincérité, et ils furent affligés de voir que ceux-ci ne semblaient pas croire à ce qui, depuis deux mille ans, avait été l'objet de l'attente de leurs ancêtres

L'étoile fut obscurcie le soir par des vapeurs ; mais dans la nuit elle se montra grande et brillante entre les nuages qui couraient, et elle parut très près de la terre. Alors ils se levèrent en toute hâte, éveillèrent les habitants du pays et la leur montrèrent. Ces gens regardèrent le ciel tout étonnés et avec quelque émotion ; mais plusieurs s'irritèrent contre les saints rois, et la plupart ne cherchèrent qu'à tirer profit de leur libéralité.

Je les entendis dire combien de chemin ils avaient parcouru depuis leur lieu de réunion jusqu'ici. Ils comptaient par journées de voyage à pied, qu'ils évaluaient à douze lieues. Avec leurs montures, qui étaient des dromadaires et qui allaient plus vite que des chevaux, ils faisaient trente-six lieues par jour, en comptant la nuit et les haltes. Ainsi le plus éloigné des trois rois pouvait faire on deux jours les cinq fois douze lieues qui le séparaient du lieu où ils s'étaient réunis, et les moins éloignés faire en un jour et une nuit leurs trois fois douze lieues. De cet endroit où ils s'étaient réunis jusqu'ici ils avaient fait 672 lieues, et pour cela, à compter de la naissance de Jésus-Christ, ils avaient employé environ vingt-cinq jours et autant de nuits, les jours de repos compris.

Le soir du vendredi 21 décembre, comme le sabbat commençait pour les Juifs habitant ici, lesquels s'étaient rendus à la synagogue d'un petit endroit voisin en passant l'eau sur un pont qui se trouvait à l'ouest, les saints rois se préparèrent à partir. Je vis plusieurs fois ces Juifs regarder l'étoile qui guidait les rois et témoigner à cette, occasion un grand étonnement ; mais ils n'en étaient pas plus respectueux. Ces hommes effrontés et importuns se pressaient comme des essaims de guêpes autour des trois rois pour leur faire des demandes, et ceux-ci, pleins de patience, leur distribuaient sans cesse de petites pièces jaunes triangulaires qui étaient très minces, et aussi des grains de métal d'une couleur plus foncée. Ils devaient être bien riches.

Ils firent ensuite, conduits par les habitants, le tour des murs de la ville, dans laquelle je vis des temples avec des idoles ; puis ils traversèrent le torrent sur un pont et passèrent par le village juif. Ils avaient encore vingt-quatre lieues à faire pour arriver à Jérusalem.

LXII
Bethléem. Arrivée de sainte Anne.
Libéralité de la sainte Famille.

Le soir du 19 décembre, je vis sainte Anne, avec Marie d'Héli, une servante, un domestique et deux ânes, passer la nuit à peu de distance de Béthanie : elle se rendait à Bethléem. Joseph avait à peu près fini ses arrangements dans la grotte de la Crèche et dans les grottes latérales, pour loger ses hôtes de Nazareth, et pour recevoir les trois rois, dont Marie avait récemment annoncé l'arrivée lorsqu'ils étaient à Causour. Joseph et Marie étaient allés dans l'autre grotte avec l'Enfant-Jésus. La grotte de la Crèche était entièrement débarrassée. L'âne seul y avait été laissé.

Joseph, autant que je puis m'en souvenir, avait depuis quelque temps payé le second impôt. De nouveaux curieux étaient venus de Bethléem pour voir l'enfant. Il s'était laissé prendre tranquillement par quelques-uns et s'était détourné de quelques autres en pleurant.

Je vis la sainte Vierge tranquille dans son nouveau logement, qui était arrangé commodément. Sa couche était contre la paroi. L'Enfant-Jésus était près d'elle dans une longue corbeille faite d'écorce, qui reposait sur des fourches. La couche de Marie, ainsi que le berceau de l'Enfant-Jésus qui était à côté, étaient séparés du reste par une cloison en clayonnage. Le jour, quand elle ne voulait pas être seule, elle était assise en avant de cette cloison, ayant l'enfant auprès d'elle. Joseph reposait dans une partie éloignée de la grotte, qui était aussi séparée du reste. Je vis Joseph porter des aliments à Marie dans un plat, ainsi qu'une petite cruche et de l'eau.

(Le jeudi, 20 décembre.)

Ce soir commençait un jour de jeûne. Tous les aliments étaient préparés pour le jour suivant : le feu était couvert et les ouvertures voilées l. Sainte Anne était arrivée avec la soeur aînée de la sainte Vierge et une servante. Ces visiteurs devaient passer la nuit dans la grotte de la Crèche ; c'était pour cela que la sainte Famille s'était retirée dans la grotte latérale. J'ai vu aujourd'hui Marie mettre l'enfant dans les bras de sa mère : celle-ci était profondément touchée. Anne avait apporté des couvertures, des linges et des provisions de bouche. Elle dormit à l'endroit où Elisabeth avait reposé, et Marie lui raconta avec beaucoup d'émotion tout ce qui s'était passé. Anne pleura avec la sainte Vierge, et tout ce récit fut interrompu par les caresses de l'Enfant-Jésus.

(Le vendredi, 21 décembre.)

Je vis aujourd'hui la sainte Vierge revenir dans la grotte de la Crèche et le petit Jésus c ouche de nouveau dans la crèche. Quand Joseph et Marie sont seuls près de l'enfant, je les vois souvent l'adorer. Je vis aussi aujourd'hui sainte Anne se tenir près de la crèche avec la sainte Vierge dans une attitude respectueuse, et contempler l'Enfant-Jésus avec un grand sentiment de dévotion et de ferveur. Je ne sais pas bien si les personnes qui accompagnaient sainte Anne avaient passe la nuit dans l'autre grotte, ou si elles étaient allées ailleurs. Je suis portée à croire qu'elles étaient ailleurs. Je vis aujourd'hui qu'Anne avait apporté différents objets pour la mère et pour l'enfant. Marie a déjà reçu bien des choses depuis qu'elle est ici ; mais tout, autour d'elle, présente l'image de la pauvreté, parce qu'elle donne tout ce dont elle peut se passer à la rigueur. Je l'entendis dire à Anne que les rois de l'Orient viendraient bientôt et que leur visite ferait un grand effet. Je crois que, pendant le séjour des rois, Sainte Anne ira à trois lieues d'ici, chez sa soeur, et qu'elle reviendra plus tard.

(Le samedi, 9 décembre.)

Ce soir, après la clôture du Sabbat, je vis sainte Anne, avec sa compagne, quitter la sainte Vierge pour un certain temps. Elle s'en alla à trois lieues de là, dans la tribu de Benjamin, chez une soeur qui y était mariée. Je ne sais plus le nom de l'endroit, qui consiste seulement en quelques maisons dans une plaine. Il est à une demi lieue du dernier logement de la sainte Famille dans son voyage à Bethléem.

LXIII
Voyage des trois Rois. Leur arrivée à Jérusalem.
Hérode consulte les docteurs de la loi.

(Le samedi, 22 décembre.)

Le cortège des trois rois partit la nuit de Mathanea, et suivit un chemin frayé. Ils ne traversèrent plus aucune ville, mais passèrent le long de tous les petits endroits dans lesquels Jésus, à la fin du mois de juillet de sa troisième année de prédication, enseigna, guérit et bénit les enfants : de ce nombre était Bethabara, où ils arrivèrent le matin de bonne heure pour le passage du Jourdain. Comme c'était le jour du sabbat, ils ne rencontrèrent que peu de gens sur le chemin.

Ce matin, à sept heures, je vis la caravane passer le Jourdain. Ordinairement on traversait le fleuve à l'aide d'un appareil en poutres ; mais pour de grands convois' avec de lourds bagages, on jetait une espèce de pont. Les bateliers qui habitaient sur les bords avaient coutume de faire ce travail moyennant une rétribution ; mais, comme c'était le jour du sabbat et qu'ils ne pouvaient pas travailler, les voyageurs s'occupèrent eux-mêmes de leur passage, et ils furent aidés par quelques paiens, valets des bateliers. Le Jourdain n'était pas très large en cet endroit, et il était plein de bancs de sable. On plaça des planches sur les poutres à l'aide desquelles on passait ordinairement, et on y fit passer les chameaux. Il fallut assez de temps pour que tout le monde pût atteindre la rive occidentale.

Le soir, à cinq heures et demie, elle dit : ils ont laissé Jéricho à leur droite ; ils sont dans la direction de Bethléem, mais ils se détournent à droite dans cette de Jérusalem. Il y a bien une centaine d'hommes avec eux. Je vois dans le lointain une petite ville qui m'est connue ; elle est près d'un petit cours d'eau qui, à partir de Jérusalem, coule de l'ouest à l'est. Ils doivent certainement passer par cette petite ville. Pendant un certain temps, ils ont le petit cours d'eau à leur gauche. Tantôt on voit Jérusalem, tantôt elle disparaît, selon que la route monte ou descend. Elle dit plus tard : ils n'ont pas passé par la petite ville, ils se sont détournés à droite vers Jérusalem.

Le samedi soir, 22 décembre, après la clôture du sabbat, je vis le cortège des trois rois arriver devant Jérusalem. Je vis la ville avec ses hautes tours qui s'élevaient vers le ciel. L'étoile qui les conduisait avait presque disparu, elle jetait seulement encore une faible lueur derrière la ville. A mesure que les voyageurs s'étaient approchés de Jérusalem, ils avaient perdu de leur confiance, car l'étoile ne se montra t plus à eux si brillante, à beaucoup près, et en Judée ils la voyaient bien moins souvent. Ils avaient cru aussi trouver partout des fêtes et des réjouissances à cause de la naissance de ce Sauveur pour lequel ils étaient venus de si loin. Mais, comme ils ne rencontraient que la plus entière indifférence à ce sujet, ils s'attristaient, se troublaient et craignaient de s'être complètement trompés.

Le cortège, qui pouvait être de deux cents personnes, avait à peu près un quart de lieue de long. Déjà, à Causour, un certain nombre de gens de distinction s'étaient adjoints à eux. D'autres avaient fait de même plus tard. Les trois rois étaient assis sur trois dromadaires. Trois autres dromadaires étaient chargés de bagages. Chaque roi avait près de lui quatre hommes de sa tribu. La plupart des autres personnes du cortège montaient des animaux très légers à la course, qui avaient de très jolies têtes. Je ne sais pas si c'étaient des chevaux ou des ânes ; ils ne ressemblaient pas à nos chevaux. Ceux de ces animaux dont se servaient les gens de distinction, avaient de beaux harnais et de belles brides : ils étaient ornés de chaînes et d'étoiles d'or. Quelques gens de la suite des rois allèrent à la ville et revinrent avec des gardiens et des soldats. Leur arrivée, avec un si nombreux cortège, dans un moment où il n'y avait pas de fête, et sans qu'ils vinssent pour faire le commerce, était, sur cette route surtout, une chose tout à fait inaccoutumée Aux questions qu'on leur adressa, ils répondirent pourquoi ils venaient ; ils parlèrent de l'étoile et de l'enfant nouveau-né. Personne n'y pouvait rien comprendre. Ils furent très troublés de cela, et pensaient qu'ils s'étaient trompés, puisqu'ils ne trouvaient pas un homme qui parût savoir quelque chose touchant le Sauveur du monde ; car tous ces gens les regardaient avec surprise, et ne pouvaient s'imaginer ce qu'ils voulaient.

Quand les gardiens de la porte virent avec quelle bonté ils distribuaient d'abondantes aumônes aux mendiants qui s'approchaient d'eux, et les entendirent dire qu'ils cherchaient un logement, et qu'ils payeraient tout généreusement ; quand ils ajoutèrent qu'ils voulaient parler au roi Hérode, quelques-uns d'entre eux rentrèrent dans : la ville, et il s'ensuivit des allées et des venues, des messages et des explications. Pendant ce temps, les trois rois s'entretinrent avec des gens de toute espèce qui s'étaient rassemblés autour d'eux. Quelques-uns de ces hommes avaient entendu parler d'un enfant né à Bethléem, mais ils ne pensaient pas qu'il y eut là rien d'important, parce que les parents étaient pauvres et des gens du commun ; d'autres se moquaient d'eux. Ils comprirent, d'après ce qu'on leur disait, qu'Hérode ne savait rien touchant cet enfant nouveau-né, et comme, d'ailleurs, ils ne comptaient guère sur Hérode, ils furent de plus en plus découragés ; car ils étaient embarrassés de l'attitude qu'ils auraient devant Hérode et de ce qu'ils lui diraient. Leur tristesse pourtant ne leur fit pas perdre leur calme, et ils se mirent à prier. Alors le courage leur revint, et ils se dirent les uns aux autres : Celui qui nous a conduits si vite par le moyen de l'étoile, saura bien nous ramener heureusement chez nous.

Quand enfin les surveillants furent revenus, on conduisit le cortège le long des murs de la ville, et on les fit entrer par une porte située dans le voisinage du Calvaire. A peu de distance du marché aux poissons, ils furent conduits dans une cour ronde, entourée d'écuries et de logements, et à l'entrée de laquelle se tenaient des gardes. Les bêtes de somme furent mises dans les écuries ; eux-mêmes se retirèrent sous des hangars, dans le voisinage d'une fontaine placée au milieu de la cour. Cette cour touchait par un côté à une hauteur ; des autres côtés, elle était dégagée, et il y avait des arbres devant. Des employés vinrent alors, deux par deux, avec des lanternes, et visitèrent les bagages des rois. Je pense que c'étaient des douaniers.

Le palais d'Hérode était situé plus haut, à peu de distance de cet édifice, et je vis le chemin éclairé par des lanternes et des falots placés sur des perches. Il envoya un de ses valets, chargé d'amener secrètement le roi Théokéno dans son palais. Il était près de dix heures du soir. Théokéno fut reçu dans une salle d'en bas par un courtisan d'Hérode et interrogé sur les motifs de son voyage. Il raconta tout avec une grande simplicité, et pria cet homme de demander à Hérode où était le roi nouveau-né des Juifs, dont ils avaient vu et suivi l'étoile.

Lorsque le courtisan eut fait son rapport à Hérode, celui-ci fut d'abord très troublé, mais il se remit et fit répondre qu'il voulait faire prendre des informations à ce sujet. Il fit engager les trois rois à se reposer en attendant ; car, disait-il, il voulait s'entretenir avec eux le lendemain et leur faire connaître ce qu'il aurait appris.

Lorsque Théokéno revint près de ses compagnons de voyage, il ne put leur porter aucune nouvelle qui les consolât. On n'avait rien disposé pour les faire reposer, et ils tirent refaire bien des paquets qui avaient été défaits. Je ne les vis pas dormir pendant cette nuit, mais quelques-uns d'entre eux errèrent dans la ville, regardant le ciel comme pour y chercher leur étoile. Dans Jérusalem même tout était silencieux, mais devant la cour on s'agitait et on prenait des informations. Les rois supposaient qu'Hérode devait tout savoir, mais qu'il se cachait d'eux.

Il y avait une fête chez Hérode au moment où Théokéno était dans le palais ; les salles étaient éclairées : on voyait là toutes sortes de gens et des femmes parées indécemment. Les questions de Théokéno touchant un roi nouveau-né troublèrent beaucoup Hérode, et il fit aussitôt convoquer chez lui les princes des prêtres et les scribes. Je les vis, avant minuit, venir près de lui avec des rouleaux d'écriture. Ils avaient leurs costumes de prêtres, des plaques sur la poitrine et des ceintures sur lesquelles étaient brodées des lettres. J'en vis environ une vingtaine autour de lui. Il leur demanda où le Messie devait naître ; je les vis alors déployer leurs rouleaux et répondre en désignant un passage avec le doigt : " il doit naître à Bethléem de Juda, disaient-ils, car il est écrit dans le prophète Michée : " Et toi, Bethléem, tu n'es pas a la plus petite parmi les princes de Juda ; car c'est de toi que sortira le chef qui doit gouverner mon peuple dans Israel ". Je vis alors Hérode se promener avec quelques-uns d'entre eux sur le toit en terrasse du palais et chercher inutilement des yeux l'étoile dont avait parlé Théokéno. Il était extraordinairement inquiet ; mais les prêtres et les docteurs lui firent de longs discours pour le tranquilliser, disant qu'il ne fallait pas attacher d'importance aux propos des rois mages ; que ces gens, amis du merveilleux, se faisaient toujours de singulières imaginations avec leurs étoiles ; que si quelque chose de pareil avait eu lieu, on le saurait dans le temple et dans la ville sainte, qu'Hérode et eux-mêmes ne pourraient l'ignorer.

LXIV
Les Rois devant Hérode.
Conduite de celui-ci et ses motifs.

(Le dimanche, 23 décembre.)

Aujourd'hui, de très grand matin, Hérode fit conduire secrètement les trois rois dans son palais. Ils furent reçus sous une arcade et conduits dans une salle où je vis des branches vertes et des bouquets dans des vases, et où on avait préparé quelques rafraîchissements. Au bout de quelque temps, Hérode vint ; ils s'inclinèrent devant lui et l'interrogèrent sur le roi des Juifs nouvellement né. Hérode cacha du mieux qu'il put son agitation et feignit une grande joie. Il y avait encore quelques scribes avec lui. Il leur fit des questions sur ce qu'ils avaient vu, et Mensor lui décrivit la dernière apparition qu'ils avaient vue dans le ciel avant leur départ : c'était, lui dit-il, une vierge, et devant elle un enfant, du côté droit duquel était sortie une branche lumineuse ; puis, au-dessus de celle-ci, s'était montrée une tour à plusieurs portes. Cette tour était devenue une grande ville, au-dessus de laquelle l'enfant avait paru avec une couronne, un glaive et un sceptre comme un roi ; après quoi ils s'étaient vus eux-mêmes, ainsi que tous les rois du monde, prosternés devant l'enfant et l'adorant ; car il avait un empire auquel tous les autres empires devaient se soumettre, etc. Hérode leur dit qu'il existait une prophétie disant quelque chose de semblable à propos de Bethléem Ephrata ; il les engagea à y aller sans bruit, et quand ils auraient trouvé l'enfant, à revenir le lui dire, afin que lui aussi pût aller l'adorer. Les rois, qui n'avaient pas touché aux mets qu'on avait apprêtés pour eux, s'en retournèrent à leur logis. Il était encore de grand matin, car je vis des lanternes allumées devant le palais. Hérode conféra avec eux très secrètement' pour éviter qu'on en parlât. Comme il commençait à faire jour, ils se préparèrent à partir. Les gens qui avaient accompagné le cortège jusqu'à Jérusalem s'étaient dès la veille dispersés dans la ville.

Hérode était en ce moment plein de mécontentement et d'irritation. Lors de la naissance de Jésus-Christ, il se trouvait dans un château qu'il avait près de Jéricho, et il s'était rendu coupable d'un lâche assassinat. Il avait placé dans la haute administration du temple des gens de son parti qui espionnaient à son profit ce qui se passait là, et lui dénonçaient ceux qui s'opposaient à ses desseins. Le principal de ses adversaires était un haut fonctionnaire du temple, homme juste et pieux. Hérode, sous les dehors de l'amitié, le fit inviter à venir le trouver à Jéricho, puis il le fit attaquer et assassiner dans le désert, mettant ce meurtre sur le compte des brigands. Quelques jours après, il alla à Jérusalem pour prendre part à la célébration de la fête de la dédicace du temple, qui avait lieu le 25 du mois de Casleu, et il s'y engagea dans une affaire très désagréable. Voulant faire plaisir aux Juifs à sa manière, il avait fait faire en or une figure d'agneau, ou plutôt de chevreau, car elle avait des cornes, afin que cette image fût placée sur la porte qui conduisait de la cour des femmes à la cour des immolations. Il voulut faire cela de sa propre autorité, et que pourtant on lui en sût gré. Les prêtres s'y étant opposés, il les menaça de leur faire payer une amende ; ils déclarèrent qu'ils la payeraient, mais qu'ils n'admettraient pas l'image en question, parce que cela était contraire aux prescriptions de la loi. Hérode furieux voulut faire placer l'image secrètement ; mais, quand on l'eut apportée, un Israélite zélé la saisit et la jeta par terre, en sorte qu'elle se brisa en deux morceaux. Il y eut du tumulte à cette occasion, et Hérode fit mettre cet homme en prison. Cette affaire l'avait fort irrité, et il se repentait d'être venu à la fête. Mais ses courtisans tâchaient de le distraire et de l'amuser.

Il était dans cette disposition d'esprit lorsque des bruits se répandirent sur la naissance du Christ. Depuis longtemps, en Judée, plusieurs hommes pieux vivaient dans l'attente de la venue du Messie, qu'ils regardaient comme prochaine. Ce qui s'était passé lors de la naissance de Jésus avait été divulgué par les bergers. Cependant beaucoup de gens considérables regardaient tout cela comme des fables et de vains discours. Hérode en avait aussi entendu parler, et il avait fait prendre très secrètement des informations à Bethléem ; ses émissaires étaient venus à la crèche trois jours après la naissance de Jésus, et, après s'être entretenus avec saint Joseph, ils déclarèrent, en hommes orgueilleux qu'ils étaient, que c'était une chose sans conséquence ; qu'il n'y avait là qu'une pauvre famille dans une misérable grotte, et que tout cela ne méritait pas qu'on s'en occupât. Leur orgueil même les avait empêchés, dés le commencement, d'interroger sérieusement saint Joseph, d'autant plus qu'ils avaient reçu l'ordre d'éviter ce qui pourrait attirer l'attention. Mais tout d'un coup Hérode vit arriver les trois rois avec leur immense suite, ce qui le jeta dans une grande inquiétude ; car ils venaient de bien loin, et c'était là quelque chose de plus que de simples bruits. Comme ils parlaient avec tant d'assurance du roi nouveau-né, il teignit aussi de vouloir lui rendre hommage, et ils se réjouirent de le voir ainsi disposé. L'aveuglement orgueilleux des scribes ne parvint pas à le tranquilliser, et l'intérêt qu'il avait à tenir cet incident aussi secret que possible détermina sa conduite. Il ne fit d'abord aucune objection aux explications des trois rois ; il ne mit pas non plus aussitôt la main sur Jésus, pour ne pas donner crédit à leurs dires en présence d'un peuple très difficile à manier. Il résolut d'obtenir des informations plus exactes par le moyen même des trois rois, et de prendre ensuite des mesures en conséquence. Mais, comme les rois, avertis par Dieu, ne revinrent pas vers lui, il fit représenter leur fuite comme la conséquence d'une illusion ou d'un mensonge de leur part. On fit répandre partout qu'ils n'avaient pas osé reparaître, parce qu'ils étaient honteux de l'erreur grossière où ils étaient tombés et où ils avaient voulu entraîner les autres ; " car, sans cela, disait-on, quelles raisons auraient-ils pu avoir pour s'enfuir clandestinement, après avoir été reçus d'une façon si amicale ? "

C'est ainsi qu'il essaya plus tard d'assoupir toute l'affaire. Il fit seulement dire à Bethléem qu'on ne devait pas se mettre en rapport avec cette famille dont il avait été parlé, ni accueillir des bruits et des inventions propres à égarer les esprits. Comme la sainte Famille retourna à Nazareth quinze jours plus tard, on cessa bientôt de parler d'événements sur lesquels la multitude n'avait eu que des renseignements assez vagues, et les gens pieux qui espéraient gardèrent le silence.

Quand tout parut à peu près oublié, Hérode pensa à se défaire de Jésus, mais il apprit que la famille avait quitté Nazareth avec l'enfant. Il le fit longtemps rechercher ; mais, tout espoir de le trouver s'étant évanoui, son in quiétude en devint plus grande, et il eut recours à la mesure désespérée du massacre des enfants. Il prit, du reste, à cette occasion les plus grandes précautions, et envoya d'avance des troupes partout où l'on pouvait craindre quelque émeute. Je crois que le massacre eut lieu en sept endroits.

LXV
Les Saints Rois vont de Jérusalem à Bethléem.
Ils adorent l'Enfant et lui offrent leurs présents.

Je vis le cortège des trois rois arriver à une porte située au midi. Une troupe d'hommes les suivit jusqu'à un ruisseau qui est en avant de la ville, et s'en retourna ensuite. Quand ils eurent franchi le ruisseau, ils firent une petite halte et cherchèrent l'étoile des yeux. L'ayant aperçue, ils jetèrent un cri de joie et continuèrent leur marche en chantant. L'étoile ne les conduisit pas en ligne directe, mais par un chemin qui se détournait un peu à l'ouest.

Ils passèrent devant une petite ville que Je connais bien, derrière laquelle je les vis s'arrêter et prier vers midi, dans un site agréable voisin d'un hameau. En cet endroit, une source jaillit de terre devant eux, ce qui les remplit de joie. Ils descendirent et creusèrent pour cette source un bassin qu'ils entourèrent de sable, de pierres et de gazon. Ils campèrent là plusieurs heures, firent boire et manger leurs bêtes, et prirent eux-mêmes un peu de nourriture ; car à Jérusalem ils n'avaient pu prendre aucun repos par suite de leurs diverses préoccupations. Plus tard, j'ai vu Notre Seigneur s'arrêter plusieurs fois près de cette source avec ses disciples. L'étoile, qui brillait la nuit comme un globe de feu, ressemblait maintenant à la lune vue dans le jour ; elle ne paraissait pas parfaitement ronde, mais comme découpée ; je la vis souvent cachée par des nuages.

Sur la route directe de Bethléem à Jérusalem il y avait un grand mouvement de voyageurs avec des bagages et des ânes ; c'étaient probablement des gens qui revenaient de Bethlehem après avoir payé l'impôt, ou qui allaient à Jérusalem pour le marché ou pour visiter le temple. Le chemin que suivaient les rois était solitaire, et Dieu les conduisait sans doute par là pour qu'ils pussent arriver à Bethléem le soir et sans faire trop d'effet. Je les vis se remettre en marche quand le soleil était déjà très bas. Ils allaient dans le même ordre qu'en venant ; Mensor, le plus jeune, allait en avant ; puis venait Sair, le basané, et enfin Théokéno, le blanc et le plus âgé.

(Le dimanche, 23 décembre)

Je vis aujourd'hui, par le crépuscule du soir, le cortège des saints rois arriver devant Bethléem, près de ce même édifice où Joseph et Marie s'étaient fait inscrire : c'était l'ancienne maison de la famille de David. Il n'en reste plus que quelques débris de murs ; elle avait appartenu aux parents de saint Joseph. C'était un grand bâtiment entouré d'autres plus petits, avec une cour fermée, devant laquelle était une place plantée d'arbres et où se trouvait une fontaine. Je vis sur cette place des soldats romains, parce que la maison était comme le bureau des collecteurs de l'impôt. Quand le cortège arriva, un certain nombre de curieux se rassembla autour de lui. L'étoile ayant disparu, les rois avaient quelque inquiétude. Des hommes s'approchèrent d'eux et les interrogèrent. Ils descendirent de leurs montures, et des employés vinrent de la maison à leur rencontre avec des branches à la main, et leur offrirent quelques rafraîchissements. C'était l'usage de souhaiter ainsi la bienvenue à des étrangers de cette espèce. Je me dis à moi-même : On est bien plus poli avec eux qu'avec le pauvre saint Joseph, parce qu'ils ont distribué de petites pièces d'or. On leur parla de la vallée des bergers comme d'un bon endroit pour y dresser leurs tentes. Ils restèrent assez longtemps dans l'indécision. Je ne les entendis pas faire des questions sur le roi des Juifs nouvellement né : ils savaient que Bethléem était l'endroit dédaigné par la prophétie ; mais, par suite des discours d'Hérode, ils craignaient d'attirer l'attention. Bientôt ils virent briller du ciel, sur un côté de Bethléem, un météore semblable à la lune à son lever ; alors ils remontèrent sur leurs bêtes ; puis, longeant un fossé et des murs en ruine, ils firent le tour de Bethléem par le midi et se dirigèrent à l'orient, vers la grotte de la Crèche, qu'ils abordèrent par le côté de la plaine où les anges étaient apparu aux bergers.

Quand ils furent arrivés prés du tombeau de Maraha dans la vallée qui est derrière la grotte de la Crèche. Ils descendirent de leurs montures. Leurs gens défirent beaucoup de paquets, dressèrent une grande tente qu'ils portaient avec eux, et firent d'autres arrangements, avec l'aide de quelques bergers qui leur indiquèrent les places les plus convenables. Le campement était arrangé en partie, quand les rois virent l'étoile se montrer, claire et brillante, sur la colline de la Crèche et y diriger perpendiculairement ses rayons. Elle parut grandir beaucoup et répandit une masse de lumière extraordinaire. Je les vis d'abord regarder d'un air très étonné. Il faisait sombre ; ils ne voyaient pas de maison, mais seulement la forme d'une colline semblable à un rempart. Tout d'un coup, ils furent saisis d'une grande joie, car ils virent dans la lumière la figure resplendissante d'un enfant. Tous se découvrirent la tête pour témoigner leur respect ; puis les trois rois allèrent vers la colline et trouvèrent la porte de 'a grotte. Mensor l'ouvrit ; il vit la grotte pleine d'une lumière céleste, et au fond la Vierge tenant l'enfant et assise, telle que ses compagnons et lui l'avaient vue dans leurs visions.

Il retourna aussitôt su. ses pas et dit aux autres ce qu'il venait de voir. Alors Joseph sortit de la grotte, accompagné d'un vieux berger, pour aller à leur rencontre. Ils lui dirent en toute simplicité comment ils étaient venus pour adorer le roi nouveau-né des Juifs, dont ils avaient vu l'étoile, et pour lui offrir leurs présents. Joseph les accueillit amicalement, et le vieux berger les accompagna près de leur suite et les aida dans leurs arrangements, ainsi que quelques autres bergers qui se trouvaient là.

Eux-mêmes se préparèrent comme pour une cérémonie solennelle. Je les vis mettre de grands manteaux blancs qui avaient une longue queue ; ces manteaux avaient un reflet brillant comme s'ils eussent été de soie brute ; ils étaient très beaux et flottaient légèrement autour d'eux : c'était leur costume ordinaire pour les cérémonies religieuses. Ils portaient à la ceinture des bourses et des boites d'or suspendues à des chaînes. Tout cela était recouvert par leurs larges manteaux. Chacun des rois était suivi par quatre personnes de sa famille ; il y avait en outre quelques serviteurs de Mensor qui portaient une petite table, un tapis à franges et d'autres menus objets. Quand ils eurent suivi saint Joseph sous l'auvent qui était devant la grotte, ils recouvrirent la table avec le tapis, et chacun des trois rois y plaça quelques-unes des boîtes d'or et des vases qu'ils détachèrent de leur ceinture : c'étaient les présents qu'ils offraient en commun. Mensor et tous les autres ôtèrent leurs sandales, et Joseph ouvrit la porte de la grotte Deux jeunes gens de la suite de Mensor marchaient devant lui ; ils étendirent une pièce d'étoffe sur le sol de la grotte, puis ils se retirèrent en arrière ; deux autres le suivirent avec la table, où étaient les présents. Arrivé devant la sainte Vierge, il les prit, et, mettant un genou en terre, il les déposa respectueusement à ses pieds. Derrière Mensor étaient les quatre hommes de sa famille qui s'inclinaient humblement. Sair et Théokéno, avec leurs compagnons, se tenaient en arrière dans l'entrée. Quand ils s'avancèrent, ils étaient comme ivres de joie et d'émotion et inondés de la lumière qui remplissait la grotte ; et pourtant il n'y avait là d'autre lumière que la Lumière du monde. Marie, appuyée sur un bras, était plutôt couchée qu'assise sur un tapis, à la gauche de l'Enfant-Jésus, lequel était étendu, à la place où il était né, dans une auge recouverte d'un tapis et placée sur une estrade ; mais au moment où ils entrèrent, la sainte Vierge se mit sur son séant, se voila et prit dans ses bras l'Enfant-Jésus enveloppé dans son large voile. Mensor s'agenouilla, et, mettant les présents devant lui, il prononça de touchantes paroles par lesquelles il lui faisais hommage, en croisant ses mains devant sa poitrine et en inclinant sa tête découverte. Pendant ce temps, Marie avait mis à nu le haut du corps de l'enfant, qui regardait d'un air aimable du milieu du voile dont il était enveloppé ; sa mère soutenait sa petite tête de l'un de ses bras et l'entourait de l'autre. Il avait ses petites mains jointes devant sa poitrine, et souvent il les étendait gracieusement autour de lui.

Oh ! combien se trouvaient heureux de l'adorer ces chers hommes de l'Orient ! Quand je voyais cela, je me disais à moi-même : " Leurs coeurs sont purs et sans souillure, pleins de tendresse et d'innocence comme des coeurs d'enfants pieux. Il n'y a rien de violent en eux, et pourtant ils sont pleins de feu et d'amour. Je suis morte, je ne suis plus qu'un esprit; autrement je ne pourrais pas voir cela, car cela n'existe pas maintenant, et cependant existe maintenant ; mais cela n'existe pas dans le temps ; en Dieu il n'y a pas de temps ; en Dieu tout est présent ; je suis morte, je ne suis plus qu'un esprit ". Pendant que j'avais ces pensées si étranges, j'entendis me voix qui me disait : " Que t'importe cela ? regarde et loue le Seigneur, qui est éternel et dans lequel tout est éternel ".

Je vis alors Mensor tirer d'une bourse, qui était ; suspendue à sa ceinture, une poignée de petites barres compactes, pesantes, de la longueur du doigt, effilées à l'extrémité et brillantes comme de l'or : c'était son présent, qu'il plaça humblement sur les genoux de la sainte Vierge, à côté de l'Enfant-Jésus. Elle prit l'or avec un remerciement gracieux et le couvrit d'un coin de son manteau. Mensor donna ces petites barres d'or vierge parce qu'il était plein de sincérité et de charité, et qu'il cherchait la vérité avec une ardeur constante et inébranlable.

Mensor se retira en arrière avec ses quatre suivants, et Sair, le roi basané, s'avança avec les siens et s'agenouilla avec une profonde humilité ; il offrit son présent avec des paroles touchantes : c'était un vase d'or à mettre de l'encens, plein de petits grains résineux, de couleur verdâtre ; il le plaça sur la table devant l'Enfant-Jésus. Il donna l'encens, parce que c'était un homme qui se conformait respectueusement et du fond du coeur à la volonté de Dieu et la suivait avec amour. Il resta longtemps agenouillé avec une grande ferveur avant de se retirer.

Après lui vint Théokéno, le plus vieux des trois ; il était très avancé en âge ; ses membres étaient raides, et il ne pouvait pas se mettre à genoux ; mais il se tint debout, profondément incliné, et plaça sur la table un vase d'or avec une belle plante verte. C'était un bel arbuste à tige droite, avec de petits bouquets frisés surmontés de jolies fleurs blanches : c'était la myrrhe. Il offrit la myrrhe, parce qu'elle est le symbole de la mortification et de la victoire sur les passions ; car cet excellent homme avait soutenu des luttes persévérantes contre l'idolâtrie, la polygamie et les habitudes violentes de ses compatriotes. Dans son émotion, il resta si longtemps devant l'Enfant-Jésus avec ses quatre suivants, que je pris pitié des autres serviteurs restés hors de la grotte, parce qu'ils avaient tant attendu pour voir l'Enfant-Jésus.

Les paroles des rois et de tous leurs compagnons étaient pleines de simplicité et fort touchantes. En se prosternant et en lui offrant leurs présents, ils s'exprimaient à peu près en ces termes : Nous avons vu son étoile ; nous savons qu'il est le Roi de tous les rois ; nous venons l'adorer et lui offrir notre hommage et nos présents, et ainsi de suite. Ils étaient comme en extase, et, dans leurs prières naïves et affectueuses, ils recommandaient à l'Enfant-Jésus eux-mêmes, leurs familles, leur pays, leurs biens et tout ce qui avait du prix pour eux sur la terre. Ils offraient au roi nouveau-né leurs coeurs, leurs âmes, leurs pensées et leurs actions. Ils le priaient de les éclairer, de leur donner la vertu, le bonheur, la paix et l'amour. Ils se montraient enflammés d'amour et répandaient des larmes de joie, qui tombaient sur leurs joues et leurs barbes. Ils étaient dans le bonheur ; ils croyaient être arrivés eux-mêmes dans cette étoile vers laquelle' depuis des milliers d'années, leurs ancêtres avaient dirigé leurs regards et leurs soupirs avec un désir si constant. Toute la joie de la promesse accomplie après tant de siècles était en eux.

La mère de Dieu accepta tout avec d'humbles actions de grâces ; d'abord, elle ne dit rien, mais un simple mouvement sous son voile exprimait sa pieuse émotion. Le petit corps de l'enfant se montrait brillant entre les plis : de son manteau. A la fin, elle adressa à chacun quelques paroles humbles et gracieuses et retira un peu son voile en arrière. Oh ! j'ai pris là une nouvelle leçon ; je me disais à moi-même : Avec quelle douce et aimable gratitude elle reçoit chaque présent ! Elle qui n'a besoin de rien, qui possède Jésus, qui accueille avec humilité tous les dons de la charité. Moi aussi, à l'avenir, je recevrai' humblement et avec reconnaissance tous les dons charitables. Que de bonté dans Marie et dans Joseph. Ils ne gardaient presque rien pour eux, et distribuaient tout aux pauvres.

Lorsque les rois eurent quitté la grotte avec leurs suivants et furent retournés à leur tente, leurs serviteurs entrèrent à leur tour. Ils avaient dressé la tente, déchargé les bêtes de somme, mis tout en ordre, et ils attendaient devant la porte, patiemment et humblement. Ils étaient plus de trente, et il y avait aussi avec eux une troupe d'enfants qui avaient seulement un linge autour des reins et un petit manteau. Les serviteurs entraient cinq par cinq, et un des principaux personnages auxquels ils appartenaient les conduisait. Ils s'agenouillaient autour de l'Enfant et l'honoraient en silence. Enfin, les enfants entrèrent tous ensemble, se mirent à genoux et adorèrent Jésus avec une joie innocente et naive. Les serviteurs ne restèrent pas longtemps dans la grotte de la Crèche, car les rois rentrèrent avec solennité. Ils avaient mis d'autres manteaux longs et flottants ; ils portaient à la main des encensoirs, et ils encensèrent très respectueusement l'enfant, la sainte Vierge, Joseph et toute la grotte ; puis ils se retirèrent après s'être inclinés profondément. C'était une manière d'adorer chez ce peuple.

