Anne Catherine Emmerich
bienheureuse et mystique
1774-1824

VISIONS

TOME 5

TABLE

AVANT PROPOS DE L'ÉDITEUR

INTRODUCTION

I

II

III

IV

V

VOLUME 5

CHAPITRE I

Voyage de Jésus à Chypre. - Son séjour à Salamine.

CHAPITRE II

Jésus visite les villes de Chytrus et de Mallep, ainsi que leurs environs.

CHAPITRE III

LA FÊTE DE LA PENTECÔTE

Dernier temps du séjour de Jésus dans l'île de Chypre.

CHAPITRE IV

Départ de l'île de Chypre et arrivée en Palestine.

CHAPITRE V

Jésus à Capharnaum et à Cana

CHAPITRE VI

 Jésus quitte la Galilée et enseigne dans la Pérée.

CHAPITRE VII

Jésus à Bethabara

CHAPITRE VIII

Séjour à Cédar et à Sichar-Cédar

CHAPITRE IX

Séjour de Jésus dans le pays des trois Rois.


 

 

 

 

 

AVANT PROPOS DE L'ÉDITEUR

La publication des Visions sur la vie de notre divin Sauveur se trouve complétée par les deux présents volumes. Si la propagation rapide de l'oeuvre peut être considérée comme prouvant la sympathie avec laquelle elle a été accueillie partout, il faut reconnaître que cette sympathie a été très grande, car dans l'espace d'un an, trois mille et quelques cents exemplaires des deux premières parties ont été écoulées, et il y a déjà quelques semaines qu'on a publie la première traduction française.

La troisième partie aurait paru plus tôt si l'éditeur n'avait longtemps délibéré et demandé l'avis de plusieurs savants théologiens avant de se décider à la donner sans aucun retranchement et conforme de tous points à la rédaction primitive du Pèlerin. Il avait aussi réclamé comme jugement en dernier ressort, la décision de Mgr l'évêque de Limbourg, auquel il avait déjà soumis le manuscrit, il y a un an, en lui exposant tout au long les raisons pour et contre la publication. Cette décision a été que le livre devait paraître tel qu'on le présente au lecteur, c'est-à-dire reproduire avec une fidélité scrupuleuse la rédaction du Pèlerin. A ce livre pourra succéder bientôt la biographie circonstanciée de la pieuse Anne Catherine, pour laquelle l'éditeur a entre les mains de si riches matériaux qu'il est en mesure de donner sur toutes les grâces extraordinaires qu'elle a reçues, un exposé conforme à ce qu'exigent les règles de l'Église en Pareil cas. Jusque-là il ne peut être question de jugement définitif sur le plus ou moins de valeur de ce que renferme le présent ouvrage. L'éditeur s'en réfère Par avance à la biographie de la voyante, comme a son dernier mot, et il laisse en attendant le champ libre à la critique, qu'elle veuille ou ne veuille pas s'occuper du livre. Chacune des visions qui y sont contenues, a raison de leur liaison intime avec l'ensemble de la tâche assignée à Anne Catherine, est comme un chapitre de sa vie ; on ne peut donc les apprécier complètement quant a leur signification et à leur origine, si l'on n'a étudié le mystère de cette vie merveilleuse.

Il y a des points qui peuvent susciter la contradiction par la nouveauté ou par certaines obscurités : l'introduction a essayé de les placer dans leur vrai jour.

Le désir souvent exprimé d'avoir une carte de la Terre sainte qui reproduisît fidèlement, d'après les données des Visions, les contrées parcourues par le Seigneur dans ses voyages et tout le théâtre de ses travaux évangéliques, sera satisfait dans un bref délai. Une carte de ce genre, dont l'exécution a été confiée à une main habile, sera bientôt terminée et elle sera publiée à la même librairie que l'ouvrage entier.

Fête de sainte Agnès, 1860.

L'EDITEUR.

INTRODUCTION

I

Ce ne fut pas par un enchaînement de circonstances fortuites, mais bien par une disposition de la divine Providence, que la première publication des visions de la pieuse Anne Catherine Emmerich tomba dans un temps où les attaques des hétérodoxes contre l'Écriture sainte et la filiation divine de Jésus-Christ étaient arrivées à leur apogée, où, par un étalage spécieux d'érudition, et plus encore par une audace jusqu'alors inconnue qui trouvait dans la terminologie d'Hégel sa plus haute expression, elles avaient intimidé et paralysé, pour ainsi dire, ceux qui étaient appelés à défendre la vérité sur le terrain de la science. En outre, l'influence du rationalisme vulgaire qui avait régné dans la période précédente, quoiqu'elle eût déjà perdu de sa force, se faisait pourtant encore tellement sentir que, même parmi les productions de la littérature religieuse, la plupart se laissaient aller à des erreurs grossières, ou se perdaient dans un vain et stérile partage, ce qui, nécessairement, leur enlevait toute action vraiment efficace Ce fut alors, deux ans avant le trop fameux livre de David Strauss, que parut la Douloureuse Passion, où cette époque desséchée vit apparaître le divin Sauveur sous des traits si vivants, qu'un nombre d'âmes toujours croissant vint se réchauffer devant la figure consolatrice et sanctifiante, si magnifiquement esquissée par le Pèlerin d'après les traits fournis par la pieuse fille. Aucun livre n'a fait son chemin dans le monde avec aussi peu de bruit et aussi rapidement que la Douloureuse Passion qui, traduite en plusieurs langues vivantes sous les yeux ou même avec l'approbation expresse de l'épiscopat (comme dans quelques diocèses des États de l'Église), est devenue un livre à l'usage de tous les chrétiens.

Un des plus pieux prélats de ce siècle, Michel Wittmann, évêque de Ratisbonne, avait, peu d'heures avant sa sainte mort, instamment pressé le Pèlerin de faire profiter l'universalité des fidèles des grâces insignes accordées par Dieu à sa fidèle servante. "O mon très cher ami, travaillez fidèlement, travaillez avec persévérance pour la gloire de Jésus-Christ ! travaillez toujours et soyez inébranlable"! disait l'évêque mourant en donnant sa bénédiction au Pèlerin; à ce moment suprême, il le félicitait devant témoins d'avoir recueilli les visions d'Anne Catherine que, "dès leur première rencontre, il l'avait déjà conjuré de publier".

Et si c'est aujourd'hui seulement que le produit le plus considérable et le plus important de la tâche douloureuse imposée à la voyante peut paraître au jour de la publicité, cela même n'est peut-être pas un pur effet du hasard : car les jours où nous vivons sont si tristes, et l'avenir le plus prochain se montre à nous si menaçant que ce livre, digne de respect par son origine comme par ce qu'il contient, apparaît comme un gage consolateur pour relever le courage de bien des âmes ; mais il faut y voir en outre une exhortation à réparer à l'égard du Fils de Dieu fait homme, que les Visions nous représentent d'une manière si saisissante dans les fatigues et les abaissements infinis de sa tâche journalière sur la terre, les outrages que le monde, aujourd'hui plus que jamais, lui rend en échange de ses miséricordes.

Les récits contenus dans les présents volumes ne semblent pas d'abord, il est vrai, présenter, comme le livre de la Douloureuse Passion, un ensemble sorti d'un seul jet, ils ne produisent pas, comme lui, l'impression d'une oeuvre également achevée dans toutes ses parties ; il y a toutefois un caractère fondamental et essentiel qu'on retrouve au même degré dans toutes les scènes qu'ils font passer sous nos yeux : c'est la manifestation constante et progressive du mystère de la Rédemption, telle qu'elle a été opérée par Jésus- Christ dans la plénitude des temps, c'est-à-dire comme terme et accomplissement de l'ancienne loi et comme fondation et organisation de la sainte Église. Et c'est là si exclusivement l'objet des Visions, qu'elles ne présentent rien qui y soit étranger ou qui aille à l'encontre, tandis qu'au contraire tout y tire sa naissance et son développement d'une seule et même racine, que chaque partie suppose les autres et y trouve son complément et son explication. Ainsi tous les fragments qui, pris à part, paraissent souvent si insignifiants et si décousus, forment par leur réunion un ensemble plein de vie : grâce au lien intérieur qui les unit, ils présentent un caractère d'unité bien surprenant, quand on pense que ces Visions ont été racontées à bâtons rompus et comme au hasard, au milieu d'empêchements, d'interruptions et de dérangements de toute nature, et que le Pèlerin, en les mettant par écrit, voyait la plupart du temps son attente contrariée, parce que très souvent il entendait dire tout autre chose que ce qu'il s'était imaginé à l'avance. Mais cela même est une preuve toute spéciale de leur vérité et de l'illumination de la grâce dont elles proviennent : car si elles étaient le produit d'une combinaison tout humaine ou de l'imagination inventive du Pèlerin, elles devraient porter l'empreinte de cette origine, tandis qu'elles prouvent seulement, dans tous leurs détails, combien toutes les circonstances extérieures au milieu desquelles vivait la pieuse fille et les souffrances continuelles qui étaient sa mission sur la terre rendaient impossible, soit à elle-même, soit au Pèlerin, de se livrer à des contemplations religieuses ou poétiques et d'arriver par cette voie à des résultats aussi merveilleux et aussi remarquables par leur sens profond que ceux qui se trouvent sous nos yeux. Souvent la Soeur, brisée par ses souffrances, ne pouvait rendre compte de ce qu'elle avait vu que pendant un temps très court, et le récit même ne lui était possible qu'autant que l'ordre de son confesseur lui donnait la force dont elle avait besoin pour cela ' : le Pèlerin de son côté était alors forcé d'attendre des heures entières avant de pouvoir s'approcher du lit de la malade et la faire raconter ce qu'elle avait vu. Comment, dans de pareilles circonstances, aurait-on pu arriver à un résultat, si une sagesse supérieure n'avait veillé sur l'extatique, et parmi tant de choses que la contemplation faisait passer devant son âme, n'eût conservé présent à sa mémoire, malgré tant d'obstacles apportés par les embarras extérieurs et par l'intervention maladroite d'un entourage à l'esprit faible et borné, tout ce qui devait être sauvé de l'oubli pour l'édification et l'utilité générales ? Voilà pourquoi, même dans ce qui parait le moins lié et le plus décousu, dans les narrations les plus courtes et les plus nues, dans les tableaux les plus remplis de lacunes, tout est animé d'un seul et même esprit. Jamais le lecteur ne rencontre rien qu'on puisse qualifier de combinaison ingénieuse ou d'arrangement artificiel : il a toujours sous les yeux les impressions naïves d'une âme privilégiée, présentées sous une forme dégagée de toute prétention littéraire et sans autre caractère que celui de la simplicité la plus parfaite et de la plus entière sincérité. Le Pèlerin s'est si complètement oublié lui-même, que lui, le plus original des poètes, le plus richement doué sous le rapport de l'imagination, a voulu être l'organe d'une âme d'enfant et n'employer son art et son incomparable talent qu'à ne jamais parler son propre langage, mais seulement celui de la pieuse fille.

Cette circonstance, si décisive quant à la réalité du don de contemplation surnaturelle, qu'Anne Catherine ne pouvait communiquer ses Visions sur la vie de Jésus, qu'autant que son confesseur lui en donnait la permission et par là même la possibilité, est l'objet d'une discussion plus étendue dans l'appendice qui vient après le chapitre VI du présent volume.

Les Visions ne se bornent pas à exposer l'histoire de notre salut considéré dans son principe intime, ainsi que dans la manière dont il a été préparé et accompli : le théâtre des travaux du Sauveur, les traits caractéristiques de l'époque et du pays, les particularités de la vie domestique et sociale y sont décrits comme d'après nature ; ces descriptions sont vivantes et comme celles d'un témoin oculaire qui rend les impressions qu'il vient de recevoir avec autant de simplicité et de spontanéité qu'il les a reçues. C'est pourquoi les renseignements donnés par les Visions ne sont pas moins précieux pour l'intelligence de l'histoire sainte et pour la connaissance de la Terre sainte que les fouilles de Pompéi pour la connaissance de l'antiquité profane. Si la rédaction des Visions n'était qu'un arrangement calculé pour donner cours aux inventions du Pèlerin, la fraude serait plus difficile à cacher ici que dans le récit même des faits évangéliques : mais où y a-t-il une ligne, où y a-t-il un trait qui trahisse autre chose que l'impression directe du témoin oculaire ?

II

Il a été déjà dit quelque chose du lien intime qui existe entre les Visions et leur objet, ce qui fait qu'elles se développent d'elles-mêmes et comme nécessairement avec lui, indépendamment de la manière dont elles sont communiquées par la voyante et transcrites par le Pèlerin. Il faut revenir sur ce sujet à propos de certains points qui peuvent offrir quelque obscurité, mais qui, en y regardant de plus près, font reconnaître encore plus clairement la profonde doctrine théologique qui sert de base aux Visions.

Ici se place en première ligne ce qui est rapporté dans le présent volume, touchant le caractère du baptême conféré par les apôtres jusqu'au moment de la Passion, et son rapport avec le baptême postérieur à la descente du Saint Esprit. Dans l'introduction à la seconde partie on a donné des éclaircissements sur ce que disent les Visions du baptême de Jean et de ce qui le distingue du baptême des apôtres. Ce dernier ne se présentait pas encore avec tout ce qui constitue un sacrement agissant ex opere operato ; mais à raison de la similitude de la matière et de la forme, il se trouvait nécessairement dans un rapport intime avec le baptême sacramentel administré postérieurement à la Pentecôte. La même question se représente dans le présent volume, toutefois avec ce progrès essentiel, que cette fois on montre comment le baptême que les apôtres donnaient par ordre de Jésus-Christ devait plus tard acquérir de lui-même ce qui lui manquait pour être sacrement complet; et cela par l'effet de la Passion, c'est-à-dire par l'accomplissement de l'oeuvre de la Rédemption dans le sacrifice sanglant de l'Agneau de Dieu sur le bois de la croix; dès lors tous les effets du sacrement agissant ex opere operato se produisaient dans les baptisés, sans qu'ils eussent besoin d'un nouveau baptême ou d'aucune nouvelle cérémonie sacramentelle, pourvu qu'ils persévérassent dans la foi de Jésus-Christ et qu'ils ne se scandalisassent pas de ses abaissements et de sa mort jusqu'à se séparer de lui.

Il n'est pas difficile de reconnaître que les Visions, en présentant ainsi la chose, s'accordent avec la manière de voir des saints Pères et des théologiens. Suivant l'enseignement commun de ceux-ci, chaque acte particulier accompli dans le temps par le Sauveur avait un caractère infini par essence, considéré en lui-même ; il était suffisant pour expier surabondamment tous les péchés du genre humain, toute la dette de l'humanité, et pour lui mériter des grâces infinies : mais d'après les décrets éternels de Dieu, l'oeuvre de la Rédemption ne devait trouver son achèvement que dans la mort sanglante de la croix, à laquelle conséquemment se rapportait comme à son complément définitif chaque acte particulier du Rédempteur Cette économie devait évidemment se reproduire en ce qui touche les sacrements, dans lesquels le Seigneur voulait déposer les fruits de sa Passion pour les appliquer avec une égale efficacité aux hommes de tous les temps. Avant la Passion, il ne pouvait donc pas y avoir de sacrement qui contînt déjà en lui-même les effets de la Passion consommée : quand le Sauveur, s'étant manifesté dans la chair et ayant commencé à opérer l'accomplissement de la promesse, faisait donner le baptême par ses apôtres, ce baptême devait être au-dessus des sacrements de l'ancienne alliance autant que le Christ lui-même était au-dessus des figures et des prophéties : cependant il ne pouvait pas conférer la plénitude de la grâce. Donc ce baptême ne conférait pas encore le caractère ineffaçable, il n'opérait pas la configuration avec le Seigneur, par laquelle le baptisé devient membre de son corps mystique, non plus que la rénovation complète de l'homme intérieur en le revêtant de Jésus-Christ, car tout cela ne fut mérité que par la Passion : mais il donnait le droit à recevoir ce complément, déposait dans l'âme la disposition ou la capacité surnaturelle de recevoir la plénitude de la grâce du baptême quand l'oeuvre de la Rédemption serait accomplie en fait, sans qu'il y eut besoin d'une nouvelle administration du sacrement. En d'autres termes, le sacrement conféré comme inchoamentum acquérait plus tard par lui-même qui lui manquait pour être sacrement complet, parce que le Sauveur, comme maître et instituteur des sacrements, avait donné à ses apôtres la mission de baptiser, avec l'intention que l'opération de ce baptême fût dans le même rapport intime et nécessaire avec sa Passion que chacun des autres actes par lesquels il avait satisfait et mérité pour nous, et trouvât également en elle son complément. Il résultait naturellement de là qu'au jour de la Pentecôte ceux-là seulement devaient recevoir le baptême à la piscine de Bethesda, qui avaient reçu le baptême de Jean, et qu'aucun de ceux que les apôtres avaient baptisés ne devait se trouver parmi eux.

Mais quel baptême reçurent donc les saints apôtres eux-mêmes, eux qui avant de s'attacher au Seigneur et d'être appelés à l'apostolat n'avaient aussi reçu que le baptême de Jean, lequel avait été suffisant jusqu'au moment où le Seigneur as ait fait du baptême sacramentel un précepte obligatoire pour tous, sans en excepter personne. Ils furent baptisés par le Seigneur lui-même, non toutefois du baptême d'eau, mais du baptême de feu du Saint Esprit, qu'il fit descendre sur eux sous forme visible après son Ascension. Il convenait que les apôtres fussent ainsi privilégiés, à raison de la dignité et de la position spéciale à laquelle eux seuls avaient été appelés vis-à-vis du Rédempteur et en lui vis-à-vis de l'Église tout entière. Ils étaient les seuls qui eussent tout reçu du Seigneur sans intermédiaire et à un degré incomparablement plus élevé que tous les autres saints de l'Église, la très sainte Vierge exceptée. De même qu'il les avait immédiatement appelés à l'apostolat pour qu'ils pussent recueillir de sa bouche et transmettre à l'Église la plénitude des vérités du salut, de même il leur conféra directement lui-même tous les pouvoirs et tous les degrés du sacerdoce afin que l'Église les reçût par leur intermédiaire. Il était donc conforme à cet ordre mystérieux que la plénitude des grâces qui sont distribuées dans l'Église par les sacrements du baptême et de la confirmation, fût conférée directement par le Seigneur aux apôtres aussi bien que les effets des autres sacrements, et que par conséquent, ils ne fussent pas baptisés dans l'eau, mais dans le Saint Esprit, comme leur Maître et Seigneur le leur avait promis avant de retourner à son Père. (Act. I, 15.)

III

Il est aussi question dans les Visions, d'un baptême des morts (t. V, ch. IV), en ce sens que les effets du sacrement de baptême pouvaient être appliqués à certains défunts par l'intermédiaire des survivants. Il s'agit des âmes de ceux qui étaient décédés avant la promulgation de la loi nouvelle, non dans l'état de disgrâce absolue et de réprobation, mais cependant dans un état trop imparfait pour être admis à attendre dans le sein d'Abraham la descente aux limbes du Rédempteur qui devait leur ouvrir les portes de la béatitude. Ils étaient donc renfermés dans le Purgatoire ou dans la prison dont parle saint Pierre (I Petr. III, 19-20) où ils furent éclairés, soulagés et consolés, mais non délivrés par le Sauveur lors de sa descente aux enfers ; ils furent seulement soumis à l'influence de sa sainte Église sur la terre et mis en communion avec elle, afin d'arriver par là au salut complet et à la délivrance finale. Quoique le Seigneur leur eût annoncé l'accomplissement de toutes les promesses et la consommation de l'oeuvre sainte de la Rédemption, quoiqu'il eût communiqué la pleine connaissance des vérités de la foi, même à ceux qui avaient été longtemps incrédules, leur pénitence devait pourtant se prolonger encore et la dernière grâce ne leur avait pas été donnée. En effet, tous les défunts qui n'étaient pas réprouvés avaient part aux promesses faites par Dieu à l'ancienne Église et aux avantages attachés à tout ce qu'il avait établi alors pour le salut des hommes ; ils avaient droit à l'accomplissement de ces promesses et par là même à la vision de Dieu ; mais devaient-ils être mis en possession de ce droit par le Seigneur lui-même agissant sans intermédiaire, ou par la médiation de la nouvelle Église ? Cela dépendait de l'arrêt de la justice divine d'après lequel ils étaient placés, soit dans le sein d'Abraham pour y attendre sans souffrance la venue du Sauveur, soit dans le lieu de purification pour y faire pénitence et y expier leurs fautes pendant un intervalle de temps connu de Dieu seul. Avant que le Sauveur sur la terre eût, par l'effusion de son sang précieux, payé pour tous les hommes le prix de leur rédemption, les âmes qui étaient dans le sein d'Abraham ne pouvaient pas non plus acquérir le caractère ou la dignité et la beauté inexprimables attachées à la qualité d'enfants de Dieu ; elles ne pouvaient pas encore être transformées à l'image du Dieu fait homme, ni en général posséder tous les dons, tous les honneurs que le sacrement de baptême confère à un vivant et au moyen desquels il lui ouvre l'accès du ciel et lui donne le droit à la gloire.

Les Visions contenues dans ces deux derniers volumes racontent à plusieurs reprises et très clairement de quelle manière le Sauveur appliqua tout cela aux âmes qui l'attendaient dans le sein d'Abraham: elles indiquent aussi suffisamment comment les effets du sacrement de baptême pouvaient être communiqués aux âmes du purgatoire par l'intermédiaire des survivants. Cela se faisait en vertu de la règle générale d'après laquelle les fidèles peuvent secourir les morts, seulement dans ce cas il fallait une intention particulière du Seigneur trouvant bon que les effets d'un sacrement pussent être appliqués aux morts eux-mêmes par le mérite des bonnes oeuvres des survivants.

Lors donc que l'apôtre saint Paul, dans sa première épître aux Corinthiens (XV, 29) parle de ceux " qui se font baptiser pour les morts ", ce passage trouve une explication satisfaisante dans les Visions, lesquelles nous apprennent que la réception du baptême faisait naître chez plusieurs la pensée de recevoir le sacrement, non seulement pour eux-mêmes, mais encore pour tel ou tel défunt et qu'ils priaient Dieu instamment de lui en appliquer aussi les effets, en tant qu'il était capable d'y avoir part. Peut-être que dans ce cas, à l'administration du baptême s'ajoutaient certaines pratiques ou certaines cérémonies qui lui faisaient alors donner le nom de " baptême pour les morts. "On ne doit pas s'étonner qu'il règne tant d'obscurité sur ce qui touche ce baptême et que dès les temps les plus anciens les paroles de l'apôtre eussent déjà reçu des interprétations si diverses ; car tous ceux qui mouraient après la promulgation de la nouvelle loi n'étaient plus susceptibles de recevoir par intermédiaire l'application de la grâce du baptême, et par conséquent le baptême pour les morts ne devait pas tarder à tomber en désuétude.

Ce fut à la dernière fête de la Pentecôte célébrée par le Seigneur dans l'île de Chypre, qu'il parla du baptême des morts en présence des païens, et leur promit qu'eux aussi, dès qu'ils auraient reçu le plein effet du baptême, pourraient appliquer aux morts la grâce du sacrement. Il suffisait aux Gentils, pour être sauvés, de croire en Dieu comme souverain maître et créateur du monde et comme rémunérateur du bien et du mal. Cette foi impliquait la foi au Fils par lequel le Père juge et récompense, et ils pouvaient ainsi, par les mérites de Jésus-Christ, obtenir les grâces nécessaires pour pouvoir accomplir la loi morale naturelle et opérer par là leur salut, lors même qu'ils n'avaient été ni pendant leur vie ni au moment de leur mort en communion avec l'Église de l'ancienne alliance. Parmi les plus anciens témoignages touchant le baptême des morts, nous citerons celui de Tertullien, qui, dans son écrit de Resurrectione carnis, cap. XLVIII, s'exprime ainsi à l'occasion du passage déjà mentionné de saint Paul : " Si autem et baptizantur quidam pro mortuis, videbimus an ratione. Certe illa præsumptione hoc eos instituisse ille contendit, quia alli etialn carni vicarium baptisma profuturuTn existimarent ad spem resurrectionis, quæ nisi corporalls, non allas sic baptismate corporall obligaretur. Quid et ipsos baptizari, ait, si non quæ baptizantur corpora resurgant".

NOTE : Si quelques-uns se font baptiser pour les morts, il faut voir pour quelle raison. Certainement l'Apôtre soutient qu'ils en agissaient ainsi, parce qu'ils et croyaient à l'utilité du baptême, même conféré par représentation, dans l'attente de la résurrection, laquelle doit être corporelle pour que le baptême corporel puisse ainsi la garantir. " Pourquoi, dit-il, se feraient-ils baptiser, si les corps qui sont baptisés ne devaient pas ressusciter " ?

IV

Quelque surprenant que puisse sembler au premier abord ce que rapportent les Visions d'un voyage du Sauveur dans l'île de Chypre, elles fournissent cependant des données au moyen desquelles on peut apprécier cet incident, voir comment il se rattache à toute l'oeuvre de la Rédemption et se rendre compte du silence de la tradition à son sujet. La raison la plus profonde de ce voyage doit être cherchée dans la miséricorde surabondante de Dieu, qui a voulu donner à toutes ses promesses la forme d'un contrat dans lequel il a daigné s'imposer une obligation vis-à-vis des créatures, impuissantes et sans droits par elles mêmes, et leur conférer un droit en vertu de cet engagement.

L'ancienne théologie a déjà trouvé le caractère d'un contrat de ce genre dans le premier précepte donné à Adam dans le Paradis, pour qu'il se maintint, lui et sa postérité, dans l'état de sainteté et de justice originelles ; ce caractère se reproduit d'une manière de plus en plus marquée dans chacune des promesses divines : à mesure que le temps de l'accomplissement s'approche, Dieu règle plus immédiatement ce qui se rapporte à son exécution. Mais quoique la réalisation des promesses dépendit de la fidélité des hommes aux conditions qui leur étaient imposées, cependant l'amour miséricordieux du Seigneur ne retira pas la parole donnée, malgré leurs infidélités continuelles. La cause en était que dans le décret éternel de la Rédemption, le Fils de Dieu s'étant porté garant pour l'humanité, dont la dette devenait de jour en jour plus énorme, et en particulier pour les enfants d'Abraham, s'obligeait à présenter à la justice et à la sainteté de Dieu une satisfaction d'une valeur infinie pour chacune des violations de l'alliance conclue avec Dieu. Voilà pourquoi le Sauveur se soumit à la circoncision huit jours après sa naissance, non seulement afin de prendre sur lui l'obligation d'accomplir toute la loi et toutes ses prescriptions, mais encore pour assurer à tous ceux qui portaient sur leur corps ce signe de l'alliance faite avec Dieu le droit à l'accomplissement des promesses, et pour conserver ainsi au peuple d'Abraham, malgré ses nombreuses infidélités, le privilège qui lui avait été conféré, d'être " un royaume sacerdotal et un peuple saint ". (Exod., XIX, 6.)

Donc, quiconque est favorisé du signe de l'alliance et porte sur lui-même le gage de la promesse du salut, est recherché par le bon Pasteur pour être incorporé à son troupeau et prendre part à tous les bienfaits de la Rédemption. Ainsi le Sauveur, dès avant son baptême, alla visiter les familles juives qui vivaient dans les environs de Sidon et de Sarepta (tome I, page 156) ; plus tard, il alla dans la contrée d'Ornithopolis (tome IV, page 310), pour faire rentrer dans la communion de l'alliance une tribu égaré, puis enfin jusqu'en Chypre, où se trouvaient, depuis une époque très ancienne, des colonies juives qui, malgré leur extension' avaient conserve leur existence propre et étaient restées en relation avec le Temple de Jérusalem. Le Sauveur voulut leur annoncer en personne l'accomplissement de la promesse et ramener en Judée ceux qui croiraient en lui, parce que dans cette île aux moeurs licencieuses, où ils trouvaient trop facilement à s'enrichir, ils couraient risque de se corrompre par l'excès toujours croissant du bien-être et de la mollesse et par leur mélange avec les païens. Pendant son séjour en Chypre, qui fut d'environ six semaines, le Seigneur en convertit un peu moins de six cents, lesquels retournèrent avec lui en Palestine, où leur établissement donna naissance à la ville d'Eleutheropolis.

Cet événement de la sainte vie de Notre Seigneur était resté totalement inconnu jusqu'à ce jour, ce qui, au premier coup d'oeil pourrait paraître d'autant plus surprenant que les Actes des apôtres nous racontent le voyage que fit saint Paul en Chypre avec Barnabé et Jean Marc, ainsi que le second voyage qu'y firent les deux derniers, et qu'il n'y a rien dans ces récits d'où l'on puisse induire que l'Évangile avait été annoncé par le Seigneur lui-même dans les synagogues de cette île. Ce silence, toutefois, s'explique très bien, d'après ce que rapportent les Visions sur le but et les résultats du voyage en Chypre. Le premier et le principal but de ce voyage fut en effet atteint, par cela même que les convertis suivirent tous le Seigneur et qu'il ne resta que ceux qui, par suite de leur attachement a une vie commode et comblés des biens de la fortune, avaient fermé l'entrée de leur coeur à la parole évangélique. On peut, en outre, deviner, d'après la connaissance du coeur humain, pourquoi les Juifs restés dans l'endurcissement firent cause commune avec les païens pour abolir dans l'île le souvenir du Rédempteur, de façon à ce qu'il n'en restât plus de trace. Le Seigneur avait fait entendre des paroles si menaçantes touchant ceux qui refuseraient de se convertir et de quitter l'île, que les consciences troublées durent s'efforcer de faire oublier ses paroles comme sa personne.

Mais, en y regardant de plus près, on trouve dans les Actes des apôtres une indication qu'on peut rattacher très naturellement à ce que rapportent les Visions touchant les compagnons du Seigneur. Il est parlé, en effet, au chapitre XI, v. 20, " des hommes de l'île de Chypre ", qui, peu de temps après le martyre de saint Etienne, prêchèrent Jésus-Christ aux païens d'Antioche et par là jetèrent les fondements de cette Église dont les membres portèrent les premiers le nom de " chrétiens ". Or, ne peut-on pas reconnaître dans les Chypriotes en question ces hommes que le Seigneur lui-même avait admis parmi ses disciples et qui l'avaient accompagné en Chypre. C'étaient peut-être les deux fils du négociant chypriote Cyrinus ou quelques-uns des philosophes convertis de Salamine, lesquels, ayant été témoins de tout ce qu'avait fait leur divin Maître dans leur île natale, et d'ailleurs étant eux- mêmes païens de naissance, se faisaient moins de scrupule de s'adresser aux Gentils que leurs compagnons d'origine juive.

On ne doit pas non plus trouver étrange que les Évangiles ne renferment aucune allusion à un voyage du Seigneur en Chypre : car ce voyage par son caractère d'événement privé et presque d'affaire de famille, devait être exclu tout naturellement du récit des Evangélistes ; ceux-ci, en effet, ne voulant rapporter que ce qui pouvait avoir le même intérêt et la même importance pour tous les temps et pour tous les peuples, se sont bornés pour cela à donner une courte esquisse de la sainte vie et de la carrière publique et enseignante de Jésus-Christ, telle qu'elle s'était produite sous les yeux de toute la Palestine. Toutefois, lorsqu'on lit dans saint Jean (VIII, 35), cette question que firent les Juifs : "Où veut-il aller pour que nous ne le trouvions plus ? veut-il aller aux païens dispersés et les enseigner ?"question qu'ils adressèrent au Seigneur dans le temps qui suivit le retour de Chypre, on peut y voir peut-être une allusion, sinon à des bruits et à des renseignements vagues sur ce voyage, au moins à cette idée, très vraie d'ailleurs, que celui qui se manifestait comme étant le Messie, ne devait Pas rester étranger aux Gentils.

Enfin si comme les Visions le donnent à entendre, le silence gardé sur le voyage de Chypre a pour motif un commandement formel du Seigneur lui-même, on pourrait tout au plus demander encore comment il peut se faire que les temps immédiatement postérieurs aux apôtres, ou l'époque la plus ancienne du christianisme, ne nous aient pas transmis la plus petite indication touchant un événement si remarquable. Quand on considère quel honneur c'était pour une église, dès les temps les plus reculés, de pouvoir rattacher sa fondation au nom d'un apôtre, le silence de l'antiquité chrétienne sur le privilège unique qui aurait été le partage de Chypre devient encore plus inexplicable. Mais ici on a le droit de répondre à une question et de demander par une autre ce que nous savons en général de la plus ancienne histoire de l'Église de Chypre, cette île si renommée dans l'antiquité classique par sa beauté et sa fertilité, aussi bien que par le culte licencieux qu'elle rendait à Vénus. Nous n'en savons presque rien, et pourtant, au milieu du IVe siècle, le christianisme s'y était si bien établi et si plein de vie, qu'on voit tous les évêques de l'île se réunir pour choisir, comme leur métropolitain, le saint moine Épiphane, si austère, si zélé pour la foi et qui fut l'objet de tant de calomnies. Ce fait seul témoigne assez quel merveilleux changement avait dû s'opérer dans cette île autrefois livrée à toutes les abominations de l'idolâtrie gréco-phénicienne : mais il ne nous a été conservé aucun détail sur l'histoire de sa conversion. L'ordre donne par le Seigneur de ne parler à personne du voyage qu'il y avait fait, ne renferme en soi rien d'extraordinaire : car les résultats si médiocres, en apparence, de son séjour, pouvaient facilement être exploités pour attaquer la foi en sa personne et en son oeuvre, et d'ailleurs ; les Juifs de la Palestine se seraient presque tous scandalisés en entendant parler des rapports qu'avait eus le Sauveur avec les païens chypriotes.

V

Ces arguments ont la même valeur en ce qui concerne le voyage du Seigneur dans le pays des trois Rois, en Chaldée et en Égypte, raconté dans ce volume. Si surprenant que paraisse cet incident, il concorde pourtant avec ce que les Évangiles nous apprennent en général des relations du Seigneur avec les païens. Le récit de saint Matthieu sur le voyage des rois mages et leur venue à Bethlehem pour adorer l'Enfant divin révèle par avance tout le mystère de la vocation des Gentils et des rapports personnels du Dieu fait homme avec eux pendant son séjour sur la terre. D'abord et immédiatement le salut vient au peuple élu auquel il a été si souvent promis par Dieu ; mais les païens sont excités par la grâce prévenante et appelés à chercher le salut chez les Juifs. Le Seigneur va lui-même à la recherche des tribus d'Israël, et quoique souvent repoussé, blasphémé et persécuté par ceux de son peuple, il ne se lasse pas de les exciter à accueillir l'accomplissement des promesses divines ; mais en même temps il excite intérieurement les païens à s'approcher de lui et à s'approprier avec d'autant plus d'empressement la grâce du salut méprisée par son peuple. Les saints Évangiles, à la vérité, ne nous rapportent aucun enseignement particulier que le Seigneur ait donné aux païens, mais ils n'empêchent nullement de supposer que parmi les milliers de personnes qui accouraient en foule sur les bords du lac de Génésareth, il devait se trouver un certain nombre de païens. Bien plus, le Seigneur lui-même, à Capharnaüm, guérit le serviteur païen du centurion païen et vanta la foi de celui-ci, afin, dit saint Jean Chrysostome, " de prophétiser sur les païens et d'éveiller en eux de joyeuses espérances : car ceux qui avaient suivi le Seigneur à Capharnaüm étaient de la Galilée des Gentils ". (Homil. XXVI. in Matth.)

Et bien que l'Enfant-Dieu, muet encore, n'ait point eu de paroles à adresser aux prémices de la gentilité, la Sagesse éternelle sut pourtant bien trouver d'autres voies pour arriver à leur coeur et suppléer surabondamment à ce qui ne leur avait pas été dit. C'est ce que prouvent les merveilleuses opérations de la grâce que l'Église, à toutes les époques, a reconnues et vantées dans la conduite des rois mages. La fidélité avec laquelle ces païens avaient suivi l'étoile jusqu'à Bethlehem pour y rendre leurs hommages au Roi nouveau-né, pendant que le Temple et la Synagogue, quoiqu'avertis par la parole de tant de prophètes, le mettaient complètement en oubli, leur mérita l'insigne honneur qu'au rapport des visions, il leur fit dans la dernière année de sa vie, lorsqu'il voulut les visiter lui-même dans leur pays et leur annoncer la parole du salut.

Quelque inouï que puisse paraître ce que disent les visions à ce sujet, le voyage qu'aurait fait le Seigneur chez les rois mages pendant les troubles occasionnés par la résurrection de Lazare, n'a en soi rien de plus extraordinaire, de plus surprenant ou de moins conforme à la charité compatissante du Fils de l'homme que ce qu'il fit en faveur des païens au moyen de l'étoile en les appelant à la crèche, où ils eurent le bonheur de contempler son humble enfance et sa merveilleuse pauvreté, où ils virent, par conséquent, ce qu'il ne fut donné de voir qu'à un petit nombre de privilégiés dans le peuple élu, ce que ne virent pas même les saints apôtres et les Évangélistes. Ce voyage n'est ni plus mystérieux ni plus difficile à concevoir que ne l'est, par exemple, la visite du Seigneur à Nazareth, où ceux-là mêmes qui, depuis son retour d'Égypte, l'avaient vu parmi eux mener la vie la plus sainte et se montrer le modèle accompli de toute perfection, voulurent le précipiter du haut de la montagne. Et puisque le Seigneur lui-même promet de rendre au centuple, dès ce monde, tout ce qu'on aura quitté pour lui, puisqu'il va visiter tous les endroits où Marie a trouvé accueil lors de son voyage à Bethlehem ou de sa fuite en Égypte, n'était-il pas conforme à sa bonté d'honorer de sa sainte présence la demeure de ces rois mages qui l'avaient visite petit enfant, couché dans une pauvre crèche, dont il avait bien voulu agréer les présents et qui, à sa venue sur la terre, lui avaient rendu plus d'honneurs que n'avaient jamais fait Nazareth, Capharnaüm ou Jérusalem ?

Dans d'autres occasions, le Seigneur mit le pied sur le territoire des païens ; c'est ce que prouve son séjour de plusieurs années en Égypte, comme son voyage dans la Syrophénicie. (Matth., XV, 2 2 et Marc VII, 24). " Pourquoi alla-t-il dans ces pays ? ", demande saint Jean Chrysostome. " C'est, répond-il, pour ouvrir aussi la porte aux païens. Et si quelqu'un s'étonnait, qu'ayant ordonné à ses disciples de ne pas aller sur les chemins des Gentils, il y aille tout le premier, je répondrai qu'il n'était pas soumis lui-même . aux ordres qu'il donnait à ses disciples ". (Homil.LII. in Mathoeum) .

Dans l'Évangile de saint Jean (XII, 20-23), on voit aussi quelle impression produisait sur le monde païen ce qui se disait de la prédication du Sauveur et de ses miracles. A la dernière fête de Pâques, à Jérusalem, des Grecs païens prient l'apôtre Philippe d'obtenir pour eux d'être admis près du Seigneur. André et lui font part de leur désir au Sauveur, qui répond, suivant la paraphrase de Cornelius a Lapide : " N'empêchez pas les païens de venir à moi, mais amenez-les ! Je vous ai dit, il est vrai, de ne pas aller sur les chemins des Gentils, lorsque ma prédication était expressément destinée aux Juifs seuls, mais comme mon enseignement et ma mission sur la terre touchent à leur terme, la parole du salut, méprisée par les Juifs, arrivera aux païens par vous. En effet, l'heure est proche où le Fils de l'homme sera glorifié, en ce que les païens, après ma mort, me reconnaîtront pour leur Rédempteur ".

C'est par une disposition merveilleuse qu'après la descente du Saint Esprit, Philippe fut précisément le premier dont les Actes des apôtres racontent qu'il baptisa un païen, le trésorier de la reine Candace. Ce baptême fut donné en secret: mais le premier acte solennel par lequel des païens aient été incorporés à l'Église sans avoir reçu préalablement la circoncision, fut le baptême de Corneille. Cela se fit à la suite de la vision que Pierre eut à Joppé, lorsque les envoyés de Corneille, qui de son côté avait été adressé à Pierre par une vision, étaient en route pour aller trouver l'Apôtre. L'explication que saint Chrysostome donne de ce fait, concorde parfaitement avec l'esprit des Visions et en général avec tout ce qu'elles font connaître de la conduite du Seigneur et de celle des apôtres et des disciples vis-à-vis des païens. Saint Chrysostome, en effet, prouve de la manière la plus ingénieuse que la vision de Pierre n'eut pas tant pour but sa propre instruction que sa justification devant les Juifs zélés pour l'ancienne loi : c'est pourquoi la Sagesse divine elle-même avait, dans le cours de la vision, dicté les réponses de Pierre, afin que celui-ci, par le simple récit de ce qui lui avait été montré miraculeusement, pût justifier plus tard d'une manière convaincante devant les chrétiens judaïsants, si faciles à scandaliser, le premier baptême solennellement administré aux païens.

Ce qui enfin garantit d'une façon particulière la vérité de ce que rapportent les Visions sur les deux voyages du Seigneur dont il est ici question, c'est le caractère d'intuition directe qui y est empreint jusque dans les moindres détails en tout ce qui touche à l'histoire et à la géographie, en sorte qu'il est impossible d'y voir des créations de l'imagination. Bien plus, on peut dire que la description de toutes les scènes où figure le Seigneur pendant ces voyages, la manière dont ses actions et ses paroles sont représentées, ont quelque chose de si intimement approprié à sa personne et à sa dignité, de si parfaitement en harmonie avec le plan général de la Rédemption, tel qu'il se développe dans tout le cours de l'ouvrage, qu'on y trouve la meilleure preuve qui puisse être donnée en faveur de la vérité de ces récits.

È

Volume 5

CHAPITRE PREMIER.


Voyage de Jésus à Chypre. - Son séjour à Salamine.

Du 30 avril au 6 mai 1823 .

Repas d'adieu chez la Syrophénicienne.-Embarquement pour Chypre. -Traversée.-Arrivée dans le port de Salamine.-Festin chez le chef de la communauté juive.-La prêtresse des idoles Mercuria.-Jésus chez le gouverneur romain à Salamine.-Instruction faite par Jésus des philosophes païens sur l'essence du paganisme et sur ses fausses divinités.-Histoire de Dercéto.

Remarque de l'éditeur.

Jusqu'à la fin d'avril, la pieuse Anne Catherine avait autant que possible, raconté jour par jour au Pèlerin ses visions quotidiennes sur la vie de Jésus : mais alors ses indicibles souffrances lui rendirent impossible de continuer ces communications. Le Pèlerin sur sa demande quitta Dulmel1 et n'y revint que quatre mois et demi plus tard. Mais il se trouva que pendant son absence les visions quotidiennes sur la vie publique du Sauveur avaient continué sans interruption Puis ces visions se reproduisirent pour la seconde fois dans le même ordre et avec la même étendue, en sorte que le Pèlerin fut en mesure de reprendre le 91 octobre le fit de ces communications au point où Anne Catherine' réduite au dernier degré de l'affaiblissement, l'avait laissé tomber le 28 avril. A dater de ce jour, elle raconta de nouveau sans interruption ses visions journalières jusqu'au 8 janvier 1824, jour à partir duquel toute communication ultérieure cessa pour jamais : car les souffrances toujours croissantes de la pieuse extatique étaient le prélude de sa mort prochaine.

Le Pèlerin a mis en tête de ses rédactions quotidiennes, du 21 octobre 1823 au 8 janvier 1824, la date des jours où la Soeur avait eu ces visions pour la première fois pendant son absence. L'éditeur n'a pas voulu changer cette indication ; ainsi le lecteur trouvera avec la date du 30 avril au 17 juillet 1823, les visions qu'Anne Catherine a racontées du 22 octobre 1823 au 8 janvier 1824. Du reste, en ce qui touche le classement de ces visions d'après les jours du mois, l'éditeur se réfère à ce qui a été dit dans l'introduction de la seconde partie.

30 avril.-- Ce matin, Jésus alla avec sa suite à une lieue et demie, au village juif qui est à environ une lieue à l'est d'Ornithopolis, et à trois lieues à peu près du port. Jésus n'a avec lui que Jacques le Mineur, Barnabé, Mnason, Azor, les deux fils de Cyrinus, et un jeune homme de l'île de Chypre qu'ils ont amené à Jésus. Outre ceux-ci, plusieurs Juifs d'ici l'accompagnent. Tous les autres apôtres et disciples qui avaient suivi Jésus dans ce pays, se sont déjà répandus en différents lieux ; Judas était parti le dernier ; il se dirigeait vers Cana la Grande, avec ceux qui lui avaient été donnés pour compagnons.

Dans le village juif, les hommes, les femmes et les enfants firent à Jésus une réception très solennelle ; les enfants des écoles vinrent aussi à sa rencontre. Il s'exprima ici en termes très clairs, et parla surtout de l'accomplissement des prophéties, lesquelles étaient très familières à ses auditeurs.

De là Jésus alla, dans la direction de l'est, à l'habitation de la Syro6phénicienne, laquelle avait chargé son parent guéri par Jésus, de l'inviter à un repas, lui et les siens. Cet homme les conduisit chez elle. Les bâtiments appartenant à cette femme forment un groupe séparé entre Ornithopolis et le village juif. On y voit de grands ateliers pour la teinture et le tissage. Il s'y était rassemblé beaucoup de personnes, parmi lesquelles un grand nombre de malades et d'estropiés, et Jésus en guérit plusieurs. Le village juif d'où venait Jésus se lie à cet établissement par des maisons disséminées. L'habitation de la Syro6phénicienne avec ses jardins, ses cours et ses dépendances de toute espèce est bien aussi grande que Dulmen. Il y a en outre divers bâtiments surmontés de galeries sur lesquelles on peut se promener, et où on étend des pièces d'étoffes de différentes couleurs, jaunes, violettes, rouges et bleu de ciel. La teinture jaune se fait avec une plante qu'on cultive dans le voisinage. Pour le rouge et le violet on emploie des espèces de limaçons marins : je vis de grandes couches de ces coquillages : c'est là qu'on les prend ou qu'on les élève. Il y avait des endroits remplis d'une mucosité semblable à du frai de grenouille. On cultive aussi dans le voisinage un arbuste qui porte le coton, mais il n'est pas indigène : en général le sol n'est pas aussi fertile que dans la Terre promise et il est souvent inondé.

Quand on regarde du côté de la mer, il semble qu'elle soit plus élevée que la terre, parce que son azur se confond a l'horizon avec celui du ciel. Sur le rivage se trouvent ça et là de gros troncs noirâtres, peu élevés, dont les branches s'étendent au loin : souvent ils sont couverts de mousse et de limon où d'autres arbres prennent naissance. Au bas des souches se projettent d'énormes paquets de racines sur lesquels on peut marcher et s'avancer à quelque distance au-dessus de l'eau. Ces troncs noirâtres sont creux d'un côté pour la plupart et ils servent de repaires à toute espèce de hideuses bêtes.

Il faut que la Syro6phénicienne soit une personne très considérable : car dans le bourg où est le port, il y a des masses d'édifices qui lui appartiennent : son mari doit avoir été puissamment riche et à la tête d'un grand commerce maritime. Maintenant elle veut renoncer à tout, et elle a dit aux gens qui dépendent d'elle de choisir un maître parmi eux.

Jésus fut reçu solennellement, à l'entrée des bâtiments extérieurs, par tous les gens de la maison, et dans la cour qui précède l'habitation, par la Syro6phénicienne et sa fille qu'il avait guérie. Il était accompagné de cinq disciples et des deux jeunes Chypriotes. Il guérit encore quelques personnes dans les bâtiments d'alentour, puis il prit un repas chez cette femme. Tout était disposé comme lors de sa première visite (voir tome IV, page 186) : le roseau garni de grappes que je vis alors croît près de Sarepta. Lorsque Jésus se fut mis à table, la fille de la veuve versa sur sa tète un flacon d'onguent parfumé. La mère lui offrit des pièces d'étoffe, des ceintures et des pièces d'or triangulaires ; la fille, d'autres pièces qui étaient enfilées ensemble. La Syro6phénicienne veut vivre dans une retraite absolue avec sa fille : elles sont maintenant en rapports intimes avec les Juifs. Ceux qui sont chargés de l'enseignement parmi ces Juifs, sont venus ici du pays d'Hébron et d'auprès des amis de Zacharie, pendant la vie de Joachim et d'Anne : ils ont rétabli parmi eux l'observation de la règle et ont réformé leur manière de vivre. ils sont à la tête de plusieurs familles, et c'est par leur intermédiaire que la Syro6phénicienne et tout son monde se sont mis en rapport avec les Juifs.

Jésus ne resta pas longtemps à table. Il alla de côté et d'autre parmi les assistants et parmi les pauvres venus en grand nombre auxquels on donna à manger. Il leur fit des présents et guérit ceux qui étaient malades.

Vers quatre heures, Jésus s'éloigna sans bruit avec ses compagnons, et ils firent environ trois lieues au nord-ouest pour gagner l'endroit qui sert de port à Orni-thopolis et qui en est assez éloigné. On rencontre sur le chemin beaucoup d'édifices. Jésus se rendit aussitôt dans le quartier juif de la ville qui est bâtie parmi des rochers sur un sol très inégal et où la plus grande partie de la population est païenne. Je vis qu'une réception solennelle lui fut faite par les Juifs chypriotes venus ici après les fêtes de Pâques pour retourner dans leur patrie, ainsi que par les Juifs de l'endroit. Il enseigna dans la synagogue : un très grand nombre de païens se tenaient dehors autour de l'édifice et l'écoutaient. Ils sont ici très timides et très -humbles. Il guérit aussi quelques malades, après quoi il y eut, pour lui et pour ceux qui allaient s'embarquer, un grand repas qui se prolongea jusque dans la nuit.

Tous l'accompagnèrent à la clarté des étoiles jusqu'au port où ses compagnons et lui s'embarquèrent. La nuit était très claire : les étoiles dans ce pays paraissent plus grandes que chez nous. Ce fut comme le départ d'une petite flotte : un grand bâtiment de transport portait des bagages, des marchandises et du bétail, spécialement beaucoup d'ânes. Les Chypriotes revenant de la fête de Pâques, Jésus avec les siens, et d'autres voyageurs encore étaient embarqués sur dix galères à voiles. Cinq de ces galères environ remorquaient le bâtiment de transport à l'aide de cordes attachées en avant et sur les côtés. Les cinq autres marchaient de conserve. Tons ces bâtiments avaient, comme le navire de Pierre sur le lac de Galilée, des bancs de rameurs élevés, disposés autour du mât et au dessous des espèces de cabines. Sur un de ces navires Jésus se tenait debout au pied du mât et enseignait. Il bénit la terre et la mer, après quoi on se mit en route. Je vis beaucoup de poissons suivre la flottille : il y en avait parmi eux de très grands, longs d'au moins huit pieds, qui avaient d'étranges museaux: ils se jouaient autour des navires et levaient la tète hors de l'eau comme pour écouter.

1er mai . J'ai vit Jésus enseigner et guérir pendant la traversée. Le navire sur lequel il se trouvait était à l'un des côtés du grand vaisseau de transport, attaché à d'autres qui remorquaient celui ci : des galères étaient aussi attachées de l'autre côté. Ces bâtiments, outre leurs rameurs, avaient des voiles, et la traversée, favorisée par le calme de la mer et la beauté du temps, se fit avec une rapidité si extraordinaire que les matelots, les Juifs et les païens s'écriaient : " Oh ! quelle heureuse traversée! C'est vous, ô prophète, qui en êtes la cause ! " Jésus se tenait sur le pont au pied du mât : il leur enjoignit de se taire et de n'en faire honneur qu'à Dieu, le Tout Puissant. Il fit aussi une instruction sur le Dieu unique et tout-puissant, sur ses oeuvres, sur le néant des divinités païennes, sur le temps qui approchait ou plutôt qui était déjà venu où la terre posséderait le moyen de salut par excellence : il parla aussi de la vocation des Gentils. Tout ce discours fut spécialement à l'adresse des païens.
Une petite troupe de femmes se tenait à part sur les navires. Je vis beaucoup de gens devenir malades. Ils étaient pris de vertiges, se couchaient dans des coins comme prêts à rendre l'âme, et alors ils étaient saisis de vomissements convulsifs. Jésus en guérit plusieurs sur son navire : beaucoup de ceux qui étaient sur les autres bâtiments l'implorèrent en criant vers lui, et le Seigneur les guérit aussi de loin.

Je les ai vus aussi manger sur le navire. Il y avait du feu dans un vase de bronze : je ne vis pas rôtir de viande, mais on mettait dans l'eau bouillante quelque chose qui y fondait. C'étaient des espèces de longs rubans roulés, d'une matière visqueuse, les uns bruns, les autres de couleur claire : on les dépliait et on les cassait : ils étaient luisants à l'endroit de la cassure comme de la colle forte. On donnait les mets par portions sur des écuelles qui avaient un rebord et un manche. Il se trouvait dans ces écuelles plusieurs cavités en guise d'assiettes où l'on mettait divers mets : des gâteaux ronds et des herbes : on versait le liquide par dessus.

D'ici à Chypre, la mer ne paraît pas aussi large que plus bas à la hauteur de Joppé: là on ne voit rien que de l'eau.

La flottille portait le plus grand nombre des Juifs de Chypre qui étaient allés à Jérusalem pour la Pâque : ils avaient retarde leur retour pour entendre le sermon fait par Jésus sur la montagne de Gabara. Près de Jésus étaient Jacques le Mineur, Barnabé qui était chypriote, Mnason, Azor et un jeune homme de Chypre nommé Jonas, que Jésus avait admis parmi ses disciples lors de la dernière instruction donnée sur la montagne de Gabara. Il lui avait été amené par les deux fils de Cyrinus lesquels se trouvaient aussi avec Jésus.

Les navires arrivèrent vers le soir dans le port de Salamine. Ce port est très spacieux et très sûr les deux rives s'avancent à une grande distance dans la mer. Il est garni de quais en pierre et défendu par des remparts élevés. La ville est à une bonne demi lieue dans les terres. Mais on le remarque à peine, parce que l'intervalle est rempli d'arbres et de beaux jardins. Il y avait beaucoup de navires dans le port. Le bâtiment qui les portait ne put pas aborder tout près de terre, car le rivage qui s'élève comme un grand rempart, descendait en talus, et le navire avait un trop fort tirant d'eau pour pouvoir aborder. Ils jetèrent donc l'ancre à quelque distance. Mais il y avait de petites embarcations amarrées au rivage qui vinrent prendre les passagers, et qu'on tira jusqu'au bord avec des cordes. Jésus avec les siens monta dans une de ces barques dont il était venu un grand nombre. Il s'y trouvait deux Juifs qui lui souhaitèrent la bienvenue.

Beaucoup de Juifs de la ville étaient sur le rivage, revêtus de leurs habits de fête. Ils avaient vu de loin venir le navire, et c'est la coutume de recevoir ainsi les Juifs qui viennent des fêtes de Pâques. C'étaient pour la plupart des gens très âges, des femmes, des enfants : il y avait notamment les enfants des écoles avec leurs maîtres. Ils avaient des guirlandes, des fifres, de petites banderoles flottantes au vent, des couronnes suspendues à des bâtons et à des branches d'arbre, et ils faisaient entendre des chants joyeux.

Cyrinus, trois frères aînés de Barnabé et quelques vieux Juifs en habits de fête reçurent Jésus et les siens, et les conduisirent à quelque distance du port sur une belle terrasse couverte de verdure. Il y avait là des tapis étendus, des bassins pleins d'eau, et des tables avec des rafraîchissements. Ils lavèrent les pieds à Jésus et aux siens et leur firent prendre quelque chose.

On avait amené là un homme d'un âge très avancé c'était le père de Jonas, le nouveau disciple. Il se jeta en pleurant au cou de son fils, et celui-ci le conduisit à Jésus devant lequel il s'inclina profondément, il n'avait pas su ce qu'était devenu son fils, car ceux avec lesquels celui-ci était parti étaient revenus précédemment. Aujourd'hui à midi J ai entendu prononcer le nom de ce vieillard, mais je l'ai encore oublié. Tous ceux qui étaient là étaient du reste pleins de sollicitude à l'endroit des arrivants et j'en vis plusieurs qui s'ouvraient passage à travers la foule et criaient : " Tel ou tel est-il ici " ? Puis quand ils avaient retrouvé ceux qu'ils cherchaient, ils les embrassaient et les emmenaient avec eux : car la nouvelle du soulèvement contre Pilate et du tumulte qui avait eu lieu dans le Temple était arrivée ici fort amplifiée et tous étaient inquiets des leurs. Ici j'ai cessé de voir cette scène.

Le petit endroit où Jésus fut reçu était extrêmement agréable. On voyait à l'occident la grande ville avec ses nombreuses coupoles et ses hauts édifices, dorés par le soleil couchant dont le disque était très grand et très rouge : au levant la vue s'étendait sur la mer et les hautes montagnes de la Syrie apparaissaient comme des nuages.

Salamine est au milieu d'une vaste plaine, et entourée de grands et beaux arbres, de terrasses et de jardins. Le sol me parut assez friable : c'est comme de la fine poussière ou du sable : l'eau potable me semble être assez rare ici.

Le port n'est pas ouvert à tous venants : il a plusieurs entrées, l'une assez large, les autres plus étroites, passant entre des îlots fortifiés ; les bords de ces îlots sont défendus par de grosses tours basses, de forme demi circulaire, au haut desquelles sont des ouvertures par où l'on peut tout surveiller. Le quartier des Juifs est au nord de Salamine ; lorsqu'ils eurent fait une demi lieue pour arriver aux portes de la ville, ils tournèrent à droite et firent encore une autre demi lieue au nord hors de son enceinte.

Lorsque Jésus arriva là avec ses compagnons, les autres Juifs revenus des fêtes de Pâques s'étaient déjà rassemblés sur une grande place élevée en terrasse. Un ancien qui était chef de la synagogue se tenait sur le point le plus élevé d'où il pouvait voir tout le monde : cela me fit l'effet de l'appel qu'on fait des soldats pour savoir si tous sont présents. On s'informa de tout, si personne n'avait éprouvé de dommage ou n'avait de plainte à former contre quelque compagnon de voyage : on s'enquit aussi de ce qui s'était passé à Jérusalem. Jésus et les siens ne prirent pas part à tout cela. Ici encore une réception solennelle fut faite à Jésus par plusieurs vénérables vieillards juifs. Il adressa ensuite une exhortation au peuple assemblé du haut de l'éminence qui se trouvait là, puis tous se dirigèrent vers leurs demeures.

On voyait en avant des deux rues juives de la ville, entre de jolies allées, plusieurs édifices publics à l'usage des Juifs : la synagogue qui était magnifique, les habitations des anciens et des rabbins, et les écoles. A quelque distance se trouvait aussi un hospice avec un fossé plein d'eau ou un étang te chemin qui conduisait à la ville était sablé et ombragé de beaux arbres, même à l'endroit où l'on se rassemblait en plein air ; il y avait sur le point le plus élevé un gros arbre dont les branches étaient si fortes qu'on pouvait s'y asseoir comme dans un berceau de feuillage.

Jésus et ses compagnons furent conduits par les préposés près de la maison de ceux-ci et de la synagogue dans une grande salle où ils passèrent la nuit. Je ne me souviens pas bien s'ils n'allèrent pas d'abord dans une grande maison, chez le premier des Anciens ; Je ne me rappelle pas non plus qu'on leur ait donné ce soir un repas proprement dit, mais seulement une petite collation. Jésus guérit quelques hydropiques qu'on apporta sur des civières dans le vestibule de son logis. Cette maison était destinée à l'enseignement ; on y recevait aussi de savants rabbins en voyage. Elle était d'une belle architecture à la mode païenne avec des colonnes à l'entour. L'intérieur était une grande salle avec des espèces de tribunes et des chaires adossées aux murs. Il y avait par terre contre les murs des lits roulés, surmontés de pavillons à rideaux relevés contre les parois, et qu'on pouvait détacher pour isoler les lits. Ce fut là qu'ils dormirent cette nuit.

Le père de Jonas le nouveau disciple était avec eux : car il n'était pas de la ville : quant à Cyrinus, il était allé dans sa maison avec ses fils.

On pouvait de l'extérieur monter sur une plate-forme qui était au-dessus de cette salle et où se trouvaient des plantes de toute espèce dans des caisses : on avait de là une belle vue.

2 mai.— Avant le récit de la vision de ce jour, Anne Catherine raconta d'abord, comment pour arriver au lieu de cette scène, elle avait fait un de ces grands voyages qui se trouvaient liés à des travaux de toute espèce faits sur la route au profit du prochain. " Je ne sais plus, dit-elle, tous les endroits où j'ai été, je me souviens seulement qu'il m'a fallu plusieurs fois bander des blessures. Je me suis aussi trouvée sur une mer très orageuse. Souvent j'avais tant à faire que je ne pensais pas à aller plus loin : mais tout d'un coup je me trouvais dans un autre endroit : c'est ainsi que j'arrivai jusqu'à Salamine et que je vis ce que Jésus faisait aujourd'hui : mais j'en ai oublié une grande partie ".

Ce matin je vis l'Ancien qui était un homme très respectable venir prendre Jésus avec d'autres rabbins et le conduire à l'hôpital. Il y guérit un grand nombre de paralytiques et de perclus et aussi des gens atteints d'une lèpre assez bénigne. Pendant ce temps les hommes s'étaient rassemblés sur la place où l'on enseignait en plein air : Jésus y vint et fit une très belle instruction sur la manne recueillie dans le désert : il dit à cette occasion que le temps de la vraie manne céleste, qui était l'enseignement et la conversion, était arrivé et qu'un nouveau pain du ciel allait leur être donné. Je vis là une allusion à la sainte Eucharistie.

Après cette instruction les hommes se retirèrent vers midi et les femmes prirent leur place. Il vint aussi beaucoup de femmes païennes qui se tenaient en arrière, séparées des autres. Jésus parla en termes plus généraux devant les femmes, à cause des païennes qui se trouvaient parmi elles. Il parla du Dieu unique et tout-puissant, père et créateur du ciel et de la terre, de l'absurdité du polythéisme et de l'amour de Dieu pour les hommes.

Jésus se rendit ensuite dans la maison de l'Ancien où on lui avait préparé un repas L'Ancien était venu le chercher avec plusieurs rabbins. Cette maison était un très grand édifice bâti à la mode païenne, avec des cours, des galeries ouvertes et des terrasses. Tout y était préparé comme pour une grande fête ; plusieurs tables étaient dressées sous les colonnades, on avait élevé des arcs de triomphe et suspendu partout des guirlandes. Cela semblait être un festin qu'on donnait à Jésus et à ceux qui revenaient des fêtes de Pâques. L'Ancien conduisit Jésus dans un bâtiment attenant où était sa femme avec d'autres femmes ; il y vint aussi quelques docteurs. Les femmes couvertes de leurs voiles saluèrent Jésus en s'inclinant profondément devant lui et il leur adressa quelques paroles amicales, puis arriva un cortège d'enfants couronnés de fleurs, jouant de la flûte et d'autres instruments ; ils venaient chercher Jésus pour le conduire au festin. La table était couverte de bouquets de fleurs et de belle vaisselle : elle était un peu plus haute qu'en Judée : de même les convives étaient plus serrés et avaient moins de place pour s'étendre. On se lava les mains et je vis entre autres choses servir un mets qui avait l'apparence d'un agneau. Jésus le divisa en portions qui furent distribuées sur de petits pains ronds : il me sembla qu'il était découpé d'avance et qu'on avait seulement remis les morceaux à leur place.

Les enfants qui faisaient de la musique vinrent de nouveau : parmi eux il y en avait d'aveugles et d'autres qui avaient quelque infirmité. Ils furent suivis d'une troupe de jeunes filles de huit à dix ans élégamment parées, parmi lesquelles des filles ou petites-filles du maître de la maison. Toutes étaient vêtues d'une belle étoffe blanche, quelque peu reluisante. On s'habille ici autrement qu'en Judée : les vêtements sont moins larges et plus adaptés au corps. Elles avaient les cheveux partagés en trois nattes tombant sur les épaules et terminées par une boucle ou un autre enjolivement où pendaient de petits bijoux, des houppes, des perles ou des fruits rouges : c'était apparemment pour maintenir la frisure. J'en vis beaucoup avec des cheveux noirs ou d'un brun rougeâtre. Plusieurs de ces petites filles portaient ensemble une grande couronne formée de guirlandes et d'ornements de toute espèce. Elle était faite de cercles solides, car elle ne fléchissait pas sur elle-même. D'un large cercle partaient des montants qui aboutissaient à une seconde couronne surmontée d'un bouquet aux couleurs éclatantes ou d'un petit drapeau. Je ne crois pas que ce fussent des fleurs naturelles ; il devait y avoir autre chose encore, car il me semblait voir dans tout cela de la soie, de la laine, des plumes et même des morceaux de métal brillant. Les petites filles placèrent cette couronne comme un dais sur des colonnes ornées de la même manière qui surmontaient le siège de Jésus ; d'autres apportèrent des aromates et des parfums dans de petites coupes et des flacons d'albâtre qu'elles déposèrent devant lui. Une enfant de la maison brisa un de ces petits flacons sur sa tête et l'essuya avec un linge : après quoi elles se retirèrent. Elles firent tout cela en silence, les yeux baissés, et sans regarder les convives. Jésus les laissa faire et les remercia en quelques paroles amicales, après quoi les enfants, sans lever les yeux, rentrèrent dans l'appartement des femmes. Les femmes prirent leur repas ensemble.

Je vis que Jésus et les siens ne restèrent pas longtemps à table. Il ne cessa d'envoyer des aliments et des présents aux pauvres par ses disciples qui servirent à table presque tout le temps. Ensuite il alla d'une table à l'autre, fit les portions, enseigna et raconta.

Après le repas, l'Ancien et quelques docteurs allèrent avec Jésus et les siens se promener du côté des aqueducs, lesquels venaient du côté de l'ouest. La ville n'a que de mauvaise eau. C'étaient des constructions surprenantes, semblables à d'immenses ponts avec une quantité de grands réservoirs comme des citernes. Chaque quartier de la ville avait son réservoir et ses abreuvoirs. Il y en avait où il fallait pomper, d'autres où l'on puisait l'eau. Les réservoirs des Juifs étaient à part. Ils les montrèrent à Jésus, se plaignirent de leur insuffisance et de leur mauvais état, et témoignèrent le désir qu'il remédiât à cela. Il parla d'un nouveau réservoir à établir qui était en préparation et où il voulait faire baptiser : il dit quelque chose des dispositions à prendre.

De là ils revinrent à la synagogue, car le sabbat allait commencer. La salle était très grande et très belle : elle était éclairée avec des lampes et pleine de monde : il y avait à l'extérieur des terrasses et des escaliers, en sorte que d'en haut on pouvait voir et entendre ce qui s'y passait. Tous ces endroits étaient occupés par une foule de païens : il y en avait même qui s'étaient introduits dans l'intérieur et se tenaient pacifiquement parmi les Juifs.

On lut des passages du Lévitique sur les sacrifices et sur diverses prescriptions, et aussi quelque chose du prophète Ézéchiel. Au commencement, des docteurs firent tour à tour la lecture, puis Jésus l'expliqua, et son enseignement fut si Admirable, que l'émotion fut générale. Il parla, en outre, de sa mission et de son accomplissement prochain. Ils le regardaient comme un prophète, mais ils croyaient pourtant qu'il devait être quelque chose de plus, qu'il était sans doute celui qui devait venir avant le Messie. Jésus leur expliqua que le Précurseur avait été Jean : il parla de tous les signes auxquels ils devaient reconnaître le Messie, sans dire pourtant expressément que c'était lui-même. Mais ils le comprirent et ils sortirent de là pleins de vénération et d'une pieuse crainte.

Il alla ensuite de nouveau chez l'Ancien avec ses disciples : ils mangèrent un peu de pain et quelques herbes, après quoi ils retournèrent à leur logis. J'ai oublié en Partie ce qui se passa le soir.

En général. Jésus est accueilli ici avec une sympathie extraordinaire. Tout le monde accourt à lui et veut lui rendre honneur. Il n'y a pas ici de sectes, pas de contestations. Il a guéri plusieurs malades dans les maisons. Juifs et païens vivent ici dans des rapports intimes, quoi que dans des quartiers séparés. Les Juifs occupent deux rues. La maison des fils de Cyrinus est un grand bâtiment carré : ils font le commerce et possèdent des navires. Il y a ici un genre d'architecture particulier. J'ai vu beaucoup d'édifices surmontés de tourelles et de clochetons, garnis de grillages et de fenêtres grillées, et ornes de têtes de doguins. (Elle appelle ainsi les mascarons, les têtes de lions et autres ornements de ce genre en usage chez les païens.) Les habitants ont apporté à Jésus et à ses disciples, aussitôt après leur arrivée, des présents, des chaussures et des vêtements neufs. Jésus ne les porta que jusqu'à ce que les siens fussent battus et nettoyés, car ensuite il les donna aux pauvres.

3 mai.— Aujourd'hui encore, Anne- Catherine raconta qu'elle s'était trouvée dans l'île de Chypre, à la suite d'un long voyage où elle avait beaucoup travaillé. Elle avait parcouru hier une partie des côtes de l'Italie, aujourd'hui la partie opposée. - De là elle était allée d'abord en Judée, puis à Chypre : elle avait deux fois passé la mer. De ce qu'elle avait fait pendant ce voyage, elle se rappelait seulement qu'elle avait eu de longs entretiens avec des ecclésiastiques en longues robes, avec des ceintures et des bonnets d'une forme particulière. Ils étaient allés dans la campagne en récitant des prières : ils avaient l'air d'inspecter les lieux comme des gens qui cherchent à s'établir quelque part. Elle était chargée de les adresser à diverses personnes considérables, de leur donner des directions, et de leur préparer les voies dans certains coeurs. Elle pense que ce sont peut être des Jésuites.

Jésus se leva au point du jour, suivant sa coutume, et il pria longtemps seul. Les disciples firent de même. Là où cela est possible, Jésus va d'ordinaire en plein air, dans quelque bouquet de bois solitaire, où il se tient un peu appuyé contre un rocher ou un tertre de gazon. Le plus souvent il lève les mains au ciel et s'entretient avec Dieu auquel il adresse de vives et ferventes prières. J'ai vu souvent, par son exemple, combien cette prière matinale est bonne et digne d'être imitée.

J'ai vu de nouveau aujourd'hui l'hôpital dans lequel Jésus a guéri hier. C'est un bâtiment rond qui s'étend autour d'une cour plantée au milieu de laquelle est un réservoir d'eau. On y prend l'eau qui sert pour les bains mais avant de boire cette eau, ou de l'employer à la cuisson des aliments ; on a soin de la purifier en jetant certains fruits dans de grands vases qui la contiennent. Dans le jardin, qui entoure cette fontaine, croissent des plantes médicinales à l'usage de la maison. Un tiers de cette enceinte est occupé par des femmes malades et séparé du reste par deux portes fermées. A l'extérieur, le bâtiment est environné d'un fossé couvert contenant une eau bourbeuse qu'on porte dans les champs comme engrais. Hier, Jésus ne guérit ici que quelques hommes qui se levèrent aussitôt, le suivirent dans la maison et en sortirent avec lui.

Ce matin, Jésus alla à la synagogue : elle était déjà pleine de Juifs et entourée de païens. Il parla si éloquemment du temps de grâce et de l'accomplissement des prophéties, que beaucoup de gens versèrent des larmes. Il exhorta en même temps à la pénitence et au baptême. Il y eut, en outre, lecture et explication de quelques passages du Lévitique et de la Prophétie d'Ézéchiel. L'instruction dura bien trois ou quatre heures.

Après cela, Jésus, accompagné de quelques docteurs, de ses disciples, de Cyrinus et de ses deux fils, se rendit à la maison de Cyrinus, où ils avaient été invités à prendre leur repas. Cette maison est située entre la ville juive et la ville païenne. A l'extrémité de cette dernière, Salamine a huit rues dont deux habitées par les Juifs. Ils ne passèrent pas par celles-ci, mais prirent un chemin qui passa t entre le quartier juif et le quartier paien, sur le derrière des maisons. devant les grandes portes de la ville. Près de ces portes, beaucoup de païens, hommes, femmes et enfants, se tenaient rassemblés dans une attitude respectueuse. Ils saluèrent timidement de loin Jésus et les siens. Plusieurs d'entre eux l'avaient entendu enseigner dans l'école et ils avaient ensuite amené leurs familles aux portes de la ville.

A l'extrémité de la rue se trouve la maison de Cyrinus, à moitié bâtie dans les murs de la ville païenne : c'est un grand édifice avec des cours et des bâtiments de service.

Lorsqu'on l'aperçut à quelque distance, on vit aussi s'avancer la femme, les enfants et les serviteurs de Cyrinus, qui vinrent saluer Jésus et les siens. Il avait cinq filles, des nièces et d'autres parents : tous ces enfants portaient des présents qu'ils déposèrent sur des tapis aux pieds de Jésus, après s'être inclinés profondément devant lui. Il s'y trouvait des raretés de toute espèce : j'y vis des objets de formes diverses : il y avait de l'ambre, un arbrisseau rouge sur un socle, et quelque chose que j'ai vu récemment dans la mer Rouge. Chacun de ces enfants semblait vouloir porter à Jésus ce qu'il avait de plus précieux, et comme tous ne pouvaient pas lui remettre leurs cadeaux en main propre, ils les présentaient à ses compagnons.

La maison de Cyrinus est très spacieuse : elle est bâtie à la mode païenne, avec des vestibules et des escaliers à l'extérieur. Sur le toit se trouve un véritable jardin, où sont rangées dans des pots des plantes de toute espèce. Tout était orné comme pour une fête : la table, plus haute que les tables ordinaires, était recouverte d'un drap rouge, par dessus lequel était une autre couverture à jour : je ne sais si elle était en soie ou en paille très fine. Les lits qui entouraient la table étaient aussi à la mode païenne : ils étaient moins longs que chez les Juifs. Outre les disciples il n'y avait qu'une vingtaine de convives : les femmes mangeaient à part.

Après le repas, on fit la promenade habituelle du jour du sabbat dans la direction des aqueducs. Jésus et ses disciples furent alors conduits par le nouveau disciple Jonas à la maison de son père qui est située au milieu d'un jardin, en dehors du quartier des Juifs. C'est une espèce de grande ferme avec plusieurs séparations qui la font ressembler un peu à un couvent. Le maître de la maison est un vieil Essénien. Plusieurs femmes d'un certain âge occupent une partie séparée de l'habitation : ce sont, à ce qu'il semble, des veuves de ses parentes, ses nièces ou ses filles. Elles ont un costume qui a quelque chose de particulier : elles sont vêtues tout en blanc et voilées. Le vieillard était très humble ; il témoignait une joie d'enfant et il se fit conduire à la rencontre de Jésus. Il ne savait que lui offrir, car il n'avait pas d'objets précieux ; mais il montrait du doigt tout ce qui l'entourait, lui-même, son fils et ses filles, comme s'il eût dit : " Seigneur, tout ce que nous possédons est à vous ; nous sommes à vous nous-mêmes et ce que j'ai de plus cher, mon fils est à vous " ! Il invita Jésus et ses disciples à un repas pour le lendemain.

De là Jésus alla de nouveau près des aqueducs et il parla aux préposés de l'établissement d'une fontaine où l'on pourra prendre des bains et qui est déjà préparée : seulement il n'y a rien pour abriter les baigneurs et l'eau n'y vient pas encore. Il faut l'obtenir des païens, soit gratuitement, soit à prix d'argent. Elle vient de l'aqueduc, lequel, ici, dans la plaine, n'est élevé que d'un étage ; il y a des réservoirs des deux côtés. L'eau vient des montagnes qui sont au couchant. Le nouveau bassin, qui servira aussi pour donner le baptême, a plus de quatre angles. On y descend par des marches : il est entouré d'excavations circulaires qui se remplissent d'eau quand on presse ou qu'on met en mouvement une manivelle placée dans la fontaine centrale. Le tout est entouré d'un terrassement et il y a là aussi un emplacement où l'on pourra enseigner, et au-dessus duquel sont tendues des toiles.

Beaucoup de Juifs et de païens s'étaient rassemblés là, et Jésus dit que le lendemain il y instruirait ceux qui voudraient recevoir le baptême. Il fit une courte instruction. Les Juifs qui l'accompagnaient parlaient beaucoup d'Élie et d'Élisée : je crois que ces deux prophètes sont venus ici.

Des femmes juives s'étaient placées sur le chemin avec des troupes d'enfants que Jésus toucha ou qu'il attira à lui et qu'il bénit. Il y avait aussi plusieurs maîtresses d'école ou mères païennes avec des voiles de couleur jaune : elles se tenaient à part avec de belles filles sveltes et des petits garçons : Jésus les bénit de loin en passant devant eux.

Tous se rendirent avec Jésus à la synagogue pour la clôture du sabbat. Il enseigna encore sur les sacrifices, d'après le Lévitique et Ézéchiel. Son langage eut quelque chose d'extraordinairement doux et pénétrant : il expliqua les lois de Moïse en les rattachant toujours à l'accomplissement actuel de ce qui était signifié par elles. Il parla du sacrifice d'un coeur pur, dit que les sacrifices avec leurs formes innombrables ne pouvaient plus être d'aucune utilité, qu'il fallait purifier son âme et offrir ses passions en sacrifice. Il ne laissa de côté, comme s'il y eût rejeté quelque chose, aucune des prescriptions de la loi ; il résolut toutes les questions, et par les explications qu'il donna du contenu de la loi, il ne fit qu'exciter pour elle plus d'admiration et de respect. En même temps il prépara au baptême et exhorta à la pénitence parce que les temps étaient proches.

Sa parole et son accent lurent ici, comme toujours, semblables à des rayons vivants, qui réchauffaient et pénétraient profondément. Il parlait toujours avec un calme et une énergie extraordinaires, jamais très vite, excepté dans certaines discussions avec les Pharisiens ; alors ses paroles étaient comme des traits acérés et son accent devenait plus sévère. Il a une voix de ténor très mélodieuse, très pure et à laquelle aucune autre ne peut être comparée. On l'entend distinctement au milieu du bruit par-dessus toutes les autres voix sans que jamais il l'élève.

Les leçons et les prières sont psalmodiées à la synagogue d'une façon qui ressemble au plain-chant de la messe et des offices chez les chrétiens ; les Juifs aussi chantent souvent à deux choeurs. Jésus lut les leçons à leur manière.

Après Jésus un vieux docteur très pieux adressa la parole à l'assemblée. Il avait une longue barbe blanche : il était maigre, mais sa physionomie respirait la bonté et la piété. Il n'était pas de Salamine : c'était un pauvre vieux rabbin errant, qui allait dans l'île d'un lieu à l'autre, visitant les malades, consolant les prisonniers, recueillant des aumônes pour les pauvres, enseignant les ignorants et les enfants, consolant les veuves et parlant en public dans les synagogues. Cet homme fut comme inspire de l'Esprit Saint : il adressa au peuple un discours pour rendre témoignage à Jésus, tel que je n'ai jamais entendu de rabbin en tenir de semblable en public. Il leur énuméra successivement tous les bienfaits du Dieu tout-puissant envers leurs pères et envers eux-mêmes, et il les exhorta à lui rendre grâces de ce qu'il les avait laissés vivre jusqu'à la venue d'un tel prophète et d'un tel docteur, et de ce que celui-ci exerçait la miséricorde envers eux jusqu'à venir les trouver hors de la Terre Sainte. Il rappela les miséricordes de Dieu envers leur tribu (c'était celle d'Issachar), et il les exhorta à se convertir et à faire pénitence. Je me souviens qu'il dit que Dieu maintenant ne serait pas aussi sévère que lorsqu'il avait frappé de mort les adorateurs et fabricateurs du veau d'or. Je ne sais plus bien à quoi cela se rattachait : peut-être que beaucoup d'hommes de la tribu d'Issachar avaient été du nombre de ces idolâtres. Il parla aussi d'une manière surprenante touchant Jésus : il dit qu'il le regardait comme plus qu'un prophète, qu'il n'osait pas dire qui il était, que l'accomplissement des promesses était proche, il1"tous devaient se proclamer bienheureux d'avoir entendu de tels enseignements d'une telle bouche, et d'avoir assez vécu pour voir l'espérance et la consolation d'Israël. Le peuple fut extrêmement touché. Beaucoup pleuraient de joie. Tout cela se passa en présence de Jésus, qui se tenait tranquillement à l'écart avec ses disciples.

Ensuite Jésus alla avec les siens prendre le repas du soir chez l'ancien. La conversation fut très animée. Ils prièrent Jésus de rester avec eux. Ils parlèrent des prédictions de quelques prophètes qu'on appliquait au Messie et où il était parlé de persécutions et de souffrances : toutefois ils espéraient qu'il n'avait rien de semblable à craindre. Ils lui demandèrent s'il était le précurseur du Messie ; mais il leur parla de Jean-Baptiste, il leur dit aussi qu'il ne pouvait pas rester parmi eux. Un des assistants, qui avait voyagé en Palestine, en vint à parler de la haine des Pharisiens pour Jésus et il s'éleva fortement contre ceux-ci. Mais Jésus lui reprocha sa sévérité et il parla pour excuser et atténuer leurs torts.

Je me souviens ici qu'hier, ayant entendu ma Barde dire du mal du prochain, je l'avais reprise avec trop peu de douceur. Je pensai aux discours de Jésus : hélas ! cela me touche directement. Aujourd'hui encore une fois je me trouvai moi-même faire partie du tableau qui me fut montré. Je vis qu'en certains lieux on commençait à couper le blé ; mais le moment de la moisson n'était pas encore venu et je me dis : Ce sont des coupeurs affamés, comme on appelle chez nous les gens qui coupent avant les autres. Mais je vis ça et là de belles fleurs de camomille bien plus grosses que celles qui sont dans nos champs et je me dis : Je voudrais bien que ma petite nièce, Marie-Catherinette, pût en cueillir pour mes maux d'yeux avant qu'elles ne soient coupées par ces gens ! une chose aussi me parut singulière, c'est qu'on fût là au mois de mai, tandis que je pensais être au mois d'octobre, vivant comme je le fais dans ma chambre, à Dulmen. Dans ce pays, le froment est épais et touffu comme le roseau : on ne coupe la paille que deux largeurs de main au-dessous de l'épi. La Soeur parle aussi d'une plante touffue et grimpante comme les pois, dont elle décrit les longues cosses avec les fèves qu'elle renferme : elle décrit de même plusieurs autres plantes, mais dans le patois de son pays et en termes trop vagues pour pouvoir être reproduits. Les pentes des montagnes sont couvertes de vignes, il y a aussi de longues rangées d'oliviers et de figuiers, des arbustes et des arbres qui donnent du coton et beaucoup d'autres fruits et légumes. Elle décrit encore des herbes tinctoriales et aromatiques et des baies de toute espèce. Je vois dans le lointain, dit-elle, des animaux en grandes troupes : ce sont, je crois, des montons. Il doit y avoir dans ce pays beaucoup de cuivre et d'autre métal du même genre, car on y a une quantité de chaudrons de couleur jaune.

Je me souviens confusément qu'au temps où Madeleine vivait dans sa grotte en France, Lazare s'était réfugié ici, forcé de quitter Marseille à la suite d'un soulèvement.

Je vois la patrie de Barnabé à trois lieues environ d'ici, dans l'intérieur des terres, près d'une forêt : je crois qu'on y fait le commerce de bois et qu'on y prépare des pièces pour la construction des navires. Il me semble que les parents de Mnason demeurent plus loin.

Devant Salamine, je vois tresser des cordes d'une longueur extraordinaire qui servent pour les navires et pour faire des filets. On doit aussi fabriquer là des couvertures et des draps ; il y a de longs tréteaux où des étoffes de toute espèce sont suspendues et flottent au vent.

J'ai oublié de dire que près de la maison de Cyrinus il y a de grandes caves où se trouvent des vases de toute espèce contenant des épices et des herbes aromatiques. Il en a beaucoup cueilli sur le Thabor. On prépare là des parfums de toute espèce ; c'est une odeur comme celle d'une pharmacie. Cyrinus fait le commerce des épices.

4 mai. — Je vis de très grand matin Jésus se retirer à l'écart pour prier. Le plus souvent il est déjà sorti quand les autres dorment encore. Je sentis à cette occasion combien la prière matinale est agréable à Dieu. Jésus alla ensuite à l'hospice avec les disciples. Il guérit plusieurs malades et les prépara au baptême dans la cour, près de la fontaine. Plusieurs allèrent avec lui dans des coins retires et confessèrent leurs fautes. Il fit aussi mettre à part de l'eau destinée aux baptêmes dans des baignoires où plus tard ces gens furent baptisés par les disciples.

Après cela, je vis Jésus aller à la nouvelle fontaine baptismale où plusieurs personnes étaient occupées à faire divers arrangements pour lesquels il leur donna des conseils. Cependant une foule nombreuse se rassembla autour du tertre qui était près de là, car il était venu beaucoup de gens des environs et on avait dressé quelques tentes et élevé quelques cabanes de feuillage près des aqueducs. Ils étaient arrivés hier soir après le sabbat, soit pour entendre Jésus, soit pour leurs affaires et leurs travaux. Il y avait parmi eux des faucheurs à cause de la moisson qui était proche, et aussi des marchands et des vendeurs de bestiaux qui campaient près de l'aqueduc avec leur bétail. Beaucoup de païens de Salamine s'étaient joints a eux ainsi que beaucoup de Juifs du quartier israélite. Jésus enseigna jusque vers dix heures, abrité par une toile tendue au-dessus de lui : les assistants, à cause du soleil, se tenaient sous des cabanes de feuillages, des tentes et des pavillons. Il parla de sa mission, de la pénitence, de la réconciliation et du baptême : il dit aussi quelque chose de la prière et de l'oraison dominicale.

Sur ces entrefaites, un païen qui avait l'air d'un soldat ou d'un employé de tribunal, vint trouver les préposés et leur dit que le gouverneur romain de Salamine désirait parler au nouveau docteur et l'engageait à se rendre auprès de lui. Il dit cela d'un ton assez sévère, comme s'il eût trouvé mauvais qu'ils ne lui eussent pas amené Jésus dés son arrivée. Ils firent prévenir Jésus par ses disciples pendant une pause : il répondit qu'il irait et continua à enseigner. Lorsqu'il eut fini, il suivit avec ses disciples et les anciens le messager du gouverneur. Ils avaient bien une demi lieue à faire sur le chemin par où Jésus était venu du port, avant d'arriver à la principale porte de Salamine qui était une grande et belle arcade avec des colonnes. Sur le chemin, comme ils passaient devant des jardins et de grandes constructions, je vis çà et là des ouvriers païens et d'autres personnes les observer et regarder Jésus : plusieurs toutefois intimidés à son approche se cachaient derrière des buissons et des murs. Entrés à Salamine, ils marchèrent bien encore une demi-heure et arrivèrent à une grande place. Beaucoup de gens se tenaient ça et là sur les galeries qui environnaient les cours, derrière des grilles et devant les portes. A quelques coins de rue et sous des arcades se tenaient des femmes païennes avec des troupes d'enfants, toujours rangés trois par trois, les uns à la suite des autres. Les femmes couvertes de leurs voiles s'inclinaient devant Jésus : parfois des enfants ou même des femmes s'avançaient et offraient à Jésus ou à ses compagnons de menus présents : c'étaient des paquets d'aromates, des parfums dans de petites boîtes, de petits gâteaux de couleur brune et des figures d'une odeur agréable, représentant des étoiles ou d'autres objets. Ce doit être un usage du pays, une manière respectueuse de souhaiter la bienvenue.

Jésus s'arrêtait un instant prés de ces groupes, il les regardait d'un air grave et bienveillant, et les bénissait de la main sans les toucher.

Je vis ça et là des idoles : ce n'étaient pas comme en Grèce et à Rome, de belles figures sans vêtements : elles ressemblaient à celles de Tyr, de Sidon et de Joppé. Je vis des figures dont la partie inférieure était recouverte comme d'ailes ou d'écailles : le milieu du corps était plus mince et entouré d'une ceinture : elles avaient une poitrine de femme, et plus haut des bras et des rayons, ou plusieurs ailes grandes et petites. J'en vis aussi quelques-unes qui étaient emmaillotées comme de petits enfants.

A mesure qu'on avançait dans la ville, un nombre toujours croissant de personnes faisait cortège à Jésus et la foule arrivait de tous les côtés sur la place. Au centre de cette place se trouve une belle fontaine : on y descend par des degrés et l'eau bouillonne dans le milieu du bassin. Il y a au-dessus un toit supporté par des colonnes, et tout autour règnent des galeries ouvertes avec de jolis arbustes et des fleurs. La porte qui conduit à la fontaine est fermée. Ce n'est que par privilège qu'on obtient de son eau, parce qu'elle est la meilleure de la ville et qu'elle passe pour très salubre.

Vis-à-vis de cette fontaine s'élève le palais du gouverneur, qui est orné de colonnes Sur une terrasse en saillie, sous un toit soutenu par des colonnes, se tenait le gouverneur romain, assis sur un siège de pierre d'où il voyait venir Jésus. C'était un homme de guerre : il portait un vêtement blanc, avec quelques raies rouges, serré autour de la taille. Son justaucorps descendait jusqu'aux reins et se terminait par des lanières ou des franges. Ses jambes étaient lacées. Il avait en outre un manteau court de couleur rouge et sur la tète un chapeau qui ressemblait un peu à un plat à barbe. Je vis derrière lui quelques soldats romains sur les degrés de la terrasse.

Tous les païens furent surpris des marques de respect qu'il donna à Jésus : car à son arrivée, il descendit au bas de la terrasse, prit la main de Jésus avec une espèce de mouchoir qu'il avait dans la sienne et la pressa avec l'autre main, où était l'autre extrémité du mouchoir. Il fit en même temps une légère inclination, et aussitôt il monta sur la terrasse avec Jésus. Il lui parla de la manière la plus amicale et l'interrogea avec curiosité sur beaucoup de choses. Il lui dit qu'il avait entendu parler de lui comme d'un docteur plein de sagesse, ajoutant que, quant à lui, il était plein de respect pour la loi des Juifs. Était-il vrai que Jésus fit tous les prodiges que la renommée lui attribuait ? D'où lui venait ce pouvoir ? Était-il le consolateur promis, le Messie des Juifs ? Les Juifs attendaient un roi. Était-il ce roi? Avec quelles forces alors voulait-il prendre possession de son royaume` ? Avait-il une armée quelque part ? Ne venait-il pas dans l'île de Chypre pour recruter des partisans parmi les juifs qui s'y trouvaient ? Tarderait-il longtemps encore à se montrer dans toute sa puissance ? Le gouverneur lui fit beaucoup de questions de ce genre avec une gravité bienveillante et avec un respect et une émotion visibles. Jésus répondit toujours en termes vagues, généraux, ce qu'il faisait, du reste, ordinairement avec les magistrats qui l'interrogeaient de la sorte, disant, par exemple : " Vous le dites ; on le croit ; le temps où la promesse doit s'accomplir est proche, les prophètes l'ont dit ainsi ". A la question touchant son royaume et son armée, il répondit que son royaume n'était pas de ce monde, l que les rois de la terre avaient besoin de soldats, mais que lui, il recrutait les âmes pour le royaume du Père tout-puissant, créateur du ciel et de la terre. Il entremêla ses ' réponses d'enseignements pleins de profondeur, et ses paroles, comme sa personne, firent une vive impression sur le gouverneur.

Cependant, le gouverneur avait ordonné de porter des . rafraîchissements près de la fontaine, sur la place, et il invita Jésus et les siens à le suivre jusque-là.- ils considérèrent la fontaine et prirent un peu de nourriture : la collation avait été déposée sur un banc de pierre recouvert d'un tapis. Il y avait des écuelles brunes contenant un liquide de même couleur dans lequel ils trempèrent des gâteaux : ils mangèrent aussi des bâtons de la longueur du bras et de deux pouces d'épaisseur: c'étaient, je crois, des conserves ou des fromages ; il y avait aussi des fruits et des pâtisseries en forme d'étoiles ou de fleurs. Il y avait de petites urnes pleines de vin. D'autres urnes, d'une matière veinée de diverses couleurs, ayant la même forme que les urnes de Cana, seulement plus petites, étaient remplies d'eau de la fontaine. Le gouverneur parla de Pilate, des violences exercées par lui dans le Temple et en général de toute sa conduite avec une désapprobation marquée : il dit aussi quelque chose de la chute de l'aqueduc de Siloë.

Jésus, au bord de la fontaine, eut avec lui un entretien sur l'eau, sur les diverses sources troubles, limpides, amères, salées et douces, sur leur efficacité très différente, sur la manière dont elles étaient maintenues dans des puits ou distribuées dans des canaux, il en vint ensuite à parler de la doctrine des Juifs et de celle des païens, de l'eau du baptême, de la régénération des hommes par la pénitence et la foi, qui devait faire d'eux tous des enfants de Dieu. Ce fut une instruction merveilleuse, qui avait quelque chose de l'entretien avec la Samaritaine près du puits de Jacob. Ses paroles firent une grande impression sur le gouverneur, qui as ait déjà beaucoup de penchant pour les Juifs.

Après midi, Jésus alla avec ses compagnons dans la maison de l'Essénien, et le gouverneur lui témoigna le désir de l'entendre souvent. Il n'y a, ait pas ici une si grande séparation qu'ailleurs entre les Juifs et les païens : les Juifs les plus intelligents, spécialement les adhérents de Jésus, même en Palestine, acceptaient à manger et à boire de la part des gens de distinction ; seulement, ici comme ailleurs, toujours dans des vases différents. Quand Jésus s'en retourna, beaucoup de païens le saluèrent avec encore plus de déférence, portés à cela par la manière d'agir du gouverneur.

Il y a dans ce pays une incroyable quantité de fleurs : mais on y fait aussi de très jolies fleurs artificielles avec de la laine de couleur, de la soie et des plumes. Je vis les enfants païens que Jésus bénissait, parés pour la plupart de fleurs de cette espèce. Les petites filles, comme les garçons, avaient des vêtements très courts et très légers : les plus petits et les plus pauvres étaient tout à fait nus, à l'exception d'une pièce d'étoffe roulée autour des reins. Les jeunes filles appartenant à la classe aisée portaient par dessus un petit jupon une petite robe d'étoffe jaune, très légère et presque transparente, qui n'allait pas tout à fait aux genoux et qui, à la ceinture, aux extrémités et ailleurs encore, était richement brochée de fleurs de laine bariolée, comme celles dont j'ai parlé. Elles portaient sur les épaules une pièce d'étoffe légère qui se croisait sur la poitrine ; autour des bras et sur la tête, elles avaient le plus souvent des guirlandes de ces fleurs artificielles. On doit se livrer ici à la culture de la soie : car je vois des arbres étalés avec soin contre les murs et sur lesquels rampent beaucoup de vers qui, plus tard, filent leurs cocons ; je ne sais pourtant pas si ce sont de vrais vers à soie.

Jésus vint vers deux heures dans la maison de l'Essénien, père de Jonas. Il n'y avait avec lui que ses disciples et quelques docteurs ; on lui lava les pieds à son entrée. Tout y était beaucoup plus simple et plus rustique que là où il avait été reçu précédemment. C'est une famille considérable appartenant à la classe des Esséniens qui se marient, mais sans cesser de mener une vie simple, pieuse et très tempérante. Les femmes étaient des veuves avec des enfants déjà adultes ; c'étaient les filles du vieillard et elles vivaient réunies à lui. Jonas, le disciple, était un fils que le vieillard avait eu plus tard et dont la mère était morte en le mettant au monde. Il l'aimait d'autant plus qu'il était son fils unique : il avait eu de grandes inquiétudes à son sujet, car il y avait déjà plus d'un an qu'il était absent. Il croyait ne plus le revoir jamais, lorsqu'il eut de ses nouvelles par Cyrinus, dont les fils l'avaient rencontré à la fête et à Dabrath, près du Thabor. Jonas avait voyagé comme font souvent les jeunes étudiants ; il avait visité les lieux les plus remarquables de la Terre Sainte, était allé chez les Esséniens de Judée, avait visité le tombeau de Jacob, près d'Hébron, et celui de Sara, entre Jérusalem et Bethlehem (celui-ci était alors au bord du chemin, maintenant il en est un peu écarté). Il avait vu Bethlehem ; il était monté sur le Carmel et sur le Thabor. Ayant entendu parler de Jésus, il avait assisté à une instruction faite sur la montagne avant que Jésus allât dans le pays des Gergéséniens : puis, après les fêtes de Pâques, il était allé de Dabrath, avec les fils de Cyrinus, entendre le dernier sermon prêché près de Gabara ; c'était là qu'il avait été accepté par Jésus comme disciple, après quoi il était revenu dans sa patrie.

Le repas eut lieu dans une espèce de jardin avec de longues et épaisses charmilles; la table était un petit tertre de gazon avec des couvertures posées sur des planches ; sur l'un des côtés de cette table étroite qui formait un petit terrassement s'étendaient les couches des convives, lesquelles étaient aussi taillées dans le gazon et recouvertes de nattes Le repas était très frugal : c'étaient des gâteaux, une sauce dans laquelle on trempait des herbes, de la viande d'agneau et des fruits ; il y avait de petites cruches sur la table. Les femmes étaient à part, toutefois plus en rapport avec les convives que je ne les ai vues ailleurs ; elles apportèrent les mets la tête couverte de leur voile ; ensuite elles s'assirent à quelque distance pour écouter les discours de Jésus. Il y avait sur les côtés du jardin des rangées de cabinets de verdure très touffus et séparés les uns des autres ; je crois que c'est un second jardin servant d'oratoire. Cette famille forme une toute petite communauté essénienne ; ils vivent des produits de leurs champs et de l'élève des bestiaux ; il y a aussi parmi eux des fileuses et des tisserands.

Le vieillard eut avec Jésus un entretien où il fut question du meurtre de Jean-Baptiste et des prophéties. J'ai oublié le reste.

Jésus alla d'ici avec les disciples à la nouvelle fontaine baptismale, et il prépara plusieurs Juifs au baptême par une instruction sur la pénitence. Je l'ai vu aussi bénir l'eau qui devait servir pour le baptême. Autour de la fontaine. centrale étaient quelques bassins circulaires, tous au ras du sol. Ces bassins étaient entourés de petits fossés dans lesquels les néophytes descendaient par deux degrés. Au bord du bassin se tenait le ministre du baptême et il versait l'eau sur la tête du néophyte courbé au-dessus du bassin ; derrière celui-ci se tenaient les parrains qui lui imposaient les mains. En pressant un piston dans le bassin central on faisait venir l'eau dans les fossés et les autres bassins. Je vis près de trois de ces bassins Barnabé, Jacques et Azor, administrer le baptême. J'avais vu auparavant Jésus verser dans les bassins un peu d'eau du Jourdain, prise à l'endroit où il avait été baptisé et apportée de Judée dans une outre de cuir aplatie ; il avait ensuite béni ce mélange. Après le baptême, toute cette eau baptismale fut non seulement versée de nouveau dans le bassin central, mais on recueillit ce qui en restait avec un linge qui fut tordu au-dessus de la fontaine. Les néophytes avaient de petits manteaux blancs qui leur couvraient la partie supérieure du corps.

Je vis ensuite Jésus aller dans la direction de l'ouest entre des jardins et des murs, à un endroit où l'attendaient plusieurs païens de la connaissance de Cyrinus auxquels celui-ci avait inspiré le désir de recevoir le baptême. Il le prit à part successivement pour les préparer, et une trentaine d'entre eux furent baptisés par Barnabé dans de maisons attenantes aux jardins où ils avaient fait porte de l'eau dans des bassins. Jésus bénit cette eau.

5 mai .--Outre les deux rues habitées par les Juifs, il y a encore près de Salamine toute une ville juive. D'un des côtés de Salamine s'élève une tour ronde d'une grosseur extraordinaire avec des couronnements de toute espèce c'est comme une forteresse. Il y a dans la ville plusieurs temples, parmi lesquels il y en a un extrêmement grand On peut monter sur le haut, de l'extérieur comme de l'intérieur. Il s'y trouve une très grande quantité de colonne dont quelques-unes si épaisses qu'on a pratiqué au dedans des escaliers et des chambres, et qu'une partie du peuple peut monter par là pour aller occuper des tribunes. A de lieues environ de Salamine je vois une autre ville considérable.

Vers le couchant, en avant de la ville, je vis arriver un cortège d'étrangers qui campèrent dans des cabanes de toile. Ils doivent être venus de l'autre côté de l'île ; je croyais d'abord qu'ils venaient de Rome, qui est dans cette direction. Ils ont avec eux des femmes, et beaucoup de boeufs très gros et d'une allure très lente qui ont de larges cornes et la tête toujours baissée ; ils vont deux par deux, ayant sur le des de longues barres de bois sur lesquelles ils portent des fardeaux. Je crois qu'ils sont venus en partie à cause de la moisson, qu'ils ont apporté des marchandises et qu'ils doivent remporter du blé.

Jésus fit aujourd'hui une très longue instruction devant les Juifs et les païens rassemblés sur la place qui est près de la fontaine baptismale. Il parla de la moisson, de la multiplication du blé et de l'ingratitude des hommes que les plus grandes merveilles opérées par Dieu trouvent si indifférents ; il dit que les ingrats seraient traités comme la paille et les mauvaises herbes, qu'ils seraient jetés au feu. Il dit encore comment d'un seul grain de blé finissait par sortir toute une moisson, comment tout provenait d'un seul Dieu tout-puissant, créateur du ciel et de la terre, père de tous les hommes, qui les nourrissait, les récompensait et les punissait. Il dit encore comment au lieu d'implorer Dieu leur père, ils s'adressaient à des créatures, à des souches de bois mort, comment ils passaient avec indifférence devant les merveilles de Dieu et admiraient les oeuvres des hommes, brillantes en apparence, mais au fond bien misérables, et s'engouaient de tous les charlatans, de tous les sorciers, jusqu'à leur rendre de grands honneurs. Son discours roula aussi sur les divinités païennes, sur toutes les idées absurdes qu'on s'en faisait, sur leur culte et sur toutes les abominations qu'on racontait d'elles. Il parla alors des divers dieux et s'adressa à lui-même des demandes auxquelles il répondait, disant par exemple : " Qui est celui-ci ? qui est celui-là ? et qui est son père " ? Puis il exposa tout le fatras des généalogies et des familles de leurs dieux, toutes les choses honteuses qu'on racontait d'eux, et il montra dans tout cela une confusion déplorable et des abominations qui ne pouvaient pas se trouver dans le royaume de Dieu, mais seulement dans le royaume du père du mensonge. Il parla des divers attributs, souvent contradictoires, de ces divinités et il en donna l'explication.

Quelque nettes et quelque sévères que fussent les paroles de Jésus, tout cela cependant était si intéressant, si instructif et réveillait tant de pensées chez les auditeurs, qu'ils ne pouvaient en être choqués, d'autant qu'ici il attaquait les païens avec beaucoup plus de ménagements qu'en Palestine. Il dit aussi quelque chose de la vocation des gentils au royaume de Dieu, et dit que beaucoup d'étrangers viendraient de l'orient et de l'occident pour occuper les sièges des enfants de la maison qui repoussaient le salut loin d'eux.

L'instruction fut suspendue pendant un certain temps. Jésus mangea et but quelque chose et les assistants se communiquèrent leurs impressions. Alors des philosophes païens s'approchèrent et l'interrogèrent sur certains points qu'ils n'avaient pas compris et aussi sur quelque chose que, suivant une tradition conservée par leurs ancêtres, Elle aurait dit pendant son séjour ici. J'ai oublié de quoi il s'agissait. Jésus leur donna des explications à ce sujet, puis il continua à enseigner sur le baptême et aussi sur la prière, à propos de la moisson et du pain de chaque jour. Plusieurs païens ont reçu de son instruction des impressions salutaires qui les ont conduits à réfléchir sérieusement ; d'autres auxquels son discours ne plaisait pas se sont retirés.

Je vis alors beaucoup de Juifs recevoir le baptême à la fontaine baptismale. J'oublie toujours la formule du baptême : le nom de Jéhova s'y trouve. Ils se tenaient trois par trois autour de chaque bassin : l'eau qui coulait dans les fossés leur allait jusqu'aux mollets.

Jésus se rendit ensuite avec les siens et quelques-uns des docteurs à la ville juive séparée, qui est au nord à une demi lieue environ. Plusieurs de ses auditeurs le suivirent et il s'entretint tout le long du chemin avec différents groupes. La route passe souvent sur des points élevés, et l'on a alors les prairies et les jardins au-dessous de soi ; il y a aussi ça et là des rangées d'arbres ou de grands arbres isolés sur le chemin par lequel on monte : on y trouve des sièges à l'ombre. Je me suis assis plus d'une fois sur l'un d'eux ; l'on pouvait voir de là dans la campagne environnante plusieurs villages et des champs de blé qui jaunissaient. Quelquefois le chemin passe sur le roc nu qui couvre de larges espaces ; j'y vis creuser des rangées de cellules, destinées, je pense, aux ouvriers des champs.

Devant la ville juive il y a une jolie hôtellerie ou un lieu de plaisance ; la suite de Jésus y entra et il dit aux autres personnes qui l'accompagnaient de se retirer. Ici les disciples lavèrent les pieds à Jésus et se les lavèrent les uns aux autres ; puis ils détachèrent leurs robes qu'ils avaient relevées et entrèrent avec lui dans la ville juive.

Pendant le lavement des pieds, je vis près de la maison, sur l'un des côtés de la grande route qui longeait cet endroit, de légères constructions semblables à des hangars d'une grande longueur ; beaucoup de femmes et de filles juives s'y occupaient à choisir, à ranger et à mettre de côté des fruits, que des espèces d'esclaves ou de servantes apportaient des jardins ou des plantations du voisinage. Il y avait des fruits de grosseurs diverses et aussi des baies de toute espèce. Elles les triaient et les classaient ; elles en mettaient quelques-uns comme dans du coton et les rangeaient sur des planches les uns au-dessus des autres. D'autres s'occupaient du coton lui-même, l'épluchaient et le mettaient en paquets. Je vis ces ménagères baisser leurs voiles aussitôt que les hommes se montrèrent sur le chemin. Il y avait plusieurs divisions dans les hangars. Cela me sembla une maison commune pour la récolte des fruits, où l'on mettait aussi à part ce qui était destiné à payer la dîme et aux aumônes. Il y régnait une grande activité.

Jésus se rendit avec ses compagnons à l'habitation des rabbins qui était attenante à la synagogue. Le plus ancien des rabbins le reçut poliment, mais avec une réserve peu aimable. Il offrit à Jésus la réfection accoutumée et lui tint quelques propos insignifiants sur sa visite dans ce pays, sa grande réputation, etc. On savait que Jésus était arrivé et plusieurs malades imploraient son assistance. Alors Jésus alla dans leurs maisons avec les rabbins et les disciples et il guérit beaucoup de gens boiteux et perclus. Ceux qui étaient ainsi guéris et leurs familles suivaient Jésus lorsqu'il sortait de chez eux et proclamaient ses louanges. Mais il les renvoya et leur fit défendre d'en agir ainsi. Dans les rues des femmes vinrent à sa rencontre avec des enfants qu'il bénit ; d'autres lui en amenèrent qui étaient malades et il les guérit.

Ainsi se passa l'après-midi jusqu'au soir où Jésus se rendit avec le rabbin à un repas donné en son honneur, qui coïncidait d'ailleurs avec l'ouverture de la moisson et s'y rattachait en partie. On y donna à manger aux pauvres et aux ouvriers et Jésus loua beaucoup cet usage. On les faisait venir des champs par troupes et on leur donnait des aliments sur de longues tables qui ressemblaient à des bancs de pierre. Jésus les servit à plusieurs reprises ainsi que les disciples et il les enseigna en paraboles mêlées de courtes sentences. Plusieurs docteurs juifs assistaient au repas ; cependant en général ils n'étaient pas si bien disposés ni si ouverts que les Juifs qui avaient hébergé Jésus à Salamine. Ils avaient quelque chose de pharisaique, et quand ils se furent un peu échauffés ils tinrent quelques propos blessants. "N'aurait-il pas mieux fait, disaient ils, de rester en Palestine ? Que venait-il chercher chez eux ? Pourvu qu'au moins il ne causât pas de troubles dans le pays. Voulait-il y rester longtemps " ?, ils touchaient aussi divers points de sa doctrine et de sa manière d'agir que les Pharisiens de la Palestine ressassaient sans cesse. Jésus fit ses réponses accoutumées, avec sévérité ou avec douceur, selon qu'ils se montraient plus ou moins civils. Il dit qu'il était venu ici pour pratiquer des oeuvres de miséricorde e pour faire la volonté de son Père céleste. Le colloque fut très animé et amena une sévère mercuriale de Jésus, où, tout en louant leur charité envers les pauvres et tout ce qui chez eux méritait des éloges, il blâma énergiquement tout ce qui sentait l'hypocrisie. Il était déjà tard lorsque Jésus se retira avec les siens. Les rabbins l'accompagnèrent jusqu'à la porte de la ville.

Jésus étant revenu à son logis avec ses disciples, un païen vint à lui et le pria de l'accompagner à quelques pas de la, jusqu'à un jardin où l'attendait une personne très affligée qui implorait son assistance. Jésus y alla avec les disciples, et comme il vit entre les murs qui bordaient le chemin une femme païenne qui s'inclina devant lui, il dit aux disciples de se retirer à quelque distance et demanda à cette femme ce qu'elle désirait. C'était une femme très singulière, tout à fait dénuée d'instruction, profondément enfoncée dans le paganisme et dans les pratiques religieuses les plus honteuses. La vue de Jésus avait jeté le trouble dans son âme ; elle avait le sentiment qu'elle faisait mal ; mais la foi simple lui manquait et elle avait une manière très confuse de s'accuser. Elle dit à Jésus qu'ayant appris qu'il avait secouru Madeleine, et aussi l'hémorroïsse qui avait seulement touché le bord de sa robe, elle lui demandait aussi son assistance, car le culte de la déesse était devenu intolérable pour elle. Elle reconnaissait que ce culte impur exigeait d'elle des choses condamnables ; elle le priait de vouloir bien la guérir et l'instruire, mais elle craignait qu'il ne put pas la guérir parce qu'elle n'avait pas une maladie corporelle comme l'hémorroïsse. Elle confessa qu'étant mariée et ayant trois enfants, l'un d'eux était le fruit d'un adultère dont son mari n'avait pas connaissance. Elle avait des relations avec le gouverneur romain. Lorsque Jésus, la veille, était allé voir ce gouverneur à Salamine, elle l'avait regardé par une fenêtre et avait vu briller une auréole de lumière autour de sa tête, ce qui l'avait toute bouleversée. Elle avait cru ; d'abord que c'était un sentiment d'amour pour lui, mais cette pensée avait fait naître en elle une horrible angoisse et elle était tombée sans connaissance. Lorsqu'elle avait repris ses sens, toute sa vie et l'état de son âme s'étaient montrés à elle comme quelque chose de si effrayant que depuis lors elle n'avait pas eu un moment de repos. Elle s'était enquise de lui, et des femmes juives lui avaient raconté la guérison de Madeleine et celle de l'hémorroïsse (Enoné de Césarée de Philippe) ; maintenant elle le suppliait de la guérir aussi s'il était possible. Jésus lui dit que l'hémorroïsse avait eu une foi simple, qu'elle n'avait ni délibéré longuement ni cherché des explications, qu'elle s'était glissée secrètement dans la foule, qu'elle avait cru fermement à sa guérison si elle touchait seulement le bord de son vêtement, et que sa foi l'avait guérie.

Cette femme inconsidérée demanda encore à Jésus comment il avait pu savoir que l'hémorroïsse l'avait touché et qu'il l'avait guérie, elle n'avait aucune idée de Jésus et de son pouvoir : toutefois elle implorait son assistance du fond du coeur. Mais Jésus la congédia : il lui enjoignit de renoncer à sa vie ignominieuse, lui parla du Dieu tout-puissant et de ses commandements où il est dit : Tu ne commettras pas d'adultère. Il lui représenta toute l'abomination de l'impudicité devant laquelle sa nature même se révoltait dans le culte impur de ses idoles, et lui adressa des paroles à la fois si sévères et si miséricordieuses, qu'elle se retira fondant en larmes et toute contrite. Elle s'appelait Mercuria : c'était une grande femme d'environ vingt-cinq ans ; elle était enveloppée dans un manteau blanc, long et large par derrière et tombant assez bas par devant ; il formait un capuchon autour de la tête. Le reste du vêtement était également blanc, mais avec des bordures de couleur. Les étoffes dont s'habillent ces païennes sont si moelleuses et si souples qu'elles accusent toutes leurs formes.

Sainte Catherine était de Salamine ; j'ai appris cette fois que ses ancêtres étaient des païens.

On baptisera ici à différentes fontaines. Le peuple campe ça et là.