Pendant tout ce temps, Marie et Joseph étaient pénétrés de la plus douce joie où je les eusse jamais vus ; des larmes d'attendrissement coulaient souvent sur Leurs joues. Les honneurs solennellement rendus à l'Enfant-Jésus, qu'ils étaient obligés de loger si pauvrement, et dont la dignité suprême restait cachée dans leurs coeurs, les consolaient infiniment ; ils voyaient que la Providence toute-puissante de Dieu, malgré l'aveuglement des hommes, avait préparé pour l'Enfant de la promesse et lui avait envoyé des contrées les plus lointaines ce qu'eux-mêmes ne pouvaient lui donner, l'adoration due à sa dignité rendue par les puissants de la terre avec une sainte magnificence. Ils adoraient Jésus avec les saints rois ; les hommages qui lui étaient adressés les rendaient heureux.

Les tentes étaient dressées dans la vallée située derrière la grotte de la Crèche jusqu'à la grotte du tombeau de Maraha ; les bêtes étaient rangées en ordre et attachées à des pieux séparés par des cordes. Près de la grande tente qui était voisine de la colline de la Crèche, se trouvait un espace recouvert de nattes, où était déposée une partie des bagages ; cependant, la plus grande partie fut portée dans la grotte du tombeau de Maraha. Quand tous eurent quitté la crèche, les étoiles s'étaient levées. Ils se rassemblèrent en cercle près du vieux térébinthe, qui s'élevait au-dessus de la grotte de Maraha, et entonnèrent des chants solennels en présence des étoiles. Je ne puis dire combien étaient touchants ces chants qui retentissaient dans la vallée silencieuse. Pendant tant de siècles leurs ancêtres avaient regardé les astres, prié, chanté ; maintenant, tous leurs désirs étaient exaucés ; ils chantaient comme enivrés de joie et de reconnaissance.

Pendant ce temps, Joseph, avec l'aide de deux vieux bergers, avait apprêté un petit repas dans la tente des trois rois. Ils apportèrent du pain, des fruits, des rayons de miel, quelques herbes et des flacons de baume, qu'ils rangèrent sur une table basse recouverte d'un tapis. Joseph s'était procuré tout cela dès le matin pour recevoir les rois, dont la sainte Vierge lui avait annoncé d'avance l'arrivée. Quand ceux-ci revinrent à leur tente, je vis saint Joseph les accueillir très amicalement, et les prier, comme étant ses hôtes, d'accepter le petit repas qu'il leur offrait. Il se plaça à côté d'eux autour de la table, et ils mangèrent. Il ne montrait point de timidité ; il était si content qu'il versait des larmes de joie.

Quand je vis cela, je pensai à feu mon père, le pauvre paysan, qui, lors de ma vêture dans le couvent, fut obligé de se mettre à table avec beaucoup de gens de distinction. Dans sa simplicité et son humilité, il avait eu d'abord grand peur ; puis, plus tard, son contentement fut tel, qu'il en pleura de joie. Il tenait, sans le vouloir, la première place à la fête. Après ce petit repas, Joseph les quitta. Quelques-uns des plus considérables de la caravane allèrent à une auberge de Bethléem ; les autres se placèrent sur leurs couches, qui étaient rangées en cercle dans la grande tente, et se livrèrent au repos. Joseph, revenu à la grotte, mit tous les présents à droite de la crèche, dans un recoin devant lequel il avait mis une cloison, en sorte qu'on ne pouvait pas voir ce qui s'y trouvait. La servante d'Anne qui, après le départ de celle-ci, était restée auprès de la sainte Vierge, s'était tenue dans une grotte latérale pendant toute la cérémonie ; elle ne reparut que lorsque tous eurent quitté la crèche. Elle était grave et intelligente. Je ne vis ni la sainte Famille, ni même cette servante regarder les présents des rois avec une complaisance mondaine ; tout fut accepté avec d'humbles remerciements et presque aussitôt distribué charitablement.

Ce soir, à Bethléem, je vis un peu d'agitation lors de l'arrivée du cortège à la maison où l'on payait l'impôt, et, plus tard, bien des allées et des venues dans la ville. Les gens qui avaient suivi le cortège jusqu'à la vallée des bergers, n'avaient pas tardé à revenir. Plus tard, pendant que les trois rois, pleins de joie et de ferveur, adoraient et déposaient leurs présents dans la grotte de la Crèche, je vis roder dans les environs, à une certaine distance, quelques Juifs qui espionnaient et chuchotaient ensemble ; plus tard, je les vis aller et venir dans Bethléem, et faire divers rapports. Je ne pus m'empêcher de pleurer amèrement sur ces malheureux. Je souffre beaucoup de voir ces méchantes gens, qui alors, et maintenant encore, quand le Sauveur s'approche des hommes, se tiennent là murmurant et observant) puis, poussés par leur malice, répandent des mensonges. Oh ! combien ces malheureux me semblaient à plaindre ! ils ont le salut si près d'eux, et ils le repoussent, tandis que ces bons rois, guidés par leur foi sincère dans la promesse, Sont allés si loin et ont trouvé le salut. Oh ! combien je pleure sur ces hommes endurcis et aveugles !

A Jérusalem, je vis aujourd'hui, pendant le jour, Hérode lire encore des rouleaux avec plusieurs scribes, et parler de ce qu'avaient dit les trois rois. Plus tard, tout fut calme, comme si l'on eût voulu assoupir cette affaire.

LXVI
Les Rois visitent encore la sainte Famille.
Hérode leur tend des embûches.
Un Ange les avertit. Ils prennent congé et s'en vont.

(Le lundi, 91 décembre.)

Aujourd'hui je vis de grand matin les rois et quelques personnes de leur suite visiter successivement la sainte Famille. Je les vis aussi, pendant la journée, près de leur campement et de leurs bêtes de somme, occupés de diverses distributions. Ils étaient dans la joie et le bonheur, et faisaient beaucoup de présents. J'ai vu qu'alors on en agissait toujours ainsi lors des événements heureux. Les bergers, qui avaient rendu des services à la suite des rois, reçurent des présents considérables. Je vis aussi faire des gratifications à beaucoup de pauvres ; ainsi l'on mettait des couvertures sur les épaules de quelques pauvres vieilles femmes toutes courbées qui s'étaient glissées là. Il y avait plusieurs personnes de la suite des trois rois qui se plaisaient dans la vallée près des bergers, et qui voulaient rester là et se réunir à ces bergers. Ils firent connaître leur désir aux rois, et reçurent la permission de rester avec de riches présents. On leur donna des couvertures, des effets, de l'or en grains, et les Anes qu'ils avaient montés. Comme je vis aussi les rois distribuer beaucoup de pain, je me demandai d'abord d'où ils l'avaient tiré. Je me rappelai ensuite les avoir vus plusieurs fois, aux endroits où ils campaient, préparer, au moyen de leur provision de farine, dans des formes de fer qu'ils portaient avec eux, de petits pains plats semblables à du biscuit, qu'ils mettaient sur leurs bêtes de somme, entassés dans de légères boites de cuir. Il vint aussi aujourd'hui beaucoup de gens de Bethléem, qui se pressaient autour d'eux pour avoir des présents, et qui se faisaient donner quelque chose sous divers prétextes.

Le soir, ils allèrent à la crèche pour prendre congé. Mensor s'y rendit seul d'abord. Marie lui mit l'Enfant-Jésus dans les bras : il pleurait et était rayonnant de joie. Après lui vinrent les deux autres, qui prirent congé en versant des larmes. Ils apportèrent encore beaucoup de présents, des pièces de diverses étoffes, dont quelques-unes semblaient être de soie sans teinture, dont quelques autres étaient rouges ou à fleurs ; il y avait aussi de très belles couvertures. Ils voulurent en outre laisser leur grands manteaux d'un jaune pâle, qui semblaient faits d'une laine extrêmement fine ; ils étaient très légers, le moindre souffle d'air les agitait. Ils portaient aussi plusieurs coupes placées les unes sur les autres, des boites pleines de grains, et dans une corbeille des pots où étaient de beaux bouquets d'une herbe verte avec de jolies fleurs blanches. Ces pots étaient placés les uns au-dessus des autres dans la corbeille. C'était de la myrrhe. Ils donnèrent aussi à Joseph de longues cages avec des oiseaux qu'ils avaient en grand nombre sur leurs dromadaires pour les manger.

Tous versèrent des larmes abondantes quand ils quittèrent Marie et l'enfant. Je vis la sainte Vierge debout près d'eux lorsqu'ils prirent congé. Elle portait sur son bras l'Enfant-Jésus enveloppé dans son voile, et elle fit quelques pas pour reconduire les rois vers la porte de la grotte ; là elle s'arrêta en silence, et, pour donner un souvenir à ces excellents hommes, elle détacha de sa tête le grand voile d'étoffe jaune transparente qui l'enveloppait ainsi que l'Enfant-Jésus ; et elle le donna à Mensor. Ils reçurent ce don en s'inclinant profondément, et une joie respectueuse fit battre leurs coeurs quand ils virent devant eux la sainte Vierge sans voile, tenant le petit Jésus. quelles douces larmes ils versèrent en quittant la grotte ! Le voile fut pour eux dès lors la plus sainte relique qu'ils possédassent.

La sainte Vierge, en recevant les présents, ne semblait pas attacher de prix aux choses qu'on lui offrait ; et pourtant, dans sa touchante humilité, elle montrait une véritable reconnaissance pour celui qui donnait. Pendant cette merveilleuse visite, je n'ai vu chez elle aucun sentiment de retour complaisant sur elle-même. Seulement, au commencement, par amour pour l'Enfant-Jésus et par compassion pour saint Joseph, elle se hissa aller en toute simplicité à l'espérance que dorénavant ils trouveraient peut-être de la sympathie à Bethléem, et ne seraient plus traités d'une manière aussi méprisante qu'à leur arrivée ; car la tristesse et la confusion de saint Joseph l'avaient beaucoup affligé.

Quand les rois prirent congé, la lampe était déjà allumée dans la grotte : il faisait sombre, et ils se rendirent aussitôt avec leurs suivants sous le grand térébinthe qui surmontait le tombeau de Maraha, pour y faire, comme la veille au soir, les cérémonies de leur culte. Une lampe était allumée sous l'arbre. Lorsque les étoiles se montrèrent, ils prièrent et entonnèrent des chants mélodieux. Les voix des enfants faisaient un effet très agréable dans le choeur. Ils se rendirent ensuite dans leur tente, où Joseph leur avait encore préparé un petit repas, après lequel quelques-uns s'en retournèrent à leur auberge à Bethléem, tandis que les autres se livrèrent au repos dans la tente.

Vers minuit, j'eus tout à coup une vision. Je vis les rois reposant dans leur tente sur des couvertures étendues par terre, et j'aperçus auprès d'eux un jeune homme resplendissant : c'était un ange qui les éveillait et leur disait de partir en toute hâte, et de ne pas revenir par Jérusalem, mais par le désert, en contournant la mer Morte. Ils se jetèrent promptement à bas de leur couche, et leur suite fut bientôt sur pied. L'un d'eux alla à la crèche éveiller saint Joseph, qui courut à Bethléem pour avertir ceux qui s'y étaient logés ; mais il les rencontra avant d'y arriver, car ils avaient eu la même apparition. La tente fut pliée, les bagages furent chargés, et tout fut enlevé avec une rapidité étonnante. Pendant que les rois faisaient encore de touchants adieux à saint Joseph devant la grotte de la Crèche, leur suite partait en détachements séparés pour prendre les devants, et se dirigeait vers le midi pour longer la mer Morte en traversant le désert d'Engaddi.

Les rois firent des instances pour que la sainte Famille partît avec eux, parce qu'un danger la menaçait certainement; ils demandèrent ensuite que Marie se cachât avec le petit Jésus pour n'être pas inquiétée à cause d'eux ; ils pleurèrent comme des enfants, embrassèrent saint Joseph et lui adressèrent des paroles touchantes ; puis ils montèrent leurs dromadaires légèrement chargés, et s'éloignèrent à travers le désert. Je vis l'ange dans la plaine près d'eux, il leur montrait la direction du chemin. Bientôt ils disparurent. Ils suivirent des routes séparées à un quart de lieue les uns des autres, se dirigeant pendant une lieue vers l'orient, et ensuite vers le midi, dans le désert. Ils passèrent par la contrée que traversa Jésus en revenant d'Égypte dans sa troisième année de prédication.

LXVIII
Mesures prises par les autorités de Bethléem
contre les Rois.
L'accès à la grotte de la Crèche interdit.
Zacharie visite la sainte Famille

(Le mardi 25 décembre.)

L'ange avait averti les rois à propos, car les autorités de Bethléem avaient le projet de les faire arrêter aujourd'hui, de les emprisonner dans de profonds caveaux qui étaient sous la synagogue, et de les accuser auprès d'Hérode comme perturbateurs du repos public.

Je ne sais pas s'il y avait eu un ordre secret d'Hérode à cet effet ; je crois plutôt que c'était un mouvement de zèle spontané. Ce matin, lorsqu'on apprit leur départ à Bethléem, ils étaient déjà près d'Engaddi, et la vallée où ils avaient campé était calme et solitaire comme avant leur séjour, dont il ne restait plus d'autres traces que le gazon foulé et quelques pieux qui avaient servi pour les tentes. Dans le fait, pourtant, l'apparition de la caravane avait produit beaucoup d'effet dans Bethléem. Bien des gens se repentaient de n'avoir pas donné l'hospitalité à saint Joseph ; d'autres parlaient des rois comme d'aventuriers conduits par d'étranges imaginations ; d'autres enfin trouvaient des rapports entre leur arrivée et les bruits de l'apparition qu'avaient eue les bergers. Tous ces propos portèrent les magistrats de l'endroit, peut-être sur une invitation d'Hérode, à prendre certaines mesures. Je vis au centre de Bethléem tous les habitants convoqués sur une place où se trouvait un puits entouré d'arbres, devant une grande maison à laquelle on montait par des degrés. Du haut de ces degrés on lut un avertissement ou une proclamation dirigée contre les discours superstitieux, et interdisant les visites à la demeure des gens qui avaient donné lieu à tous ces propos.

Quand la foule ainsi rassemblée se fut retirée, je vis saint Joseph mandé dans cette même maison et interrogé par de vieux Juifs. Je le vis revenir à la crèche et se rendre encore une fois au tribunal. La seconde fois, il prit avec lui un peu de l'or qu'avaient apporté les rois, et il le leur donna ; après quoi ils le laissèrent s'en aller tranquillement. Tout cet interrogatoire me parut aboutir à une escroquerie. Je vis aussi que les autorités firent barrer par un tronc d'arbre mis en travers un chemin qui conduisait aux environs de la crèche sans passer par la porte de la ville, mais qui, en partant de la place où Marie s'était arrêtée sous un grand arbre, franchissait une colline ou un rempart. Ils placèrent une sentinelle près de l'arbre dans une cabane, et firent tendre sur le chemin des fils qui aboutissaient à une sonnette dans la cabane, afin qu'on pût arrêter ceux qui voudraient prendre ce chemin. Dans l'après-midi, je vis une troupe de seize soldats d'Hérode près de Joseph, avec lequel ils s'entretinrent. Ils avaient probablement été envoyés à cause des trois rois, qu'on avait accusés de troubler la paix publique ; mais, comme le silence et le repos régnaient partout fit qu'ils ne trouvèrent dans la grotte que la pauvre famille, comme d'ailleurs ils avaient l'ordre de ne rien faire qui pût attirer l'attention, ils s'en retournèrent tranquillement et rapportèrent ce qu'ils avaient vu. Joseph avait porté les présents des trois rois et ce qu'ils avaient laissé en outre après eux, dans la grotte de Maraha et dans d'autres grottes cachées de la colline de la Crèche, qu'il connaissait depuis sa jeunesse pour s'y être souvent dérobé aux persécutions de ses frères. Ces caveaux solitaires existaient dés le temps du patriarche Jacob. A une époque où il n'existait que des cabanes à la place de Bethléem, il y avait dressé une fois ses tentes sur la colline de la Crèche.

Ce soir, je vis Zacharie d'Hébron visiter pour la première fois la sainte Famille. Marie était encore dans la Grotte. Il versa des larmes de joie, prit l'enfant dans ses bras, et répéta, en y changeant quelque chose, le cantique de louanges qu'il avait chanté lors de la circoncision de Jean-Baptiste.

(Le mercredi, 26 décembre.)

Aujourd'hui Zacharie s'en retourna chez lui, et sainte Anne revint près de la sainte Famille avec sa fille aînée. La fille aînée d'Anne était plus grande que sa mère et paraissait presque plus âgée.

Une grande joie règne maintenant dans la sainte Famille. Anne est tout heureuse. Marie place souvent l'Enfant-Jésus dans ses bras, et le laisse soigner par elle. Je ne l'ai vue faire cela pour aucune autre personne. Je vis, ce qui lue toucha beaucoup, que les cheveux de l'enfant, qui étaient blonds et bouclés, avaient à leur extrémité de beaux rayons de lumière. Je crois qu'ils lui frisent les cheveux, car je vois qu'on frotte sa petite tête lorsqu'on le lave, ce qu'on fait en mettant sur lui un petit manteau. Je vois toujours dans la sainte Famille une pieuse et touchante vénération pour l'Enfant-Jésus ; mais tout s'y passe simplement et naturellement, comme chez les saints élus de Dieu. L'enfant a une affection, une tendresse pour sa mère que je n'ai jamais vue chez des enfants si jeunes.

Marie raconta à sa mère tout ce qui s'était passé lors de la visite des trois rois, et Anne fut extraordinairement touchée que le Seigneur eût appelé ces hommes de si loin pour leur faire connaître l'enfant de la promesse. Elle vit les présents des rois, qui étaient cachés dans une excavation pratiquée dans la paroi : elle aida à en distribuer une grande partie, et à ranger le reste en bon ordre.

Tout étai' tranquille dans les environs : les chemins menant à la grotte, qui ne passaient pas par la porte de la ville, étaient barrés par ordre des autorités. Joseph n'allait plus faire ses emplettes à Bethléem ; les bergers lui apportaient ce dont il avait besoin. La parente chez laquelle Anne est allée, dans la tribu de Benjamin', est Mara. La fille de Rhode, soeur d'Élisabeth.

Dans sa narration la soeur confondit souvent cette Mara avec une soeur cadette ou nièce d'Anne, qu'elle appelait Énoué. Souvent des proches parents lui apparaissaient comme des frères ou des soeurs.

Elle était pauvre, et eut dans la suite plusieurs fils qui furent disciples de Jésus. Un d'eux s'appelait Nathanael' : c'était le fiancé des noces de Cana. Cette Mara était présente lors de .a mort de la sainte Vierge à Éphèse.

Anne était maintenant seule avec Marie dans la grotte latérale. Je les vis travailler ensemble à une couverture grossière. La grotte de la Crèche était entièrement vide. L'âne de Joseph était caché derrière des claies. Encore aujourd'hui des agents d'Hérode vinrent de Bethléem, et prirent des informations dans plusieurs maisons relativement à un enfant nouveau-né. Ils accablèrent spécialement de questions une Juive de distinction qui, peu de temps auparavant, avait mis au monde un enfant mâle. Ils ne vinrent pas à la grotte de la Crèche ; comme précédemment ils n'y avaient trouvé qu'une pauvre famille, ils ne supposèrent pas qu'il pût en être question.

Deux hommes âgés (c'étaient, je crois, des bergers qui avaient adoré l'Enfant-Jésus) vinrent trouver Joseph, et l'avertirent de ces perquisitions. Je vis alors la sainte Famille et sainte Anne se réfugier avec l'enfant dans la grotte du tombeau de Maraha. Dans la grotte de la Crèche il n'y avait plus rien qui décelât un lieu habité : elle paraissait entièrement abandonnée.

Ce n'est pas le Nathanael que Jésus vit sous le figuier. Nathanael, le fils de Mara, était l'un des enfants que sainte Anne réunit pour fêter Jésus, âgé de douze ans, lorsqu'il revint après avoir enseigne dans le temple pour le première fois. Jésus, à cette fête, parla en parabole d'un mariage ou l'eau devait être changée en vin, et d'un autre mariage où le vin serait changé en sang. Il disait aussi, comme en plaisantant, Au jeune Nathanael, qu'il serait un jour présent à ses noces. La fiancée de Cana était de Bethléem et de la famille de saint Joseph. Après le miracle de Cana, les deux époux firent voeu de continence. Nathanael se joignit aussitôt aux disciples de Jésus, et il reçut au baptême le nom d'Amator. Il devint plus tard évêque. Il fut à Edesse et aussi en Crète, près de Carpus ; il alla ensuite en Arménie. Y ayant fait de nombreuses conversions, il fut arrêté et envoyé sur les bords de la mer Noire. Rendu à la liberté, il alla dans le pays de Mensor. Il y opéra sur une femme on miracle dont j'ai oublié les détails, baptisa un grand nombre de personnes, et fut mis à mort dans la ville d'Acaiakuh, située sur une île de l'Euphrate.

Je les vis pendant la nuit suivre la vallée avec une lumière couverte. Anne portait l'Enfant-Jésus dans ses bras, Marie et Joseph marchaient à côté d'elle ; les bergers les conduisaient, portant les couvertures et tout ce qui était nécessaire pour les saintes femmes et l'enfant.

J'eus à cette occasion une vision, et je ne sais pas si la sainte Famille l'eut aussi. Je vis autour de l'Enfant-Jésus une gloire formée de sept figures d'anges placées les unes au-dessus des autres ; plusieurs autres figures paraissaient dans cette gloire. Je vis aussi près de sainte Anne, de saint Joseph et de Marie, des formes lumineuses qui semblaient les conduire par le bras. Quand ils furent entrés dans le vestibule, ils fermèrent la porte et allèrent jusque dans la grotte du Tombeau, où ils disposèrent tout pour prendre leur repos.

LXVIII
La sainte Famille dans la grotte de Maraha.
Joseph sépare l'Enfant Jésus de Marie pendant quelques heures.
Marie, dans son inquiétude, exprime du lait de son sein.
Origine d'un miracle qui s'est perpétué jusqu'à nos jours.

La soeur Emmerich raconta à diverses reprises les deux incidents qui suivent comme ayant eu lieu lorsque la sainte Vierge était cachée dans la grotte de Maraha. Ayant toujours été distraite par la souffrance ou par des visites, elle ne les raconta pas le jour même où elle les vit, mais par forme de supplément, comme quelque chose qu'elle avait oublié ; nous les mettons donc ensemble, laissant au lecteur le soin de les placer dans un autre ordre selon qu'il le jugera convenable.

La sainte Vierge raconta à sa mère tout ce qui s'était passé lors de la visite des saints rois, et elles parlèrent aussi de la manière dont elle avait été laissée dans la grotte du tombeau de Maraha.

Je vis deux bergers venir trouver la sainte Vierge, et l'avertir qu'il venait des gens chargés par les autorités de s'enquérir de son enfant. Marie ressentit une vive inquiétude, et je vis bientôt après saint Joseph entrer, retirer l'Enfant-Jésus de ses bras, l'envelopper dans un manteau et l'emporter. Je ne me souviens plus où il alla avec lui.

Je vis alors la sainte Vierge livrée à ses inquiétudes maternelles, rester seule dans la grotte sans l'Enfant-Jésus pendant l'espace d'une demi journée. Quand vint l'heure où on devait l'appeler pour allaiter l'enfant, elle fit ce qu'ont coutume de faire des mères soigneuses lorsqu'elles ont été agitées violemment par quelque frayeur ou quelque vive émotion. Avant de donner à boire à l'enfant, elle exprima de son sein le lait que ses angoisses avaient pu altérer, dans une petite cavité de la couche de pierre blanche qui se trouvait dans la grotte. Elle parla de la précaution qu'elle avait prise à un des bergers, homme pieux et grave, qui était venu la trouver (probablement pour la conduire auprès de l'enfant) ; cet homme, profondément convaincu de la sainteté de la mère du Rédempteur, recueillit plus tard avec soin le lait virginal qui était resté dans la petite cavité de la pierre, et le porta avec une simplicité pleine de foi à sa femme, qui avait alors un nourrisson qu'elle ne pouvait pas satisfaire ni calmer. Cette bonne femme prit cet aliment sacré avec une respectueuse confiance, et sa foi fut récompensée, car son lait devint aussitôt très abondant. Depuis cet événement la pierre blanche de cette grotte reçut une vertu semblable, et j'ai vu que, de nos jours encore, même des infidèles mahométans en font usage comme d'un remède, dans ce cas et dans plusieurs autres 1.

1. – La tradition de ce miracle est rapportée avec diverses variantes dans beaucoup de descriptions anciennes et modernes de la Palestine. Suivant la tradition la plus ordinaire, la sainte Famille, passant près de Bethléem lors de la fuite en Egypte, se serait cachée dans cette grotte, et quelques gouttes de lait tombées du sein de la mère de Dieu auraient donné cette vertu à la pierre de la grotte. C'est la soeur Emmerich qui a dit la première que cette grotte avait servi de tombeau à la nourrice d'Abraham ; quelle s'appelait dès lors la grotte de la nourrice ; et aussi que les inquiétudes maternelles de Marie avaient été la cause de cette vertu communiquée à la pierre de la grotte en question. Le savant franciscain Fr. Quaresmius, commissaire apostolique dans la Terre Sainte au dix-neuvième siècle, dit entre autres choses, à propos de cette grotte, dans son Historica Terra' Sanctae elucidatio, Antwerpiæ, 1632, t. II, p. 678 : "à peu de distance de la grotte de la Nativité et de l'église de la sainte Vierge, à Bethléem (suivant d'autres indications elle en est éloignée de deux cents pas), se trouve un souterrain dans lequel sont creusées trois grottes ; dans cette qui est au milieu, le saint sacrifice de la messe a été souvent célébré en mémoire du miracle qui s'y est opéré : on l'appelle communément la grotte de la Vierge ou l'église de Saint Nicolas une bulle du pape Grégoire Xl (mort en 1378) mentionne cette chapelle de Saint Nicolas à Bethléem, et permet aux franciscains d'y bâtir une maison avec clocher et cimetière. "On lit encore dans un ancien manuscrit sur les lieux saints : "Item, l'église de Saint Nicolas, où est la grotte dans laquelle, suivant la tradition, la sainte Vierge s'est cachée avec l'Enfant-Jésus ". Quaresmius, après avoir rapporté la tradition vulgaire sur cette grotte, ajoute que la terre de cette grotte est naturellement rouge ; mais qu'étant réduite en poussière, lavée et séchée au soleil, elle devient blanche comme la neige, et que, mêlée avec de l'eau, elle ressemble parfaitement à du lait. La terre ainsi préparée s'appelle lait de la sainte Vierge. On en fait une potion très salutaire pour les femmes qui ne peuvent pas nourrir, et on l'emploie aussi avec succès contre d'autres maladies. Même les femmes turques et arabes en retirent une telle quantité de terre pour l'employer ainsi, que ce qui était autrefois une seule grotte en forme trois aujourd'hui. Les reliques qui, dans plusieurs Lieux de pèlerinage, portent le nom de lac bestoe Virginia, et donnent lien à beaucoup de moqueries, ne sont le plus souvent que de la terre de cette grotte de Bethléem, dont parle la soeur Emmerich.

Quaresmius, à ce propos, mentionne un miracle rapporté par Baronius, lequel dit, dans ses Annales (an 158), que depuis que saint Paul a rejeté la vipère qui l'avait mordu à la main dans l'île de Malte (Act. XXIX), il n'y a plus dans cette île ni serpents ni animaux venimeux, et même que la terre de Malte est devenue un contrepoison ; puis il ajoute ces paroles : " Si une telle vertu a été donnée à cette terre à cause de saint Paul, pourquoi refuserions-nous de croire que Dieu, pour honorer la Vierge mère, a communiqué une vertu semblable et encore plus grande d cette grotte, sanctifiée par la présence de Jésus et de Marie " ! Castro, dans la vie de Marie, Grotonus, dans la vie de saint Joseph, rapportent la même tradition d'après un vieil écrit arménien.

Depuis ce temps, cette terre passée à l'eau et pressée dans de petits moules a été répandue dans la chrétienté comme un objet de dévotion ; c'est d'elle que se composent les reliques appelées lait de la très sainte Vierge.

LXIX
Préparatifs pour le départ de la sainte Famille.
Départ de sainte Anne. Détails personnels à la soeur.
Elle reconnaît des reliques venant des trois Rois.

(Du 28 au 30 décembre.)

Je vis dans les derniers jours et aujourd'hui saint Joseph prendre divers arrangements qui annonçaient le prochain départ de la sainte Famille. Chaque jour il amoindrissait son mobilier. Il donna aux bergers les cloisons mobiles, les claies et les autres objets à l'aide desquels il avait rendu la grotte habitable, et tout cela fut emporté par eux.

Aujourd'hui, dans l'après-midi, un assez grand nombre de gens qui allaient à Bethléem pour le sabbat, vinrent à la grotte de la Crèche ; mais, la trouvant abandonnée, ils passèrent outre. Sainte Anne doit retourner à Nazareth après le sabbat ; on met tout en ordre et on fait des paquets. Elle prend avec elle et charge sur deux ânes plusieurs choses données par les trois rois, spécialement des tapis, des couvertures et des pièces d'étoffe. Ce soir, la sainte Famille célébra le sabbat dans la grotte de Maraha ; on continua à le célébrer le samedi 29 décembre. La tranquillité régnait dans les environs. Après la clôture du sabbat, on prépara tout pour le départ de sainte Anne.

Cette nuit, je vis, pour la seconde fois, la sainte Vierge sortir, au milieu des ténèbres, de la grotte de Maraha, et porter l'Enfant-Jésus dans cette de la Crèche. Elle le posa sur un tapis à l'endroit où il était né et pria à genoux près de lui. Je vis alors toute la grotte remplie d'une lumière céleste, comme à l'heure de la naissance du Sauveur. Je pense que la sainte Mère de Dieu doit aussi avoir vu cela.

Le dimanche 30 décembre, de très grand matin, je vis sainte Anne faire de tendres adieux à la sainte Famille et sus trois bergers, et partir pour Nazareth avec ses gens.

Ils emportaient sur leurs bêtes de somme tout ce qui restait des présents des trois rois, et je fus très surprise de les voir prendre un petit paquet qui m'appartenait. J'eus le sentiment qu'il était parmi les leurs, et je ne pus comprendre comment il pouvait se faire que sainte Anne emportât ainsi ce qui était à moi.

Cette impression qu'eut la soeur Emmerich s'explique par ce qui va être raconté. Bientôt après ce mouvement de surprise qu'elle eut lorsqu'il lui sembla voir sainte Anne emporter de Bethléem quelque chose qui lui appartenait, elle communiqua ce qui suit à l'écrivain :

" Sainte Anne, dit elle, a emporté en partant beaucoup de choses données par les trois rois, et spécialement des étoffes ; une grande partie de tout cela a servi dans la primitive Église, et il en est resté quelque chose jusqu'à nos jours. Il y a parmi mes reliques un petit morceau de la couverture de la petite table où étaient les présents des trois rois. et un autre morceau venant d'un de leurs manteaux.

A l'occasion de ce mot : mes reliques, nous avons quelques détails à donner au lecteur. A toutes les époques, il y a eu dans l'Église catholique des personnes qui, en vertu d'un don particulier, éprouvaient une rire et agréable impression à la vue ou nu contact des ossements des saints et de tous les objets consacrés et sanctifiés. Vraisemblablement ce don ne s'est jamais manifesté à un aussi haut degré ni aussi constamment que chez la soeur Anne-Catherine Emmerich. Non seulement le très saint Sacrement mais encore tout ce qui avait été consacré et bénit par l'Église, particulièrement les ossements des saints et tout ce que l'Eglise désigne par le nom de reliques, était distingué par elle de toutes les autres substances semblables quant à Leur nature. Ces objets sacrés lui apparaissaient brillants de lumière, et d'une lumière différemment colorée suivant leur espèce. Lorsque c'étaient des ossements de saints on des etoffe9 qui leur avaient appartenu, elle pouvait faire connaître les noms des sainte et souvent raconter leur histoire dans le plus grand détail. C'est ce dont les personnes qui l'approchaient le plus souvent purent se convaincre si pleinement par une foule d'expériences journalières, qu'un de ses amis lui donna le nom de saeromètre. Celui qui écrit ceci rapportent dans l'histoire détaillée de sa vie un grand nombre de ces expériences. Nous ne savons pas si les autorités ecclésiastiques du pays où a vécu la soeur Emmerich se sont fait faire un rapport étendu avec tous les témoignages à l'appui sur ce phénomène si intéressant en ce qui touche la vie spirituelle, mais nous sommes convaincus que ce don était ce qu'il y avait en elle de' plus remarquable et de plus digne d'attention. Pour éprouver cette connaissance qu'elle avait des reliques et des autres objets consacrés, plusieurs de ses amis, et notamment l'écrivain, étaient mis à la porté. de la bonne soeur une grande quantité d'objets de ce genre Cela leu avait été facile, car, malheureusement, par suite de la destruction de tant d'églises et de couvents à notre époque, et aussi par suite de la diminution ou même de l'extinction complète du sens de la loi en ce qui touche les choses saintes et les objets transmis par la tradition comme sacrés et vénérables, de véritables trésors, eu l'honneur desquels de grandes églises avaient peut-être été bâties, étaient négligés ou profanés de la manière la plus affligeante. Plusieurs étaient tombés dans les mains de particuliers et jusque dans les boutiques des fripiers. Elle-même indiqua ce qu'étaient devenus beaucoup de ces ossements sacres, et on les lui procura. Elle reçut ainsi, grâce à la bonté du respectable Overberg, qui était son directeur extraordinaire, deux châsses importantes, pleines de reliques des temps primitifs, qui avaient été trouvées dans une vieille église supprimée.

Comme une partie de ces reliques se trouvait dans une petite armoire près du lit de la malade, tandis qu'une autre partie était dans la demeure de l'écrivain, celui-ci demanda : " Cette relique est-elle ici " ? Non, répondit-elle, là-bas, dans la maison. " est-ce chez moi " ? dit l'écrivain.-Non, répliqua-t-elle, chez cet homme, chez le pèlerin ". (Elle avait coutume de désigner ainsi l'écrivain). c Elle se trouve dans un petit paquet ; la petite pièce du manteau est d'une couleur effacée. Mais on ne me croira pas, et pourtant cela est vrai ; je le vois devant vos yeux. Il y a un proche parent de l'écrivain, celui qui m'a fait une visite ; celui-là a un coeur semblable à celui du roi basané Séir. Il est si doux, si docile et si sincère c'est un vrai coeur chrétien. Ah ! si cet homme était dans l'Eglise : il posséderait le ciel sur la terre !

L'écrivain ayant pris parmi les reliques déposées chez lui ce qu'on pouvait appeler un petit paquet, et le lui ayant apporté, elle l'ouvrit aussitôt et reconnut un petit reste d'étoffe de laine jaune et un autre morceau de soie rougeâtre, comme provenant des trois rois, mais sans donner à cet égard d'explications plus précises. Elle dit ensuite : " Je dois avoir moi-même un petit morceau d'étoffe venant des trois rois mages. Ils avaient plusieurs manteaux ; un, qui était épais et d'une étoffe serrée pour le mauvais temps ; un autre, de couleur jaune, et un autre rouge, de belle laine fine. Ces manteaux flottaient au vent quand ils marchaient. Dans les cérémonies, ils portaient des manteaux de soie sans teinture ; les bords étaient brodés d'or, et il y avait une longue queue que portaient des suivants. Je pense qu'il y a près de moi quelque pièces d'un de ces manteaux, et que c'est pour cela que j'ai vu près des trois rois, antérieurement et encore cette nuit, des scènes relatives à la production et au tissage de la soie.

Dans une contrée située a l'orient, entre le pays de Théokéno et celui de Séïr, se trouvaient des arbres de..' les branches étaient couvertes de vers ; on avait creusé autour de chaque arbre un petit fossé pour que les vers ne pussent pas s'en aller. Je vis souvent placer des feuilles sous ces arbres ; de petites boites étaient suspendues aux arbres, et comme on y prenait des objets ronds, plus longs que le doigt, je croyais d'abord que c'étaient des oeufs d'oiseau d'une espèce rare ; mais je vis bientôt que c'étaient des coques filées par les vers, lorsque ces gens les dévidèrent et en tirèrent des fils très déliés. Ils en assujettissaient une grande quantité devant leur poitrine, et filaient avec un beau fit qu'ils roulaient sur quelque chose qu'ils tenaient à la main. Je les vis aussi tisser entra des arbres ; leur métier à tisser était très simple : la pièce d'étoffe était à peu près large comme mon drap de lit. Quelques jours après, elle dit : Mon médecin m'a souvent interrogée à propos d'un petit morceau d'étoffe de soie d'un tissu singulier. J'en ai vu dernièrement un pareil auprès de moi, et ne sais plus ce qu'il est devenu. En recueillant mes souvenirs, j'ai reconnu que c'était à cette occasion que j'avais vu ce tableau du tissage de la soie : c'était plus à l'orient que le pays des trois rois, dans un pays où alla saint Thomas. Je me suis trompée en le racontant : il faut que le pèlerin efface cela. Ce morceau d'étoffe n'appartient pas aux trois rois ; il m'a été donné par quelqu'un qui voulait faire une expérience, sans s'inquiéter de ce qui m'occupait alors intérieurement : il résulte de là des contusions, et tout devient obscur.