6 mai. — Aujourd'hui pendant toute la matinée les disciples ont baptisé près de la fontaine. Je vis Jésus enseigner en différents endroits, près des aqueducs et ailleurs. Il enseigna principalement en paraboles relatives à la moisson, puis sur le pain quotidien, la manne, le pain de vie qui devait venir et l'unité de Dieu. Les travailleurs étaient divisés par groupes pour la moisson, et je vis Jésus les enseigner à mesure qu'ils passaient devant lui. Les gens qui campaient ici sous des tentes étaient des Juifs venus à cause de Jésus. Ils avaient amené des malades sur leurs bêtes de somme ; ceux-ci furent aujourd'hui portés dans des litières sous des pavillons et sous des arbres dans le voisinage de l'endroit où Jésus enseignait. Le Sauveur guérit une vingtaine de boiteux et de perclus.

Vers dix heures, je vis Jésus interrogé par plusieurs païens instruits qui, pour la plupart, avaient assisté à son instruction de la veille. Ils lui demandèrent des explications sur divers points et tout en se promenant dans des allées voisines de l'aqueduc, ils eurent avec lui un long entretien touchant leurs dieux ; il fut surtout question d'une déesse sortie de la mer ici même, et d'une autre représentée dans son temple avec un corps de poisson et dont le nom est Dercéto '. Ils s'enquirent aussi d'une tradition touchant Élie, qui avait cours parmi les Juifs : suivant cette tradition, le prophète avait vu s'élever de la mer une nuée qui n'était autre qu'une vierge : or ils voulaient savoir où elle était descendue, car d'elle devait sortir un roi, bienfaiteur de toute la terre, et d'après les calculs, le temps de son avènement devait être venu. Ils mêlaient à cela l'histoire d'une étoile que leur déesse avait laissé tomber sur Tyr, et c'était peut-être là la nuée en question.

L'un d'eux dit qu'on parlait d'un fanatique qui avait paru en Judée et qui, exploitant l'histoire de la nuée d'Élie et les calculs auxquels elle avait donné lieu, prétendait être le roi en question. Jésus ne répondit pas que c'était lui dont il s'agissait, toutefois il leur dit que cet homme n'était point un fanatique propageant des faussetés, qu'on faisait courir sur lui beaucoup de bruits mensongers, et que son interlocuteur était mal renseigné.

NOTE : Les recherches les plus récentes sur cette déesse païenne établissent, suivant Niebuhr, dans son histoire d'Assur et de Babel, que d'après les plus anciennes traditions Dercéto, appelée aussi Atergatis, ou Tiglat est représentée comme la mère de Sémiramis et la déesse protectrice de la dynastie de Ninus. (Note de l'éditeur.)

Il ajouta qu'en effet le temps était venu où les prophéties devaient être accomplies. L'interrogateur était un homme mal intentionné, un bavard : il ne soupçonnait pas qu'il parlait à ce Jésus qu'il calomniait : il avait seulement recueilli divers bruits sur son compte.

Ces hommes étaient des philosophes qui avaient un pressentiment de la vérité avec un mélange de foi en leurs dieux, bien qu'ils donnassent à leur histoire toute sorte d'interprétations subtiles. Mais tous les personnages et les faux dieux qu'ils voulaient expliquer se mêlaient et se confondaient les uns avec les autres, et ils voulaient encore faire entrer dans ce chaos la nuée d'Élie et la Mère de Dieu, dont toutefois ils ne savaient rien. Ils donnaient aussi à leur déesse (Dercéto) le nom de reine du ciel. Selon eux, elle avait apporté sur la terre toute sagesse et toute joie ; ses partisans avaient cessé de la reconnaître, et elle avait tout annoncé d'avance, même qu'elle disparaîtrait au fond des eaux' reviendrait sous forme de Poisson et resterait ensuite éternellement près d'eux, ce qui était arrivé en effet, etc. Sa fille, qu'elle avait conçue en célébrant de saintes cérémonies était Sémiramis, la sage et puissante reine de Babylone.

Chose singulière, pendant qu'ils parlaient, je vis toute l'histoire de ces déesses, leur origine, leur vie, et j'étais impatiente de dire à ces philosophes combien ils étaient dans l'erreur. Ils me paraissaient incroyablement stupides de ne pas le voir, eux aussi, et je me disais sans cesse : " C'est pourtant si clair, si facile à comprendre, il faut que je leur raconte tout " puis je me disais de nouveau : " Tu ne dois pas te mêler là-dedans, ces savants hommes doivent savoir cela mieux que toi ". Je me tourmentais ainsi plusieurs heures pendant l'entretien et maintenant je ne saurais plus dire tout cela d'une manière suivie.

Jésus leur fit voir leur absurdité et leur folle. Il leur raconta l'histoire de la création, d'Adam et d'Ève, de la chute originelle, de Caïn et d'Abel, des enfants de Noé, de la tour de Babel, de la séparation des bons et des mauvais et des progrès de l'impiété chez ceux-ci. Il dit comment, s'étant séparés de Dieu et voulant pourtant se rattacher à lui, ils avaient inventé des dieux de toute espèce, et avaient été poussés par le mauvais esprit dans la voie des erreurs les plus funestes, comment la promesse relative à la semence de la femme qui devait écraser la tête du serpent, persistait à travers toutes leurs inventions, leurs pratiques superstitieuses et leurs opérations magiques ; de là venaient tous ces personnages chimériques qui devaient apporter le salut au monde, mais qui n'amenaient à leur suite que de plus grands péchés et de plus grandes abominations, provenant de la source impure d'où on les avait tirés tirés. Jésus dit comment Abraham fut mis à part pour engendrer une race de promission ; il parla de la conduite, de l'éducation et de la purification des enfants d'Israël, des prophètes, d'Élie et de sa prophétie, enfin du temps présent qui était le temps de l'accomplissement. Il s'exprima d'une manière si simple, si persuasive et si pénétrante, que quelques-uns de ces philosophes se sentirent éclairés d'une lumière toute nouvelle, tandis que d'autres se perdirent de nouveau dans leurs systèmes confus. Jésus s'entretint avec eux jusqu'à une heure : je crois que quelques-uns d'entre eux croiront et se convertiront. Mais ils sont tout embarrassés dans leurs explications abstraites de toute sorte de choses extravagantes et embrouillées. Jésus a pourtant fait briller quelque lumière dans leur âme en leur prouvant que dans les races humaines déchues et dans leur histoire, il était toujours resté une trace plus ou moins marquée des desseins de Dieu sur les hommes ; en leur faisant voir que pendant qu'ils vivaient dans un royaume de ténèbres et de confusion, où ils s'étaient attaches aux créations monstrueuses et aux abominations de l'idolâtrie, qui pourtant au milieu de leur folle, présentaient encore l'apparence extérieure de la vérité perdue, Dieu prenant pitié des hommes, s'était formé avec un petit nombre resté pur un nouveau peuple dans lequel la promesse devait trouver son accomplissement Il leur montra que le temps de la grâce était arrivé, et que quiconque ferait pénitence, se convertirait et recevrait le baptême, renaîtrait de nouveau pour devenir enfant de Dieu.

Pendant tout cet entretien je vis des tableaux de l'histoire de ces faux dieux qui étaient adorés ici et j'y trouvai je ne sais quelle imitation trompeuse des saintes apparitions qui s'étaient manifestées à des prophètes et à des Patriarches, bienfaiteurs de l'espèce humaine. C'était comme si j'avais vu des chaumes stériles croissant à côté du han froment, les tiges des deux espèces ayant leurs divers noeuds formés en même temps ou s'élevant à la même hauteur. Je vis, lorsque les enfants de Noé se furent séparés pour commencer leurs établissements, toute espèce d'abominations magiques prendre naissance parmi les mauvaises races. Ils s'enfonçaient chaque jour davantage dans le vice et l'abomination et ne suivaient que leur propre sens et leurs propres pensées. Je vis parmi eux quelques traces des saints mystères de Noé et de Sem, mais horriblement défigurés. J'y vis des pratiques idolâtriques pleines d'impureté, des cérémonies magiques, des unions criminelles jointes à des sacrifices d'enfants, et tout cela ayant pour but d'engendrer une race sainte. J'en vis un grand nombre s'enfoncer tout à fait dans un royaume ténébreux, livré à l'empire du démon ; ils se trouvaient souvent dans un état de clairvoyance prophétique, et leur influence répandait partout l'erreur et la confusion. Je vis spécialement leurs prestiges s'opérer devant des bassins pleins d'eau où ils regardaient comme dans des miroirs, ce qui leur procurait des visions brillantes et merveilleuses, mais mensongères. Ils se livraient à leurs infâmes passions près de ces miroirs, à la suite de certaines prophéties et après avoir observé les astres. De ces unions souvent consommées par la violence avec des personnes qu'ils enlevaient, naissaient des êtres extraordinaires, d'une force physique effrayante qui se consacraient aussi dès leur jeunesse à un culte de ce genre. Ainsi se forma à la suite de plusieurs générations une race d'hommes puissants, doués d'un pouvoir magique et pour ainsi dire surnaturel, qui, en liaison intime avec les mauvais esprits, dominaient les autres hommes, les guidaient et les trompaient. Ils vivaient dans une espèce d'ivresse dont ils ne se rendaient pas compte eux-mêmes, car ils étaient le plus souvent comme des bêtes sauvages, livrés aux puissances de l'enfer et recevant d'elles une clairvoyance magique.

Je vis trois générations, de mère en fille, allant de Dercéto à Sémiramis. Je vis Dercéto, qui était une grande et forte femme habillée d'une peau de bête où pendaient des lanières et des queues d'animaux et coiffée d'un bonnet de plumes d'oiseaux, sortir avec beaucoup d'autres personnes des deux sexes de la contrée où s'éleva plus tard Babylone. Son occupation constante était de prophétiser, de voir, de fonder, de faire des sacrifices et d'errer de tous côtés. Ils poussaient devant eux diverses tribus conduisant de nombreux troupeaux, cherchaient au moyen de la divination des lieux propres à former des établissements, entassaient les unes sur les autres de grandes pierres qui souvent étaient d'une énorme dimension, offraient leurs sacrifices et se livraient à la débauche. Tout subissait l'influence de Dercéto : elle était tantôt dans un lieu, tantôt dans un autre, et partout on lui rendait des honneurs. Elle avait eu très tard une fille, conçue dans ses orgies diaboliques, qui par la suite continua son rôle. Je vis le plus souvent toutes ces scènes se passer dans une plaine, ce qui indiquait où avaient commencé ces pratiques abominables. Je vis en dernier lieu Dercéto, devenue une vieille femme d'un aspect effrayant, pratiquer encore ses sortilèges au bord de l'eau, dans une ville située près de la mer. Livrée à une extase diabolique, elle déclara en présence du peuple assemblé qu'elle voulait mourir et se sacrifier pour tous ; qu'elle ne pouvait plus rester parmi eux, mais qu'elle se métamorphoserait en poisson et qu'alors elle serait toujours dans leur voisinage. Elle régla aussi le culte qu'on devait lui rendre et se précipita dans la mer devant tout le peuple. Il y avait dans toutes ces prophéties beaucoup de choses mystérieuses et symboliques touchant l'élément de l'eau, etc. Je vis aussi que bientôt après un poisson se montra à la surface de la mer, que le peuple célébra sa venue par des sacrifices et des abominations de tout genre, et que tout un culte idolâtrique sortit de ces extravagances de Dercéto.

Après elle, j'en vis une autre, qui était sa fille, paraître sur une montagne peu élevée. Cela indiquait un état déjà plus avancé. C'était encore à l'époque de Nemrod ; je crois que ces femmes et lui étaient de la même race. Je vis celle-ci faire à peu près les mêmes choses que Dercéto, mais d'une façon encore plus violente et plus sauvage. Elle était la plupart du temps en chasse ou en voyage avec des bandes très nombreuses, poursuivant souvent les bêtes féroces sur d'immenses étendues de pays, et en même temps offrant des sacrifices, se livrant à la débauche, pratiquant la magie et faisant des prédictions. Il y avait avec tout cela des fondations d'établissements où l'on organisait des cultes idolâtriques. Je vis cette femme se précipiter dans la mer en combattant un hippopotame.

Elle eut pour fille Sémiramis, conçue également dans la célébration des mystères idolâtriques. Je la vis sur une haute montagne entourée de tous les royaumes et de tous les trésors du monde, que le démon semblait lui montrer et lui donner, et je la vis à Babylone mettre le comble à toutes les abominations de sa race.

Dans les premiers temps ces états diaboliques étaient moins violents et s'étendaient à un grand nombre de personnes : plus tard ils se manifestèrent seulement chez quelques individus, mais avec une puissance effrayante. Ceux-ci devenaient alors pour les autres des conducteurs et des dieux, et ils fondaient des religions idolâtriques ayant leurs visions pour base. Ils exerçaient aussi en divers lieux une action puissante au moyen d'arts et d'inventions de toute espèce ; car ils étaient remplis du malin esprit. Il sortit de là des tribus entières, composées d'abord de princes et de prêtres, puis formées uniquement de familles sacerdotales. Dans les premiers temps j'ai vu plus de femmes que d'hommes servir ainsi d'instruments au démon et une force occulte leur inspirait les mêmes sentiments, leur donnait les mêmes connaissances et les faisait agir de concert. Beaucoup de choses qu'on en raconte sont la reproduction incomplète de ce que dans leurs états extatiques ou magnétiques elles disaient d'elles-mêmes, de leur origine et de leur mission, ou de ce qu'en rapportaient d'autres somnambules diaboliques. Les Juifs aussi, en Égypte, s'étaient adonnés aux sciences occultes, mais Moïse abolit ces pratiques et il fut le voyant de Dieu. Il s'en conserva bien des restes chez les rabbins à l'état de curiosités scientifiques ; plus tard tout cela se réduisit chez les divers peuples à quelque chose d'ignoble et de subalterne dont les traces se retrouvent encore ça et là dans la sorcellerie et les superstitions populaires ; mais c'est toujours le fruit du même arbre de perdition qui a ses racines dans le royaume infernal. Toutes les scènes qui se rapportent à cet ordre de choses m'apparaissent tout contre terre et même sous terre. Il y a aussi dans le magnétisme un élément qui vient de là.

L'eau avait quelque chose de sacré pour ces premiers idolâtres: ils accomplissaient au bord de l'eau les cérémonies de leur culte, et ce n'était qu'après avoir regardé dans l'eau qu'ils entraient dans leurs états de clairvoyance prophétique ils eurent bientôt pour cela des étangs qu'on consacrait à cet effet. Plus tard ces états devinrent permanents, et ils n'eurent plus besoin de recourir à l'eau pour se procurer leurs visions malfaisantes. J'ai vu à cette occasion quelque chose de leurs visions et c'était fort singulier : il semblait que le monde entier se retrouvât sous l'eau avec tout ce qui en couvre la surface, mais tout cela était enveloppé dans une sphère ténébreuse, pleine d'influences malignes. Les arbres, les montagnes, les amas d'eau s'y trouvent placés au dessous des objets qui leur correspondent. J'ai vu que les magiciennes dont j'ai parlé voyaient ainsi toutes sortes de choses, des peuples, des guerres, des dangers imminents, etc., et de semblables visions ont encore lieu maintenant, avec cette différence qu'elles faisaient et rendaient réelles les choses qu'elles voyaient. Elles disaient par exemple : Il y a en tel lieu un peuple que vous pouvez subjuguer ; vous pouvez tomber sur celui-là à l'improviste. bâtir une ville dans cet endroit. Elles voyaient des hommes et des femmes de haut rang, et les moyens dont elles pouvaient se servir pour les circonvenir et en faire leurs instruments ; elles voyaient même d'avance le culte diabolique qu'elles devaient propager. Ainsi Dercéto vit qu'elle se précipiterait dans la mer, pour y devenir poisson et elle fit ce qu'elle avait vu. Même ses abominations lui étaient montrées dans l'eau avant qu'elle ne s'y livrât.

La fille de Dercéto vit commencer déjà une époque où l'on construisait de grandes digues et où l'on faisait des routes. Elle alla jusqu'en Égypte et passa toute sa vie à courir et à chasser. Ses compagnons étaient de la classe de ces hommes qui pillèrent et dévastèrent ce que Job possédait en Arabie. En Égypte, tout cela se constitua régulièrement : on s'y adonna avec tant de passion que, dans les temples et ailleurs encore, on voyait un grand nombre de ces devineresses assises sur des sièges d'une forme singulière, devant des miro1rs de toute sorte, et que toutes leurs visions, au moment même où elles y étaient plongées, étaient recueillies par des prêtres qui les faisaient aussitôt sculpter par des centaines d'ouvriers, sur les parois de certaines grottes creusées dans le roc.

C'est aussi une chose étrange que j'aie vu tous ces affreux ministres de l'oeuvre des ténèbres agir de concert sans le savoir, et que j'aie vu en divers lieux d'autres personnes, sans rapport avec eux, se livrer aux mêmes pratiques ou à d'autres pratiques semblables avec la seule différence qui résultait des coutumes locales et des mauvais penchants des peuples. Certains peuples, toutefois, étaient moins profondément plongés dans ces abominations et plus rapprochés de la vérité, par exemple, ceux d'où provenait la famille d'Abraham, celle de Job et celle des trois rois, comme aussi les adorateurs des astres, que Jésus trouva en Chaldée et qui avaient eu Pour guide l'étoile brillante (Zoroastre).

Lorsque Jésus-Christ vint sur la terre et lorsque la terre eut été arrosée de son sang, cette redoutable influence perdit beaucoup de sa force, et les phénomènes produits par elle devinrent plus rares et moins frappants. Moïse, dès ses premières années, fut un voyant, mais complètement en Dieu, et ce qu'il voyait fut toujours la règle de sa conduite.

Dercéto, sa fille, et sa petite-fille Sémiramis, atteignirent les unes et les autres un âge très avancé, ce qui était ordinaire à cette époque. C'étaient des personnes grandes, robustes et puissantes dont le genre de beauté nous inspirerait presque de l'effroi aujourd'hui. Elles étaient hardies, fougueuses et impudentes au delà de tout ce qu'on peut dire, et elles agissaient avec une assurance incroyable, grâce à leurs visions diaboliques où elles voyaient tout d'avance : elles étaient pleines de confiance en elles mêmes, car elles avaient le sentiment intime qu'elles étaient des créatures à part et comme des divinités. En elle se répétait, pour ainsi dire, cette race de magiciens encore plus redoutables qui habitait sur la grande montagne et qui avait péri dans le déluge.

On est touché de voir comment les justes de l'époque patriarcale suivaient leur route au milieu de toutes ces abominations, aidés sans doute par de fréquentes révélations de Dieu, mais ayant continuellement à combattre et à souffrir, et par quelles voies pénibles et cachées le salut vint enfin sur la terre, pendant que ces serviteurs du démon réussissaient dans toutes leurs entreprises et que tout semblait être à leurs ordres.

Lorsque je voyais toutes ces choses, l'immense sphère d'activité dans laquelle s'exerçait l'action de ces déesses, le culte qu'on leur rendait sur la terre, et, à côté de cela, la petite troupe de Marie, figurée symboliquement par cette nuée d'Elie que ces philosophes voulaient faire entrer dans leur oeuvre de mensonge ; puis Jésus, en qui s'accomplissaient toutes les promesses, se présenter à eux pauvre et humble, et les enseigner patiemment, hélas ! je me sentais saisie d'une immense tristesse ! Et pourtant ce n'était rien autre chose que l'histoire de la vérité et de la lumière qui luit dans les ténèbres et que les ténèbres n'ont point comprise jusqu'au jour où nous vivons.

Mais la miséricorde de Dieu est infinie. J'ai vu que pendant le déluge, un très grand nombre de personnes se convertirent à la vue des terribles châtiments qui les frappaient, qu'elles allèrent en purgatoire et que Jésus les délivra lors de sa descente aux enfers. Dans le déluge, il y eut beaucoup d'arbres qui restèrent fermes sur leurs racines et qu'on vit reverdir plus tard: cependant la plupart furent recouverts de vase et enfouis.

Je vis, à la fin de cette vision touchant la déesse poisson, Dercéto, une autre scène dont je ne me rappelle que ceci : le Pèlerin mit sur mon lit un énorme poisson avec une tête d'une forme étrange; je voulus le découper pour en faire des parts, mais toute la chair d'un des côtés tomba d'elle même. Je saisis alors la queue du poisson et la carcasse me resta tout entière dans la main. Je retirai la peau et je dis: " Nous donnerons la chair aux enfants ". Nous plaçâmes la carcasse de manière qu'on pût la regarder et l'étudier (note).

Avant cette vision, tout de suite après le baptême, Jésus avait congédié Barnabé et les autres disciples. Jacques le mineur devait baptiser encore : Barnabé et les autres allèrent à quelques lieues de là, jusqu'à Chytrus, où demeure la fille de Barnabé. Jésus n'avait avec lui que le disciple Jonas et un autre disciple de Dabrath (qu'Anne Catherine avait oublié de mentionner en parlant de la traversée).
Jésus fut encore invité à aller voir le gouverneur: mais il s'excusa et alla à une demi-lieue à l'ouest de Salamine, dans une riche et fertile contrée su r laquelle se trouvaient disséminées plusieurs habitations de cultivateurs, et où l'on s'occupait partout de la moisson. C'étaient, pour la plupart, des Juifs qui paraissent avoir des terres en cet endroit.

NOTE : C'est incontestablement un symbole indiquant qu'Anne Catherine ne pouvait plus représenter la chair, mais seulement le squelette de cette grande vision sur la déesse poisson Dercéto: cette chair, elle la laissait aux enfants comme une bagatelle, parce que c'était une chose de peu de valeur. (Note du Pèlerin.)

Le pays est très agréable et autrement cultivé que chez nous. Le blé venait sur des espèces de terrasses très élevées semblables à des remparts, entre lesquelles se trouvaient, beaucoup plus bas, des herbages entourés d'oliviers, d'arbres fruitiers et d'autres arbres; un nombreux bétail, qui était là comme parqué, paissait et se promenait à l'ombre sans pouvoir causer aucun dommage. La rosée tombait en abondance sur ces prairies et il y avait des retenues d'eau. J'y vis beaucoup de vaches noires sans cornes, des taureaux bossus, à l'allure pesante, portant des cornes très larges et qu'on employait à porter des fardeaux; des ânes nombreux, de très grands moutons dont la queue était très épaisse et des troupeaux de boucs ou de béliers qui étaient séparés des autres. On voyait çà et là des maisons et des hangars disséminés. Les gens de cet endroit avaient une très belle école et une chaire; ils avaient aussi un docteur, mais, le jour du sabbat, ils allaient à une synagogue voisine de l'endroit OÙ Jésus était logé à Salamine.

La route était très belle : à peine les travailleurs eurent ils aperçu Jésus, que la plupart avaient déjà vu à la synagogue et an baptême, qu'ils quittèrent leur travail par troupes, déposèrent leurs outils et le morceau d'écorce d'arbre qu'ils portaient sur la tête pour se préserver du soleil, descendirent en hâte des hautes terrasses couvertes de blé et vinrent sur le chemin de Jésus, devant lequel ils s'inclinèrent. Quelques uns se prosternèrent tout à fait à terre. Jésus les salua et les bénit, et ils s'en retournèrent. Lorsqu'il fut près de l'école, le maître auquel on l'avait annoncé, vint à la rencontre de Jésus avec d'autres personnages honorables, lui dit qu'il était le bienvenu, le conduisit près dune belle fontaine où il lui lava les pieds, lui prit son manteau qu'il fit épousseter, et lui offrit à boire et quelques aliments.

Alors Jésus, accompagné de ces hommes et de quelques autres qui étaient venus de Salamine, formant en tout une douzaine de personnes, alla d'un champ à l'autre et enseigna les moissonneurs en leur racontant de courtes paraboles sur le semeur, sur la moisson, sur la séparation du bon grain et de l'ivraie, sur la construction de la grange, sur les mauvaises herbes qui devaient être jetées au feu. Les différents groupes l'écoutaient, puis ils reprenaient leur travail et il allait à d'autres.

Les hommes coupaient le blé très vite, avec une faucille recourbée, deux mains au-dessous de l'épi, puis ils le passaient aux femmes qui se tenaient derrière eux et qui liaient les gerbes et les emportaient dans des corbeilles. Je vis qu'on laissait debout beaucoup d'épis moins hauts que les autres, et que de pauvres femmes venaient les couper et glanaient en outre ceux que les moissonneurs laissaient tomber. Ces femmes avaient un. vêtement très court. Elles avaient le milieu du corps entouré de linges jusqu'aux reins : en outre leur robe était relevée de manière à former une poche où elles mettaient les épis qu'elles recueillaient. Leurs bras étaient ml s, elles avaient des linges autour de la poitrine et du des, la tête voilée ou découverte sous un chapeau d'écorce, selon qu'elles étaient mariées ou vierges. Jésus fit bien une demi lieue en se promenant ainsi dans la campagne.

Ils retournèrent au puits voisin de l'école ; on avait placé là, sur un banc de pierre, pour Jésus et ses compagnons, du miel dans les écuelles, de longs bâtons dont on coupait de petites tranches qu'on mettait sur le pain, des gâteaux plats, des fruits et de petits cruchons. Le puits était très beau : il était adossé à une haute terrasse toute couverte d'arbres ; il fallait descendre plusieurs marches pour arriver au réservoir : on trouvait là de l'ombre et du frais. Les habitations des femmes étaient séparées de la maison d'école : elles venaient, couvertes de leurs voiles, apporter les aliments. Jésus enseigna sur l'Oraison Dominicale. Le soir, les moissonneurs se rassemblèrent dans l'école, et Jésus expliqua encore les paraboles qu'il avait racontées ; il enseigna aussi sur la manne, sur le pain quotidien et sur le pain du ciel.

Jésus alla ensuite, avec le maître d'école et quelques autres, dans les différentes cabanes où il y avait des malades, et il guérit un certain nombre de boiteux ou d'hydropiques. Ces malades étaient, pour la plupart, dans de petites chambres attenant aux maisons. Jésus alla visiter entre autres personnes une grosse femme qui était hydropique. Sa petite cellule n'était pas plus grande que sa couche : elle était ouverte du côté de ses pieds, où elle pouvait voir un petit jardin plein de fleurs ; le toit était léger et pouvait être enlevé afin qu'elle pût voir le ciel. Des hommes et des femmes s'approchèrent de sa cabane avec Jésus ; ils enlevèrent la toiture, et Jésus lui demanda : " Femme, voulez-vous recouvrer la santé " ? Elle répondit avec humilité : " Je veux ce qu'ordonnera le prophète ! " Alors Jésus lui dit : " Levez-vous ! Votre foi vous a guérie ". Aussitôt la femme se leva, sortit et dit : " Seigneur, je reconnais maintenant votre puissance, car plusieurs ont voulu me guérir et ne l'ont pas pu ". Elle rendit grâces ainsi que les siens et glorifia le Seigneur : beaucoup de personnes vinrent et furent saisies d'admiration en la voyant guérie. Jésus retourna à la maison d'école. Ils allèrent encore près du puits : il enseigna, dormit et pria pendant la nuit comme de coutume.

Je vis aujourd'hui, à Salamine, Mercuria la pécheresse aller et venir dans ses appartements, pleine d'angoisse et de chagrin. Elle pleurait, joignait les mains, et se couchait souvent dans un coin, enveloppée dans son manteau. Son mari, qui me semble assez borné, et ses servantes la croyaient folle. Mais elle est bourrelée de remords, et ne pense qu'aux moyens à prendre pour se retirer d'ici et aller trouver les saintes femmes en Palestine. Elle a deux filles, l'une de huit ans, l'autre de neuf et un petit garçon de cinq. Sa maison est à côté du grand temple ; elle est très spacieuse et solidement bâtie ; il y a beaucoup de logements pour les domestiques, et elle est entourée de colonnes, de terrasses et de jardins. On l'invita à aller au temple, mais elle refusa, disant qu'elle était malade.

J'ai aussi jeté un coup d'oeil dans le grand temple. C'est un édifice singulier où il y a une quantité de colonnes, de chambres, de logements et de caveaux. Les prêtres y habitent tous, il y a aussi des femmes. J'y vis entrer des hommes et des femmes voilées. On voit à l'intérieur une statue colossale de la déesse, grande comme un saint Christophe. Elle brille comme de l'or : elle a un corps de poisson avec une queue qui se relève par derrière, des mamelles de femme et une tête avec des cornes, comme une tête de vache. Devant elle est une autre figure sur les épaules de laquelle elle appuie ses bras, qui sont très courts, ou plutôt ses griffes. Tout ce groupe est élevé sur des degrés au-dessus d'un grand piédestal où il y a des ouvertures, et dans l'intérieur duquel on brûle de l'encens et d'autres aromates de toute espèce. Je vis encore là toute sorte d'abominations. Les portes du temple étaient fermées, on se livrait en secret aux pratiques d'un culte infâme. On sacrifiait ici souvent des enfants, particulièrement ceux qui étaient mal conformés. Toutes ces horreurs ont lieu en l'honneur de la déesse. Je ne puis ni ne veux parler de tout ce qui se passait là. Il y a dans ce temple beaucoup de grillages d'un travail bizarre.

È

CHAPITRE SECOND

Jésus visite les villes de Chytrus et de Mallep, ainsi que leurs environs.

(du 7 au 20 mai.)

Pourquoi Jésus est allé en Chypre.-Barnabé le conduit à Chytrus, sa patrie.-Jésus enseigne une caravane païenne. - Effets du séjour de Jésus dans l'île de Chypre. - il enseigne aux mines devant Chytrus.-Sa réception dans cette ville.-il s'arrête dans un endroit nommé le Rucher. - il est reçu solennellement dans la maison paternelle de Barnabé. - Jésus a Mallep. - L'effet qu'il y produit. - Ses rapports avec des philosophes paiens. - Solennité juive des fiançailles - Description de Mallep.

7 mai .-Ce matin Jésus parcourut encore les champs et enseigna les travailleurs. Il y eut toute la journée un brouillard d'une intensité extraordinaire ; on pouvait à peine se distinguer les uns les autres ; le soleil se montrait à travers la brume comme une tache blanchâtre ; une couche de blanches vapeurs couvrait la surface de la terre.

Toute cette contrée, avec ses vallons et ses riches produits, s'étend dans la direction du nord et se termine en pointe entre des montagnes. Il y a beaucoup de perdrix et de cailles et une quantité surprenante de gros pigeons à jabot. Je me souviens aussi d'avoir vu sur des arbres plantés en espaliers, une espèce de grosses pommes grises à côtes dont la chair est rayée de rouge ; je crois qu'il y a huit pépins, rangés deux par deux.

Jésus enseigna comme hier, en paraboles relatives à la moisson, et il parla encore du pain quotidien. Il ne fit pas ici de repas proprement dit, mais il accepta ça et là des cabanes la petite réfection rustique qu'on lui offrait. Il guérit plusieurs enfants perclus qui étaient couchés dans des espèces d'auges sur des peaux de brebis; quelques-uns de ces gens se répandirent en grands éloges de son enseignement; Jésus les reprit à ce sujet, les renvoya aux commandements de Dieu et dit quelque chose de semblable à ces paroles de l'Évangile: "il sera donné à celui qui a : à celui qui n'a pas on ôtera ce qu'il semble avoir". (Luc, VIII, 18.)

Je vis les Juifs manifester des doutes touchant divers points des enseignements de Jésus. Ils craignaient de n'avoir pas part à la terre promise. Ils pensaient que Moïse n'aurait pas eu besoin de conduire les Israélites à travers la mer Rouge, ni de les faire errer si longtemps dans le désert ; car il y avait des chemins plus courts. Jésus leur répondit que la terre promise n'était pas seulement dans le pays de Chanaan, qu'on pouvait se mettre en possession du royaume de Dieu sans avoir besoin pour cela d'errer si longtemps dans le désert ; il les exhorta, puisqu'ils faisaient ces reproches à Moïse, à ne pas faire eux-mêmes de longs circuits dans le désert du péché, de l'incrédulité et du murmure, et à prendre le plus court chemin, celui de la pénitence, du baptême et de la foi.

J'eus là-dessus une longue vision de la marche des Israélites dans le désert ; je vis combien il en mourait et il en naissait annuellement, et je fus étonnée de leur multiplication. J'eus connaissance du chiffre exact, j'en sus aussi les causes et la signification, mais j'ai oublié tout cela plus tard.

Dans l'île de Chypre, les Juifs se sont beaucoup mêlés aux païens, mais de telle sorte que les païens sont devenus juifs.

Il me fut aussi montré pourquoi Jésus est allé dans l'île de Chypre ; je vis que cela se fit en faveur d'environ cinq cents personnes, juifs et païens, dont les uns le suivront, les autres régleront leur vie sur ses enseignements, tandis que le reste l'oubliera. Je vis en outre que la guerre éclata à cette époque entre Hérode et son beau-père Arétas, ce qui fut cause qu'on fortifia Machéronte. Je crois que pendant ce temps on ne pensa guère à Jésus.

Vers midi Barnabé et un de ses frères vinrent trouver Jésus avec deux jeunes païens portés vers le judaïsme. Ils venaient de la partie nord-ouest de l'île, de la patrie de Barnabé, qui s'appelle Chytrus, et qui est une ville assez importante. Ils voulaient déterminer Jésus à s'y rendre pour le prochain sabbat.

Jésus, sans cesser d'enseigner les moissonneurs et les ouvriers, se dirigea avec eux dans l'après-midi vers la vallée terminée en pointe où finit ce district.

Ils arrivèrent ainsi à une grande route qui conduit d'un port situé au nord-ouest de l'île à un autre port situé au sud-est, et qui passe à deux lieues à l'ouest de Salamine Il y a là une grande hôtellerie à l'usage des Juifs dans la quelle ils entrèrent. On trouve à peu de distance de là une quantité de hangars, une maison où logent les païens qui passent et un puits où ils abreuvent leurs bêtes de somme. Cette route est très fréquentée. Il n'y avait pas de femme dans la maison, ou plutôt je crois que celle qui l'habitait avait son logement séparé. Quand on leur eut lavé les pieds et offert une petite réfection, d'autres disciples qui étaient restés à Salamine pour baptiser, arrivèrent ici et Jésus se trouva avoir à sa suite une vingtaine de personnes. Jésus enseigna encore en plein air les gens qui revenaient de leur travail et ils lui amenèrent quelques ouvriers malades qui ne pouvaient plus gagner leur vie. Comme ils étaient pleins de foi, Jésus les guérit et leur ordonna de retourner aussitôt à leurs travaux.

Le soir, il arriva une caravane de gens venant de l'Arabie : l'hôtelier les envoya aux hangars dont j'ai parlé. Ils avaient pour bêtes de somme des boeufs accouplés, portant sur deux longues traverses d'énormes paquets dont ils étaient chargés jusque par dessus la tête. Dans la montagne quand le chemin était trop étroit, ils marchaient les uns derrière les autres et le bagage était placé entre eux. Il y avait aussi des ânes chargés de fardeaux. Il vint une autre troupe conduisant quelques chameaux et de grands boucs qui portaient des ballots de laine. Ces gens commencèrent par décharger et abreuver leurs bêtes : puis quand ils eurent fait tous leurs arrangements, ils saluèrent Jésus et lui demandèrent la permission d'écouter son enseignement. Il montrait la vérité aux païens, mais avec beaucoup de douceur et de ménagements.

Il y a d'ici à Chytrus environ quatre à cinq lieues dans la direction du nord-est.

Les villes de ce pays ne sont pas disposées comme les nôtres, où se touchent les maisons et où chacun a son habitation séparée. On trouve ici le plus souvent de très grands bâtiments avec des terrasses et des murs épais dans lesquels sont pratiqués beaucoup de logements habités par des gens de la classe inférieure. On voit souvent des rues semblables à de larges chaussées dans lesquelles habitent beaucoup de gens et au-dessus desquelles s'élèvent des arbres.

A Salamine, tout paraît être réglé avec beaucoup d'ordre. Je vois que chaque classe de personnes a son quartier et sa rue. Je me souviens d'avoir vu les enfants des écoles et d'autres enfants se tenir presque toujours dans une seule rue : il y aussi des rues transversales où l'on voit continuellement défiler des bêtes de somme. Les philosophes ont une grande maison et une grande cour à leur usage spécial, et je les vois la plupart du temps se promener dans une rue qui semble leur être affectée. Ils marchent recouverts de leurs manteaux, par groupes de quatre ou cinq personnes, et chacun prend la parole à son tour : je vois toujours ceux qui montent se tenir d'un côté de la rue, et ceux qui descendent, du côté opposé. Cet ordre est suivi dans la plupart des rues.

La place où se trouve le puits près duquel le gouverneur s'entretint avec Jésus forme comme une terrasse : on y monte par des degrés où aboutissent les rues environnantes. Il y a tout autour des arcades sous lesquelles se trouvent des boutiques de toute espèce. Sur l'un des côtés est le marché avec des rangées de gros arbres à forme pyramidale sur lesquels on peut monter et s'asseoir dans le feuillage. Le palais du gouverneur donne sur cette place.

J'ai vu beaucoup de choses touchant l'habitation de sainte Catherine à Salamine, ses ancêtres et ses parents : mais je n'en ai retenu qu'une petite partie. La grande maison de la pécheresse Mercuria devint dans la suite la demeure du père de Catherine, lequel s'appelait Costa : Catherine y naquit et y fut élevée. Je vis que son père descendait d'un roi ou prince de Mésopotamie, et que ses parents ou lui-même avaient reçu en Chypre une indemnité pour quelque perte qu'ils avaient subie ou une dotation considérable en terres. C'étaient des arrangements comme ceux qui avaient amené en Palestine le père de Lazare. Il épousa ici une fille de famille sacerdotale, laquelle avait pour ancêtre un des philosophes que je vis converser avec Jésus. Peut-être que la grâce, qu'il n'avait pas repoussée lorsqu'elle lui était venue, porta ses fruits pour lui et qu'il fut récompensé dans sa postérité pour n'avoir pas été tout à fait ingrat. Je vis Catherine enfant et déjà remplie de sagesse ; elle était favorisée d'intuitions intérieures et suivait fidèlement la direction qui lui était donnée ainsi. Elle parlait toujours des dieux en termes méprisants, les avait en aversion et faisait disparaître leurs images autant qu'elle le pouvait : et c'est pourquoi elle fut enfermée dans un autre endroit par son père. Elle devait être mariée à un prince d'Alexandrie : son père avait commencé à bâtir un palais lorsqu'il la conduisit dans cette ville à son fiancé. Pendant le voyage, elle eut diverses illuminations et s'expliqua à ce sujet. C'est là tout ce que je me rappelle confusément de ce que j'ai vu.

8 mai. — Ce matin, Jésus alla encore visiter quelques maisons dans le voisinage : il guérit plusieurs malades et enseigna chez des bergers.

De Salamine ici le pays est extrêmement fertile, et tout le district que Jésus vient de parcourir se compose de terres très productives appartenant aux Juifs.

Jacques le Mineur et d'autres disciples sont venus hier soir. Mnason n'est pas encore allé chez lui, je crois que sa contrée natale est assez éloignée. Ses parents sont bien nés, mais pauvres. Il était allé à l'étranger dans l'espoir de s'y faire une position, et ce fut ainsi qu'il rencontra Jésus.

Je vis Jésus enseigner la caravane d'Arabes voyageurs, venant du pays où avait habité Jethro, le beau-père de Moïse. Ils avaient avec eux leurs femmes, leurs enfants et des animaux de toute espèce, des chameaux chargés, des boeufs, des ânes, des chèvres et des boucs sur le des desquels les femmes avaient attaché de gros ballots de laine. Ils étaient plus bruns que les Chypriotes, très vifs et très gais. Ils étaient venus par mer avec leurs marchandises qu'ils avaient échangées près des mines contre du cuivre et d'autres métaux, et ils se dirigeaient par la grande route vers le sud-est, où ils devaient se rembarquer. Les bêtes portaient dans des caisses allongées leurs lourdes charges de métal, et les fardeaux, à cause de leur pesanteur, avaient moins de volume qu'auparavant. C'étaient, je crois, des barres ou de longues plaques. Il y avait aussi du métal travaillé ; par exemple, des vases ou des chaudières, disposés en ballots arrondis ayant la forme de tonneaux. Les femmes étaient très laborieuses, elles filaient en marchant ou sur le dos des bêtes qui les portaient : pendant les haltes, elles confectionnaient des couvertures et des pièces d'étoffe qu'elles vendaient sur la route ou dont elles se faisaient des vêtements. Elles employaient à cela La laine dont les boucs étaient chargés. Elles avaient leur laine attachée à une épaule, la filaient d'une main et enroulaient le fit sur une espèce de fuseau qu'elles tournaient constamment dans l'autre main, puis, quand celui-ci était chargé, elles le dévidaient sur une bobine fixée à leur ceinture.

Jésus entama la conversation avec ces gens en louant leur diligence, puis il leur demanda : " Pour qui toute cette peine et tout ce travail " ? Ce qui le conduisit à leur parler du Créateur et du conservateur de toutes choses, puis de la reconnaissance due à Dieu et de sa miséricorde envers les pécheurs et les brebis égarées qui errent au hasard et ne connaissent pas leur pasteur. Il les enseigna avec une douceur et une affabilité singulières : ils en furent tout émus et tout réjouis et voulurent lui faire divers présents ; mais il bénit leurs enfants et s'éloigna.

Jésus et ses compagnons, tournant un peu au nord, se dirigèrent vers Chytrus, qui est à peu près à quatre ou cinq lieues d'ici et à six de Salamine. Je les vis ça et là prendre quelque nourriture que leur donnèrent les ouvriers des champs auxquels Jésus adressa de courtes instructions. Le chemin était devenu très montant.

Je vis ici dans la campagne des oliviers et des cotonniers, et une plante dont je crois qu'on tire une espèce de soie : elle ne ressemble pas à notre lin, mais plutôt au chanvre et donne de longs fils très moelleux. Mais ce qu'on rencontre surtout en grande abondance, c'est un arbrisseau d'un aspect très agréable, couvert d'une quantité de jolies fleurs jaunes. Il porte des fruits qui ont quelque rapport avec les nèfles : je crois que c'est le safran. A gauche, le regard plonge déjà dans les montagnes, qui sont couvertes de bois de haute futaie. Il y a un très grand nombre de cyprès et de petits arbustes résineux d'une senteur agréable : à gauche, dans la montagne, je vis aussi une petite rivière qui formait une cascade. Plus loin, en montant vers les hauteurs, on voit d'un côté une forêt, de l'autre des montagnes nues : près du chemin, on aperçoit des excavations dans la montagne d'où l'on tire du cuivre et un métal blanc qui ressemble à de l'argent.

Je vis d'en haut des ouvriers qui creusaient. Je crois qu'il y a aussi une fonderie où l'on emploie un combustible de couleur jaune dont il y a une mine dans le voisinage. Je les vis pétrir cette terre et en faire de grosses boules qu'ils faisaient sécher. J'entendis dire que souvent le feu prenait à cette mine.

Après avoir fait quatre lieues, Jésus arriva à une hôtellerie qui est à plus d'une demi lieue avant Chytrus : jusque-là on rencontre continuellement des mines. Ils entrèrent dans cette hôtellerie, et le père de Barnabé, avec quelques autres personnes, reçut le Seigneur et lui rendit les offices de charité accoutumés. Jésus se reposa ici : il enseigna et prit un petit repas avec ses compagnons. Je ne me souviens pas d'autre chose.

Chytrus est dans un fond, au milieu d'une plaine. Jésus vint du côté où se trouvent les mines. La population de la ville est un mélange de Juifs et de païens. Il y a tout autour beaucoup de constructions isolées : ce sont comme des métairies entre lesquelles s'étendent des jardins et des champs.

Je fus aujourd'hui toute triste de ce que tant de travail et de fatigue de la part de Jésus avait obtenu si peu de résultats dans l'île de Chypre, en sorte que, comme disait le Pèlerin, on ne trouve rien dans l'Écriture ni ailleurs qui se rapporte à ce voyage, et qu'il n'est pas même dit que Paul et Barnabé aient rien fondé d'important dans ce pays. J'ai eu à ce sujet une vision dont je ne me rappelle que ce qui suit. Jésus a converti dans l'île de Chypre cinq cent soixante-dix personnes, Juifs et païens. Ils l'ont suivi en Palestine, les uns tout de suite, les autres plus tard. J'ai vu que la pécheresse Mercuria, avec ses enfants, ne tarda pas à suivre Jésus et qu'elle emporta beaucoup d'argent avec elle. Je l'ai vue près des saintes femmes : lorsque les premières colonies de chrétiens s'établirent autour d'Ophel et jusque dans les environs de Béthanie, sous la direction des diacres, elle contribua largement à la construction des maisons et à l'entretien des fidèles. Je vis aussi que lors du soulèvement contre les chrétiens qui eut lieu avant la conversion de Saul, Mercuria fut mise à mort. Ce fut au moment où Saul partit pour Damas.

Après le départ de Jésus, beaucoup de païens et de Juifs quittèrent Chypre, emportant avec eux des sommes considérables : d'autres encore émigrèrent successivement en Palestine après avoir aliéné leurs propriétés. Les membres de leurs familles qui ne partageaient pas leurs sentiments, se prétendirent lésés et élevèrent de vives réclamations.

On décria Jésus comme un imposteur ; Juifs et païens firent cause commune : on n'osa plus parler de lui. On emprisonna beaucoup de personnes qu'on flagella. Les prêtres des idoles persécutèrent ceux de leur religion et les forcèrent à sacrifier. Le gouverneur qui s'était entretenu avec Jésus fut rappelé à Rome et remplacé : il vint même des soldats romains qui occupèrent tous les ports et ne permirent plus à personne de s'embarquer. Lorsque Jésus eut été crucifié, son souvenir s'effaça complètement ; on parla de lui comme d'un rebelle et d'un traître, et ceux qui avaient conservé quelque foi, furent ébranlés et rougirent de lui. Douze ans après, Paul et Barnabé ne trouvèrent plus aucune trace de son passage : ils ne firent pas un long séjour ici ; toutefois ils emmenèrent quelques personnes avec eux.

9 mai . — Ce matin, je vis Jésus avec les disciples visiter les mineurs et enseigner devant quelques-unes de leurs habitations. Il y avait là des fosses qui appartenaient aux païens, d'autres étaient affermées par des Juifs. Ces ouvriers étaient maigres, pâles et paraissaient maladifs ; ils étaient à peu près nus : seulement, plusieurs parties de leur corps étaient protégées par de grands morceaux de cuir brun dont ils se couvraient, comme les tortues de leur carapace. Jésus enseigna sur l'orfèvre qui purifie l'airain dans le feu. Les païens et les Juifs ne travaillaient pas ensemble, et ils se placèrent pour l'écouter, les uns d'un côté du chemin, les autres du côté opposé. Il y avait là quelques possédés ou obsédés qu'on faisait travailler, attachés à des cordes : ils commencèrent à s'agiter et à pousser des cris à l'approche de Jésus. Ils le proclamèrent à haute voix et demandèrent ce qu'il venait faire ici parmi eux ! Mais Jésus leur commanda de se taire, et ils se tinrent tranquilles. Il vint aussi à Jésus des mineurs juifs pour se plaindre que les païens, en travaillant sous le chemin, avaient dépassé les limites qui les séparaient et leur avaient fait tort : ils prièrent Jésus de décider la contestation. Alors Jésus fit creuser sur le terrain des Juifs, tout près de la limite convenue, et on trouva au-dessous des galeries païennes. Il y avait là des gîtes de métal blanc qui était, je crois, du zinc ou de l'argent : c'était ce qui les avait alléchés. Alors Jésus enseigna sur le scandale, le bien mal acquis, le devoir de ne pas faire à autrui ce qu'on ne voudrait pas qui vous fût fait, etc. Le tort des païens était évident : il y avait assez de témoins pour l'attester, mais comme leurs magistrats n'étaient pas présents, il n'y eut rien de fait, et les païens se retirèrent en murmurant. La grande route sur laquelle Jésus s'était entretenu avec les Arabes passe devant Chytrus à l'ouest de cette ville. Jésus l'avait longtemps suivie, puis, tournant au nord, il était venu ici. Aujourd'hui, dans l'après-midi, il fit encore trois quarts de lieue à travers des jardins et des maisons isolées pour aller à Chytrus, qui est un endroit très animé, parce qu'on y fait divers travaux métallurgiques et qu'on s'y livre sur une grande échelle à l'éducation des abeilles.

Il y habite beaucoup de Juifs et de païens qui sont dans des rapports plus intimes que je ne les ai vus ailleurs, quoiqu'ils demeurent dans des rues séparées. Les païens ont plusieurs temples, et les Juifs deux synagogues. Il y a eu entre eux beaucoup de mariages mixtes, mais toujours à la condition que la partie païenne embrasserait le judaïsme.

Les anciens des Juifs et leurs rabbins vinrent devant la ville à la rencontre de Jésus, et aussi deux des philosophes de Salamine qui, touchés par son enseignement, étaient venus ici pour l'entendre encore. On reçut Jésus comme à l'ordinaire, c'est-à-dire qu'on lui lava les pieds et qu'on lui offrit une réfection dans une maison où se fait d'habitude la réception des étrangers, puis on le pria de guérir plusieurs malades qui l'attendaient avec impatience. On le conduisit dans la rue des Juifs : il guérit une vingtaine de malades qui étaient couchés devant les maisons sur le chemin où il devait passer. Il y avait là des boiteux appuyés sur des béquilles à trois pieds qui ressemblaient à des escabeaux. Les malades guéris, leurs proches acclamèrent Jésus et lui adressèrent quelques formules de louanges, tirées des psaumes pour la plupart : mais les disciples les engagèrent à se taire.

Jésus se rendit alors à la maison du chef de la synagogue où s'étaient réunis beaucoup de savants, dont plusieurs étaient de la secte des Réchabites. Ceux-ci étaient habillés un peu différemment des autres Juifs, s'en distinguaient aussi par certaines observances plus sévères et par quelques opinions qui leur étaient propres, mais ils s'étaient déjà beaucoup relâchés sur tout cela. Cette secte avait ici toute une rue qui lui était affectée. Ils s'occupent beaucoup de l'exploitation des mines et sont de la même race que ceux d'Éphron, ville du royaume de Basan, qui a aussi des mines dans son voisinage. Jésus fut invité par le chef de la synagogue à un repas qu'il avait fait préparer pour lui après le sabbat. Mais Jésus ayant promis d'aller chez le père de Barnabé, invita tous les assistants à s'y rendre avec lui, et pria le chef de la synagogue de donner le repas qu'il lui destinait aux pauvres ouvriers et aux pauvres ouvriers et aux gens des mines.

La synagogue était pleine de monde : beaucoup de païens se tenaient à l'extérieur sur les terrasses pour écouter. Jésus commenta des passages du Lévitique relatifs au sacrifice devant le tabernacle et des textes de Jérémie sur la promesse. (Lévit., XVII ; Jérém., XXIII, 6-28.) Il parla du sacrifice de l'hostie morte et du sacrifice de l'hostie vivante, et ils demandèrent quelle en était la différence. Il enseigna en outre sur les huit béatitudes.

Il y avait dans la synagogue un vieux rabbin fort pieux qui était hydropique depuis longtemps et qui s'était fait porter à sa place comme de coutume. Or, pendant que les savants discutaient sur divers points avec Jésus, il s'écria d'une voix forte : "Taisez-vous, laissez-moi parler ". Quand ils se furent tus, il s'écria : " Seigneur, vous avez été miséricordieux envers d'autres, secourez-moi aussi et dites-moi de venir à vous !". Jésus lui dit : "si vous croyez ! levez-vous et venez à moi" ! Aussitôt le malade se leva en criant : "Seigneur, je crois !" Il était parfaitement guéri ; il monta les degrés qui le séparaient de Jésus et lui rendit grâces. Alors ce fut une joie et des acclamations universelles. Mais Jésus et les autres sortirent pour se rendre chez Barnabé. Alors le majordome convoqua les pauvres et les ouvriers à prendre le repas que Jésus leur avait abandonné.

Le père de Barnabé habite devant la partie occidentale de la ville une des maisons qui se trouvent là disséminées, car il y a tout autour de Chytrus de ces habitations qui forment comme des villages entiers. La maison a une belle apparence : il y a sur l'un des côtés des terrasses dont les murs sont de couleur brune comme s'ils étaient peints à l'huile ou enduits de résine : peut-être aussi est-ce une couleur naturelle. Ces terrasses sont plantées et couvertes de verdure. En outre, la maison est entourée d'une colonnade ou d'une galerie ouverte bordée de beaux arbres. A l'entour sont des vignes et un emplacement où sont rangées de grandes pièces de bois de construction : il y a là des poutres d'une grosseur extraordinaire et des pièces de bois de toute forme. Tout est si bien rangé dans cet atelier qu'on peut y circuler facilement. Je crois que tout cela est destiné à la construction des navires. On se sert de longs chariots, pas plus larges que les pièces de bois et portés, je crois, sur de grosses roues en fer. Ils sont traînés par des boeufs qu'on attelle à une assez grande distance les uns des autres. On voit, assez près d'ici, un très beau bois de haute futaie.

Le père de Barnabé est veuf : sa soeur occupe avec quelques servantes une maison voisine ; elle prend soin du ménage et prépare le repas Les compagnons païens de Jésus et les philosophes de Salamine n'étaient point à table avec lui, parce que c'était un repas du sabbat, mais ils se promenèrent en long et en large dans la galerie ouverte ; on leur apportait là à manger, et ils se tenaient debout entre les colonnes pour écouter l'instruction de Jésus. Outre les galettes, le miel et les fruits, le repas consistait surtout en oiseaux et en grands poissons plats. Il y avait aussi des plats de viande tels que je n'en avais pas encore vos : les mets qui y figuraient étaient comme roulés en spirales et garnis d'herbes de toute espèce. Jésus parla encore du sacrifice et de la promesse et cita beaucoup de passages des prophètes.

Pendant le repas, il vint plusieurs troupes de pauvres enfants de cinq à six ans, à demi vêtus : ils portaient des corbeilles, grossièrement tressées, pleines de toute espèce d'herbes bonnes à manger qu'ils avaient cueillies dans les environs. et il les offraient aux convives en échange d'un morceau de pain ou de quelque autre aliment : ils se tenaient de préférence du côté où étaient Jésus et les siens ; le Seigneur se leva, vida leurs corbeilles qu'il remplit de mets et les bénit. C'était gracieux et touchant à voir, et rien ne me plut autant dans tout le repas. Quand j'étais enfant, je lui portais aussi toujours les plus belles fleurs et les plus belles plantes de la prairie de mon père, et maintenant je ne puis rien ramasser pour lui que mes péchés, et souvent j'en perds la moitié en chemin. Ces repas du sabbat sont toujours accompagnés de certaines prières et de certaines cérémonies. Le Seigneur et les siens passèrent la nuit ici, les étrangers logèrent dans la ville.

10 mai . — Je vis Jésus pendant toute la matinée derrière la maison de Barnabé, dans un endroit où il y a un joli tertre avec une chaire à prêcher. On y va de la maison par de magnifiques berceaux de vigne : il y donna l'enseignement à beaucoup de personnes. Il vint d'abord une quantité de mineurs et d'ouvriers, puis une troupe de païens, et enfin une nombreuse troupe de Juifs qui étaient unis par des mariages à des familles païennes. Beaucoup de païens malades avaient fait prier Jésus de les assister et de leur permettre de l'entendre. C'étaient la plupart des ouvriers malades et estropiés : ils étaient couchés sur leurs grabats dans le voisinage de la chaire. Jésus enseigna les ouvriers sur l'oraison dominicale et sur la purification des métaux par le feu : il parla aux païens des branches gourmandes des arbres et de la vigne qui doivent être retranchées, du Dieu unique et des enfants de Dieu. du fils de la maison et du serviteur. de la vocation des païens, etc.

Il parla ensuite des mariages mixtes, dit qu'on ne devait pas les favoriser, qu'on pouvait toutefois les tolérer par charité, lorsqu'il y avait lieu d'en espérer une conversion ou un amendement, mais non pour satisfaire la passion charnelle. On ne devait les permettre que lorsque les deux parties avaient de saintes intentions. Toutefois il parla beaucoup plus contre que pour, et appela heureux ceux qui produisaient des rejetons purs dans la maison du Seigneur : il parla de la lourde responsabilité qu'encourait la partie juive, de l'éducation des enfants, de la piété, du temps de la grâce dont il fallait profiter, de la pénitence et du baptême.

Après cela, Jésus guérit les malades et prit son repas chez Barnabé. Ils allèrent ensuite avec lui de l'autre côté de la ville où il y a sur un espace très étendu d'innombrables ruches d'abeilles entre de grands jardins plantés de fleurs. On trouve aussi dans le voisinage une source et un petit lac. Jésus enseigna et raconta: après quoi il revint de la ville à la synagogue, où eut lieu la fin de l'instruction sur le sacrifice et sur la promesse.

Il se trouvait là quelques Juifs en voyage : c'étaient des gens instruits, qui posèrent à Jésus toute espèce de questions subtiles dont il leur donna la solution. Cela ne se fit pas sans quelque malveillance. Il s'agissait des mariages mixtes, de Moïse qui fit passer au fit de l'épée un grand nombre d'Israélites, d'Aaron qui avait laissé faire le veau d'or, de sa punition, etc.

Jésus mangea et passa la nuit chez les docteurs.

11 mai . — Il doit y avoir eu aujourd'hui une fête ou un jour de jeûne chez les Juifs. Le matin, il y eut prière et instruction dans la synagogue ; après quoi Jésus, avec tous ses disciples et les jeunes gens païens, sortit par le côté septentrional de la ville : des docteurs juifs et quelques-uns des Réchabites se joignirent à eux ; il y avait bien en tout une centaine de personnes. Ils allèrent à une lieue, à un endroit où l'on se livrait en grand à l'éducation des abeilles. On y voyait de longues rangées de ruches blanches de la hauteur d'un homme, faites, je crois, avec des joncs ou de l'écorce d'arbre tressée, et qui s'étendaient au loin, tournées vers le soleil levant. Elles avaient plusieurs ouvertures et étaient posées les unes sur les autres. Chaque groupe de ruches avait devant soi un champ couvert de fleurs, où la mélisse notamment se trouvait en grande quantité. Il y avait des clôtures partout, et l'ensemble faisait l'effet d'une ville. Le quartier païen était facile à reconnaître, parce qu'on y voyait souvent dans des niches des figures semblables à des enfants emmaillotés, avec des queues de poissons qui se relevaient par derrière : elles avaient, en guise de bras, de petites pattes fort courtes et leurs visages n'étaient pas tout à fait des visages humains.

Le bourg lui-même se composait de petites maisons appartenant à des propriétaires d'abeilles qui avaient là leur mobilier. L'hôtellerie était un grand édifice avec plusieurs bâtiments latéraux : autour des cours se croisaient des hangars et des salles ouvertes où l'on voyait beaucoup de tréteaux et de longues nattes. Il y avait dans cette maison un majordome qui fournissait à ceux qui avaient affaire ici tout ce dont ils avaient besoin ; cet homme est un paien. Les Juifs ont aussi des salles particulières et des oratoires. Je crois qu'on prépare la cire et le miel dans cette maison et dans les grands hangars qui en dépendent : c'est comme un établissement à l'usage de tous ceux qui recueillent le produit des ruches.

J'ai encore vu ici beaucoup de ces arbustes qui ont de si jolies fleurs jaunes. Les feuilles sont plutôt jaunes que vertes, et les fleurs tombent en si grande quantité sur le sol qu'elles y forment comme un tapis moelleux. De grandes nattes sont étendues sous les arbres. J'ai vu exprimer le suc des fleurs pour en faire une teinture. Les arbustes, quand ils sont jeunes, sont élevés dans des pots, ensuite on les plante souvent dans des trous de rocher où l'on met de la terre. Il y en a aussi en Judée. J'ai vu encore ici du lin d'une grande espèce dont on tire de longs fils.

Non loin de là, à une demi lieue environ au nord de Chytrus, une source abondante sort du rocher, formant un ruisseau qui traverse la ville, et va ensuite arroser la contrée d'où Jésus venait. Souvent il coule à ciel ouvert, quelquefois il passe sous des constructions Je crois qu'il porte aussi son eau aux aqueducs de Salamine. Il forme, à sa naissance, un petit lac de forme régulière. On baptisera près de cette source : je crois qu'il en a été question dans les conversations que j'ai entendues.

Il y a ici une énorme quantité de belles fleurs sauvages.

Des orangers bordent le chemin ; on rencontre aussi beaucoup de figuiers et de ceps de vigne dont les beaux raisins sont connus sous le nom de raisin de Corinthe.

Le principal motif de Jésus, en venant ici, avait été de pouvoir enseigner les Juifs et les païens en toute liberté, sans être dérangé par l'affluence tumultueuse de la foule. C'est ce qu'il fit tout le reste de la journée dans les jardins et sous les arbres du voisinage. Les auditeurs étaient assis ou étendus par terre : il enseigna sur l'oraison dominicale et sur les huit béatitudes. Je crois qu'il traita de la huitième. Il fit aussi aux païens une instruction particulière sur les abominations de l'idolâtrie, sur son origine, sur la vocation d'Abraham qui en fut la suite, et sur ha conduite du peuple d'Israël. Il parla très clairement et très fortement. Il y avait bien là une centaine de personnes. Ils prirent quelque nourriture dans la maison, mais séparément : on ne mangea que du pain, du fromage de chèvre, du miel et des fruits. Le maître de la maison était un païen, mais très humble et très discret. Le soir, les Juifs se réunirent à part : Jésus les enseigna, et ils prièrent. Tous passèrent la nuit là.

Chytrus est une ville plus vivante encore que Salamine, où toute l'industrie et le commerce sont concentres dans le port et dans deux ou trois rues. Il règne ici une grande activité. Du côté par lequel était sorti Jésus, il y a une grande rue marchande où l'on vend des bestiaux et des volailles : au centre de la ville, on trouve un beau marché formant terrasse et entouré de hautes arcades sous lesquelles sont étalées des étoffes et des couvertures de toutes couleurs. De l'autre côté de la ville, il n'y a guère que des ouvriers en métaux et des fondeurs : c'est un tel bruit de marteaux qu'on ne s'entend pas parler : cependant la plus grande partie des ateliers est devant la ville. Ils fabriquent des ustensiles de toute espèce, spécialement de grands vases de peu d'épaisseur, qui ressemblent à des marmites : ils sont de forme à peu près ovale, avec un petit couvercle et deux anses à la partie supérieure. On leur donne d'abord une première forme, puis on les met dans de grands fourneaux où l'on souffle avec de longs chalumeaux : ils sont jaunes au dehors, blancs à l'intérieur On les remplit de fruits, de miel ou de sirop, et on les envoie par eau sur des radeaux : on les porte aussi à l'aide de bâtons passés dans les anses. On y met des fruits de toute espèce qu'on expédie ainsi par mer sans les endommager.

12 mai. — Aujourd'hui Jésus prêcha encore au village des abeilles voisin de Chytrus, devant un auditoire qui, à la fin, était d'environ deux cents personnes. Il fit aux païens une vive peinture de leurs erreurs ; il leur fit voir combien leurs dieux étaient méprisables, puisque, pour pouvoir les supporter, ils étaient obligés d'avoir recours à mille explications qui les réduisaient à rien, et il les exhorta à renoncer à leurs subtilités et à leurs rêveries sans fin pour s'attacher aux vérités révélées par lui. Là-dessus quelques païens, qui étaient venus avec des bâtons à la main comme des savants en voyage, se scandalisèrent et se retirèrent en murmurant. Jésus dit qu'il fallait les laisser partir, que cela valait mieux pour eux que de rester à l'écouter et de se faire de nouveaux dieux de ce qu'ils auraient entendu. Il annonça aussi dans un langage prophétique la dévastation future de ce beau pays, de ses villes et de ses temples, et le jugement qui devait frapper toutes ces contrées. Il dit que quand l'abomination serait arrivée à son comble, le paganisme serait aboli : il parla aussi beaucoup du châtiment des Juifs et de la destruction de Jérusalem. Les païens prirent tout cela mieux que les Juifs, lesquels ne cessaient de faire des objections fondées sur les promesses faites à leurs pères. Jésus parcourut avec eux tous les prophètes, expliqua tous les passages relatifs au Messie, et leur dit que le temps était venu où il allait paraître au milieu des Juifs ; il ajouta que ceux-ci ne le reconnaîtraient pas ; qu'ils l'insulteraient, le tourneraient en dérision, et qu'enfin, lorsqu'il leur dirait qui il était, ils se saisiraient de lui et le mettraient à mort. Plusieurs se refusèrent à admettre tout cela, et il leur rappela ce que les Juifs avaient fait souffrir à tous leurs prophètes : ils devaient traiter le Messie lui-même comme ils avaient traité les serviteurs chargés de l'annoncer.

Les Réchabites lui parlèrent beaucoup de Malachie, qu'ils avaient en grande estime; ils dirent qu'ils le regardaient comme un ange du Seigneur, qu'il était venu, tout enfant, chez des gens pieux, qu'ensuite il avait souvent disparu, et qu'on n'avait pas la certitude qu'il fût mort. Ils parlèrent aussi beaucoup de ses prophéties touchant le Messie et le nouveau sacrifice qu'il devait instituer ; Jésus dit qu'elles s'appliquaient au moment présent, car le temps était proche.

Dans l'après-midi, il y eut une collation après laquelle Jésus, accompagné des siens et d'un grand nombre de gens dont la plupart le quittèrent successivement pour retourner chez eux, traversa la région des montagnes sans cesser d'enseigner ceux qui cheminaient avec lui : puis il reprit le chemin des mines qu'il avait suivi précédemment pour venir à Chytrus. Il passa là près d'un village devant lequel il avait aussi passé la première fois : ensuite, ils se dirigèrent un peu au nord et arrivèrent à la demeure de Barnabé. Ils avaient fait quelques lieues de chemin. (Elle donne plusieurs autres détails sur le pays, mais dans son patois bas-allemand, et en termes trop peu précis pour qu'on puisse les reproduire.) Lorsqu'ils arrivèrent, la suite de Jésus s'était fort réduite, car la plus grande partie de son escorte, composée de jeunes gens appartenant à la communauté juive, l'avait quitté pour aller s'embarquer, afin d'être à Jérusalem pour la fête de la Pentecôte.

Trente ou quarante femmes et filles païennes, parmi lesquelles une dizaine de jeunes Juives, s'étaient réunies ici, formant divers groupes devant leurs jardins et leurs habitations, pour rendre leurs hommages à Jésus. Elles jouaient de la flûte, chantaient des cantiques de louange ; portaient des guirlandes de fleurs, et jetaient ça et là des branches d'arbres sur le chemin. Souvent aussi elles étendaient des nattes sur le passage de Jésus, s'inclinaient devant lui et lui offraient des présents rustiques de toute espèce, des couronnes de fleurs, des aromates, et de petits flacons contenant des parfums. Jésus les remercia et s'entretint avec elles. Elles le suivirent jusqu'à la maison de Barnabé et déposèrent leurs dons dans la salle où elles avaient tout orné de fleurs et de guirlandes. Ce fut une réception comme celle du dimanche des Rameaux, seulement plus paisible et plus champêtre. Après cela, elles se retirèrent : le soir était venu.

Je fus frappé du costume des païens. Les jeunes filles portaient de singuliers bonnets, comme ceux que, dans mon enfance, je tressais avec des joncs et qu'on appelait des cages à coucous. Quelques-unes portaient de ces bonnets sans aucun ornement, d'autres avaient tressé tout autour des guirlandes, où étaient suspendus par des fils des colifichets de toute espèce qui tombaient jusque sur le front ; tous étaient bordés par en bas d'une guirlande de fleurs de laine et de plumes. Elles avaient par là-dessous un voile ouvert par devant ou relevé contre le bonnet qui retombait par derrière sur les épaules. Elles portaient un corsage très serré à la ceinture et avaient autour du cou des fils et des bijoux de toute espèce. Au-dessous de la ceinture, elles étaient très amplement vêtues, car elles portaient plusieurs robes d'étoffes légères superposées, dont la longueur allait toujours en augmentant : celle de dessous était très longue. Leurs bras n'étaient pas entièrement recouverts ; souvent elles les mettaient à nu en les remuant : ce n'était pas des manches qu'elles avaient, mais de longs morceaux d'étoffe attachés au bras par des guirlandes. Les étoffes étaient de différentes couleurs ; il y en avait de jaunes, de rouges, de blanches, de bleues ; d'autres étaient rayées ou à fleurs. Leurs longs cheveux pendaient sur leurs épaules, rattachés à leur extrémité par un cordon. garni de houppes qui les maintenait et les empêchait de flotter ça et là. Leurs pieds nus étaient chaussés de sandales relevées en pointe et attachées avec des lacets. Les femmes mariées portaient une autre coiffure moins haute, avec une espèce de visière s'avançant sur le front et quelquefois descendant en pointe jusqu'au nez et se relevant par derrière les oreilles qui étaient ornées de pendants en perles. Cette coiffure était à jour, entrelacée de tresses de cheveux, de perles et d'ornements de tout genre. Elles portaient d'amples manteaux qui traînaient par derrière. Elles avaient avec elles des enfants sans autre vêtement qu'une bande d'étoffe, laquelle partant d'une épaule, se croisait sur la poitrine et couvrait le milieu du corps. Il y avait déjà trois heures que ces femmes attendaient Jésus.

On avait préparé une espèce de repas chez Barnabé ; toutefois on ne se mit pas à table ; mais on présenta à chacun un peu de nourriture sur une planchette, comme on avait fait en mer sur le navire. Plusieurs vieillards s'étaient réunis là, parmi lesquels le vieux savant que Jésus avait guéri à la synagogue. Le père de Barnabé est un vieillard robuste avec une large carrure : on voit bien qu'il travaille le bois. Tous les hommes de cette époque sont beaucoup plus robustes que les gens d'à présent.

13 mai. — Aujourd'hui Jésus enseigna sur une chaire, près d'une fontaine, et il prépara au baptême : c'étaient les disciples qui baptisaient On baptisa à la même fontaine, d'abord les Juifs, ensuite les païens. La source se trouve devant ce faubourg où travaillent tant de forgerons : on la laisse à gauche quand on va au village des Ruches. On trouve là plusieurs édifices, un jardin où les Juifs prennent leurs bains, d'autres lieux de plaisance, et aussi une chaire en plein air placée sous des arbres.

La fontaine donne plusieurs filets d'eau : l'un d'eux contribue à alimenter l'aqueduc de Salamine. Les bains des païens sont d'un autre côté. Cette eau coule aussi près des ateliers des forgerons ; la source, à peu de distance de l'endroit où elle jaillit, forme un petit étang d'où sort un ruisseau. Il y a encore une prise d'eau qui coule au nord, dans la direction que suivait Jésus, tantôt dans des canaux souterrains, tantôt dans des conduits peu élevés revêtus de maçonnerie. La fontaine baptismale avait été disposée tout prés de la naissance de la source : on avait tout arrangé comme à Salamine.

Jésus enseigna séparément les Juifs et les païens . Je l'ai aussi entendu parler de la circoncision avec quelques docteurs : il disait qu'on ne devait pas l'imposer à ces païens, sauf le cas où ils la demanderaient d'eux-mêmes. D'un autre côté, on ne pouvait pas exiger des Juifs qu'ils admissent les païens dans la synagogue : il fallait éviter le scandale et remercier Dieu de ce qu'ils renonçaient au culte des idoles et vivaient dans l'attente du salut. On devait imposer d'autres sacrifices, la circoncision du coeur et le retranchement de tous les mauvais désirs : il voulait régler séparément pour eux l'enseignement et la prière.

14 mai. — Vers trois heures après midi mes maux d'yeux me causèrent des douleurs intolérables t et que je ne savais comment soulager, car c'était comme si on m'eût frappé l'oeil à coups de marteau ; je me mis alors à prier, ce qui me procura quelque allégement, et je vis ce qui suit étant tout à fait éveillée.

NOTE : Anne Catherine avait pris sur elle les maux d'yeux d'un cardinal malade, et elle en souffrait si horriblement que souvent elle en perdait presque connaissance et ne pouvait plus voir ni parler. Les détails à ce sujet seront donnés dans sa grande biographie. (Note de l'éditeur.)

Autour de la fontaine baptismale, établie au nord de Chytrus, se tenaient des hommes qui la recouvraient respectueusement. Plusieurs autres, qui avaient entendu Jésus ou qui avaient reçu le baptême, allaient de côté et d'autre, et semblaient se disposer à partir. Ils s'étaient seulement arrêtés pour quelques moments autour de quelques Juifs en voyage qui venaient d'arriver, la robe relevée et un bâton à la main, et qui leur adressaient des questions. Je vis quelques-uns des assistants indiquer du doigt le côté du nord, puis je les entendis dire : Le prophète a enseigné ici depuis le point du jour jusqu'à midi, et ses disciples ont baptisé : ensuite, après avoir pris un peu de nourriture, il s'est dirigé de ce côté avec eux et environ sept philosophes baptisés de Salamine (la Soeur montre du doigt le nord-ouest) ; deux heures plus tôt vous l'auriez encore trouvé ici. Il est allé là, vers le grand village de Mallep. (Elle hésita sur le nom et dit successivement Mallep, Mallépo, Lapeto.) Ah ! c'est bien le Messie promis lui-même, ou au moins un prophète, son précurseur ! Jamais personne n'a parlé avec tant de sagesse, ni donné de tels enseignements. Les interrogateurs dirent alors : "comment n'avez-vous pas pu le retenir ? Quel dommage que nous arrivions si tard" ! Les autres leur racontèrent encore différentes choses touchant Jésus, et les voyageurs rapportèrent ce qu'ils avaient entendu dire dans un endroit d'où ils venaient. On parle beaucoup de grands troubles et d'un soulèvement à Jérusalem. Pilate y est de retour. On s'entretient aussi beaucoup des Galiléens qui ont été massacrés. De plus, Hérode est en guerre avec son beau-père Arétas : il a employé un horrible stratagème. Il était enfermé dans Machérunte avec son armée : comme les ennemis s'approchaient, il les a amenés par la ruse à une conférence pacifique; mais à peine étaient-ils arrivés à l'endroit désigné pour cela que le sol s'est éboulé; le feu en a jailli, et des arbres enflammés sont tombés sur eux ".

Ce récit excita l'indignation de tous les auditeurs, et je me souviens des travaux que j'avais vu faire autour de Machérunte, lorsque la tête de Jean fut emportée par les femmes d'Hébron.

Pendant cette courte vision je vis Jésus et sa suite, à une lieue de là, s'avancer a peu près comme une procession de pèlerins, puis je perdis de vue cette scène, et mes douleurs redoublèrent de violence.

Le grand village de Mallep (c'est ainsi qu'elle le nomma d'abord et on peut lui laisser ici ce nom), est le lieu le plus charmant qu'on puisse imaginer ; le pays est couvert de la plus belle verdure et sa fertilité dépasse toute description. Je ne puis dire à quel point tout ici est magnifique et bien tenu. Tous les habitants sont Juifs; c'est une colonie fondée par des Juifs, et je crois que c'est la dernière qu'il y ait ici dans la contrée. Plus tard, à l'époque chrétienne, après la destruction du village, il s'y éleva un beau monastère '.

Cet endroit est situé sur une hauteur au penchant de la montagne : il y a de tous côtés des vues admirables ; on voit même la mer à l'horizon. Cinq rues aboutissent au centre du bourg ; on a creusé là dans un fond de rocher un beau réservoir où un conduit amène l'eau de la source qui est près de Chytrus. Cette citerne est placée à une grande hauteur, car on y fait monter l'eau qui pourtant vient d'un point élevé : il y a tout autour de beaux sièges et des arbres touffus. On a de là une vue magnifique sur le village et sur la fertile contrée qui l'entoure. Le village est entouré d'un double rempart, l'un intérieur qui est plus bas, l'autre extérieur qui est plus élevé : une grande partie de tout cela est taillée dans le roc. En dehors de ce rempart règnent tout à l'entour de beaux fossés semblables à de petites vallées, dont le fond est tapissé d'un frais gazon émaillé de fleurs admirables et qui s'étendent entre deux rangées de magnifiques arbres fruitiers, sous lesquels l'herbe est jonchée de gros fruits jaunes. Une rosée abondante y entretient une verdure toujours fraîche. Tout le monde ici est encore occupé à la moisson. Les habitants font sécher beaucoup de fruits qu'ils envoient au loin ; ils fabriquent aussi des tapis, des couvertures et d'autres objets du même genre ; ainsi que des nattes en grande quantité et des boîtes légères et peu profondes d'écorce tressée où ils font sécher les fruits.

Lorsque Jésus arriva ici, les docteurs de la synagogue vinrent à sa rencontre jusque devant la porte avec les enfants des écoles et un peuple nombreux. Ils étaient parés comme pour une fête, avaient près d'eux des enfants qui jouaient de la flûte, chantaient des cantiques et portaient à la main des branches de palmier. Les petites filles précédaient les garçons. Jésus remercia et passa au milieu des enfants en les bénissant. L'habitation des maîtres n'est pas éloignée de l'entrée du bourg. Ils conduisirent dans une salle Jésus et ses compagnons qui étaient une trentaine, leur lavèrent les pieds et leur présentèrent une réfection.

NOTE : Plusieurs années après cette communication, le Pèlerin lisant le voyage de Mariti dans l'île de Chypre, y trouva mentionné un grand couvent en ruille1 du nom de Lapasis ou Belapais ; il est dans une belle situation, à l'est de Cerinès, possède une fontaine excellente et d'autres détails encore peuvent y faire reconnaître le couvent en question. Pococke le cite sous le nom de Telabaiset le place dans sa carte à l'est de Cerinès.

Pendant ce temps une vingtaine de malades, perclus et hydropiques, avaient été amenés dans la rue devant la maison : Jésus sortit, les guérit, et leur ordonna de le suivre jusqu'au puits qui était au milieu de la ville. Ils se levèrent pleins de santé à la grande joie de leurs proches, et l'accompagnèrent jusqu'au puits où Jésus leur fit, ainsi qu'au peuple assemblé, une instruction sur le pain quotidien et sur la reconnaissance envers Dieu.

Il alla ensuite à la synagogue et prit pour texte ces paroles du Pater : " Que votre règne arrive ! " ; il parla du royaume de Dieu en nous, dit qu'il était proche, et que c'était le moment de s'en emparer, que c'était un royaume spirituel et non terrestre, et que ceux qui le repousseraient auraient à s'en repentir. Les païens qui l'avaient suivi se tenaient dehors, à part du reste de l'auditoire : en général, ici ils étaient moins mêlés aux Juifs que dans les villes païennes.

Jésus assista ensuite à un repas chez les docteurs, après quoi ils le conduisirent à un logement qu'ils avaient fait préparer pour lui et pour sa suite. Il y avait là un surveillant chargé de pourvoir à tout. Jésus passa la nuit avec ses compagnons dans une grande salle, où cependant il eut sa place séparée ; une chambre particulière fut affectée aux sept païens qui avaient reçu le baptême. Lorsque les disciples furent endormis, Jésus sortit encore pour aller prier en plein air.

J'ai vu de nouveau Mercuria, la prêtresse de Dercéto. Après la mort de Jésus, elle fut baptisée à Jérusalem et reçut le nom de Famula. Elle est prêtresse dans le temple, et sa grande beauté fait qu'on l'appelle la déesse des hommes. Elle est de race sacerdotale, d'une famille dont descendait la mère de sainte Catherine, laquelle a habité plus tard la même maison. Elle a été forcée d'aller encore une fois au temple, mais elle n'a pris aucune part au culte honteux qui s'y pratique. Ces abominations ont lieu dans l'obscurité d'un appartement secret. Les enfants des prêtresses sont considérés comme saints, et on les élève dans les dépendances du temple ; on leur apprend à broder, à orner le temple, à chanter et à danser dans les cérémonies ; on en fait généralement des prêtres et des prêtresses, et cette même vie d'ignominies devient leur partage ; quelquefois ils se marient dans la ville. Mercuria a dans le temple des enfants de cette espèce. Elle a chez elle deux filles dont son mari est le père, et un garçon né d'un commerce adultère. Ses filles la suivirent lorsqu'elle s'enfuit ; elle ne put pas emmener le garçon. Son mari est un homme singulier, je ne sais pas ce que je dois en penser ; il vit dans le bien-être et semble assez borné ; il se fait servir, mange, boit et se divertit ; il est souvent ivre. Il s'inquiète peu de ce que fait sa femme. Mercuria se farde, elle se teint les paupières en noir ; sa bouche et ses joues vermeilles sont bordées de teintes d'un jaune rougeâtre qui se fondent délicatement les unes dans les autres ; elle ressemble à une peinture. Quand elle va au temple ou à une fête, elle se teint en rouge les ongles et la paume des mains. Dans le temple elle porte un long manteau blanc d'étoffe transparente par dessus une robe jaune à fleurs garnie d'une riche bordure. Les filles et les femmes païennes se fardent toutes pour les fêtes. Elles se servent pour cela d'un cosmétique qui se fait avec une plante du pays.

15 mai. — Hier on a parlé de Samuel ; je crois que c'était un jour où l'on faisait commémoration de sa mort ; le soir on commença à célébrer la fête de la nouvelle lune, probablement parce que le sabbat tombait ce jour-là même. On a beaucoup orné les maisons et les synagogues ; Je ne sais pas si c'est à cause de la nouvelle lune ou parce qu'on se prépare à célébrer la Pentecôte.

Ce matin il y avait devant le logis de Jésus et sur son chemin jusqu'à la synagogue beaucoup de malades qu'il guérit. La synagogue d'ici est très belle, presqu'autant que celle de Jérusalem il s'y trouve deux chaires. Toute la population s'y était assemblée. Je n'ai vu travailler nulle part aujourd'hui. Il semble qu'on célébrait la clôture de la moisson.

Jésus enseigna pendant la plus grande partie de la matinée. Les autres docteurs et le peuple lurent et chantèrent aussi par intervalles. Je me souviens que Jésus parla du semeur, des différents terroirs, de l'ivraie, et aussi du grain de sénevé et du grand fruit qu'il donne. Il tira une de ses comparaisons d'un arbuste très utile qu'on cultive ici, et dont la graine très petite produit une tige grosse comme le bras et haute de cinq à six pieds. La semence ressemble assez à celle de la cuscute, mauvaise herbe qui infecte nos champs de lin : le fruit, gros comme un gland, est rouge et noir. On tire de ce fruit, en le pressant, une matière muqueuse semblable à de la colle forte. Les feuilles sont jaunes et rouges. On s'en sert, je crois, pour la teinture on les emploie à teindre en jaune, en rouge et en brun : on peut tout utiliser jusqu'à la tige. Les païens baptisés n'étaient pas à la synagogue ; ils étaient sur une terrasse extérieure d'où ils écoutaient.

A midi, Jésus et les disciples assistèrent à un repas chez les chefs de la synagogue. Trois enfants aveugles, de dix à douze ans, furent introduits par d'autres enfants ; ils jouèrent de la flûte et d'un autre instrument qu'ils tenaient devant la bouche et sur lequel ils faisaient aller leurs doigts. Ce n'était pas un fifre ; le son qu'il rendait était un bourdonnement rauque semblable à celui de la guimbarde. Ils chantèrent aussi très agréablement. Leurs yeux étaient ouverts ; ils semblaient avoir la cataracte. Jésus leur demanda s'ils désiraient voir la lumière et marcher avec piété et avec persévérance dans la bonne voie. Ils répondirent tout joyeux : " Oui, Seigneur, si vous voulez nous assister ? Seigneur, assistez-nous, nous ferons ce que vous commanderez ". Alors Jésus leur dit : " Déposez vos instruments ". Puis il les plaça devant lui, porta à sa bouche ses deux pouces qu'il promena successivement sur leurs yeux, depuis le coin de l'oeil jusqu'aux tempes, puis il éleva devant eux un plat plein de fruits qui était sur la table et leur dit : " voyez-vous ceci " ? il les bénit et leur donna les fruits. Ils regardèrent autour d'eux, saisis d'étonnement et comme ivres de joie ; puis ils se prosternèrent aux pieds de Jésus en pleurant. Il y eut beaucoup d'émotion, de joie et de surprise dans toute l'assemblée.

Les enfants se précipitèrent hors de la salle avec leurs conducteurs, et coururent tout joyeux chez leurs parents. Il y eut un grand émoi dans toute la ville ; les enfants revinrent avec tous leurs proches et beaucoup d'autres personnes sous le porche de la salle, puis jouant de leurs instruments et chantant des airs joyeux, ils allèrent remercier Jésus. Alors Jésus fit encore une belle instruction sur la gratitude, et dit que l'action de grâces était une prière qui préparait de nouvelles grâces, tant était grande la bonté du Père céleste.

Après le repas, je vis Jésus avec les disciples et les philosophes païens se promener dans les beaux ravins couverts de verdure qui entourent la ville, instruisant, la plupart du temps, les païens et les nouveaux disciples. Les anciens disciples firent de leur côté des instructions à différents groupes. Le soir, Jésus enseigna de nouveau dans la synagogue. Dès que les disciples furent endormis, Jésus sortit de sa cellule pour prier.

16 mai. — Le matin, Jésus et ses anciens disciples parcoururent la ville et visitèrent différentes maisons : il consola, distribua des aumônes, guérit et donna des avis. Il visita entre autres les parents des jeunes aveugles qu'il avait guéris. C'étaient des Juifs d'Arabie, originaires de la contrée où avait habité Jéthro, le beau-père de Moïse. Ils avaient un nom particulier. Ils voyageaient beaucoup et ils avaient été déjà baptisés à Capharnaüm où ils avaient entendu, à leur passage, le sermon de Jésus sur la montagne. Ces gens, composant deux familles d'une vingtaine de personnes, y compris les femmes et les enfants, étaient des commerçants et des fabricants qui faisaient comme font chez nous, les Italiens, les Tyroliens et les gens de la Forêt Noire, avec leurs horloges de bois, leurs souricières et leurs statuettes de plâtre, s'arrêtant tantôt dans un lieu, tantôt dans un autre, faisant leur petit commerce et exerçant diverses industries. A cette époque de l'année, ils il s'établissaient ordinairement ici pour deux mois, et ils occupaient en avant du quartier nord de la ville une hôtellerie où ils avaient tous leurs outils, notamment des métiers de tisserands. Ils emmenaient dans leurs tournées leurs enfants aveugles qui gagnaient quelque chose de côté et d'autre en chantant et en jouant de la flûte.

Jésus enseigna ces gens et leur donna des avis ; il reçut de nouveau leurs remerciements et ceux des enfants. Il leur dit que dorénavant ils ne devaient plus emmener ces enfants dans les courses qu'ils faisaient de côté et d'autre, mais les laisser ici pour qu'ils allassent à l'école, et il leur indiqua des personnes qui voulaient bien les recevoir et les instruire. Il avait dès la veille pris ses mesures à cet effet. Les parents lui promirent de faire ce qu'il demandait.

Jésus prit avec les siens un petit repas dans l'hôtellerie, après quoi il alla, avec les disciples et les sept philosophes, baptiser du côté de l'ouest dans une charmante vallée qui conduit à un village appelé Lanifa ' : il enseigna tout en marchant, suivant sa coutume.

Au couchant de Mallep s'étend une vallée qui s'élève en pente douce jusqu'aux montagnes où elle fait un coude vers le midi. De ce côté méridional arrive ici un ruisseau, large d'environ trois pieds, qui est une dérivation de la source de Chytrus: il vient à travers la montagne par un conduit souterrain, arrose le village de Lanifa et descend par la vallée à Mallep et dans les fossés qui entourent cette ville. Ce n'est pourtant pas son eau qui alimente le puits central si haut placé au milieu de Mallep, quoique la rue par laquelle Jésus était sorti fût la cinquième rue de l'endroit, celle que suit l'aqueduc qui amène l'eau à ce beau réservoir. On ne peut dire à quel point est charmante cette vallée fermée de tous côtés avec sa belle verdure et ses douces ondulations. Sur ses deux flancs sont disséminées jusqu'à Mallep les métairies dépendant du village de Lanifa, situé à l'extrémité de la vallée.

NOTE : Serait-ce le village de Casafani que Mariti mentionne comme voisin de Lapasis, et dont il vante la bonne eau ? (Note du Pèlerin)

On ne voit partout que de la verdure, des fleurs charmantes et des fruits magnifiques dont plusieurs espèces viennent ici sans culture. Jésus remonta la rive méridionale du ruisseau jusqu'à Lanifa, où il rencontra une troupe de jeunes gens qui allaient s'embarquer pour Jérusalem, où ils voulaient arriver pour la fête de la Pentecôte. Il les chargea de saluer Lazare, mais leur défendit de parler de lui à aucune autre personne. Jésus, continuant son chemin, passa le ruisseau et redescendit la vallée jusqu'à Mallep en suivant la rive septentrionale. Il trouva sur sa route un autre village qui a un nom singulier que j'ai oublié f. C'est une chose risible que dans ces visions je m'émerveille toujours des noms que j'entends, mais je me dis ensuite que les noms de nos villages de Westphalie sonneraient aussi étrangement aux oreilles de ces gens.

J'ai vu ce matin et encore maintenant que la moisson est terminée et que l'on met en tas des gerbes qu'on veut donner aux pauvres.

Pendant tout le chemin, Jésus enseigna aux philosophes païens, tantôt sans cesser de marcher, tantôt s'arrêtant à quelque endroit agréable. Il leur parla de la dépravation complète des hommes avant le déluge, de la préservation de Noé, de la corruption qui recommença après lui, de la séparation d'Abraham et de la manière dont Dieu dirigea la postérité de ce patriarche, jusqu'à l'époque où le consolateur promis pourrait en sortir. Les païens demandèrent quelques éclaircissements ; ils mirent en avant plusieurs noms fameux de dieux et d'anciens héros, et parlèrent des bienfaits dont on croyait leur être redevable. Jésus leur dit que tous les hommes recevaient en plus ou moins grande abondance des grâces naturelles à l'aide desquelles ils inventaient bien des choses avantageuses, bien conçues et profitables pour la vie présente, mais qu'il se mêlait à tout cela beaucoup de vices et d'abominations ; il leur fit voir l'abîme de maux où l'idolâtrie avait plongé les hommes ; la décadence de certains peuples qui en avait été la suite, et l'extravagance ridicule de leur théologie fabuleuse qui, grâce aux oracles diaboliques et aux prestiges magiques qui l'appuyaient, s'était introduite dans le monde comme étant la vérité.

NOTE : Le dimanche 18 mai, elle l'appela Leppé.

Ils firent mention d'un roi très ancien et très sage qui avait paru dans un pays de hautes montagnes situé au delà de l'Inde ; il s'appelait Djemchid, et avec un poignard d'or qu'il avait reçu de Dieu il avait partagé des terres, les avait peuplées et avait répandu partout la bénédiction : ils interrogèrent Jésus sur lui et sur différentes choses merveilleuses qu'on en racontait. Jésus leur dit que Djemchid avait été un homme doué de beaucoup de sagesse et d'intelligence naturelle et un habile conducteur de peuples, lequel, lors de la dispersion et de la séparation des hommes à l'époque de la tour de Babel, avait conduit une race de peuples et avait occupé avec eux des contrées où il avait fondé certains établissements ; qu'il y avait de ces conducteurs qui avaient fait plus mal que lui, car chez son peuple la vérité s'était moins obscurcie que chez beaucoup d'autres. Il leur fit voir aussi qu'on avait écrit à son sujet des fables absurdes et qu'il fallait voir en lui une copie infidèle et défigurée du prêtre-roi Melchisédech. Il leur dit de porter leurs regards sur celui-ci et sur la race d'Abraham, car lorsque le torrent des peuples se mit en mouvement, Dieu avait envoyé Melchisédech aux meilleures d'entre les familles humaines pour les conduire, les associer et leur préparer un établissement dans des contrées désignées à cet effet, afin qu'elles se conservassent pures et qu'elles devinssent, selon leur mérite, plus ou moins aptes à participer à la grâce de la promesse. Qu'était-ce que Melchisédech ? C'est ce qu'il leur laissait à imaginer eux-mêmes : mais la vérité était qu'il fallait voir en lui un symbole antique de la grâce de la promesse, maintenant si rapprochée : car son oblation de pain et de vin était une figure prophétique qui allait être accomplie et réalisée dans une oblation qui devait subsister jusqu'à la fin du monde.

Jésus parla de Djemchid et de Melchisédech en termes tellement précis et si positifs que ces savants lui dirent tout surpris : " Maître, quelle sagesse est la vôtre ! il semble que vous ayez vécu à ces époques et que vous connaissiez tous ces personnages mieux peut-être qu'ils ne se connaissaient eux-mêmes " ! Il leur dit aussi beaucoup de choses sur les prophètes : il parla notamment des petits prophètes et surtout de Malachie.

Lorsque le sabbat s'ouvrit, Jésus alla à la synagogue : il y enseigna sur des passages du Lévitique relatifs à l'année du jubilé et sur des textes de Jérémie. Il dit entre autres choses que l'Israélite doit bien cultiver le champ dont il est en possession, afin que son frère auquel il doit le rendre plus tard trouve là une preuve de sa charité.

Après le repas, il eut encore un entretien avec les philosophes et avec quelques Juifs.

17 mai . — Ce matin Jésus continua à la synagogue son instruction sur l'année du jubilé, sur la culture des champs et sur Jérémie, après quoi, accompagné de ses disciples et d'une foule nombreuse composée de Juifs et de quelques païens. Il alla hors de la ville, du côté du midi' dans un jardin où les Juifs prenaient leurs bains. L'eau était fournie par l'aqueduc de Chytrus ; il y avait une grande citerne, entourée de bassins, avec de belles allées pour se promener et des berceaux de verdure très touffus. Tout était déjà arrangé pour pouvoir y donner le baptême, et beaucoup de personnes suivirent Jésus près du puits où il y avait un emplacement commodément disposé pour la prédication. Il y avait là, entre autres personnes, sept fiancés avec ceux qui étaient chargés de les conduire et leurs plus proches parents.

Jésus enseigna sur la chute originelle, sur la corruption des hommes, sur la promesse, sur l'abâtardissement et la dégénération de l'espèce humaine, sur la séparation des meilleurs d'avec les autres, sur le soin vigilant qui devait présider aux unions afin que les vertus des parents et les grâces qu'ils avaient reçues devinssent l'héritage de leurs enfants, sur la sanctification du mariage par l'observation de la loi, la modération et la continence. Il s'adressa alors aux fiancées et aux fiancés et leur proposa un exemple tiré d'un arbre du pays qui reçoit sa fécondation d'autres arbres situés à une très grande distance et même par delà la mer. Il dit que de même, l'espérance, la confiance en Dieu, et le désir du salut rendaient mère de la promesse la chasteté fondée sur l'humilité. Il en vint ainsi à parler de la signification mystérieuse du mariage qui représentait l'union du Consolateur d'Israël avec son peuple : et il appela le mariage un grand mystère. Il dit à ce sujet des choses si belles et si admirables que je ne veux pas essayer de les répéter. Il enseigna ensuite sur la pénitence et le baptême qui purifient et effacent le péché, cause de la séparation, et rendent tous les hommes capables de prendre part à l'alliance du salut.

Jésus prit ensuite à part quelques-uns des néophytes et entendit leurs confessions: il leur remit leurs péchés et leur imposa des privations et des bonnes oeuvres. Jacques le Mineur et Barnabé baptisèrent. On baptisa surtout des vieillards et quelques païens, et aussi les trois jeunes aveugles guéris par Jésus qui n'avaient pas été baptisés avec leurs parents à Capharnaüm.

Jésus et les siens, ainsi que plusieurs autres, prirent encore ici quelques rafraîchissements, puis ils firent une promenade du sabbat vers le midi de la ville. Le ruisseau de Lanifa la longe ici pendant quelque temps, après quoi il va à la mer. Ils eurent à le passer. Dans la vallée de Lanifa, il est très étroit ; ici, il est assez fort parce qu'il est grossi par le ruisseau qui lui vient de la ville. Les femmes et les jeunes filles allèrent aussi se promener de leur côté. Jésus ne cessa d'enseigner et toujours à l'adresse des païens baptisés qui se tenaient un peu à l'écart. Au bout de quelque temps ils s'étendirent sur l'herbe autour de Jésus, puis on retourna à la synagogue où eut lieu la clôture de l'instruction du sabbat.

Après un repas qui eut lieu ensuite, quelques-uns des philosophes qui s'étaient approchés pour écouter, mirent en avant la question de savoir s'il avait été nécessaire que Dieu infligeât à la terre le terrible châtiment du déluge ? Ils demandèrent aussi pourquoi ensuite il avait laissé les hommes attendre si longtemps leur Consolateur : n'aurait-il pas pu agir autrement et envoyer quelqu'un pour remettre tout dans l'ordre. Jésus répondit que tels n'avaient pas été les décrets de Dieu : qu'en créant les anges il les avait doués d'une volonté libre et de qualités appropriées à leur nature, mais que ceux-ci s'étant séparés de lui par l'orgueil avaient été précipités dans un royaume de ténèbres ; qu'ensuite l'homme également doué du libre arbitre avait été placé entre le royaume ténébreux et le royaume de la lumière, et qu'en mangeant du fruit défendu, il s'était livré au royaume des ténèbres ; mais que maintenant l'homme devait coopérer au dessein qu'avait Dieu de le secourir, et qu'il devait attirer sur la terre le royaume de Dieu, afin que Dieu le lui donnât. L'homme avait voulu devenir comme Dieu en mangeant le fruit défendu, et il ne pouvait être secouru que si le Père faisait reparaître son Fils parmi les hommes, afin de les réconcilier avec Dieu. Mais la nature humaine avait été tellement altérée dans son essence, qu'il avait fallu une grande miséricorde et de merveilleuses combinaisons de la sagesse divine pour amener sur la terre le royaume de Dieu, parce que le royaume des ténèbres, implanté dans l'homme, le repoussait de tout son pouvoir. Il dit aussi que ce royaume n'était pas une souveraineté terrestre entourée d'un pompeux appareil, mais le renouvellement de l'homme, sa réconciliation avec le Père et l'union de tous les bons en un seul corps.

18 mai. — Ce matin Jésus enseigna encore plusieurs personnes et particulièrement les couples de fiancés à l'endroit où l'on avait donné le baptême. Il y avait sept couples, dont faisaient partie deux païens qui avaient accepté la circoncision et qui épousaient des juives. Beaucoup d'hommes et de femmes de leurs familles étaient présents, ce qui m'avait fait croire d'abord à un plus grand nombre de couples de fiancés. Les fiancés furent baptisés ; quelques païens qui avaient du penchant au judaïsme avaient demandé la permission d'assister à l'instruction.

Jésus commença par enseigner en général sur le. devoirs de l'état du mariage et spécialement sur ceux des femmes qui devaient voir par les yeux de leurs maris et fermer les yeux sur tout le reste. Il parla de l'obéissance, de l'humilité, de la chasteté, de l'amour du travail et de l'éducation des enfants.

Les femmes s'étant retirées à Leppé pour y faire les apprêts du festin nuptial, Jésus prépara les hommes au baptême. Il parla d'Elle, de la grande sécheresse qui avait eu lieu à l'époque de ce prophète et de la nuée apportant la pluie, qui s'était élevée de la mer à la prière d'Élie. (Aujourd'hui encore la terre était couverte d'une nuée de vapeurs blanches comme celle qui l'avait couverte récemment, et l'on ne pouvait voir que les objets les plus rapprochés.) Jésus parla de cette sécheresse comme d'un châtiment de Dieu amené par l'idolâtrie à laquelle se livrait le roi Achab. La grâce et la bénédiction s'étaient retirées, et il y avait aussi une sécheresse dans les coeurs. Il dit comment Élie s'était caché près du torrent de Khrit, où l'oiseau lui portait sa nourriture et comment il était allé chez la veuve de Sarepta qu'il avait assistée ; il parla de sa victoire sur les prêtres des idoles au mont Carmel et de la nuée qui s'était élevée dans les airs et avait répandu sur la terre une pluie bienfaisante. Jésus compara cette pluie au baptême ; il exhorta ses auditeurs à se convertir et à ne pas rester, comme Achab et Jézabel, dans le péché et la sécheresse du coeur, après la pluie du baptême. Il donna des explications sur tout cela. Il parla aussi de Segola, cette pieuse païenne venue d'Égypte (voir tome II, page 407), qui s'était établie à Abila, près du torrent de Khrit, qui avait fait tant de bien et qui avait trouvé grâce devant Dieu. Il parla du travail que les païens ont à faire pour se sanctifier, afin que la grâce divine leur arrive. Il dit tout cela de manière à être entendu de ses auditeurs païens, lesquels savaient quelque chose d'Élie et de cette femme païenne.

Après le baptême des fiancés, Jésus et les siens, ainsi que tous les couples de fiances et les rabbins, furent invités à un festin qui devait avoir lieu à Leppé, village à l'ouest de Mallep, par le docteur juif de l'endroit. Sa fille était la fiancée d'un philosophe païen de Salamine, qui avait assisté à la prédication de Jésus dans cette ville et qui s'était soumis à la circoncision.

Ils se rendirent donc à Leppé, ce village dont j'avais oublié le nom hier. Le chemin, qui monte d'abord par une pente douce, puis descend plus rapidement, conduit, par de belles avenues qui donnent au pays l'aspect d'un jardin, à ce beau village, situé à trois quarts de lieue à peu près et qui est aussi grand que Coesfeld. Mallep est presque aussi grand que Munster. Près de Leppé passe la route qui conduit au petit port de Cerinia, éloigné d'environ deux lieues. L'autre route sur laquelle Jésus s'était entretenu avec les Arabes voyageurs mène au grand port de Lapithus, qui est plus à l'ouest. A Leppé, les païens habitent une rangée de maisons le long de la grande route. Il y a de l'industrie et du commerce. Les Juifs habitent à part et ont une belle synagogue. Je vis dans des jardins païens des idoles semblables à des poupées emmaillotées ; je vis aussi sur une place publique et dans une enceinte en dehors du chemin, une idole plus grande qu'un homme avec une espèce de tête de boeuf, ayant entre ses cornes comme la représentation d'une gerbe : cette figure était accroupie et avait des espèces de mains très courtes qui pendaient en avant. J'ai déjà vu des figures de cette sorte dans la Gaulonitide. Il s'y trouve des trous ou l'on fait brûler toute espèce de choses.

Il y eut ici un festin, mais pourtant assez simple, où l'on servit des oiseaux, des poissons, du miel et des fruits. Les femmes et les jeunes filles qui les accompagnaient étaient assises à part au bout de la table. Elles étaient voilées et portaient de longues robes rayées très modestes : leurs bras étaient couvert de bandelettes qui laissaient voir le nu par endroits. Elles portaient des couronnes de petites plumes ou de laine fine de différentes couleurs.

Jésus ne cessa d'enseigner pendant et après le repas. Il parla de la sainteté du mariage et leur dit qu'ils devaient se contenter d'une seule femme, car ici ils avaient la coutume de divorcer facilement pour en prendre une autre. Jésus s'éleva fortement contre cet abus. Il raconta aussi la parabole du repas de noces et celle de la vigne et du fils du roi. Il y eut même une parabole en action : car les compagnons et les compagnes des fiancés se tenaient devant la maison et sur le chemin et invitaient les passants à entrer. On introduisait quiconque avait un extérieur convenable ; les pauvres aussi furent nourris et enseignés. Les trois jeunes aveugles guéris étaient à la fête et jouaient de leurs instruments ; il y avait aussi des jeunes filles qui chantaient et faisaient de la musique.

Le soir était déjà venu lorsque Jésus retourna à Mallep avec les siens. Au point culminant du chemin, la vue était très belle : on voyait la mer qui brillait d'un éclat merveilleux.

Je crois que la fête de la Pentecôte est très proche : mais ces couples de fiancés veulent célébrer leurs noces auparavant. A Mallep, on voit de grands bouquets d'épis de blé dressés près de quelques maisons et à quelques coins de rue : je ne sais pas si c'est pour indiquer qu'on fera là des distributions ou si c'est une décoration de fête. La récolte des grains et des fruits est terminée : la vendange n'est pas encore faite.

19 mai . — Ce matin, il y eut à Mallep de grands préparatifs pour les épousailles des sept couples de fiancés. Toute la ville semblait prendre part à la fête, car c'est comme une population de frères. On n'y voit pas de pauvres : ils demeurent à part contre le mur d'enceinte et on pourvoit à leur entretien.

Mallep est une ville très régulière. Elle ressemble à un gâteau rond qu'on partagerait en cinq parts. Les cinq rues qui divisent la ville courent toutes vers le centre et aboutissent au grand puits qui est entouré d'arbres et de terrasses. Quatre de ces quartiers de la ville sont coupés par deux rues transversales décrivant un cercle autour du puits, qui est le point central de l'endroit. Dans une de ces rues est une maison où les veuves et les vieilles femmes sans enfants vivent ensemble aux frais de la communauté, tiennent une école et soignent les orphelins. Il y a également ici une maison où l'on donne l'hospitalité aux étrangers et aux voyageurs pauvres. Jésus est déjà allé deux fois dans la maison des veuves donner des consolations et des avis, même aux enfants.

Le cinquième quartier de la ville renferme des édifices publics ; il est divisé en deux moitiés par l'aqueduc, qui conduit l'eau au puits. Dans l'une de ces moitiés se trouvent la place du marché, plusieurs hôtelleries et une maison pour les possédés, lesquels, ici, ne peuvent pas courir de côté et d'autre, et dont Jésus a déjà guéri quelques-uns qui lui avaient été amenés avec d'autres malades. Dans l'autre moitié se trouve, à peu de distance du puits, la maison publique destinée aux fêtes et aux mariages ; dont le toit s'élève à la hauteur de l'édifice qui surmonte le puits. L'entrée n'est pas en face du puits, mais du côté opposé d'où l'on domine ce quartier de la ville : à partir de la cour antérieure descend dans la direction de la rue une allée bordée de charmilles verdoyantes, qui y a à quelques centaines de pas aboutir à l'endroit où se trouve le parvis de la synagogue ; c'est ce qui occupe à peu près les deux tiers de la longueur totale de la rue. Il y a des passages partant des rues transversales qui y conduisent, mais l'entrée de cet édifice n'est pas publique, et il faut une permission pour y venir lorsqu'il y a des fêtes.

Aujourd'hui toute la matinée fut employée à décorer cette maison. Pendant ce temps, Jésus et les siens étaient à leur hôtellerie, et une quantité de personnes, parmi lesquelles quelques-unes de ces veuves dont il a été parlé et quelques hommes âges, vinrent le trouver, cherchant auprès de lui des éclaircissements, des conseils et des consolations : car les rapports intimes que ces gens avaient avec les païens, étaient souvent pour eux une source de scrupules et d'inquiétudes. Les couples de fiancés firent aussi de longues visites à Jésus. Il s'entretint seul avec les fiancées qu'il prit une à une, et ce fut comme une confession et une instruction. Il leur demanda pourquoi elles se mariaient, si elles pensaient aux enfants qu'elles devaient avoir et à leur salut qui était un fruit de la crainte de Dieu, de la chasteté et de la tempérance, ou si elles n'avaient dans l'esprit que des pensées frivoles et la satisfaction de leurs convoitises.

La plupart n'étaient point instruites de leurs devoirs ; elles se retirèrent vivement émues et livrées à des réflexions sérieuses. Jésus donna aussi aux fiancés des instructions du même genre.

Pendant ce temps, les parents et amis des fiancés étaient i1 occupés à décorer la maison où la fête devait être célébrée, le lieu où devaient se faire les épousailles et à tout préparer pour un léger repas. On avait dressé des arcs de triomphe sur le chemin, on y avait suspendu des tapis, des couronnes de fleurs et des guirlandes de fruits : enfin, on avait élevé des extrades et des galeries d'où le regard pouvait plonger dans l'allée. Devant la synagogue on avait disposé un berceau de feuillage à ciel ouvert et rangé des caisses où étaient plantés d'élégants arbustes. Je vis apporter différents mets pour les repas dans les cours et les berceaux de verdure qui entouraient la maison : quiconque envoyait quelque chose de la ville avait droit de prendre part à la fête. On apportait les mets dans des caisses allongées, qui servaient en même temps de tables. Les plats, les pains et les flacons y étaient renfermés et il y avait sur les côtés de petites ouvertures par lesquelles les convives placés en face pouvaient les retirer.

Par dessus tout cela était étendu un tapis qui servait de nappe. Ces caisses étaient, à vrai dire, de longs paniers d'osier dans lesquels les plats se trouvaient placés sous un couvercle. Les convives étaient couchés sur des couvertures et accoudés sur des coussins. Tout cela avait été préparé d'avance et apporté de différents côtés.

Sous le berceau où devaient se faire les épousailles, s'élevait un baldaquin. On pria Jésus et ses disciples de s'approcher : et comme parmi les fiancés, il s'en trouvait qui étaient naguère idolâtres, quelques-uns des philosophes et d'autres païens se tenaient à une distance respectueuse.

Les sept fiancées et leurs fiancés vinrent de différents côtés, précédés de jeunes garçons et de jeunes filles couronnés de fleurs qui jouaient de divers instruments de musique : ils se rendirent sous le berceau, conduits par des amis et des compagnes, et ayant leurs proches autour d'eux. Les fiancés portaient de longs manteaux ; des lettres étaient brodées sur la ceinture et la bordure de leurs tuniques : leurs chaussures étaient blanches ; ils tenaient à la main des mouchoirs jaunes. Les fiancées avaient de beaux et longs vêtements en laine blanche, ornés de fleurs d'or. Leurs cheveux tombaient sur leurs épaules, entrelacés de perles et de fils d'or : ils étaient retenus et rattachés par en bas. Leur voile retombait par devant et par derrière : elles avaient sur la tête un cercle de métal avec trois dentelures et sur le devant un fleuron plus saillant derrière lequel on pouvait relever un coin du voile. Elles portaient en outre des petites couronnes de plumes ou de soie. Plusieurs de leurs voiles étaient très brillants comme s'ils eussent été de soie très belle ou de quelque autre tissu précieux Elles portaient à la main de longs flambeaux dorés semblables à des chandeliers sans pied au haut desquels brillait une flamme alimentée par de la cire ou par de l'huile. Elles avaient autour de la taille une écharpe noire ou de couleur foncée : elles étaient aussi chaussées de souliers blancs ou plutôt de sandales, car le pied n'y entrait pas tout entier.

Lors des épousailles qui se firent par le ministère d'un rabbin, il y eut diverses cérémonies dont je ne me rappelle plus bien l'ordre. On lut des écritures : c'étaient, je crois, des conventions matrimoniales et des prières. Le couple prit place sous le dais : les parents leur jetèrent du blé et prononcèrent une bénédiction. Le rabbin fit une piqûre au petit doigt des fiances : puis il fit tomber une goutte du sang de chacun d'eux dans un verre de vin qu'ils burent ensemble : ensuite le fiancé passa le verre derrière lui et on le mit dans un bassin d'eau. On leur fit couler un peu de sang dans le creux de la main et ils s'en frottèrent réciproquement les mains qu'ils joignirent. Un fil blanc fut attache autour de la blessure, et les anneaux furent échangés. Je crois qu'après cela ils avaient deux anneaux, l'un au petit doigt, l'autre à l'index. On tint aussi une pièce d'étoffe brodée au-dessus de leur tête. La fiancée reprit, dans sa main droite, enveloppée d'une étoffe noire, le flambeau qu'elle avait donné à la compagne chargée de la conduire, et elle le mit dans la main droite de l'homme qui la passa dans sa main gauche et la remit dans la main gauche de la fiancée ; après quoi celle-ci le rendit à sa compagne. On bénit aussi un verre de vin où burent tous les membres de la famille. La fiancée se trouvant alors mariée, ses compagnes lui ôtèrent sa coiffure et abaissèrent son voile : je remarquai à cette occasion que toutes ces tresses dont elle était coiffée étaient postiches. Les nouvelles mariées, avec leur cortège, se rendirent les premières à la maison dont il a été parlé, en suivant l'allée de verdure: les hommes suivirent au milieu des félicitations des spectateurs. Il se passa beaucoup de temps avant que tout fut fini. On s'arrêta quelque temps dans la maison pour y prendre une collation.

Jésus, avec les siens et les philosophes, alla faire une petite promenade pendant laquelle il enseigna. Les nouveaux mariés allèrent au jardin où étaient les bains, près de l'aqueduc, pour s'y récréer. Le soir, il y eut à la synagogue une instruction pour les nouveaux mariés, et les rabbins, après avoir fait de longs discours, prièrent Jésus de leur adresser aussi une exhortation. Alors Jésus parla encore du mariage, de sa signification, de l'obéissance qui était le devoir des femmes, et des règles à suivre pour se sanctifier dans cet état. Je ne vis pas prendre d'autre repas.

Jésus ne retourna pas aujourd'hui aux fêtes du mariage. Il sortit le matin, accompagné de Mnason, des philosophes et de quelques autres, s'arrêta près de quelques métairies et enseigna des ouvriers qui nettoyaient les champs et des glaneurs qui ramassaient ça et là quelques épis. Il employa ainsi toute la journée, tantôt marchant, tantôt se reposant : il finit par être entouré d'un grand nombre de personnes, et il parla de la fête de la Pentecôte, de la loi donnée sur le Sinai, et de 1`approche du temps où la loi allait trouver son accomplissement. Il n'y eut pas de repas. Ils prirent sur leur route quelque nourriture avec les gens de la campagne. Jésus revint le soir.