J'ai vu de nouveau les reliques, et je sais où elles sont. Il y a plusieurs années, j'ai donné à ma belle-soeur qui habite Flamske, avant ses dernières couches, un petit paquet fermé par une couture. Elle m'avait priée de lui donner une relique pour la fortifier ; je lui donnai ce petit paquet, que j'avais vu lumineux. et comme ayant été autrefois en contact avec la Mère de Dieu. Je ne me souviens pas bien si je vis alors clairement tout ce qu'il contenait ; mais il procura à cette pieuse femme beaucoup de consolation. Cette nuit, je l'ai revu, elle le possède encore, il est solidement cousu. Il y a un petit morceau de tapis d'un rouge sombre, deux petites pièces d'un tissu léger comme du crêpe, de la couleur de la soie brute, quelque chose de vert qui ressemble à du coton, un petit morceau de bois et deux petits fragments de pierre blanche. J'ai fait dire à ma belle-soeur de me le rapporter.

Au bout de quelques jours, sa belle-soeur vint en effet la voir et apporta le petit paquet en question, qui était à peu près de la grosseur d'une noix. L'écrivain l'ouvrit chez lui avec soin, sépara les uns des autres les morceaux d'étoffe roulés ensemble, et les serra entre les pages d'un livre pour les aplatir. Il y avait un morceau d'étoffe de laine fort épaisse d'environ deux pouces carrés, de couleur rouge tirant sur le brun ; des morceaux longs et larges de deux doigts d'un tissu léger, semblable à de la mousseline, et dont la couleur était celle de la soie brute, puis un petit éclat de bois et deux petits fragments de pierre. Ayant plié les petits morceaux d'étoffe dans des feuilles de papier à lettre, il les lui mit sous les yeux dans la soirée. Elle ne savait pas ce que c'était et dit d'abord : " Qu'ai je à faire de ces lettres " ? Puis, tenant dans sa main les papiers sans les ouvrir, elle ajouta aussitôt : "Il faut conserver cela avec soin et n'en pas perdre un brin. L'étoffe épaisse, qui maintenant parait brune, était autrefois d'un rouge foncé. C'était une couverture, à peu près aussi grande que ma chambre ; les suivants des trois rois l'étendirent dans la grotte de la Crèche, et Marie s'y assit avec l'Enfant-Jésus pendant qu'ils présentaient l'encens. Elle l'a conservée ensuite dans la grotte et la prit sur son âne lorsqu'elle alla à Jérusalem présenter l'enfant au temple. Le tissu léger vient d'une espèce de manteau court, composé de trois bandes d'étoffe séparées et attachées à un collet, qu'ils portaient sur leurs épaules comme une étole pour les cérémonies. Le petit éclat de bois et les deux petites pierres ont été rapportés de la Terre Sainte à une époque plus récente.

Elle était alors occupée de la suite de ses visions relatives à la dernière année de la prédication de Jésus. Le 27 janvier qui précéda sa Passion, elle le vit, allant à Béthanie, s'arrêter, avec dix-sept disciples, dans une auberge de Bethléem. Il les instruisit sur leur vocation, et célébra le sabbat avec eux. La lampe resta allumée toute la journée. " Il y a, dit-elle, un de ces disciples qui est nouvellement venu avec lui de Sichar. Je l'ai vu très distinctement : il doit y avoir parmi mes reliques un petit fragment de ses os. Son nom ressemble à Silan ou à Vilan ; ces deux lettres s'y trouvent ". Plus tard, elle dit Silvain. Au bout de quelque temps elle ajouta : " J'ai vu de nouveau les petits morceaux d'étoffe venant des trois rois. Il doit y avoir encore là un petit paquet, où se trouvent entre autres choses un peu du manteau du roi Mensor, un morceau d'une couverture de sole rouge qui fut placée anciennement près du Saint Sépulcre, et un petit fragment de l'étole blanche et rouge d'un saint ". Après avoir fait une pause, elle dit encore : " Je vois maintenant où est ce petit paquet ; je l'ai donné, il y a deux ans et demi, à une femme d'ici pour le porter sur elle; elle l'a encore. Je la prierai de me le rendre. Je le lui donnai pour la consoler quand on me mit en prison, à cause du grand intérêt qu'elle me portait. Je ne savais pas alors au juste ce qu'il y avait ; je voyais seulement qu'il brillait, que c'était une relique, et qu'il avait été en contact avec la mère de Dieu. Maintenant que j'ai vu avec tant de détail tout ce qui concerne les trois rois, j'ai reconnu tout ce qui, dans mon voisinage, avait quelque rapport à eux, et notamment ces reliques d'étoffe ".

Au bout de quelques jours, quand elle eut de nouveau ce petit paquet, elle le donna à ouvrir à l'écrivain, parce qu'elle était malade. Il ouvrit dans l'autre pièce ce petit paquet, fermé depuis longtemps par une forte couture, et il y trouva les objets suivants enveloppés ensemble :

1 - un petit morceau de tissu de laine très fine, sans teinture, qui, lorsqu'on voulait le déployer, s'effilait en parcelles très minces ;
2 - Deux petits morceaux d'étoffe de coton, couleur nankin d'un tissu peu serré mais pourtant assez solide de la longueur d'un doigt ;
3 - Un pouce carré d'étoffe de soie cramoisie ;
4 - un quart de pouce carré d'étoffe de soie jaune et blanche ;
5 - Un petit échantillon de soie verte et rouge ;
6 - Au milieu de tout cela, un petit papier plié où était une petite pierre blanche de la grosseur d'un pois.

L'écrivain sépara tous ces objets et les enveloppa dans autant de morceaux de papier, excepté le n° 6 qu'il laissa dans le vieux papier. Quand il s'approcha de la malade, elle ne semblait pas être dans l'état de clairvoyance ; elle était éveillée, toussait et se plaignait de vives douleurs ; pourtant elle dit bientôt : " Qu'est-ce que ces lettres que vous avez là ? cela est tout brillant. Nous avons là des trésors qui ont plus de valeur qu'un royaume ". Elle prit alors les différents papiers sans les ouvrir et sans regarder ce qu'ils contenaient. Après les avoir tenus successivement dans sa main, elle se fut pendant quelques instants, comme regardant intérieurement ; puis, en les rendant, elle dit ce qui suit sur leur contenu, sans faire la plus légère erreur, car l'écrivain s'en assura aussitôt en ouvrant ces papiers, qui étaient tous pliés de la même manière :

N. l. Ceci vient d'une robe de Mensor ; c'est de la laine très fine. Elle n'avait pas de manches, mais seule ment des ouvertures pour passer les bras. Une bande d'étoffe, semblable à une manche, pendait depuis les épaules jusqu'aux coudes. Elle décrivit alors très exacte. ment la forme, la matière et la couleur de la relique.

N. 2. Ceci provient d'un manteau que les trois rois avaient laissé après eux. Elle décrivit ensuite la relique.

N. 3. Ceci est un petit morceau d'une couverture de soie rouge qui était étendue sur le sol près du Saint Sépulcre, quand les chrétiens possédaient encore Jérusalem. Lorsque les Turcs prirent la ville, elle était comme neuve. Les chevaliers la partagèrent entre eux, et chacun en emporta un morceau comme souvenir.

N. 4. Ceci vient de l'étole d'un très saint prêtre, nommé Alexis. C'était, je crois, un capucin. Il priait continuellement au Saint Sépulcre. Les Turcs lui firent subir beaucoup de mauvais traitements. Ils firent entrer des chevaux dans l'église, et placèrent une vieille femme turque entre lui et le Saint Sépulcre, à l'endroit où il priait. Mais il ne se laissa pas troubler par tout cela. Ils finirent par le murer là, et la femme lui donnait de l'eau et du pain par une ouverture. Je sais cela par beaucoup de choses qui m'ont été montrées récemment, lorsque j'ai vu le petit paquet, sans bien savoir où il se trouvait.

N. 5. Ceci n'est pas une relique, c'est cependant un objet digne de respect. Cela provient des sièges où les princes et les chevaliers s'asseyait dans l'église du Saint Sépulcre

N. 6. C'est une petite pierre de la chapelle qui est au-dessus du Saint Sépulcre, et il y a aussi un petit fragment d'ossement du disciple Silvain de Sichar.

L'écrivain lui ayant dit qu'il n'y avait pas de fragment d'ossements, elle répondit : " Regardez et cherchez ". Il alla dans la première pièce pour y voir plus clair, ouvrit avec précaution le papier plié, et trouva dans un pli un très petit morceau d'ossement, de forme irrégulière, de l'épaisseur de l'ongle et de la grandeur d'un demi kreutzer. Elle l'avait exactement décrit, et il le reconnut aussitôt. Tout cela se passa le soir dans sa chambre, qui n'était pas éclairée ; il n'y avait de la lumière que dans la première pièce.

LXX
Purification de la sainte Vierge.

Comme on approchait du jour où la sainte Vierge devait présenter son premier-né au temple et le racheter suivant les prescriptions de la loi, tout fut préparé pour que la sainte Famille pût d'abord aller au temple, puis retourner à Nazareth. Déjà, le dimanche 30 décembre au soir, les bergers avaient pris tout ce qu'avaient laissé après eux les serviteurs de sainte Anne. La grotte de la Crèche, la grotte latérale et celle du tombeau de Maraha étaient entièrement débarrassées, et même nettoyées. Saint Joseph les laissa parfaitement propres.

Dans la nuit du dimanche au lundi 31 décembre, je vis Joseph et Marie visiter encore une fois avec l'enfant la grotte de la Crèche, et prendre congé de ce saint lieu. Ils étendirent d'abord le tapis des trois rois à la place où Jésus était né, y posèrent l'enfant et prièrent ; puis, ils le placèrent à l'endroit où avait eu lieu la circoncision, et s'y agenouillèrent aussi pour prier.

Le lundi 31 décembre, au point du jour, je vis la sainte Vierge se placer sur l'âne, que les vieux bergers avaient amené tout harnaché devant la grotte. Joseph tint l'enfant jusqu'à ce qu'elle se fût installée commodément et le lui donna. Elle était assise sur un siège : ses pieds, un peu relevés, reposaient sur une planchette. Elle tenait sur son sein l'enfant, enveloppe dans son grand voile, et le regardait avec bonheur. Ils n'avaient près d'eux, sur l'Ane, que deux couvertures et deux petits paquets, entre lesquels Marie était assise. Les bergers leur firent de touchants adieux et les conduisirent jusqu'au chemin. Ils ne prirent pas la route par laquelle ils étaient venus, mais passèrent entre la grotte de la Crèche et celle du tombeau de Maraha, en longeant Bethléem au levant. Personne ne les aperçut.

(30 janvier.)

Aujourd'hui, je les vis suivre lentement la route, assez courte du reste, qui va de Bethléem à Jérusalem. Ils y mirent beaucoup de temps et s'arrêtèrent souvent. A midi, je les vis se reposer sur des bancs qui entouraient un puits recouvert d'un toit. Je vis deux femmes venir près de la sainte Vierge et lui apporter deux petites cruches avec du baume et des petits pains.

L'offrande de la sainte Vierge pour le temple était dans une corbeille suspendue aux flancs de l'âne. Cette corbeille avait trois compartiments, dont deux étaient recouverts et contenaient des fruits. Le troisième formait une cage à jour où l'on voyait deux colombes.

Je les vis vers le soir, à environ un quart de lieue en avant de Jérusalem, entrer dans une petite maison, tenue par un vieux ménage qui les reçut très affectueusement. C'étaient des Esséniens, parents de Jeanne Chusa. Le mari s'occupait de jardinage, taillait les haies et était chargé de quelque chose relativement au chemin.

(1er février.)

Je vis aujourd'hui la sainte Famille passer toute la journée chez ses vieux hôtes. La sainte Vierge fut presque tout le temps dans une chambre, seule avec l'enfant, qui était posé sur un tapis. Elle était toujours en prière et paraissait se préparer pour la cérémonie qui allait avoir lieu. J'eus à cette occasion des avertissements intérieurs sur la manière dont on doit se préparer à la sainte communion. Je vis apparaître dans la chambre plusieurs anges qui adorèrent l'Enfant-Jésus. Je ne sais pas si la sainte Vierge les vit ; mais je suis portée à le croire, car je la vis très émue. Les bons hôtes montrèrent toute espèce de prévenances envers la sainte vierge. Ils devaient avoir un pressentiment de la sainteté de l'Enfant-Jésus.

Le soir, vers sept heures, j'eus une vision relative au vieux Siméon. C'était un homme maigre, très âgé, avec une barbe courte. Il était prêtre, avait une femme et trois fils, dont le plus jeune pouvait avoir vingt ans. Je vis Siméon, qui habitait tout contre le temple, se rendre, par un passage étroit et obscur, dans une petite cellule voûtée qui était pratiquée dans les gros murs du temple. Je n'y vis rien qu'une ouverture par laquelle on pouvait voir dans l'intérieur du temple. J'y vis le vieux Siméon agenouillé et ravi en extase pendant sa prière. Un ange lui apparut et l'avertit de remarquer le lendemain matin l'enfant qui serait présenté le premier, parce que cet enfant était le Messie, après lequel il avait si longtemps soupiré. Il ajouta qu'il mourrait peu de temps après l'avoir vu. C'était un merveilleux spectacle ; la cellule était brillante de clarté, et le saint vieillard était rayonnant de joie. Je le vis ensuite revenir dans sa demeure et raconter, tout joyeux, à sa femme, ce qui lui avait été annoncé. Quand sa femme fut allée se reposer, je le vis de nouveau se mettre en prière.

Je n'ai jamais vu les pieux Israélites ni leurs prêtres faire, pendant leur prière, ces contorsions exagérées que font les Juifs d'à présent ; mais je les vis quelquefois se donner la discipline. Je vis aussi la prophétesse Anne prier dans sa cellule du temple, et avoir une vision touchant la présentation de l'Enfant-Jésus.

(2 février.)

Ce matin, avant le jour, je vis la sainte Famille, accompagnée de ses hôtes, quitter son auberge avec les corbeilles où étaient les offrandes, et se rendre au temple de Jérusalem. Ils entrèrent d'abord dans une cour entourée de mur attenante au temple. Pendant que saint Joseph et son hôte plaçaient l'âne sous un hangar, la sainte Vierge fut accueillie très amicalement par une femme âgée, qui la conduisit plus loin par un passage couvert. Elles avaient une lanterne, car il faisait encore sombre. Dès leur entrée dans ce passage, le vieux Siméon vint au-devant de Marie. Il lui adressa quelques paroles qui exprimaient sa joie, prit l'enfant qu'il serra contre son coeur, et revint en hâte au temple par un autre chemin. Ce que l'ange lui avait dit la veille lui avait inspiré un si vif désir de voir l'enfant après lequel il avait si longtemps soupiré, qu'il était venu là attendre l'arrivée des femmes. Il portait de longs vêtements comme les prêtres hors de leurs fonctions. Je l'ai vu souvent dans le temple, et toujours en qualité de prêtre, mais qui n'occupait pas un rang élevé dans la hiérarchie. Il se distinguait seulement par sa grande piété, sa simplicité et ses lumières.

La sainte Vierge fut conduite par la femme qui lui servait de guide jusqu'au vestibule du temple où la présentation devait avoir lieu : elle y fut reçue par Anne et par Noémi, son ancienne maîtresse, lesquelles habitaient l'une et l'autre de ce côté du temple. Siméon, qui était venu de nouveau à la rencontre de la sainte Vierge, la conduisit au lieu où se faisait le rachat des premiers-nés : Anne, à laquelle saint Joseph donna la corbeille où était l'offrande, la suivit avec Noémi. Les colombes étaient dans le dessous de la corbeille ; la partie supérieure était remplie de fruits. Saint Joseph se rendit par une autre porte au lieu où se tenaient les hommes.

On savait dans le temple que plusieurs femmes devaient venir pour la présentation de leurs premiers-nés, et tout était préparé. Le lieu où la cérémonie eut lieu était aussi grand que l'église principale de Dulmen. Contre les murs étaient des lampes allumées qui formaient toujours une pyramide. La flamme sortait à l'extrémité d'un conduit recourbé par un bec d'or qui brillait presque autant qu'elle. A ce bec était attaché par un ressort une espèce de petit éteignoir qui, relevé en haut, éteignait la lumière sans qu'elle répandit d'odeur, et qu'on retirait par en bas lors. qu'on voulait allumer.

Devant une espèce d'autel, au coin duquel se trouvaient comme des cornes, plusieurs prêtres avaient apporté un coffret quadrangulaire un peu allongé, qui formait le support d'une table assez large sur laquelle était posée une grande plaque. Ils mirent par-dessus une couverture rouge, puis une autre couverture blanche transparente, qui pendait tout autour jusqu'à terre. Aux quatre coins de cette table turent placées des lampes allumées à plusieurs branches ; au milieu, autour d'un long berceau, deux plats ovales et deux petites corbeilles.

Ils avaient tiré tous ces objets des compartiments du coffre, où ils avaient pris aussi des habits sacerdotaux, qu'on avait placés sur un autel fixe. La table, dressée pour les offrandes, était entourée d'un grillage. Des deux côtés de cette pièce du temple il y avait des rangées de sièges, dont l'une était plus élevée que l'autre ; il s'y trouvait des prêtres qui priaient. Siméon s'approcha alors de la sainte Vierge, qui tenait dans ses bras l'Enfant-Jésus enveloppé dans une étoffe bleu de ciel et la conduisit par la grille à la table des offrandes, où elle plaça l'enfant dans le berceau. A partir de ce moment, je vis le temple rempli d'une lumière dont rien ne peut rendre l'éclat. Je vis que Dieu y était, et au-dessus de l'enfant, je vis les cieux ouverts jusqu'au trône de la très sainte Trinité. Siméon reconduisit ensuite la sainte Vierge au lieu où se tenaient les femmes derrière un grillage. Marie portait un vêtement couleur bleu de ciel et un voile blanc ; elle était enveloppée dans un long manteau d'une couleur tirant sur le jaune.

Siméon alla ensuite à l'autel fixe, sur lequel étaient placés les vêtements sacerdotaux. Lui et trois autres prêtres s'habillèrent pour la cérémonie. Ils avaient au bras une espèce de petit bouclier, et sur la tête une sorte de mitre. L'un d'eux se tenait derrière la table des offrandes, l'autre devant ; deux autres étaient aux petits côtés, et ils récitaient des prières sur l'enfant.

La prophétesse Anne vint alors près de Marie, lui présenta la corbeille des offrandes, qui renfermait dans deux compartiments, placés l'un au-dessous de l'autre, des fruits et des colombes, et la conduisit au grillage qui était devant la table des offrandes ; elle resta là debout. Siméon, qui se tenait devant la table, ouvrit la grille, conduisit Marie devant la table, et y plaça son offrande. Dans un des plats ovales on plaça des fruits, dans l'autre des nièces de monnaie : les colombes restèrent dans la corbeille.

Siméon resta avec Marie devant l'autel des offrandes le prêtre, placé derrière l'autel, prit l'Enfant-Jésus, l'éleva en l'air en le présentant vers différents côtés du temple et pria longtemps. Il donna ensuite l'enfant à Siméon qui le remit sur les bras de Marie, et lut des prières dans un rouleau placé près de lui sur un pupitre.

Siméon reconduisit alors la sainte Vierge devant la balustrade, d'où elle fut ramenée par Anne, qui l'attendait là, à la place où se tenaient les femmes ; il y en avait là une vingtaine, venues pour présenter au temple leurs premiers-nés. Joseph et d'autres hommes se tenaient plus loin, à l'endroit qui leur était assigné. Alors les prêtres, qui étaient devant l'autel, commencèrent un service avec des encensements et des prières ; ceux qui se trouvaient sur les sièges y prirent part en faisant quelques gestes, mais non exagérés comme ceux des Juifs d'aujourd'hui. Quand cette cérémonie fut finie, Siméon vint à l'endroit où se trouvait Marie, reçut d'elle l'Enfant-Jésus, qu'il prit dans ses bras, et, plein d'un joyeux enthousiasme, parla de lui longtemps, et en termes très expressifs. Il remercia Dieu d'avoir accompli sa pro. messe, et dit, entre autres choses : "C'est maintenant Seigneur, que vous renvoyez votre serviteur en paix selon votre parole ; car mes yeux ont vu votre salut que vous avez préparé devant la face de tous les peuples la lumière qui doit éclairer les nations et glorifier votre peuple d'Israël ".

Jusqu'en 1823, dans le troisième récit da la prédication de Jésus, elle parla d'un séjour qu'il fit à Hébron, environ dix jours après la mort de saint Jean-Baptiste, elle vit Jésus, le vendredi 29 Thébet (17 janvier), taire une instruction sur la lecture du sabbat, qui était tirée de l'Exode (X-XIII), et qui traitait des ténèbres d'Egypte et du rachat des premiers nés. Elle vit à cette occasion toute la cérémonie de la présentation de Jésus dans le temple et raconta ce qui suit : "La sainte vierge présenta l'Enfant-Jésus au temple le quarante et unième jour après sa naissance. Elle resta à cause d'une fêle trois jours dans l'auberge située devant la porte de Bethléem. Outre l'offrande ordinaire des colombes, elle offrit cinq petites plaques d'or de forme triangulaire provenant de' présents des trois rois, et donna plusieurs pièces de belle étoffe pour le' ornements du temple. Joseph, avant de quitter Bethléem, vendit à sen cousin la jeune ânesse qu'il lui avait remise en gage le 30 novembre, Je crois toujours que l'ânesse sur laquelle Jésus entra à Jérusalem le dimanche des rameaux provenait de cette bête.

Joseph s'était rapproché après la présentation ; ainsi que Marie, il écouta avec respect les paroles inspirées de Siméon, qui les bénit tous deux, et dit à Marie : " Voici que celui-ci est placé pour la chute et pour la résurrection de plusieurs dans Israel, et comme un signe de contradiction ; un glaive traversera ton âme, afin que ce qu'il y a dans beaucoup de coeurs soit révélé ".

Quand le discours de Siméon fut fini, la prophétesse Anne fut aussi inspirée, parla longtemps de l'Enfant-Jésus, et appela sa mère bienheureuse.

Je vis les assistants écouter tout cela avec émotion, mais pourtant sans qu'il en résultat aucun trouble ; les prêtres même semblèrent en entendre quelque chose. Il semblait que cette manière enthousiaste de prier à haute voix ne fût pas tout à fait une chose inaccoutumée, que des choses semblables arrivassent souvent, et que tout dût se passer ainsi. Tous donnèrent à l'enfant et à sa mère de grandes marques de respect. Marie brillait comme une rose céleste.

La sainte Famille avait présenté, en apparence, la plus pauvre des offrandes ; mais Joseph donna secrète. ment au vieux Siméon et à la prophétesse Anne beaucoup de petites pièces jaunes triangulaires, lesquelles devaient profiter spécialement aux pauvres vierges élevées dans le temple, et hors d'état de payer lad frais de leur entretien.

Je vis ensuite la sainte Vierge, tenant l'enfant dans ses bras, reconduite par Anne et Noémi à la cour où elles l'avaient prise et où elles se firent réciproquement leurs adieux. Joseph y était déjà avec les deux hôtes ; il avait amené l'Ane sur lequel Marie monta avec l'enfant, et ils partirent aussitôt du temple, traversant Jérusalem en allant dans la direction de Nazareth.

Je n'ai pas vu la présentation des autres premiers-nés amenés aujourd'hui ; mais j'ai le sentiment que tous reçurent des grâces particulières, et que beaucoup d'entre eux furent du nombre des saints innocents égorgés par ordre d'Hérode.

La cérémonie de la Présentation dut être terminée ce matin, vers neuf heures ; car c'est alors que je vis partir la sainte Famille. Ils allèrent ce jour-là jusqu'à Béthoron, et passèrent la nuit dans la maison qui avait été le dernier gîte de la sainte Vierge, treize ans avant, lorsqu'elle fut conduite au temple. La maison me parut habitée par un maître d'école. Des gens, envoyés par sainte Anne, les attendaient là pour les prendre avec eux. Ils revinrent à Nazareth par un chemin beaucoup plus direct que celui qu'ils avaient pris en allant à Bethléem, lorsqu'ils évitaient les bourgs et n'entraient que dans les maisons isolées.

Joseph avait laissé chez son parent la jeune ânesse qui lui avait montré le chemin dans le voyage à Bethléem ; car il pensait toujours revenir à Bethléem, et à se construire une demeure dans la vallée des bergers. Il avait parlé de ce projet aux bergers, et il leur avait dit qu'il voulait seulement que Marie passât un certain temps chez sa mère pour se remettre des fatigues de son mauvais gîte. Il avait, à cause de cela, laissé beaucoup de choses chez les bergers.

Joseph avait avec lui une singulière espèce de monnaie qu'il avait reçue des trois rois. Il avait à sa robe une espèce de poche intérieure où il portait une quantité de feuilles de métal jaunes, minces, brillantes et repliées les unes sur les autres. Elles étaient carrées, avec les coins arrondis ; il y avait quelque chose de gravé. Les pièces d'argent que reçut Judas pour prix de sa trahison étaient plus épaisses et en forme de langue.

Pendant ces jours-là, je vis les trois saints rois réunis au delà d'une rivière. Ils firent une halte d'un jour et célébrèrent une fête. Il y avait là une grande maison entourée de plusieurs autres petites. Au commencement, ils voyageaient très vite ; mais, à dater de leur halte actuelle, ils allèrent beaucoup plus lentement qu'ils n'étaient venus. Je vis toujours en avant de leur cortège un jeune homme resplendissant qui leur parlait quelquefois.

LXXI
Mort de Siméon.

(3 janvier.)

Siméon avait une femme et trois fils, dont l'aîné pouvait avoir quarante ans et le plus jeune vingt ans. Tous trois étaient employés au temple. Plus tard, ils furent constamment les amis secrets de Jésus et des siens. Ils devinrent disciples du Seigneur, soit avant sa mort, soit après son ascension. Lors de la dernière cène, l'un d'eux prépara l'agneau pascal pour Jésus et les apôtres. Je ne sais pourtant pas si tous ceux-là n'étaient pas peut-être des petits fils de Siméon. Lors de la première persécution qui eut lieu après l'Ascension, ils rendirent de grands services aux amis du Sauveur. Siméon était parent de Séraphia, qui reçut le nom de Véronique, et aussi de Zacharie par le père de celle-ci.

Je vis que Siméon, étant revenu chez lui après avoir prophétisé à la présentation de Jésus, tomba aussitôt malade ; il n'en témoigna pas moins une grande joie dans les discours qu'il tint à sa femme et à ses fils. Je vis cette nuit que c'était aujourd'hui qu'il devait mourir. De tout ce que je vis à ce sujet, je ne me rappelle que ce qui suit : Siméon, sur son lit de mort, adressa à sa femme et à ses enfants des exhortations touchantes ; il leur parla du salut qui était venu pour Israël et de tout ce que l'ange lui avait annonce, en termes très forts et avec une joie touchante. Je le vis ensuite mourir paisiblement. Sa famille le pleura en silence. Il y avait autour de lui beaucoup de prêtres et de Juifs qui priaient.

Je vis ensuite qu'ils portèrent son corps dans une autre pièce. Il fut placé là sur une planche percée de plusieurs ouvertures, et ils le lavèrent avec des éponges sous une couverture, en sorte qu'ils ne le virent pas à nu. L'eau coulait par les ouvertures de la planche dans un bassin de cuivre placé au-dessous. Ils placèrent ensuite sur lui de grandes feuilles vertes, l'entourèrent de beaux bouquets d'herbes, et l'ensevelirent dans un grand drap, où il fut enveloppé à l'aide d'une longue bandelette, comme un enfant au maillot. Son corps était raide et si inflexible, que je croyais presque qu'il était attaché sur la planche.

Le soir il fut mis au tombeau. Six hommes le portèrent, avec des lumières, sur une planche qui avait à peu près la forme du corps, avec un rebord peu élevé des quatre côtés. Sur cette planche reposait le corps enveloppé, sans être recouvert par-dessus. Les porteurs et le cortège allaient plus vite qu'on ne va dans nos enterrements. Le tombeau était sur une colline peu éloignée du temple. Le caveau où il fut déposé avait à l'extérieur la forme d'un monticule, où se trouvait adaptée, à l'extérieur, une porte oblique, maçonnée à l'intérieur d'une façon particulière. C'était l'espèce de travail, quoique plus grossier, que je vis faire à saint Benoît dans son premier monastère '.

Dans une vision de la vie de saint Benoît (le 10 février 1820), elle vit, entre autres choses, que le saint, dans sa jeunesse, apprit de son maître à faire avec des pierres de diverses couleurs, sur le sable du jardin, toute espèce d'ornements et d'arabesques à la façon des mosaïques antiques. Plus tard, elle le vit, étant anachorète, exécuter à la voûte de sa cellule ou de sa grotte une mosaïque grossière représentant une vision du jugement dernier. Elle vit plus tard des disciples de saint Benoît l'imiter dans ce genre de travail et le perfectionner, Dans une vision où elle exposa toute l'histoire de l'ordre, exprimée jusque dans ses plus petits détails par le caractère et les habitudes du fondateur, elle dit : "Lorsque chez les Bénédictins l'esprit fut moins vivant que l'écorce, je vis leurs églises et leurs monastères trop ornes et trop embellis, et en voyant toutes les images et tous les ornements qui couvraient la voûte des églises, je me disais : Cela vient de ce travail que faisait Benoît dans sa cellule : cette semence est ainsi montée en herbe. Si toute cette surcharge vient à tomber, elle brisera bien des choses.

Les parois, comme dans la cellule de la sainte Vierge au temple, étaient ornées de fleurs et d'étoiles, formées de pierres de différentes couleurs Le petit caveau où ils placèrent Siméon n'offrait que juste assez d'espace pour qu'on pût circuler autour du corps. Il y avait encore certains usages particuliers lors des enterrements : on mettait près des morts des pièces de monnaie, des petites pierres, et aussi, je crois, des aliments. Je ne m'en souviens plus très bien.

LXXII
Arrivée de la sainte Famille chez Sainte Anne

Je vis le soir la sainte Famille arrivée dans la maison d'Anne, à une demi lieue de Nazareth, vers la vallée de Zabulon. Il y eut une petite fête de famille du genre de celle qui avait eu lieu lors du départ de Marie pour le temple. La fille aînée d'Anne, Marie d'Héli, était présente. L'âne était déchargé. Ils voulaient rester là un certain temps. Tous accueillirent l'Enfant-Jésus avec une grande joie ; mais cette joie était paisible et tout intérieure. Je n'ai jamais rien vu de très passionné chez tous ces personnages. Il y avait aussi là de vieux prêtres. On fit un petit festin. Les femmes mangèrent, comme toujours, séparées des hommes.

Je vis encore la sainte Famille chez Anne. Il y avait quelques femmes : la fille aînée d'Anne, Marie Héli, avec sa fille, Marie de Cléophas, puis une femme du pays d'Elisabeth, et la servante qui s'était trouvée près de Marie à Bethléem. Cette servante, après avoir perdu son mari qui ne s'était pas bien conduit envers elle, n'avait pas voulu se remarier et elle était venue à Juttah, chez Elisabeth, où Marie l'avait connue lors de sa visite à sa cousine ; de là, cette veuve était venue chez Anne. Je vis aujourd'hui Joseph faire plusieurs paquets chez Anne et aller avec la servante à Nazareth, précédant des ânes, qui étaient au nombre de deux ou de trois.

Je ne me souviens plus en détail de tout ce que j'ai vu aujourd'hui dans la maison de sainte Anne ; mais je dois y avoir eu de vives impressions, car j'y avais une ardeur pour la prière dont je ne comprends peut-être plus bien la cause. Avant d'aller chez Anne, je me trouvai en esprit prés d'un couple de jeunes mariés qui nourrissent leur vieille mère ; tous deux sont maintenant atteints d'une maladie mortelle, et s'ils n'en guérissent pas, leur mère sera sans ressource. Je connais cette pauvre famille, mais je n'en ai pas entendu parler depuis longtemps. Dans les cas désespérés, j'invoque toujours la sainte mère de Marie ; et aujourd'hui, comme j'étais chez elle en vision, je vis dans son jardin, malgré la saison, beaucoup de poires, de prunes et d'autres fruits pendants aux arbres, quoiqu'ils n'eussent plus de feuilles ; je voulus les cueillir en m'en allant, et je portai les poires aux époux malades, qui ont été guéris par là. Il me fallut ensuite en donner à beaucoup de pauvres âmes, connues et inconnues, qui en furent soulagées. Vraisemblablement ces fruits signifient des grâces obtenues par l'intercession de sainte Anne. Je crains que ces fruits n'indiquent pour moi beaucoup de douleurs et de souffrances ; j'éprouve toujours cela lors de semblables visions où je cueille des fruits dans les jardins des saints, car il faut toujours payer cela cher. Je ne sais pas bien pourquoi je cueillis ces fruits dans le jardin de sainte Anne ; peut-être ces personnes et ces âmes sont-elles sous la protection particulière de sainte Anne, en sorte que les fruits de la grâce doivent provenir pour elles de son jardin ; ou peut-être cela eut-il lieu parce qu'elle est particulièrement secourable dans les circonstances désespérées, ainsi que je l'ai toujours reconnu.

Comme on demandait à la soeur comment elle voyait le climat de la Palestine dans cette saison, elle répondit : J'oublie toujours de le dire, parce que tout cela me parait si naturel, qu'il me semble que tout le monde doit le savoir. Je vois souvent de la pluie et du brouillard, quelquefois aussi un peu de neige, mais qui fond tout de suite. Je vois souvent des arbres sans feuilles où pendent encore des fruits. Je vois plusieurs récoltes dans l'année ; je vois déjà faire la moisson dans la saison qui correspond à notre printemps. Dans l'hiver, je vois les gens qui sont sur les chemins, tout enveloppés ; ils ont leurs manteaux sur la tête.

(Le 6.) Aujourd'hui, dans l'après midi, je vis la sainte Vierge, accompagnée de sa mère qui portait l'Enfant-Jésus, se rendre dans la maison de Joseph, à Nazareth. Le chemin est très agréable : il a environ une demi lieue de long, et passe entre des collines et des jardins.

Anne envoie des aliments à Joseph et à Marie dans leur maison de Nazareth. Combien tout est touchant dans la sainte Famille ! Marie est comme une mère et en même temps comme la servante la plus soumise du saint enfant ; elle est aussi comme la servante de saint Joseph. Joseph est vis-à-vis d'elle comme l'ami le plus dévoué et comme le serviteur le plus humble. Combien je suis touchée de voir la sainte Vierge remuer et retourner le petit Jésus comme un enfant qui ne peut s'aider lui-même ! Quand on songe que c'est le Dieu de miséricorde qui a créé le monde, et qui, par amour, se laisse ainsi mouvoir en tous sens, combien on est douloureusement affecté de la dureté, de la froideur et de l'égoïsme des hommes !

LXXIII
Purification de Marie. Fête de la Chandeleur.

La fête de la Chandeleur me fut montrée dans un grand tableau difficile à expliquer ; je raconterai comme Je le puis ce que j'ai vu passer devant mes yeux. Je vis une fête dans cette église diaphane, planant au-dessus de, la terre, qui me représente l'Église catholique en général, quand j'ai à contempler, non telle église en particulier ; mais l'Eglise en tant qu'Église. Je la vis pleine de choeurs d'anges qui entouraient la très sainte Trinité. Comme je devais voir la seconde personne de la très sainte Trinité dans l'Enfant-Jésus présenté et racheté au temple, lequel était pourtant présent aussi dans la très sainte Trinité, ce fut comme dernièrement, lorsque je crus que l'Enfant-Jésus était près de moi et me consolait pendant que je voyais en même temps une image de la très sainte Trinité. Je vis donc près de moi l'apparition du Verbe incarné, l'Enfant-Jésus uni à la très sainte Trinité par une voie lumineuse. Je ne puis pas dire qu'il ne fût pas là parce qu'il était près de moi ; je ne puis pas dire non plu. qu'il ne fût pas près de moi parce qu'il était là, et cependant, au moment où je sentis vivement la présence de l'Enfant-Jésus près de moi, je vis la figure sous laquelle m'était montrée la sainte Trinité autrement que lorsqu'elle m'est présentée seulement comme l'image de la Divinité.

Je vis paraître un autel au milieu de l'église. Ce n'était pas comme un autel de nos jours dans nos églises actuelles, mais un autel en général. Sur cet autel, je vis un petit arbre avec de grandes feuilles pendantes, de l'espèce de l'arbre de la science du bien et du mal dans le Paradis. Je vis ensuite la sainte Vierge avec l'Enfant-Jésus sur les bras sortir pour ainsi dire de terre devant l'autel, et l'arbre qui était sur l'autel se pencher devant elle et se flétrir ; puis, je vis un ange revêtu d'habits sacerdotaux, n'ayant qu'un anneau autour de la tête, s'approcher de Marie. Elle lui donna l'enfant qu'il posa sur l'autel, et dans le même instant, je vis l'enfant passer dans l'image de la sainte Trinité, qui m'apparut cette fois dans sa forme ordinaire.

Je vis l'ange donner à la Mère de Dieu un petit globe brillant sur lequel était une figure semblable à un enfant emmailloté, et, Marie l'ayant reçu, plana au-dessus de l'autel. De tous les côtés, je vis venir à elle des bras portant des flambeaux, et elle présenta tous ces flambeaux à l'enfant qui était sur le globe, dans lequel ils entrèrent aussitôt. Je vis tous ces flambeaux former au-dessus de Marie et de l'enfant une lumière et une splendeur qui illuminaient tout. Marie avait un ample manteau étalé sur toute la terre. Puis tout cela devint comme la célébration d'une fête.

Je crois que le dessèchement de l'arbre de la science lors de l'apparition de Marie et l'absorption de l'enfant offert sur l'autel dans la sainte Trinité devaient être une image de la réconciliation des hommes avec Dieu. C'est pourquoi je vis toutes les lumières dispersées présentées à la Mère de Dieu, et remises par celle-ci à l'Enfant-Jésus, lequel était la lumière qui éclaire tous les hommes, dans lequel seul toutes les lumières dispersées redeviennent une seule lumière qui illumine le monde entier, représenté par ce globe comme par le globe impérial. Les lumières présentées indiquaient la bénédiction des cierges à la fête d'aujourd'hui.

LXXIV
La fuite en Egypte. Introduction.