Il y avait hier trois rabbins pour bénir les mariages, et cependant cela dura quatre heures. Ce matin les divertissements commencèrent. Les sept couples, eu compagnie de tous leurs amis et de beaucoup d'invités, se rendirent à la maison des fêtes, en grande parure et au son des instruments de musique. Les disciples de Jésus étaient aussi présents à la fête, mais ils n'y prirent part que pour servir les convives : Les assistants présentèrent aux mariés, dans de beaux vases, des fruits et de la pâtisserie : il y avait des pommes dorées avec toute espèce de plantes et de fleurs également dorées. Il vint aussi des troupes d'enfants qui chantèrent et firent de la musique : c'étaient des étrangers qui gagnaient ainsi leur vie : on leur fit des présents et ils se retirèrent. Après cela, les trois jeunes aveugles guéris par Jésus vinrent jouer de leurs instruments, ainsi que plusieurs autres troupes de musiciens de la ville, et il y eut une danse tout à fait particulière. On dansa sous un berceau de feuillage formant un carré long, sur un plancher mouvant et rembourré. Je crois que c'étaient des planches mobiles placées sur une mousse épaisse ou quelque chose de semblable. Ils étaient divisés en quatre groupes formés sur deux rangs et qui se tournaient le des. Ils dansaient deux à deux, les mains couvertes d'un morceau d'étoffes. Les couples dansaient, changeaient de main en tenant des mouchoirs, de plus la première place du premier groupe jusqu'à la dernière du quatrième groupe, et ce fut bientôt un mouvement général. Ils ne sautaient pas, mais remuaient tout le corps, se balançant de côté et d'autre, comme si leurs membres eussent été désossés.

A la fin, tous les couples de nouveaux mariés vinrent se placer au centre en dansant, tandis que tous les autres formaient une ronde autour d'eux. Les jeunes mariées et les autres femmes avaient leurs voiles un peu relevés et rattachés aux fleurons d'or qui surmontaient leur coiffure. Les disciples de Jésus ne se mêlèrent pas à la danse, laquelle dura assez longtemps. Après cela, on prit quelques rafraîchissements qui étaient placés sur des buffets aux quatre coins du berceau de feuillage. Ils retournèrent ensuite, au son des instruments, au jardin des bains, qui est situé prés de l'aqueduc, devant la porte de la ville où aboutit cette même rue.

Les Juifs de cette ville jouissent d'une indépendance complète : ils ont d'anciens privilèges en vertu desquels ils se gouvernent eux-mêmes et n'ont que le tribut à payer. Ils ont acheté les terres et bâti la ville : on les a attaqués à cette occasion, mais ils ont maintenu leurs droits.

Au jardin des bains, on joua à toute sorte de jeux sous les berceaux et sur les pelouses : on courait, on sautait, on visait à toucher un but. Les hommes jouaient de leur côté et les femmes du leur. On gagnait des prix ou on payait des amendes de peu de valeur, comme des pièces de monnaie, des ceintures, de petites pièces d'étoffe, des bandelettes à mettre autour du cou ; ceux qui n'avaient pas ce qu'il fallait le faisaient prendre chez un marchand qui s'était installé dans le voisinage avec son assortiment. Tout ce qui était ainsi gagné ou payé comme pénitence était remis aux anciens, et ceux-ci le distribuaient aux pauvres qui se trouvaient là. Les nouvelles mariées et les jeunes filles jouèrent à des jeux de bagues et à d'autres jeux d'adresse : elles avaient relevé leurs robes jusqu'aux genoux et on voyait leurs jambes enveloppées de bandelettes blanches ; leurs voiles étaient relevés sur le front et derrière les oreilles ; elles paraissaient très gracieuses et très lestes. Chacune d'elles prit de la main gauche la ceinture de sa voisine : elles formèrent ainsi une ronde qui tournait rapidement, et de la main droite elles se jetaient les unes aux autres une pomme jaune qu'il fallait attraper ; celle qui n'y réussissait pas devait se baisser et la ramasser tout en continuant à tourner (note). Elles jouèrent encore à d'autres jeux ; à la fin il y en eut un auquel les hommes prirent part. Ils s'assirent sur l'herbe les uns vis-à-vis des autres et se lancèrent des fruits jaunes d'une chair très tendre ; quand ces fruits se touchaient, ils s'écrasaient, et on éclatait de rire.

NOTE : un jeu semblable est décrit tome II, page 292.

Vers le soir, ils se rendirent en pompe à la maison des fêtes : c'était très agréable à voir. Les mariés furent conduits sur des ânes élégamment enharnaches ; les femmes étaient assises sur des selles à leur usage. La musique marchait en avant, et une foule joyeuse les suivit jusqu'à la maison des fêtes, où il y eut encore un repas.

Les nouveaux mariés se rendirent encore près des rabbins et firent à la synagogue le voeu d'observer la continence à certains jours de fête. Ils étaient soumis à une pénitence s'ils violaient ce voeu. Ils promirent aussi de veiller ensemble et de lire des prières pendant la nuit de la Pentecôte.

È

TROISIÈME CHAPITRE

LA FÊTE DE LA PENTECÔTE

Dernier temps du séjour de Jésus dans l'île de Chypre.

Du 20 au 31 mai .

21 mai . — Ce matin les disciples de Jésus étaient réunis près de lui à son hôtellerie, ainsi que les païens baptisés et plusieurs vieux Juifs. Il leur donna, à propos de la Pentecôte, de la loi donnée sur le Sinaï et du baptême, des enseignements d'un sens très profond, et il expliqua plusieurs passages des prophètes qui avaient rapport aux sujets qu'il traitait. Il dit aussi beaucoup de choses sur les pains que l'on bénissait pour la Pentecôte, sur le sacrifice de Melchisédech et sur le sacrifice prophétisé par Malachie ; il ajouta qu'il ne tarderait pas à être institué, qu'après cela, lorsque reviendrait cette fête de la Pentecôte, une nouvelle grâce viendrait s'ajouter au baptême, et que tous les baptisés qui alors croiraient au Consolateur d'Israël participeraient à cette grâce. Comme il s'éleva à ce sujet des contestations et des disputes, et que quelques-uns ne voulaient pas le comprendre, Jésus en désigna une cinquantaine qui étaient mûrs pour son enseignement ; il renvoya les autres et remit à une autre fois leur préparation.

Il alla alors, avec ceux qu'il avait choisis, se promener, tout en enseignant, au jardin des bains qui est devant la ville. Je les vis bientôt s'arrêter et faire, avec force gestes, des questions et des objections ; je vis souvent Jésus lever l'index en donnant des éclaircissements. Dans leurs conversations, ces gens gesticulaient beaucoup avec les mains et les doigts. Comme il leur parlait de la grande grâce attachée au baptême, l'unique moyen de salut qui devait être après l'accomplissement du grand sacrifice, quelques-uns demandèrent si cette grâce était également attachée à leur baptême actuel : il leur répondit que oui, s'ils persévéraient dans la foi et s'ils savaient reconnaître ce sacrifice ; car même les patriarches qui, n'ayant pas reçu ce baptême, y avaient seulement aspiré et l'avaient pressenti en esprit, devaient être sauvés par ce sacrifice et par ce baptême.

NOTE : Dans l'intérêt des lecteurs qui n'auraient pas lu l'introduction où se trouve une dissertation spéciale sur ce baptême des morts et sur tout ce qui s'y rapporte, on fait remarquer de nouveau que d'après cette réponse du Sauveur la grâce complète de la rédemption (en tant qu'on pourrait y participer avant que la rédemption elle-même fût opérée) profitait uniquement aux âmes des morts qui avaient quitté cette vie dans l'état de grâce sanctifiante. Ceux-là avaient droit à la plénitude de l'état de grâce qui pouvait leur être communiqué par les fidèles survivants, de la même manière qu'aujourd'hui une indulgence plénière est appliquée aux âmes du purgatoire. Il est évident que cette possibilité de l'application aux morts de la grâce du baptême n'avait lieu qu'au profit des âmes qui avaient quitté la vie avec ce droit avant la promulgation de la nouvelle alliance, mais qu'elle devait cesser à dater de cette promulgation : car maintenant on meurt ou dans l'état de grâce qui communique dans sa plénitude le bienfait de la rédemption, ou hors de cet état de grâce et par conséquent sans possibilité ultérieure d'arriver à la justification après la mort.
L'introduction a fait voir ce qu'on doit entendre par le complément de l'état de grâce, et en quoi diffère la grâce sanctifiante sous l'ancienne et sous la nouvelle loi. (Note de l'éditeur.)

L'un d'eux demanda encore si le baptême pouvait profiter eu quelque chose aux morts, et par conséquent aux âmes détenues dans le lieu de purification, bien qu'elles n'en eussent aucune connaissance. Jésus Leur dit alors que les morts pouvaient recevoir la grâce du baptême au moyen des prières et des bonnes oeuvres des vivants, et que ceux-ci pouvaient la procurer aux âmes des morts, s'ils le désiraient ardemment dans un esprit de foi vive et de charité parfaite. Dans ce cas, ils pourraient participer à la grâce complète du baptême après l'accomplissement du grand sacrifice.

Les païens parlèrent beaucoup à ce sujet : ils semblent, d'après quelques-uns de leurs usages, mieux comprendre la chose que les Juifs. L'un d'eux prit une branche, la trempa dans un petit ruisseau près duquel ils se trouvaient, et demanda à Jésus s'il était permis, après avoir fait une fervente prière, de tremper une branche dans l'eau et de faire une aspersion, avec l'intention de baptiser toutes les âmes qui aspiraient au baptême. Le Seigneur dit que ce serait une chose bonne et profitable si elle se faisait avec un ardent désir de secourir ces âmes et dans un esprit de foi, d'espérance et de charité. Il dit aussi combien il était bon, dans ces jours de fête, de prier avec persévérance et avec ferveur, comme avaient toujours fait les pieux Israélites qui avaient supplié Dieu d'envoyer le Consolateur promis à Israël.

Jésus dit encore beaucoup de choses d'un sens très profond que je ne puis plus répéter exactement. Je me souviens dl' reste, que j'ai toujours vu Jésus, lorsqu'après sa résurrection, il parcourut la Palestine, accompagné des âmes des patriarches, les conduire au lieu où il avait été baptisé dans le Jourdain et les baptiser lui-même. Peut-être que ce fut, d'une manière purement spirituelle, quelque chose comme la cérémonie symbolique à propos de laquelle Jésus fut interrogé par le païen qui avait trempé une blanche dans l'eau ; tout ce que je sais, c'est que j'ai réellement Vu ces âmes. Je n'avais pas voulu raconter cela jusqu'à présent.

Je vis qu'on envoya du festin de noces des aliments pour Jésus et les siens à l'hôtellerie où il revint avec les disciples pour le commencement du sabbat.

Les nouveaux mariés furent aujourd'hui installés dans leur ménage. On les réunit dans la maison où la fête avait été célébrée. Cependant celui des époux qui apportait une maison en dot se tenait debout devant cette maison : alors les parents et amis allaient prendre l'autre et lui faisaient faire trois fois le tour de sa nouvelle habitation, au son des instruments de musique ; puis le premier époux lui adressait un discours mêlé de sentences et d'exhortations. On apportait aussi en pompe tous les présents de noces et on faisait beaucoup de largesses aux pauvres.

Je vis tout le monde dans la ville occupé à nettoyer, à frotter et à laver La synagogue et beaucoup de maisons furent décorées d'arbres verts et de guirlandes de fleurs, le sol fut jonché de fleurs, on fit aussi des fumigations à la synagogue ; les rouleaux contenant les écritures furent eux-mêmes entourés de guirlandes. Dans l'après-midi, on fit cuire les pains de la Pentecôte dans des chambres destinées à cet usage, attenant au parvis de la synagogue ; les rabbins bénirent la farine. Deux pains faits avec le froment de cette année, d'autres pains et de grands gâteaux minces furent entaillés pour être divisés plus tard en petits morceaux. La farine dont on se servait avait été apportée de la Judée ; elle provenait du champ sur lequel Abraham avait reçu l'oblation de Melchisédech. Cette farine arrivait ici dans des boîtes de forme oblongue : on l'appelait la semence d'Abraham. Ces pains, qui étaient sans levain, devaient être préparés avant quatre heures, il y avait encore là d'autre farine et des herbes que l'on bénit aussi.

Avant le sabbat, les rabbins furent conduits solennellement à la synagogue par les enfants des écoles ; les nouvelles mariées y furent conduites par les femmes, et leurs époux par les jeunes gens Jésus aussi se rendit à la synagogue avec les siens. Il n'y eut pas d'instruction ; le service divin se borna à des chants entremêlés de lectures et de prières : je ne me souviens plus bien comment tout cela se fit. Les pains bénits furent distribués par petits morceaux dans la synagogue. On les regardait comme un préservatif contre les maladies et les sortilèges.

Je ne vis pas de festin pendant cette soirée. Plusieurs Juifs, entre autres les sept hommes nouvellement mariés, passèrent la nuit en prières à la synagogue. Plusieurs habitants de la ville, par groupes de dix ou douze le plus souvent, allèrent en plein air sur des collines ou dans des jardins. Ils portaient un falot au bout d'une perche et prièrent toute la nuit. Les disciples de Jésus et les païens baptisés firent de même. Jésus alla prier seul. Les femmes aussi s'étaient réunies dans les maisons et priaient.

22 mai. — Pendant toute la matinée on s'occupa dans la synagogue à prier, à chanter et à faire des lectures de la loi ; il y eut aussi une espèce de procession. Les rabbins, Jésus à leur tête, firent le tour de la synagogue : ils s'arrêtèrent à différents endroits, tournés vers les quatre points cardinaux, et donnèrent leur bénédiction à la terre, à la mer et à tout le pays. Après une interruption d'environ deux heures, on revint à la synagogue dans l'après-midi et on continua à faire des lectures. Il y eut quelques pauses, pendant lesquelles Jésus demandait si l'on avait compris et donnait des explications sur certains points. On lut le récit du passage de la mer Rouge jusqu'à la promulgation de la loi sur le Sinai. Pendant qu'on faisait cette lecture, je vis beaucoup de choses dont je me rappelle ce qui suit.

Les Israélites occupaient une lieue de terrain dans un enfoncement le long de la mer Rouge. La mer était très large en cet endroit et il s'y trouvait plusieurs îlots longs d'une demi lieue sur un quart ou un demi quart de lieue de large. Pharaon et son armée cherchèrent d'abord les Israélites plus haut, puis il sut où ils étaient par ses explorateurs. Il croyait qu'ils ne pouvaient pas lui échapper, à cause de la mer qui leur fermait le passage. Les Égyptiens étaient très irrités contre eux, parce qu'ils avaient emporté leurs vases sacrés, beaucoup d'idoles et les secrets de leur religion. Lorsque les Israélites virent qu'ils approchaient, ils furent dans l'angoisse et dans la terreur. Mais Moïse pria et leur dit d'avoir confiance en Dieu et de le suivre. Alors la colonne de nuées passa derrière les Israélites, où elle forma un brouillard si épais, que les Égyptiens ne pouvaient plus les voir. Cependant Moïse s'avança sur le rivage, avec sa baguette qui avait deux petites branches et un bouton à son extrémité : il pria et frappa sur l'eau. Alors parurent devant l'aile gauche et l'aile droite de l'armée deux grandes colonnes de lumière qui semblaient avoir leurs racines dans la mer et surmontées d'une gerbe de flamme qui se terminait en pointe ; un vent violent sépara la mer tout le long de l'armée, sur une lieue de largeur. Moïse descendit par une pente douce dans le lit de la mer, et toute l'armée le suivit, formée en colonne ayant tout au plus cinquante hommes de front. Au commencement, le terrain était un peu glissant, mais bientôt ils se trouvèrent sur un fond d'herbe, moelleux comme un tapis. Les colonnes de feu brillaient devant eux et tout était éclairé comme en plein jour. Mais ce qu'il y avait de plus beau, c'étaient les îles sur lesquelles la lumière se répandait et qui, semblables à des jardins flottants, étaient pleines de fruits magnifiques et d'animaux de toute espèce, qu'ils recueillirent ou emmenèrent avec eux, et sans lesquels ils n'auraient pas eu de quoi se nourrir de l'autre côté.

L'eau de la mer ne formait pas des deux côtés une muraille perpendiculaire, mais elle s'agglomérait plutôt comme de la gélatine. Ils marchaient en avant d'un pas rapide, comme s'ils eussent eu des ailes : on eût dit des gens qui descendaient une montagne en courant. Il était environ minuit lorsqu'ils entrèrent. L'arche qui contenait les ossements de Joseph était au milieu de l'armée. Les colonnes de feu s'élevaient du fond de l'eau ; elles semblaient tournoyer et elles ne passaient pas au-dessus des îles, mais les contournaient. A une certaine hauteur, elles se perdaient dans une lueur vague. L'eau ne se retira pas tout à la fois, mais elle s'écartait devant les pas de Moise, laissant un espace vide, en forme de coin, jusqu'à ce que tout le monde eût passé ; c'est pourquoi l'on voyait dans le voisinage des îles les arbres chargés de fruits s'y réfléchir à la lueur des colonnes de feu. Le passage s'opéra miraculeusement en trois heures, tandis que naturellement il en eût fallu neuf. En remontant le rivage, à six ou à neuf lieues de là, il y avait une ville qui fut plus tard engloutie sous les flots.

Vers trois heures, Pharaon descendit aussi sur la plage, et il fut de nouveau arrêté par le brouillard, puis il finit par trouver le passage, et il y entra avec un grand nombre de chariots magnifiques ; toute son armée s'y précipita à sa suite. Moïse, qui était déjà arrivé de l'autre côté, commanda aux flots de revenir à leur place : le brouillard et le feu mirent la confusion dans l'armée, et tous périrent misérablement dans l'eau. Les Israélites, sur l'autre rive, chantèrent les louanges de Dieu, et le matin ils virent qu'ils étaient sauvés. Au delà de la mer, les deux colonnes de feu se réunirent de nouveau en une seule. Je ne puis rendre la magnificence de ce spectacle.

Après le sabbat, Jésus sortit encore de la ville avec ses disciples. Les païens de Salamine s'en retournèrent ce soir, et Jésus les accompagna sur le chemin avec ses disciples. Il les exhorta à ne plus se laisser entraîner à leur culte idolâtrique non plus qu'à leurs folles rêveries, et à quitter, aussitôt que possible, un pays où tout faisait obstacle à la nouvelle voie qu'ils voulaient suivre ; il leur indiqua des contrées éloignées où ils pourraient s'établir. Je me rappelle, entre autres, Jérusalem, la partie de la Judée qui est entre Hébron et Gaza et les environs de Jéricho. Il leur recommanda d'aller trouver Lazare, Jean Marc, les neveux de Zacharie et les parents de Manahem, le disciple aveugle guéri par lui.

Aujourd'hui, un Juif apporta à Jésus une lettre de Mercuria, la prêtresse convertie de Salamine. Elle était scellée et pliée d'une façon qui la faisait ressembler à un long cornet. Mercuria consultait Jésus sur quelque chose dont je ne me souviens plus bien : c'était à l'occasion d'une fête qui devait avoir lieu. Jésus était dans l'hôtellerie ; il lut la lettre, traça quelques caractères au-dessous, et la rendit roulée et scellée au messager qui retournait à Salamine avec les philosophes. J'ai vu Mercuria écrire cette lettre en secret pendant un bain qu'elle prenait seule sous un berceau de verdure. Etant allée ensuite se promener, elle la porta, à la dérobée, à l'homme qui était a la tête de l'hôtellerie où Jésus avait logé à Salamine et se procura par lui le messager juif qui la remit. Sa santé est tout à fait altérée par les remords, l'inquiétude et le désir de changer de vie. Elle est très bien soignée par ses proches. Je crois qu'elle consultait à l'occasion d'une grande fête paienne pour savoir si elle pouvait y assister. Elle ne pouvait pas s'en dispenser sans faire un éclat.

On commença par faire toute sorte de travaux dans le temple. On alluma ça et là de grands feux, comme sont chez nous les feux de la Saint Jean, puis des prêtres, accompagnés de personnes de distinction, hommes et femmes, se rendirent près d'un mur formant terrasse, ou étaient pratiqués plusieurs caveaux et qui tenait au grand temple, situé hors de l'enceinte de la ville. Il y avait par dessus des arbres et des allées : c'étaient, je pense, des sépultures. Ils portèrent là-dedans des vases pleins de beaux fruits et des coussins très riches : je crois que c'était à l'intention des âmes, qu'ils s'imaginaient devoir reposer dessus pendant cette nuit. Les coussins furent repris plus tard. Je vis aussi Mercuria aller là. Elle avait ses enfants avec elle. Les feux qu'on allumait étaient alimentés avec des roseaux et de la paille de la dernière récolte, entassés dans des fosses revêtues de maçonnerie à cet effet : chacun apportait son fagot. On brûlait de la volaille à ces feux et on poussait à l'entour des lamentations funèbres. Cette fête dura trois jours.

A Jérusalem, il y a eu encore une émeute dans le temple. Hier matin, Pilate a fait attacher aux colonnes qui se trouvent devant toutes les entrées du temple des tables de bronze au haut desquelles est gravé le buste de l'empereur, avec une inscription au-dessous. Il y eut d'abord de grands murmures à ce sujet, et le soir, lorsque le peuple alla célébrer le sabbat, il y eut un soulèvement : les tables furent arrachées et brisées. Aujourd'hui, pendant que tout le monde était en prière, des Romains déguisés vinrent de la forteresse Antonia, dispersèrent la foule, tuèrent quelques Gaulonites et pillèrent le tronc des offrandes. Il y eut un tumulte effroyable. Pilate avait quitté la ville auparavant.

Hérode se tint caché à Jérusalem. Après qu'il eut fait tomber les soldats d'Arétas dans le piège qu'il leur avait tendu près de Machéronte, ils l'ont de nouveau battu dans un combat, et il s'est enfui secrètement à Jérusalem. Pendant qu'il attirait son ennemi dans le voisinage de Machérunte et le rendait victime d'une trahison si noire, ses soldats étaient entrés sur les terres d'Arétas, en Arabie, mais ils y ont été complètement battus, si bien qu'Hérode effrayé s'est enfui à Jérusalem.

Marie, les saintes femmes et plusieurs apôtres, parmi lesquels se trouve Jean, sont à Nazareth, dans la maison de Marie, et célèbrent la fête de la Pentecôte.

23 mai. — J'ai vu encore aujourd'hui les habitants de Mallep à la synagogue, dans la matinée et quelques moments seulement dans l'après-midi.

Le matin, Jésus alla avec ses disciples dans deux quartiers de la ville qu'il n'avait pas encore visités. Plusieurs personnes l'en avaient fait prier. Il guérit plusieurs malades, hommes et femmes, qui étaient couchés dans des cellules séparées, adjacentes aux cours. Il exhorta et consola beaucoup de personnes qui avaient des peines de coeur de divers genres. Il y avait dans la ville un certain nombre de gens mélancoliques qu'un chagrin secret consumait. Tout ici était arrangé de manière à ce que toutes les souffrances qui intéressaient l'honneur pussent être tenues secrètes.

Aujourd'hui encore, plusieurs femmes vinrent trouver Jésus dans des maisons amies et lui demandèrent ce qu'elles avaient à faire : leurs maris étaient infidèles et elles avaient de la répugnance à porter une accusation contre eux, à cause du scandale public qui en devait résulter et de la sévérité de la peine : elles désiraient leur amendement ou une séparation. Jésus les consola, les exhorta à la patience et leur dit ce qu'elles avaient à faire. Il les engagea à réfléchir pour savoir si elles voulaient que leurs maris fussent avertis par lui-même ou par ses disciples étrangers, en sorte qu'elles ne fussent pas soupçonnées de les avoir accusés et que la chose ne fût pas connue dans le pays.

Il y avait ici plusieurs personnes qui, avec les apparences extérieures du calme et de la sérénité, gémissaient intérieurement sur bien des vices dont elles avaient connaissance. Dans plusieurs maisons, on présenta des enfants à Jésus pour qu'il les bénit. Il alla aussi visiter des personnes très tourmentées au sujet de leurs maris ou de leurs enfants qui étaient allés à Jérusalem pour la Pentecôte. Le bruit s'était répandu d'avance qu'au moment de la fête il y aurait encore des troubles dans la ville à cause de certaines choses que Pilate exigeait des Juifs, et rien ne pouvait rassurer ces personnes. Le gouverneur, disaient-elles, cherchait un prétexte, et des troubles ne pouvaient manquer d'avoir lieu. Ce bruit avait été propagé par les voyageurs qui s'étaient trouvés à la fontaine baptismale de Chytrus après le départ de Jésus. Jésus consola ces affligés et leur dit qu'il n'arriverait rien à leurs proches que Pilate n'avait affaire qu'aux Galiléens ; que d'ailleurs leurs proches, venant de loin, n'arriveraient que les derniers avec leurs offrandes ; qu'enfin ils pouvaient être tranquilles. Cette fois, à cause de l'émeute qui avait eu lieu à la fête de Pâques, peu de personnes de l'île de Chypre étaient allées à Jérusalem.

Jésus prit à diverses reprises un peu de nourriture chez ces gens. Je n'ai pas vu de repas aujourd'hui. Dans l'après-midi, Jésus alla dans une grande maison derrière laquelle, dans un passage voisin de la cour, étaient couchés à part les uns des autres plusieurs hommes considérables affligés de diverses maladies. Les femmes étaient de l'autre coté de la cour. Il s'arrêta longtemps dans les cellules, les salua et les interrogea successivement. Il se trouvait parmi eux des hypocondriaques plongés dans le désespoir et qui ne cessaient de pleurer. Il en guérit une vingtaine, leur indiqua ce qu'ils devaient manger et boire, et leur ordonna un bain, qu'ils prirent dans la maison même. Ensuite il les fit venir tous, et enseigna d'abord les femmes, puis les hommes. Cela dura presque jusqu'à l'ouverture du sabbat : alors Jésus se rendit à la synagogue.

On lut aujourd'hui des passages du Lévitique (XXVI) et de Jérémie (XVII) sur la malédiction dont Dieu frappe ceux qui n'observent pas ses commandements, sur la dîme, sur l'idolâtrie, sur la profanation du sabbat, etc. Jésus expliqua tout cela et fit un discours si sévère et si effrayant que beaucoup de gens, pénétrés de contrition, pleurèrent et sanglotèrent La synagogue était ouverte de tous les côtés, et sa voix avait quelque chose de singulièrement pénétrant et un accent particulier que n'avait aucune autre voix humaine. Il prêcha spécialement contre ceux qui s'attachent aux créatures et qui mettent dans les hommes leur espoir et leurs complaisances. Il parla des folles ardeurs entre les deux sexes, de l'excitation diabolique qui porte les adultères les uns vers les autres, de la malédiction des époux outragés qui va tomber sur les enfants nés de semblables relations, malédiction dont les conséquences sont imputables aux adultères. Il enseigna en outre sur d'autres péchés et sur leurs suites.

Les auditeurs étaient tellement effrayés, que beaucoup s'écrièrent lorsqu'il eut fini: "il parle comme si le jour du jugement était proche".

Jésus parla encore contre l'attachement insensé aux biens et aux pompes de ce monde ; il s'éleva aussi spécialement contre l'orgueil de la science subtile et captieuse et contre la confiance qu'inspirent de grandes connaissances. Il dirigea à la fois ses traits au coeur de ces adultères dont les épouses avaient pleure aujourd'hui près de lui, et contre la conduite de beaucoup de jeunes gens qui venaient étudier ici, dans une grande école érigée à leur intention, différentes branches de la science hébraïque et qui ensuite allaient ailleurs pour acquérir de nouvelles connaissances. Il dit en terminant qu'il recevrait le lendemain matin ceux qui avaient besoin d'être consolés et éclairés. Il passa la nuit en prière.

24 mai. — Aujourd'hui, pendant toute la matinée, il vint au logis de Jésus un très grand nombre de personnes qui, profondément remuées par son instruction de la veille, demandaient à être consolées et réconciliées avec Dieu. Il se trouvait parmi eux beaucoup de savants et d'élèves de l'école qui est ici. Ils demandaient des avis sur la manière dont ils devaient diriger leurs études. Il vint aussi des hommes dont la conscience était troublée par suite des affaires qu'ils avaient à traiter avec des païens dont les biens confinaient aux leurs.

Parmi ces visiteurs étaient aussi les maris de ces femmes qui, la veille, avaient porté leurs plaintes à Jésus, et d'autres également coupables contre lesquels aucune accusation n'avait été portée. Ils se présentèrent successivement devant Jésus comme des pécheurs, se jetèrent à ses pieds, confessèrent leurs fautes et en demandèrent le pardon. Ils étaient surtout troublés par la crainte que la malédiction de leurs femmes ne tombât sur les enfants, innocents d'ailleurs, nés de leurs relations adultères, et demandèrent si cette malédiction pouvait être conjurée et effacée. Jésus s'étendit beaucoup sur ce sujet, dit que cette malédiction avait des effets terribles en ce qui touchait la génération, qu'elle s'incarnait en quelque sorte et ne pouvait être effacée que par beaucoup de charité et de clémence de la part de celui qui l'avait lancée et par le repentir et la pénitence de la part de celui qui l'avait provoquée ; que la malédiction frappait la génération d'une façon toute particulière et aussi qu'elle devait être retirée devant le prêtre, lequel devait alors donner sa bénédiction. Il donna plusieurs autres enseignements sur ce sujet et dit que cette malédiction se perpétuait pendant plusieurs générations. Il ajouta qu'elle ne s'étendait pas jusqu'à l'âme, car le Père tout-puissant a dit : " Toutes les âmes sont à moi ", mais qu'elle frappait le corps et les biens temporels. Or, le corps étant la demeure et l'instrument de l'âme, il en résultait pour celle-ci de grandes misères et de grandes tribulations, ajoutées au fardeau déjà si lourd qu'elle avait à porter pour son propre compte.

Je vis à cette occasion beaucoup de choses touchant l'état des enfants illégitimes, adultères et maudits, et touchant l'action prolongée de la malédiction non effacée sur les rejetons de ceux qu'elle avait frappés ; mais je ne puis plus bien raconter cela. La malédiction agit de diverses manières, suivant l'intention de celui qui l'a lancée et aussi suivant la nature des enfants eux-mêmes. Beaucoup d'épilepsies et de possessions tirent de là leur origine. Je vois ordinairement les bâtards doués d'avantages naturels donnant facilement prise au péché. Ils tiennent en quelque chose de cette race qui naquit de l'union des enfants de Dieu avec les filles des hommes. Ils sont souvent beaux, adroits, dissimulés, ambitieux de tout attirer à eux, mais sans vouloir l'avouer. Ils portent dans leur chair l'empreinte des passions secrètes qui leur ont donné la vie, du mystère et du mensonge qui ont abrité leur naissance, et cela les conduit souvent à perdre leur âme.

Jésus ayant écouté et exhorté ces pécheurs les uns après les autres, leur enjoignit de lui envoyer leurs femmes : il les prit aussi à part, leur parla du repentir de leurs maris, les exhorta à tout oublier et à retirer leur malédiction, ajoutant que si elles ne le faisaient pas du fond du coeur, elles seraient responsables de la rechute des coupables. Ces femmes pleurèrent, rendirent grâces et promirent tout ce qu'il voulut. Il s'entretint ainsi en particulier avec chacune d'elles.

Jésus réconcilia aujourd'hui plusieurs de ces couples, qu'il fit venir devant lui et auxquels il adressa plusieurs questions comme s'il se fût agi pour eux d'un nouveau mariage : il joignit leurs mains qu'il recouvrit d'une bande d'étoffe et les bénit.

Un des hommes avait eu commerce avec une païenne du pays, et il en avait eu des enfants qui étaient élevés ici dans la maison des orphelins juifs. Sa femme légitime retira solennellement sa malédiction de dessus eux ; elle se présenta devant Jésus, tendit la main à son mari pardessus la tête de ces enfants, rétracta ses imprécations et Jésus imposa comme pénitence aux époux adultères des aumônes, des jeûnes, des prières et des privations. Celui qui avait péché avec la païenne était tout changé. Il invita humblement Jésus à prendre un repas chez lui, et le Seigneur y alla avec ses disciples. On avait invité en outre deux rabbins qui furent fort surpris de cette invitation aussi bien que toute la ville ; car cet homme était connu comme un mondain de moeurs légères, qui ne tenait pas grand compte des prêtres et des prophètes. Il était riche et possédait des terres que ses serviteurs cultivaient ; il demeurait près de l'hospice où Jésus avait guéri récemment des hypocondriaques. Deux petites filles de la maison vinrent pendant le repas et versèrent un onguent précieux sur la tête de Jésus.

Après le repas. Jésus alla avec tout le peuple à la synagogue pour la clôture du sabbat. Il continua son instruction de la veille, mais avec moins de sévérité, et il leur dit que Dieu ne les abandonnerait pas s'ils invoquaient son assistance. A la fin, il leur parla encore de leur attachement à leurs maisons et à leurs biens, et les exhorta, puisqu'ils croyaient à son enseignement, à quitter les occasions de pécher dans lesquelles ils vivaient parmi les païens et à suivre la vérité en s'établissant dans la terre promise, parmi leurs frères. La Judée, disait-il, était assez grande pour les recevoir et les nourrir pour peu qu'ils consentissent à vivre d'abord sous la tente. Il valait mieux tout quitter que de perdre son âme ; mais ils commettaient le péché d'idolâtrie envers leurs belles maisons, leurs biens et leurs aises. Pour que le royaume de Dieu vînt à eux, il fallait qu'ils allassent au-devant de lui. Ils avaient tort de mettre leur confiance en ces belles et solides demeures qu'ils possédaient dans un pays riant ; car la main de Dieu saurait bien les y atteindre ; ils en seraient tous chassés et leurs habitations détruites. Il savait bien que leur vertu n'était qu'une vaine apparence et qu'il n'y avait au fond que tiédeur et recherche d'eux-mêmes. Ils convoitaient les biens des païens et cherchaient à les acquérir par l'usure, le commerce, l'exploitation des milles et les mariages : mais ils perdraient un jour tout cela à la fois. Il les mit aussi en garde contre ces mariages qu'ils contractaient avec les païens et où les deux parties devenaient indifférentes à leur foi, ne s'unissant que pour l'or et l'argent, pour avoir plus de liberté et satisfaire leurs convoitises sensuelles. Tous furent très frappés et très ébranlés et plusieurs le prièrent de leur accorder le lendemain quelques moments d'entretien.

25 mai. — Aujourd'hui Jésus jusqu'assez tard dans la nuit a visité plusieurs maisons, dont il a consolé, exhorté et réconcilié les habitants. Il reçut aussi la visite de deux femmes qui avaient des enfants illégitimes qu'elles élevaient chez elles. Elles s'accusèrent elles-mêmes : sur quoi Jésus fit venir leurs maris, réconcilia les époux et les unit de nouveau. Les enfants furent adoptés et bénis par les maris sans qu'on leur fit connaître pourquoi se faisait cette cérémonie.

Beaucoup d'autres personnes vinrent chercher des consolations auprès de Jésus, par suite de l'exhortation qu'il leur avait faite la veille pour les engager à quitter le pays des païens. Sa doctrine leur plaisait beaucoup ; comme Juifs émigrés et relégués si loin de leur peuple, ils se trouvaient très honorés de sa visite ; mais ils ne pouvaient se faire à l'idée de tout quitter pour le suivre. Les Juifs vivaient ici dans la richesse et le bien-être ; ils avaient une ville qu'ils avaient bâtie eux-mêmes, un commerce florissant et une grande part dans le produit des mines. Ils faisaient d'excellentes affaires avec les païens, n'étaient ni vexés par les pharisiens, ni opprimés par Pilate ; leur situation matérielle était très avantageuse, mais ils étaient très exposés à contracter des alliances avec les païens. Il se trouvait dans le voisinage beaucoup de biens et de métairies appartenant à ceux-ci: et les filles païennes épousaient volontiers des Juifs parce qu'ils ne traitaient pas les femmes en esclaves comme les gentils : aussi cherchaient-elles a attirer les jeunes gens par des présents, des coquetteries et des séductions de tout genre. Si elles embrassaient le judaïsme, c'était sans motifs sérieux, par des vues purement humaines, et par elles le relâchement et la tiédeur se glissaient dans les familles. Parmi les nouvelles mariées dont il a été question, il se trouvait plusieurs païennes.

Les Juifs ici ne sont point aussi simples et aussi hospitaliers qu'en Palestine : ils sont plus raffinés et ont bien moins du cachet antique. Comme ils faisaient beaucoup de difficultés quant à leur émigration, Jésus leur rappela que leurs pères aussi avaient possédé des maisons et des champs en Égypte, et qu'ils les avaient abandonnés volontairement et de bon coeur. Il leur confirma encore ce qu'il leur avait dit des malheurs à venir qui les menaçaient dans ce pays.

Les disciples, et surtout Barnabé, firent plusieurs tournées dans le voisinage : ils enseignaient les gens du pays et leur donnaient des règles de conduite. Ceux-ci étaient moins timides avec Barnabé et lui adressaient toutes sortes de questions. Il a tout un cercle autour de lui.

Mnason n'est pas né en Chypre : ses parents qui sont pauvres sont venus d'un pays éloigné : mais à présent ils habitent l'île de Chypre. Il y a fait ses études qu'il est allé compléter en Palestine où il s'est réuni à Jésus.

Les femmes ont, en général, beaucoup de répugnance à adopter les enfants illégitimes de Leurs maris, mais celles d'ici le firent du fond du coeur, et les maris en conçurent une plus grande affection pour elles. Plusieurs hommes aussi donnèrent ce même exemple et bénirent des enfants de leurs femmes dont ils n'étaient pas les pères. Il y eut ainsi des réconciliations solides, et tout scandale fut évité.

Ce soir, à une heure avancée, un disciple de Jésus, parent de la veuve de Naim, est arrivé ici, venant de la Palestine. Jésus s'est entretenu avec lui : il apporte des messages des amis de Jésus et des nouvelles de ce qui se passe.

Il n'a pas débarqué à Salamine, mais au midi du petit fleuve Poedion, dans le port d'Ammochostus qui. comme je l'ai vu précédemment, est situé près d'une une lieue et demie au midi de Salamine.

26 mai. — Ce matin, de très bonne heure, Jésus sortit de Mallep avec ses disciples, le disciple de Naïm arrivé hier et les fils de Cyrinus de Salamine qui étaient venus ces jours derniers. Ils étaient à peu près une douzaine de personnes. Jésus se dirigea vers un village de mineurs qui est près de Chytrus, mais en faisant un grand détour. Il remonta quelque temps la vallée de Lanifa, puis il se dirigea au sud, contourna la montagne d'où sort la source voisine de Chytrus et cette ville elle-même, et marchant à l'est, il arriva à ce village que j'ai mentionné récemment en parlant du grand détour qu'il fit autour de Chytrus, lorsqu'il partit du village des abeilles en compagnie de beaucoup de personnes. Il fit ainsi sept lieues de chemin, se reposant ça et là : il s'arrêta aussi sur la route, près de quelques ouvriers et parla de la nécessité de frayer la voie vers le bien. Jésus avait été invité à visiter ce village de mineurs par la famille de Barnabé et par plusieurs habitants de Chytrus, parce que les mineurs juifs y célèbrent demain une fête et reçoivent de leurs maîtres des présents et leur part de la moisson. Jésus fit un détour pour pouvoir parler à ses disciples sans être dérangé et pour ne pas arriver de trop bonne heure dans cet endroit. Il se fit rapporter par le disciple de Naïm tout ce que celui-ci était chargé de lui dire : car, bien qu'il n'ignorât rien : il avait coutume de ne pas le laisser voir pour ne pas gêner ceux avec lesquels il vivait.

Le disciple était parti de Jérusalem pour Naïm le jour d'avant la Pentecôte, après que le peuple eut porte ses offrandes au temple et après l'émeute provoquée par Pilate : de Naïm, il s'était rendu par Nazareth à Ptolémaïs et de là en Chypre. Il raconta à Jésus que sa mère et les autres saintes femmes, Jean et quelques autres disciples, avaient fêté tranquillement la Pentecôte à Nazareth, que sa mère et ses amis se rangeaient à son souvenir et le priaient de vouloir bien prolonger un peu son séjour dans l'île de Chypre, afin de laisser aux esprits le temps de se calmer à son sujet. Les pharisiens disaient déjà qu'il s'était enfui. En outre, Hérode avait voulu le mander à Machéronte sons prétexte de lui parler des détenus délivrés à Thirza (voir tome IV, page 123), mais dans le fait son dessein était de le mettre en prison comme Jean. Là-dessus la guerre était survenue et Hérode s'était éloigné. Comme il était de retour maintenant, ils priaient Jésus de ne pas revenir encore. Jésus déclara qu'il n'en pouvait pas être ainsi et qu'il reviendrait quand le temps serait venu.

Le disciple raconta ensuite l'émeute provoquée par Pilate la veille de la Pentecôte, lorsque le peuple eut porté ses offrandes au temple. Malheureusement deux amis de Jésus, employés au service du temple et parents de Zacharie, s'étaient trouvés par hasard dans la mêlée et y avaient péri. Jésus le savait déjà et cela l'avait rendu triste depuis deux jours. Mais la nouvelle l'attrista de nouveau beaucoup ainsi que les disciples. Pilate s'était dirigé vers la ville le soir d'auparavant, et il s'était arrêté avec quelques troupes dans un château situé à quelque distance de la route de Joppé : c'était près de là que l'un des larrons du Calvaire s'était livré à ses brigandages. Pilate voulait s'emparer de l'argent des offrandes de la fête pour pourvoir aux frais de la construction d'un aqueduc : il avait fait attacher aux colonnes placées devant les entrées du temple, des tables de bronze où était gravée, sous le buste de l'empereur, une inscription qui réclamait cette contribution. La vue de ces images avait fort irrité le peuple, et les Hérodiens soulevèrent, au moyen de leurs agents, une troupe de Galiléens du parti de Judas de Gaulon, lequel avait été tué dans la dernière émeute. Hérode qui était secrètement à Jérusalem était informé de tout. Le soir, cette populace, transportée de fureur, arracha les tables de bronze, mutila et outragea les images, et en jeta les débris devant le prétoire sur la place du marché, en criant : " Voilà votre argent des offrandes " ! Ensuite ils se dispersèrent, et ce qu'ils avaient fait ne fut pas trop blâmé. Mais lorsque le lendemain matin ils voulurent sortir du temple, ils trouvèrent toutes les issues occupées par des gardes qui voulaient avoir l'argent réclamé par Pilate : comme ils résistaient et cherchaient à s'ouvrir un passage, des soldats déguisés se précipitèrent au milieu d'eux et les poignardèrent. Il y eut alors un tumulte effroyable : et deux employés du temple étant accourus au bruit furent aussi mis à mort. Mais les Juifs se défendirent et repoussèrent les soldats jusque dans la forteresse Antonia. Il ne périt pas à beaucoup près autant de monde que la fois précédente.

Hérode a éprouvé un échec signalé en Arabie ; sa méchante femme se tient cachée à Hésébon, au delà du Jourdain, et il se trouve dans ce pays un grand nombre de soldats revenus de l'expédition d'Arabie. Le dessein qu'avait formé Hérode de s'emparer de Jésus, a été divulgué aux amis du Sauveur venus d'Hébron, par ces gens de Machéronte qui leur avaient permis de chercher la tète de Jean-Baptiste.

Sur la route, Jésus s'entretint longuement avec les disciples des habitants de Mallep de leur attachement aux biens de ce monde et à leurs maisons : il dit combien ils trouvaient dur le conseil de se rendre en Palestine. Il parla aussi des philosophes paiens qui devaient le suivre et dit aux disciples comment ils devaient se comporter à leur égard quand ils les auraient pour compagnons. Il fit cela parce qu'ils ne paraissaient pas bien s'entendre avec ces philosophes et qu'ils se scandalisaient un peu à leur sujet.

Vers le soir, ils arrivèrent au village des mineurs, à une demi lieue de Chytrus. Il est situé dans le voisinage des mines, autour d'une masse de rochers élevés à laquelle beaucoup d'habitations sont adossées. Au dessus de ces rochers sont quelques jardins, et au milieu, dans une enceinte d'arbres touffus, un monticule artificiel du haut duquel se fait la prédication. On arrive par des degrés à cette haute plate-forme, d'où l'on domine le village qui est entouré de quelques autres jardins et d'emplacements découverts.

Jésus descendit dans une espèce d'hôtellerie où demeure l'inspecteur qui a ces ouvriers sous ses ordres, qui leur paie leur salaire et pourvoit à leur entretien. Ces gens le reçurent avec beaucoup de joie. Toutes les entrées du village et la maison de l'inspecteur étaient déjà décorées pour la fête avec des arcs de triomphe en feuillage et des guirlandes de fleurs. Ils conduisirent Jésus et les siens dans la maison, lui lavèrent les pieds et lui offrirent à manger. Il alla ensuite avec eux au monticule qui était au haut des rochers. Il s'y assit et la foule s'étendit sur l'herbe autour de lui. Alors il leur parla du bonheur que procurait la pauvreté et du travail : il leur dit combien ils étaient plus heureux que les riches Juifs de Salamine, parce qu'il n'y avait de riche devant Dieu que l'homme vertueux, et combien ils étaient moins exposés à tomber dans le péché. Il dit aussi qu'il venait à eux pour montrer qu'il ne les méprisait pas et qu'il les aimait, etc. Il enseigna jusqu'à la nuit et raconta des paraboles ; il traita aussi de l'oraison dominicale.

La fête que les païens célébraient à Salamine dura trois jours : c'est une fête funéraire en mémoire de quelques païens meilleurs que les autres, qui avaient fait supprimer les sacrifices sanguinaires d'enfants mal conformés ; elle a aussi pour but de soulager les âmes des victimes de ces sacrifices. On place des coussins pour que ces âmes puissent s'y reposer, et on dépose des fruits près des urnes où sont leurs cendres et leurs ossements. Les païens ont horreur des enfants difformes, et on les relègue dans des maisons à part. Mercuria a eu un enfant de cette espèce. En général, ils ont de la répugnance pour tout ce qui n'est pas beau, bien fait et agréable à voir, et ils cherchent à jeter un voile sur tous les défauts corporels et sur la mort elle-même.

27 mai. — Dès hier soir, on avait fait venir, de Chytrus, au village des mineurs, des vêtements, des provisions de bouche et du blé : ce matin, le père et le frère de Barnabé y arrivèrent, ainsi que plusieurs habitants notables de Chytrus, des propriétaires de mines et aussi quelques rabbins. Ils visitèrent Jésus dans la matinée, puis ils allèrent en divers endroits du village où l'on avait porté les objets qui devaient être donnés et où le peuple s'était rassemblé. On distribua aux ouvriers des boisseaux de blé, de grands pains d'environ deux pieds carrés, du miel, des fruits, des cruches pleines, des pièces d'habillement en cuir dont les mineurs faisaient usage, des couvertures et des objets de toute espèce. Les femmes reçurent aussi leur part, où je remarquai des pièces d'une étoffe épaisse, d'une aune et demie en carré, qui semblent être des tapis. Je crois qu'elles s'en servent pour envelopper leurs pieds ou pour garnir leurs chaussures, mais je ne m'en souviens plus bien. Pendant la distribution, Jésus et les disciples étaient présents ; sur divers points ils enseignaient et donnaient des avis.

Ensuite Jésus, étant monté sur le monticule qui est au-dessus des rochers et autour desquels tout le monde se rassembla, fit une instruction sur les ouvriers de la vigne, sur le bon Samaritain, sur la reconnaissance, sur les bénédictions attachées à la pauvreté, sur le pain quotidien, et sur l'oraison dominicale. Après quoi ces gens prirent un repas en plein air sous le feuillage, et Jésus, les disciples et d'autres personnes de distinction les suivirent.

Je vis aussi Jésus guérir plusieurs mineurs qui avaient des meurtrissures ou des blessures aux mains, aux bras ou aux jambes.

Ces gens avaient des enfants des deux sexes qui jouèrent de la flûte et chantèrent. Après le repas, ils se livrèrent à toute sorte de jeux enfantins, sans que les hommes et les femmes fussent séparés. On courait, on sautait, on cherchait quelque chose les yeux bandés : c'étaient des divertissements qui ressemblaient beaucoup à ceux dont les enfants s'amusent chez nous. Il y eut aussi des danses où ils défilaient les uns devant les autres en s'inclinant : après quoi, ils formaient une ronde.

Le soir, Jésus alla se promener du côté des mines avec une dizaine de petits garçons âgés de sept à huit ans. Ces enfants n'avaiel1t qu'un linge autour des reins. Ils avaient des guirlandes de laine ou de plumes à la ceinture ou sur la poitrine. Ils paraissaient très aimables. Ils montrèrent à Jésus, d'une façon très naive, tous les endroits où la mine rendait beaucoup, et ils lui racontèrent tout ce qu'ils savaient. Jésus leur parla avec beaucoup de bonté, faisant des applications à tout ce qui les concernait. Souvent il leur donnait des énigmes à deviner et leur racontait des paraboles. Ce matin encore, je me souvenais de tout cela, mais je l'ai oublié depuis, parce qu'on m'a dérangée. C'était un charmant spectacle. Jésus fit ensuite une autre instruction en présence des disciples et des notables. Bien que ces mineurs fassent sous terre des travaux très salissants, ils sont en général d'une grande propreté dans leurs maisons et dans leurs habits de fête.

Cette nuit, je vis les sept philosophes de Salamine s'embarquer pour Berythus : ils voulaient éviter Sidon ou Tyr, parce qu'ils y étaient trop connus. Ils iront de là à l'est, au delà du Liban, puis ils se dirigeront au midi vers Gessur où Jésus a récemment baptisé beaucoup de païens. Ils y séjourneront jusqu'à ce qu'il leur donne une autre destination, peut-être s'y feront-ils circoncire.

Le disciple de Naim n'ira pas à Citium, mais plus à l'est, à peu de distance des mines de sel, près d'un bâtiment qui s'avance assez loin dans la mer sur une langue de terre. Nathanaël le fiancé et le fils du centurion de Capharnaun1 sont venus le rejoindre là : il doit les prendre avec lui et les mener à Jésus.

28 mai.-- Aujourd'hui de très bonne heure, Je vis Jésus avec ses disciples accompagner le disciple de Naim jusqu'au port où le Seigneur s'embarquera plus tard pour retourner en Palestine. Ils allèrent au midi, une lieue environ plus à l'ouest que le chemin sur lequel Jésus, venant de Salamine, s'est entretenu avec les Arabes voyageurs. Ils laissèrent à leur droite la glande ville de Tremithus qui est située sur une montagne, à une plus grande élévation que Chytrus : mais on ne peut pas la voir parce qu'elle est masquée par une autre montagne. Ils firent bien cinq lieues pour accompagner le disciple. Un groupe allait en axant, un autre suivait ; Jésus était le plus souvent entre les deux, tantôt avec le disciple, tantôt avec quelques autres. Il s'entretint longuement avec le disciple, et lui donna plusieurs commissions pour sa mère et pour les apôtres. Il va dans la contrée où sont les mines de sel, près de Citium. Le port, ici, n'est pas si éloigné de la ville qu'à Salamine : la mer s'avance à une grande distance dans les terres, et l'on croirait que la ville est entourée d'eau de tous côtés. A peu de distance, s'élève une très haute montagne. Il y a aussi une mine de sel gemme dans le voisinage. A l'endroit où abordent les navires, il n'y a que des petits bâtiments et des flûtes : on y voit aussi flotter beaucoup, de bois de construction.

Je suis portée à croire que Jésus partira d'ici pour la Syrie sur un petit navire. Il débarquera à Sykamine, et se rendra de là à Misaël où se trouve maintenant Barthélemy avec Judas et quelques autres. Je crois qu'il ira ensuite à Capharnaüm.

Pendant la fête, Jean était à Nazareth auprès de Marie et des saintes femmes. Il est allé de là à Saphet avec André qui était venu de Capharnaüm au-devant de lui. Ils visitèrent dans la montagne différents endroits où ils n'étaient pas encore allés. Nathanaël-khased aussi est maintenant avec eux. Thomas est avec les disciples qui l'accompagnent, dans les environs de Gaza ; Simon et Thaddée dans la Judée, près de Maspha : Pierre et Jacques le Majeur de l'autre côté de la mer de Galilée, près de Dalmanutha. Avec eux est le disciple qu'on appelle le petit Jacob. Il est allié à la famille de Jésus par un frère de sainte Anne ou de saint Joseph, si je ne me trompe. J'en ai du reste déjà fait mention une fois, et je crois que son père ou sa mère sont illégitimes. La veuve de Naïm l'a eu chez elle : il a été baptisé à Capharnaüm, lors d'un voyage qu'y firent des parents de Jésus : je crois qu'ensuite il est allé sur un navire se joindre à Jacques ; il fait l'office de courrier ou de messager. Tous les apôtres dont je viens de parler, avaient avec eux plusieurs disciples. Aucun d'eux n'était chez lui occupé des travaux de sa profession : ils n'ont pas cessé d'enseigner, de baptiser et de guérir Tout s'est assez bien passé en ce qui les touchait. Le centurion de Capharnaüm et d'autres amis leur ont souvent servi d'appui contre les Pharisiens. Je crois que Jésus se réunira à eux dans une douzaine de jours.

Jésus et les disciples mangèrent en plein air quelques aliments qu'ils avaient avec eux : le Seigneur donna sa bénédiction au disciple auquel il faisait la conduite : les autres disciples l'embrassèrent et prirent congé de lui. Ils revinrent ensuite au village des mineurs où la famille de Barnabé et plusieurs autres personnes les attendaient. On prit encore là un repas en commun et Jésus enseigna le peuple qui s'était rassemblé autour de l'hôtellerie.

Un enfant mal conformé, que Mercuria avait mis au monde à la suite des abominables orgies du temple, avait été immolé dans un sacrifice : ce spectacle était toujours présent à sa mémoire, et cela avait été une des causes de sa conversion. Ces sacrifices d'enfants de cette espèce avaient été continués en secret quoiqu'ils eussent été interdits par l'autorité publique. Mais le gouverneur actuel de Salamine avait fini par les abolir complètement, et cette fête des morts, en mémoire des victimes immolées et de ceux qui avaient les premiers travaillé à abolir les sacrifices humains, avait été renouvelée par lui, à l'instigation de Mercuria, qui avait eu antérieurement des relations coupables avec lui. On apporta des coussins pour les âmes des enfants, et l'on offrit pour eux à la déesse des holocaustes d'oiseaux. Mercuria, accompagnée de ses filles, pleura amèrement dans le caveau où était l'urne de son enfant : elle était dévorée par le chagrin, le remords, et le désir de changer de vie. Elle fit demander à Jésus si elle pouvait prendre part à la célébration de cette fête. Il lui dit que oui ; mais elle ne sacrifia pas. Le gouverneur s'est embarqué pour Rome aussitôt après le départ de Jésus de Salamine. Il s'est entretenu auparavant avec Mercuria et il a été fort touché en apprenant sa conversion. Il avait à rendre compte de plusieurs choses à Rome, et il avait pris conseil de Jésus à ce sujet : j'ai oublié de quoi il était question.

29 mai. — Ce matin, Jésus, accompagné des disciples, quitta le village des mineurs voisin de Chytrus, et il franchit les montagnes, se dirigeant au nord-ouest, vers le port de Cerynia. Ils laissèrent Mallep à droite, traversèrent une partie de la vallée de Lanifa, et passèrent devant le bourg de Leppé. Jésus se reposa une fois sur le chemin, et il enseigna près d'une éminence couverte de beaux arbres : ils arrivèrent ainsi vers quatre heures de l'après-midi à trois quarts de lieue de Cerynia : ils furent reçus là par la famille de Mnason et par plusieurs autres Juifs dans un jardin servant d'oratoire, qui n'était autre chose qu'un petit bosquet situé dans un enfoncement au pied d'un coteau.

Cette famille habite à un quart de lieue, non loin du chemin et à une demi-lieue de Cerynia. Le père de Mnason est un vieux Juif, maigre et courbé, avec une longue barbe, mais très actif et très dispos. Il a encore deux filles et trois fils, un gendre et une bru : ils habitent ici tous ensemble depuis environ dix ans. Auparavant c'étaient des marchands ambulants. Ils accueillirent Jésus avec beaucoup de joie et d'humilité, lavèrent les pieds aux voyageurs dans un bassin, et leur offrirent une réfection. Il y avait là un terrain relevé en terrasse avec des allées d'arbres : c'était pour ces gens comme un oratoire. Jésus enseigna jusqu'au soir sur le baptême, sur l'oraison dominicale et sur les béatitudes.