Le samedi, 10 février 1821, la malade était agitée par des préoccupations touchant un logement à trouver. s'étant endormie là-dessus, elle se réveilla bientôt toute consolée. Elle raconta qu'un ami, mort depuis peu (un bon vieux prêtre), était venu auprès d'elle et l'avait consolée. " Oh ! disait-elle, combien ce digne homme a d'esprit maintenant ! à présent, il sait parler. Il m'a dit : Ne t'inquiète pas de trouver un logement ; occupe-toi seulement de nettoyer et de parer ton intérieur où tu reçois le Seigneur Jésus quand il te visite. Lorsque saint Joseph vint à Bethléem, il ne cherchait pas un logement pour lui, mais pour Jésus, et il arrangea très proprement la grotte de la Crèche ".

Elle communiqua encore plusieurs réflexions profondes du même genre que lui avait adressées cet ami, et qui toutes indiquaient un homme auquel son caractère était sien connu. Elle raconta qu'il lui avait dit : " Lorsque l'ange enjoignit à saint Joseph de s'enfuir en Égypte avec Jésus et Marie, il ne se préoccupa point de trouver un logement, mais il obéit simplement et se mit en route ".

Comme l'année précédente, vers la même époque, elle avait vu quelque chose de la fuite en Egypte, l'écrivain supposa qu'il en avait été de même cette fois, et il lui adressa cette question : " Saint Joseph est-il donc parti aujourd'hui pour l'Egypte " ? à quoi elle répondit très nettement. " Non ; le jour où il partit tombe maintenant le 29 février ".

Malheureusement, l'occasion ne se présenta pas de savoir cela exactement, parce qu'elle était alors fort malade. Elle dit une fois : " L'enfant pouvait bien avoir un an. Je le vis, hors d'une halte, pendant le voyage, jouer au tour d'un baumier. Ses parents le faisaient quelquefois marcher pendant un peu de temps ". Une autre fois, elle crut voir que Jésus avait neuf mois. C'est au lecteur à déterminer, d'après d'autres circonstances mentionnées dans le récit, et spécialement d'après ce qui est dit de l'âge du petit Jean-Baptiste, quel devait être l'âge de Jésus, qui paraîtrait d'après cela avoir été en effet de neuf mois.

LXXV
Nazareth. Demeure et occupation de la sainte Famille.

(Le dimanche, 25 février)

Je vis la sainte Vierge tricoter ou faire au crochet de petites robes. Elle avait un rouleau de laine assujetti à la hanche droite, et dans les mains deux petits bâtons, en os, si je ne me trompe, avec de petits crochets à l'extrémité. L'un d'eux pouvait être long d'une demi aune, l'autre était plus court. Elle travaillait ainsi debout ou assise près de l'Enfant-Jésus, qui était couché dans une petite corbeille.

Je vis saint Joseph tresser différents objets, comme des cloisons et des espèces de planchers pour les chambres. avec de longues bandes d'écorces jaunes, brunes et vertes. Il avait une provision d'objets de ce genre, placés les uns sur les autres, dans un hangar près de la maison. J'étais touchée de compassion en pensant qu'il ne prévoyait pas qu'il faudrait bientôt s'enfuir en Egypte. Sainte Anne venait presque tous les jours de sa maison. située à peu près à une lieue de là.

LXXVI
Jérusalem.
Préparatifs d'Hérode pour le massacre des enfants

(Le dimanche, 25 février.)

J'eus la vue de ce qui se passait à Jérusalem. Je vis Hérode faire convoquer beaucoup de gens. C'était comme lorsque chez nous on recrute des soldats. Ces hommes furent conduits dans une grande cour, et reçurent des habits et des armes. Ils portaient au bras comme une demi lune (une espèce de bouclier). Ils avaient des épieux et des sabres courts et larges, semblables à des coutelas. Ils portaient des casques sur la tête, et plusieurs avaient des bandelettes autour des jambes. Cela devait être fait en vue du massacre des enfants. Hérode était très agité.

(Le lundi, 26 février.)

Je vis Hérode toujours dans une grande agitation. Il était comme lorsque les rois l'interrogèrent sur le roi nouvellement né des Juifs. Je le vis se consulter avec quelques vieux scribes. Ils apportèrent de longs rouleaux de parchemin fixés sur des bâtons, et y lurent quelque chose. Je vis aussi que les soldats qu'on avait habillés de neuf la veille furent envoyés en divers endroits dans les environs de Jérusalem, et aussi à Bethléem. Je crois que ce fut pour occuper les lieux d'où plus tard les mères devaient porter leurs enfants à Jérusalem, sans savoir qu'ils y seraient égorgés. On voulait empêcher que le bruit de cette cruauté ne produisit des soulèvements.

(Le mardi, 27 février.)

Je vis aujourd'hui les soldats d'Hérode, qui avaient quitté Jérusalem la veille, arriver dans trois endroits. Ils allèrent à Hébron, à Bethléem, et dans un troisième endroit qui se trouvait entre les deux autres, dans la direction de la mer Morte. J'en ai oublié le nom. Les habitants, qui ne savaient pas pourquoi ces soldats venaient chez eux, étaient quelque peu agités. Mais Hérode était rusé ; il ne laissait rien connaître de ses desseins et recherchait secrètement Jésus. Les soldats restèrent longtemps dans ces endroits pour ne pas laisser échapper l'enfant né à Bethléem. Il fit égorger tous les enfants au-dessous de deux ans.

LXXVII
Détails personnels à la narratrice.
Effets de sa prière à l'anniversaire du massacre des Innocents.

(Le mardi, 27 février)

Ce soir, après le coucher du soleil, la malade s'endormit, et dit au bout de quelques minutes, sans y être provoquée extérieurement : " Dieu soit mille fois béni ! je suis venue bien à propos. Oh ! qu'il est heureux que j'aie été là ! le pauvre enfant est sauvé. J'ai tant prié, qu'il a bien fallu qu'elle le bénît et l'embrassât. Après cela, elle ne pouvait plus le jeter dans le marais ".

A cette explosion soudaine, l'écrivain lui demanda qui c'était, et elle répondit : " C'est une fille séduite ; elle voulait noyer son enfant nouveau-né. Ce n'est pas très loin d'ici. J'ai tant prié Dieu de ne laisser mourir sans baptême aucun enfant innocent ! J'ai fait cette prière, parce que l'anniversaire du massacre des Innocents approche. J'ai supplié le bon Dieu par le sang de ses premiers martyrs. Oh ! il faut profiter des occasions et cueillir sur la terre les roses qui fleurissent dans le jardin de l'Église du ciel. Dieu m'a exaucée et j'ai pu secourir la mère et l'enfant ". Voilà ce qu'elle dit immédiatement après la vision, ou pour mieux dire après son action en esprit. Le lendemain matin, elle dit :

" J'ai été promptement conduite par mon guide à M.... Je vis une fille devenue mère. Je crois que c'est en avant de M.... L'endroit me paraît être à gauche de T...., sur la route qui mène à K... Son enfant était venu au monde derrière un buisson, et elle s'approcha avec lui d'un marais profond sur lequel il y a beaucoup de verdure. Elle voulait jeter 19enfant dans l'eau ; elle le portait dans son tablier. Je vis prés d'elle une grande figure sombre dont sortait pourtant une sorte de lumière sinistre. Je pense que c'était le malin esprit. Je m'avançai près d'elle et priai de tout mon coeur. Je vis s'éloigner la figure sombre. Alors elle prit son enfant, le bénit et l'embrassa. Quand elle eut fait cela, elle n'eut plus le courage de le noyer. Elle s'assit et pleura amèrement. Elle ne savait plus que faire. Je la consolais et lui donnai la pensée d'aller trouver son confesseur et de lui demander son aide. Elle ne me vit pas, mais son ange gardien le lui dit. Je crois qu'elle n'a pas ses parents dans cet endroit. Elle parait être de la classe moyenne.

LXXVIII
Nazareth.
Vie domestique de le sainte Famille.

(Le mardi, 27 février.)

Je vis aujourd'hui sainte Anne avec sa servante aller de sa demeure à Nazareth. La servante avait un paquet pendu au côté ; elle portait une corbeille sur la tête et une autre à la main : c'étaient des corbeilles rondes, dont l'une était à jour. Il y avait dedans des oiseaux. Elles portaient des aliments à Marie, car celle-ci n'avait pas de ménage et recevait tout de chez sainte Anne.

(Le mercredi, 28 février.)

Je vis aujourd'hui, vers le soir, sainte Anne et sa fille aînée chez la sainte Vierge. Marie Héli avait avec elle un petit garçon fort robuste de quatre ou cinq ans : c'était son petit-fils, le fils aîné de sa fille, Marie de Cléophas. Joseph était allé à la maison de sainte Anne. Je me disais : " Les femmes sont toujours les mêmes ", quand je les voyais assises ensemble, causant familièrement, jouant avec l'Enfant-Jésus, l'embrassant et le mettant dans les bras du petit garçon. Tout cela se passait comme de nos jours.

Marie Héli demeurait dans un petit endroit, à environ trois lieues de Nazareth, du côté du levant. Sa maison était presque aussi bien arrangée que celle de sainte Anne. Elle avait une cour entourée de murs. avec un puits à pompe. Quand on mettait le pied sur un certain endroit, l'eau jaillissait en haut et tombait dans un bassin de pierre. Son mari s'appelait Cléophas. Sa fille, Marie de Cléophas, mariée à Alphée, demeurait à l'autre bout du village.

Le soir, je vis les femmes prier. Elles se tenaient devant une petite table placée contre le mur, et sur laquelle était une couverture rouge et blanche. La lampe était allumée pendant la prière. Marie était devant Anne et sa soeur près d'elle. Elles croisaient les mains sur la poitrine, les joignaient et les étendaient. Marie lut dans un rouleau placé devant elle. Elles récitaient leurs prières sur un ton et un rythme qui me rappelèrent la psalmodie du choeur au couvent.

LXXIX
Un ange avertit Joseph de s'enfuir.
Préparatifs et commencement du voyage.

(Nuit du jeudi 1er mars au vendredi 2 mars.)

Ils sont partis ; je les ai vus se mettre en marche. Hier, Joseph était revenu de bonne heure de la maison de sainte Anne. Celle-ci et sa fille aînée étaient encore à Nazareth. A peine étaient-elles allées se reposer, que l'ange avertit Joseph. Marie et l'Enfant-Jésus avaient leur chambre à coucher à droite du foyer, sainte Anne à gauche, la fille aînée de celle-ci entre la chambre de sa mère et celle de saint Joseph. Ces différentes pièces étaient séparées par des cloisons en branches d'arbre tressées ; elles étaient aussi couvertes par en haut avec un clayonnage de même espèce ; la couche de Marie était en outre séparée du reste de la chambre par un rideau ou une portière. l'Enfant-Jésus couchait à ses pieds sur un tapis. Quand elle se levait, elle pouvait le prendre.

Je vis Joseph dormir dans sa chambre ; il était couché sur le côté, la tête appuyée sur son bras. Je vis un jeune homme resplendissant s'approcher de sa couche et lui parler. Joseph se releva, mais il était accablé de sommeil et il se recoucha. Le jeune homme le prit alors par la main, et Joseph se réveilla tout à fait et se leva. Le jeune homme disparut. Joseph alla allumer sa lampe à celle qui était devant le foyer, au milieu de la maison ; il frappa à la porte de la sainte Vierge, et demanda si elle pouvait le recevoir. Je le vis entrer et parler à Marie, qui n'ouvrit pas le rideau placé devant elle ; puis il alla dans l'écurie où était son âne, et entra dans une chambre où étaient divers effets. Il arrangea tout pour le départ.

Quand Joseph eut quitté la sainte Vierge, elle se leva et s'habilla pour le voyage ; elle alla ensuite trouver sa mère et lui fit connaître l'ordre donné par Dieu. Alors sainte Anne se leva aussi, ainsi que Marie Héli et son fils. Ils laissèrent l'Enfant-Jésus reposer encore. La volonté de Dieu était au-dessus de tout pour ces saintes personnes. Quelque affliction qu'elles eussent dans le coeur, elles disposèrent tout pour le voyage avant de se livrer à la tristesse des adieux. Marie ne prit pas à beaucoup près tout ce qu'elle avait apporté de Bethléem. Elles firent un paquet de médiocre grosseur avec ce que Joseph avait préparé, et y joignirent quelques couvertures. Tout se fit avec calme et très promptement, comme lorsqu'on vient d'être réveillé pour partir secrètement.

Marie prit alors l'enfant, et sa hâte fut si grande que je ne la vis pas le changer de langes. Le moment des adieux était venu, et je ne puis dire à quel point était touchante l'affliction de sainte Anne et celle de sa fille aînée. Elles pressèrent en pleurant l'Enfant-Jésus sur leur sein ; le petit garçon l'embrassa aussi. Sainte Anne embrassa à plusieurs reprises la sainte Vierge, pleurant amèrement comme si elle ne devait plus la revoir. Marie Héli se Jeta par terre et versa des larmes abondantes.

Il n'était pas encore minuit lorsqu'ils quittèrent la maison. Anne et Marie Héli accompagnèrent la sainte Vierge pendant quelque temps ; Joseph venait derrière avec

l'âne. On allait dans la direction de la maison de saints Anne, seulement on la laissait un peu à droite. Marie portait devant elle l'Enfant-Jésus, emmailloté à l'aide d'une bande d'étoffe qui était assujettie sur ses épaules. Elle avait un long manteau qui enveloppait l'enfant et elle, avec un grand voile carré, qui ne couvrait que le derrière de la tête et tombait des deux côtés du visage. Elles avaient fait un peu de chemin lorsque saint Joseph les rejoignit avec l'âne, sur lequel étaient attachées une outre pleine d'eau et une corbeille où se trouvaient plusieurs objets, des petits pains, des oiseaux vivants et une petite cruche. Le petit bagage des voyageurs et quelques couvertures étaient empaquetés autour du siège placé en travers, qui avait une planchette pour les pieds. Elles s'embrassèrent encore en pleurant, et sainte Anne bénit la sainte Vierge ; celle-ci monta sur l'âne que Joseph conduisait, et se mit en route.

En parlant de la douleur de sainte Anne et de Marie Héli, la soeur pleurait de tout son coeur, et disait qu'elle n'avait pu s'empêcher de verser des larmes pendant la nuit où elle avait vu cette scène.

LXXX
La sainte femme. quittent la maison de Joseph.
La sainte famille arrive à Nazara avant le sabbat.

(Le vendredi, 2 mars.)

Je vis de grand matin Marie Héli aller avec le petit garçon à la maison de sainte Anne, et envoyer son beau-père avec un serviteur à Nazareth, après quoi elle retourna chez elle. Je vis sainte Anne ranger tout dans la maison de Joseph et empaqueter beaucoup de choses. Le matin, il vint deux hommes de la maison de sainte Anne : l'un d'eux ne portait sur lui qu'une peau de mouton ; il avait des sandales grossières assujetties avec des courroies autour des jambes ; l'autre avait un vêtement plus long. Ils aidèrent à tout mettra en ordre dans la maison de Joseph, à empaqueter tout ce qui pouvait être retiré et à le porter dans la maison de sainte Anne.

Je vis la sainte Famille dans la nuit de son départ traverser plusieurs endroits et se reposer le matin sous un hangar. Vers le soir, comme ils ne pouvaient pas aller plus loin, je les vis entrer dans un petit endroit appelé Nazara, chez des gens qui vivaient séparés et qu'on traitait avec un certain mépris. Ce n'étaient pas proprement des Juifs ; il y avait quelque chose de paien dans leur religion ; ils allaient adorer au temple du mont Garizim, près de Samarie, ce qui les obligeait à faire quelques lieues par un chemin difficile et montueux. Ils étaient assujettis à de lourdes corvées et devaient travailler comme des esclaves au temple de Jérusalem, et faire d'autres travaux publics.

Ces gens accueillirent la sainte Famille très amicalement ; elle resta là tout le jour suivant. Lors du retour d'Égypte, la sainte Famille visita de nouveau ces braves gens ; et aussi, plus tard, lorsque Jésus alla au temple dans sa douzième année, et lorsqu'il revint à Nazareth ' ; toute cette famille se fit baptiser par saint Jean, et se réunit aux disciples de Jésus. Nazara n'est pas très loin d'une autre ville située sur une hauteur, dont je ne puis plus bien dire le nom ; car j'ai vu et entendu nommer bien des villes différentes dans les environs, notamment Legio et Massaloth, entre lesquelles, si je ne me trompe, se trouve Nazara. Je suis portée à croire que la ville dont la situation me frappa s'appelle Legio, mais elle a encore un autre nom.

Lors du premier récit de la fuite en Egypte, elle avait oublié de mentionner le séjour de la sainte Famille en cet endroit. Elle en parla une autre année à l'occasion du voyage de Marie enfant eu temple. Quinze ans après la mort de la soeur Emmerich, lorsque l'écrivain mit en ordre ce qui concernait la fuite en Égypte, il se demanda pourquoi la sainte Famille s'était arrêtée là un jour entier : il s'aperçut pour la première lois que le sabbat commençait le soir du 2 mars 1821, et que la sainte Fille dut célébrer là le sabbat en secret, ce dont la soeur ne dit rien alors. Cette coïncidence témoigne en faveur de la précision de ses visions, du moins lorsqu'elle le' raconte nettement, ce qui certainement n'a pas toujours lieu.

LXXXI
Le térébinthe d'Abraham.
La sainte Famille se repose au bord d'une fontaine,
près d'un baumier.

(Le dimanche, 4 mars.)

Hier, samedi, après la clôture du sabbat, la sainte Famille quitta Nazara pendant la nuit ; je la vis, tout le dimanche et la nuit suivante jusqu'au lundi, rester cachée près de ce grand vieux térébinthe, sous lequel elle s'était arrêtée en allant à Bethléem, lorsque la sainte Vierge avait tant souffert du froid. C'était le térébinthe d'Abraham, près du bois de Moreh, à peu de distance de Sichem, de Thenat, de Siloh et d'Arumah. Les projets d'Hérode étaient connus dans ce pays, et la sainte Famille n'y était pas en sûreté. C'était près de cet arbre que Jacob avait enfoui les idoles de Laban. Josué rassembla le peuple près de ce térébinthe, sous lequel il avait dressé le tabernacle où était l'Arche d'alliance, et l'y fit renoncer aux idoles. Ce fut aussi là qu'Abimelech, le fils de Gédéon, fut salué roi par les Sichémites.

(Le dimanche, 4 mars.)

Ce matin, de bonne heure, je vis la sainte Famille dans une contrée fertile, se reposer près d'une petite source, à côté d'un buisson de baume. L'Enfant-Jésus avait les pieds nus ; il était sur les genoux de la sainte Vierge. Ces arbrisseaux de baume étaient couverts de baies rouges ; il y avait à quelques branches des incisions d'où sortait un liquide qui était recueilli dans de petits vases. J'étais étonnée qu'on ne les volât pas. Saint Joseph remplit de cette liqueur les petites cruches qu'il avait avec lui. La sainte Famille mangea des petits pains et des baies cueillies sur des arbrisseaux voisins. L'âne buvait et paissait dans le voisinage. Je vis à leur gauche, dans le lointain, les hauteurs sur lesquelles était Jérusalem. C'était un tableau très touchant.

LXXXII
Juttah.
Elisabeth s'enfuit dans le désert avec le petit Jean-Baptiste.

(Le mardi, 6 mars.)

Zacharie et Elisabeth avaient appris aussi le danger qui les menaçait. Je crois que la sainte Famille leur avait envoyé un messager sûr. Je vis Elisabeth porter le petit Jean à un lieu très retiré dans le désert, à deux lieues d'Hébron. Zacharie les accompagna jusqu'à un endroit où ils traversèrent un petit cours d'eau sur une poutre. Alors Zacharie se sépara d'eux et se dirigea vers Nazareth par le chemin que Marie avait suivi lors de sa visite à Élisabeth. Je les vis en voyage aujourd'hui. Probablement il voulait prendre des informations plus précises auprès de sainte Anne. Plusieurs amis de la sainte Famille à Nazareth sont très attristés de son départ. Le petit Jean n'avait sur lui qu'une peau d'agneau. Quoiqu'il eut à peine dix-huit mois, il pouvait déjà courir et sauter. Il portait dès lors à la main un petit bâton blanc avec lequel il jouait à la manière des enfants. Il ne faut pas se représenter par le mot désert une immense étendue de pays sablonneuse et stérile, mais plutôt une solitude avec beaucoup de rochers, de ravins et de grottes, où croissent çà et là divers arbrisseaux produisant des baies et des fruits sauvages.

Élisabeth porta le petit Jean dans une caverne où Madeleine séjourna quelque temps après la mort de Jésus. Je ne me souviens pas bien combien de temps Élisabeth s'y tint cachée cette fois avec son enfant, si jeune encore ; elle y resta probablement jusqu'au moment où la persécution d'Hérode -, parut plus à craindre. Elle revint alors avec son fils à Juttah ; je l'ai vue s'enfuir encore dans le désert avec le petit Jean, lorsqu'Hérode convoqua les mères qui avaient des enfants de moins de deux ans, ce qui eut lieu près d'un an plus tard.

La narratrice avait raconté jusqu'ici, jour par jour, les scènes de la faite en Egypte ; il y eut alors une interruption causée par la maladie ; et lorsqu'elle reprit, plusieurs jours après, le fit de son récit, elle dit : " Je ne puis plus désigner exactement les jours ; mais je raconterai les diverses scènes de la fuite en Egypte à peu près dans l'ordre où je me souviens de les avoir vues ".

LXXXIII
Halte de la sainte Famille dans une grotte.
Marie montre à l'Enfant-Jésus le petit Jean dans le lointain.

Après que la sainte Famille eut franchi quelques hauteurs dépendant de la montagne des Oliviers, je la vis aller au delà de Bethléem, dans la direction Hébron. A deux lieues environ du bois de Mambré, je la vis entrer dans une grotte spacieuse, placée dans une gorge sauvage, au-dessus de laquelle se trouvait un endroit dont le nom ressemble à Héphraim. Je crois que c'était la sixième station de leur voyage. Je les vis arriver là accablés de fatigue et de tristesse. Marie était très triste et pleurait. Ils souffraient toute espèce de privations, car ils prenaient des chemins détournés, évitant toutes les villes et les auberges publiques. Ils se reposèrent ici tout un jour. Il y eut plusieurs grâces miraculeuses pour leur soulagement. Une source jaillit dans la grotte, à la prière de la sainte Vierge. Une chèvre sauvage vint à eux et se laissa traire ; un ange leur apparut aussi et les consola.

Un prophète avait souvent prié dans cette grotte. Samuel, à ce que je crois, s'y arrêta quelquefois. David gardait près de là les troupeaux de son père. Il y pria et y reçut des ordres apportés par un ange, par exemple, l'ordre de se présenter au combat contre Goliath'.

Elle oublia de mentionner cette halte de la sainte Famille dans son récit général de la fuite en Égypte ; mais elle raconta ceci dans ses communications journalières sur la prédication de Jésus-Christ lorsqu'elle vit le Sauveur, après son baptême, dans les environs de Bethléem, visiter avec quelques disciples tous les endroits où sa mère s'était arrêtée avec lui. Elle vit Jésus après son baptême par saint Jean qu'elle raconta le 28 septembre 1821, s'arrêter dans cette glotte avec les disciples du 8 au 9 octobre, et l'entendit parler des grâces accordées dans ce lieu, et en général des fatigues de la fuite en Égypte. Il bénit cette grotte, et donna à entendre qu'un jour on bâtirait là une église.

Le 18 octobre, elle ajouta : Cette grotte rut appelée plus tard le Séjour de Marie, et visitée par les pèlerins sans qu'on sut bien son histoire. De pauvres gens en firent postérieurement leur habitation. 2 Elle décrivit avec détails la situation de ce lieu, et, longtemps après l'écrivain trouva, à son grand étonnement, dans le voyage à Jérusalem du franciscain Antoine Gonzalès (Anvers, 1679, 1ère partie, p. 556) qu'à deux petites lieues d'Hébron, dans la direction de Bethléem, il avait été dans un village appelé Village de Marie, où elle s'était arrêtée lors de la fuite en Égypte. Il était sur une hauteur, ajoutait-il, et il y avait encore une église avec trois arcades et trois portes. Marie sur l'âne avec l'Enfant-Jésus, et saint Joseph, qui les conduisait, étaient représentés sur le mur. Au bas de la montagne sur laquelle étaient le village et l'église, il y avait une belle source appelée Source de Marie. Tout cela s'accorde avec la description de la localité donnée par 1a soeur. Anieux, dans le second volume de ses Mémoires (Leipsig. 1783), dit aussi : " Entre Hébron et Bethléem, nous passâmes par le, Village de la sainte Vierge, qu'on dit s'être reposée là lors de la fuite en Égypte ".

En quittant cette grotte, ils firent sept lieues au midi, laissant toujours la mer Morte à leur gauche, et deux lieues au delà d'Hébron, ils entrèrent dans le désert où se trouvait alors le petit Jean-Baptiste. Ils passèrent à une portée de trait de la grotte où il était. Je vis la sainte Famille, fatiguée et languissante, s'avancer dans un désert de sable. L'outre qui contenait l'eau et les petites cruches de baume étaient vides. La sainte Vierge était triste, elle avait soif, Jésus aussi. Ils se détournèrent un peu de la route, vers un enfoncement ou il y avait des buissons et un peu de gazon desséché. La sainte Vierge descendit de l'âne et s'assit par terre. Elle avait Son enfant devant elle ; elle était triste et priait. Pendant que la sainte Vierge demandait de l'eau, comme Agar dans le désert, mes yeux furent attirés par un incident singulièrement touchant. La grotte dans laquelle Élisabeth avait caché le petit saint Jean était tout près de là, au milieu de rochers élevés, et je vis le petit Jean errer à peu de distance parmi les broussailles et les pierres. Il semblait plein, d'un désir inquiet, comme s'il eût attendu quelque chose. Je ne vis pas alors Élisabeth. La vue de ce petit enfant, courant d'un pas assuré dans le désert, faisait une vive et touchante impression. De même qu'il avait tressailli dans le sein de sa mère comme pour aller à la rencontre de son Seigneur, il était excité cette fois par le voisinage de son rédempteur souffrant de la soif. Il avait une peau d'agneau jetée sur les épaules et attachée autour des reins ; il tenait à la main son petit bâton, au haut duquel flottait une banderole d'écorce. Il sentait que Jésus passait, qu'il avait soif ; il se jeta à genoux et cria vers Dieu les bras étendus. Puis il se leva vivement, courut, poussé par l'esprit, jusqu'à une haute paroi du rocher, et frappa le sol avec son bâton. Il en sortit aussitôt une source abondante. Jean courut en hâte à l'endroit où elle descendait. Il s'arrêta là et vit dans le lointain la sainte Famille qui passait.

La sainte Vierge éleva l'Enfant-Jésus en l'air, et le tourna de ce côté en disant : " Voilà Jean dans le désert ! " Je vis Jean tressaillir de joie près de l'eau qui se précipitait. Il fit un signe en agitant la banderole de son bâton, puis il s'enfuit dans la solitude.

Elle entendit le Seigneur raconter lui-même ce touchant incident, lorsqu'elle le vit, le 26 du mois de thebet, 14 janvier de la troisième année de sa prédication, dans la maison paternelle de saint Jean-Baptiste, près de Juttah, en compagnie de la sainte Vierge, de Pierre, de Jean et de trois disciples du Précurseur. Il leur adressa quelques paroles de consolation sur le meurtre de Jean-Baptiste, qui avait eu lieu à Machérunte, le 20 de Thébet (8 janvier), lors de la fête anniversaire de la naissance d'Hérode. On avait étendu devant eux un tapis que Marie et Élisabeth avaient fait après la Visitation, et sur lequel diverses sentences significatives avaient été brodées à l'aiguille. Jésus parla beaucoup de saint Jean, et dit que le Précurseur l'avait vu deux lois des veux du corps : une foie lors de la fuite en Egypte, et l'autre fois lors de 60n baptême.

Le ruisseau, au bout de quelque temps, arriva au chemin que suivaient les voyageurs. Je les vis passer outre et s'arrêter près de quelques buissons, à une place commode, où il y avait du gazon desséché. La sainte Vierge mit pied à terre avec l'enfant. Tous étaient pénétrés d'une joyeuse émotion. Marie s'assit sur l'herbe. Joseph creusa, à quelque distance, un petit bassin que l'eau vint remplir. Quand elle s'y montra tout à fait limpide, ils en burent tous. Marie baigna l'enfant ; ils se lavèrent les mains, les pieds et je visage. Joseph amena l'âne, qui se désaltéra, et il remplit son outre. Ils étaient pleins de joie et de reconnaissance. Le gazon desséché s'imbiba et se redressa. Le soleil se montra brillant ; tous étaient ranimés et silencieux. Ils firent là une halte de deux ou trois heures.

LXXXIV
Dernière halte sur le territoire d'Hérode.
Détails personnels à la narratrice.

La dernière halte de la sainte Famille dans les états d'Hérode fut à peu de distance d'une ville, sur la frontière du désert, à deux lieues environ de la mer Morte. La ville s'appelait comme Anam, Anem ou Anim. (Elle hésita entre ces noms) ils entrèrent dans une maison isolée ; c'était une auberge à l'usage des gens qui voyageaient dans le désert. Il y avait là des cabanes et des hangars contre une hauteur : on trouvait alentour quelques fruits sauvages. Les habitants me parurent être des chameliers ; ils avaient plusieurs chameaux qui erraient dans des pâturages entourés de haies. C'étaient des gens de moeurs assez farouches, et qui s'étaient livrés au brigandage. Cependant ils reçurent bien la sainte Famille et lui donnèrent l'hospitalité. Dans la ville voisine, il y avait aussi beaucoup de gens à la vie désordonnée, qui s'étaient établis là après la guerre. Il se trouvait entre autres dans l'auberge un homme d'environ vingt ans, qui s'appelait Ruben '.

Elle fit mention de cette auberge pour la première fois dans le récit des années de la prédication de Jésus lorsque le Seigneur, après son baptême, le 8 octobre, se rendit en ce lieu, venant de la vallée des bergers, convertit ce Ruben, et guérit plusieurs malades pendant que les disciples l'attendaient dans la grotte voisine d'Héphraim. Il enseigna aux endroits où la sainte famille s'était reposée, et parla aux habitants de la grâce qui leur était actuellement accordée comme d'une récompense de leur hospitalité antérieure. En allant de ce lieu à la grotte voisine d'Héphraim, il passa près d'Hébron. Saint Jérôme et Eusèbe parlent d'un lieu appelé Anim ou Anem, situé à neuf milles au midi d'Hébron, dans le district de Daroma.

(Le jeudi, 8 mars.)

Je vis la sainte Famille, par une nuit étoilée, traverser un désert sablonneux, couvert de broussailles peu élevées. Il me semblait que je voyageais avec eux dans le solitude. Il y avait plus d'un danger, à cause d'une quantité de serpents qui étaient cachés dans les broussailles, où ils se tenaient roulés en cercle sous le feuillage. Ils s'approchaient en sifflant et dressaient leurs têtes contre la sainte Famille, qui passait tranquillement tout entourée de lumière. Je vis encore des animaux malfaisants d'une autre espèce. Ils avaient un long corps noirâtre, avec des pieds très courts et des espèces d'ailes sans plumes, ressemblant à de grandes nageoires. Ils passaient rapidement comme s'ils eussent volé : il y avait dans la forme de leur tête quelque chose qui tenait du poisson. (C'étaient peut-être des lézards volants.) Je vis la sainte Famille arriver comme au bord d'un chemin creux ou d'une profonde excavation dans le sol. Ils voulaient se reposer là derrière des buissons.

J'eus peur alors pour eux. Cet endroit était effrayant, et je voulus en toute hâte leur faire comme un rempart avec des branches entrelacées ; mais il vint à moi une bête horrible, semblable à un ours, et je tus dans une affreuse anxiété. Alors, un vieux prêtre de mes amis, mort depuis peu, m'apparut tout à coup sous la forme d'un beau jeune homme ; il saisit la bête féroce par la nuque et la jeta bien loin. Je lui demandai comment il était venu là, car il devait certainement se trouver bien mieux là Ou il était, et il me répondit : " Je voulais seulement te secourir, et je ne resterai pas longtemps ". Il me dit en outre que je le reverrais '.

'Toute cette scène est une parabole on action faisant partie d'un songe. Elle veut exercer la charité envers les voyageurs ; elle ne peut cas y réussir par suite d'une faute, d'un acte d'impatience ou de colère : l'ours se précipite sur elle et l'en empêche. Alors un ami décédé, auquel elle a fait du bien spirituel et temporel, vient près d'elle, repousse l'ours, la délivre par son intercession de la tentation de colère a laquelle elle est exposée, etc.

LXXXV
Lieu inhospitalier. Montagnes. Séjour chez des voleurs.
Guérison de l'enfant lépreux du brigand.

La sainte Famille fit deux lieues vers l'orient en suivant la grand route ordinaire. Le nom du dernier endroit où ils arrivèrent, entre la Judée et le désert, était quelque chose comme Mara. Cela me fit penser au lieu d'où sainte Anne était originaire ; mais ce n'était point lui. Les gens d'ici étaient sauvages et inhospitaliers, et la sainte Famille ne reçut d'eux aucune aide. Ils entrèrent ensuite dans un grand désert de sable. Il n'y avait plus de chemin ni rien qui leur indiquât la direction à prendre, et ils ne savaient comment faire. Après avoir un peu marché, ils gravirent devant eux une sombre chaîne de montagnes. Ils étaient très attristés ; ils se mirent à genoux et appelèrent Dieu à leur secours. Plusieurs grands animaux sauvages se rassemblèrent autour d'eux ; il semblait d'abord qu'il y eût du danger ; mais ces animaux n'étaient pas méchants. Au contraire, ils les regardèrent d'un air amical, comme me regardait le vieux chien de mon confesseur lorsqu'il venait à moi. Je connus que ces bêtes étaient envoyées pour leur montrer le chemin. Elles regardaient du côté de la montagne, couraient en avant, puis revenaient, comme fait un chien qui veut conduire quelqu'un. Je vis enfin la sainte Famille suivre ces animaux et arriver à travers les montagnes (de Seir ?) à une contrée triste et sauvage.

Il faisait sombre ; ils cheminèrent le long d'un bois. Hors du chemin, devant le bois, je vis une méchante cabane. A peu de distance on avait suspendu à un arbre une lanterne qu'on pouvait voir de très loin, et qui était destinée à attirer les voyageurs. Le chemin était très difficile et coupé ça et là par des fossés. Il y avait aussi des fossés autour de la cabane, et sur les parties du chemin où l'on pouvait passer, étaient tendus des fils cachés, qui correspondaient à des sonnettes placées dans la cabane. Les voleurs qui y habitaient étaient ainsi avertis de la présence des voyageurs et venaient les dépouiller. Cette cabane de voleurs n'était pas toujours à la même place, elle était mobile, et ses habitants la transportaient ailleurs, suivant les circonstances.

Quand la sainte Famille s'approcha de la lanterne, je la vis entourée du chef des voleurs et de cinq de ses compagnons. Ils avaient d'abord de mauvaises intentions ; mais je vis partir de l'Enfant-Jésus un rayon de lumière, qui toucha comme un trait le coeur du chef, lequel ordonna à ses gens de ne pas faire de mal aux saints voyageurs. La sainte Vierge vit aussi ce rayon arriver au coeur du brigand, comme elle le raconta à la prophétesse Anne après son retour.

Ce détail est mentionné ici parce que nous rapportons cet événement, ainsi que beaucoup d'autres choses relatives à la fuite en Egypte, d'après les conversations du vieil Essénien Eliud, qui accompagna Jésus lorsqu'il alla de Nazareth au lieu où saint Jean baptisait. Il raconta que la prophétesse Anne lui avait dit avoir appris cette circonstance de la bouche de la sainte Vierge.

Le voleur conduisit alors la sainte Famille dans sa cabane, où se trouvaient sa femme et ses deux enfants. La nuit était venue. L'homme raconta à sa femme le mouvement extraordinaire qui s'était produit en lui à la vue de l'enfant. Elle accueillit la sainte Famille avec quelque timidité, quoique non sans bienveillance. Les saints voyageurs s'assirent à terre dans un coin et se mirent à manger quelque chose des provisions qu'ils avaient avec eux. Leurs hôtes furent d'abord réservés et craintifs, ce qui pourtant ne paraissait pas être dans leurs habitudes. Peu à peu ils se rapprochèrent. Il vint d'autres hommes qui, pendant ce temps, avaient mis sous un abri l'âne de Joseph. Ces gens s'enhardirent, se placèrent autour de la sainte Famille et s'entretinrent avec elle. La femme offrit à Marie des petits pains avec du miel et des fruits. Elle lui porta aussi à boire. Le feu était allumé dans une excavation pratiquée dans un coin de la hutte. la femme disposa une place séparée pour la sainte Vierge, et lui apporta, sur sa demande, une auge pleine d'eau pour baigner l'Enfant-Jésus. Elle lava aussi ses langes et les fit sécher devant le feu.

Marie baigna l'Enfant-Jésus sous un drap. Le voleur était si ému qu'il dit à sa femme : " Cet enfant juif n'est pas un enfant ordinaire ; c'est un saint enfant. Prie la mère de nous laisser baigner notre petit garçon lépreux dans l'eau où elle l'a lavé ; cela le guérira peut-être ". Quand la femme s'approcha de Marie, celle-ci lui dit ? avant qu'elle n'eut parlé, de laver son enfant lépreux dans cette eau. La femme apporta dans ses bras un petit garçon d'environ trois ans. Il était rongé de la lèpre, et son visage n'était qu'une croûte. L'eau dans laquelle Jésus avait été baigné paraissait plus claire qu'auparavant. Quand l'enfant y eut été mis, les croûtes de la lèpre se détachèrent et tombèrent à terre. Il était parfaitement guéri.

La mère était transportée de joie. Elle voulait embrasser Marie et l'Enfant-Jésus ; mais Marie lui fit signe de n'en rien faire. Elle ne se laissa pas toucher par elle, non plus que le petit Jésus. Elle lui dit de creuser une citerne dans le roc et d'y verser cette eau, qui donnerait à la citerne la même vertu. Elle s'entretint encore avec elle, et je crois que la femme promit de quitter ce lieu à la première occasion.