Après cela, le père de Mnason qui s'appelait Moise et les frères de ce disciple menèrent Jésus à leur maison ou quatre enfants, conduits par Mnason, vinrent à la rencontre du Seigneur qui les bénit. La mère et les soeurs de Mnason s'avancèrent, couvertes de leurs voiles, mais restèrent à quelque distance, et Jésus leur adressa la parole. Il y eut ensuite un repas où toute la famille assista. Il eut lieu en plein air, sous des arbres : les maîtres de la maison donnèrent ce qu'ils avaient de meilleur, du pain, du miel, des oiseaux et des fruits pendant encore à de petites branches. Jésus enseigna après le repas. Ils mangèrent sous un long berceau de fouillage qui était revêtu d'écorce d'arbre à l'intérieur, tandis qu'au dehors on ne voyait que de la verdure. Il s'y trouvait une rangée de couches.

La mère de Mnason était une femme forte et robuste. Ayant vu les parents de Mnason faire de fréquents voyages, j'avais cru d'abord qu'ils demeuraient dans un pays éloigné, et que lui-même n'était venu en Chypre que pour y faire ses études. Mais voici dans le fait ce qui en est. Moïse, le père de Mnason, est de la tribu de Juda : ses ancêtres avaient oublié leur patrie pendant la captivité de Babylone et n'étaient pas revenus en Palestine. Il avait mené une vie errante, comme conducteur de caravanes : il avait aussi résidé quelque temps en Arabie, du côté de la mer Rouge : mais il y a une dizaine d'années, étant tombé dans la pauvreté, il s'établit dans l'île de Chypre avec sa famille. Ce fut alors que Mnason fréquenta l'école de Mallep : plus tard il alla étudier en Judée où il se joignit à Jésus. Son père vit ici avec ses enfants dont Mnason est le plus jeune ; ils occupent plusieurs cabanes où ils font leur demeure. Ils n'ont pas de champs à cultiver, mais seulement quelques jardins qu'ils ont arrangés derrière leurs habitations avec des massifs de verdure et des arbres fruitiers. Le vieux père ayant été jadis conducteur de caravanes et trafiquant, s'est établi dans ce pays comme hôtelier au service des caravanes de marchands Elles s'arrêtent ici devant Cers nia : Moïse a aussi quelques ânes et quelques boeufs de charge à l'aide desquels il transporte à leur adresse de petits ballots qu'il reçoit de ces caravanes et qui sont destinés à des endroits éloignés de la route. C'est comme un marchand ambulant devenu hôtelier pour héberger des gens de son ancienne profession. Il est pauvre ; cependant lui et les siens pourvoient régulièrement à leur subsistance sans cesser d'observer strictement les usages propres aux Juifs. Il ne vient pas un grand nombre de caravanes de commerce à Cerynia : la route principale mène à Lapithus, qui est à deux lieues de là du côté de l'ouest.

30 mai. — Ce matin Jésus enseigna encore à l'endroit où il avait enseigné la veille. Il se trouvait là plusieurs Juifs de Cerynia et des gens faisant partie d'une petite caravane qui était arrivée récemment. Ceux-ci furent singulièrement réjouis de trouver là Jésus, car ils l'avaient déjà entendu près de Capharnaüm et ils avaient reçu le baptême. Il parla aujourd'hui avec beaucoup de force contre l'usure et la passion, par le trafic avec les païens de s'enrichir : il traita en outre du baptême, de l'oraison dominicale et des béatitudes. A midi, il y eut un repas en commun : Jésus se mit à peine à table : la plupart du temps il servit les convives ou fit le tour des tables en enseignant.

La seule des soeurs de Mnason qui fût mariée ne se montra pas : sa petite fille était morte l'avant-veille. Elle resta assise près du corps, enveloppée dans ses vêtements tic deuil et pleurant. L'enfant n'avait pas pu être enterrée la veille, par suite de je ne sais quel empêchement. La mère attendait aujourd'hui vers quatre heures les rabbins de Mallep qui devaient enlever le corps, car c'était là qu'était leur cimetière. L'enfant, déjà assez grande, avait toujours été maladive : elle ne pouvait pas encore parler couramment ni marcher, mais elle comprenait tout et Mnason qui était déjà venu ici plusieurs fois avait parlé d'elle à Jésus. Jésus lui avait dit qu'elle mourrait bientôt, et lui avait montré comment il devait la préparer à la mort. Mnason s'était pieusement acquitté de ce devoir pendant l'absence de la mère. Il avait inculqué à l'enfant la foi au Messie avec le sincère repentir de ses péchés et l'espérance du salut. Il avait prié avec elle, et lui avait fait des onctions avec de l'huile bénie par Jésus, en sorte que l'enfant avait fait une très bonne mort. Je la vis auprès de sa mère, couchée dans une espèce de bière en forme d'auge, elle était emmaillotée comme une pourpre : le linceul était rabaissé sur son visage comme un capuchon. Elle avait sur la tête une petite couronne de fleurs et des paquets d'herbes étaient entassés près d'elle. Ses bras et ses mains étaient aussi enveloppés, on pouvait pourtant les distinguer : dans le bras était une baguette blanche à l'extrémité de laquelle était attaché un bouquet où figurait un gros épis de blé, quelques feuilles de vigne, une petite branche d'olivier, une rose et d'autres végétaux du pays. Plusieurs femmes vinrent visiter la mère et pleurer avec elle ; elles déposèrent dans la bière, à côté de l'enfant, des jouets de toute espèce, deux petites flûtes, un petit cor recourbé, un tout petit arc avec sa corde tendue et une petite baguette en guise de flèche passant dans une rainure. On avait en outre placé le long de chaque bras un bâtonnet qui semblait doré, terminé par un bouton. C'était presque comme des baguettes de tambour (peut-être un instrument pour tricoter, tisser ou filer).

Lorsque les rabbins vinrent pour enlever le corps, on ne cloua pas le léger couvercle du cercueil ; on l'attacha seulement avec une bande d'étoffe. Quatre hommes le portèrent entre eux sur des bâtons. On portait aussi au bout d'une perche une lampe allumée dans une espèce de lanterne de corne ; une foule nombreuse où se trouvaient beaucoup d'enfants, se pressait autour du cercueil. Jésus, les disciples et d'autres personnes se tenaient devant la maison pendant que le cortège passait ; Jésus consola la mère et les membres de la famille et il enseigna sur la résurrection.

Tous allèrent ensuite à Cerynia pour le sabbat. Cerynia a trois rues aboutissant à la mer : celle du milieu est fort large et ces trois rues sont coupées par deux autres. Du côté de la terre, la ville est entourée d'un épais rempart dans lequel sont pratiquées à l'extérieur les habitations de la population juive, peu nombreuse d'ailleurs, et qui par conséquent demeure hors de la ville ; toutefois, ces habitations elles-mêmes sont aussi entourées d'une muraille. Les Juifs habitent donc ici entre deux murs de la ville, séparés de la Cerynia païenne où il y a une dizaine de temples ou de lieux consacrés aux idoles. Les Juifs sont en petit nombre ; ils ne sont pas précisément riches, toutefois, tout est bien tenu chez eux. Ils ont un bâtiment qui renferme à la fois une école, une synagogue et des logements pour les maîtres et les rabbins. Cet édifice est élevé avec un étage supérieur. Ils ont aussi une belle fontaine d'eau vive empruntée à une autre source et qui alimente deux réservoirs, l'un où l'on puise l'eau que l'on boit, l'autre, situé dans un joli jardin et qui sert à prendre des bains.

Je crois qu'on baptisera dans celui-ci.

Les maîtres reçurent Jésus à l'entrée de la rue avec beaucoup de marques de respect : ils le conduisirent à l'école, puis après la bienvenue accoutumée, à la synagogue où sept malades s'étaient fait porter sur de petites litières pour entendre son instruction. Il y avait bien en tout une centaine de personnes. On lut des chapitres de l'Exode (I-IV, 21) racontant le dénombrement des Israélites et donnant diverses généalogies, ainsi que des passages du prophète Osée (Os.I,10 ; II, 21), contenant des invectives véhémentes et de terribles menaces contre l'impureté et l'idolâtrie.

Il s'y trouvait un endroit où Dieu commande à Osée d'épouser une prostituée et de donner certains noms aux enfants nés de ce mariage. Ils interrogèrent Jésus à ce sujet, et il leur donna des explications. Il leur dit que le prophète devait représenter dans sa personne et dans ses actes ce qui était advenu de l'alliance de Dieu avec la maison d'Israël, et que les noms donnés aux enfants devaient exprimer les châtiments décrétés par Dieu. Il dit encore que souvent, par l'ordre de Dieu, des justes devaient contracter des unions avec des pécheurs pour arrêter la propagation d'une race pécheresse. Ce mariage d'Osée avec la femme de mauvaise vie et les noms divers donnés aux enfants nés de cette union sont des témoignages des tentatives répétées de la miséricorde de Dieu et de la persistance des crimes. J'ai oublié l'ensemble de ce qui fut dit à cet égard. Jésus prêcha avec beaucoup de véhémence, il exhorta au baptême et à la pénitence ; il parla de l'approche du royaume de Dieu, du châtiment réservé à ceux qui le repoussaient et de la ruine de Jérusalem.

Il y eut dans la prédication de Jésus quelques interruptions pendant lesquelles les malades crièrent à plusieurs reprises: "Seigneur! nous croyons à votre enseignement, mais, Seigneur, secourez-nous" ! Lorsqu'ils virent qu'il se disposait à quitter la synagogue, ils se firent porter d'avance dans le parvis ou on les rangea sur deux lignes, et ils invoquèrent Jésus en ces termes : " Seigneur, faites pour nous ce que vous pouvez ! Seigneur, exercez sur nous le pouvoir qui vous est donné ". Jésus ne les guérit pas sur-le-champ, mais comme les rabbins aussi intercédèrent pour les malades, il dit à ceux-ci : " Que puis-je faire pour vous " ? Ils répondirent : " Seigneur, délivrez-nous de notre maladie ! Seigneur, guérissez- nous " ! -- Croyez-vous que je puisse faire cela pour vous ? demanda Jésus, et tous les assistants s'écrièrent : " Oui, Seigneur, nous croyons que vous le pouvez ". Alors Jésus ordonna aux rabbins de prendre les livres de prière et de prier avec lui sur ces malades Ils prirent les livres et prièrent. D'autre part, Jésus commanda aux disciples d'imposer les mains aux malades, et ils leur imposèrent les mains, à celui-ci sur les veux, à celui-là sur la poitrine, et ainsi de suite. Jésus leur demanda encore : " Croyez-vous et voulez-vous être guéris " ?--" Oui, Seigneur, répondirent-ils, nous croyons que vous nous guérirez ". Alors Jésus dit : "Levez-vous ! votre foi vous a guéris " ! Et tous les sept se levèrent et rendirent grâces à Jésus, qui leur ordonna de se baigner et de se purifier. Quelques-uns d'entre eux avaient eu le corps très enflé par hydropisie : leur maladie disparut, mais ils restaient encore faibles et se retirèrent appuyés sur leurs bâtons. Je ne sais plus bien pourquoi Jésus ici mit quelques différences dans sa manière de procéder et fit prier les rabbins avec lui. Ce fut peut-être parce que c'étaient des Juifs rigoureux observateurs du sabbat, ou bien parce qu'il voulut leur apprendre quelle était la vertu de la prière.

J'ai vu plusieurs fois dans l'île de Chypre, à Chytrus, à Mallep et à Salamine, Jésus guérir les malades de cette manière, en ordonnant aux rabbins de prier avec lui et à ses disciples d'imposer les mains. Comme ces rabbins et ces docteurs étaient des hommes de bonne volonté, il les faisait participer aux guérisons comme des disciples et leur inspirait ainsi de la confiance. Jésus avait adopté ici ce nouveau mode de guérison, pour les préparer à l'action de ses disciples et aussi parce qu'il se trouvait un bon nombre de rabbins parmi les cinq cent soixante dix Juifs qu'il gagna à lui dans l'île de Chypre. Tel fut le nombre de ceux qui quittèrent ce pays pour suivre Jésus, il l'a dit plus tard à ses disciples. Jésus retourna avec les siens et les rabbins chez Moïse où ils prirent encore quelque nourriture, et Jésus enseigna, se provenant de long en large.

31 mai . — Ce matin, vers neuf 1ieures, une cinquantaine de Juifs, parmi lesquels les sept vieillards guéris la veille, vinrent de Cerynia au jardin voisin de la maison de Moïse et ils y reçurent le baptême. L'eau y venait d'une source voisine, car la maison de Moïse était placée sur un point assez élevé où il n'y avait pas de fontaine : il avait son réservoir dans cet autre endroit ; c'était un grand bassin de cuivre, si je ne me trompe ; il était enfoncé dans la terre et entouré d'un petit fossé taillé dans le roc qui avait son écoulement dans une auge de pierre ; l'eau de ce bassin était très limpide. Ils faisaient leur lessive dans le fossé où ils se lavaient aussi les pieds. L'auge de pierre leur servait pour faire boire le bétail et pour arroser. Les néophytes s'y placèrent les pieds nus, comme d'ordinaire, et on les baptisa avec de l'eau du bassin.

Jésus enseigna d'abord sur le tertre destiné à la prédication, qui était très bien disposé et dans une situation agréable : il traita de la pénitence et de la purification par le baptême. Les hommes avaient de longs vêtements blancs, des manipules et des ceintures où étaient brodées des lettres. Outre les sept malades guéris, on baptisa huit autres néophytes, ce qui faisait quinze en tout. Les autres avaient déjà reçu le baptême à Mallep. Plusieurs s'entretinrent particulièrement avec Jésus et confessèrent leurs péchés. Jésus leur dit dans son instruction qu'ils devaient mettre à profit le moment de la grâce et accomplir la loi d'après les prophètes, mais non s'en faire les esclaves, car la loi avait été faite pour eux et non pas eux pour la loi. Elle leur avait été donnée comme moyen de mériter la grâce.

Parmi ceux qui devaient être baptisés se trouvaient les frères et le beau-frère de Mnason. Quant à Moïse, son père, c'était un vieux Juif, pieux, mais un peu entêté, et il ne voulait pas s'y prêter. Mnason avait déjà fait des efforts inutiles pour lui faire entendre raison, et Jésus lui en parla encore aujourd'hui, mais le vieillard s'obstina, et rien ne put le faire changer d'idée. Il haussait les épaules, secouait la tête et trouvait toutes sortes de prétextes pour s'y refuser. Il mettait surtout en avant la circoncision à laquelle il voulait s'en tenir. Je ne me souviens plus bien de toutes les raisons qu'il alléguait. Mnason en était tellement affligé qu'il en pleurait ; mais Jésus le tranquillisa et lui dit, entre autres choses, que c'était par suite de son grand âge que son père était si attaché à ses idées, que, du reste, il avait toujours vécu pieusement et qu'il déplorerait son erreur dans un autre lieu où ses yeux s'ouvriraient.

Jésus bénit encore l'eau baptismale et il y versa de l'eau du Jourdain. Ce qui en resta après le baptême fut soigneusement recueilli et enfoui dans la terre.

Pendant le baptême, Jésus alla sur le coteau qui s'élevait derrière l'endroit où il avait prêché. Il y avait la un beau jardin avec des berceaux de feuillage et beaucoup d'arbres fruitiers où l'attendaient trente ou quarante Juives. Elles étaient voilées et s'inclinèrent profondément devant lui. Beaucoup d'entre elles a, aient des consolations à lui demander : il alla avec elles sous un berceau ou se promena à côté d'elles de long en large. Plusieurs des plus âgées parmi ces femmes étaient dans une grande anxiété à l'idée que leurs maris allaient les abandonner pour suivre Jésus et les laisseraient sans appui et sans ressources Elles le prièrent d'engager leurs maris à ne pas les quitter. Jésus les consola : il leur dit qu'elles ne seraient point délaissées, et que si leurs maris le suivaient, elles aussi les accompagneraient en Palestine et y trouveraient leur subsistance. Il leur cita l'exemple des saintes femmes et leur représenta qu'elles vivaient dans un temps ou il ne s'agissait pas de mener une vie commode et paisible, mais d'aller au-devant du royaume de Dieu qui s'approchait et de recevoir l'époux céleste. Il leur raconta en outre la parabole de la drachme perdue et celle des vierges sages et des vierges folles.

Il y avait aussi des jeunes femmes qui venaient en pleurant porter des plaintes contre leurs maris. Elles voulaient qu'il les avertît de n'avoir pas de rapports avec les filles des païens, lui qui avait parlé si fortement à propos des exhortations du prophète Osée contre les relations coupables avec les gentils. Ne pouvait-il donc pas donner des avertissements à leurs maris ?--Ces femmes avaient quelques griefs réels, mais pour la plupart elles étaient en proie à la jalousie. Jésus les consola et Leur demanda comment elles-mêmes se comportaient vis-à-vis de leurs maris. Il leur recommanda la douceur, l'amour de l'ordre, l'humilité, la patience, l'obéissance, l'affabilité, la diligence et les exhorta à s'abstenir de plaintes, de commérages, de murmures et de taquineries. Il passa bien deux heures à tenir des discours de ce genre.

Il y eut ensuite un repas en commun pour les néophytes et pour d'autres personnes : tous y apportèrent leur contribution. La partie féminine de la famille était dans la maison de la femme dont l'enfant était mort ; cette maison était fermée et des lampes étaient allumées à l'intérieur. Ces femmes n'étaient pas allées dans le jardin avec les autres. Jésus et les disciples servirent à table presque tout le temps au lieu de prendre place parmi les convives. Jésus bénit les mets et raconta des paraboles.

Après le repas, tous allèrent à la synagogue de Cerynia, où Jésus fit la clôture de l'instruction du sabbat et parla avec beaucoup de force sur les textes d'Osée ; mais il s'attacha plus à ce qui concernait le peuple que Dieu s'était choisi qu'a ce qui touchait ceux que le Seigneur rejetait. Il prit congé de ses auditeurs qu'il bénit tous, puis il passa par la maison de Moïse où il fit ses adieux. et prit avec ses disciples le chemin direct de Mallep.

È

CHAPITRE QUATRIÈME

Départ de l'île de Chypre et arrivée en Palestine.

Du 1er au 17 juin.

Préparatifs du départ.- Guérison d'un enfant aveugle. - Sur le mot Amen. - Jésus va à Salamine où il s'entretient avec Mercuria et le gouverneur romain. - il va gagner le port, - il débarque à Hepha. - Jésus à Misael,-à Thanach. - Guérison d'un pharisien. - Jésus à Sion près du mont Thabor, - à Naim. - Rencontre des saintes femmes. - Opposition des Pharisiens de Naim. - Jésus à Rimmon, - à Beth-Lachem, - à Azanoth. - il rencontre Lazare à Damna. - Jésus dans la maison de sa sainte mère, à Capharnaum.

1er et 2 juin. — Ce matin je vis Jésus à son hôtellerie s'entretenir avec plusieurs personnes de la ville : il leur annonça son prochain départ et donna des encouragements à plusieurs d'entre eux qui avaient formé le projet de le suivre, mais qui étaient agités de beaucoup de craintes et d'inquiétudes. Il s'entretint aussi avec plusieurs femmes auxquelles il donna des consolations. Dans l'après-midi il fut principalement dans le jardin voisin de la fontaine avec ceux qui doivent en effet partir d'ici et il leur donna des instructions sur ce qu'ils avaient a faire. Il fut question des arrangements à prendre pour le départ et de la manière dont les voyageurs seraient répartis.

2 juin.- Ce matin Jésus fit une grande instruction près de la fontaine de la ville. Il répéta de nouveau tout ce qu'il leur avait dit, il parla de l'approche du royaume de Dieu, de la nécessité d'aller à sa rencontre, de sa séparation d'avec eux, du peu de temps qu'il avait à rester encore, du pénible accomplissement de sa tâche, de ce qu'il fallait faire pour marcher à sa suite et coopérer avec il parla encore de la destruction prochaine de Jérusalem et du châtiment qui devait frapper cette ville et tous ceux qui repoussaient le royaume de Dieu et qui ne voulaient pas faire pénitence et se convertir, mais, restaient attachés à leurs biens terrestres et à leurs plaisirs, Il leur représenta comment tout ce qui paraissait ici si agréable et si doux, n'était qu'un sépulcre peint au dehors de belles couleurs, mais au dedans plein de pourriture et d'objets repoussants. Il les exhorta à réfléchir sur leur intérieur : à considérer eux-mêmes ce qui se trouvait réellement en eux sous tant de belles apparences. Il parla de l'usure à laquelle ils se livraient, de leur avarice, de leur mélange avec les païens fondé sur l'amour du gain, de l'attachement aux biens de ce monde dont ils étaient les esclaves, de leur hypocrisie, etc. Il leur dit encore de bien regarder tout ce luxe et ce bien-être qui les entourait ; car tout cela devait être anéanti, et un temps viendrait où il n'y aurait plus un Israélite dans ce pays. Il parla en termes très clairs de lui-même et de l'accomplissement des prophéties, toutefois il ne fut compris que d'un petit nombre. Pendant cette instruction les auditeurs s'approchaient successivement, toujours divisés en catégories, vieillards, hommes faits, jeunes gens, femmes, jeunes filles, etc. : tous furent profondément remués, pleurèrent et sanglotèrent.

Après cela Jésus accompagné des disciples et de quelques personnes de Mallep, alla à deux lieues au levant, dans un endroit où l'avaient prié de se rendre les habitants de plusieurs métairies qu'il avait visitées déjà une fois pendant son séjour à Mallep. Il y avait la une jolie colline couverte d'arbres qui servait a la prédication. Il était venu aussi des gens du village des mineurs voisin de Chytrus. Une des principales raisons qui décidèrent Jésus à faire cette excursion fut qu'il devait y rencontrer le disciple de Naïm, Nathanaël de Cana et le fils de Zorobabel, venus de Citium pour le saluer et lui rendre compte des dispositions prises pour son départ de l'île de Chypre. Ils avaient rencontré en route des messagers que le gouverneur de Salamine envoyait à Jésus et avec lesquels ils étaient venus. Ils avaient aussi dans leur compagnie quelques personnes de Citium qui désiraient le baptême. Le gouverneur faisait faire ses compliments à Jésus : il désirait le voir à Salamine et demandait à être baptisé.

Jésus dans l'instruction qu'il fit ici prit congé de ses auditeurs comme à Mallep, puis il visita quelques cabanes et guérit plusieurs malades qui avaient imploré son assistance. Comme il était déjà en train de revenir à Mallep, un vieux paysan le pria de vouloir bien entrer dans sa maison et d'avoir pitié de son enfant qui était aveugle. Il y avait dans cette maison trois familles, en tout douze personnes, les grands parents et deux fils mariés, avec leurs enfants. La mère couverte de son voile apporta à Jésus sur ses bras l'enfant aveugle qui était déjà en état de parler et de courir. Jésus le prit dans ses bras, porta à sa bouche les doigts de sa main droite, lui frotta les yeux avec sa salive, le bénit, le posa à terre et lui mit quelque chose devant les yeux. L'enfant étendit les mains de lui-même pour le prendre, et tous poussèrent des cris de joie. L'enfant courut à la voix de sa mère qu'il embrassa, puis à son père et il passa ainsi des bras de l'un dans ceux de l'autre : après quoi ils le reconduisirent à Jésus et s'agenouillèrent en pleurant pour le remercier. Jésus pressa l'enfant dans ses bras et le rendit aux parents qu'il exhorta à le conduire à la véritable lumière afin qu'ayant les yeux ouverts il ne tombât pas dans des ténèbres pires que celles dont il était sorti. Il bénit aussi les autres enfants et toute la maison. Les assistants pleuraient et l'accompagnaient de leurs chants d'allégresse.

A Mallep, il y eut un repas dans la maison destinée aux fêtes publiques. Tout le monde y prit part. On donna à manger aux pauvres et on leur fit des présents : Jésus et ses disciples allaient et venaient, servaient à table et enseignant.

Jésus fit en dernier lieu une grande instruction sur le mot AMEN. Il dit que c'était le résultat de toute la prière. Quiconque le prononce légèrement met sa prière à néant.

La prière invoque Dieu, nous met en union avec Dieu, ouvre pour nous les trésors de sa miséricorde et par le mot amen s'il est dit comme il doit l'être, nous prenons possession de ces dons. Il parla admirablement de la vertu du mot amen. Il l'appela le commencement et la fin de toutes choses, et il s'exprima presque comme si c'était avec ce mot que Dieu avait créé le monde. Il prononça aussi l'amen comme le dernier mot de tout ce qu'il leur avait enseigné, comme la conclusion des adieux qu'il leur faisait et de ceux qu'il ferait au monde après avoir accompli sa mission et il termina par un amen solennel.

Cette instruction se prolongea assez avant dans la nuit. Il bénit tous ses auditeurs qui versèrent des Larmes en lui adressant leurs adieux.

Après cela Jésus se retira et quitta la ville avec ses disciples. Barnabé et Mnason ne partiront que le lendemain. Je crois qu'ils se sont un peu reposés sur la route. Ils laissèrent Chytrus à main droite, et suivant des sentiers peu fréquentés à travers des champs et des landes, ils se dirigèrent en droite ligne vers la montagne qu'ils franchirent. Jésus a payé son écot à l'hôtellerie le jour d'avant son départ : le disciple de Naïm avait apporté de l'argent. Comme on ne voulait pas le prendre, il fut distribué aux pauvres.

Voici ce que j'ai vu touchant Mercuria et son départ de Salamine. Elle a des parents à Tyr : il y aura prochainement dans cette ville une fête où elle doit paraître. Elle partira sans son mari, avec ses deux filles et des serviteurs dévoués, mais elle n'ira pas jusqu'à Tyr : des hommes d'Ornithopolis, si je ne me trompe, l'attendront avec un petit navire sur lequel elle montera avant d'arriver a Tyr, et qui la conduira en lieu de sûreté.

De même tous ceux qui dès à présent et plus tard doivent de Mallep, de Chytrus et de Salamine, se rendre en Palestine à la suite de Jésus, auront à prendre diverses voies qui leur sont assignées. Quelques-uns s'embarqueront au nord-est de Salamine, d'autres qui font des affaires avec Tyr partiront de Salamine même, d'autres enfin s'embarqueront ailleurs. Les païens baptisés se rendront pour la plupart à Gessur.

3 juin. — Aujourd'hui, vers deux heures après midi, je vis Jésus et ses compagnons arriver près de Salamine, à la maison d'école ou il avait logé habituellement lors de son arrivée à Chypre. Ils y sont arrivés par le nord-ouest, ayant à main droite l'aqueduc et à gauche la ville juive. Je les vis, ayant encore leurs robes relevées, s'asseoir trois par trois, dans l'avant-cour de la maison, au bord d'un bassin entouré de petits fossés dans lesquels on se lave les pieds. On verse de l'eau du bassin dans ces fossés. Ils se servirent successivement d'un long morceau d'étoffe brune pour s'essuyer les pieds. Jésus ne permettait pas que d'autres lui lavassent les pieds : le plus souvent tous se les lavaient eux-mêmes. On les attendait et on leur donna à manger.

Il y avait la beaucoup de gens de ses amis auxquels Jésus fit une instruction qui dura bien deux heures. Il prit congé des parents du disciple de Jonas : puis il eut un long entretien avec le gouverneur romain 1, celui-ci lui présenta deux jeunes gens païens qui demandaient aussi à être instruits et baptisés. Jésus s'entretint d'abord avec eux deux, puis il parla à chacun en particulier. Ils lui firent en pleurant l'aveu de leurs péchés, et il les leur remit.

NOTE : Le 25 novembre 1823 Anne Catherine ayant eu une vision très détaillée touchant l'origine et la vie de sainte Catherine fit mention du gouverneur et raconta de lui ce qui suit : Sa femme qui habitait Rome était une païenne très zélée. Lors du voyage qu'il fit dans cette ville, il lui raconta sa conversion et l'engagea à l'imiter, voulant se séparer d'elle si elle ne le faisait. Il a favorisé sous main tous ceux qui ont quitté Chypre pour suivre Jésus en Palestine. Plus tard, cette émigration ayant fait du bruit, on le déposa : cependant il resta obscurément à Salamine. Lorsque saint Paul prêcha dans l'île de Chypre douze ans après le voyage qu'y avait fait Jésus, il emmena avec lui cet ancien gouverneur qui devint un disciple important et travailla beaucoup pour l'Eglise. C'est un homme fort et vigoureux, âgé de quarante ans tout au plus. Son fils, né d'un commerce adultère avec Mercuria et qui resta avec le mari de celle ci, épousa la plus jeune soeur de sa mère, et c'est de ce couple que la mère de sainte Catherine tirait son origine.

Dans la soirée ils furent baptisés secrètement dans l'avant-cour de la maison d'école. Ils se tenaient debout dans les fossés, appuyés sur une balustrade placée au-dessus du bassin où était l'eau. Jacques le Mineur les baptisa, le disciple de Naïm et Nathaniel ayant les mains placées sur leurs épaules. Ces deux jeunes néophytes suivront les philosophes à Gessur.

Mercuria fit prier Jésus de vouloir bien lui accorder un entretien dans le jardin voisin de l'aqueduc. Jésus s'y rendit avec le serviteur qu'elle avait envoyé, et elle s'approcha de lui, ayant son voile baissé et tenant par la main ses deux petites filles qui étaient habillées d'une façon singulière ; l'une d'elles était déjà assez grande et assez formée. Elles n'avaient que de petites robes descendant à peine jusqu'aux genoux, le reste du corps était enveloppé d'une belle étoffe transparente, garnie par endroits de franges ou de guirlandes en laine ou en plumes. Leurs bras étaient libres, leurs pieds enveloppés de bandelettes, et leurs cheveux flottants. Elles ressemblaient un peu aux anges qui figurent dans nos représentations de la crèche.

Jésus s'entretint longtemps et amicalement avec Mercuria. Elle était très affligée et pleurait beaucoup parce qu'il lui fallait laisser ici son fils, et aussi parce que ses parents tenaient éloignée d'elle sa jeune soeur, qui resterait ainsi dans son aveuglement. Elle pleura aussi sur ses péchés, mais Jésus la consola et l'assura de nouveau qu'ils lui étaient remis. Les deux petites filles ne comprenant rien à tout cela, regardaient leur mère, pleuraient avec elle et se serraient étroitement contre elle. Mais Jésus attira à lui ces enfants, les bénit et les consola. Il fut aussi question de la manière dont elle quitterait Salamine et du séjour qui lui serait assigné. Enfin Jésus la quitta et retourna à la maison d'école.

Barnabé et Mnason revinrent de Chytrus et de Cerynia : Mnason amena un de ses frères qui voulait, lui aussi, Suivre le Seigneur en Palestine. Il y eut un repas d'adieu après lequel Jésus enseij3na encore : il consola et bénit tous les assistants.

Ils se rendirent alors à un endroit peu éloigné où le gouverneur romain avait envoyé d'avance quelques-uns de ses gens avec une quantité d'ânes de grande taille tout sellés. Chacun s'établit sur sa monture : je vis Jésus s'asseoir de côté sur une selle garnie d'un dossier. Le gouverneur aussi était de la partie. Ils passèrent sous les aqueducs et, longeant Salamine par derrière, ils traversèrent le fleuve Púdius. Ils suivirent un chemin de traverse assez étroit. La route ordinaire fait un coude et se rapproche de la mer. La nuit était belle : le gouverneur se tenait le plus souvent auprès de Jésus. Je vis en avant une troupe de douze personnes, suivie d'une troupe de neuf, parmi lesquelles Jésus et le gouverneur, un peu séparés des autres : un dernier groupe de douze fermait la marche. Je ne me souviens pas d'avoir vu Jésus faire usage d'une monture en aucune autre occasion, si ce n'est le dimanche des rameaux. Lorsque le jour commença à poindre, ils étaient encore à trois lieues de la mer ; alors le gouverneur, pour ne pas attirer l'attention, prit congé de Jésus avec quelques personnes qui l'accompagnaient : Jésus lui tendit la main et le bénit. Il descendit de sa monture et voulut baiser les pieds de Jésus ; puis il lui fit un profond salut qu'il renouvela après avoir fait quelques pas plus loin (ce devait être un usage du pays) ; après quoi il remonta sur sa bête et s'en retourna. Les deux païens nouvellement baptisés l'accompagnèrent. Jésus resta sur sa monture et continua son chemin jusqu'à une lieue environ de l'endroit où ils allaient ; alors tous mirent pied à terre et renvoyèrent les ânes avec les serviteurs. Ils suivirent ensuite. des chemins creux qui passaient à travers les collines où étaient les mines de sel. Le pays est très aride en cet endroit.

4 juin. — Ce matin ils ont rencontré les mariniers qui les attendaient près d'un long édifice, situé à quelques centaines de pas des bords de la mer, à une lieue environ à l'est de Citium, non loin des collines où se trouvent les mines de sel. Cette partie du littoral est calme et solitaire. Il y a peu d'arbres : on rencontre seulement parfois quelques troncs d'une grosseur énorme, semblables à des souches à moitié brûlées sur lesquels poussent beaucoup de jeunes rejetons. On ne voit rien d'abord qu'un rempart d'une longueur surprenante au-dessus duquel il y a du gazon, des jardins et des arbres. Du côté de la mer, on trouve une certaine quantité d'habitations et de grands hangars où demeurent de pauvres familles juives ; à l'autre extrémité habitent quelques familles païennes. Sur certains points du rivage où la mer a plus de profondeur, il y a plusieurs anses revêtues de maçonnerie avec des escaliers ; il s'y trouvait, outre quelques autres navires, trois petits bâtiments frétés pour le voyage de Jésus. L'atterrage y est facile, et je crois que c'est ici qu'on charge le sel pour le porter aux villes du littoral. Les Juifs très misérables qui demeurent ici ont l'apparence de gens rejetés de la société et comme bannis ; ce ne sont peut-être que de pauvres malheureux au service des gens qui exploitent les mines de sel. Il y a là une hôtellerie à l'usage des marins et des ouvriers.

Jésus était attendu : les gens des navires avaient fait préparer une collation. On mangea du poisson, du miel, du pain et des fruits ; l'eau est très mauvaise ici, et on la corrige en y jetant quelque chose : ce sont, je crois, des fruits (peut-être des amandes). On la conserve dans des cruches et dans des outres. Sept Juifs appartenant à l'équipage des navires furent baptisés avec de l'eau qu'on apporta dans un bassin. Je ne me souviens plus qui ils étaient ; ils sont venus avec les disciples : peut-être étaient ce des Juifs revenant des fêtes de la Pentecôte et qui n'avaient pas encore reçu le baptême.

Jésus prit en pitié les pauvres habitants de cet endroit ; il visita successivement leurs habitations, les consola et leur fit des présents ; il en guérit quelques-uns qui avaient reçu des blessures en travaillant aux mines de sel, ainsi que d'autres malades qui lui tendaient des mains suppliantes. Il leur demanda seulement s'ils croyaient qu'il pût les guérir ; ils répondirent : " Oui, Seigneur, nous le croyons ", et il les guérit. Il alla jusqu'à l'extrémité du long retranchement ; il visita aussi les demeures des païens, lesquels se montraient très craintifs. Il leur adressa quelques paroles amicales pour les encourager ; il bénit aussi les enfants pauvres, enseigna devant tous les habitants rassemblés et raconta une parabole où il était parlé du sel de la terre.

Lorsqu'ils prirent le repas qui avait été commandé pour eux, Jésus envoya des aliments à ces pauvres gens.

C'était ici que le disciple de Naïm était venu le mercredi ; il y avait entendu les deux autres disciples qui étaient arrivés plus tard, et tous ensemble étaient venus à Mallep ; je ne sais plus où ils s'étaient arrêtés en chemin pour célébrer le sabbat. Ces disciples se sont déjà embarqués ce matin pour aller annoncer en Palestine l'arrivée de Jésus.

Jésus était accompagné d'environ vingt-sept personnes. Le soir, à la chute du jour, ils s'embarquèrent sur trois petits navires : celui de Jésus était le plus petit. Il s'y trouvait quatre disciples et quelques rameurs. Sur tous ces navires s'élevaient autour du mât des appentis avec de petits compartiments dans lesquels on se couchait pour dormir. Si les rameurs n'eussent pas été en haut sur leurs bancs, on n'aurait vu personne.

Je vis le navire de Jésus aller en avant, et, à mon grand étonnement, les autres prirent une autre direction ; mais je les vis, comme il était déjà nuit, engravés, chacun de leur côte, à une demi lieue du rivage : ils attachèrent des fanaux au mat en signe de détresse. Alors Jésus ordonna à ses matelots de revenir en arrière : ils s'approchèrent d'abord de l'un des navires auquel ils jetèrent une corde, le dégagèrent et s'avancèrent avec lui jusqu'à l'autre auquel ils rendirent le même service ; tous deux furent ensuite attachés au navire de Jésus qu'ils suivirent. Jésus reprocha à ceux qui les dirigeaient leur excès de confiance en eux-mêmes, et il parla, à cette occasion, de la présomption et de la docilité. Ils avaient donné dans un tourbillon qui les avait jetés sur des bancs de sable.

5 juin. —  Aujourd'hui, vers midi, je vis Jésus faisant sa traversée. On distribua des vivres ; les navires étaient attachés les uns aux autres, et Jésus enseignait. Le soir, comme on était déjà assez près du large golfe que forme la mer au pied du Carmel, entre Ptolémaïde et Hapha, je vis les trois navires de Jésus revenir à force de rames vers la pleine mer ; car, à l'entrée du golfe, un grand et un petit navire étaient engagés dans un combat avec plusieurs autres petits bâtiments. Le grand navire eut le dessus, les petits s'enfuirent et on jeta à la mer plusieurs cadavres. Lorsque les navires de Jésus se rapprochèrent de celui qui livrait cette bataille, Jésus leva la main et bénit du côté des combattants, lesquels se séparèrent bientôt après. Ils ne virent pas les navires de Jésus qui attendaient l'issue du combat à une certaine distance. Ce n'était pas une guerre, mais une querelle privée qui avait pris naissance dans l'île de Chypre, à propos du chargement des navires. Les petits bâtiments guettaient le grand navire : ils s'étaient abordés et l'on se frappait les uns les autres avec de longues barres de bois ; on aurait pu croire que personne ne resterait en vie, car le combat dura bien deux heures. Le grand navire s'empara des petits qu'il traîna à la remorque ; je ne sais plus au juste quelle était la cause de ce combat.

Lorsque ces bâtiments se furent éloignés, Jésus avec les siens entra dans le golfe par le côte du midi, et débarqua à l'est d'Hepha, qui est dans le voisinage de la mer. Ils ne débarquèrent pas à la ville même, ils passèrent devant et descendirent sur des marches attenantes à des constructions en pierre : ce devait être une dépendance du débarcadère. Il y avait en haut des places entourées de murs et des allées.

Jésus fut reçu sur le rivage par plusieurs apôtres et disciples, au nombre de vingt et quelques : c'étaient Thomas, Simon, Thaddée, Judas et Nathanaël-Khased ; en outre, si je ne me trompe, Philippe, Jacques le Majeur, Éliacin, les fils de la soeur aînée de Marie, les disciples de Jean et des disciples de la famille de saint Joseph ; j'ai oublié leurs noms. Il y eut une joie indicible : ils embrassèrent Jésus et les autres arrivants ; puis, lorsqu'on eut tout réglé avec les navires, ils suivirent le rivage pendant une demi lieue par un chemin où il y avait des degrés ; ils s'arrêtèrent ensuite sous des arbres dans un endroit où ils prirent une réfection que les apôtres avaient apportée. Ici je perdis de vue cette scène.

6 juin. — Jésus est débarqué précisément à l'embouchure du Cison, qu'il a laissé derrière lui en s'avançant ; il fit environ trois lieues et demie en longeant les contours du golfe ; puis, se dirigeant au nord, il passa, sur un pont très long' semblable à une chaussée, une rivière peu profonde qui se jette dans le golfe de Ptolémaïs. Ce pont arrive jusqu'au pied de la hauteur derrière laquelle est le marais de Cendevia. Ils gravirent cette hauteur et arrivèrent au faubourg de Misael, ville de Lévites, laquelle est séparée de ce faubourg par un pli de terrain. Élisabeth, la mère de Jean, a résidé à Misael dans sa jeunesse. Le faubourg, a vue sur la mer du côté de l'ouest, et du côté du sud sur une vallée verdoyante et sur le Carmel il ne se compose que d'une hôtellerie et d'une rue qui s'étend sur la hauteur.

Sur le chemin, près d'un beau puits auquel on descend par plusieurs degrés, Jésus vit venir à sa rencontre une procession de gens de l'endroit, parmi lesquels étaient beaucoup d'enfants. Ils portaient des branches de palmier auxquelles pendaient encore des dattes et ils le saluèrent en chantant un cantique dont j'ai bien compris le sens, mais que j'ai oublié : il y était question de l'innocence. Parmi eux était avec toute sa famille Siméon, ce père de famille de Libnath, la ville aquatique, que Jésus avait baptisé l'année précédente (tome II, page 17). Depuis ce temps il est venu à Misael, car ses enfants ne lui laissaient pas de repos qu'il ne se fût entièrement réuni aux Juifs. Il avait converti beaucoup d'autres personnes.

NOTE : Hérold fait mention d'un pont sur le fleuve Belus, à peu de distance de Ptolémaide, dans la continuation de la guerre sainte de Guillaume de Tyr. Le Pèlerin trouva ce renseignement en mai 1838 dans la description de la Terre Sainte, par Adrichomius.

Il a cinq enfants, dont quelques-uns sont encore très jeunes, et il a organisé à ses frais toute cette réception pour Jésus. Après cela, on lava les pieds à Jésus et tous se purifièrent. Ils entrèrent ensuite dans une hôtellerie : on nettoya leurs habits, on leur donna d'autres chaussures et ils prirent une réfection. Je vis alors neuf lévites, rangés trois par trois, venir de la ville vers Jésus ; ils le saluèrent et s'entretinrent avec lui. Dans l'après-midi, il y eut un repas où les lévites assistèrent ; après quoi, ils s'en retournèrent.

Jésus se rendit avec ses disciples à un joli jardin de plaisance situé sur le penchant de la hauteur, au nord du faubourg, et d'où la vue s'étendait à l'ouest. C'était un jardin public dépendant de la ville ; car ce fut de la ville qu'on apporta la clef ; et il s'y trouvait des enclos réservés appartenant à des particuliers qui s'en servaient pour des réunions pieuses ou pour tout autre usage. Ce jardin était planté de très beaux arbres, orné de salles et de berceaux de verdure, et on y avait une magnifique vue sur le golfe. Il est situé à mi hauteur de la colline Tout au haut de cette colline, on voit le lac ou le marais de Cendevia, et, en s'avançant un peu, Libnath, la ville aquatique, à un angle du marais Elle est à une demi lieue d'ici et se trouve plus rapprochée de la mer qui entre là dans les terres, que Misaël qui en est à deux bonnes lieues. Dabbeseth est à cinq lieues à l'est, sur le bord du Cison ; Nazareth à sept lieues environ.

Jésus se promena et se reposa avec les disciples dans le jardin, tantôt enseignant, tantôt écoutant leurs récits. L'un d'eux parla de la sédition qui avait eu lieu récemment à Jérusalem et raconta la défaite d'Hérode qui avait voulu s'emparer de Jésus, avec une sorte de joie malicieuse ; ce qui lui attira des reproches de la part de Jésus.

Jésus leur raconta ici une parabole touchant un pêcheur qui traversa la mer pour pêcher, et qui prit cinq cent soixante-dix poissons. Il dit comment un pêcheur entendu transporte les bons poissons de la mauvaise eau dans la bonne ; comment il améliore les fontaines, ainsi que fit Élie ; et comment, enfin, il retiré les bons poissons de la mauvaise eau où les poissons qui vivent de proie les dévoreraient, et leur prépare de nouveaux réservoirs d'eau vive. Dans la suite de cette parabole il y eut une allusion à ceux que leur présomption avait fait échouer l'avant-veille sur un banc de sable parce qu'ils n'avaient pas suivi le maître pécheur. C'était une grande et belle parabole ; mais je ne puis pas la reproduire dans son ensemble. Plusieurs des hommes de l'île de Chypre qu'il avait emmenés avec lui, versèrent des larmes, lorsqu'il parla des poissons transportés à grand peine dans une eau plus pure. Jésus parla en termes exprès de cinq cent soixante-dix bons poissons ainsi sauvés, et dit qu'à ce prix le travail était suffisamment payé. Quelques-uns des Chypriotes venus ici s'en retournèrent parce qu'ils avaient à s'occuper de faire faire la traversée à d'autres.

Jésus alla ensuite visiter l'école de ce faubourg, qui contenait au plus une vingtaine de familles. Les lévites y faisaient le service divin quand des étrangers venaient célébrer le sabbat dans l'hôtellerie d'ici, où l'on était plus près de la grande route. Jésus enseigna sur la lecture du sabbat. C'étaient des passages du Lévitique sur le sacrifice pour le péché et du livre des Juges sur l'histoire de Samson (Lévit IV, 21, VIII ; Jud. XIII).

Avant le sabbat, il vint deux disciples porteurs d'un message de la Syrophénicienne d'Ornithopolis. Plusieurs Juifs qui habitaient près d'Ornithopolis sont déjà partis : ils ont gagné le Jourdain par Samarie, et l'ayant traversé, ont remonté le Jabok jusque par delà Ramoth-Galaad où Joseph et Joachim avaient des champs.

7 juin. — Jésus resta ce matin dans le faubourg de Misaël, et, sur la demande des habitants, il fit l'instruction du sabbat. Il reçut ensuite la visite des lévites qui allèrent avec lui au jardin de plaisance. Jésus parla de l'île de Chypre. Ses auditeurs se réjouirent de ce que les Juifs de ce pays le quittaient pour retourner en Palestine. Il en viendra plusieurs par Ptolémaïde, quelques-uns viendront ici. On s'entretint de quelques dispositions à prendre. Jésus parla du danger qui les menaçait dans cette île.

Les assistants lui demandèrent avec anxiété si les païens devaient aussi devenir assez puissants en Palestine pour qu'il y eût des dangers a courir. Jésus parla du jugement qui devait frapper tout le pays. A l'occasion d'une fête qui doit bientôt avoir lieu, des Juifs viendront de Chypre à Jérusalem et ne s'en retourneront pas. Il parla aussi des dangers que lui-même aurait à courir, et de la punition de Jérusalem. Ils ne pouvaient pas comprendre qu'il voulût y aller de nouveau ; mais il dit qu'il avait encore beaucoup à faire et qu'ensuite il accomplirait sa tâche.

Jésus s'entretint aussi avec les disciples qui étaient venus la veille de la part de la Syrophénicienne d'Ornithopolis. Ils avaient apporté de petits lingots d'or et des plaques du même métal attachés ensemble par une chaîne. Ils rapportèrent à Jésus que la Syrophénicienne voulait envoyer un de ses navires pour aider Mercuria à s'enfuir de Chypre ; j'ai oublié comment cela devait se faire, cela m'est sorti de la tête. Il y eut ensuite un repas auquel les lévites assistèrent : il y en a douze à Misael.

Après le repas, Jésus, sur leur demande, alla à la ville. Elle est très vieille et entourée de murs avec des tours : quelques païens ont leurs habitations dans les murs. Jésus alla avec les lévites jusqu'à leur maison qui est un édifice à angles arrondis ; au milieu se trouve le foyer avec quelques chambres détachées ; des constructions moins importantes, attenantes au bâtiment principal, servent d'habitation aux lévites.

Élisabeth a demeuré un certain temps dans cette ville, près de son père qui y remplissait les fonctions de lévite ; Zacharie y vint aussi une fois ; Élisabeth est née à deux lieues d'ici, dans la plaine d'Esdrelon, dans une métairie isolée qui appartenait à ses parents et dont elle hérita plus tard. Elle alla résider au temple dans sa cinquième année. Lorsqu'elle fut sortie, elle séjourna encore quelque temps à Misaël et dans la métairie en question, après quoi elle alla en Judée habiter la maison de Zacharie. Jésus parla d'elle et de Jean ; il s'exprima si clairement sur celui-ci comme précurseur du Messie qu'il leur fut facile de deviner qui il était lui-même.

Ensuite Jésus parcourut la ville avec les lévites qui le prièrent d'entrer dans plusieurs maisons où il y avait des malades. Il guérit des enfants, et, entre autres malades, plusieurs paralytiques qui lui tendaient leurs mains entourées de bandages. Il pouvait bien y en avoir seize. Il visita aussi, dans sa maison, ce Simon de Libnath qui, la veille, lui avait fait une réception si amicale. Il alla ensuite à la synagogue et fit la clôture du sabbat ; ici les femmes se tenaient dans une espèce de tribune à peu de distance de la chaire. Il parla du sacrifice pour le péché et de Samson : il donna beaucoup d'explications touchant les faits de la vie de Samson, et parla de lui comme d'un saint homme dont la vie était prophétique. Il n'avait pas, disait-il, perdu toute sa force, il avait conservé la force de faire pénitence : c'était par une inspiration divine qu'il avait fait écrouler sur lui le temple des païens. Il dit qu'étant voué à Dieu, Samson s'était affaibli par le commerce avec les femmes. Il parla du miel trouve dans la gueule du lion, du secret que Samson avait gardé à cet égard vis-à-vis de ses parents et expliqua un mystère qui s'y rapportait. Il parla aussi de la mâchoire d'âne, etc. ; mais j'ai oublié tout cela. J'ai reçu antérieurement plusieurs explications touchant Samson, mais j'en ai oublié la plus grande partie. Je sais que le miel dans la gueule du loup, la source d'eau sortie de la dent de l'âne, l'enlèvement des portes de Gaza et d'autres choses encore étaient des figures qui avaient rapport à Jésus. Samson a jugé dix ans et fait la guerre dix ans. Il avait quinze ans lorsqu'il devint Juge. Il était d'une force, d'une beauté, d'une intelligence merveilleuses : il indiquait aux Juges comment ils devaient s'y prendre pour tromper les Philistins et les forcer à se tenir en repos ; alors on lui donna à lui-même la charge de Juge. Son mariage avec la Philistine, la mort de celle-ci, la vengeance qu'il en tira, tout cela lui avait été montré et prescrit, par des visions, et il savait d'avance ce qu'il avait à faire. Il s'agissait d'engager la lutte avec les Philistins. A Gaza, il s'était seulement caché chez la mauvaise femme parce qu'on cherchait à le perdre, mais il n'était pas tombé dans le péché ; et c'est pourquoi il avait conservé sa force jusqu'à pouvoir enlever et emporter les portes de la ville. Il transgressa son voeu de continence avec Dalila, but des boissons enivrantes et se plongea dans le péché. Les sept boucles de cheveux se rapportent aux sept dons du Saint Esprit qu'il perdit successivement. Le jeu auquel on voulait qu'il se livrât dans le temple était une moquerie insultante qu'on lui faisait subir ; mais il avait recouvré sa force par la pénitence.

L'endroit appelé Lechi (à cause de la mâchoire d'âne) se trouvait à l'extrême frontière de la Judée. Lors de la fuite en Égypte, Marie et Joseph furent dans une grande anxiété jusqu'à ce qu'ils eussent atteint cet endroit, parce que c'était là seulement qu'ils quittaient le territoire d'Hérode.

Après l'instruction, Jésus revint à l'hôtellerie ; les disciples qui l'avaient accompagné en Chypre partirent après le sabbat en deux troupes : l'une se dirigeant vers Capharnaüm, l'autre vers Dabrath, au pied du Thabor.

8 juin. — Cette nuit j'ai reçu divers renseignements sur le cours de plusieurs rivières et ruisseaux qui arrosent la Terre promise ; la seule chose dont je me souvienne encore, c'est qu'il y a un cours d'eau qui se jette dans la mer de Galilée par la vallée de Magdalum et un autre qui va de Thirza au Jourdain. La rivière (si l'on peut donner ce nom à un mince filet d'eau) que Jésus a traversée sur un pont avant d'arriver à Misaël, n'a que deux lieues de cours. Sa source est surmontée par un édifice singulier (note) : c'est un grand bâtiment carré ; on y monte par des degrés et il est surmonté par des espèces de tours. Ce cours d'eau coule dans la direction de Ptolémaïde et il est en communication avec le marais ou le lac je Cendevia. Il n'existe plus aujourd'hui.

NOTE : Le 29 mai 1838, le Pèlerin lut dans l'ouvrage de Flavius Josèphe sur la guerre des Juifs (traduction de Friese, liv. II chap. 10), qu'il y a près du petit fleuve Belus un monument élevé à la mémoire de Memnon.

Aujourd'hui Jésus alla avec les lévites à environ une demi lieue au sud-est dans un petit endroit qui a une synagogue et deux cents habitants lesquels demeurent à l'entour dans des maisons semblables à des chaumières de paysans. Il est contre une hauteur et fermé du côté du midi par une montagne ; à quelque distance, dans la vallée, se trouve une jolie colline où Jésus a enseigné devant deux cents auditeurs environ.

Judas qui se mêle volontiers de toutes sortes d'affaires, et Thomas, qui est bien connu parce que sa famille a des trains de bois dans le port, sont allés ce matin à Hepha avec plusieurs autres disciples, afin d'y prendre des mesures relatives aux Chypriotes qui vont arriver. Quelques nouveaux disciples de l'île de Chypre les accompagnèrent. Jésus leur fit la conduite jusqu'au pont de la petite rivière, avant d'aller lui-même à ce petit endroit dont j'ai parlé, avec les lévites et les disciples. Je crois qu'il y avait aujourd'hui une fête ou un jour de jeûne car je n'ai pas vu.

9 juin. — Aujourd'hui vers midi Jésus est allé à l'endroit dont j'ai dit qu'Élisabeth y avait habité dans sa jeunesse. Cet endroit est plus grand que l'autre ; mais il n'y a pas de synagogue. Jésus y a des parents du côté d'Elisabeth et de saint Joseph : ce sont les père et mère de ce jeune homme qu'on appelle le petit Jacob,. Il s'y trouve aussi quelques-uns de ces gens allies à la famille de Jésus, qui étaient allés le voir le 4 novembre de l'année dernière dans la contrée d'Abès où Saul se donna la mort, et qui avaient voulu lui persuader de renoncer a se montrer en public (voir tome III, page 105). Parmi eux se trouvaient des vieillards qui avaient des fils parmi les disciples. Jésus resta là peu de temps ; il guérit quelques malades : ici encore plusieurs disciples sont venus le rejoindre (voyez page 1.16). Le soir il alla à un petit endroit situé à un quart de lieue de Séphoris, où il avait une fois discuté avec un rabbin sur le mariage (tome II, page 128). Cet endroit est à deux lieues de Nazareth : la plaine de Ghinnim appartient à cette contrée.

Jésus répartit ici dans les environs plusieurs des nouveaux colons d'Ornithopolis.

10 juin. — Aujourd'hui Jésus est allé des environs de Sephoris à Thanach, qui est à une lieue au sud-ouest de Mageddo. Il a fait environ cinq lieues. Thanach est à deux lieues à l'est de Dabbeseth, qui est sur le bord du Cison. C'est une ancienne résidence des rois chananéen, et il y y eut là un événement (un combat, si je ne me trompe), à la suite duquel un chef célèbre eut la tête traversée par un clou (la bataille livrée contre Sisara). Thanach est une ville de lévites. Jésus n'y était pas encore allé quoiqu'il fût venu antérieurement à Mageddo, où les disciples de Jean vinrent le trouver l'année précédente (tome III, page 177).

On l'attendait ici. Les chefs de la synagogue le reçurent : on lui lava les pieds et on lui offrit une réfection. Aujourd'hui et hier plusieurs disciples sont venus joindre Jésus : il en a avec lui dix environ, parmi lesquels Saturnin, les fils de Marie d'Héli, auquel on donne aussi le nom de frères de Jésus ; quelques-uns venus de Dabrath et des parents de Saint Joseph.

Les Pharisiens de l'endroit ne se montrèrent pas ouvertement hostiles ; toutefois ils étaient malveillants pour Jésus et cherchaient à le prendre en faute ; je m'en aperçus à leur langage équivoque. Ils demandèrent à Jésus s'il ne voulait pas visiter toute espèce de malades, et si, dans ce cas, il ne consentirait pas à voir un des leurs qui avait été à Capharnaüm et qui se trouvait en très mauvais état. Ils croyaient qu'il s'y refuserait parce que cet homme avait fait partie du comité qui surveillait Jésus à Capharnaüm et qu'il s'était montré très hostile. Ce Pharisien, en punition de sa conduite d'alors et de ses invectives contre Jésus à l'occasion du refus qu'avait fait le Seigneur de recevoir certains disciples (voir tome III, page 30), était en proie à une étrange maladie. Il sanglotait continuellement, il éprouvait un tremblement convulsif et vomissait fréquemment : ce qui l'avait réduit à un état de marasme effrayant. C'était un homme de trente à quarante ans, marié et père de famille. Il était étendu sur sa couche, souffrant et gémissant. Jésus lui demanda s'il voulait recouvrer la santé et s'il croyait qu'elle put lui être rendue par lui. Il pouvait à peine parler ; il lui répondit d'une voix faible et tout plein de confusion : " Oui, Seigneur, je le crois ". Alors Jésus lui mit une main sur lu tête, l'autre sur la poitrine ; puis il fit une prière et lui ordonna de se lever et de prendre de la nourriture. Il se leva et remercia Jésus en pleurant, ainsi que sa femme et ses enfants. Jésus leur adressa à tous des paroles amicales et consolantes et ne fit aucune allusion aux procédés de cet homme à son égard.

Jésus visita ensuite plusieurs maisons et guérit des malades. Les Pharisiens perdirent toute envie de le contredire lorsque le soir ils virent le Pharisien guéri paraître à la synagogue. Jésus parla de l'accomplissement des prophéties, de Jean-Baptiste, le précurseur du Messie, et du Messie lui-même, en termes si clairs qu'ils purent deviner sans peine de qui il entendait parler.

11 juin. — Ce matin Jésus alla à Thanach dans un atelier de charpentier ou Joseph avait travaillé après s'être enfui de Bethléhem. C'était un édifice où demeuraient, autour d'une cour, une douzaine de personnes qui faisaient le commerce de bois de charpente et de menuiserie. L'atelier où Joseph avait travaillé servait d'habitation à leurs enfants. Toutefois ils ne travaillaient pas eux-mêmes, mais ils faisaient travailler de pauvres gens et ils avaient un assortiment d'objets de toute espèce dont ils expédiaient une partie par la voie de mer. Il y avait du merrain, des barres de bois, des cloisons portatives en clayonnage. J'entendis des conversations où l'on disait que le père du prophète devait avoir travaillé là ; toutefois ils ne savaient plus bien si c'était ce même Joseph de Nazareth, ou bien quelque autre. Je me dis à cette occasion que, puisque dès lors le souvenir s'en était à peu près perdu, nous ne devions pas nous étonner d'en savoir si peu à cet égard. Jésus visita cette maison et les autres. Ceux qui l'habitaient lui offrirent des rafraîchissements et il enseigna dans la cour sur l'amour du travail et sur l'usure.

Jésus a payé son écot à l'hôtellerie et, vers midi, il est parti pour une vieille et laide bourgade ; appelée Sion, laquelle est située à trois lieues à l'est. Cet endroit consiste en une espèce de château dont les murs sont très épais et en quelques maisons qui l'entourent : il est à peu près à l'ouest du Thabor.

Le Cison prend sa source au Thabor : un de ses bras coule au levant dans la vallée où Saul périt et où il y a un marais Ou un lac, et se dirige vers Scythopolis, l'autre bras coule à l'ouest par la vallée de Jezraël et se jette dans la mer près de Ptolémaïs.

Sion, l'ancienne forteresse avec lés maisons qui l'entourent, se trouve sur un point assez élevé. Non loin de là sur le bord du Cison, derrière des remparts plantés d'arbres, se cache, comme dans un trou obscur, une autre agglomération de maisons. C'est une situation malsaine : ils ne peuvent pas voir par dessus ces remparts. Les gens du bas me paraissent à certains égards dépendants de ceux du haut qui les oppriment et les vexent.

Les gens de Sion, quoique pointilleux et malveillants reçurent pourtant Jésus selon la coutume : on lui lava les pieds et on lui offrit une réfection ; il avait ici un logement qu'on était venu retenir de Naïm. Il enseigna dans la synagogue ; il parla contre les Pharisiens qui imposent a autrui de lourds fardeaux qu'eux-mêmes ne veulent pas porter et contre l'oppression et l'esprit de domination ; il parla aussi du Messie, disant qu'il se manifesterait tout autrement qu'ils ne le croyaient. Ils disputèrent avec lui sur ce sujet et il les réduisit au silence.

12 juin. — Jésus était venu à Sion tout exprès pour consoler les pauvres opprimés qui s'y trouvaient. C'est un endroit dépeuplé et qui semble tomber en ruines : il est situé au midi de la grande route qui passe devant le Thabor. Tout y est à l'abandon ; ce qui, du reste, se voit encore ailleurs, parce que les Juifs contemporains de Jésus sont très négligents et ne se donnent pas la peine de rien maintenir en bon état. Dans l'île de Chypre tout a une bien meilleure apparence.

Ce matin, Jésus alla encore dans cette partie basse de la ville qui est si étroitement resserrée, et il y guérit plusieurs malades dans leurs cabanes : c'étaient pour la plupart des goutteux et des paralytiques. Les Pharisiens envoyaient tous les malades dans ce misérable quartier où ils trouvaient à peine un peu de bon air à respirer. Jésus et les disciples donnèrent ici aux pauvres gens tout ce qu'ils avaient d'argent, de pièces de drap et de bandes d'étoffe, car eux-mêmes n'avaient besoin de rien, vu qu'ils devaient trouver à se pourvoir de tout à Naïm. (Vraisemblablement les disciples qui étaient venus d'abord trouver Jésus, avaient apporté de Naïm tous ces objets pour les distribuer en aumônes.)

Jésus, accompagné des disciples, alla d'ici à Naïm en moins de deux heures. Sion est à l'ouest, Naïm au midi du Thabor. Il ne passa pas le Cison et suivit un chemin montueux, ayant à sa gauche un endroit situé plus haut sur la pente du Thabor, Ou il a fait une instruction le 5 janvier de cette année (tome III, page 330).

Un peu plus au midi, ils passèrent un pont, et comme ils étaient devant Naim, près d'un puits, plusieurs disciples et d'autres personnes, parmi lesquelles était le jeune homme ressuscité, vinrent à Jésus. Il enseigna en cet endroit : on lui lava les pieds et on lui présenta une réfection ; ils changèrent d'habits et de chaussures. Jésus avait avec lui environ douze disciples, mais aucun des apôtres. Les disciples de Jérusalem étaient venus de cette ville à Naïm avec quelques-unes des saintes femmes : d'autres avaient célébré la Pentecôte à Nazareth avec Marie, et en s'en retournant, ils étaient venus attendre Jésus ici. Jésus entra d'abord dans l'hôtellerie spéciale établie pour son usage à Naïm. Elle était dans un bâtiment appartenant à la veuve : il alla ensuite avec ses disciples voir la veuve elle-même. Les saintes femmes, ayant leur voile baissé, vinrent à sa rencontre dans le vestibule de la cour et se prostc1iièrent à ses pieds. Il les salua et se rendit avec elles dans la grande salle. Il y avait cinq femmes outre la veuve : Marthe, Madeleine, Véronique, Jeanne Chusa et la Suphanite. Les femmes s'assirent, les jambes croisées, sur des coussins et des tapis qui garnissaient une extrade peu élevée semblable à un long canapé. Elles ne dirent rien à Jésus jusqu'à ce qu'il leur eût adressé la parole, et alors chacune parla à son tour. Elles donnèrent des nouvelles de Jérusalem et d'Hérode, dirent que ce prince avait fait chercher Jésus ; mais bientôt Jésus leva le doigt et leur reprocha de trop se préoccuper des choses de ce monde et de juger trop facilement leur prochain. Je trouvai à faire mon profit de cet avertissement.

Jésus leur parla de l'île de Chypre et de ceux qui avaient reconnu la vérité. Il parla aussi avec prédilection du gouverneur romain de Salamine, et comme les femmes pensaient que cet homme ferait bien de quitter aussi ce pays, Jésus leur répondit qu'il n'en serait pas ainsi : qu'il devait rester là pour porter secours à beaucoup de gens, et que plus tard, quand il aurait achevé son oeuvre, il viendrait là un autre gouverneur qui serait l'ami de la communauté. Je me suis figuré que Jésus entendait parler de ce gouverneur non moins bienveillant que saint Paul trouva dans l'île de Chypre (Sergius Paulus, Act. XIII, 7-12). Il parla aussi beaucoup de Mercuria, mais j'ai oublié ce qu'il en dit. Je ne dis pas volontiers ce que je ne me rappelle pas bien. Les saintes femmes pleurèrent souvent et je pleurai avec elles. Cela ne me fait pas mal aux yeux et pourtant je m'en inquiétais. Il y eut ensuite un repas.

13 juin. — Jésus a visité quelques personnes et il s'est trouvé avec les saintes femmes dans la maison de la veuve. Il alla dans le jardin avec elles, et tout en se promenant, Il s'entretint avec chacune d'elles.

Madeleine et la Suphanite ont perdu depuis longtemps la beauté qui les distinguait autrefois. Leur visage est pâle et défait ; leurs yeux sont rougis par les larmes. Elles aiment le silence et la retraite. Marthe est très active et traite les affaires à merveille. Jeanne Chusa est une grande femme pâle, d'un tempérament robuste, d'un caractère sérieux et énergique. Véronique a beaucoup de rapports avec sainte Catherine : elle est résolue. franche et courageuse. Lorsqu'elles sont ainsi réunies, elles cousent, travaillent et préparent pour la communauté toute sorte de choses qu'on dépose dans les différentes hôtelleries et dans des magasins où les disciples et les apôtres les prennent, soit pour leur usage, soit pour en faire des aumônes aux pauvres. Quand la communauté a tout ce qu'il lui faut, elles travaillent aussi pour des synagogues pauvres. Elles ont habituellement avec elles leurs servantes qui les précèdent et les suivent, portant des étoffes soit dans une besace de cuir semblable à une outre, soit sous leur manteau, attachées à la ceinture. Les servantes portent des vêtements plus étroits et des robes plus courtes que leurs maîtresses. Quand elles sont à demeure quelque part, comme à Naïm, par exemple, les servantes les quittent et vont les attendre dans les hôtelleries qui sont sur le chemin. La servante de Véronique était depuis longtemps avec elle, et elle était encore à son service après la passion de Notre Seigneur.

Jésus prit son repas à son hôtellerie. Lorsqu'il alla à la synagogue pour le sabbat, il ne monta pas dans la chaire et resta avec ses disciples à l'endroit où se plaçaient ordinairement les docteurs en voyage. Mais lorsqu'on lui eut souhaité la bienvenue et que les prières furent finies, les rabbins le conduisirent à l'endroit où étaient les livres et l'engagèrent à faire la lecture. Il y était question des lévites, des murmures du peuple hébreu, des cailles, et de la punition de Marie, soeur d'Aaron (Num. VIII, 1 ; XIII, 1 ; Zachar. II, 10 ; IV, 8). Les passages du prophète Zacharie se rapportaient à la vocation des Gentils et au Messie. Jésus parla avec beaucoup de force, et il dit que les paiens prendraient dans le royaume du Messie la place des Juifs endurcis. Il dit aussi qu'on ne reconnaîtrait pas le Messie et qu'il se manifesterait tout autrement qu'ils ne le croyaient. Ils furent très piqués et très scandalisés et voulurent le contredire ; mais il les réduisit au silence. Il y avait parmi eux trois gros hommes fort insolents qui avaient fait partie du comité de Capharnaum : ce furent eux surtout qui disputèrent. Ils étaient très irrites de la guérison du Pharisien de Thanach et ils disaient que si Jésus l'avait guéri, c'était afin que les Pharisiens du pays fermassent les yeux sur ce qu'il pourrait faire. Ils le sommèrent aussi de se tenir en repos et de ne pas troubler le jour du sabbat avec ses guérisons. Il n'avait rien de mieux à faire, selon eux, que de se retirer pour éviter d'agiter les esprits. Jésus leur répondit qu'il ferait ce qu'il avait mission de faire, qu'il continuerait à enseigner jusqu'à ce que son temps fût accompli. Ils ne l'invitèrent à aucun repas : ils étaient animés d'une rage secrète contre lui parce que son enseignement et sa charité attiraient à 1ui les pauvres, les affligés et les âmes simples pour lesquels eux-mêmes n'avaient que des rebuts.

Le temps fut aujourd'hui admirablement beau à Naïm. Le matin, je vis Jésus accompagne des disciples se promener autour de la ville et enseigner. Il y a là de belles promenades et des maisons de plaisance avec des terrasses où l'on va faire à l'ombre sa promenade du sabbat. C'est maintenant le temps des semailles. La route de Samarie passe par Naïm et va rejoindre la grande route au delà du Cison.

Tous les disciples qui sont ici près de Jésus doivent être de ses confidents intimes, car il leur parla de l'avenir qui lui était réservé avec beaucoup de gravité et d'onction. Il les exhorta à rester constants et fidèles, parce que de grandes souffrances et de grandes persécutions l'attendaient. Il ne devaient pourtant pas se scandaliser à son sujet. Il ne les abandonnerait pas : eux non plus ne devaient pas l'abandonner ; mais il serait tellement maltraité que leur foi serait mise à rude épreuve. Ils furent très touchés et versèrent des larmes.

Ils allèrent dans un beau jardin de plaisance appartenant à la veuve Maroni ; il y avait beaucoup de jolis endroits, d'arbres fruitiers et de berceaux de verdure. On pouvait aussi y prendre des bains : je crois que l'eau y était amenée du Cison ; car le jardin était situé près de la rivière et avait vue sur le Thabor. Naïm est adossé à une colline.

Les saintes femmes vinrent à leur tour dans le jardin Jésus, entouré de ses disciples, fit une instruction entre mêlée de récits sous un berceau de feuillage où les femmes s'assirent toutes du même côté. Il leur parla de la réconciliation opérée entre divers couples d'époux à Mallep, et spécialement de ce couple chez lequel il avait accepté un repas : cette famille était de celles qui devaient venir en Palestine il parti aussi de Mercuria. Celle-ci se rendra d'abord chez la Syrophénicienne, laquelle se prépare actuellement à quitter Ornithopolis. Elles iront d'abord à Gessur et ensuite plus loin. Il est déjà arrivé beaucoup de personnes de l'île de Chypre ; il doit en arriver d'autres qui débarqueront devant Joppé.

Il vint aussi dans ce jardin plusieurs femmes que Jésus avait réconciliées avec leurs maris, le 19 novembre de l'année précédente (tome III, p. 171). Elles sont étroitement liées avec la veuve Maroni, et concourent aux travaux qui se font ici pour des oeuvres de charité. Elles arrivèrent lorsque les saintes femmes s'étaient déjà retirées, et après que Jésus eut pris un petit repas avec les disciples. Il leur donna des avis et des encouragements, après quoi elles firent place à d'autres. Il vint à lui plusieurs veuves et d'autres personnes encore qui lui exposèrent leurs chagrins et leurs doutes, et se plaignirent fit de la manière dont elles étaient vexées et opprimées par les Pharisiens. Il les consola et leur fit des présents.

Lorsque Jésus, au sortir de ce jardin, alla avec ses disciples à la synagogue pour la clôture du sabbat, il trouva sur son chemin plusieurs malades qui s'y étaient fait porter sur des litières : ils tendirent les mains vers lui, implorant son assistance, et il les guérit. Jésus arriva ainsi à la synagogue où quelques autres malades s'étaient également fait porter sur leurs grabats. Il y avait entre autres parmi eux un homme dont les membres étaient tout gonflés. Jésus avait refusé de les guérir lors de son dernier séjour, parce que leur foi n'était pas pure et qu'il leur était bon de souffrir plus longtemps afin qu'ils implorassent leur guérison avec plus d'humilité. Mais les Pharisiens intervinrent et furent particulièrement irrités de Et` qu'il voulait guérir ces gens-là, car ils avaient répandu le bruit qu'il n'avait pas pu y réussir précédemment. Ils firent alors grand bruit, criant que Jésus profanait le sabbat. Mais Jésus acheva de guérir ces malades qui étaient au nombre de sept environ. Il répondit en termes sévères aux Pharisiens courroucés et leur demanda s'il était défendu de faire du bien le jour du sabbat ? si eux-mêmes n'agissaient point et ne s'occupaient pas de certaines choses le jour du sabbat ? si la guérison de ces malades ne leur rendait pas la possibilité de sanctifier eux-mêmes le sabbat : s'il était aussi interdit de consoler les affligés ce jour-là si l'on devait le jour du sabbat conserver le bien mal acquis ? si après avoir tourmenté et opprimé dans le courant de la semaine les veuves, les orphelins et les pauvres, ou devait les laisser encore dans la peine le jour du sabbat. Il leur mi t ainsi sous les yeux, sans aucun ménagement, leur hypocrisie et leur tyrannie envers les pauvres ; il dit aussi en termes exprès comment ils pressuraient les pauvres, sous prétexte de pourvoir à l'entretien de la synagogue qui pourtant avait au delà de ses besoins ; or, c'était dans cette synagogue même qu'ils voulaient, en leur interdisant de se faire guérir, les empêcher de recevoir la grâce de Dieu le jour du sabbat, tandis qu'eux-mêmes le jour du sabbat mangeaient et buvaient ce qu'ils leur avaient extorqué. Il les réduisit par là au silence et ils allèrent à la synagogue. Lorsque Jésus y fut entré, ils ne laissèrent pas de lui présenter le volume des Écritures et ils le prièrent d'enseigner : car ils étaient bien aises de l'entendre, ayant l'intention perfide d'épier ses paroles, afin de pouvoir lui imputer des doctrines erronées et se porter ses accusateurs. Il enseigna encore sur les murmures des Israélites, sur le châtiment de Marie, soeur d'Aaron, et sur des textes du prophète Zacharie. Quand il parla de l'époque du Messie et dit qu'alors beaucoup de païens se réuniraient au peuple de Dieu, ils lui demandèrent d'un ton railleur si c'était pour recruter des paiens qu'il était allé dans l'île de Chypre. Jésus enseigna encore sur la dîme, sur les fardeaux qu'on impose à autrui sans vouloir les porter soi-même, et sur l'oppression des veuves et des orphelins.

Dans l'intervalle qui sépare la Pentecôte de la fête des Tabernacles, on portait à Jérusalem les dîmes destinées au temple. Dans les endroits éloignés de Jérusalem, comme ici, les lévites les recueillaient. Il s'était introduit des abus à cette occasion, parce que les Pharisiens faisaient payer la dîme au peuple et la gardaient pour eux. Jésus les reprit à ce sujet. Cela les rendit furieux ; lorsqu'il eut quitté la synagogue, ils s'élevèrent contre lui avec violence.

Le soir, Jésus assista à un dernier repas chez la veuve et fit ses adieux aux saintes femmes.

Naim est une jolie ville très riante, qui est bien aussi grande que Munster. Elle s'étend en amphithéâtre sur une colline, et comme les maisons sont séparées par des jardins, elle n'est pas si resserrée que d'autres villes juives où souvent l'on tend des tapis d'une maison à l'autre. en sorte que les rues ressemblent à des couloirs pratiqués sous des tentes et à des berceaux de verdure.

15 juin. — Dans la matinée, Jésus quitta Naïm et gravit la hauteur située au nord-est, en deçà du Cison. Il n'avait plus avec lui que quelques disciples. Après avoir fait environ une lieue de chemin, il arriva à un petit endroit dont le nom est quelque chose comme Rimmon Il n'y a pas de synagogue, mais une école dirigée par des lévites qui xicrlnent d'un autre endroit la surveiller. Comme ils se trouvaient présents pour le moment, ils vinrent à la rencontre de Jésus. Jésus enseigna les jeunes gens et les petits garçons, il visita aussi l'école des jeunes filles. Il enseigna devant l'école sur une place où vinrent aussi les gens qui l'avaient déjà entendu à Naïm. Jésus parlait de préférence aux enfants des devoirs généraux tels qu'ils sont traces dans la loi, et n'annonçait pas devant eux comme il le faisait devant le peuple assemblé, les châtiments dont la génération présente était menacée. Il resta ici jusqu'à midi et prit un léger repas.

Cet endroit se compose d'une longue rangée de maisons qui s'étendent sur la pente de la montagne : il est habité surtout par des jardiniers et des vignerons qui portent leurs fruits à Naïm où ils travaillent aussi dans les jardins.

Saul y passa dans les courses qu'il fit avant d'aller consulter la pythonisse d'Endor.

Jésus en partant d'ici se dirigea vers la pente orientale du Thabor, et les lévites l'accompagnèrent quelque temps : ils s'étaient occupés à recueillir la dîme à Rimmon. Jésus traversa deux fois un cours d'eau, et après avoir fait environ trois lieues il arriva à un endroit assez de délabré, don le nom est Beth-Lachem et qui est situé à l'est de la ville de Dabrath. Ce n'était qu'une série de maisons habitées par de pauvres paysans : non loin de là se trouve le champ où Jésus a réglé un différent le 29 août de l'année dernière (tome II, page 187). Jésus n'était pas encore venu ici. Il entra chez plusieurs des habitants, en guérit quelques uns, les consola et les enseigna.

près cela, les lévites ayant pris congé de lui, il alla quatre lieues plus loin, traversa la vallée dans laquelle se trouve la fontaine de Capharnaüm et arriva à Azanoth à la chute du jour. C'est l'endroit où se trouvaient les saintes femmes et Madeleine le 31 décembre de l'année dernière (tome III, page 306), lorsque Madeleine fut délivrée de sept démons pendant la prédication de Jésus. Cette petite ville est sur le versant nord-est des coteaux qui descendent vers le lac. Elle est dominée au midi par une hauteur et on y voit à peine le Thabor, mais la vue s'étend vers Capharnaüm et en descendant jusque vers Tarichée.

Jésus a ici une hôtellerie où il arriva à la nuit tombante. Il s'y trouvait des amis de Capharnaüm qui l'attendaient : ils le saluèrent, lui lavèrent les pieds et lui présentèrent la réfection accoutumée. C'étaient Jaïre et sa fille, l'aveugle guéri à Capharnaüm, une parente de l'hémorroïsse Énoué, et Lia qui s'était écriée : " heureuses les entrailles qui vous ont porté " ! Toutes les femmes ayant leur voile baissé s'agenouillèrent devant Jésus, mais il leur dit de se relever et il les bénit. Elles pleuraient de joie de le revoir. La fille de Jaïre est maintenant fraîche et bien portante : elle est toute autre qu'elle n'était, pleine de piété et d'humilité. Jésus prit un petit repas avec ses disciples et les hommes qui se trouvaient la : les femmes étaient assises à part à un bout de la chambre, mais elles entendaient ce qu'il disait il enseigna, raconta et exhorta jusqu'assez avant dans là nuit.

16 juin. — Les gens de Capharnaüm repartirent le matin de bonne heure : Jésus resta ici. Il enseigna dans la synagogue et sur une colline, et guérit plusieurs malades qu'il alla visiter dans leurs maisons. Les préposés de l'école de l'endroit se montrèrent bienveillants à son égard et ne le contredirent en rien.

Dans l'après-midi, je vis Jésus à une lieue au nord-est allant à Damna, où il y avait en avant de la ville une hôtellerie à laquelle étaient préposés des alliés de la famille de saint Joseph. Il y était attendu par Lazare et par deux disciples de Jérusalem : c'étaient, je crois, les neveux de Joseph d'Arimathie. Lazare était dans le pays depuis une huitaine de jours. Il avait encore des affaires concernant les terres et les bâtiments de Magdalum, car on n'avait encore vendu que le mobilier de Madeleine et d'autres choses du même genre. Lorsque Jésus vit Lazare, il l'embrassa : ce qu'il ne fait d'ordinaire que pour lui, pour les apôtres et les plus anciens d'entre les disciples ; quant aux autres, il se borne à leur tendre la main. Après le lavement des pieds, ils se reposèrent un moment, puis ils se promenèrent dans le jardin et s'assirent dans la salle. Lazare exposa avec beaucoup de calme l'état des choses à Jérusalem et raconta comment tout s'était passé pour ceux de leurs amis qui s'y trouvaient. Jésus parla des gens de l'île de Chypre, des convertis et de ceux qui venaient en Palestine. J'entendis dire, à cette occasion, que Jacques le Mineur et Thaddée étaient à Gessur pour recevoir et diriger à leur destination les sept philosophes païens qui y arrivaient et d'autres personnes encore. Jésus dit à Lazare combien il y avait de ces gens dont il fallait s'occuper. Il s'entretint très confidentiellement avec Lazare et se promena longtemps seul avec lui.

Lazare est un homme de haute taille, doux, grave, parlant peu, plein de politesse et mesuré en toutes choses ; il conserve toujours quelque chose de distingué jusque dans les relations les plus familières. Ses cheveux sont d'un blond clair et il a quelque ressemblance avec Joseph, le père nourricier de Jésus, seulement il a les traits plus forts et plus prononcés. Joseph avait à un haut degré dans toute sa personne je ne sais quoi de doux, de tendre et de bienveillant : il avait aussi les cheveux d'un blond clair.

Ils mangèrent ensemble ici et y passèrent la nuit.

17 juin. — Ce matin Jésus accompagné de Lazare, des disciples, de l'intendant de l'hôtellerie et du fils de celui-ci qui se réunira plus tard aux disciples, fit deux petites lieues à l'est de Damna, jusqu'à ce village du centurion Zorobabel où vinrent le trouver deux scribes lépreux qui plus tard furent guéris par lui (tome III, page 187). Il est situé sur le versant méridional de cette colline semée de rochers qui ferme au midi la vallée de Capharnaüm, et sur laquelle s'étendent les jardins et les vignobles du centurion. Elle se termine par des escarpements de rochers du côté de la mer de Galilée, dont le village est éloigné d'une bonne demi lieue. Du côté du midi, il y a près de ce village une espèce de solitude très riante. Il n'y a d'autres habitants que les serviteurs du centurion Zorobabel et des laboureurs qui cultivent ses terres. Il se trouve parmi eux des païens qu'il amène au judaïsme les uns après les autres.

Jésus trouva à l'hôtellerie qu'il a ici, quelques-uns de ses plus anciens disciples venus pour lui souhaiter la bien. venue, entre autres Nathanaël, le fiancé de Cana : quelques-uns venaient d'auprès des apôtres qui étaient encore dispersés. Pierre est encore de l'autre côté du lac près de Dalmanutha avec Jacques le Majeur : je crois que Jean est en Judée : cependant je ne le sais pas au juste. Pendant l'absence de Jésus, les apôtres avaient beaucoup enseigné, guéri et baptisé, ils avaient surtout baptisé dans les environs de Joppé. Après le lavement des pieds et la réception ordinaire, il leur adressa diverses questions et ils lui firent part de ce qu'ils savaient.

Ensuite Jésus se rendit à l'école. Il y a une école ici, mars pour le sabbat et les fêtes on va à Capharnaüm. Il y a aussi une belle chaire sur une colline. Jésus enseigna sur l'avènement du Messie et l'approche du royaume de Dieu. Il appliqua tous les signes indiqués par les prophètes et qui se manifestaient maintenant. Il exhorta très instamment ses auditeurs à se convertir. Il dit que le Messie ne se montrerait pas tel que les Juifs l'attendaient, et qu'à cause de cela il ne serait reconnu que des coeurs humbles et disposés à la pénitence, lesquels étaient en petit nombre Il dit aussi que le Messie annoncerait sa doctrine par plus d'une bouche, de même qu'autrefois il avait parlé par la bouche de plusieurs prophètes. Ces paroles me frappèrent particulièrement.

Jésus visita encore plusieurs maisons et guérit des malades. On lui amena plusieurs possédés muets et atrabilaires. Jésus ayant mouillé son doigt avec de la salive, le leur mit sous la langue et ordonna à Satan de se retirer : j'en vis alors quelques-uns tomber en défaillance, puis se relever guéris : d'autres éprouvèrent des convulsions de peu de durée et se trouvèrent délivrés : tous glorifièrent Dieu et rendirent grâces.

Jésus prit aucune nourriture dans l'hôtellerie avec ses compagnons. Après le repas arrivèrent le centurion Zorobabel et le centurion Cornélius avec le serviteur guéri pal Jésus. Jésus alla avec eux se promener dans la solitude qui est près du village: vers le soir ils retournèrent à Capharnaüm. Jésus et ses compagnons se partagèrent en groupes séparés (il y avait bien seize à dix-huit personnes) puis Jésus fit le tour de la colline par un sentier solitaire et St' rendit à la maison de sa mère, située dans la vallée à l'est de Capharnaüm, à une distance d'environ trois quarts de lieue.

Cependant les saintes femmes s'y étaient rendues de Naïm en droite ligne et elles se trouvaient toutes chez la sainte Vierge. Les femmes ne sortirent pas de la maison pour aller à la rencontre de Jésus : Marie non plus n'alla pas au-devant de son fils. Après s'être lavé et avoir détaché sa robe, il entra dans la pièce principale sur l'un des côtés de laquelle étaient disposées quelques petites cellules. Marie alla à sa rencontre et inclinant humblement la tête sous son voile, elle lui tendit la main qu'il prit dans la sienne. Il la salua affectueusement et gravement. Les autres femmes se tenaient un peu en arrière, voilées ci rangées en demi cercle. Elles s'inclinèrent profondément. et Jésus salua d'abord celles qu'il n'avait pas vues à Naim. Quand Jésus fut seul avec Marie, je vis qu'il la pressa contre son sein et lui parla tendrement pour la consoler et la fortifier : quant à elle, depuis qu'il était entré dans sa carrière de prédication, elle le traitait toujours comme on traite un saint et un prophète : elle était vis-à-vis de lui comme serait une mère dont le fils serait devenu évêque, pape ou roi, toutefois avec quelque chose de plus auguste et de plus saint qui ne lui faisait rien perdre de son ineffable simplicité. Elle ne l'embrassait jamais, elle lui présentait seulement la main quand il tendait la sienne. Je ne vis ici aucun des apôtres, non plus que leurs femmes ni celle de Pierre ou d'André, ni celle de Matthieu.

Je vis ensuite Jésus et Marie manger seuls ensemble. Il y avait entre eux une petite table assez basse. Jésus était couché d'un côté, Marie se tenait assise en face de lui. Il y avait sur la table du miel, du poisson, du pain, des gâteaux et deux petites cruches. Les autres saintes femmes étaient deux par deux ou trois par trois dans les petites chambres disposées en tentes, ou dans une salle latérale, occupées du repas des disciples auquel assistaient plusieurs alliés de la sainte famille. Jésus parla à sa mère de l'île de Chypre et des âmes qu'il y avait gagnées. Elle se réjouit en silence et fit peu de questions. Elle lui rapporta ensuite ; diverses choses qui s'étaient passées pendant qu'il était absent, et poussée par ses inquiétudes maternelles, elle parla des dangers dont il était menacé pour l'avenir. Jésus la reprit avec douceur, lui dit qu'elle devait adorer les desseins de Dieu ; que pour lui, il devait remplir sa mission jusqu'à ce que fut venu le temps où il devait retourner à son Père. Quelques-unes des saintes femmes furent appelées il cet entretien les unes après les autres, et elles s'assirent auprès de Marie pendant que Jésus enseignait et racontait.

È

CHAPITRE CINQUIÈME

Jésus à Capharnaum et à Cana

Du 18 juin au 30 juin.

Jésus dans la maison de sa très sainte mère, à Capharnaüm. Il bénit des enfants malades - Les disciples lui rendent compte de ce qu'ils ont fait pendant son voyage en Chypre. - Jésus place les convertis sous la protection de sa très sainte mère. - La famille de Pierre. - Jésus célèbre le sabbat à la synagogue. - il guérit des enfants malades et fait la clôture du sabbat. - Opposition des Pharisiens - Jésus enseigne devant ses disciples. - Arrivée de saint Pierre. Il raconte avec enthousiasme ce qu'il a fait, et il est repris par Jésus. - Jésus à Cana - sur la montagne voisine de Gabara. - Retour à Capharnaüm. - instruction du sabbat à la synagogue. - Repas chez un Pharisien. - Instruction sur la montagne d'où il a envoyé ses disciples en mission. Détails sur Eleutheropolis. De l'ordonnance des saints Évangiles. Jésus à Bethsaide-Juliade.

18 juin. — Pendant toute la journée il arriva des environs de Bethsaïde, de Capharnaüm et de Juliade, beaucoup de disciples et d'autres personnes qui voulaient saluer Jésus et s'entretenir avec lui. Il y eut toujours du monde dans la cour et le jardin attenants à la maison de sa très sainte mère. Le nombre des disciples qui se sont réunis ici monte bien à une trentaine. Je n'ai pas vu de repas, mais j'ai vu par intervalles offrir quelque chose à manger aux arrivants. Les femmes étaient continuellement occupées à préparer les aliments apportés par les disciples. La Samaritaine, Marie, mère de Marc et Marie de Cléophas sont là, ainsi que Jean Marc et les fils de Siméon : mais, il n'y a encore aucun des apôtres.

Parmi les disciples, il y en a quelques-uns qui viennent de Judée et qui ont annoncé à Joppé l'arrivée de navires portant deux cents Juifs de l'île de Chypre. Barnabé, Mnason et son frère sont là pour les recevoir. Jean est en Judée chez les parents de Zacharie, à Juta ou à Hébron. Il s'occupe des mesures Sq prendre pour l'entretien de ces Chypriotes Les Esséniens le secondent en cela. Ils s'établiront provisoirement dans des grottes des environs jusqu'à ce qu'on ait assigné à chacun sa destination. Quant aux Juifs de la contrée d'Ornithopolis, la Syrophénicienne et Lazare ont pris des arrangements pour les établir au midi près de Ramoth Galaad. Aujourd'hui Lazare, Jean Marc, le fils de Siméon et un autre encore sont repartis pour la Judée chargés de divers arrangements à prendre.
Lorsque Jésus se réunit aux siens et aux saintes femmes, j'ai entendu parler de la mort de personnes de connaissance. Héli, cet homme de Juta ou d'Hébron, et, chez lequel Jésus a consolé ses amis affligés à propos de la mort de Jean Baptiste, et qui faisait les fonctions du père de famille dans la cène pascale de l'an passé (tome IV, page 149), a eu deux de ses fils égorgés : ils faisaient leur service à la fête en qualité de lévites et ils ont péri dans la mêlée, sans qu'il y eût de leur faute et sans pouvoir faire de résistance. Jésus a dit qu'ils avaient fait une bonne mort. Il est possible que Jean soit venu dans ce pays pour consoler leurs familles.

Les possédés de Gergesa guéris par Jésus et devenus ensuite ses disciples sont auprès de Pierre, ainsi qu'André, Jacques le Majeur et d'autres encore.

Les disciples et les autres arrivants logent, soit dans maison que Pierre possède en avant de Capharnaüm et qui est destinée à en recevoir un certain nombre, soit à Bethsaïde, soit dans la maison d'école à Capharnaüm. Jésus seul habite la maison de Marie : elle n'a pas de serviteurs. Quelques disciples sont dans le voisinage.

19 juin. — Les saintes femmes resteront ici pour le sabbat : elles habitent, les unes près de Marie, les autres dans la maison de Pierre qui est devant la porte de la ville ou dans d'autres maisons d'amis. Marie n'a pas de serviteur mâle chez elle, mais seulement une servante qui est sa parente. La maison est composée, comme d'ordinaire, de grandes pièces, et l'on multiplie les chambres à l'aide de cloisons mobiles. Il y a sur le devant une cour avec une salle ouverte, et un assez grand jardin dont un homme de confiance prend soin.

Ce matin Jésus alla avec quelques disciples à la maison de Pierre en avant de Capharnaüm. Il visita la femme de Pierre, sa belle-mère et sa belle-fille. Il y avait dans les bâtiments attenants plusieurs pauvres malades qu'elles avaient reçus par pitié pour en prendre soin : Jésus alla les voir et en guérit quelques-uns. Il alla ensuite à Capharnaüm, sur la place du marché, dans la maison d'un fabricant de tapis : c'était devant cette maison que le 11 avril de cette année, il avait béni le petit garçon d'un marchand voisin et l'avait présenté a ses disciples. Elle est habitée par des gens excellents très dévoués à la Mère et aux amis de Jésus et qui vénèrent profondément Jésus, voyant en lui un grand prophète ou le Messie. Ils ont plusieurs enfants avec lesquels Jésus s'entretint, qu'il enseigna et qu'il bénit. Quelques-uns d'entre eux étaient malades et Jésus les guérit à la prière des parents. Plusieurs de ces enfants sont devenus disciples, spécialement un d'entre eux qui était à Césarée lorsque Saint Paul y fut retenu prisonnier. Celui-ci avait toujours eu un grand amour et une grande vénération pour la sainte Vierge. Je crois en avoir déjà parlé.

Les parents du Petit garçon béni par Jésus le 11 avril, lequel était retenu au lit par la même maladie, ayant entendu les cris de joie causés par ces guérisons, firent prier Jésus de venir en aide à leur fils. Mais Jésus n'alla pas chez eux aujourd'hui. Il revint à la maison que Pierre avait au bord du lac : tous les disciples présents y étaient rassemblés, car Jacques le Mineur et Thaddée étaient venus de Gessur et avec eux trois des philosophes païens de Salamine qui s'étaient fait circoncire : les quatre autres n'étaient pas encore arrivés. C'étaient des jeunes gens de manières très agréables et très distinguées. Jésus les présenta aux autres disciples : Simon et André arrivèrent aussi dans une barque avec quelques compagnons. L'accueil qu'ils reçurent fut très touchant.

Quand ils eurent pris quelques rafraîchissements, Jésus alla avec eux tous à Bethsaïde dans la maison d'André où étaient la femme et la fille de celui-ci : il les salua et s'entretint avec elles. Il y eut là un repas frugal. Les disciples racontèrent leurs voyages et ce qui leur était arrivé. Dans quelques endroits on leur avait jeté des pierres, mais qui ne les avaient pas atteints. Il leur avait fallu quelquefois prendre la fuite, mais ils avaient toujours été miraculeusement préservés. Ils avaient aussi trouvé beaucoup de gens bien disposés, en avaient guéri, baptisé et instruit beaucoup. Jésus leur avait ordonné d'aller uniquement aux brebis égarées d'Israël : ils avaient donc recherché les Juifs qui se trouvaient dans les villes païennes et n'avaient point eu de rapports avec les Gentils, sinon avec quelques-uns qui servaient chez des Juifs. Non loin de Gazer se trouve une ville avec des tours dont le nom est comme Gazora : André et ses disciples y étaient allés et avaient racheté plusieurs esclaves juifs. Ils avaient dépensé pour cela tout ce qu'ils avaient. Ils demandèrent à Jésus s'ils avaient bien fait, et il leur dit qu'il les approuvait. Gazora est une belle ville païenne : beaucoup de Juifs y sont restés après la captivité de Babylone.

Ils lui racontèrent plusieurs choses du même genre ; mais Jésus ne les écouta pas tous. Quelques-uns d'entre eux mettaient dans leurs récits une chaleur à laquelle se mêlait une certaine complaisance en eux-mêmes ; il les interrompit dès le début par des paroles comme celles-ci : " Je sais déjà tout cela ". Il en écouta jusqu'au bout d'autres qui racontaient simplement et humblement, et il engagea lui-même à parler ceux qui gardaient le silence.

Quand ceux qu'il avait interrompus lui demandaient pourquoi il ne les écoutait pas, il leur faisait remarquer la différence qu'il y avait entre leur langage et celui de leurs compagnons.

Jésus interrompit souvent leurs discours pour raconter quelques paraboles. Il en raconta d'abord une sur l'ivraie semée au milieu du bon grain et qui, lorsqu'elle aurait levé, devait être brûlée à l'époque de la moisson (Matth., XIII, 24, 30; Marc, IV, 26, 29). Il dit que tout ce qui avait été semé ne lèverait pas. Il parla de plusieurs qui s'étaient séparés des disciples et avertit ceux ci de ne pas avoir trop de confiance dans leurs oeuvres, car ils étaient encore réservés à de grandes tentations. Dans un autre moment Jésus raconta la parabole du maître qui va prendre possession d'un royaume éloigné, et qui confie aux serviteurs qu'il quitte un certain nombre de talents dont il leur demande compte plus tard (Luc, XIX, 12, 26; Math, XXV, 14, 30; Marc, XIII, 34, 36). Cette parabole se rapportait à certains égards à son voyage en Chypre et au compte qu'il demandait alors à ses disciples de ce qu'ils avaient fait pendant son absence. Pendant le récit, Jésus s'adressa souvent à l'un ou à l'autre d'entre ceux dont il devinait les pensées et leur dit à peu près " Pourquoi te livres tu à des pensées inutiles " ? ou bien " Ne te laisse pas aller à ces pensées; " ou bien encore " Tu prends ceci tout autrement qu'il ne faut: c'est à telle chose et non à telle autre que tu dois faire attention. " Il pénétrait dans la pensée de ses auditeurs et les reprenait sur le champ; aussi quelques uns d'entre eux se disaient parfois : " C'est celui ci ou celui là qu'il a en vue. "

Je ne puis exprimer comment le temps passe pour moi quand je vois et que j'entends ces choses; avec cela je suis souvent émue de pitié, quand Jésus refuse de prêter l'oreille à quelqu'un de ses disciples, et je me dis : " Ne pourrait il donc pas l'écouter; " ou bien : " Vois, il t'en arriverait autant si tu voulais toujours lui parler de tes affaires. "

Jésus tint aux disciples un langage sévère et cela les attrista un peu. Le soir, il revint à la maison de s mère, et les disciples allèrent avec lui dans le jardin où les femmes aussi l'écoutèrent, se tenant à part et avait leur voile baissé. Cette fois il les consola, leur raconta la parabole des ouvriers de la vigne et du denier que tous reçurent pour salaire (Matth., XX, 1, 16), et il leur donna des explications à ce sujet.

Jésus présenta ici à Sa mère les nouveaux disciples e les nouveaux convertis. Je le vis toujours faire ainsi dans les derniers temps. C'était entre eux un contrat tacite, une convention intérieure en vertu de laquelle la sainte Vierge donnait place aux disciples dans son coeur, dans sa prière, dans sa bénédiction , et les adoptait à certains égards comme ses enfants et ses frères, devenant ainsi leur mère spirituelle comme elle était sa mère selon la chair. Elle faisait cela avec beaucoup de gravité et d'onction, et Jésus procédait avec elle d'une manière très solennelle. Il y avait dans cet acte quelque chose de saint et de profondément senti que je ne puis exprimer. Marie était comme la branche de vigne et l'épi de sa chair et de son sang.

20 juin. — Ce matin Jésus sortit avec plusieurs disciples de la maison de sa mère et alla au nord est sur la hauteur où il avait si souvent enseigné et guéri les gens des caravanes elle est couverte de jardins et la route de Capharnaüm et de Bethsaïde et au Jourdain y passe. Il alla au nord de Bethsaïde à la maison des lépreux qui se trouve là, en guérit plusieurs, les enseigna et leur ordonna de se montrer aux prêtres. Il y a aussi près de là une maison où sont enfermés des possédés : mais il n'y entra pas.

Lorsqu'il fut revenu à Capharnaüm, je le vis de nouveau dans la maison de Pierre, située en avant de la ville : on y avait amené des malades de Capharnaüm et de Bethsaïde. Il les enseigna et en guérit plusieurs. C'est un endroit favorable pour les malades ; car on y trouve une eau qui fait du bien à ceux qui en boivent comme à ceux qui s'y baignent.

Le père de Pierre et d'André, Jonas, avait épousé en secondes noces une veuve qui lui avait amené deux beaux fils nés de son premier mari : ce sont eux qu'on appelle les frères d'André. La femme de Pierre était aussi une veuve : elle a amené avec elle deux fils et une fille qui est encore jeune et qu'on désigne sous le nom de Pétronille. Pierre lui-même n'a pas d'enfants. La mère de sa femme, que Jésus guérit dans une circonstance (tome II, page 171), habite encore avec son mari la maison qui est devant la ville. Les beaux-frères d'André et les beaux-fils de Pierre prennent soin du ménage. Un des beaux-fils de Pierre s'adjoignit aux disciples. Cette famille de Pierre est partagée entre les deux maisons dont l'une vient du père de Pierre, l'autre de sa femme.

Après le repas, je vis jusqu'au sabbat Jésus, les siens et tous les disciples, avec beaucoup d'autres personnes de la ville, de Bethsaïde et des environs, dans la maison d'école. Il enseigna de nouveau touchant le Messie, leur indiqua tous les signes qui devaient le caractériser, et dit qu'il serait au milieu des Juifs sans qu'ils le reconnussent. Il parla d'une manière très forte et très pénétrante.

A l'ouverture du sabbat, Jésus alla avec ses disciples à la synagogue. Les Pharisiens occupaient déjà l'endroit où l'on prêchait ; mais Jésus s'y rendit directement et ils lui cédèrent la place. L'instruction traita des explorateurs envoyés par Moïse dans la terre de Chanaan, des murmures du peuple et de son châtiment, des explorateurs de Josué à Jéricho, et de Rahab (Exod. XVI ; Jos. II). Les Pharisiens étaient très irrités de sa hardiesse : ils se disaient entre eux qu'ils voulaient bien le laisser parler maintenant ; mais qu'ils tiendraient conseil le soir ou après le sabbat, et qu'alors ils sauraient bien lui fermer la bouche. Jésus qui connaissait intérieurement leur malice, leur dit qu'ils étaient des explorateurs d'une espèce toute particulière et qu'ils n'étaient pas ici pour faire connaître la vérité, mais pour la trahir. Il s'éleva fortement contre eux, commenta des textes du prophète Ézéchiel et en vint a parler de la destruction de Jérusalem et du jugement réservé au peuple qui ne faisait pas pénitence et qui ne reconnaissait pas le royaume du Messie. Il répéta aussi la parabole du roi qui envoie son fils dans la Vigne où il est mis à mort par de perfides serviteurs. Ils furent très irrités, mais n'osèrent pas le contredire.

Les femmes étaient toutes à la synagogue. Il s'y trouve des places pour les étrangers. Marie et les femmes de la famille qui habitent Capharnaum ont des places à elles.

Pierre est maintenant de l'autre côté du lac dans la Décapole ; Jacques le Majeur et Matthieu y sont aussi. Jean est en Judée pour consoler les parents des fils d'Héli égorgés dans le temple : il y a encore avec lui un autre disciple qui est aussi très doux et très aimable ; nous le connaissons bien mais j'ai oublié son nom. Judas et Thomas sont dans les environs de Ptolémaïde ; Barthélémy est entre Joppé et Césarée ; Philippe est à Joppé avec Barnabé, Mnason et le frère de celui-ci pour recevoir les arrivants.

Cependant Pierre est allé à Bétharamphtha-Juliade il s'y est entretenu avec la princesse Abigaïl, que Jésus a visitée l'année précédente (tome II, page 272). Cette femme le reçut avec beaucoup de bienveillance. Elle est toujours très inclinée vers le judaïsme et elle honore Jésus et sa doctrine ; mais elle ne peut faire un pas parce qu'elle est entourée de surveillants païens. Elle a plusieurs enfants, réside là avec une pension et a autour d'elle des courtisans qui l'espionnent. C'est une femme d'une quarantaine d'années dont la taille est un peu courbée : elle est très bien disposée.

Matthieu qui est marié, a une maison à Capharnaüm, assez près de l'école : son bureau de perception, situé de l'autre côté du lac, n'était qu'une maison à l'usage des employés. Thaddée aussi était marié, si je ne me trompe ; je ne me souviens pas d'autre chose en ce qui le concerne.

Marie de Cléophas habite a Cana, le vieux Jacob, le disciple de Jean. fils de Marie d'Héli, est aussi marié.

Les saintes femmes travaillent continuellement à confectionner des couvertures, des habits, des sandales et des ceintures ; elles font des provisions, cuisent du pain et visitent les pauvres et les malades.

Marie a quelque chose de calme, de simple et de grave qui la distingue de toutes les autres.

21 juin. — Je vis ce matin Jésus quitter la maison de sa mère, à la demande de plusieurs habitants de Capharnaüm, pour aller guérir dans leurs familles des enfants malades. Il visita avec quelques disciples une vingtaine de maisons appartenant à des gens de toutes les classes et guérit un grand nombre d'enfants de trois à huit ans, garçons et filles. Il devait y avoir une espèce d'épidémie régnante, car ils avaient presque tous la même maladie. Leur cou était enflé ainsi que leurs joues et leurs mains : ils avaient en outre le teint très jaune. C'était un état semblable à celui qui succède quelquefois à d'autres maladies, à la fièvre scarlatine, par exemple. Jésus ne procéda pas avec tous de la même manière : à quelques-uns il mit la main sur la partie malade, il en frotta d'autres avec de la salive, il souffla sur d'autres. Il ne les guérit pas tous sur-le-champ ; pourtant beaucoup se levèrent tout de suite. Il les bénit et les rendit à leurs parents en donnant quelques avis ; pour d'autres il ordonna des prières et indiqua un traitement. Tout cela se fit pour le plus grand bien des enfants et des parents.

Jésus alla sur la place du marché dans la maison des parents d'Ignace et il guérit cet enfant. Il est âgé de quatre ans environ et très aimable. Ses parents sont dans l'aisance et ils font le commerce des vases de bronze, à ce que je crois ; car j'en vis une grande quantité rangée dans de longs corridors. Ils s'étaient déjà adressés à Jésus l'avant-veille lorsqu'il guérit les enfants de leur voisin le marchand de tapis; mais il ne vint les voir qu'aujourd'hui.

Plusieurs rues aboutissent au marché de Capharnaüm. La place est élevée, on y arrive par des degrés. Elle est entourée d'arcades où sont étalées les marchandises. Il y a une fontaine au milieu et aux deux extrémités deux grands édifices, comme deux maisons de ville.

Jésus visita sur son chemin Jaïre, Zorobabel et le centurion romain.

Dans l'après-midi on avait amené beaucoup de malades à la maison de Pierre qui est en avant de la ville ; Jésus les guérit et les enseigna. Les Pharisiens, pleins de rage, avaient déjà espionné toute la matinée. Après midi trois d'entre eux vinrent dans la cour de la maison où .Jésus guérissait les malades dans une salle adjacente. Ils s'approchèrent tout doucement, se frayèrent passage jusqu'à Jésus et l'exhortèrent à cesser, à se tenir en repos et à ne point troubler le jour du sabbat. Ils voulurent se mettre à disputer ; mais Jésus s'éloigna d'eux, disant qu'il n'avait rien à faire avec eux, qu'ils étaient comme des incurables qu'il est inutile de chercher à guérir ; il se retourna alors vers d'autres malades et ils se retirèrent furieux.

Pendant ce temps, et déjà dans la matinée, les autres disciples s'étaient rendus au nord de la maison de Marie, sur la hauteur voisine du chemin où Jésus avait enseigné récemment. Il y avait encore là beaucoup de voyageurs campés sous des tentes. Les disciples enseignèrent et guérirent à la façon de Jésus pendant toute la journée. Ils reproduisent les diverses instructions de Jésus qu'ils ont souvent entendues et que le Seigneur leur a expliquées avec tant de détails sur les chemins, et ils guérissent par l'imposition des mains et l'application de l'huile bénite.

Le soir Jésus alla avec tous ses disciples à la synagogue pour la clôture du sabbat. Il enseigna de nouveau sur les murmures qu'excita chez les Israélites le rapport des explorateurs de Moïse, et sur la malédiction prononcée contre eux, par suite de laquelle ils devaient mourir dans le désert et leurs enfants seulement voir la terre promise Il parla surtout et avec beaucoup de force de la malédiction et de là bénédiction, des explorateurs infidèles du royaume de Dieu, de ceux qui ne devaient pas y entrer, de la manière dont le Messie serait méconnu et des jugements de Dieu sur le pays de Jérusalem.

Alors deux Pharisiens montèrent dans la chaire et enseignèrent sur un passage de la lecture d'aujourd'hui où Dieu ordonne à Moïse de faire lapider par tout le peuple un homme qui avait ramassé du bois le jour du sabbat (Numer., XV, 32, 36). Ils appliquaient cela aux guérisons faites le jour du sabbat par Jésus ; mais Jésus leur demanda si la santé des pauvres et des malades était du bois fait pour être brûlé ? si l'on ne pouvait pas plutôt dire cela de l'hypocrisie qui était comme du bois mort, si ceux-là qui se scandalisaient au sujet de la guérison des pauvres et qui voyaient un fétu dans l'oeil du prochain, oubliant qu'ils avaient une poutre dans le leur propre, ne ramassaient pas du bois pour le jeter sur le chemin de la vérité, pour réchauffer et faire cuire le poison de la discorde et de la persécution bien plus que pour préparer leurs aliments ? Ne pouvons-nous pas recevoir le jour du sabbat les grâces que nous implorons le jour du sabbat et donner ce que nous avons ? Il expliqua le texte de la loi, montra qu'il s'appliquait au travail manuel et dit que ce travail n'était défendu que pour qu'on pût se livrer au travail spirituel. Comment donc la loi du sabbat pourrait-elle interdire de guérir un malade pour le rendre capable de sanctifier le sabbat ? Jésus les réfuta ainsi et les couvrit de confusion, si bien qu'ils n'eurent plus un mot à dire. Quelques-uns des auditeurs, vivement émus, méditèrent ses paroles en silence ; d'autres, en plus grand nombre, se communiquèrent leurs impressions et dirent : " C'est bien lui ! c'est le Messie ! Nul homme, nul prophète ne peut enseigner ainsi " ! La plupart se faisaient des signes et se réjouissaient de la défaite des Pharisiens ; mais d'autres qui avaient le coeur endurci se scandalisèrent avec eux.

Jésus alla après cela prendre son repas chez sa mère.

J'ai vu aujourd'hui Jacques le Majeur, Pierre et Matthieu, à Ramoth-Galaad, réunis avec quelques disciples pour célébrer le sabbat. Aussitôt après, comme il faisait encore nuit, ils se sont dirigés au nord-ouest vers Gergesa, pour aller à Capharnaüm.

22 juin. — Ce matin, Jésus alla sur la colline située au nord du chemin entre Capharnaüm et Bethsaïde, et, l'année précédente, il avait enseigné qu'il fallait manger sa chair et boire son sang, ce dont quelques disciples s'étaient scandalisés. Tous les disciples et les apôtres présents s'étaient réunis là. Cette nuit, il est arrivé encore plusieurs disciples. Il y en a bien en tout une cinquantaine. Toutes les saintes femmes et les saintes filles étaient aussi là, ainsi que d'autres personnes affectionnées à Jésus.

Jésus enseigna les disciples touchant leur mission et leurs travaux : il leur dit quel serait leur travail, quels fruits il porterait, comment ils devaient agir et pour quelle récompense ; il parla de diverses opinions erronées qu'ils avaient, de leur bonne volonté et aussi des persécutions à venir. Il donna des instructions de toute espèce sur la manière d'enseigner et d'agir, et sur la jalousie des uns à l'égard des autres; il raconta cette fois toute la parabole des ouvriers de la vigne, comme elle se trouve dans l'Évangile. Dernièrement il l'avait racontée un soir chez Marie, mais simplement et brièvement pour que sa mère la méditât ; ici il l'expliqua et lui donna tous ses développements.

Les saintes femmes étaient présentes, parce qu'elles aussi agissent et travaillent, et parce que plusieurs d'entre elles n'ont pas encore une idée véritable de la disposition dans laquelle on doit faire toutes ses actions pour qu'elles soient méritoires et qu'elles produisent de bons fruits.

Jésus loua et encouragea les disciples ; il dit que quand tous ceux qu'il avait envoyés en mission seraient réunis, il les congédierait pour quelque temps afin qu'ils pussent visiter et tranquilliser leurs proches. Il leur donna aussi sa bénédiction en étendant les mains sur leurs têtes, et il les remplit d'une nouvelle ardeur et d'une nouvelle force. Cette instruction dura toute la matinée.

Dans l'après-midi, Pierre, Jacques le Majeur et Matthieu arrivèrent avec quelques anciens disciples de Jean ; ils vinrent saluer Jésus dans la maison de Marie. Pierre était plein d'ardeur et pleurait de joie. Il y eut ensuite un repas dans la maison de Pierre ; on se raconta ce qu'on avait fait, et on se souhaita la bienvenue les uns aux autres. Jésus enseigna, et il raconta aussi quelque chose de son voyage en Chypre. Pierre avait visité les Juifs d'Ornithopolis, nouvellement établis près de Ramoth Galaad. Jésus répéta à sa mère, aux saintes femmes et aux disciples la parabole du pécheur qui va au loin, qui prend cinq cent soixante-dix poissons et qui les transporte dans la bonne eau, parabole relative à son voyage en Chypre et qu'il avait racontée à Misael. Toutes ses paraboles sont souvent répétées et commentées par lui de différentes manières, en sorte que dès lors le Seigneur prêchait sur l'Évangile comme on le fait de nos jours. Les Évangiles reproduisent une grande partie de ce qu'il dit aujourd'hui aux disciples ; mais tout cela se trouve compris dans les instructions qu'il leur donna en les envoyant en mission : de même les paraboles qu'il répétait si souvent n'y sont rapportées qu'une fois pour toutes.