Ces gens étaient tout joyeux de la guérison de leur enfant. Plusieurs de leurs compagnons étant venus pendant la nuit, on leur montra l'enfant guéri, et on leur raconta ce qui s'était passé. Ces nouveaux venus, parmi lesquels étaient quelques jeunes garçons, entourèrent la sainte Famille et la regardèrent avec étonnement. Il était d'autant plus remarquable de voir ces brigands se montrer si respectueux envers la sainte Famille, que je les vis, pendant cette même nuit où ils recevaient de si saints hôtes, arrêter plusieurs autres voyageurs attirés par la lumière placée dans leur voisinage, et les conduire dans une grande caverne placée plus bas dans le bois. Cette caverne, dont l'entrée était cachée par des broussailles, paraissait être leur magasin. J'y vis plusieurs enfants volés, âgés de sept à huit ans, et une vieille femme chargée de garder tout ce qui s'y trouvait. J'y vis des vêtements, des tapis, de la viande, des chameaux, des montons, des animaux plus grands, et toute espèce de butin. C'était un endroit spacieux ; tout s'y trouvait en abondance.

Je vis Marie prendre un peu de sommeil pendant cette nuit ; la plupart du temps elle resta assise sur sa couche. Ils partirent de grand matin, munis de provisions qu'on leur avait données. Ces gens les accompagnèrent quelque temps et les menèrent jusqu'au bon chemin, en les faisant passer près de plusieurs fosses.

Ces voleurs prirent congé de la sainte Famille avec une grande émotion, et le chef dit aux voyageurs, d'une façon très expressive : " Souvenez-vous de nous en quelque lieu que vous alliez. A ces paroles, je vis tout d'un coup une scène de crucifiement, et je vis le bon larron dire à Jésus : " Souvenez-vous de moi quand vous serez dans votre royaume ". Je reconnus que c'était l'enfant guéri de la lèpre. La femme du brigand renonça au bout d'un certain temps à la vie qu'elle menait ; elle s'établit dans un endroit où la sainte Famille s'était reposée postérieurement ; une source y avait jailli, et un jardin de baumiers y était venu ; plusieurs honnêtes familles s'établirent dans cet endroit.

LXXXVI
Le désert. Première ville égyptienne.
Habitants malveillants. Longueur du voyage.

Je vis la sainte Famille entrer dans un désert. Comme ils avaient perdu leur chemin, je vis s'approcher d'eux des reptiles de diverses espèces, entre autres des lézards rampants avec des ailes de chauve-souris, et aussi des serpents ; ils ne cherchaient pourtant pas à leur faire du mal, et paraissaient seulement vouloir montrer le chemin. Plus tard encore, comme ils ne savaient plus quelle direction prendre, je vis qu'elle leur fut indiquée par un gracieux miracle. Des deux côtés du chemin sortit de terre la plante appelée rose de Jéricho, avec ses branches, à feuilles frisées, portant au milieu de petites fleurs. Ils s'avancèrent pleins de joie, et virent à perte de vue s'élever des plantes semblables ; il en fut ainsi tout le long du désert. Il fut révélé à la sainte Vierge qu'à une époque postérieure des gens du pays viendraient cueillir ces fleurs et les vendre aux voyageurs étrangers pour avoir du pain. Je vis qu'en effet cela eut lieu dans la suite. Le nom de cet endroit était comme Gas ou Gose '. Je les vis ensuite arriver à un lieu qui s'appelait, si je ne me trompe, Lepe ou Lape. Il y avait de l'eau en cet endroit ; il s'y trouvait des fossés, des canaux et des digues élevées. Ils traversèrent un cours d'eau à l'aide d'un radeau formé de poutres, sur lequel se trouvaient des espèces de grandes cuves dans lesquelles on plaçait les ânes. Deux hommes laids, basanés, à moitié nus, avec des nez épatés et de grosses lèvres, les passèrent. Ils arrivèrent ensuite près des maisons isolées du bourg ; les habitants étaient si grossiers et si hautains qu'ils passaient outre sans entrer en pourparler avec eux. C'était, je crois, la première ville paienne (égyptienne ?). Ils avaient voyagé dix jours sur le territoire de la Judée et dix jours dans le désert.

C'était peut-être le lieu mentionné dans le livre de Josué, X, 41 ; XI, 16 ; XV, 51.

Elle veut probablement parler de Peluse ; car souvent elle changeait les lettres de place, disant, par exemple, Lep au lieu de Pel.

Je vis ensuite la sainte Famille dans un pays de plaine appartenant au territoire égyptien ; il y avait ça et là de vastes prairies où erraient des troupeaux. Je vis aussi des arbres auxquels des idoles semblables à des enfants au maillot étaient attachées par deux bandelettes ; elles étaient couvertes de figures ou de caractères. Je vis aussi ça et là des hommes gros et trapus habillés à la façon de ces fileurs de coton que j'avais vus près de la frontière du pays des trois rois ; je vis ces gens aller devant les idoles et leur rendre hommage. La sainte Famille entra dans un hangar où était du bétail qui sortit pour lui faire place. Ils manquaient entièrement d'aliments ; ils n'avaient ni pain ni eau. Personne ne leur donna rien. Marie pouvait à peine allaiter son enfant. Ils eurent alors à endurer toutes les souffrances humaines. Enfin quelques bergers vinrent faire boire leur troupeau à un puits fermé ; sur l'instante prière de saint Joseph, ils leur donnèrent un peu d'eau.

Je vis ensuite la sainte Famille dépourvue de tout secours et toute languissante traverser un bois à la sortie duquel était un dattier très élancé, portant à son sommet des fruits qui formaient comme une grappe. Marie vint près de cet arbre, tenant l'Enfant-Jésus dans ses bras ; elle fit une prière, et éleva l'enfant en l'air ; alors l'arbre courba sa tête vers eux comme s'il se fût agenouillé, et ils cueillirent tous ses fruits. L'arbre resta dans cette position.

Je vis toute espèce de gens du lieu précédent suivre la sainte Famille, et Marie donner des fruits de l'arbre à plusieurs enfants nus qui couraient après elle. A un quart de lieue environ de ce premier arbre, je les vis arriver près d'un grand sycomore d'une grosseur extraordinaire. Il était creux, et ils s'y cachèrent pour éviter les gens qui les suivaient et qu'ils avaient alors perdus de vue ceux-ci passèrent outre. La sainte Famille passa là

LXXXVII
Plaine de sable. Source qui jaillit à la prière de Marie.
Origine du jardin de baume.

Le jour suivant ils continuèrent leur route à travers des sables déserts. Ils n'avaient pas d'eau, et ils s'assirent tout épuisés près d'un monticule de sable. La sainte Vierge implora Dieu, et je vis une source abondante jaillir à côté d'elle et arroser le terrain d'alentour. Joseph fit un petit bassin pour cette source, et creusa une rigole pour l'écoulement de l'eau. Ils se reposèrent là ; Marie lava l'Enfant-Jésus ; Joseph fit boire l'âne, et remplit son outre d'eau. Je vis de vilaines bêtes, comme d'énormes lézards, et aussi des tortues s'approcher pour se rafraîchir. Elles ne tirent pas de mal à la sainte Famille, mais la regardèrent d'un air amical. L'eau qui coulait de la source faisait un assez grand circuit, et se perdait de nouveau dans la terre à peu de distance.

La portion de terrain qu'elle arrosait fut merveilleusement bénie ; elle fut bientôt couverte de verdure, et le précieux arbre qui produit le baume y vint en grande quantité ; la sainte Famille, à son retour d'Egypte, put déjà y prendre du baume. Ce lieu devint plus tard célèbre comme jardin de baume. Diverses personnes s'y établirent : je crois que la mère de l'enfant du voleur qui avait été guéri de la lèpre fut de ce nombre. J'ai vu plus tard des scènes qui se passèrent dans cet endroit. Une belle clôture formée de baumiers entourait le jardin, où se trouvaient plusieurs autres arbres fruitiers. A une époque postérieure on creusa là un autre puits large et profond, d'où on tirait, à l'aide d'une roue mise en mouvement par des boeufs, une grande quantité d'eau qu'on mêlait avec celle de la source de Marie, pour arroser tout le jardin : sans ce mélange, l'eau du nouveau puits aurait été nuisible. Il me fut montré aussi que les boeufs qui mettaient la roue eu mouvement ne travaillaient pas depuis le samedi à midi jusqu'au lundi matin.

LXXXVIII
Héliopolis ou On. Une idole tombe en avant de la ville.
Tumulte qui en résulte.

Quand ils se furent restaurés en ce lieu, ils se rendirent une grande ville, bien bâtie, mais en partie ruinée. C'était Héliopolis, qui s'appelle aussi On. C'était là que, au temps des enfants de Jacob, habitait le prêtre égyptien Putiphar, chez lequel demeurait Asnath, la fille qu'avait eue Dinah après son enlèvement par les Sichémites, et que le patriarche Joseph épousa.

C'était aussi là que demeurait Denys l'Aréopagite à l'époque de la mort de Jésus La ville avait été dévastée et dépeuplée par la guerre, et des gens de toute espèce étaient venus ensuite s'établir dans ses édifices en ruine.

Ils passèrent, sur un pont très élevé et très long, une large rivière (le Nil), qui me parut avoir plusieurs bras. Ils vinrent sur une place située devant la porte de la ville et qui était entourée d'une espèce de promenade. Là se trouvait, sur un tronçon de colonne, plus large d'en bas que d'en haut, une grande idole à tête de boeuf, qui tenait dans ses bras quelque chose de semblable à un enfant au maillot. Elle était entourée de pierres formant comme des bancs ou des tables sur lesquelles les gens qui venaient de la ville, en grand nombre, vers cette idole, déposaient leurs offrandes Non loin de là se trouvait un très grand arbre sous lequel la sainte Famille s'assit pour se reposer.

Ils étaient là depuis quelques instants à peine, lorsque la terre trembla, et que l'idole chancela et tomba. Il s'ensuivit beaucoup de tumulte et de cris parmi le peuple ; beaucoup de gens qui travaillaient à un canal dans le voisinage accoururent. Un brave homme, qui était, je crois, un ouvrier du canal, et qui déjà avait accompagné sainte Famille sur le chemin par où elle était venue là, les conduisit en toute hâte vers la ville. Ils étaient déjà hors de la place où était l'idole, lorsque le peuple les remarqua, et, leur attribuant la chute de la statue, se précipita vers eux en furie, les injuriant et les menaçant, mais cela ne fut pas long ; car bientôt la terre trembla, le grand arbre s'abattit, laissant à nu ses racines, et le sol qui entourait le piédestal de l'idole devint un bourbier d'eau noire et fangeuse dans lequel la statue s'enfonça jusqu'aux cornes. Quelques-uns des plus méchants parmi cette foule furieuse tombèrent aussi dans cette mare d'eau noirâtre. La sainte Famille gagna tranquillement la ville, où elle s'établit dans un édifice massif adossé à un grand temple d'idoles, et où se trouvaient plusieurs places vides.

LXXXIX
Héliopolis. Habitation de la sainte Famille.
Travaux de saint Joseph et de la sainte Vierge.

La soeur Emmerich communiqua encore les fragments suivants sur la vie ultérieure de la sainte Famille dans la ville d'Héliopolis ou d'On.

Je franchis une fois la mer pour aller en Egypte, et je trouvai encore la sainte Famille établie dans la grande ville ruinée. Elle s'étend le long d'un grand fleuve à plusieurs bras. On la voit de loin à cause de sa position élevée. Il y a des parties voûtées sous lesquelles coule le fleuve. On en traverse les bras sur des poutres placées dans l'eau pour ce but. Je vis là avec surprise de grands restes d'édifices, des tours à demi détruites, et des temples presque entiers. Je vis des colonnes, semblables à des tours, sur lesquelles ou pouvait monter par l'extérieur. Je vis aussi d'autres colonnes très élevées, pointues par en haut et couvertes d'images étranges, ainsi que beaucoup de grandes figures semblables à des chiens accroupis avec des têtes humaines.

La sainte Famille habitait les salles d'un grand bâtiment supporté d'un côté par de grosses colonnes peu élevées, les unes carrées, les autres rondes. Beaucoup de gens s'étaient arrangé des habitations sous ces colonnes. En haut, au-dessus de cet édifice, régnait un chemin par lequel on allait et venait. En face était un grand temple d'idoles avec deux cours.

Devant un endroit fermé d'un côté par un mur, s'ouvrant de l'autre sous une rangée de gros piliers peu élevés, Joseph avait disposé une légère construction en bois, divisée par des cloisons en plusieurs compartiments : c'était là qu'ils habitaient. Je les y vis tous ensemble. Je remarquai, pour la première fois, que, derrière une de ces cloisons, ils avaient un petit autel où ils priaient : c'était une petite table avec une couverture rouge, et une autre couverture blanche et transparente par-dessus ; une lampe la surmontait. Je vis plus tard saint Joseph tout à fait installé ; il travaillait souvent au dehors Il faisait de longs bâtons avec des pommeaux ronds à l'extrémité, de petits escabeaux à trois pieds et des corbeilles. Il fabriquait aussi des cloisons légères en branches entrelacées. Les gens du pays y ajoutaient un certain enduit, et s'en servaient pour disposer des cabanes à compartiments contre les murs et même dans ces murs, qui étaient d'une épaisseur extraordinaire. Il faisait aussi, avec des planches longues et minces, de petites tours légères, à six ou huit pans, se terminant en pointe, et surmontées d'un bouton. Il y avait une ouverture, en sorte qu'une personne pouvait s'y asseoir comme dans une guérite. Des degrés étaient pratiqués à l'extérieur pour monter jusqu'en haut. Je vis de petites tours semblables devant les temples des idoles, et aussi sur des toits plats. On s'asseyait dedans. C'étaient peut-être des espèces de corps de garde ou des abris contre le soleil.

Je vis la sainte Vierge tresser des tapis. Je la vis aussi s'occuper d'un autre travail pour lequel elle se servait d'un bâton à l'extrémité duquel était un pommeau ; je ne sais pas si elle filait ou faisait quelque autre ouvrage. Je vis souvent des gens la visiter, ainsi que l'Enfant-Jésus, qui était près d'elle par terre dans une espèce de petit berceau. Je vis plusieurs fois ce berceau placé sur une espèce de tréteau comme ceux des scieurs. Je vis l'enfant gracieusement couché dans ce berceau ; je l'y vis une fois sur son séant. Marie était assise à coté et tricotait. Il y avait une petite corbeille près d'elle. Trois femmes se trouvaient là.

Les hommes qui habitaient cette ville en ruine étaient vêtus comme ces fileurs de coton que je vis lorsque j'allai à la rencontre des trois rois ; seulement ils portaient des espèces de tabliers ou plutôt des robes courtes autour du corps. Il y avait là peu de Juifs. Je les voyais roder avec précaution, comme s'ils n'avaient pas eu la permission d'habiter dans cet endroit.

Au nord d'Héliopolis, entre cette ville et le Nil, qui se divisait en plusieurs bras, se trouvait le pays de Gessen. Il y avait là un lieu où demeuraient entre deux canaux un assez grand nombre de Juifs, fort dégénérés en ce qui touchait la pratique de leur religion. Plusieurs d'entre eux avaient fait connaissance avec la sainte Famille ; Marie faisait pour eux des ouvrages de femme, au moyen desquels elle se procurait du pain et d'autres aliments. Les Juifs de la terre de Gessen avaient un temple qu'ils mettaient en parallèle avec celui de Salomon, mais il était fort différent.

Je vis la sainte Famille à Héliopolis. Ils habitaient encore près du temple d'idoles, dans l'édifice dont j'ai parlé Joseph avait construit, assez près de là, un oratoire où les Juifs qui habitaient cet endroit se réunissaient avec eux. Auparavant, ils n'avaient pas de lieu pour prier en commun. Cet oratoire était surmonté d'une coupole légère qu'on pouvait ouvrir, et alors on se trouvait comme en plein air. Au milieu se trouvait une table ou un autel sur lequel étaient posés des rouleaux écrits. Le prêtre ou le docteur était un homme très avancé en âge. Les femmes étaient d'un côté, les hommes de l'autre.

Je vis la sainte Vierge La première fois qu'elle vint dans cet oratoire avec l'Enfant-Jésus. Elle était assise par terre, appuyée sur un bras. Elle avait devant elle l'enfant, vêtu d'une robe bleu de ciel, et elle joignait ses petites mains sur sa poitrine. Joseph se tenait derrière elle, comme il faisait toujours, quoique les autres, hommes et femmes, fussent assis ou debout, les uns d'un côté, les autres de l'autre.

L'Enfant-Jésus me fut aussi montré quand il était plus grand et qu'il recevait souvent la visite d'autres enfants. Il pouvait déjà parler et courir ; il était habituellement près de saint Joseph, et allait souvent avec lui lorsqu'il travaillait au dehors. Il avait une petite robe, semblable à une petite chemise tricotée ou faite d'un seul morceau.

Comme ils habitaient dans le voisinage d'un temple, quelques-unes des idoles qui s'y trouvaient étaient tombées en morceaux ; beaucoup de gens se souvenant de la chute de l'idole qui avait eu lieu devant la porte lors de leur entrée, attribuèrent cela à la colère des dieux contre eux, et ils eurent beaucoup de persécutions à souffrir à cause de cela.

XC
Sur le massacre des Innocents par Hérode.

Jésus étant à peu près au milieu de sa seconde année, un ange apparut à la sainte Vierge, à Héliopolis, et lui apprit le massacre des enfants par Hérode. Joseph et elle en furent très affligés, et l'Enfant-Jésus pleura toute la journée. Voici ce que je vis à cette occasion.

Les trois rois n'étant pas revenus à Jérusalem, les craintes d'Hérode, qui avait alors diverses affaires de famille à régler, se calmèrent un peu ; mais elles se réveillèrent de nouveau lorsqu'après le retour de la sainte Famille à Nazareth, mille bruits arrivèrent jusqu'à lui touchant les prédictions faites par Siméon et par Anne lors de la présentation de Jésus au temple. Il envoya des soldats, sous divers prétextes, en différents lieux des environs de Jérusalem, à Gilgal, à Bethléem, et jusqu'à Hébron, et il fit faire un dénombrement des enfants. Les soldats occupèrent ces endroits pendant neuf mois. Hérode, pendant ce temps, était à Rome ', et ce ne fut qu'après son retour que les enfants furent égorgés. Jean avait alors deux ans, et il avait été caché chez ses parents pendant quelque temps, avant qu'Hérode ait donné l'ordre aux mères de présenter devant les autorités leurs enfant. Agés de deux ans et au-dessous. Élisabeth, avertie par un ange, s'enfuit de nouveau dans le désert avec le petit saint Jean. Jésus avait alors prés d'un an et demi et pouvait déjà courir.

Les enfants furent égorgés en sept endroits différents. On promit aux mères des gratifications à cause de leur fécondité. Elles portèrent leurs enfants, qu'elles avaient revêtus de leurs plus beaux habits dans les maisons où se tenaient les autorités. Les hommes furent renvoyés et les mères séparées de leurs enfants. Ceux-ci furent égorgés par des soldats dans des cours fermées, jetés en tes enterrés dans des fosses.

La soeur Emmerich raconta sa vision sur le massacre des Innocents, le 8 mars 1821, par conséquent, vers le moment de l'année où eut lieu la fuite en Egypte, en sorte qu'on : peut admettre que cet événement eut lieu un an après.

Elle raconta ceci étant gravement malade : elle mentionna divers événements arrivés dans la famille d'Hérode et divers voyages, mais d'une manière très peu intelligible. Elle ne mentionna clairement que le séjour d'Hérode à Rome. L'écrivain lisant quinze ans après l'histoire d'Hérode le Grand dans l'historien Josèphe, n'y trouva rien qui indiquait un voyage d'Hérode à cette époque, et il ne sait pus d'où peut venir cette erreur. Peut-être voulait-elle dire : Antipater, fils d'Hérode, avait été à Rome. et ce ne fut qu'après son retour qu'eut lieu le massacre des enfants.

Aujourd'hui, vers midi, dit-elle, je vis les mères avec leurs enfants de deux ans et au-dessous, venir à Jérusalem d'Hébron, de Bethléem et d'un autre endroit où Hérode avait envoyé des soldats et fait donner des ordres en conséquence par ses fonctionnaires Elles se rendirent à la ville en différentes troupes. Plusieurs avaient deux enfants avec elles, et étaient montées sur des ânes. On les conduisit toutes dans un grand bâtiment, et on renvoya les hommes qui les accompagnaient. Elles entrèrent gaiement , car elles croyaient recevoir des gratifications pour leur fécondité.

L'édifice était un peu isolé ; il n'était pas loin de celui qui fut plus tard la demeure de Pilate. Il était entouré de murs, de manière qu'on ne pouvait pas facilement savoir au dehors ce qui se passait dans l'intérieur. Ce devait être un tribunal, car je vis dans la cour des piliers et des blocs de pierres où pendaient des chaînes ; il y avait aussi des arbres qu'on courbait et qu'on liait ensemble pour y attacher des hommes. puis on les laissait se redresser rapidement pour écarteler ces malheureux. C'était un édifice massif et sombre. La cour était presque aussi grande que le cimetière, qui est À un des côtés de l'église principale de Dulmen. Une porte, qui s'ouvrait entre deux murs, conduisait à cette cour, qui était entourée de bâtiments de trois côtés. Ceux de droite et de gauche avaient un étage; celui du centre ressemblait à une vieille synagogue abandonnée. Ces bâtiments avaient tous des portes sur la cour.

On conduisit les mères, à travers la cour, aux deux bâtiments latéraux ! et on les y enferma. Elles me firent l'effet d'être dans une espèce d'hôpital ou d'auberge. Quand elles se virent privées de leur liberté. elles eurent peur et commencèrent à pleurer et à se lamenter. Elles restèrent ainsi toute la nuit.

Le jour suivant`, 9 mars, elle raconta ce qui suit : J'ai vu aujourd'hui, après midi, un tableau effrayant. Je vis dans la maison de Justice le massacre des Innocents. Le grand édifice de derrière qui fermait la cour était élevé de deux étages. L'étage inférieur consistait en une grande salle nue, semblable à une prison ou à un grand corps de garde ; au-dessus, était une pièce dont les fenêtres avaient vue sur la cour. Je vis là plusieurs personnages rassemblés comme en tribunal ; il y avait devant eux des rouleaux posés sur une table. Je crois qu'Hérode était présent, car je vis un homme en manteau rouge avec une fourrure blanche ; il y avait sur cette fourrure de petites queues noires. Je le vis, entouré des autres, regarder par la fenêtre de la salle.

Les mères, avec leurs enfants, étaient appelées une à une pour être conduites des bâtiments latéraux dans la grande salle inférieure du corps de logis qui était sur le derrière. A l'entrée, les soldats leur enlevaient leurs enfants et les portaient dans la cour, où une vingtaine d'entre eux les massacraient en leur perçant la gorge et le coeur avec des épées et des piques. Il y avait des enfants au maillot que leurs mères allaitaient encore, et d'autres, un peu plus grands, avec de petites robes. Ils ne les déshabillaient pas, mais ils les égorgeaient, et, les prenant par le bras ou par le pied, ils les jetaient en tas. C'était un horrible spectacle.

Les mères furent entassées par les soldats dans la grande salle ; et, quand elles virent ce qu'on faisait de leurs enfants, elles poussèrent des cris lamentables, s'arrachèrent les cheveux et se jetèrent dans les bras les unes des autres. A la fin, elles étaient si serrées, qu'elles pouvaient à peine se remuer. Je crois que le massacre dura jusqu'au soir.

Les enfants furent, plus tard, jetés tous ensemble dans une fosse creusée dans la cour Leur nombre me fut montré, mais je ne m'en souviens pas bien. Je crois qu'il y en avait sept cents, plus un chiffre où se trouvait sept ou dix-sept.

Je fus terrifiée à cette vue ; je ne savais pas où cela avait lieu, je croyais que c'était ici. Quand je me réveillais, je ne pus me remettre que peu à peu. Je vis, dans la nuit suivante, les mères chargées de liens et reconduites chez elles par les soldats. Le lieu du massacre des enfants à Jérusalem était l'ancienne cour des exécutions, située à peu de distance du tribunal de Pilate ; mais des changements y avaient été faits à son époque. Je vis, à la mort de Jésus, s'ouvrir la fosse où avaient été jetés les enfants égorgés ; leurs âmes apparurent et sortirent de là.

XCI
Saint Jean réfugié de nouveau dans le désert.

Lorsque Élisabeth, avertie par un ange avant le massacre des Innocents, se réfugia de nouveau dans le désert avec le petit Jean, je vis ce qui suit à cette occasion.

Élisabeth chercha longtemps avant de trouver une grotte qui lui parût assez sûre et assez cachée ; mais quand elle l'eut trouvée, elle y resta environ quarante jours avec l'enfant. Quand elle revint chez elle, un Essénien de la communauté du mont Horeb, vint dans le désert ; il portait des aliments à l'enfant et l'aidait dans tout ce qui lui était nécessaire. Cet Essénien, dont j'ai oublié le nom, était parent de la prophétesse Anne. Il vint d'abord toutes les semaines, puis tous les quinze jours, jusqu'à ce que Jean n'eût plus besoin de son secours. Ce moment ne tarda pas beaucoup ; car, de très bonne heure, l'enfant se trouva mieux dans le désert que parmi les humains. Il était destiné par Dieu à y croître dans son innocence, sans contact avec les hommes et leurs péchés. Comme Jésus, il n'alla jamais à l'école : ce fut le Saint Esprit qui l'instruisit. Je vis souvent près de lui une lumière ou des figures lumineuses, comme des anges. Le désert qu'il habitait n'était pas dévasté et stérile ; il y venait parmi les rochers beaucoup d'herbes et d'arbrisseaux portant des baies de diverses sortes ; il y avait aussi des fraises que Jean cueillait et mangeait. Il avait une familiarité extraordinaire avec les bêtes, surtout avec les oiseaux. Ils volaient à lui et se posaient sur ses épaules ; il leur parlait ; ils semblaient le comprendre et lui servaient pour ainsi dire de messagers. Il allait aussi le long des ruisseaux, et les poissons, eux-mêmes, se familiarisaient avec lui ; ils s'approchaient quand il les appelait et le suivaient tant qu'il marchait au bord de l'eau.

Je le vis s'éloigner beaucoup de sa patrie, peut-être cause du danger qui le menaçait. Les animaux l'avaient en telle amitié, qu'ils le servaient et l'avertissaient. Ils le conduisaient à leurs repaires ou à leurs nids ; et, quand les hommes s'approchaient, il s'enfuyait dans leurs lieux de refuge. Il se nourrissait de fruits sauvages, d'herbes et de racines. Il n'avait pas longtemps à chercher pour cela ; car, s'il ne savait pas l'endroit où on en trouvait, les bêtes le lui indiquaient. Il portait toujours sa peau d'agneau et son petit bâton, et s'enfonçait toujours plus avant dans le désert. Quelquefois, pourtant, il se rapprochait de sa patrie. Deux fois il eut une entrevue avec ses parents, qui désiraient toujours vivement sa présence. Ils devaient savoir quelque chose les uns sur les autres par révélation ; car, quand Élisabeth ou Zacharie voulaient voir Jean, il ne manquait jamais de venir à leur rencontre de très loin.

XCII
Voyage de la sainte Famille à Mataréa.
Sur les Juifs de la terre de Gessen.

Après un séjour d'à peu près dix-huit mois, Jésus ayant environ deux ans, la sainte Famille quitta Héliopolis par suite du manque d'ouvrage et de beaucoup de persécutions. Ils se dirigèrent au midi, vers Memphis. Comme ils passaient par une petite ville peu éloignée d'Héliopolis, et qu'ils se reposaient dans le vestibule d'un temple d'idole, l'idole tomba et se brisa. Elle avait une tête de boeuf, avec trois cornes ; plusieurs ouvertures étaient pratiquées dans le corps pour placer et brûler les offrandes. Il s'ensuivit un grand tumulte parmi les prêtres idolâtres, qui arrêtèrent la sainte Famille et la menacèrent, Mais l'un d'entre eux représenta aux autres qu'il valait mieux se recommander au Dieu de ces gens ; il rappela les fléaux qui avaient frappé leurs ancêtres lorsqu'ils avaient persécuté le peuple auquel ceux-ci appartenaient, notamment la mort des premiers-nés de chaque famille dans la nuit qui avait précédé la sortie de ce peuple. Sur ces observations, on laissa aller la sainte Famille sans lui faire de mal.

Ils allèrent jusqu'à Troya, endroit situé sur la rive orientale du Nil, vis-à-vis Memphis. C'était un bourg considérable, où il y avait beaucoup de boue. Ils avaient l'idée de rester là, mais on ne les reçut nulle part ; on refusa même de leur donner de l'eau à boire et quelques dattes qu'ils demandaient. Memphis était située sur l'autre rive du Nil. Le fleuve était large en cet endroit, et il y avait quelques îles. Une partie de la ville était aussi de ce côté du Nil. Il s'y trouvait, du temps de Pharaon, un grand palais avec des jardins et une haute tour, sur laquelle montait souvent la fille de Pharaon. Je vis aussi la place où Moise, enfant, avait été trouvé parmi de grands roseaux. Memphis formait comme trois villes des deux côtés du Nil ; et il semblait que Babylone, une ville placée sur la rive orientale plus en aval du fleuve, en fit aussi partie. Du reste, à l'époque de Pharaon, la contrée du Nil entre Héliopolis, Babylone et Memphis, était tellement couverte de hautes digues de pierres, de canaux et d'édifices voisins les uns des autres, que tout cet ensemble ne paraissait faire qu'une seule ville. Au temps de la sainte Famille, il y avait des séparations et de grands intervalles déserts.

Ils revinrent au nord, en descendant le cours du fleuve, dans la direction de Babylone, qui était dépeuplée, mal bâtie et fangeuse. Ils la contournèrent, passèrent entre le Nil et la ville, et firent un peu de chemin dans la direction opposée à celle qu'ils avaient d'abord prise.

Ils firent environ deux lieues le long du Nil La route était bordée ça et là de bâtisses en ruine. Il leur fallut traverser encore un canal et un petit bras du fleuve, et ils arrivèrent à un endroit dont j'ai oublié le nom ancien, mais qui, plus tard, s'appela Mataréa. Il était voisin d'Héliopolis. Cet endroit, situé sur une langue de terre . en sorte que l'eau le bordait de deux côtés, était assez dépeuple ; les habitations y étaient très dispersées et mal bâties ; elles étaient faites avec du bois de dattier et du limon desséché, et couvertes en roseaux. Joseph y trouva de l'ouvrage. Il bâtit des maisons plus solides en branches entrelacées, et construisit au-dessus des galeries où l'on pouvait se promener.

Ils se logèrent là sous une voûte sombre, dans un lieu solitaire, à peu de distance de la porte par laquelle ils étaient entrés. Joseph disposa, en outre, une construction légère en avant de cette voûte. Ici aussi, une idole, qui était dans un petit temple, tomba à leur arrivée, et, plus tard, toutes les idoles de l'endroit. Ce fut encore un prêtre qui calma le peuple en rappelant le souvenir des plaies d'Egypte. Plus tard, quand une petite communauté de Juifs et de paiens convertis se fut rassemblée autour d'eux, les prêtres leur abandonnèrent le petit temple dont l'idole était tombée à leur entrée, et saint Joseph en fit une synagogue. Il devint comme le père de la communauté et leur apprit à chanter régulièrement les psaumes, car ils avaient oublié en grande partie le culte de leurs pères.

Il y avait là quelques Juifs très pauvres, vivant dans des fosses et des trous creusés dans la terre. Dans le village juif, situé entre On et le Nil, demeuraient, au contraire, beaucoup d'Israélites qui avaient un temple à eux, mais ils étaient tombés dans l'idolâtrie ; ils avaient un veau d'or, use figure avec une tête de boeuf, et, alentour, de petites figures d'animaux ressemblant à des putois, avec de petits baldaquins au-dessus. Ce sont des animaux qui défendent l'homme contre les crocodiles (les ichneumons).

Ils avaient aussi une imitation de l'Arche d'alliance, dans laquelle étaient d'affreuses choses. Ils pratiquaient un culte abominable, qu'ils exerçaient en se livrant à toutes sortes d'impuretés dans un passage souterrain, croyant amener par là la venue du Messie. Ils étaient très endurcis, et ne voulaient pas se corriger. Plus tard plusieurs d'entre eux vinrent ici de cet endroit, qui était éloigné de deux lieues au plus. Ils ne pouvaient pas venir directement, à cause des canaux et des chaussées, mais il leur fallait faire un détour autour d'Héliopolis.

Ces Juifs, du pays de Gessen, avaient déjà fait connaissance avec la sainte Famille, lorsqu'elle était à On, et Marie faisait pour eux toutes sortes d'ouvrages de femme, comme du tricot et des broderies. Elle ne voulait pas faire des choses inutiles et des objets de luxe, mais seulement des choses d'un usage habituel et des habits qu'on mettait pour prier. Je vis des femmes lui commander des ornements à la mode, pour satisfaire leur vanité ; Marie alors les refusait, quelque besoin qu'elle eût d'avoir de l'ouvrage. Je vis aussi ces femmes lui dire des injures.

XCIII
Mataréa. Pauvreté du lieu.
Oratoire de la sainte Famille.

Au commencement, leur position à Mataréa fut pénible il n'y avait là ni bois, ni eau potable ; les habitants brûlaient de l'herbe desséchée ou des roseaux. La sainte Famille ne mangeait, la plupart du temps, que des aliments froids. Joseph trouva du travail ; il mit les cabanes en meilleur état. Les gens du pays le traitaient presque comme un esclave ; ils lui donnaient ce qu'ils voulaient ; quelquefois, il recevait un salaire pour son travail, quelquefois il ne recevait rien. Les habitants étaient très peu industrieux dans la construction de leurs cabanes. Il n'y avait pas de bois en cet endroit ; je vis bien ça et là des souches, mais ils n'avaient pas d'instruments pour les façonner. La plupart n'avaient que des couteaux de pierre ou d'os. Ils extrayaient de la tourbe. Joseph avait apporté les plus indispensables de ses outils.

La sainte Famille s'installa bientôt assez bien. Joseph divisa son habitation en compartiments à l'aide de cloisons en clayonnage ; il disposa un foyer et fabriqua des escabeaux et de petites tables. Les gens du lieu prenaient leurs repas par terre.

Ils vécurent là plusieurs années, et j'ai vu des scènes des différentes années de la vie de l'Enfant-Jésus. Je vis l'endroit où il dormait. Dans le mur de la voûte où Marie prenait son repos, Joseph avait pratiqué une cavité où était la couche de Jésus. Marie dormait à côté, et je l'ai vue souvent la nuit prier à genoux devant la couche de l'enfant. Joseph dormait dans un autre endroit.

Je vis aussi un oratoire disposé par saint Joseph dans l'habitation. Il était dans un couloir séparé. Joseph et la sainte Vierge y avaient leurs places distinctes ; il y avait aussi pour l'Enfant-Jésus un petit coin où il priait debout, assis ou agenouillé. La sainte Vierge avait une espèce de petit autel devant lequel elle priait : c'était une petite table couverte en blanc et en rouge ; on la tirait comme d'un compartiment pratiqué dans le mur et qui pouvait se fermer. Il y avait dans l'enfoncement du mur une espèce de reliquaire. Je vis de petits bouquets dans des vases en forme de calice. J'y vis le bout du bâton de Joseph avec la fleur qui l'avait fait désigner dans le temple comme époux de Marie. Outre cela, Je vis une autre relique, mais je ne puis bien préciser ce c'était.

XCIV
Elisabeth conduit pour la troisième fois
le petit saint Jean dans le désert.

Pendant le séjour de la sainte Famille en Egypte, le petit Jean était revenu secrètement à Juttah, chez ses parents ; car je le vis encore conduit dans le désert par Elisabeth, lorsqu'il avait quatre ou cinq ans. Zacharie n'était pas présent lorsqu'ils quittèrent la maison. Je crois qu'il était parti d'avance pour ne pas voir les adieux ; car il aimait Jean au delà de toute expression ; il lui avait pourtant donné sa bénédiction, car il bénissait toujours Élisabeth et Jean avant de se mettre en route.

Le petit Jean avait une peau de mouton qui, partant de l'épaule gauche, lui tombait sur la poitrine et les reins et se rattachait sur le côté droit. L'enfant n'avait d'autre vêtement que cette peau. Il avait des cheveux bruns, plus foncés que ceux de Jésus, et tenait encore à la main le petit bâton blanc qu'il avait pris avec lui en quittant la maison, et que je lui vis toujours porter dans le désert. Je le vis ainsi pendant que sa mère le tenait par la main. C'était une femme âgée, de grande taille, à l'allure prompte ; elle avait une petite tête et une figure agréable. Souvent il courait en avant. Il avait toute la naïveté de son âge sans en avoir la légèreté.

Ils se dirigèrent d'abord vers le nord, ayant un cours d'eau à leur droite ; je les vis ensuite traverser une petite rivière. Il n'y avait pas de pont ; ils passèrent sur un radeau formé de poutres qui se trouvait là. Élisabeth, qui était une femme très décidée, le dirigeait à l'aide d'une branche d'arbre. Au delà de cette rivière, ils se dirigèrent plus au levant et entrèrent dans une gorge de rochers qui était nue et aride par en haut, mais dont le fond était couvert de buissons avec des fruits sauvages et des fraises, dont l'enfant cueillait et mangeait de temps en temps. Quand ils eurent cheminé quelque temps dans ce défilé, Élisabeth dit adieu à l'enfant ; elle le bénit, le serra contre son coeur, l'embrassa sur les deux joues et sur le front, et revint sur ses pas. Plusieurs fois elle se retourna et le regarda en pleurant. Quant à lui, il était sans inquiétude et marchait d'un pas assuré, s'enfonçant de plus en plus dans le défilé.

J'étais très malade pendant ces visions, et Dieu me fit la grâce d'assister à tout ce qui se passait comme si j'eusse été un enfant. Je croyais être une petite fille du même âge que Jean, et je m'inquiétais de le voir s'éloigner autant de sa mère. Je craignais qu'il ne pût plus retrouver la maison paternelle ; mais je fus rassurée par une voix qui me dit : " Sois sans inquiétude ; l'enfant sait très bien ce qu'il fait ". Il me sembla que j'entrais dans le désert seule avec lui, comme avec un compagnon des jeux de mon enfance, et je vis à plusieurs reprises ce qui lui arrivait. Jean, lui-même, me raconta plusieurs détails sur sa vie dans le désert, par exemple, comment il s'y faisait violence et mortifiait ses sens de toutes les façons, comment il y devenait de plus en plus éclairé, et comment il était instruit de tout ce qui l'intéressait d'une manière extraordinaire.

Tout cela ne me surprenait pas, car déjà, dans mon enfance, lorsque je gardais notre vache, j'avais vécu intimement avec saint Jean dans le désert. Souvent, lorsque je désirais le voir, et que je m'écriais au milieu des buissons : " Petit saint Jean, viens me trouver avec ton bâton et ta peau sur les épaules ! ", le petit saint Jean venait à moi avec son bâton et sa peau d'agneau ; nous jouions comme des enfants ; il me racontait et m'enseignait toute sorte de bonnes choses. Je n'étais pas étonnée non plus qu'il apprît tant de choses des animaux et des plantes dans le désert, car, moi aussi, pendant mon enfance, lorsque j'étais dans les bois, dans les pâturages et dans les champs, lorsque je cueillais des épis, que j'arrachais du gazon ou que je ramassais des herbes, j'étudiais comme un livre chaque feuille, chaque fleur ; tous les animaux qui passaient, tout ce qui m'entourait était pour moi une source d'enseignement. Toutes les formes, toutes les couleurs, et jusqu'à la configuration des feuilles me faisaient venir des pensées profondes, que les gens auxquels je les communiquais écoutaient avec étonnement, mais dont ils riaient la plupart du temps ; ce qui finit par m'habituer à garder le silence sur tout cela, car je pensais et je pense encore souvent qu'il en arrive autant à tous les hommes, et qu'on n'apprend mieux nulle part que dans cet alphabet que Dieu lui-même a écrit.

Lorsque dans mes contemplations postérieures je suivis de nouveau le petit saint Jean dans le désert, je vis, comme je l'avais fait antérieurement, toutes ses allures et ses actions. Je le vis jouer avec des fleurs et des animaux; les oiseaux surtout étaient singulièrement familiers avec lui. Ils venaient se poser sur sa tête quand il marchait ou qu'il priait à genoux ; souvent il plaçait son bâton en travers sur des branches : alors les oiseaux de toutes couleurs venaient à son appel et se posaient sur son bâton à la suite les uns des autres. Il les regardait et leur parlait familièrement comme s'il leur eût fait l'école. Je le vis aussi suivre d'autres animaux dans leurs gîtes, leur donner à manger et les considérer attentivement.

XCV
Hérode fait mourir Zacharie en prison.
Elisabeth se retire dans le désert prés de saint Jean, et y meurt.

Jean était âgé de six ans, Zacharie alla une fois au temple avec des victimes pour le sacrifice, et Elisabeth profita de son absence pour visiter son fils dans le désert. Zacharie n'y était jamais allé le voir, afin que, si Hérode l'interrogeait sur le séjour de son fils, il put répondre sans manquer à la vérité qu'il ne le connaissait pas. Mais pour satisfaire sa grande tendresse pour Jean et son ardent désir de le voir, celui-ci, plus d'une fois, vint en grand secret pendant la nuit dans la maison de ses parents et s'y arrêta quelque temps. Vraisemblablement son ange gardien l'y conduisait quand cela devait être et qu'il n'y avait pas de danger. Je le vis toujours guidé et protégé par des puissances célestes, et j'aperçus souvent près de lui des figures lumineuses qui paraissaient être des anges.

Jean était prédestiné à vivre dans la solitude, sépare du monde et privé des secours humains ordinaires pour y être élevé et instruit par l'esprit de Dieu, c'est pourquoi la Providence divine avait disposé les choses pour que des circonstances extérieures aussi le conduisissent forcément au désert. Il y était poussé d'un autre côté par son penchant naturel irrésistible ; car, dès sa plus tendre enfance, je le vis toujours solitaire et méditatif. L'Enfant-Jésus ayant été emmené en Egypte sur un avertissement divin, son précurseur Jean fut de son côté caché dans le désert. Lui aussi était menacé, car on avait beaucoup parlé de lui dans le pays dès les premiers instants de sa vie ; les merveilles de sa naissance étaient connues ; on disait l'avoir vu souvent entouré de lumière, en sorte qu'Hérode en voulait particulièrement à sa vie.

Plusieurs fois déjà Hérode avait fait interroger Zacharie sur le séjour de Jean, mais il n'avait pas jusqu'alors mis la main sur lui. Cependant, cette fois, comme Zacharie allait au temple, il fut assailli et fort maltraité par les soldats d'Hérode qui le guettaient devant la porte de Jérusalem appelée porte de Bethléem, dans un chemin creux où l'on ne pouvait pas voir encore la ville ; ils le traînèrent dans une prison située sur le flanc de la montagne de Sion, près d'un endroit où, plus tard, je vis souvent passer les disciples de Jésus se rendant au temple. Le vieillard y souffrit beaucoup de mauvais traitements ; on le mit même à la torture pour lui faire avouer où était son fils, et, comme on ne put pas y réussir, on le mit à mort sur l'ordre d'Hérode.

Plus tard, ses amis enterrèrent son corps à peu de distance du temple. Ce n'était pas lui qui était le Zacharie tué entre le temple et l'autel, que je vis sortir des murs du temple, près de l'oratoire du vieux Siméon, quand 'es morts apparurent, lors de la mort de Jésus-Christ. Son tombeau, qui était dans le mur, s'écroula, ainsi que plusieurs autres tombeaux cachés dans le temple. Ce Zacharie fut tué entre le temple et l'autel, à l'occasion d'une lutte sur la lignée du Messie ainsi que sur certains droits que quelques familles prétendaient avoir dans le même temple et sur les places qu'elles y occupaient. Ainsi, par exemple, toutes les familles ne pouvaient pas faire élever leurs enfants dans le temple. Je me souviens à cette occasion que j'ai vu un petit garçon, de famille royale, à ce que je crois, confié dans le temple aux soins de la prophétesse Anne. Zacharie seul périt dans cette lutte Son père s'appelait Barachias'. Je vis aussi qu'on retrouva plus tard les ossements de ne Zacharie. mais j'ai oublié les détails.

Elisabeth revint du désert à Juttah pour y attendre le retour de son mari. Jean l'accompagna une partie du chemin. Elle le bénit et le baisa sur le front, après quoi il retourna dans le désert. Elisabeth trouva chez elle la triste nouvelle du meurtre de Zacharie. Sa douleur fut si grande qu'elle ne put pas l'apaiser. Alors elle alla se réunir à Jean dans le désert, et elle y mourut peu de temps avant que la sainte Famille ne revint d'Egypte. L'Essénien du mont Horeb qui assistait le petit saint Jean, l'ensevelit dans le désert.

Jean s'y enfonça davantage, s'éloignant de plus en plus de la maison paternelle. Il quitta le défilé de rochers pour un pays plus ouvert, et je le vis arriver près d'un petit lac. Il y avait là beaucoup de sable blanc ; la rive était plate, et je le vis s'avancer assez loin dans l'eau, pendant que les poissons nageaient sans crainte autour de lui. Il demeura longtemps dans cet endroit, et je le vis s'y faire dans les broussailles une cabane de branches entrelacées, où il passait la nuit. Elle était très basse et tout juste assez grande pour qu'il pût s'y coucher pour dormir. Là et ailleurs, je vis souvent près de lui des figures lumineuses d'anges avec lesquels il conversait humblement, mais sans crainte et avec une piété naive. Ils semblaient l'instruire et lui faire remarquer différentes choses Je vis aussi une petite traverse à son bâton, qui avait ainsi la forme d'une croix. Il y avait attaché une bandelette d'écorce semblable à une petite flamme : elle flottait au vent, et il jouait avec.

Lorsque la soeur parla du meurtre de ce Zacharie entre le temple et l'autel, et de la querelle qui y donna lieu, elle luttait contre le sommeil extatique, et elle ne s'exprima pas très clairement sur ce point.

La maison paternelle de Jean à Juttah était alors habitée par une fille de la soeur d'Elisabeth. C'était une maison bien ordonnée. Jean, devenu plus grand, y vint encore une fois en secret ; puis il retourna dans le désert jusqu'au moment où il parut parmi les hommes.

A Mataréa aussi, où les habitants n'avaient d'autre eau que l'eau trouble du Nil, Marie, en priant, trouva une fontaine. Ils souffrirent d'abord de grandes privations, n'ayant que des fruits à manger et de mauvaise eau à boire. Il y avait longtemps qu'ils n'avaient eu de bonne eau, et Joseph voulait aller avec ses outils et son âne en chercher dans le désert. À la fontaine du Jardin de baume, lorsque la sainte Vierge, étant en prière, vit un ange qui lui dit qu'elle trouverait une source derrière sa demeure. Je la vis aller de l'autre côté du mur où était son habitation, jusqu'à un espace libre placé plus bas, parmi des décombres où se trouvait un vieil arbre très gros. Elle avait à la main un bâton au bout duquel était une petite pelle, comme en portent souvent dans ce pays les gens qui voyagent.

Elle courut toute joyeuse appeler Joseph, qui découvrit en creusant qu'il y avait eu là autrefois une fontaine avec un revêtement en maçonnerie, et qu'elle n'était que bouchée et encombrée. Il la dégagea et la restaura à merveille. Il y avait prés de cette fontaine, du côté par où Marie était venue, une grande pierre assez semblable à un autel, et je crois bien qu'en effet ç'avait été autrefois un autel, mais j'ai oublié ce qui s'y rapportait.

Ce fut là que la sainte Vierge lava et fit sécher au soleil les vêtements et les linges de l'Enfant-Jésus. Cette fontaine resta inconnue et fut exclusivement à l'usage de la sainte Famille jusqu'au temps où Jésus fut assez grand pour rendre divers petits services, comme de puiser de l'eau pour sa mère. Je le vis une fois amener d'autres enfants à la fontaine, et leur donner à boire dans le creux d'une grande feuille. Les enfants ayant raconté cela à leurs parents, d'autres personnes, vinrent à la source, qui pourtant resta principalement à l'usage des Juifs.

Un jour que Marie priait à genoux sur la route où elle habitait, je vis Jésus se glisser jusqu'à la fontaine avec une outre, et y puiser de l'eau ; c'était la première fois. Marie fut profondément émue lorsqu'elle le vit revenir, et, toujours agenouillée, elle le pria de ne plus faire cela, pour ne pas courir le risque de tomber dans l'eau. Jésus lui dit qu'il prendrait garde, mais qu'il désirait puiser de l'eau pour elle toutes les fois qu'elle en aurait besoin.

Le petit Jésus rendait à ses parents des services de toute espèce, et il se montrait très attentif et très soigneux. Ainsi je le voyais, quand Joseph ne travaillait pas trop loin de la maison, lui porter l'outil qu'il pouvait avoir oublié. Il faisait attention à tout. Je crois que la joie qu'il leur donnait compensait, et bien au delà, tout ce qu'ils avaient à souffrir. Je vis aussi plus d'une fois Jésus aller au village des Juifs, qui était bien à un mille de Mataréa, chercher le pain qu'on donnait à sa mère en échange de son travail. Les vilaines bêtes qui se rencontrent fréquemment dans ce pays ne lui faisaient pas de mal et se montraient familières avec lui. Je le vis jouer avec des serpents.

La première fois qu'il alla seul au village des Juifs (je ne sais plus bien si c'était dans sa cinquième ou dans sa septième année), il portait une petite robe brune bordée de fleurs jaunes que la sainte Vierge lui avait faite. Je vis qu'il s'agenouilla pour prier sur le chemin, et que deux anges lui apparurent et lui annoncèrent la mort d'Hérode. Il ne le dit pas à ses parents ; je ne sais si ce fut par humilité, ou parce que les anges lui dirent de n'en rien faire, ou bien encore parce qu'il savait qu'ils ne devaient pas encore quitter l'Égypte. Je le vis une autre fois aller au village en question avec d'autres enfants juifs, et, lorsqu'il revint à la maison, pleurer amèrement sur l'état de dégradation où étaient tombés les Israélites qui habitaient ce lieu.

XCVI
La fontaine de Mataréa. Job y avait habité avant Abraham.
Détails sur ce patriarche.

La fontaine de Mataréa ne devait pas son origine à la sainte Vierge ; elle avait seulement jailli de nouveau. Elle était cachée sous les décombres et revêtue de maçonnerie à l'intérieur. Je vis que Job avait été en Egypte avant Abraham, et avait habité en ce lieu. Il avait trouvé la fontaine et sacrifié sur la grosse pierre qui était là. Job était le plus jeune de treize frères. Son père était un grand chef de tribu à l'époque où fut bâtie la tour de Babel. Ce père de Job avait un frère duquel descendait la famille d'Abraham. Les descendants de ces deux frères se mariaient le plus souvent entre eux. La première femme de Job était de la race de Phaleg ; lorsqu'après plusieurs aventures il alla habiter sa troisième demeure, il avait épousé trois autres femmes de la famille de Phaleg. L'une d'elles lui donna un fils, dont la fille se maria encore dans la famille de Phaleg, et mit au monde la mère d'Abraham. Job était donc le bisaïeul de la mère d'Abraham.

Le père de Job s'appelait Joctan il était fils d'Héber et habitait au nord de la mer Caspienne, auprès d'une chaîne de montagnes, où il fait chaud sur l'un des versants, tandis que l'autre côté est froid et couvert de glace. Il y avait des éléphants dans ce pays. L'endroit où Job alla d'abord, et où il s'établit avec sa famille, n'aurait pas convenu aux éléphants ; c'était une contrée très marécageuse. Ce pays était situé au nord d'une chaîne de montagnes située entre deux mers, dont la plus occidentale était aussi, avant le déluge, une haute chaîne de montagnes ', où habitaient de mauvais esprits qui possédaient les hommes.

Il est remarquable que, dans une autre occasion, elle raconta qu'à la Place de la mer Noire il y avait eu, avant le déluge, une haute chaîne de montagnes hantée par de mauvais esprits. Comme elle avait dit cela une autre fois de la mer Noire, il est vraisemblable que par la chaîne de montagnes derrière laquelle était le premier séjour de Job elle désignait le Caucase, qui est entre la mer Noire et la mer Caspienne.

Il y avait là une contrée stérile et marécageuse ; je crois qu'elle est habitée maintenant par un peuple qui a de petits yeux, le nez épaté et les pommettes saillantes. Ce fut là que Job subit sa première épreuve. Il alla ensuite plus au midi, vers le Caucase, et commença un nouvel établissement De là Job fit un voyage en Egypte, où dominaient alors des rois étrangers, appartenant à des peuples pasteurs venus de son pays. L'un d'eux était de la contrée de Job, l'autre venait du pays le plus éloigné habité par les trois rois. Ils n'étaient maîtres que d'une partie de l'Égypte, et furent chassés plus tard par un roi égyptien. Il y avait une grande quantité de ces pasteurs réunis devant une ville où ils s'étaient établis.

Le roi de ces pasteurs, compatriotes de Job, désirait, pour son fils, une femme de la race voisine du Caucase dont il était issu, et Job, accompagné d'un nombreux cortège, conduisit en Égypte cette fiancée royale, qui était sa parente. Il avait avec lui trente chameaux, de nombreux présents et une grande quantité de serviteurs. Il était encore jeune ; c'était un grand homme avec un teint d'un brun jaunâtre, mais agréable, et des cheveux tirant sur le roux. Les habitants de l'Egypte étaient d'un brun sale. Ce pays n'était pas encore très peuplé ; il y avait seulement ça et la de grandes populations agglomérées. On n'y voyait pas encore non plus tous ces grands édifices, qu'on ne commença à construire qu'à l'époque des enfants d'Israel.

Le roi rendit de grands honneurs à Job et ne voulut pas le laisser partir. Il désirait beaucoup qu'il vînt s'établit là avec toute sa tribu. Il 1ui assigna pour séjour la ville où demeura plus tard la sainte Famille, et qui était alors toute différente. Il resta cinq ans en Egypte. Je vis qu'il avait habité à l'endroit même où habita dans la suite la sainte Famille, et que la fontaine dont il a été question lui fut montrée par Dieu. Il sacrifia aussi sur la grosse pierre dont j'ai parlé.

Job était un gentil, mais c'était un homme juste. Il connaissait le vrai Dieu et l'adorait comme son créateur, en contemplant la nature, les astres et la lumière. Il aimait à s'entretenir avec Dieu de ses oeuvres merveilleuses. Il n'adorait pas d'affreuses images d'animaux comme le faisaient les peuples d'alors. Il avait imaginé une représentation du vrai Dieu : c'était une petite figure humaine, avec des rayons autour de la tête, et aussi avec des ailes, à ce que je crois. Elle avait les mains jointes sur la poitrine et portant un globe, au-dessus duquel était figuré un navire voguant sur les flots. C'était peut-être une représentation du déluge. Dans l'exercice de son culte, il brûlait des grains devant cette image. De petites figures du même genre furent introduites plus tard en Égypte, elles étaient assises comme dans une chaire surmontée d'une espèce de dais.

Job trouva dans cette ville un abominable culte, lequel se rattachait aux superstitions idolâtriques qui avaient présidé à la construction de la tour de Babel. Les habitants avaient une idole avec une tête de boeuf, très large, terminée en pointe et comme relevée en l'air ; sa bouche était ouverte et ses cornes tournées en bas. Cette idole était creuse ; on allumait du feu dans l'intérieur, et on mettait des enfants vivants entre ses bras brûlants. Je vis tirer quelque chose des ouvertures pratiquées dans le corps.

Les gens de ce pays étaient très cruels ; la contrée était pleine d'affreux animaux. On voyait voler en grandes troupes des bêtes noires dont il semblait sortir du feu. Elles empoisonnaient tout, et les arbres sur lesquels elles s'étaient posées se desséchaient. Je vis aussi des animaux qui avaient les pattes de derrière très longues et celles de devant plus courtes, comme les taupes ; ils pouvaient sauter d'un toit sur un autre. Il y avait aussi d'horribles bêtes qui se glissaient entre les pierres et dans trous ; elles enlaçaient les hommes et les étouffaient.

Dans le Nil, je vis un énorme animal avec d'affreuses dents et de gros pieds noirs ; il était de la taille d'un cheval, et avait aussi quelque chose du cochon. Je vis encore d'autres affreux animaux Mais le peuple était encore plus abominable, et Job, que j'avais vu délivrer son pays des bêtes malfaisantes par ses prières, avait une telle aversion pour ces hommes impies, qu'il éclatait souvent en plaintes contre ceux qui l'accompagnaient ; il aimait mieux vivre avec ces méchants animaux qu'avec les habitants du pays.

Je le voyais souvent aussi se tourner vers l'Orient, et jeter des regards pleins de désirs vers sa patrie, qui était au midi du pays le plus éloigné habité par les trois rois. Il vit des figures prophétiques de l'arrivée des enfants d'Israël en Egypte et en général du salut du genre humain, ainsi que des épreuves qui lui étaient réservées il ne se laissa pas persuader de rester dans ce pays, et au bout de cinq ans il quitta l'Egypte avec sa suite.

Dans l'intervalle des rudes épreuves qu'il eut à subir, il eut d'abord neuf ans, puis sept ans, puis encore douze ans de repos. Ces paroles du livre de Job " Et comme le messager de malheur parlait encore ", sont équivalentes à celles-ci : " Ce malheur qu'il avait eu était encore dans la bouche du peuple lorsque le suivant le frappa ". Il subit ses épreuves dans trois pays différents. La dernière, qui fut suivie du rétablissement de sa prospérité, lui arriva lorsqu'il vivait dans un pays de plaines, situé à l'orient de Jéricho. Ce pays produisait de l'encens et de la myrrhe ; il y avait aussi une mine d'or et on y travaillait les métaux.

Dans une autre occasion, je vis encore beaucoup de choses relativement à Job. Je ne dirai maintenant que ce qui suit. Deux serviteurs affidés, qui étaient comme des intendants, recueillirent de sa bouche son histoire et ses entretiens avec Dieu ils s'appelaient Haï et Uis ou Ois. 1

L'écrivain entendit dire, en 1835, que le père de la race arménienne s'appelait ainsi.

Cette histoire fut religieusement conservée par ses descendants. Elle fut transmise de génération en génération jusqu'à Abraham et à ses fils. On la faisait servir à l'instruction de la jeunesse. Elle vint en Égypte avec les enfants d'Israël. Moise en fit comme un abrégé pour consoler les Israélites sous l'oppression des Egyptiens et pendant leur séjour dans le désert. Elle était auparavant beaucoup plus longue, et il y avait bien des choses qu'ils n'auraient pas comprises. Salomon la remania à son tour, et elle devint ainsi un livre de piété, rempli de la sagesse de Job, de Moise et de Salomon. Il était difficile d'y retrouver l'histoire véritable de Job, car on y introduisit des noms de lieux et de peuples plus voisins de la terre de Chanaan. On crut que Job était un Iduméen, parce que le pays où il avait vécu en dernier lieu fut, longtemps après sa mort, habité par les descendants d'Esau ou Edom. Job pouvait vivre encore à l'époque de la naissance d'Abraham.

XCVII
La fontaine de Mataréa. Séjour que fit Abraham en ce lieu.
Détails sur la fontaine jusque dans les temps chrétiens.

Abraham, lors de son séjour en Egypte, planta aussi ses tentes près de cette fontaine, et je l'y vis instruire le peuple'.

Flav. Josephus, lib. I, Anthquitat. Iud., et d'autres écrivains, disent qu'Abraham enseigna aux Egyptiens l'arithmétique et l'astronomie.

Il résida là plusieurs années avec Sara et plusieurs fils et filles dont les mères étaient restées en Chaldée. Son frère Loth fut aussi dans ce pays avec sa famille. Je ne sais plus quel était le lieu de leur résidence. Abraham alla en Egypte par l'ordre de Dieu, la première fois à cause d'une grande famine dans la terre de Chanaan, et la seconde fois pour y recouvrer un trésor de famille qu'une nièce de la mère de Sara y avait porté. Cette femme appartenait à la tribu des peuples pasteurs qui étaient de la même race que Job et qui avaient dominé précédemment sur une partie de l'Égypte ; elle était venue chez eux comme servante et elle avait ensuite épousé un Egyptien. Il sortit d'elle une tribu dont j'ai oublié le nom. Une de ses filles était Agar, la mère d'Ismael, qui était par conséquent de la même race que Sara.

La soeur, dans une autre occasion, dit à propos d'Agar : " Elle était de la race de Sara, et celle-ci, étant stérile, la donna pour femme a Abraham, et dit qu'eue voulait revivre en elle, qu'elle voulait avoir par elle de la postérité. Elle se considérait comme ne faisant qu'un avec toutes les femmes de son sang ; c'était pour elle comme une souche féminine qui avait plusieurs rejetons. Agar était un vaisseau, une fleur de sa souche, et elle espérait avoir par elle un fruit de sa lignée. Tout était alors comme une seule tige sur Laquelle une même sève produisait les fleurs.

Cette femme avait enlevé un trésor de famille, comme Rachel déroba plus tard les dieux de Laban, et elle l'avait vendu en Egypte pour une grosse somme d'argent. Il était ainsi venu en la possession du roi et des prêtres du pays. C'était un registre généalogique des enfants de Noé, et en particulier des descendants de Sem jusqu'à l'époque d'Abraham, formé de pièces d'or triangulaires attachées ensemble. C'était fait comme une balance avec ses cordons. Les plaques triangulaires étaient enfilées ensemble avec d'autres qui indiquaient les branches latérales. Sur les plaques étaient gravés les noms des membres de la famille, et toutes ses séries, partant du milieu d'un couvercle, se réunissaient dans le plateau de la balance quand on abaissait le couvercle par-dessus. La balance se fermait ainsi comme une boite. Les plaques principales étaient épaisses et jaunes ; celles qui étaient dans les intervalles étaient minces et blanches ; elles semblaient être d'argent. J'ai aussi entendu dire combien tout cela pesait de sicles ; ce qui indiquait une certaine somme. Les prêtres d'Egypte avaient rattaché divers calculs à cet arbre généalogique ; mais leurs éternelles supputations n'étaient pas conformes à la vérité.

Quand Abraham vint dans le pays, ils apprirent quelque chose sur lui par leurs observateurs des astres et leurs magiciennes ; ils surent notamment qu'il était d'une très noble souche, ainsi que sa femme, et que d'eux devait sortir une postérité élue. Dans leurs divinations, ils cherchaient toujours à connaître les lignées les plus nobles, afin de s'allier avec elles par des mariages. Satan y introduisait par là la cruauté et la débauche, afin de dégrader les races pures.

Abraham, qui craignait que les Egyptiens ne le fissent mourir à cause de la beauté de sa femme, l'avait fait passer pour sa soeur, et ce n'était pas un mensonge, car elle était sa soeur consanguine, étant fille de son père Tharé, qui l'avait eue d'une autre mère (Genes., XX, 12). Le roi fit amener Sara dans sa résidence, et il voulut la prendre pour femme. Tous deux furent très affligés ; ils prièrent Dieu de les secourir, et Dieu punit le roi. Toutes ses épouses et la plupart des femmes de la ville tombèrent malades. Le roi effrayé en rechercha la cause, et, ayant appris que Sara était l'épouse d'Abraham, il la lui rendit, en le priant de quitter l'Egypte aussitôt que possible, car il avait reconnu que les dieux les protégeaient.

Les Égyptiens étaient un peuple très singulier. D'une part, ils étaient très orgueilleux et se regardaient comme les plus grands et les plus sages des hommes ; mais, d'un autre côté, ils étaient incroyablement lâches et rampants, et ils cédaient promptement quand ils craignaient de rencontrer une force supérieure à la leur. Cela venait de ce qu'ils n'étaient pas très assurés de leur science, et qu'ils ne connaissaient la plupart des choses que par des divinations obscures et équivoques, par lesquelles pouvaient leur être annoncées toutes sortes de résultats compliqués et contradictoires. Comme ils voyaient le merveilleux partout, ils s'effrayaient promptement lorsque l'événement ne répondait pas à leur attente.

Abraham s'était présenté très humblement au roi pour lui demander du blé. Il s'était adressé à lui comme à un père des peuples, et il avait gagné par là ses bonnes grâces, en sorte que celui-ci lui fit beaucoup de présents. Quand il lui rendit Sara et le pria de quitter le pays, Abraham répondit qu'il ne le pouvait pas avant d'avoir recouvré cet arbre généalogique qui lui appartenait, et raconta de quelle manière il avait été porté en Égypte. Le roi assembla alors les prêtres, et ils consentirent à rendre à Abraham ce qui lui appartenait, mais ils le prièrent de leur en laisser prendre copie, ce qui eut lieu en effet. Alors Abraham s'en retourna avec sa suite dans le pays de Chanaan.

J'ai vu encore beaucoup de choses relatives à la fontaine de Mataréa jusqu'à notre époque. Je ne me souviens que de ce qui suit : Déjà à l'époque de la sainte Famille, les lépreux faisaient usage de son eau comme ayant une vertu particulière. Dans un temps très postérieur, lorsque déjà on avait élevé sur l'habitation de Marie une petite église chrétienne, avec une entrée près du maître autel pour descendre dans le caveau où avait longtemps demeuré la sainte Famille, je vis la fontaine entourée d'habitations, et son eau employée comme remède contre différentes espèces de lèpre. Je vis aussi des gens qui s'y baignaient pour être délivrés de certaines maladies de peau. Cela avait encore lieu lorsque les Mahométans furent maîtres du pays. Je vis aussi les Turcs entretenir une lampe toujours allumée dans l'église qui avait servi de demeure à Marie. Ils craignaient qu'il ne leur arrivât malheur s'ils négligeaient de l'entretenir. Dans les temps modernes, Je vis la source dans la solitude et à une assez grande distance des habitations. Il n'y avait plus de ville en cet endroit, et divers fruits sauvages croissaient alentour.

XCVIII
Retour d'Egypte. Un ange avertit Joseph de quitter ce pays.
Départ de la sainte Famille. Séjour de trois mois à Gaza.

Je vis la sainte Famille quitter l'Egypte. Hérode était mort depuis assez longtemps ; mais ils ne pouvaient encore revenir parce qu'il y avait toujours du danger. Le séjour de l'Egypte devenait de plus en plus pénible pour saint Joseph. Les gens du pays pratiquaient un horrible culte idolâtrique : ils sacrifiaient des enfants mal venus, et ceux qui en sacrifiaient de bien conformés croyaient faire preuve d'une grande piété. Ils avaient en outre un culte secret plein d'impuretés ; les Juifs mêmes du pays étaient infectés de ces abominations. Ils avaient un temple qu'ils disaient être comme celui de Salomon ; mais c'était une vanterie ridicule, car il était tout différent. Ils avaient une imitation de l'Arche d'alliance, dans laquelle étaient des figures obscènes, et ils se livraient à de détestables pratiques. Ils ne chantaient plus de psaumes. Joseph avait établi un ordre parfait dans l'école de Mataréa. Le prêtre égyptien qui, lors de la chute des idoles dans la petite ville voisine d'Héliopolis, avait parlé en faveur de la sainte Famille, était venu là avec plusieurs personnes et s'était réuni à la communauté juive.

Je vis saint Joseph occupé de son travail de charpentier. Lorsque vint l'heure où il devait le cesser, il parut très triste, car on ne lui donnait pas son salaire, et il n'avait rien à rapporter à la maison, où l'on souffrait pourtant de grandes privations. Accablé de soucis, il s'agenouilla en plein air, exposa à Dieu sa détresse et le pria de venir à son secours. Je vis la nuit suivante un ange lui apparaître en songe et lui dire que ceux qui en voulaient à la vie de l'enfant étaient morts, qu'il devait se lever et faire ses dispositions pour revenir dans sa patrie par la route la plus fréquentée. Il l'exhortait à ne rien craindre parce qu'il serait à ses côtés. Je vis saint Joseph faire connaître cet ordre de Dieu à la sainte Vierge et à l'Enfant-Jésus. Ils obéirent aussitôt et firent leurs préparatifs de voyage avec la même promptitude qu'ils les avaient faits lorsqu'ils avaient reçu l'ordre de s'enfuir en Egypte.

Le lendemain matin, quand on connut leur projet, beaucoup de gens, très attristés de leur départ, vinrent prendre congé d'eux et leur apportèrent des présents de toute espèce dans de petits vases d'écorce. Ces gens étaient sincèrement affligés : il y avait parmi eux quelques Juifs, mais la plupart étaient des païens convertis. Les Israélites établis dans ce pays étaient, pour la plupart, tellement tombes dans l'idolâtrie, qu'ils n'étaient presque plus reconnaissables. Il y avait aussi des hommes qui voyaient avec joie le départ de la sainte Famille, car ils les regardaient comme des magiciens, qui avaient à leur service les plus puissants d'entre les mauvais esprits.

Je vis parmi les braves gens qui leur portaient des pré0ents des mères avec leurs enfants qui avaient été les compagnons de Jésus, et spécialement une femme de distinction de cette ville, ayant avec elle un petit garçon, qu'elle avait coutume d'appeler le fils de Marie ; car cette femme avait longtemps désiré en vain d'avoir des enfants, et c'était à la prière de la sainte Vierge que Dieu lui avait accordé ce petit garçon. Elle s'appelait Mira et son fils Déodatus. Je la vis donner de l'argent à l'Enfant-Jésus. C'étaient de petites pièces triangulaires, jaunes, blanches et brunes. Jésus, en les recevant, regarda sa mère.

Quand Joseph eut chargé sur l'âne leurs effets les plus nécessaires, ils se mirent en route accompagnés de ces amis. C'était le même âne que Marie avait monté en allant à Bethléem. Pour la fuite en Égypte, ils avaient emmené en outre une ânesse ; mais Joseph l'avait vendue dans un moment de détresse.

Ils passèrent entre Héliopolis et le village juif, et se détournèrent un peu au midi, vers la source qui avait jailli à la prière de Marie avant leur première arrivée à Héliopolis ou On. Tout, dans ce lieu, s'était recouvert d'une belle verdure. Le ruisseau coulait autour d'un jardin carré, bordé de baumiers. Ce lieu, où il y avait une entrée, était à peu prés grand comme est ici le manège du duc 1. Il était plein de jeunes arbres fruitiers, de dattiers, de sycomores, etc.

1 Elle voulait parler du duc de Croy, seigneur de Dulmen.

Les baumiers étaient à peu près grands comme des ceps de vigne de moyenne taille. Joseph avait fait de petits vases d'écorce d'arbre. Ils étaient enduits de poix à certaines places, du reste bien polis et d'une forme élégante. Il faisait souvent, dans les haltes du voyage, de semblables vases destinés à différents usages. Il arracha aux petites branches rougeâtres des baumiers leurs feuilles semblables à des feuilles de trèfle ; il y suspendit de ces petits vases d'écorce pour recueillir le baume qui en découlait, et ils l'emportèrent avec eux pour le voyage. Ceux qui les avaient accompagnés leur firent des adieux touchants. Pour eux, ils s'arrêtèrent là quelques heures. La sainte Vierge lava et fit sécher quelques effets. Ils se reposèrent au bord de l'eau et remplirent leur outre ; puis ils continuèrent leur voyage par la route la plus fréquentée.

Je les vis plusieurs fois pendant ce voyage, où ils ne coururent aucun danger. L'Enfant-Jésus, Marie et Joseph avaient sur la tête, pour se garantir du soleil, une large pièce d'écorce très mince, assujettie sous le menton avec un linge. Jésus avait sa petite robe brune et des chaussures d'écorce que Joseph lui avait fabriquées : elles couvraient les pieds à moitié. Marie n'avait que des sandales. Je les vis souvent inquiets parce que l'Enfant Jésus avait peine à marcher dans le sable brûlant. Je les vis plusieurs fois s'arrêter et ôter le sable de ses chaussures. Ils le faisaient fréquemment monter sur l'âne pour le soulager.

Je les vis traverser plusieurs villes et passer près de quelques autres. Les noms m'ont échappé ; je me souviens pourtant du nom de Ramessès. Ils traversèrent un cours d'eau qu'ils avaient déjà traversé en venant. Il allait de la mer Rouge au Nil.

Joseph ne voulait pas revenir à Nazareth, mais s'établir à Bethléem, sa patrie ; cependant il était indécis, parce qu'il avait appris dans la terre promise que la Judée était gouvernée par Archélaus, qui était aussi très cruel.

Je vis que la sainte Famille, arrivée à Gaza, y séjourna trois mois. Beaucoup de paiens habitaient cette ville. Un ange lui apparut de nouveau en songe, et lui ordonna de retourner à Nazareth, ce qu'il fit aussitôt. Anne vivait encore. Elle connaissait le séjour de la sainte Famille, ainsi que quelques-uns de ses parents.

Le retour d'Égypte eut lieu en septembre. Jésus était âgé de huit ans moins trois semaines.

MORT DE LA SAINTE VIERGE

(Les communications suivantes, qui eurent lieu en diverses années, presque toujours au milieu d'août avant la fête de l'assomption ont été rangées ici dans leur ordre naturel.)

En novembre 1890, les Pères Lazaristes de la résidence de Smyrne eurent l'idée de faire des recherches dans les environs d'Ephèse en s'aidant des indices topographiques de cet ouvrage et furent assez heureux pour finir par découvrir cette Maison de la Sainte Vierge dont les détails concordaient avec la description de C. Emmerich.

Un procès-verbal de l'archevêque de Smyrne Mgr. Timoni et les relations d'explorateurs très compétents comme le Père Eschbach, supérieur du séminaire français de Rome ont atteste l'identité frappante du lieu et des ruines confirmée par les traditions locales que de temps immémorial appelaient cette maison Panaghia Capouli ou Porte de la Vierge. (Note de l'éditeur.)

I
Sur l'âge de Marie.
Elle va avec saint Jean à Ephèse.
Description du pays.

Le 13 août 1822, la soeur dit : " J'ai eu cette nuit une vision relative à la mort de la sainte Vierge, mais j'ai presque tout oublié ". Comme on lui demandait quel âge pouvait avoir alors la sainte Vierge. elle jeta tout à coup un regard de côté et dit : " Elle est arrivée à l'âge de soixante-quatre ans moins vingt-trois jours. J'ai vu six fois près de moi la lettre X, puis 1, puis Y ; cela ne fait il pas soixante-quatre ? Après l'ascension de Notre Seigneur Jésus-Christ, Marie vécut trois ans à Sion, trois ans à Béthanie et neuf ans à Ephèse, où Jean l'avait conduite peu après que les Juifs eurent exposé sur la mer Lazare et ses soeurs.

Il est digne de remarque que jamais un nombre ne lui était présenté avec les chiffres arabes ordinaires, qui, seuls, lui étaient familiers, mais que, dans toutes ses visions concernant l'Eglise romaine, elle ne voyait que des chiffres romains.

En juillet 1822 à ,l'occasion de l'apôtre saint Jacques le Majeur, qui, en partant pour l'Espagne, avait visité Marie à Éphèse, elle dit que saint Jean conduisit Marie dans cette ville ; c'était au commencement de la quatrième année après l'Ascension autant qu'elle sen souvenait. Le 13 août 1822, elle dit que c'était dans la sixième année. Des différences de ce genre se présentaient souvent quant elle voyait les chiffres IV ou VI, qu'elle confondait fréquemment. C'est au lecteur à juger de ce qui peut avoir occasionné ces changements.

Marie ne demeurait pas à Ephèse même. mais dans les environs, où s'étaient établies déjà plusieurs femmes de ses amies. Son habitation était située à trois lieues et demie d'Ephèse, sur une montagne qu'on voyait à gauche, en venant de Jérusalem, et qui descendait rapidement vers Éphèse. En venant du sud-est, on aperçoit la ville comme ramassée au pied d'une montagne, mais on la voit s'étendre tout autour à mesure qu'on s'avance. Devant Ephèse, se trouvent de grandes allées d'arbres. sous lesquels des fruits jaunes se trouvent par terre. Un peu au midi, d'étroits sentiers conduisent sur une hauteur couverte de plantes sauvages ; puis, on trouve une plaine ondulée et couverte de végétation qui a une demi lieue de tour : c'était là que s'était fait cet établissement. C'est une contrée très solitaire, avec beaucoup de collines agréables et fertiles, et quelques grottes creusées dans le roc, au milieu de petites places sablonneuses. Le pays est sauvage, sans être stérile ; il y a ça et là beaucoup d'arbres à forme pyramidale, dont le tronc est lisse et dont les branches ombragent un large espace.

Lorsque saint Jean conduisit là la sainte Vierge, pour laquelle il avait fait construire une maison d'avance, quelques familles chrétiennes et plusieurs saintes femmes résidaient déjà dans cette contrée ; elles demeuraient, les unes sous des tentes, les autres dans les grottes qu'on avait rendues habitables à l'aide de quelques charpentes et de quelques boiseries. Elles y étaient venues avant que la persécution n'eût éclaté dans toute sa violence. Comme elles tiraient parti des grottes qui se trouvaient là et des facilités que présentait la nature des lieux, leurs demeures étaient de vrais ermitages, séparés souvent d'un quart de lieue les uns des autres ; et cette espèce de colonie présentait l'aspect d'un village dont les maisons seraient dispersées à de grands intervalles. La maison de Marie était la seule qui fût en pierre. A quelque distance, derrière cette maison, le terrain s'élevait et aboutissait, à travers des rochers, au point culminant de la montagne, du haut de laquelle, par delà les collines et les arbres, on voyait la ville d'Éphèse et la mer avec ses nombreuses îles. Et lieu était plus voisin de la mer qu'Éphèse elle-même, qui en était à une certaine distance. La contrée était solitaire et peu fréquentée. Il y avait dans le voisinage un château où demeurait un personnage qui était, si je ne me trompe, un roi dépossédé. Saint Jean je visitait souvent, et il le convertit. Cet endroit devint, plus tard un évêché. Entre cette résidence de la sainte Vierge et Éphèse, serpentait une rivière qui faisait des détours innombrables.

II
La maison de Marie à Ephèse.

La maison de Marie était carrée ; la partie postérieurs se terminait en rond ou en angle ; les fenêtres étaient pratiquées à une grande hauteur ; le toit était plat. Elle était séparée en deux parties par le foyer, qui était placé au milieu. On allumait le feu en face de la porte, dans l'excavation d'un mur, terminé des deux côtés par des espèces de degrés qui s'élevaient jusqu'au toit de la maison. Dans le centre de ce mur, courait, à partir de l'âtre jusqu'au haut, une excavation semblable à un demi tuyau de cheminée, où la fumée montait et s'échappait ensuite par une ouverture pratiquée dans le toit. Au-dessus de cette ouverture, je vis un tuyau de cuivre oblique qui dépassait le toit.

Cette partie antérieure de la maison était séparée de la partie qui était derrière l'Atre par des cloisons légères en clayonnage. Dans cette partie, dont les murs étaient assez grossièrement construits et un peu noircis par la fumée, je vis des deux côtés de petites cellules formées par des cloisons en branches entrelacées. (quand on voulait en faire une grande salle, on défaisait ces cloisons qui étaient peu élevées, et on les mettait de côté. C'était dans les cellules en question que couchaient la servante de Marie et d'autres femmes qui lui rendaient visite.

A droite et à gauche du foyer, de petites portes conduisaient à la partie postérieure de la maison, qui était peu éclairée, terminée circulairement ou en angle, du resta très proprement et très agréablement disposée. Tous les murs étaient revêtus de boiseries, et le haut formait une voûte. Les poutres qui la surmontaient, liées entre elles par d'autres solives et recouvertes de feuillage, avaient une apparence simple et décente.

L'extrémité de cette pièce, séparée de reste par un rideau, formait la chambre à coucher de Marie. Au centre du mur se trouvait, dans une niche, comme un tabernacle qu'on faisait tourner sur lui-même au moyen d'un cordon, selon qu'on voulait l'ouvrir ou le fermer. Il y avait une croix longue à peu près comme le bras, de la forme d'un Y, ainsi que j'ai toujours vu la croix de Notre seigneur Jésus-Christ. Elle n'avait pas d'ornements particuliers, et était à peine entaillée, comme les croix que viennent aujourd'hui de la Terre Sainte. Je crois qui saint Jean et Marie l'avaient arrangée eux-mêmes. Elle était faite de différentes espèces de bois. Il me fut dit que le tronc, de couleur blanchâtre, était en cyprès ; l'un des bras, de couleur brune, en cèdre ; l'autre bras, tirant sur le jaune, en palmier ; enfin, l'extrémité, avec la tablette, en bois d'olivier jaune et poli. La croix était plantée dans un support en terre ou en pierre, comme la croix de Jésus dans le rocher du Calvaire. A ses pieds se trouvait un écriteau en parchemin où était écrit quelque chose : c'étaient, je crois, des paroles de Notre-Seigneur. Sur la croix elle-même, était l'image du Sauveur, tracée simplement par des lignes de couleur foncée, afin qu'on put bien la distinguer. J'eus aussi connaissance des méditations de Marie sur les différentes espèces de bois dont elle était faite. Malheureusement, j'ai oublié ces belles explications. Je ne sais pas non plus maintenant si la croix du Christ était réellement faite de ces diverses espèces de bois ; ou si cette croix de Marie avait été ainsi faite pour fournir un aliment à la méditation. Elle était placée entre deux vases pleins de fleurs naturelles.

Je vis aussi un linge posé près de la croix, et j'eus le sentiment que c'était celui avec lequel la sainte Vierge, après la descente de crois, avait essuyé le sang qui couvrait le corps sacré du Sauveur. J'eus cette impression, parce qu'à la vue de ce linge cet acte de saint amour maternel fut présenté devant mes yeux. Je sentis, en même temps, : que c'était comme le linge avec lequel les prêtres purifient le calice quand ils ont bu le sang du Rédempteur dans le saint sacrifice ; Marie, essuyant les blessures de son Fils, me parut faire quelque chose de semblable ; et, du reste, dans cette circonstance, elle avait pris et plié de la même manière le linge dont elle se servait. J'eus la même impression en voyant ce linge prés de la croix.

A droite de cet oratoire, était la cellule où reposait la sainte Vierge, et, vis-à-vis de celle-ci, à gauche de l'oratoire, un autre petit réduit où étaient disposés ses vêtements et ses effets. De l'une à l'autre de ces cellules, était tendu un rideau qui cachait l'oratoire placé entre elles. C'était devant ce rideau que Marie avait coutume de s'asseoir quand elle lisait ou travaillait.

La cellule de la sainte Vierge s'appuyait par derrière à un mur recouvert d'un tapis ; les cloisons latérales étaient en clayonnage léger, qui ressemblait à un ouvrage de marqueterie. Au milieu de la cloison antérieure, qui était couverte d'une tapisserie, se trouvait une porte légère, à deux battants, qui s'ouvrait à l'intérieur. Le plafond de cette cellule était aussi en clayon. nage, qui formait comme une voûte au centre de laquelle était suspendue une lampe à plusieurs branches. La couche de Marie était une espèce de coffre creux, haut d'un pied et demi, de la largeur et de la longueur d'un lit ordinaire de petite dimension. Les côtés étaient recouverts de tapis qui descendaient jusqu'au sol et qui étaient bordés de franges et de houppes. Un coussin rond servait d'oreiller, et un tapis brun à carreaux de couverture. La petite maison était voisine d'un bois et entourée d'arbres à forme pyramidale. C'était un lieu solitaire et tranquille, Les habitations des autres familles se trouvaient à quelque distance. Elles étaient dispersées ça et là et formaient comme un village.

III
Manière de vivre de Marie.
Saint Jean lui donne la sainte Eucharistie. Chemin de la Croix.

La sainte Vierge habitait seule avec une personne plus jeune, qui la servait et qui allait chercher le peu d'aliments qui leur étaient nécessaires. Elles vivaient dans le silence et dans une paix profonde. Il ne se trouvait pas d'hommes dans la maison. Souvent, un disciple en voyage venait les visiter.

Je vis fréquemment entrer et sortir un homme que j'ai toujours cru être saint Jean ; mais ni à Jérusalem ni ici il n'était longtemps de suite dans le voisinage. Il allait et venait. Il était vêtu autrement que du vivant de Jésus. Il portait une robe à longs plis, d'une étoffe légère d'un blanc grisâtre. Il était très svelte et très leste, avait une belle figure allongée et maigre ; sa tête était nue, et sa longue chevelure blonde partagée derrière les oreilles. Par comparaison avec les autres apôtres, il avait quelque chose d'un peu féminin et de virginal.

Je vis Marie, dans les derniers temps de sa vie, toujours plus silencieuse et plus recueillie ; elle ne prenait presque plus de nourriture. Il semblait que son corps seul fût encore sur la terre, et que son esprit fût habituellement ailleurs. Dans les semaines qui précédèrent sa fin, je la vis faible et vieillie ; sa servante la soutenait et la conduisait dans la maison.

Je vis Jean entrer une fois chez elle ; lui aussi paraissait très vieilli. Il était maigre et élancé. En entrant, il avait relevé dans sa ceinture sa longue robe blanche à grands plis. Il défit cette ceinture et en mit une Autre qu'il avait sous son vêtement, et sur laquelle étaient tracées des lettres. Il avait une étole autour du cou et une espèce de manipule au bras. La sainte Vierge, appuyée sur le bras de sa servante et enveloppée dans un vêtement blanc, sortit de sa chambre à coucher. Son visage était blanc comme la neige, et pour ainsi dire diaphane. Elle paraissait comme soulevée de terre par un ardent désir. Depuis l'ascension de Jésus, tout son être exprimait un désir toujours croissant et qui la consumait de plus en plus. Jean et elle se retirèrent dans l'oratoire. Elle tira un cordon ou une courroie ; le tabernacle, qui était dans le mur, tourna sur lui-même, et la croix qui s'y trouvait se montra. Quand ils eurent prié à genoux devant elle pendant un certain temps, Jean se leva, tira de son sein une boite de métal qu'il ouvrit par le côté, y prit une enveloppe de laine fine, sans teinture, et dans cette-ci un linge blanc plié d'où il tira le Saint Sacrement en forme de particule blanche carrée. Il prononça ensuite quelques paroles d'un ton grave et solennel, et donna l'Eucharistie à la sainte Vierge. Il ne lui présenta pas de calice.

A quelque distance derrière la maison, sur le chemin qui menait au sommet de la montagne, la sainte Vierge avait disposé une espèce de chemin de la Croix. Quand elle habitait Jérusalem, elle n'avait jamais cessé, depuis la mort de son Fils, de suivre sa voie douloureuse, et d'arroser de ses larmes les lieux où il avait souffert. Elle en avait mesuré pas à pas tous les intervalles, et son amour ne pouvait se passer de la contemplation incessante de ce chemin de douleur.

Peu de temps après son arrivée ici, je la vis journellement se livrer à ces méditations sur la Passion, en suivant le chemin qui conduisait au haut de la montagne. Au commencement elle y allait seule, et elle mesurait, d'après le nombre des pas qu'elle avait si souvent comptés, la distance entre les diverses places où avait eu lieu quelque incident de la Passion du Sauveur. A chacune de ces places elle érigea une pierre ; ou, s'il s'y trouvait un arbre, elle y faisait une marque. Le chemin conduisait dans un bois, où un monticule représentait le Calvaire ; et une petite grotte dans un autre monticule, le Saint Sépulcre.

Quand elle eut divisé en douze stations ce chemin de la Croix, elle le suivit avec sa servante, plongée dans une contemplation silencieuse. Elles s'asseyaient à chacun des endroits qui rappelaient un épisode de la Passion, en méditaient dans leur coeur la signification mystérieuse, et remerciaient le Seigneur de son amour, en versant des larmes de compassion. Plus tard, elle arrangea mieux les stations. Je la vis écrire, avec un poinçon, sur chacune des pierres, l'indication du lieu qu'elle représentait, le nombre des pas et d'autres choses semblables. Je la vis aussi nettoyer la grotte du Saint Sépulcre, et la disposer de manière à ce qu'on pût y prier commodément.

Je ne vis pas à ces stations d'image, ni même de croix à demeure fixe. C'étaient de simples pierres commémoratives, avec des inscriptions. Mais avec le temps tout cela fut de mieux en mieux ordonné et arrangé ; même après la mort de la sainte Vierge, je vis ce chemin de la Croix fréquenté par des chrétiens qui s'y prosternaient et baisaient la terre.

IV
Voyage de Marie Éphèse à Jérusalem.
Sa maladie dans cette dernière ville.
Bruit de sa mort et origine du tombeau
de la sainte Vierge à Jérusalem.

Après la troisième année de son séjour ici, Marie eut un grand désir d'aller à Jérusalem. Jean et Pierre l'y conduisirent : je crois que plusieurs apôtres s'y trouvaient rassemblés. J'y vis saint Thomas ; je crois qu'il y eut un concile, que Marie y assista, et qu'ils prirent ses avis'.

A leur arrivée, je les vis le soir, à la lueur du crépuscule, visiter, avant d'entrer dans la ville, le mont des Oliviers, le Calvaire, le Saint Sépulcre et tous les saints lieux qui sont autour de Jérusalem. La Mère de Dieu était si affligée et si émue qu'elle pouvait à peine se tenir debout. Jean et Pierre la conduisaient en la soutenant sous les bras.

Elle quitta une autre fois Éphèse, un an et demi avant sa mort. Alors aussi je la vis visiter les saints lieux pendant la nuit, en compagnie des apôtres. Elle était accablée d'une tristesse indicible et disait sans cesse en soupirant : " O mon Fils ! mon Fils " ! Quand elle arriva à la porte de derrière de ce palais où elle avait vu Jésus tomber sous le poids de la croix, l'impression de ce souvenir douloureux la fit tomber elle-même sans connaissance, et ses compagnons crurent qu'elle allait expirer. On la porta au Cénacle, où elle habitait dans les bâtiments antérieurs. Pendant plusieurs jours, elle resta si faible et si malade et elle eut de si fréquents évanouissements, qu'on s'attendait à chaque instant à la voir mourir, et qu'on pensa a lui préparer un tombeau. Elle-même choisit pour cela une grotte de la montagne des Oliviers, et les apôtres y firent préparer un beau sépulcre par un ouvrier chrétien '.

Cependant on avait dit plusieurs fois qu'elle était morte. Le bruit de sa mort et de sa sépulture à Jérusalem se répandit alors en d'autres lieus. Mais, quand le tombeau fut achevé, elle guérit et se trouva assez forte pour revenir à sa demeure d'Ephèse, où elle mourut réellement au bout d'un an et demi.

Comme elle avait déjà dit antérieurement que Marie était allée deux fois d'Éphèse à Jérusalem, il est possible qu'elle ait fait une confusion entre le premier et le second voyage, quant à ce qui touche le concile.

Nous nous souvenons de lui avoir entendu dire une autre fois que saint André travailla aussi à ce tombeau.

On honora toujours le tombeau préparé pour elle sur la montagne des Oliviers ; on y bâtit plus tard une église, et Jean Damascène (c'est le nom que j'ai entendu en esprit, mais je ne sais qui est ce personnage) écrivit, d'après des traditions orales, qu'elle était morte et qu'elle avait été ensevelie à Jérusalem.

Dieu a laissé tout ce qui concerne sa mort, son tombeau, son assomption dans le ciel, devenir seulement l'objet d'une tradition incertaine, afin de ne pas donner entrée dans le christianisme au sentiment paien encore si puissant à cette époque ; car on se serait facilement laissé aller à adorer Marie comme une déesse.

V
Éphèse.
Parents et amies de la sainte Famille
vivant dans la colonie chrétienne.

Parmi les saintes femmes qui vivaient dans la colonie chrétienne voisine d'Éphèse, et qui étaient souvent prés de Marie, se trouvait une nièce de la prophétesse Anne. Avant le baptême de Jésus, je l'avais vue une fois aller à Nazareth avec Séraphia (Véronique). Cette femme était alliée à la sainte Famille par Anne, qui était parente de la mère de Marie et plus proche encore d'Élisabeth, fille de la soeur de celle-ci.

Une autre femme, parmi celles qui vivaient autour de Marie, et que j'avais vue aussi aller à Nazareth avant le baptême de Jésus, était une nièce d'Elisabeth, qui s'appelait Mara. Voici comment elle étais parente de la sainte Famille. Ismeria, mère de sainte Anne, avait une soeur appelée Emerentia, laquelle avait eu trois filles : Élisabeth, mère de saint Jean-Baptiste ; Enoué, qui était chez sainte Anne lors de la naissance de la sainte Vierge, et Rhode, mère de cette Mara dont il est question ici.

Rhode s'était mariée loin du pays de sa famille. Elle demeura d'abord dans les environs de Sichem, puis à Nazareth et à Kessuloth, près du mont Thabor. Outre Mara, elle avait deux autres filles, dont l'une avait pour enfants des disciples de Jésus. Un des deux fils de Rhode fut le premier mari de Maroni, qui, restée veuve et sans enfants, épousa Eliud, neveu de la mère de sainte Anne, et s'établit à Naim, où elle devint veuve pour la seconde fois. Elle avait eu de cet Eliud un fils que le Sauveur ressuscita. Il devint disciple de Jésus et fut baptisé sous le nom de Martial.

Mara, fille de Rhode, qui fut présente à la mort de Marie, s'était mariée dans le voisinage de Bethléem. Nathanael, le fiancé de Cana, était, à ce que je crois, un fils de cette Mara, et il reçut au baptême le nom d'Amator. Elle avait encore d'autres fils : tous furent disciples de Jésus.

VI
La Sainte Vierge visite pour la dernière fois
le chemin de le Croix érigé par elle.

(Le 7 août 1824.)

Hier et cette nuit, j'ai été très occupée de la Mère de Dieu à Éphèse. J'ai fait le chemin de la Crois avec elle et cinq autres femmes. Il y avait là la nièce de la prophétesse Anne et la veuve Mara, nièce d'Elisabeth. La sainte Vierge allait en avant des autres ; elle était vieillie et faible ; elle était très blanche et comme transparente. Son aspect était singulièrement touchant. Il me semblait qu'elle faisait ce chemin pour la dernière fois. Pendant qu'elle était là, je crus voir Pierre, Jean et Thaddée dans sa maison.

Je vis la sainte Vierge très affaiblie par l'âge ; il n'y avait pourtant en elle d'autre signe de la vieillesse que l'expression du désir qui la consumait et qui la poussait en quelque sorte à sa transfiguration. Elle avait une gravité ineffable. Je ne l'ai jamais vue rire, mais seulement sourire avec une expression touchante. Plus elle avançait en âge, plus son visage paraissait blanc et diaphane. Elle était maigre, mais je ne lui vis pas de rides ni aucune marque de décrépitude : elle était devenue comme un pur esprit.

VII
La sainte Vierge sur son lit de mort. Adieux des femmes.

(Le 9 août 1821.)

J'allai dans la maison de Marie, à environ deux lieues d'Ephèse. Je la vis dans sa cellule, qui était toute tendue de blanc, étendue sur une couche basse et étroite ; sa tête reposait sur un coussin rond. Elle était faible, pâle et comme consumée par un ardent désir. Sa tête et toute sa personne étaient enveloppées dans un long drap ; une couverture de laine brune était posée par-dessus.

Je vis cinq femmes entrer dans sa cellule et en ressortir l'une après l'autre, comme si elles lui avaient fait leurs adieux. Celles qui sortaient faisaient des gestes touchants qui exprimaient leur douleur. Je remarquai parmi elles la nièce de la prophétesse Anne et Mara, nièce d'Élisabeth, que j'avais vues au chemin de la Croix.

Je vis ensuite six apôtres assemblés là : c'étaient Pierre, André, Jean, Thaddée, Barthélémy et Mathias. Il y avait aussi Nicanor, un des sept diacres, qui était très actif et très serviable. Je vis les apôtres à droite, dans la partie antérieure de la maison ils y avaient disposé un oratoire et ils étaient en prière.

VIII
Arrivée de deux autres apôtres. L'autel.
Boite en forme de croix pour les objets consacrés.

(Le 10 août 1821.)

Le temps de l'année où l'Église célèbre l'assomption de la sainte Vierge est bien celui ou elle a eu lieu réellement ; seulement l'anniversaire ne tombe pas le même jour tous les ans. Je vis aujourd'hui arriver deux autres apôtres avec leurs vêtements relevés comme des voyageurs : c'étaient Jacques le Mineur et Matthieu, son demi frère, car Alphée, étant devenu veuf, avait épousé Marie, fille de Cléophas. Il avait eu Matthieu d'un premier mariage.

Je vis hier soir et ne matin les apôtres rassemblés et célébrant le service divin dans la partie antérieure de la maison, où ils avaient, dans ce but, enlevé nu disposé autrement les cloisons mobiles qui formaient des cellules. Une table, avec une couverture rouge et une autre blanche par-dessus, servait d'autel. Chaque fois qu'on en faisait usage pour une cérémonie sacrée, on la plaçait contre le mur, à droite du foyer dont on se servait encore chaque jour, et on la retirait ensuite. Devant l'autel était un tréteau couvert, au-dessus duquel était étalé un rouleau écrit. Sur l'autel était placé un vase en forme de croix, fait d'une matière brillante comme la nacre de perle ; il avait à peine un palme en longueur et en largeur, et contenait cinq boites fermées avec des couvercles d'argent. Dans cette du milieu se trouvait le Saint Sacrement ; dans les autres, du chrême, de l'huile, du sel et des brins de fil, ou peut-être de la laine avec d'autres objets bénits. Elles étaient si bien fermées que rien ne pouvait couler au dehors.

Les apôtres, dans leurs voyages, portaient cette croix pendue sur la poitrine sous leur vêtement. Ils avaient en cela quelque chose de plus que le grand prêtre des Juifs quand il portait sur sa poitrine l'objet sacré de l'ancienne alliance.

Je ne me souviens pas bien s'ils avaient des reliques dans une de ces boîtes ou ailleurs ; je sais seulement qu'en offrant le sacrifice de la nouvelle alliance, ils avaient toujours près d'eux des ossements de prophètes, et, plus tard, de martyrs ; de même que les patriarches, lorsqu'ils sacrifiaient, plaçaient toujours sur l'autel des ossements d'Adam ou de ceux de leurs ancêtres qui avaient été dépositaires de la promesse. Jésus-Christ, dans la dernière cène, leur avait commandé de faire ainsi. Pierre, en habits sacerdotaux, était debout devant l'autel, les autres étaient rangés derrière lui. Les femmes se tenaient au fond de la salle.

IX
Arrivée de Simon.
Pierre donne la sainte communion à la sainte Vierge.
État de Jérusalem à cette époque.

(Le 11 août 1821.)

Je vis aujourd'hui arriver un autre apôtre : c'était Simon. Il manquait encore Jacques le Majeur, Philippe et Thomas. Je vis aussi plusieurs disciples, parmi lesquels je me rappelle seulement Jean Marc, et ce fils ou petit-fils du vieux Siméon, qui était chargé de l'inspection des victimes au temple, et qui immola le dernier agneau pascal pour Jésus. Ils étaient bien une dizaine.

Il y eut de nouveau service divin à l'autel, et je vis quelques-uns des nouveaux arrivés avec leurs habits relevés, ce qui me fit croire qu'ils voulaient repartir tout de suite. Devant le lit de la sainte Vierge était un petit escabeau triangulaire, comme celui sur lequel avaient été déposés les présents des trois rois dans la grotte de la Crèche. Il y avait dessus une tasse avec une petite cuiller brune transparente. Je ne vis aujourd'hui qu'une femme dans la chambre de Marie.

Je vis Pierre, après le service divin, lui donner de nouveau la sainte communion. Il apporta le Saint Sacrement dans cette pyxide en forme de croix dont j'ai déjà parlé. Les apôtres étaient rangés sur deux lignes, depuis l'autel jusqu'à sa couche, et ils s'inclinèrent profondément quand Pierre passa devant eux avec le Saint Sacrement. Les cloisons qui entouraient la sainte Vierge, était ouvertes de tous les côtés.

Quand j'eus vu cela près d'Ephèse, j'eus le désir de voir ce qui se passait à Jérusalem pendant ce temps ; mais la longueur du voyage qu'il fallait faire pour cela m'effrayait. Alors la sainte vierge et martyre Suzanne, dont c'est aujourd'hui la fête, dont j'ai là une relique, et qui a été près de moi toute la nuit, vint à moi et m'encouragea en me disant qu'elle m'accompagnerait. Je traversais la terre et la mer, et nous fûmes bientôt à Jérusalem. Elle était tout autrement que moi ; elle était extrêmement légère, et, quand je voulais la toucher, je ne le pouvais pas. Quand j'assistais à une scène dans un lieu déterminé, comme, par exemple, à Jérusalem, elle disparaissait ; mais, chaque fois que je passais d'un tableau à un autre, elle m'accompagnait et me consolait.

Je me trouvai sur la montagne des Oliviers, et je vis tout dévasté et changé par comparaison avec l'état antérieur. Je pus pourtant reconnaître chaque place. La maison voisine du jardin de Gethsémani, où les disciples s'arrêtaient, avait été démolie. Il y avait là des fossés et des murs qui en rendaient l'accès impossible. Je me rendis ensuite au tombeau du Sauveur ; il était comblé et muré. Au-dessus, sur le haut du rocher, on avait commencé à bâtir un édifice qui ressemblait à un petit temple. Il n'y avait encore que les murs. Comme je regardais avec tristesse les dévastations qui avaient été faites, mon fiancé céleste m'apparut sous la même figure qu'il s'était montré en ce lieu à Madeleine, et me consola.

Je trouvai aussi le Calvaire dévasté et bâti. Le petit monticule sur lequel la croix avait été érigée avait été remué et fouillé. Il y avait aussi tout autour des fossés et des murs, en sorte qu'on ne pouvait pas l'aborder. J'y arrivai pourtant et j'y priai. Alors le Sauveur s'approcha encore pour me consoler et m'encourager. Lors de ces apparitions du Seigneur, je ne vis pas sainte Suzanne prés de moi.

Je passai ensuite à un tableau des guérisons miraculeuses de Jésus dans les environs de Jérusalem, et je revis plusieurs de ces guérisons. Comme je réfléchissais sur la grâce des guérisons par le nom de Jésus, qui est plus particulièrement accordée aux prêtres, et comme je pensais à la manifestation de cette grâce à notre époque, dans la personne du prince de Hohenlohe, je vis ça prêtre faisant usage de ce don. Je vis plusieurs malades guéris par ses prières, entre autres, des hommes qui cachaient sous de sales haillons des ulcères infectés Je ne sais pas si c'étaient réellement des ulcères ou bien des symboles de vieux péchés restés sur la conscience Même dans mon voisinage, je vis d'autres prêtres qui possédaient au même degré ce pouvoir de guérir, mais chez lesquels le respect humain, la dissipation, la préoccupation des affaires mondaines et le manque d'énergie l'empêchaient de se produire. J'en vis spécialement un qui secourait quelques personnes dont je voyais le coeur rongé par d'affreuses bêtes ; mais, par suite de sa dissipation, il négligeait d'en secourir d'autres, qui étaient couchées ça et là, en proie à des maladies corporelles. Il avait en lui-même divers obstacles qui l'en empêchaient.

X
Service divin des apôtres. Marie reçoit la sainte communion.
Détails personnels. - Le chemin de la Croix de Marie.

(Le 12 août 1821.)

il n'y a guère en tout que douze hommes rassemblés dans la maison de Marie. Aujourd'hui, je vis faire le service divin dans son petit oratoire ; on y célébra la messe. Sa petite chambre était ouverte de tous les côtés. Une femme était agenouillée près du lit de Marie, qui, de temps en temps, se mettait sur son séant. Je la vis ainsi d'autres fois dans la journée. La femme qui était près d'elle lui donnait alors, avec une cuiller, d'une potion qui était dans la tasse. Marie avait sur sa couche une crois, longue comme la moitié du bras. Le tronc était un peu plus large que le bras. Elle était comme incrustée de différents bois ; le corps du Christ était blanc. La sainte Vierge reçut le Saint Sacrement. Elle a vécu quatorze ans et deux mois depuis l'ascension du Sauveur.

Ce soir, la narratrice, pendant son sommeil, chanta à demi vois, d'une manière singulièrement touchante, des cantiques de la Mère de Dieu. Quand elle se réveilla, comme l'écrivain lui demandait ce qu'elle avait chanté, elle répondit, étant encore à moitié endormie : " Je suis allée avec la procession, avec cette femme... Maintenant, elle est partie ". Le jour suivant, elle dit à propos de ce chant : " Je suivis deux des amies de Marie sur le chemin de la Croix, derrière sa maison. Elles vont là tous les jours, matin et soir, et je me glisse tout doucement derrière elles. Hier, cela m'anima, et je commençai à chanter ; alors tout disparut.

Le chemin de la Croix de Marie avait douze stations. Elle avait mesuré en pas les intervalles qui les séparaient' et Jean y avait fait placer des pierres commémoratives. Il n'y avait d'abord que des pierres brutes ; plus tard, tout fut plus orné. Maintenant c'étaient des pierres blanches' polies, peu élevées, à plusieurs arêtes (huit, si je ne me trompe), qui se réunissaient au sommet, aboutissant à une petite surface plane, où se trouvait une cavité. Chacune d'elles reposait sur un dé de même matière, entourée de gazon et de fleurs qui empêchaient d'en voit l'épaisseur. Sur les pierres et leurs supports étaient inscrites des lettres hébraïques.

Ces stations étaient toutes dans des excavations comme dans de petits bassins ronds creusés autour. Il y avait au fond un sentier assez large pour une ou deux personnes ; il circulait autour de la pierre, et permettait d'en lire les inscriptions. A l'un des côtés de ces pierres étaient fixées des nattes avec lesquelles on les recouvrait quand on n'y priait pas.

Les douze pierres qui marquaient les stations étaient toutes de même grandeur ; toutes avaient leurs inscriptions hébraïques, mais les lieux où elles étaient placées étaient différents : la station du mont des Oliviers se trouvait dans une petite vallée, près d'une grotte dans laquelle plusieurs personnes pouvaient se tenir à genoux ; la station du Calvaire, seule, n'était pas dans un enfoncement, mais sur une éminence. Pour la station du Saint Sépulcre, elle était au delà de cette éminence, de l'autre côté de laquelle on trouvait la pierre commémorative dans un enfoncement, puis, plus bas encore, une grotte creusée dans le roc où était le tombeau lui-même. Ce fut dans ce tombeau que la sainte Vierge fut ensevelie. Je crois que ce tombeau doit encore subsister sous la terre, et qu'il reparaîtra quelque jour.

Je vis que les apôtres, les saintes femmes et d'autres chrétiens, quand ils venaient à ces stations et qu'ils y priaient agenouillés ou la face contre terre, tiraient de dessous leurs vêtements une croix longue à peu près d'un pied, et la plaçaient dans l'excavation qui était au-dessus de la pierre de la station ; elle s'y tenait debout au moyen d'un appui mobile placé derrière.

XI
Jacques le Majeur arrive avec Philippe et trois disciples.
Comment les apôtres furent convoqués
pour assister à la mort de la sainte Vierge.
Leurs voyages et leurs missions.

(Le 13 août 1821.)

Je vis aujourd'hui faire le service divin comme les autres jours. Je vis la sainte Vierge se mettre sur son séant plusieurs fois dans la journée et prendre quelque chose avec la petite cuiller. Le soir, vers sept heures, la soeur dit pendant son sommeil : Jacques le Majeur est arrivé d'Espagne en passant par Rome avec trois compagnons, Timon, Erémenzéar et encore un autre. Plus tard, Philippe vint d'Egypte avec un compagnon.

Les apôtres et les disciples arrivaient la plupart du temps très fatigués. Ils avaient à la main de longs bâtons recourbes qui indiquaient leur dignité. Leurs longs manteaux blancs étaient relevés sur la tête, où ils formaient comme des capuchons. Ils avaient là-dessous de longues tuniques sacerdotales de laine blanche ; elles étaient ouvertes de haut en bas, mais attachées avec des petites courroies fendues et passées dans de petits bourrelets qui servaient de boutons. En voyage, ils relevaient leurs vêtements dans leur ceinture. Quelques-uns portaient une bourse pendue au côté.

Les arrivants embrassaient tendrement ceux qui les avaient précédés. J'en vis plusieurs pleurer à la fois de joie et de douleur en revoyant leurs amis dans une circonstance si triste. Ils déposaient alors leur bâton, leur manteau, leur ceinture et leur bourse, puis ils laissaient retomber jusqu'à leurs pieds leur robe blanche ; ils mettaient ensuite une large ceinture sur laquelle était une inscription et qu'ils portaient avec eux. On leur lavait les pieds ; ils s'approchaient de la couche de Marie et la saluaient respectueusement. Elle pouvait a peine leur adresser quelques paroles. Je ne les vis prendre d'autres aliments que du pain ; ils buvaient dans de petits flacons qu'ils portaient sur eux.

Quelque temps avant la mort de la sainte Vierge, lorsqu'elle fut avertie intérieurement que sa réunion avec son Dieu, son Fils, son Rédempteur, était proche, elle pria pour l'accomplissement de la promesse que Jésus lui avait faite dans la maison de Lazare, à Béthanie, la veille de l'Ascension. Il me fut montré en esprit comment Jésus, auquel elle demandait de ne pas la laisser longtemps dans cette vallée de larmes après l'Ascension, lui dit en termes généraux quelles oeuvres spirituelles elle devait accomplir pendant le temps qu'elle devait encore rester sur la terre. Il lui fit connaître aussi qu'à sa prière, les apôtres et plusieurs disciples se réuniraient près d'elle pour assister à sa mort ; il lui indiqua ce qu'elle devait leur dire et comment elle devait leur donner sa bénédiction. Je vis aussi qu'il dit à l'inconsolable Madeleine de se cacher dans le désert, et à sa soeur Marthe d'établir une communauté de femmes ; il ajouta qu'il serait toujours avec elles.

Quand la sainte Vierge eut prié pour faire venir les apôtres près d'elle, je vis la convocation leur arriver dans diverses parties du monde. Je ne me souviens plus que de ce qui suit.

Les apôtres avaient de petites églises dans divers lieux où ils avaient enseigné. Quoique plusieurs d'entre elles De fussent pas encore construites en pierre, mais faites seulement de branches tressées et enduites de limon, toutes celles que je vis avaient à leur partie postérieure la même forme arrondie ou angulaire que la maison de Marie près d'Éphèse. Il y avait des autels, et on y célébrait le saint sacrifice de la messe.

Je les vis tous, si éloignés qu'ils fussent, avertis par des apparitions de se rendre auprès de la sainte Vierge. En général, les voyages si longs des apôtres ne se faisaient pas sans une miraculeuse assistance du Seigneur. Je crois que souvent, sans qu'eux-mêmes en eussent bien la conscience, ils voyageaient à l'aide d'un secours surnaturel, car je les vis plus d'une fois passer à travers des foules pressées sans que personne parût les voir. Je les vis opérer chez divers peuples paiens et sauvages des miracles d'une tout autre espèce que ceux de leurs miracles que nous connaissons par l'Écriture sainte. Ils les opéraient partout suivant les besoins des hommes. Je vis que tous, dans leurs voyages, portaient avec eux des ossements des prophètes ou des martyrs mis à mort dans les premières persécutions, et qu'ils les avaient auprès d'eux lorsqu'ils priaient ou célébraient le saint sacrifice.

Lorsque le Seigneur convoqua les apôtres à Ephèse, Pierre et Mathias aussi, à ce que je crois, se trouvaient dans les environs d'Antioche. André, venant de Jérusalem où il avait eu à souffrir la persécution, ne se trouvait pas à une grande distance d'eux. Je vis Pierre et André s'arrêter la nuit, ou passer dans différents endroits qui n'étaient pas très éloignés les uns des autres. Ils n'étaient pas dans des villes, mais dans des auberges publiques, comme on en trouve au bord des routes dans les pays chauds. Pierre était couché contre un mur. Je vis un jeune homme resplendissant s'approcher de lui et l'éveiller en le prenant par la main ; il lui dit qu'il devait se rendre en toute hâte près de Marie, et qu'il trouverait en route son frère André. Je vis Pierre, qui était déjà affaibli par l'âge et les fatigues de l'apostolat, se mettre sur son séant et s'appuyer avec les mains sur ses genoux pendant qu'il écoutait l'ange. Quand le messager céleste eut disparu, il se leva, se ceignit, mit un manteau, prit son bâton et partit. Il rencontra bientôt André, qui avait vu une apparition semblable. Plus loin, ils se réunirent à Thaddée, auquel la même chose avait été dite. C est ainsi qu'ils se rendirent chez Marie, où ils trouvèrent Jean.

Jacques le Majeur, qui avait une figure pâle et allongée et les cheveux noirs. était venu d'Espagne à Jérusalem avec plusieurs disciples. Il s'arrêta quelque temps à Sarona, près de Joppé, et ce fut là qu'il fut appelé à se rendre à Éphèse. Après la mort de Marie, il revint à Jérusalem avec ses compagnons, et il y souffrit le martyre. Son accusateur se convertit fut baptisé par lui et décapité avec lui. Jude, Thaddée et Simon étaient en Perse où ils reçurent leur convocation.

Thomas avait une taille ramassée et les cheveux d'un brun cuivré. Il était le plus éloigné de tous, et n'arriva qu'après la mort de Marie. J'ai vu comment l'ange chargé de l'avertir vint à lui. Il n'était pas dans une ville, mais dans une cabane de roseaux, et il priait lorsque l'ange lui ordonna de partir pour Éphèse. Je l'ai vu sur la mer dans une petite barque avec un serviteur d'une grande simplicité ; il traversa ensuite le continent, mais, je crois, sans entrer dans aucune ville. Il vint encore un disciple avec lui. Il était dans l'Inde lorsqu'il reçut l'avertissement ; mais, avant de le recevoir, il avait formé le dessein d'aller plus au nord, jusqu'en Tartarie, et il ne put se résoudre à abandonner ce projet : il voulait toujours trop faire, et il arrivait souvent trop tard. Il alla vers le nord, en touchant presque la Chine, et arriva jusque dans les possessions actuelles de la Russie. Il reçut là un nouvel avertissement, et se dirigea en toute hâte vers Éphèse. Le serviteur qu'il avait avec lui était un barbare qu'il avait baptisé. Cet homme est devenu quelque chose plus tard, mais j'ai oublié ce qui le concernait. Thomas ne revint pas en Tartarie après la mort de Marie ; il fut percé d'un coup de lance dans l'Inde. J'ai vu que, dans ce pays, il érigea une pierre sur laquelle il avait prié et à la marque de ses genoux s'était imprimée, et qu'il dit que lorsque la mer viendrait jusqu'à cette pierre, un autre personnage prêcherait Jésus-Christ dans ces contrées.

Jean s'était trouvé à Jéricho peu de temps auparavant. Il allait souvent dans la Terre Sainte. Il résidait ordinairement à Éphèse et dans les environs. C'était là qu'il avait reçu sa convocation.

Barthélémy était en Asie, à l'orient de la mer Rouge. C'était un bel homme, très intelligent. Il avait le teint blanc, le front élevé, de grands yeux, des cheveux noirs frisés, une barbe noire, courte et crépue. Il avait converti récemment un roi et sa famille. Je vis tout cela, et je le raconterai en son temps. Quand il fut de retour dans ce pays, le frère de ce roi le fit mourir.

J'ai oublié où Jacques le Mineur reçut l'avertissement. Il était très beau et ressemblait beaucoup au Sauveur. Aussi était-il appelé particulièrement le frère du Seigneur. même par ses propres frères.

En ce qui touche Matthieu, je vis de nouveau aujourd'hui qu'Alphée l'avait eu d'un premier mariage et l'avait amené avec lui quand il épousa en secondes noces Marie, fille de Cléophas. J'ai oublié ce qui concernait André.

Paul ne fut pas appelé. Ceux-là seulement furent convoqués qui étaient alliés à la sainte Famille ou qui avaient été en rapport avec elle.

Pendant ces visions, j'avais près de moi des reliques de saint André, de saint Barthélémy, des deux sainte Jacques, de saint Jude, de saint Simon, de saint Thomas, et de plusieurs disciples et saintes femmes ; ceux-là se montrèrent d'abord à moi plus clairement et plus distinctement. Puis je les vis figurer dans la scène qui m'était représentée. Je vis aussi saint Thomas venir à moi mais il ne figurait pas dans le tableau de la mort de la mort de Marie. Il était éloigné et arriva trop tard.

Je vis aussi cinq disciples figurer dans le tableau J'a spécialement un souvenir distinct de Siméon le Juste et de Barnabé (ou Barsabas), dont il y avait des reliques près de moi. L'un des trois autres était l'un de ces fils des bergers qui avaient accompagné Jésus dans le voyage qu'il fit après la résurrection de Lazare. (Erémenzéar). Les deux autres étaient de Jérusalem.

Je vis aussi près de la sainte Vierge sa soeur aînée, Marie Héli. Marie Héli, femme de Cléophas, mère de Marie de Cléophas, grand mère des apôtres Jacques le Mineur, Thaddée, Simon, etc., était une femme très âgée (elle avait vingt ans de plus que la sainte Vierge). Toutes ces saintes femmes demeuraient dans le voisinage ; elles s'étaient réfugiées précédemment dans ce pays, fuyant la persécution qui sévissait à Jérusalem. Plusieurs habitaient des grottes creusées dans les rochers, où on avait disposé des logements nu moyen de boiseries en clayonnage.

XII
Mort de le sainte Vierge.
Elle reçoit le saint Viatique et l'extrême Onction.
Vision sur l'entrée de son âme dans le ciel.

Le 14 août 182l, dans l'après-midi, la soeur dit à l'écrivain : " Je veux maintenant raconter quelque chose de la mort de la sainte Vierge ; mais il ne faut pas que je sois dérangée. Dites à ma petite nièce de ne pas m'interrompre, et d'attendre un peu dans l'autre pièce ". Quand l'écrivain eut fait ce qu'elle disait et fut revenu près d'elle, il lui dit : " Racontez maintenant " ; mais, regardant fixement devant elle, elle s'écria : " Où suis-je donc, est-ce le matin ou le soir ! -Vous voulez, dit-il, parler de la mort de la sainte Vierge.-Les apôtres sont là, répondit-elle, interrogez-les ; vous êtes plus savant que moi, vous les questionnerez mieux ; ils suivent le Chemin de la Croix et travaillent au tombeau de la Mère de Dieu. Elle les vit se livrer à ce travail aussitôt après la mort de Marie, à ce qu'elle assura. Après une pause, elle continua, en marquant des nombres avec ses doigts : " Voyez ce chiffre, dit-elle, une barre comme un I, puis un V ; cela ne fait-il pas quatre ? puis encore un V et trois I, cela ne fait-il pas huit ? Ce n'est pas écrit correctement en lettres marquant les nombres ; mais je les vois ainsi, parce que je ne sais pas lire les nombres élevés écrits en lettres Cela doit signifier que l'année 48 après Jésus-Christ est celle de la mort de la sainte Vierge. Je vois ensuite un X et trois 1, puis deux fois le signe de la pleine lune, comme il est dans l'almanach : cela veut dire que la sainte Vierge mourut treize ans et deux mois après l'ascension de Notre Seigneur. Ce n'est pas à présent le mois de sa mort. Je crois qu'il est passé depuis deux mois ; car, il y a deux mois, j'ai encore vu cette scène. Ah ! sa mort fut pleine de tristesse et pleine de joie ! s, Toujours dans cet état d'absorption intérieure, elle raconta ce qui suit:

Je vis hier à midi beaucoup de tristesse et d'inquiétude dans la maison de la sainte Vierge. La servante était extrêmement affligée ; elle s'agenouillait sans cesse, tantôt dans divers coins de la maison, tantôt devant la maison, et priait les bras étendus en versant des larmes. La sainte Vierge reposait tranquillement dans sa cellule ; elle semblait au moment de mourir. Elle était enveloppée tout entière, y compris les bras, dans cette espèce de vêtement de nuit que j'ai décrit en racontant sa visite chez Élisabeth. Son voile était relevé carrément sur son front, elle l'abaissait sur son visage quand elle parlait à des hommes. Ses mains elles-mêmes ne restaient découvertes que quand elle était seule. Dans les derniers jours, je ne la vis rien prendre, si ce n'est de temps en temps une cuillerée d'un breuvage que la servante exprimait de certaines baies jaunes, disposées en grappes. Vers le soir, quand la sainte Vierge connut que son heure approchait, elle voulut, conformément à la volonté de Jésus, bénir ceux qui se trouvaient présents et leur faire ses adieux. Sa chambre à coucher était ouverte de tous les côtés. Elle se mit sur son séant ; son visage était d'une blancheur éclatante et comme illuminé. Tous les assistants se tenaient dans la partie antérieure de la maison ; les apôtres entrèrent les premiers dans l'autre pièce, s'approchèrent l'un après l'autre de sa cellule ouverte, et s'agenouillèrent près de sa couche. La sainte Vierge les bénit tour à tour en croisant les mains au-dessus de leur tête et en touchant légèrement leur front. Elle parla à tous, et fit tout ce que Jésus lui avait enjoint à Béthanie.

Quand Pierre vint à elle, je vis qu'il avait à la main un rouleau écrit. Elle parla à Jean des dispositions à prendre pour sa sépulture, et le chargea de donner ses vêtements à sa servante et à une autre vierge pauvre qui venait quelquefois la servir. Elle montra du doigt le réduit qui était en face de sa cellule, et je vis sa servante y aller, l'ouvrir et le refermer. Je vis alors tous les vêtements de la sainte Vierge ; j'en parlerai plus tard. Après les apôtres, les disciples présents s'approchèrent de la couche de la sainte Vierge et furent aussi bénis par elle. Les hommes se rendirent alors de nouveau dans la pièce antérieure de la maison, pendant que les femmes s'approchaient de la couche de Marie, s'agenouillaient et recevaient sa bénédiction. Je vis l'une d'entre elles se pencher sur la sainte Vierge, qui l'embrassa.

Pendant ce temps l'autel fut préparé, et les apôtres se revêtirent, pour le service divin, de leurs longs vêtements blancs, avec des ceintures sur lesquelles étaient des lettres. Cinq d'entre eux figurèrent dans la cérémonie solennelle, qui fut semblable à celle que j'avais vu célébrer pour la première fois par Pierre dans la nouvelle église voisine de la piscine de Bethesda ; ils se revêtirent de leurs beaux ornements sacerdotaux. Le manteau pontifical de Pierre, qui était le célébrant, était très long par derrière ; cependant il n'avait pas de queue.

Ils étaient encore occupés à s'habiller, lorsque Jacques le Majeur arriva avec trois compagnons. Il venait d'Espagne par Rome avec le diacre Timon, et au delà de cette dernière ville il avait rencontré Erémenzéar et un troisième disciple. Les assistants, qui étaient au moment d'aller à l'autel, lui souhaitèrent la bienvenue avec une gravité solennelle, et lui dirent en peu de mots de se rendre près de la sainte Vierge. On leur lava les pieds, ils rangèrent leurs vêtements ; puis, sans quitter leurs habits de voyage, ils allèrent près de Marie et reçurent comme les autres sa bénédiction. Jacques alla seul le premier ; puis ses trois compagnons y allèrent ensemble après quoi ils revinrent pour assister au service divin. Là cérémonie était déjà assez avancée lorsque Philippe arriva d'Égypte avec un compagnon. Il se rendit aussitôt près de la Mère du Seigneur, reçut sa bénédiction et pleura abondamment.

Pierre, pendant ce temps, avait terminé le saint sacrifice, il avait consacré et reçu le corps du Sauveur, puis il l'avait donné aux apôtres et aux disciples présents. La sainte Vierge ne pouvait pas voir l'autel ; mais pendant la sainte cérémonie elle était assise sur sa couche, dans un profond recueillement. Quand Pierre eut communié et donné la communion aux autres apôtres, il porta à la sainte Vierge le saint sacrement et l'extrême onction.

Tous les apôtres l'accompagnèrent en procession solennelle. Thaddée marchait en avant avec un encensoir. Pierre portait la sainte Eucharistie devant lui, dans la pyxide en forme de croix dont j'ai parlé précédemment. Jean le suivait, portant un petit plat, sur lequel était le calice avec le sang précieux et quelques boites. Le calice était petit, massif et de couleur blanche. Le pied en était si court qu'on ne pouvait le prendre qu'avec deux doigts. Il avait du reste la forme de celui de la sainte Cène. Dans l'oratoire, qui était près du lit de la sainte Vierge, un petit autel avait été dressé par les apôtres. La servante avait apporté une table avec une couverture rouge et blanche. Dessus étaient des flambeaux allumés : je crois que c'étaient des cierges et des lampes. La sainte Vierge, pâle et silencieuse, était couchée sur le des. Elle regardait fixement le ciel, ne parlait à personne, et semblait ravie en extase. Elle était comme illuminée par le désir ; je pouvais ressentir ce désir qui l'emportait hors d'elle-même. Ah ! mon coeur voulait aller à Dieu avec le sien.

Pierre s'approcha d'elle et lui administra l'extrême-onction, à peu près de la même manière qu'on le fait aujourd'hui. Il l'oignit avec les saintes huiles prises dans les boites que tenait Jean, sur je visage, sur les mains' sur les pieds et sur le côté, où son vêtement avait une ouverture ; en sorte qu'on ne la découvrit pas le moins du monde. Pendant ce temps les apôtres récitaient des prières, comme on le fait au choeur. Ensuite Pierre lui présenta le saint sacrement. Elle se redressa, sans s'appuyer, pour le recevoir ; puis elle retomba. Les apôtres prièrent pendant quelque temps, et, s'étant un peu soulevée, elle reçut le calice de la main de Jean. Je vis, lors de la réception de la sainte Eucharistie, une lumière éclatante entrer dans Marie ; après elle retomba comme ravie en extase, et ne dit plus rien. Les apôtres portant les vases sacrés retournèrent en procession à l'autel où ils continuèrent le service divin, et alors Philippe reçut aussi la sainte communion. Il n'était resté que deux femmes près de la sainte Vierge.

Plus tard, je vis de nouveau les apôtres et les disciples en prière autour de la couche de la sainte Vierge. Je visage de Marie était épanoui et souriant comme dans sa jeunesse. Ses yeux, pleins d'une sainte joie, étaient tournés vers le ciel. Je vis alors un tableau merveilleusement touchant. Le toit de la cellule de Marie avait disparu ; la lampe était suspendue en plein air ; je vis à travers le ciel ouvert l'intérieur de la Jérusalem céleste. Il en descendit comme deux nuées éclatantes, où se montraient d'innombrables figures d'anges, et entre lesquelles une voie lumineuse se dirigea vers la sainte Vierge. Je vis, à partir de Marie, comme une montagne lumineuse s'élever jusque dans la Jérusalem céleste. Elle étendit les bras de ce côté avec un désir infini, et je vis son corps soulevé en l'air et planant au-dessus de sa couche, de manière qu'on pouvait voir par-dessous. Je vis son âme, comme une petite figure lumineuse infiniment pure, sortir de son corps, les bras étendus, et s'élever sur la voie lumineuse qui montait jusqu'au ciel. Les deux choeurs d'anges qui étaient dans les nuées se réunirent au-dessous de son âme et la séparèrent du corps, qui, au moment de cette séparation, retomba sur la couche, les bras croisés sur la poitrine. Mon regard, suivant l'âme de Marie, la vit entrer dans la Jérusalem céleste, et arriver jusqu'au trône de la très sainte Trinité. Je vis un grand nombre d'âmes, parmi lesquelles je reconnus plusieurs patriarches, ainsi que Joachim, Anne, Joseph, Elisabeth, Zacharie et Jean-Baptiste, aller à sa rencontre avec une joie respectueuse. Elle prit son essor à travers eux tous jusqu'au trône de Dieu et de son Fils, qui, faisant éclater au-dessus de tout le reste la lumière qui sortait de ses blessures, la reçut avec un amour tout divin, lui présenta comme un sceptre et lui montra la terre au-dessous d'elle comme s'il lui conférait un pouvoir particulier. Je la vis ainsi entrer dans la gloire, et j'oubliai tout ce qui se montrait autour d'elle sur la terre. Quelques-uns des apôtres, notamment Jean et Pierre, durent voir tout cela, car ils avaient les yeux levés au ciel. Les autres étaient pour la plupart prosternés vers la terre. Tout était plein de lumière et de splendeur. C'était comme lors de l'ascension de Jésus-Christ.

Je vis, ce qui me réjouit beaucoup, un grand nombre d'âmes délivrées du purgatoire suivre l'âme de Marie quand elle entra dans le ciel. Aujourd'hui aussi, au jour de la commémoration qu'en fait l'Église, je vis entrer au ciel beaucoup de ces pauvres âmes, parmi lesquelles plusieurs que Je connaissais. Je reçus l'assurance consolante que, tous les ans, le jour anniversaire de la mort de Marie, beaucoup d'âmes de ceux qui lui ont rendu un culte particulier participent aux effets de cette grâce.

Quand je regardai de nouveau sur la terre, je vis le corps de la sainte Vierge resplendissant. Il reposait sur sa couche, je visage rayonnant, les yeux fermés, les bras croisés sur la poitrine Les apôtres, les disciples et les saintes femmes étaient agenouillés autour et priaient. Pendant que je regardais tout cela, il y avait dans toute la nature un concert harmonieux et une émotion semblable à celle que j'avais aperçue pendant la nuit de Noël. Je connus que l'heure de sa mort avait été la neuvième heure, comme celle de la mort du Sauveur.

XIII
Préparatifs de la sépulture de Marie.
Ses obsèques.

Les femmes étendirent une couverture sur le saint corps, et les apôtres avec les disciples se retirèrent dans la partie antérieure de la maison. Le feu du foyer fut éteint ; tout le mobilier de la maison fut mis de côté et recouvert. Les femmes s'enveloppèrent dans leurs vêtements et se voilèrent. Elles s'assirent par terre dans la chambre de Marie, et, tantôt assises, tantôt agenouillées, elles chantèrent des lamentations funèbres. Les hommes s'enveloppèrent la tête avec la bande d'étoffe qu'ils portaient autour du cou, et célébrèrent un service funéraire. Il y en avait toujours deux qui priaient alternativement agenouillés près de la tête et des pieds du saint corps. Mathias et André allèrent, par le chemin de la Croix de la sainte Vierge, jusqu'à la dernière station, où était la grotte représentant le tombeau du Sauveur. Ils avaient avec eux des outils pour travailler à mieux disposer ce tombeau, car c'était là que le corps de Marie devait reposer. Le caveau funéraire n'était pas aussi spacieux que le tombeau de Notre Seigneur, et il était à peine assez élevé pour qu'un homme pût y entrer debout. Le terrain s'abaissait à l'entrée, après quoi l'on se trouvait devant le sépulcre comme devant un petit autel, au-dessus duquel la paroi du rocher formait une voûte. Les deux apôtres firent plusieurs arrangements dans l'intérieur, et disposèrent une porte qu'on mit devant le tombeau pour le fermer. On n'y avait pratiqué qu'une excavation capable de recevoir un corps enveloppé. Le sol était un peu exhaussé à l'endroit de la tête. Il y avait devant le caveau, comme devant le Saint Sépulcre, un petit jardin avec une enceinte. Non loin de là était la station du Calvaire, sur un monticule. On n'y avait pas élevé de croix, mais on en avait seulement gravé une sur la pierre. Il pouvait bien avoir une demi lieue de l'habitation de Marie jusque là.

J'ai vu quatre fois les apôtres se relayer pour veiller en priant auprès du corps de la sainte Vierge. Je vis aujourd'hui plusieurs femmes, parmi lesquelles je me rappelle une fille de Véronique et la mère de Jean Marc, venir faire les préparatifs nécessaires pour la sépulture. Elles apportaient du linge et des aromates pour embaumer le corps, suivant la coutume des Juifs. Elles avaient aussi apporté de petits vases où étaient des herbes encore fraîches. La maison était fermée ; elles travaillaient à la lumière des flambeaux. Les apôtres récitaient des prières dans la pièce antérieure, comme des religieux au choeur. Les femmes retirèrent de dessus la couche le saint corps avec tous ses vêtements et le placèrent dans une longue corbeille remplie de grosses couvertures et de nattes, de sorte qu'il était élevé par-dessus cette corbeille. Alors deux femmes tinrent un grand drap étendu au-dessus du corps, et deux autres le déshabillèrent sous ce drap, ne lui laissant que sa longue tunique de laine. Elles coupèrent les belles boucles de cheveux de la sainte Vierge pour les conserver comme souvenir. Je vis ensuite ces deux femmes laver le saint corps : elles avaient dans les mains quelque chose qui ressemblait à des éponges ; la longue tunique qui recouvrait le corps était décousue. Elles s'acquittèrent de ce soin avec une crainte respectueuse ; elles lavèrent le corps sous le drap qui était étendu par-dessus sans le regarder, car la couverture les empêchait de le voir. Toutes les places que l'éponge avait touchées étaient aussitôt recouvertes ; le milieu du corps resta voilé ; on n'en mit rien à nu. Une cinquième femme pressait les éponges au-dessus d'un bassin et les leur rendait de nouveau. Je les vis trois fois vider le bassin dans une fosse voisine de la maison et apporter de l'eau fraîche Le saint corps fut revêtu d'une nouvelle enveloppe ou verte, puis, à l'aide des linges placés dessous, on le déposa respectueusement sur une table où avaient été déjà rangés les draps mortuaires et les bandes dont on devait faire usage. Elles enveloppèrent alors le corps dans les linges, depuis la cheville des pieds jusqu'à la poitrine, et le serrèrent fortement avec des bandelettes. La tête, la poitrine, les mains et les pieds ne furent pas encore enveloppés ainsi.

Pendant ce temps, les apôtres avaient assisté au service solennel célébré par Pierre, et avaient reçu avec lui la sainte communion ; après quoi, je vis Pierre et Jean, encore revêtus de leurs grands manteaux pontificaux, se rendre près du saint corps. Jean portait un vase d'onguent ; Pierre y trempa le doigt de la main droite et oignit, en récitant des prières, le front, le milieu de la poitrine, les mains et les pieds de la sainte Vierge. Ce n'était pas là l'extrême-onction : elle l'avait reçue vivante encore. Je crois que c'était un honneur rendu au saint corps ; pareille chose avait eu lieu lors de la mise au tombeau du Sauveur. Lorsque les apôtres se furent retirés, les femmes continuèrent leurs préparatifs pour la sépulture. Elles placèrent des bouquets de myrrhe sous les bras et sur le creux de l'estomac ; elles en mirent entre les épaules, autour du cou, du menton et des joues ; les pieds aussi furent entourés de semblables paquets d'herbes aromatiques. Alors elles croisèrent les bras sur la poitrine, placèrent le saint corps dans le grand linceul, et l'y emmaillotèrent au moyen d'un bandage roulé tout autour. La tête était couverte d'un suaire transparent relevé sur le front, en sorte qu'on voyait je visage, avec sa blancheur éclatante, rayonner, pour ainsi dire, au milieu des touffes d'herbes qui l'entouraient. Elles déposèrent ensuite le saint corps dans le cercueil qui était à côté, comme un petit lit de repos : c'était comme une planche avec un bord peu élevé ; il y avait un couvercle convexe très léger. On mit sur sa poitrine une couronne de fleurs blanches, rouges et bleu céleste, comme symbole de la virginité. Alors les apôtres, les disciples et tous les assistants, entrèrent pour voir encore une fois ce saint visage, qui leur était si cher, avant qu'il ne fût voilé. Ils s'agenouillèrent en pleurant autour de la sainte Vierge, touchèrent ses mains enveloppées sur sa poitrine, comme pour prendre congé d'elle, et se retirèrent. Les saintes femmes aussi lui firent leurs derniers adieux, lui recouvrirent je visage, et placèrent le couvercle sur le cercueil, autour duquel elles attachèrent des bandes d'étoffe grise au centre et aux deux extrémités. Je vis ensuite placer le cercueil sur une civière ; puis, Pierre et Jean le portèrent hors de la maison sur leurs épaules. Je crois qu'ils se relayèrent successivement, car je vis plus tard le cercueil porté par six apôtres : Jacques le Majeur et Jacques le Mineur étaient devant, André et Barthélémy au milieu, Thaddée et Mathias derrière. Les bâtons devaient être passés dans une natte ou une lanière de cuir, car je vis le cercueil balancé au milieu d'eux comme dans un berceau. Une partie des apôtres et des disciples présents marchaient en avant, d'autres suivaient avec les femmes. Le jour tombait déjà, et on portait autour du cercueil quatre flambeaux sur des bâtons. Le cortège se rendit ainsi, en passant par le chemin de la Croix, à la dernière station, et il arriva à l'entrée du tombeau. Ils déposèrent le saint corps à terre, et quatre d'entre eux le portèrent dans le caveau et le placèrent dans l'excavation qui devait servir de couche sépulcrale. Tous les assistants y entrèrent un à un, jetèrent autour des aromates et des fleurs, et s'agenouillèrent en pleurant et en priant.

Ils étaient nombreux. La douleur et l'affliction les firent rester là longtemps, et il était tout à fait nuit quand les apôtres fermèrent l'entrée du tombeau. Ils creusèrent un fossé devant l'étroite entrée du caveau, et y plantèrent comme une haie formée de divers arbrisseaux, les uns en fleur, les autres couverts de baies ; qu'ils avaient transportés d'ailleurs avec leurs racines. On ne vit plus alors aucune trace de l'entrée. d'autant plus qu'ils détournèrent l'eau d'une source voisine pour la faire passer devant ce massif. Ils s'en retournèrent séparément et s'arrêtèrent encore ça et là, priant sur le chemin de la Croix ; quelques-uns restèrent à prier prés du tombeau. Ceux qui revenaient virent de loin une lumière extraordinaire au-dessus du tombeau de Marie, et ils en furent très émus, sans bien savoir ce que c'était. Je la vis aussi, et voici ce dont je me souviens parmi beaucoup d'autres choses. Il me sembla qu'une voie lumineuse descendait du ciel jusqu'au tombeau, et avec elle une forme brillante semblable à l'âme de Marie, accompagnée de la figure de Notre Seigneur. Le corps de Marie sortit resplendissant du tombeau, s'unit à son âme, et s'éleva vers le ciel avec l'apparition du Sauveur.

Je vis, dans la nuit, plusieurs apôtres et saintes femmes prier et chanter des cantiques dans le petit jardin qui était devant le tombeau. Une large voie lumineuse s'abaissai du ciel vers le rocher, et je vis s'y mouvoir une gloire formée de trois sphères pleines d'anges et d'âmes bienheureuses qui entouraient l'apparition de Notre Seigneur et de l'âme resplendissante de Marie. La figure de Jésus-Christ, avec des rayons partant de ses cicatrices, planait devant elle. Autour de l'âme de Marie, je vis, dans la sphère intérieure, de petites figures d'enfants ; dans la seconde, c'étaient comme des enfants de six ans, et, dans la sphère extérieure, comme des adolescents déjà grands. Je ne vis distinctement que les visages, tout le reste m'apparut comme des formes lumineuses resplendissantes. Quand cette apparition, devenant de plus en plus distincte, fut arrivée au rocher, je vis une voie lumineuse qui s'étendit depuis elle jusqu'à la Jérusalem céleste. Je vis alors l'âme de la sainte Vierge qui suivait la figure de Jésus descendre dans le tombeau à travers le rocher, et, bientôt après, unie à son corps transfiguré, en sortir plus distincte et plus brillante, et s'élever avec le Seigneur et le choeur des esprits bienheureux jusqu'à la Jérusalem céleste. Toute cette lumière s'y perdit, et je ne vis plus nu dessus de la terre que la voûte silencieuse du ciel étoilé.

Je ne sais pas si les apôtres et les saintes femmes qui priaient devant le tombeau virent aussi tout cela ; mais je les vis, frappés d'étonnement, regarder le ciel comme en adoration ou se prosterner je visage contre terre. J'en vis aussi quelques-uns qui revenaient avec la civière, priant et chantant des cantiques, et qui s'arrêtaient aux diverses stations du chemin de la Croix, se tourner avec une pieuse émotion vers la lumière qui brillait sur le tombeau.

XIV
Arrivée de Thomas.
Visite au tombeau de la sainte Vierge, qu'on trouve vide.
Départ des apôtres.

Les apôtres, étant revenus, prirent un peu de nourriture et allèrent se reposer. Ils dormaient hors de la maison dans des hangars. La servante de Marie, qui était restée à la maison pour faire des arrangements, et d'autres femmes qui l'avaient aidée, dormirent dans la pièce située derrière le foyer d'ou la servante avait tout enlevé pendant la mise au tombeau, de sorte qu'elle ressemblait à une petite chapelle où les apôtres, plus tard, prièrent et offrirent le saint sacrifice.

Ce soir, je vis encore les apôtres prier et pleurer dans la première pièce. Les femmes étaient allées se reposer. Je vis alors l'apôtre Thomas, en habits de voyage, arriver avec deux compagnons devant la porte de la maison et frapper pour se faire ouvrir. Il vint avec lui un disciple, appelé Jonathan, qui était parent de la sainte Famille. Son autre compagnon était un homme très simple, du pays où habitait le plus éloigné des trois rois, et que j'appelle toujours Partherme, parce que je ne sais pas retenir exactement les noms. Thomas l'avait emmené de là avec lui, et il était à son égard comme le plus docile des serviteurs.

Elle reconnut ce disciple par une relique de lui qui se trouvait près d'elle sans désignation de celui auquel elle appartenait. Elle dit de lui, le 26 juillet 1821 : Jonathan ou Jonadab était de la tribu de Benjamin et des environs de Samarie. Il fut tour à tour près de saint Pierre, près de saint Paul, qui le trouvait trop lent, et de saint Jean. Il vint de fort loin avec saint Thomas pour assister à la mort de Marie.

Un disciple ouvrit la porte ; Thomas entra avec Jonathan dans la salle où étaient les apôtres, et dit à son serviteur de rester assis devant la porte. Ce digne homme faisait tout ce qu'on lui ordonnait : il s'assit tranquillement. Combien ils furent affligés en apprenant qu'ils arrivaient trop tard ! Les disciples leur lavèrent les pieds et leur présentèrent quelques rafraîchissements. Pendant ce temps les femmes s'étaient levées, et, quand elles se furent retirées, on conduisit Thomas et Jonathan à la place où la sainte Vierge était morte. Ils se prosternèrent et arrosèrent la terre de leurs larmes. Thomas pria encore longtemps, agenouillé devant le petit autel de Marie. Sa douleur était singulièrement touchante ; je pleure encore lorsque j'y pense. Quand les apôtres eurent terminé leurs prières, qu'ils n'avaient pas interrompues, tous allèrent souhaiter la bienvenue aux nouveaux arrivés. Ils firent relever Thomas et Jonathan qui étaient agenouillés, les embrassèrent et les conduisirent dans la salle antérieure de la maison, où ils leur donnèrent à manger du pain et du miel. Ils prièrent encore ensemble et s'embrassèrent les uns les autres.

Mais Thomas et Jonathan désiraient se rendre au tombeau de la sainte Vierge. Alors les apôtres allumèrent des flambeaux, qu'on assujettit à des perches, et allèrent avec eux au tombeau en passant par le chemin de la Croix. Ils parlaient peu, s'arrêtaient quelques moments aux pierres des stations, et méditaient sur la voie douloureuse du Sauveur et sur la compassion de sa Mère, qui avait élevé ces pierres commémoratives et les avait si souvent arrosées de ses larmes. Arrivés à la grotte du tombeau, ils s'agenouillèrent tous ; mais Thomas et Jonathan se précipitèrent vers l'entrée du caveau, et Jean les suivit. Deux disciples écartèrent les branches des arbrisseaux qui étaient devant la porte : ils entrèrent, et s'agenouillèrent avec une crainte respectueuse devant la couche sépulcrale de la sainte Vierge. Alors Jean s'approcha du cercueil, qui faisait un peu saillie au-dessus de la fosse, détacha les bandes qui l'entouraient, et enleva le couvercle. Puis ils approchèrent la lumière du cercueil, et furent saisis d'un profond étonnement lorsqu'ils ne virent devant eux que les linceuls vides, conservant encore la forme du saint corps. Ils étaient séparés à la place du visage et de la poitrine ; les bandelettes qui avaient entouré les bras étaient déliées, mais le corps glorifié de Marie n'était plus sur la terre. Ils levèrent les yeux et les bras vers le ciel comme s'ils eussent vu le saint corps enlevé à ce moment même, et Jean cria à l'entrée du caveau : " Venez et voyez, elle n'est plus ici ". Alors ils entrèrent deux par deux dans l'étroit caveau, et virent avec étonnement les linges vides étendus sous leurs yeux. Étant sortis, tous s'agenouillèrent à terre, regardèrent le ciel en levant les bras, prièrent, pleurèrent et louèrent le Seigneur et sa mère, leur chère et tendre mère, lui adressant, comme des enfants fidèles, les douces paroles d'amour que l'Esprit saint mettait sur leurs lèvres. Alors ils se souvinrent de cette nuée lumineuse qu'après les funérailles ils avaient vue descendre vers le tombeau et remonter au ciel. Jean retira respectueusement du cercueil les linceuls de la sainte Vierge, les plia, les roula, les prit avec lui ; puis il remit le couvercle et l'assujettit de nouveau avec les bandes d'étoffe. Ils quittèrent ensuite le caveau, dont l'entrée resta masquée par le massif de verdure. Priant et chantant des psaumes, ils revinrent à la maison par le chemin de la Croix ; puis ils se rendirent tous dans la pièce qu'avait habitée Marie. Jean déposa respectueusement les linceuls sur la petite table qui était devant l'oratoire de la sainte Vierge. Thomas et les autres prièrent encore à la place où elle avait rendu le dernier soupir. Pierre se retira à part comme pour méditer ; peut-être faisait-il sa préparation, car je vis ensuite dresser l'autel devant l'oratoire de Marie où était la croix, et Pierre célébrer un service solennel. Les autres, rangés derrière lui, priaient et chantaient alternativement. Les saintes femmes se tenaient plus en arrière prés des portes et de la partie postérieure du foyer.

Le serviteur de Thomas, cet homme si simple qui l'avait accompagné depuis la contrée lointaine où il avait été, avait un extérieur singulier. Il avait de petits yeux, le front comprimé, le nez épaté et les pommettes saillantes. Son teint était plus basané que celui des gens de ce pays. Il avait reçu le baptême ; du reste, il était comme un enfant ignorant et docile. Il faisait tout ce qu'on lui ordonnait, restait où on le plaçait, regardait ce qu'on lui montrait, et souriait à tout le monde. Il restait assis là où Thomas lui avait dit de s'asseoir ; et quand il voyait pleurer Thomas, il pleurait aussi. Cet homme resta toujours avec Thomas ; il pouvait porter de lourds fardeaux, et je l'ai vu soulever des pierres énormes quand Thomas construisit une chapelle.

Après la mort de la sainte Vierge, je vis souvent les apôtres et les disciples se réunir et se raconter mutuellement leurs voyages et ce qui leur était arrivé. J'ai entendu tout ce qu'ils disaient ; cela me reviendra en mémoire, si c'est la volonté de Dieu.

(Le 20 août 1800 et 1821.)

Après divers exercices de dévotion, les disciples présents se firent leurs adieux presque tous et retournèrent à leurs travaux. Il n'y avait plus dans la maison que les apôtres, Jonathan et le serviteur de Thomas. Mais ils devaient tous partir quand ils auraient terminé leur travail. Ils travaillaient tous à enlever les mauvaises herbes et les pierres sur le chemin de la Croix de Marie, et à l'orner convenablement avec de beaux arbrisseaux, des plantes et des fleurs de toute espèce. Ils firent tout cela en priant et en chantant des cantiques ; on ne peut exprimer combien cela était touchant à voir. C'était comme un service divin célébré par l'amour en deuil : c'était à la fois imposant et aimable. Ils ornaient, comme des enfants affectueux, la trace des pas de leur mère, qui était aussi la mère de leur Dieu, la trace des pas avec lesquels elle avait mesuré, pleine d'une pieuse compassion, la voie douloureuse qu'avait suivie son divin Fils en allant à la mort pour nous racheter.

Ils fermèrent entièrement l'entrée du tombeau de Marie, en tassant fortement la terre autour des arbrisseaux qu'ils avaient plantés devant. Ils nettoyèrent et ornèrent le jardin qui était en avant du tombeau, creusèrent un chemin sur le derrière du monticule qui le surmontait jusqu'à la paroi postérieure du caveau, et pratiquèrent une ouverture dans le rocher pour qu'on pût voir la couche sépulcrale où avait reposé le corps de la très sainte Mère que le Rédempteur mourant sur la croix avait léguée à eux tous et à l'Église dans la personne de Jean. Ah ! c'étaient des enfants reconnaissants, fidèles au quatrième commandement ; ils vivront longtemps sur la terre, eux et leur amour ! ils érigèrent aussi une espèce de chapelle, en forme de tente, au-dessus du tombeau. Ils y tendirent une tente formée de tapis, qu'ils entourèrent et couvrirent avec des claies en branches tressées. Ils y élevèrent un petit autel, formé d'une large table de pierre supportée par une autre pierre. Derrière cet autel ils suspendirent une tapisserie sur laquelle une image de la sainte Vierge, d'un travail fort simple, était brodée ou tissée. Elle était représentée dans son habit de fête, et l'on avait employé pour cela différentes couleurs, brune, bleue et rouge. Quand tout cela fut fini, il y eut là un service où tous prièrent agenouillés et les mains levées vers le ciel. La pièce qu'avait habitée Marie dans la maison fut érigée en église. La servante de Marie et quelques autres femmes continuèrent à y résider, et on laissa deux disciples, dont l'un avait été berger au delà du Jourdain, pour donner les secours spirituels aux fidèles qui habitaient alentour. Bientôt après, les apôtres se séparèrent. Barthélémy, Simon, Thaddée, Philippe et Matthieu partirent les premiers pour se rendre aux lieux où ils avaient à exercer leur ministère, après avoir fait à leurs frères de touchants adieux. Les autres, à l'exception de Jean qui resta encore quelque temps, partirent ensemble pour la Palestine, où ils se séparèrent de nouveau. Il y avait là plusieurs disciples ; quelques femmes partirent aussi en même temps d'Éphèse pour Jérusalem. Marie, mère de Marc, fit beaucoup pour les fidèles qui se trouvaient dans ce pays. Elle avait fondé une communauté d'environ vingt femmes, qui menaient à quelques égards la vie religieuse: cinq d'entre elles habitaient près d'elle dans sa maison. Les disciples s'y rassemblaient habituellement. La communauté chrétienne possédait encore l'église voisine de la piscine de Bethesda, etc.

(Le 22 août)

Jean seul est encore dans la maison. Tous les autres sont partis. J'ai vu Jean, conformément à la volonté de la sainte Vierge, distribuer ses vêtements à sa servante et à une autre femme qui venait souvent l'aider. Il s'y trouvait quelques objets venant des trois rois. Je vis deux longs vêtements blancs, plusieurs voiles, des couvertures et des tapis. Je vis aussi ce vêtement de dessus rave qu'elle avait porté à Cana et sur le chemin de la Croix, et dont je possède une petite parcelle. Il en vint quelque chose à l'Église. Ainsi l'on fit un ornement sacerdotal pour l'Eglise de Bethesda avec la belle robe nuptiale bleu céleste, parfilée d'or et semée de roses. Il y en a encore des reliques à Rome. Je les vois, mais je ne sais pas si on les connaît. Marie a porté cet habit lorsqu'elle était fiancée, mais elle ne le mit jamais depuis.

Toutes ces choses se faisaient silencieusement et comme en secret, mais sans qu'il y eût rien de cet empressement inquiet si commun de nos jours. La persécution n'avait pas encore donné naissance à l'espionnage, et la paix n'était pas troublée.

    

 

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