Les saintes femmes avaient avec elles des provisions de pièces d'habillement, de sandales et de ceintures qui furent distribuées aux disciples nouvellement arrivés, car ce qu'ils avaient sur eux avait été très endommagé dans leur voyage. Lors de cette distribution, Jésus parla de la signification de ces objets d'habillement ; il dit, par exemple, à propos des ceintures : " Ceignez vos reins, et tenez à la main des lampes allumées ".

23 juin. — Ce matin, Jésus alla en barque avec les apôtres et les disciples présents. Ils montèrent sur la grande embarcation de Pierre et sur la petite barque de Jésus, et ils partirent séparément ; mais quand ils furent loin du rivage, on attacha les deux barques l'une à l'autre, après quoi on cessa de ramer, seulement on se servait de temps en temps du gouvernail et on laissait la barque dériver doucement. Les disciples étaient tous sur la grande embarcation, Pierre et deux autres apôtres sur la petite barque de Jésus, lequel se tenant assis près du mât, sur le banc des rameurs, écoutait les disciples ou enseignait.

Jésus s'était embarqué avec les disciples pour pouvoir, en toute liberté, et sans être gêné par la foule, se faire raconter par eux ce qui leur était arrivé, et leur donner des instructions à ce propos. C'était surtout en vue des derniers arrivés qu'il avait pris ce parti. Ils avaient beaucoup enseigné et baptisé ; ils avaient guéri par l'imposition des mains et par l'application de l'huile sainte ; quelquefois, cependant, la guérison n'avait pas eu lieu. Ils avaient eu à subir mainte persécution, on leur avait jeté des pierres et on les avait chassés ils ne s'étaient jamais engagés dans des disputes avec les Pharisiens et les avaient toujours déclinées. Cependant, le bien qu'ils avaient fait et les consolations qu'ils avaient éprouvées surpassaient beaucoup le mal qu'ils avaient eu à souffrir.

Pierre parlait avec un enthousiasme extraordinaire et racontait avec un sentiment de joie le bien qu'ils avaient opéré et la sympathie qu'ils avaient rencontrée. Alors Jésus s'adressa à lui et lui dit : " Tais-toi, homme vaniteux ! je ne veux pas entendre cela ". Alors le vieil apôtre, que Jésus pourtant aimait si tendrement, n'ouvrit plus la bouche et comprit une fois de plus qu'il avait eu tort de se laisser ainsi emporter par son zèle.

Judas aussi cherche à se faire valoir, mais par des voies détournées ; il observe en silence, et se préoccupe moins d'éviter le péché que de ne pas s'attirer une réprimande qui le couvrirait de confusion.

La journée était belle et la mer brillait au soleil. Ils avaient tendu les voiles pour se donner de l'ombre, et ils prirent leur repas à bord sur de petites planches. Les récits continuèrent jusqu'au soir ; alors ils revinrent à terre.

Jésus s'arrêta près d'une hauteur située à une demi-lieue à peu près de l'endroit où étaient amarrées les barques de Pierre, et leur donna des instructions sur la manière dont ils avaient à se comporter dans les situations équivoques. Ils lui avaient raconté comment ils avaient répété ses enseignements et ses paraboles ; ils l'interrogeaient sur ce qu'il fallait dire et sur ce qu'il fallait faire, lui redisaient des discours entiers et demandaient si c'était bien. Jésus leur donna des instructions sur tous les points ; il leur dit aussi que quand il serait retourné à son Père, il leur enverrait le Saint Esprit, qu'alors ils sauraient toujours enseigner comme il faudrait.

Judas et Philippe, ainsi que Barnabé, Mnason et le frère de celui-ci, étaient présents à cette instruction. Ils venaient de Joppé et apportaient des nouvelles des émigrants de l'île de Chypre. Il vint encore d'autres disciples ; je crois qu'il y en a là une soixantaine de ceux qui ont été envoyés en mission, outre un certain nombre de porteurs de messages et de coopérateurs en sous-ordre. Plusieurs sont revenus tout défaits et avec leurs habits en lambeaux. On leur donna tout ce dont ils avaient besoin pour reprendre leurs forces, et on renouvela leurs vêtements. Si les saintes femmes s'étaient réunies ici, c'était précisément afin de rendre des services de ce genre aux disciples qui revenaient, et aussi pour s'occuper, d'après les rapports de ceux-ci, de subvenir aux besoins des pauvres de différents endroits.

Aujourd'hui cinq Pharisiens, suivis de quelques autres personnes, se sont embarqués sur le lac pour suivre Jésus. Ils avaient cru qu'il passerait de l'autre côté ou qu'il se rendrait sur un point quelconque du littoral pour y enseigner le peuple, et ils voulaient l'espionner ; mais ils ont été déçus dans leur attente, et il leur a fallu revenir sans avoir rien fait.

Quand je considère dans leur ensemble la vie et les actes de Jésus et des siens, il me vient souvent à l'esprit, comme une chose évidente, que s'il venait maintenant parmi nous, il trouverait encore beaucoup plus d'obstacles qu'il n'en trouvait à son époque. En effet, il peut, ainsi que les siens, aller et venir, prêcher, guérir en toute liberté ; personne ne s'y oppose, si ce n'est quelques Pharisiens endurcis et bouffis d'orgueil, et ceux-là même sont fort embarrassés vis-à-vis de lui. Ils n'ignorent pas que le temps de la promesse est venu et que les prophéties s'accomplissent ; ils voient en lui quelque chose de saint, de merveilleux, d'irrésistible. Je les vois bien souvent s'asseoir, feuilleter les prophètes et d'anciens commentaires, mais jamais ils ne veulent se rendre, car ils attendent un Messie tout différent, un Messie qui doit être leur ami et l'un des leurs ; toutefois ils n'osent pas encore s'attaquer à Jésus. Beaucoup de disciples s'imaginent aussi qu'il doit avoir une puissance occulte, une alliance secrète avec quelque peuple ou quelque roi, qu'un jour il montera sur le trône à Jérusalem, comme le saint monarque d'un peuple pieux ; qu'alors ils auront des emplois avantageux dans son royaume, et qu'eux aussi seront pieux et sages. Jésus les laisse encore croire cela pour quelque temps. D'autres comprennent mieux dans tout cela le côté céleste, non toutefois jusqu'à l'abaissement de la mort sur la croix. Il y en a peu qui soient guidés uniquement par un amour sincère et par un saint enthousiasme.

24 juin. — Aujourd'hui les saintes femmes et Marie sont toutes allées à Cana. C'est là qu'habite Marie de Cléophas ; elle a des enfants qui sont encore très jeunes. La suivante de Marie et une servante d'André sont restées à la maison. Jésus y est aussi allé dans l'après-midi avec neuf apôtres, Nathanaël le fiancé et quelques autres qui sont du pays.

La route de Cana est très agréable ; ce ne sont qu'avenues et jolies promenades. On peut en faire une partie par la contrée de Génésareth, laquelle commence derrière le grand rocher situé au midi de Capharnaüm, que Zorobabel a fait aplanir et qu'il a couvert de jardins et de vignobles. Cette charmante solitude dont j'ai parlé récemment à propos du village de Zorobabel, est à l'entrée de ce district. Il s'étend à travers la gorge de Magdalum qui elle-même en fait partie, jusque derrière Tibériade : puis, longeant Gabara, il va finir à Tarichée, tantôt se rapprochant du lac, tantôt s'en éloignant un peu. Le petit lac des bains et tous ses beaux environs s'y rattachent, quand on considère l'ensemble. C'est une délicieuse solitude, semée de maisons de plaisance et de jardins avec des ruisseaux, des cascades, d'agréables promenades, des berceaux de verdure et des bosquets peuplés de jolis animaux et d'oiseaux de toute espèce. Il n'y a pas de champs de blé, mais des fruits et des fleurs magnifiques ; on y rencontre des massifs de fleurs semblables à des pyramides. Il est fermé de tous les côtés par le lac ou par des rochers, par des bâtiments ou par des haies vives ; aucune grande route ne le traverse, il n'y a que des chemins à l'usage des piétons.

Jésus parcourut avec ses compagnons une partie de cette contrée jusque vers la vallée du lac des bains ou de la fontaine de Capharnaüm, comme on l'appelle ; là ils traversèrent la vallée dans la direction du sud-ouest et arrivèrent à Cana, qui est située dans la vallée même entre deux hauteurs. On y a vue sur Cydessa, sur Magdalum et sur les montagnes au delà du lac. C'est un très joli endroit, propre, riant, et habité par des gens aisés ; il y passe une route de commerce. Les saintes femmes, Israël, père de la fiancée, et d'autres membres de la famille allèrent à sa rencontre à quelque distance. C'était le soir. Après qu'on lui eut lavé les pieds et souhaité la bienvenue, on alla prendre le repas qui était tout préparé. La mère de la fiancée est morte depuis le mariage de sa fille. Je crois que Philippe a ici une tante. Il y avait là beaucoup d'amis de Jésus et de gens alliés à sa famille, ainsi que plusieurs personnes de l'endroit, et d'autres de Séphoris et de la vallée de Zabulon.

25 juin. — Beaucoup de parents et d'amis de Jésus s'étaient réunis ici. Ils je visitèrent et le pressèrent, comme ils l'avaient déjà fait, de ne plus paraître en public à cause des dangers dont il était menacé ; les esprits étaient trop agités, disaient-ils, et l'irritation des Pharisiens contre lui ne pouvait manquer d'aller toujours croissant. Jésus répondit comme à l'ordinaire, et il les invita à entendre l'instruction qu'il devait donner à Cana sur la colline destinée à la prédication. Il visita encore dans la ville quelques amis et un certain nombre de gens de bien ; il guérit aussi des malades et bénit aussi les enfants que les parents et leurs maîtres amenaient en troupes sur son passage.

Il y avait dans l'enceinte de Cana une éminence autour de laquelle le père de la fiancée avait planté un vignoble ; au sommet se trouvait une belle chaire, et Jésus enseigna en présence de tous ses parents et ses alliés, des saintes femmes, des disciples, et de beaucoup de personnes de Cana qui lui étaient affectionnées ; il y avait, du reste, peu d'ennemis. Il parla de sa mission qui touchait à son terme, dit qu'il n'était pas venu pour mener une vie commode et agréable, et qu'il était insensé de demander autre chose de lui que l'accomplissement de la volonté de son Père. Il indiqua, plus clairement que jamais, que Celui qu'on attendait depuis si longtemps était là devant eux ; mais il ne devait être reconnu que d'un petit nombre, et retournerait à son Père quand sa tâche serait finie. Il adressa à ses auditeurs une allocution très pathétique, entremêlée de menaces et de prières, pour les exhorter à ne pas repousser le salut et à ne pas laisser passer le moment de la grâce. Il insista de nouveau sur l'accomplissement des prophéties ; et son langage fut si admirable et si saisissant que les auditeurs se disaient les uns aux autres: "C'est plus qu'un prophète; jamais personne n'a ainsi parlé dans Israël !"

Après cela, Jésus, longeant le Thabor avec les apôtres et quelques disciples, alla à une lieue et demie ou deux lieues au sud-ouest, dans un endroit où les apôtres Thomas, Jean et Barthélémy, qui revenaient de leurs voyages, vinrent à sa rencontre avec des parents de Zacharie, un neveu de Joseph d'Arimathie et quelques disciples. Ils avaient avec eux cinq pauvres mineurs des environs de Chytrus, dans l'île de Chypre ; ils les avaient amenés pour qu'ils accompagnassent les saintes femmes qui s'en retournaient le lendemain, et leur servissent de messagers. Ces pauvres gens voulaient aussi faire connaître leur situation et se recommander à la charité de la communauté. Ils apportaient des nouvelles des autres et étaient chargés de leurs commissions. La rencontre fut touchante ; Jean surtout se montra très ému. Barthélémy avait été ces derniers jours dans la Pérée. Thomas venait de Joppé, Jean venait d'Hébron.

Les Chypriotes s'établissent au midi de Gaza, à l'ouest d'Hébron, à peu de distance du puits de Samson, dans une contrée qui n'a pas encore été mise en culture. Ils habitent provisoirement dans des grottes. Il y en a déjà deux cents qui sont en route pour se rendre là, et ils seront suivis par trois cents autres. A l'époque de la première communauté chrétienne, sous l'administration des diacres, je vis beaucoup de gens aller se joindre à eux. Il se forma là peu à peu un bourg dont les ruines au moins doivent subsister. Ce fut plus tard une ville appelée Eleuthéropolis. qui eut des évêques de bonne heure, et dont on a oublié les fondateurs.

Jésus revint avec les disciples à Cana, ou arrivèrent aussi tous les disciples qui étaient restés à Capharnaüm ; en sorte que tous les apôtres, les soixante-dix disciples envoyés en mission et beaucoup d'autres, plusieurs personnes alliées à la famille de Jésus, et les saintes femmes, se trouvaient réunis ensemble. On prépara un grand repas dans la maison d'Israël, le père de la fiancée de Cana, et dans la cour de cette maison. On distribua aussi des aliments et des présents aux pauvres de l'endroit et à ceux qui vinrent d'ailleurs. Jésus et plusieurs apôtres servirent les pauvres. A la fin, Jésus, qui avait enseigné pendant le repas, raconta encore la parabole des vierges sages et des vierges folles, l'expliqua à ses auditeurs, et parla beaucoup de la venue prochaine de l'époux. Ce fut comme une fête commémorative des noces de Cana, parce que, comme alors, il y avait une nombreuse réunion d'apôtres, de disciples et d'amis de Jésus. La maison était décorée de guirlandes de fleurs, on but dans les urnes qui avaient figuré au miracle des noces ; des enfants firent de la musique, portant des Couronnes et des pyramides de fleurs. Barthélémy, Nathanaël Khased et d'autres disciples avaient composé de belles sentences sur le mariage spirituel.

26 juin. — Ce matin, la sainte Vierge revint à Capharnaüm avec quelques compagnes. Les autres saintes femmes firent route pour Naïm, d'où elles devaient se rendre à Jérusalem. Leurs servantes et les hommes de l'île de Chypre qui étaient venus la veille les accompagnèrent. Les parents et amis de Jésus retournèrent chez eux.

Quant à Jésus, il sortit ce matin de Cana avec les apôtres et tous les disciples qui avaient été envoyés en mission, et se dirigea vers la montagne voisine de la ville de Gabara, où Madeleine avait pour la première fois répandu sur sa tête un onguent parfumé (tome III, page 146). Ils marchaient en groupes, à pas lents, et s'arrêtaient souvent autour de Jésus pour s'entretenir avec lui. Jésus était très affectueux, et il s'adressait souvent à eux en les appelant " mes chers enfants ". Il leur ordonna de raconter tout ce qui leur était arrivé. Les apôtres prirent la parole les premiers. Jésus leur avait déjà fait raconter quelque chose pendant ces derniers jours, mais non pas complètement ; cette fois, tous devaient entendre ce que tous avaient fait et ce qui était arrivé à tous. Il leur dit avec une douceur merveilleuse : " Mes chers petits enfants, on verra maintenant qui de vous m'a aimé, et en moi mon Père céleste, qui de vous a propagé la parole du salut et opéré des guérisons pour l'amour de moi, non dans son propre intérêt et par un motif de vaine gloire " ; et d'autres choses semblables. Alors chacun prit la parole à son tour ; les apôtres racontèrent successivement ce qu'ils avaient fait, et après eux, les disciples qui leur avaient été adjoints. Cela se fit principalement sur une colline qui est à environ deux lieues de la montagne dont il a été parlé, et à peu près à la même distance de Cana. On vient souvent s'y promener parce qu'on y jouit d'une vue très étendue ce qui ne se rencontre guère ailleurs dans le voisinage.

Pierre raconta avec beaucoup de chaleur la rencontre qu'il avait faite de possédés de diverses catégories, comment il s'y était pris avec eux et comment il avait chassé tous les esprits au nom de Jésus. Il s'étendit complaisamment sur ce sujet, car, dans son enthousiasme, il avait déjà oublié la leçon qu'il avait reçue l'avant-veille sur la barque. Il s'animait en pareil cas et se laissait emporter à son ardeur naturelle. Il raconta encore que, dans le pays des Gergeséniens, il avait rencontré deux possédés que n'avaient pu guérir d'autres disciples qu'il nomma, notamment les deux jeunes disciples de Gergesa qui avaient été possédés eux-mêmes. Pour lui, il avait sur-le-champ chassé d'eux les démons qui lui avaient obéi. Alors Jésus lui fit signe de se taire, leva les yeux au ciel, et, tous gardant le silence, il dit : " Je voyais Satan tomber du ciel comme un éclair ". Lorsqu'il prononça ces paroles, les yeux levés au ciel, je vis comme un sombre trait de feu sillonner l'air en serpentant. Ensuite Jésus reprocha à Pierre son excès d'ardeur, et dit aussi à tous ceux qui se glorifiaient dans leurs paroles ou intérieurement, qu'ils devaient agir et opérer en son nom et par lui seul, en esprit d'humilité fondée sur la foi, et pas s'imaginer que l'un eût plus de pouvoir que l'autre. Il dit aussi : " Voici que je vous ai donné le pouvoir de fouler aux pieds les scorpions et les serpents et toute la puissance de l'ennemi, et rien ne pourra vous nuire. Mais ne vous réjouissez pas de ce que les esprits vous obéissent ; réjouissez-vous de ce que vos noms sont écrits dans le ciel ".... Il leur dit plusieurs autres choses, toujours du ton le plus affectueux et en les appelant " mes chers enfants " ; et il en écouta encore un grand nombre. Thomas et Nathanaël furent repris pour un manquement ; mais tout cela se fit de la manière la plus charitable et la plus affectueuse.

Lorsque Jésus fut au haut de la colline, il y eut un moment où sa physionomie prit une expression très grave, quoiqu'avec un mélange de joie, et où il leva les mains au ciel. Je vis alors de la lumière autour de lui : " c'était comme une nuée lumineuse qui descendait sur lui. Il fut ravi en extase et transporté de joie, et il fit cette prière : Je vous glorifie, mon Père, seigneur du ciel et de la terre, parce que vous avez caché ces choses aux sages et aux habiles, et que vous les avez révélées aux petits. Oui, mon Père, tel a été votre bon plaisir. Tout m'a été donné par mon Père ; et personne ne sait qui est le Fils, sinon le Père, et personne ne sait qui est le Père, sinon le Fils et ceux à qui le Fils veut le révéler ". Jésus dit encore aux disciples : " Heureux les yeux qui voient ce que vous voyez ! car, je vous le dis, bien des prophètes et des rois ont désiré voir ce que vous voyez, et ne l'ont pas vu; entendre ce que vous entendez, et ne l'ont pas entendu ".

Tout en faisant ces récits, et d'autres encore qui donnèrent lieu à d'autres avertissements, ils arrivèrent près de la montagne de Gabara, au pied de laquelle ils prirent un petit repas consistant en poisson, en pain, en miel et en fruits qu'on avait apportés là de Cana. Ensuite Jésus monta avec eux sur la montagne et leur donna des instructions étendues à propos de tout ce qu'ils avaient raconté. Il leur donna des avis sur beaucoup de choses qu'ils ignoraient et leur fit voir en quoi ils avaient hésité et faibli. Il leur parla aussi des diverses espèces de possédés, et leur dit comment ils devaient chasser les démons. Il parla des épreuves par lesquelles ils avaient encore à passer, de sa mission dont le terme était proche, etc. Il leur dit qu'il ne tarderait pas à les renvoyer chez eux pour prendre quelque repos, leur indiqua comment même alors ils auraient à agir, à enseigner et à propager le royaume de Dieu. Il les remercia aussi de leur diligence et de leur obéissance, et il alla avec eux à Capharnaüm, où ils n'arrivèrent qu'à la nuit. Ils célébreront encore le sabbat ensemble ; et je crois qu'ensuite Jésus fera encore une grande instruction, sur la montagne des Béatitudes. Sur la montagne de Gabara. Il y avait outre les disciples, beaucoup d'autres auditeurs.

27 juin. — Ce matin, Jésus était dans la maison de sa mère, et il congédia un certain nombre de disciples qui se mirent en route pour arriver chez eux, ou du moins près de chez eux, avant le sabbat ; cependant la plupart restèrent. Il fera prochainement un grand sermon sur la montagne, et achèvera ce qu'il a à dire des huit béatitudes ; ce sera peut-être jeudi. Jésus, en l'annonçant, ne désigna pas ce jour par son nom ; je crois qu'il se servit d'une mesure du temps par heures, mais je vis que cela répondait à peu près à jeudi.

Ce matin, les femmes de Pierre, d'André et de Matthieu, ainsi que les personnes de leur famille, les parents de Jean et de Jacques, d'autres femmes et d'autres amis se trouvaient chez Marie. Jésus s'entretint avec eux, leur donna des enseignements et des consolations. J'ai oublié les détails. Il mangea avec sa mère, et dans l'après-midi il alla, avec les apôtres et les disciples qui étaient restés, à l'école de Capharnaüm, où il les instruisit et les prépara jusqu'au sabbat.

Il alla avec tous les siens à la synagogue pour le sabbat, et il enseigna sur Coré et Abiron et sur l'abdication que fit Samuel de ses fonctions de juge (Numer., XVI-XIX. I Reg., XI, 14 ; XII, 23). Il commenta la lecture du jour dans un langage énergique et sévère, et il excita d'autant plus la colère des Pharisiens qui l'observaient, qu'ils se sentirent atteints par toutes ses paroles. Toutefois, ils ne purent lui imputer aucune fausse doctrine ; seulement, à l'aide de l'espionnage organisé contre ses disciples pendant leurs courses, ils avaient recueilli quelques griefs insignifiants qu'ils mirent en avant contre lui. Ils dirent que ses disciples n'observaient pas exactement les jeûnes, qu'ils arrachaient des épis même le jour du sabbat, qu'ils cueillaient et mangeaient des fruits sur leur chemin, qu'ils avaient des vêtements grossiers et malpropres, qu'en divers endroits ils étaient entrés à la synagogue avec leurs habits salis par le voyage et sans avoir détaché leurs robes ainsi que l'exigeaient les convenances, que souvent ils mangeaient sans s'être lavé les mains, et d'autres imputations du même genre. Jésus répondit avec beaucoup de vivacité ; il gourmanda très sévèrement les Pharisiens et dépeignit toute leur conduite et toutes leurs intrigues. Il les appela race de vipères, comme il l'avait déjà fait précédemment, et leur reprocha de mettre sur les épaules des autres des fardeaux qu'eux-mêmes ne portaient point.

Il parla des promenades qu'ils faisaient de côté et d'autre le jour du sabbat, de leur dureté envers les pauvres, de leurs vexations au sujet des dîmes et de leur hypocrisie ; il dit aussi qu'ils voyaient la paille dans l'oeil d'autrui, et non la poutre dans le leur. Enfin il déclara qu'il continuerait à parcourir le pays, à enseigner et à guérir jusqu'à ce que son heure fût venue.

Pendant cette longue et sévère mercuriale, un jeune homme qui se trouvait parmi les Pharisiens, leva les mains au ciel et sortit de la foule en s'écriant : " C'est vraiment le Fils de Dieu, le saint d'Israël ! c'est plus qu'un prophète " ! et se répandit en éloges enthousiastes de Jésus. Deux vieux Pharisiens pleins de fiel le saisirent alors par les bras et l'entraînèrent hors de la synagogue pendant qu'il continuait à célébrer les louanges de Jésus. Mais Jésus continua son énergique allocution, et cet homme protesta hautement devant tout le peuple qu'il se séparait des Pharisiens.

Quand le sabbat fut fini et que Jésus sortit avec les siens, cet homme se jeta à ses pieds devant la synagogue et le supplia de l'admettre parmi ses disciples. Jésus lui dit qu'il y consentait s'il voulait quitter son père et sa mère, donner tous ses biens aux pauvres, prendre sa croix et le suivre ; il ajouta quelques graves paroles sur les pénibles conditions exigées pour marcher à sa suite, puis il le recommanda à quelques disciples, dont était Mnason, lesquels le prirent avec eux. Jésus alla ensuite chez sa mère.

La ville à laquelle donna naissance l'établissement des Chypriotes en Judée reçut plus tard le nom d'Éleutheropolis. J'ai vu beaucoup de choses qui la concernent : je ne me souviens que de ce qui suit. Elle est à plusieurs lieues de Jérusalem, à une lieue environ de Geth, ville des Philistins. Jadis Samson tua dans cet endroit un grand nombre de Philistins ; la fontaine de la mâchoire d'âne n'en est pas éloignée, mais elle est plus près de la mer. Les habitants d'Eleutheropolis avaient dans leur ville une fontaine qu'ils croyaient- être celle-là : toutefois ce n'était pas la source elle-même, c'en était une dérivation. Il y a là de nombreuses grottes dans lesquelles les émigrants se sont établis à leur arrivée. Plus tard il se forma là une colonie considérable ; mais les Juifs la détruisirent plusieurs fois après la mort du Christ. Cela eut lieu entre autres lors de la persécution qui suivit la mort d'Etienne et dans laquelle périt aussi Mercuria. Alors aussi l'établissement entre Ophel et Béthanie fut détruit. Les chrétiens établis ici allaient souvent à Jérusalem porter leurs offrandes et leurs contributions au cénacle ou à l'église voisine de la piscine de Bethesda : ce cénacle et le bourg qui était près d'Ophel furent détruits et alors beaucoup d'autres convertis allèrent à Eleutheropolis. Quand on avait dispersé la colonie, les habitants se réunissaient de nouveau bientôt après et ils se multiplièrent beaucoup.

José Barsabas, le fils de Marie de Cléophas et de Sabas, son second mari, fut consacré à Antioche comme premier évêque d'Éleutheropolis. Il avait un troupeau fort dispersé et il fut crucifié à un arbre dans une persécution. Plus tard je vis toutes les grottes et les passages qui les unissaient, recouverts par la ville qui se trouvait ainsi bâtie sur des souterrains : je vis pendant une persécution toute la partie supérieure dévastée et une grande partie du peuple se cacher dans les souterrains avec son évêque puis en sortir plus tard et rebâtir ses maisons. La paix vint ensuite ; la colonie devint très prospère et une belle ville s'éleva. J'ai vu tout cela en détail, puis je l'ai oublié.

28 juin. — Ce matin Jésus accompagné des apôtres et de quelques disciples est allé a Bethsaïde dans la maison des lépreux, située au nord de la ville ; il n'y a pas guéri, mais seulement enseigné. Parmi ses auditeurs se trouvaient aussi les mariniers et les ouvriers des environs. Jésus se tenait dans l'avant-cour de l'hospice : les malades impurs étaient séparés par un fossé, les apôtres, les disciples et d'autres auditeurs se tenaient derrière Jésus sur une ligne que l'on ne devait pas dépasser sous peine de contracter une impureté légale. Il enseigna ici sur la lecture du sabbat, laquelle traitait de la punition de Coré et de l'abdication de Samuel ; puis il donna encore des instructions générales sur la pénitence, la conversion, la miséricorde, la foi et l'approche du royaume de Dieu : il expliqua aussi des paraboles.

Dans l'après-midi, je vis Jésus avec les apôtres et les disciples aller à la synagogue de Capharnaüm, et comme plusieurs malades s'étaient fait porter à l'entrée, dans l'espoir qu'il y viendrait, il leur dit de l'attendre le lendemain dans la maison que Pierre possède en avant de ville. Ce n'était pas encore le moment de la clôture du sabbat et Jésus n'alla à la synagogue avec ses disciples qu'afin que tout le monde put entendre ce qu'il enseignait aux siens et pour montrer qu'il ne craignait rien et ne cherchait pas les lieux retirés pour y enseigner. Il leur répéta différentes choses qu'il leur avait déjà dites en particulier. Je me souviens que dans cette instruction il les mit en garde contre les Pharisiens et les faux prophètes, qu'il leur recommanda la vigilance et leur raconta et leur expliqua la parabole du serviteur vigilant et du serviteur paresseux. Pierre lui demanda s'il disait cela pour les disciples seuls ou pour tout le monde. Alors Jésus parla à Pierre, comme si Pierre eût été l'intendant, le surveillant des autres serviteurs et il dit plusieurs choses à la louange d'un bon intendant. Mais ensuite il parla en ternies très sévères de l'intendant qui ne remplissait pas son devoir. Il est question de cela dans l'Évangile : toutefois tout n'y est pas, à beaucoup près, mais seulement le résumé. Ce qu'il dit alors se retrouve principalement dans saint Luc (XVI, 35-59).

Jésus enseigna jusqu'au moment où les Pharisiens vinrent pour faire la clôture du sabbat : comme il voulait leur céder la place, ils se montrèrent fort polis et dirent : " Maître, expliquez la leçon ". Puis ils le conduisirent à la chaire et placèrent les livres devant lui. Jésus fit entre autres choses une instruction merveilleusement belle sur Samuel lorsqu'il abdiqua sa dignité de juge devant le peuple et le nouveau roi Saul, et il commenta le discours du prophète d'une façon toute nouvelle qui scandalisa beaucoup les Pharisiens, car il expliqua les paroles de Samuel comme si c'eussent été les paroles de Dieu le Père et de son Fils envoyé par lui, en sorte qu'on pouvait avoir le sentiment qu'il s'appliquait à lui-même ces mots : " Je suis devenu vieux et mes cheveux ont blanchi ". (1 Reg. XII, 2-3). Outre son explication que j'ai oubliée, il me fut encore expliqué intérieurement pourquoi Dieu le Père est représenté sous la forme d'un vieillard. Mais il se mêle à tout cela des pensées qui viennent de moi. Il se trouve dans ce texte quelque chose qui équivaut à ceci : " vous m'avez depuis longtemps, vous êtes las de moi, vous vous renouvelez sans cesse et moi je suis toujours là devant vous ". Ce qui était dit de la conduite blâmable des fils de Samuel fut appliqué par lui aux pratiques iniques des docteurs et des Pharisiens. Ensuite il répéta les interrogations de Samuel aux Israélites : " Vous ai-je fait tort en ceci ou en cela " ? comme les interrogations de Dieu et de son envoyé, comme les interrogations adressées au peuple par le Messie, et son discours signala très clairement ces Pharisiens et ces docteurs qui n'osaient pas interroger le peuple en termes comme ceux-ci : " Vous ai-je opprimé ? ai-je pris votre bétail ? vous ai-je extorqué des présents " ?, ce que les Pharisiens ressentirent vivement. Quant à ce qui était dit des Israélites réclamant un roi qui les gouvernât comme les païens et ne voulant plus de leur juge, Jésus l'appliqua à leur attente erronée d'un royaume temporel, d'un roi et d'un Messie environné de toutes les pompes de la terre, sous lequel ils pourraient vivre dans le luxe et dans les plaisirs, et qui, au lieu d'effacer tous leurs péchés et leurs abominations par la fatigue, la souffrance, la pénitence et l'expiation, les envelopperait tout chargés de souillures et de crimes dans son riche manteau royal et les récompenserait pour leurs péchés. Il est dit encore que Samuel ne cessa pas de prier pour le peuple et que sa prière fit gronder le tonnerre et tomber la pluie du ciel. Jésus expliqua cela comme un effet de la miséricorde de Dieu envers les bons, et dit que son envoyé, quoiqu'ils ne dussent pas l'accueillir, mais le chasser, implorerait aussi son Père pour eux jusqu'à la fin. La pluie et le tonnerre obtenus par la prière du prophète figuraient les signes et les prodiges qui devaient accompagner l'envoyé de Dieu afin que les bons se réveillassent et se convertissent. Samuel as ait dit encore que leur roi et eux trouveraient grâce devant Dieu qui ne les repousserait pas, s'ils marchaient en sa présence : Jésus expliqua ces paroles en disant que les justes obtiendraient justice et recevraient les grâces et les lumières qui leur seraient nécessaires, mais que les mauvais seraient comme Saul sévèrement jugés. Enfin Jésus termina en parlant de David et de son onction comme roi opposé à Saul, de la séparation des bons d'avec les mauvais, et de la ruine de Saul et des siens.

Les Pharisiens ne le contredirent pas dans la synagogue, parce qu'ils ne manquaient pas en pareil cas d'être réfutés et confondus devant le peuple ; mais ils s'étaient réservés pour plus tard, lorsque Jésus viendrait à un repas auquel ils l'avaient invité avec les apôtres et une partie des disciples, dans la maison des docteurs de la synagogue. Ce repas eut lieu dans une salle ouverte près de laquelle était un jardin avec des berceaux de verdure. Il y avait bien là vingt Pharisiens. Avant qu'on commençât à manger, un vieux fourbe plein d'insolence présenta devant tout le monde à Jésus un grand bassin rempli d'eau et lui demanda s'il ne voulait pas se laver, vantant très haut les anciennes coutumes et les saint préceptes des Israélites. Mais Jésus le repoussa en lui disant qu'il connaissait sa malice et ne voulait pas de son eau : après quoi il réprimanda sévèrement leur hypocrisie et leur fourberie.

Dès qu'ils furent à table, ils se mirent à disputer contre Jésus à propos de l'instruction qu'il avait faite sur l'abdication de Samuel. Ils dirent qu'ils n'avaient pas eu le temps de lui répondre à la synagogue et ils contestèrent vivement tout ce qu'il avait dit ; mais Jésus les réfuta et les confondit d'une manière qui redoubla leur rage. Toutefois plusieurs d'entre eux furent si ébranlés et même si touchés que pendant le colloque qu'ils avaient soulevé et auquel ils prenaient part par intervalles, plus d'une douzaine se retirèrent, en sorte que les ennemis de Jésus se trouvèrent réduits au nombre de six ou sept des plus endurcis.

Cependant, comme Jésus se promenait dans la salle, un de ces jeunes gens de Nazareth qui l'avaient si souvent importuné pour qu'il les prît à sa suite, l'aborda et lui dit : " Seigneur, que dois-je faire pour obtenir la vie éternelle " ? Alors eut lieu toute la scène rapportée dans l'Évangile (Luc, X, 26, 37) et le récit de la parabole du bon Samaritain. Mais ceux des Pharisiens qui étaient restés accusèrent Jésus de ne vouloir pas admettre cet homme parmi ses disciples parce qu'il avait quelque instruction et qu'il ne se laissait pas fermer la bouche comme ceux-ci. Ils accusèrent encore les disciples d'irrégularité, de malpropreté, de grossièreté, leur reprochèrent d'arracher des épis le jour du sabbat, de cueillir des fruits sur les chemins, de manger en temps prohibé par les coutumes, et beaucoup de choses semblables. Ils s'en prirent surtout à Pierre qui était, disaient-ils, un disputeur et un querelleur comme son père.

Jésus prit la défense de ses disciples. Il dit qu'ils devaient être dans la joie tant que l'époux était avec eux ; et après avoir encore repris très sévèrement les Pharisiens qui furent transportés de fureur, il se retira avec les siens. Il se dirigea d'abord vers la maison de Jaïre par les fossés disposés en jardins qui étaient près de la synagogue, puis, traversant le chemin public, il alla du côté de Bethsaide et pria dans la solitude jusqu'à minuit ; après quoi il se rendit chez sa mère. Les Pharisiens avaient aposté des gens de la populace, qui s'attroupèrent et poursuivirent les disciples en leur jetant des pierres ; mais Dieu les protégea. Ils ne savaient pas où Jésus était allé.

29 juin. — Ce matin de très bonne heure, Jésus sortit de la maison de sa mère, et, coupant le chemin de Capharnaüm à Bethsaïde, s'avança au nord dans la contrée déserte qui se trouve Près de là. Il avait avec lui quelques disciples des plus nouveaux et qui n'étaient pas encore bien instruits. Ils allèrent vers cette montagne d'où Jésus avait envoyé les apôtres en mission le 15 décembre de l'année précédente (tome III, page 273). Il y a environ trois lieues de Capharnaüm jusque-là : sur le chemin qui y mène on rencontre des collines, des solitudes, et du côté du Jourdain, des prairies où vont paître ordinairement les ânes et les chameaux des caravanes.

Jésus trouva sur sa route Mnason et quelques autres disciples qui s'étaient cachés dans les environs avec le Pharisien converti le vendredi soir. Il était de Thanach, près de Naim, et il avait été déjà touché par la guérison du Pharisien qui avait eu lieu dans cette ville : il avait aussi entendu le dernier sermon prêché sur la montagne de Gabara et il en avait été fortement remue. J'ai une idée confuse que c'est aussi sur ce chemin que s'est présenté à Jésus le jeune homme qui le pria de partager l'héritage entre lui et son frère (Luc, XIII, 13, 14) ; cependant je n'en suis pas bien sûre.

Autour de la montagne de la mission des apôtres se trouvent plusieurs petits endroits. Il y a là un petit emplacement très bien disposé pour la prédication avec un abri et de l'ombre. Lorsqu'on prêche au haut de la montagne, les gens des bourgades situées plus bas apportent des aliments. Au pied de la hauteur, Jésus visita une cabane d'une grande longueur où gisaient une dizaine de pauvres malades du pays, dont les membres étaient tout contractés par la goutte ; il s'arrêta près d'eux, les guérit et les enseigna.

Ils s'arrêtèrent ensuite dans un lieu sauvage et solitaire ; Jésus pria avec les disciples, qui se divisèrent en plusieurs groupes. Ils lui demandèrent de vouloir bien leur apprendre à prier. Alors il monta avec eux sur la montagne où se joignit à eux une trentaine de bonnes gens des environs. Il leur enseigna à réciter le Pater noster. Il expliqua successivement les diverses demandes : il les commenta longuement, et à cette occasion il reproduisit les exemples déjà mentionnés antérieurement : celui de l'homme qui, pendant la nuit, frappe à la porte de son ami pour avoir du pain et qui ne cesse pas de frapper qu'il n'ait obtenu ce qu'il demande ; celui de l'enfant qui demande un oeuf à son père, lequel ne lui donnera pas un scorpion. Il répéta de même tout ce qu'il avait dit antérieurement de la prière persévérante et des rapports tout paternels de Dieu avec l'homme ; car il donnait les mêmes enseignements à tous ses disciples. Il les répétait très souvent sans se lasser et avec une patience touchante, afin que partout ils pussent enseigner exactement les mêmes choses.

Jésus passa cette nuit en prières sur la montagne avec ses disciples.

Les enseignements donnés par Jésus à plusieurs reprises se trouvent réunis ensemble dans les Évangiles, et souvent la circonstance à l'occasion de laquelle il avait enseigné pour la première fois tel point de doctrine s'y trouve relatée à propos d'un autre enseignement donné sur le même sujet, sans qu'il soit fait mention du premier. Parfois aussi des instructions que Jésus a faites en d'autres temps et en différents lieux, comme, par exemple, divers discours tenus contre les Pharisiens pendant des repas et les incidents auxquels ils ont donné lieu, sont rapportés à propos d'un seul et même repas, dans certains cas où dans la réalité il y avait eu deux repas se succédant à peu d'intervalles. D'ailleurs les discours capitaux prononcés dans des occasions de ce genre se reproduisent souvent, aussi bien que les objections des Pharisiens qui étaient toujours les mêmes ; car Jésus, ainsi que l'Église le fait encore dans ses catéchismes, répétait le plus souvent les mêmes paroles et donnait des enseignements identiques quand les circonstances étaient les mêmes, afin de bien les graver dans la mémoire de ses disciples, qui étaient des hommes simples : il ne changeait rien à ce qu'il avait dit une fois, comme le fait toujours la vérité.

Ces discours souvent répétés sont mentionnés une fois pour toutes dans l'Évangile, qui n'est qu'un abrégé très court. Il en est de même des miracles qui se sont fréquemment reproduits. C'est pourquoi il est souvent impossible de retrouver complètement, dans ce que je vois et j'entends, tel ou tel récit de l'Évangile. Les faits mentionnés simultanément sont souvent séparés dans la réalité par de grands intervalles de temps et de lieu Saint Luc, qui ne fit que mettre par écrit ce qu'il avait entendu raconter, est celui des Évangélistes dont la narration est la moins suivie (quant à l'ordre dans lequel les faits se sont succédés). Le récit de saint Jean est plus suivi, toutefois il y a de nombreuses lacunes. On lit quelquefois dans l'Évangile : " Et pendant que ceci se passait, il arriva cela " : ce qui ne veut pas toujours dire : " cela vint après " mais seulement a à cette époque, vers cette époque, etc ".

30 juin. — Ce matin, Jésus termina son instruction sur la prière. Il la fit absolument comme on fait lorsqu'on enseigne le catéchisme à des enfants. Aujourd'hui, il les interrogea tous, l'un après l'autre, sur les explications données la veille, les redressa, répéta ce qu'il avait dit, et éclaircit ce qu'ils n'avaient pas bien compris. A la fin il répéta la prière d'un bout à l'autre, et expliqua le mot amen, ainsi qu'il l'avait fait une fois dans l'île de Chypre, comme le mot qui renferme tout, le commencement et la fin Il y avait autour de lui une cinquantaine d'auditeurs, qui n'étaient pas tous des disciples.

Il était venu aussi deux Pharisiens de Bethsaïde-Juliade, qui entendirent une partie de son instruction. L'un d'eux l'invita à un repas dans sa maison de Bethsaïde-Juliade, et Jésus accepta l'invitation.

Lorsqu'il alla avec ses disciples à Bethsaïde-Juliade, il .se dirigea d'abord au midi du pont du Jourdain, et, et rapprochant un peu de l'autre Bethsaïde, qui est en deçà, il arriva à une hôtellerie où l'attendaient sa mère, la veuve de Naïm, cette Léa qui s'était écriée : " Heureuses les entrailles qui vous ont porté ", et d'autres femmes, car il n'y avait que les femmes de Jérusalem qui fussent parties de Cana pour s'en retourner. Comme il voulait passer le Jourdain, aller dans le pays qui est de l'autre coté du fleuve et y enseigner, elles étaient venues pour prendre congé de lui.

Marie était fort triste. J'ai rarement vu Jésus la consoler aussi tendrement. Elle était seule avec lui dans une chambre ; elle pleurait beaucoup, tourmentée qu'elle était par toute sorte de tristes pressentiments, et le suppliait de ne pas aller à Jérusalem pour la fête de la dédicace du Temple. Elle lui fit cette prière avec tant d'humilité et de tendresse, que je compris qu'elle pressentait obscurément la nécessité où était son Fils d'accomplir sa sainte destinée, plutôt qu'elle n'en avait la connaissance positive. Jésus la pressa sur son coeur ; il la consola avec beaucoup de douceur et d'affection. Il lui dit qu'il devait achever la mission que lui avait donnée son Père, et en vertu de laquelle elle était devenue sa mère. Elle devait prendre courage et continuer à fortifier et à édifier les autres, etc. Il salua ensuite les autres femmes et leur donna sa bénédiction, après quoi elles revinrent à Capharnaüm.

Jésus se rendit avec les disciples à Bethsaïde-Juliade, où les Pharisiens le reçurent et le traitèrent avec beaucoup de déférence. Outre les Pharisiens de l'endroit, il en était venu aussi quelques-uns de Panéas, car il y avait une espèce de fête en mémoire d'un mauvais livre des Sadducéens qui avait été brûlé autrefois. Ici aussi les anciens reproches furent reproduits. Jésus voulut se mettre à table sur-le-champ ; mais un des Pharisiens le prit par le bras, et lui dit qu'il ne pouvait s'empêcher d'être surpris qu'un homme qui enseignait si admirablement observât si peu les saintes coutumes et négligeât de faire ses ablutions avant de manger. Jésus lui répondit que les Pharisiens nettoyaient le dehors du plat et de la coupe, mais qu'intérieurement ils étaient pleins de malice. Sur quoi le Pharisien lui demanda comment il pouvait savoir ce qu'il était intérieurement. Jésus répliqua que celui qui avait fait l'extérieur avait aussi fait l'intérieur, que Dieu voyait aussi l'intérieur, etc. On reproduisit ici les mêmes griefs qui avaient été présentés trois jours auparavant à Capharnaüm. Les disciples prirent Jésus à part, et le prièrent de ne pas être trop vif, sans quoi ils couraient risque d'être chassés. Mais il leur reprocha leur lâcheté. Les choses se passèrent paisiblement jusqu'à la fin du repas. Ce ne fut pas ici que se présenta le docteur de la loi, mais à Capharnaüm. Ces deux repas n'en font qu'un dans l'Évangile.

Le soir, Jésus enseigna encore dans la synagogue Il n'opéra pas de guérisons, car les Pharisiens avaient intimidé les gens de l'endroit ; ils étaient arrogants, et ils avaient ici une espèce d'école supérieure. Il logea dans une hôtellerie. Il s'en fallait beaucoup que tous les disciples fussent ici : parmi les apôtres, il manquait par exemple Pierre, André et Jacques le Majeur ; les autres étaient présents. Mais, demain, tous seront réunis pour assister au sermon qui sera prêché sur la montagne.

1er juillet. — Ce matin, Jésus est allé à une lieue et demie au nord-est de Juliade, sur la montagne de la multiplication des pains, où s'étaient rassemblés tous les apôtres et les disciples avec environ deux cents personnes de Capharnaüm, de Césarée de Philippe et d'autres endroits des environs. Des Pharisiens voulurent aussi se glisser là ; mais il y avait au bas de la montagne des disciples qui leur dirent que le Maître voulait être seul, qu'il n'enseignait ici que pour les siens ; que s'ils voulaient l'entendre et disputer contre lui, ils pouvaient le faire dans leurs synagogues. Là-dessus ils se retirèrent.

Jésus prêcha sur la huitième béatitude : " S'ils vous haïssent et vous persécutent à cause du Fils de l'homme ". Il traita ensuite plusieurs autres points déjà traités antérieurement en partie, répéta : " Malheur aux riches, qui se rassasient des biens de ce monde ! ils ont déjà reçu leur récompense " ; et dit aux siens que, quant à eux, ils devaient se réjouir de la récompense à venir. Il parla encore du sel de la terre, de la ville placée sur la montagne, de la lumière sur le chandelier, de l'accomplissement de la loi ; puis aussi des bonnes oeuvres opérées en secret, de la prière faite dans la chambre, etc. Il répéta encore d'un bout à l'autre l'oraison dominicale. Je me souviens particulièrement de l'avoir entendu parler du jeune qu'il faut faire avec l'air joyeux, après s'être parfumé la tête, et non en public, comme les hypocrites : or, il doit y avoir prochainement un grand jeûne pour les Juifs. Il parla ensuite des trésors qu'il faut amasser dans le ciel, de l'absence de soucis, de l'impossibilité de servir deux maîtres à la fois, des jugements téméraires, de l'aveugle qui en conduit un autre, de la paille et de la poutre, de la prière, de la nécessité de frapper pour qu'on vous ouvre, du devoir de faire aux autres ce qu'on voudrait qui nous fût fait, de la porte étroite, de la voie large, des faux prophètes, du mauvais arbre et de ses mauvais fruits, de ce que là où est notre trésor, là aussi est notre coeur, de ceux qui disent : " Seigneur, Seigneur " ! de l'homme sage qui bâtit une maison solide, et de l'insensé qui bâtit sur le sable, etc.

Il parla plus de trois heures, et il y eut un moment où les auditeurs descendirent au bas de la montagne pour prendre quelques aliments que les disciples avaient apportés. Ensuite Jésus continua sa prédication ; il donna encore des avis aux apôtres et aux disciples sur tous les points qu'il avait traités précédemment lorsqu'il les avait envoyés en mission, puis il leur rappela comment, en ce même lieu, il avait deux fois nourri le peuple : ils devaient donc croire, avoir confiance et persévérer.

Vers le soir, Jésus fit une lieue un peu au nord-est dans la direction de Gessur, et il alla jusqu'à Argob, endroit situé sur une hauteur d'où l'on voit la montagne des Béatitudes ; il s'arrêta à l'hôtellerie qui est en avant de la ville. Il y est déjà allé le 13 mars (tome IV, page 115).

2 juillet. — Aujourd'hui, Jésus a fait une grande instruction devant plusieurs milliers de personnes, sur la montagne où il a déjà enseigné hier. Il avait seulement passé la nuit dans l'hôtellerie d'Argob, qui est un logis à son usage et à celui de ses disciples. Il était venu, pour l'entendre, des gens de tous le pays, parmi lesquels des malades, des possédés et des voyageurs faisant partie des caravanes qui passaient de ce côté. Il vint aussi des Pharisiens et des ennemis, mais ils ne disputèrent pas contre lui. Les prodiges de Jésus étaient trop éclatants, et le peuple trop plein d'enthousiasme Cependant il y eut dans son discours quelques traits fort vifs contre les Pharisiens. (Ici Anne Catherine raconte quelque chose qui se lit dans saint Luc, XII, 1-59, et dit que tout cela se trouvait dans cette instruction.) Le peuple avait apporté avec lui des aliments, et il s'étendit sur l'herbe pour manger.

Jésus guérit un très grand nombre de malades et chassa des démons. Il rendit aussi la vue à un aveugle qui était de Jéricho. Cet homme avait en outre été boiteux, et un des disciples l'avait guéri de cette infirmité, mais sans lui rendre la vue. Il était parent de Manahem : ce fut celui-ci et le disciple en question qui l'amenèrent à Jésus.

Jésus enseigna aussi les soixante-douze disciples, et il leur dit : " Je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups ". Il dit aussi : " Malheur à Chorozain, à Bethsaïde et à Capharnaum ", et parla de la destruction de Jérusalem. Il n'envoya pas cette fois en mission les mêmes disciples que la fois précédente, mais d'autres plus nouveaux pour la plupart, et il les envoya tous deux par deux, ce qui n'avait pas eu lieu d'abord. Pendant la dernière semaine, il s'est donné une peine incroyable pour les instruire, comme des enfants, par demandes et par réponses.

Un des neveux de Joseph d'Arimathie est venu de Jérusalem, apportant à Jésus la nouvelle que Lazare est malade. Il est tout mélancolique, il n'a plus de plaisir à faire son service au Temple ; il pâlit et maigrit beaucoup.

Le soir, ils sont encore retournés à l'hôtellerie voisine d'Argob et ils y ont passé la nuit. Dernièrement, avant le sabbat, j'avais entendu Jésus annoncer aux disciples, à Capharnaum, qu'il ferait le jeudi suivant cette grande instruction. Je ne puis pas bien redire comment il avait indiqué à quel moment elle aurait lieu ; il ne compta pas par jours, il se servit d'une certaine mesure de temps par heures dans le genre de ces désignations : " à la première, à la seconde veille de la nuit ". Je vois aussi cela représenté par des espèces de chiffres d'une forme particulière.

3 juillet. — Ce matin Jésus a congédié près d'Argob les disciples et les apôtres. Pierre, Jacques, Jean, Matthieu et quelques disciples allèrent avec lui. Ils firent environ cinq lieues jusqu'au bureau de péage de Matthieu où habitent des gens de sa connaissance. Là, Jésus enseigna et consola encore une vingtaine d'amis de Capharnaüm dont il prit congé : c'étaient, entre autres, Jaïre, Zorobabel, le centurion Cornélius, le marchand qui avait tant d'enfants, le père d'Ignace, l'aveugle guéri, ainsi que plusieurs parents et amis des apôtres. Ils prirent là leur repas, après quoi Jésus s'embarqua pour Dalmanutha avec une douzaine de compagnons, dont étaient Pierre, Jacques, Jean et l'aveugle guéri de Jéricho, qui par la se rapprochait de sa demeure d'environ cinq lieues. Jésus enseigna sur la barque.

È

CHAPITRE SIXIÈME

Jésus quitte la Galilée et enseigne dans la Pérée.

Du 4 au 13 juillet .

Jésus va à Edrai - à Bosra - à Nobé - à Selcha - sur la route de David - à Thantia et à Datheman.

4 et 5 juillet. — Jésus a enseigné hier soir près de Dalmanutha ; aujourd'hui, accompagné de Pierre, de Jacques et de Jean, il a fait sept lieues dans la direction de l'est, en remontant une vallée arrosée par un cours d'eau qui se jette dans le Jourdain. Laissant à droite Gadara et Abila, ils sont arrivés à Edrai, une grande ville où habitait autrefois le roi Og, qui y fut battu par Moïse (Num., XXI, 33, 35). Cette ville existait déjà à l'époque d'Abraham : elle est au bord d'une petite rivière. Bétharamphtha-Juliade est située au midi, à peu de distance. Il célébra le sabbat à Edrai ; où habitent beaucoup de païens.

5 juillet. — Edraï est une belle ville : les païens habitent à part des Juifs. Jésus n'y a pas trouvé de contradicteurs et il a opéré un grand nombre de guérisons. Il fit un discours ou il était question de la vache rousse, de la mort d'Aaron et de Marie sa soeur, et du serpent d'airain qu'il présenta comme étant une figure du Messie ; il parla aussi du voeu de Jephté (Numer., XIX, 22, XX ; Jud., XI, 1, 34) et de la punition1 de Coré, de Dathan et d'Abiron. Il y a dans le pays des gens qui proviennent de la même source que ces derniers. Moise a livré une bataille dans les environs d'Edraï ; Josué donna Edraï à la demi tribu de Manassé.

6 juillet.— Jésus, accompagné de Pierre, de Jacques et de Jean, alla d'Edraï à Bosra, qui est encore plus à l'est : sur la routa, il fit en plein air, devant une foule nombreuse, une instruction où il parla spécialement de la mort de Coré, de Dathan et d'Abiron ; car plusieurs descendants de la famille de Caath habitaient ce pays (Num. XVI, 6).il y avait là des gens de toute la contrée, notamment de Betharamptha-Juliade. Il guérit un grand nombre de malades et de possédés et continua sa route jusqu'à Bosra, qui est à environ six lieues à l'est d'Edraï. A moitié chemin, il enseigna et guérit sur une jolie colline Ou il y a des arbres et des clôtures, elle est située à une petite lieue d'une bourgade dont les maisons, disséminées sur une longue étendue, sont habitées en grande partie par cette race de Coré, de Dathan et d'Abiron. Je crois que le nom de cet endroit est quelque chose comme Coré ou Coraé ; oui, c'est bien cela.

Anne Catherine fit alors la description complète du chemin entre Edraï et cet endroit, des crêtes de montagnes et des vallées, mais trop vite et trop confusément pour se faire bien comprendre. Elle raconta aussi, mais toujours d'une manière peu précise, comment et à qui cet endroit avait été assigné par Josué à une époque très ancienne ; mais il était impossible de se bien rendre compte de ce qu'elle disait.

7 juillet. — Bosra est ville de lévites. Un assez grand nombre de païens y habitent à part des Juifs : ils ont plusieurs temples. Pierre y est déjà venu pendant que Jésus était en Chypre, et il a racheté des Juifs qui étaient esclaves des païens. Il y en avait encore beaucoup dans le même cas : Jésus les délivra. Il guérit ici beaucoup de malades et chassa beaucoup de démons. Il guérit entre autres des malades que ses disciples n'avaient pas guéris. Quelques païens furent aussi baptisés en secret : ils se feront circoncire.

A Edraï, comme ici, plusieurs convertis apportèrent au Seigneur en présent de fortes sommes en or, qui furent employées à racheter les captifs et à soulager les pauvres.

Bosra est un lieu d'asile pour les meurtriers : plusieurs pécheurs confessèrent leurs crimes à Jésus. Jésus logea chez les lévites, et le soir il partit pour Nobé, qui est a environ cinq lieues au nord-est et où il arriva fort tard.

8 juillet.— à part la partie païenne de la ville, il n'y a à Nobé, en fait de Juifs, que des Réchabites. Lorsqu'ils revinrent de la captivité de Babylone, ils trouvèrent cet endroit occupé par les païens, le conquirent et s'y établirent. Ils descendent, je crois, de Jethro ; et, plus tard, des prophètes leur donnèrent une certaine organisation. Il y a là un grand édifice très ancien, ressemblant à un grand château fort, autour duquel la plupart habitent. Il ont une aversion incroyable pour les Pharisiens et les Sadducéens qu'ils évitent tant qu'ils le peuvent. Nobé s'étend très loin dans la direction du levant : on y a vue sur l'Arabie, qui doit commencer à une lieue de là tout au plus. Il y passe une route militaire allant de l'Arabie à Damas, à Gessur, à Panéas et aux pays circonvoisins.

Les Réchabites mènent une vie très austère : ils ont de nombreux troupeaux et ne boivent jamais de vin, si ce n'est à certains jours de fête. (Elle donne quelques détails sur les Réchabites, moins étendus toutefois que ceux qu'elle a donnés le 17 septembre de l'année précédente, lorsque Jésus enseigna des gens de cette secte à Ephron, dans le pays de Basan (tome II, page 252.) Ils tiennent fortement à la lettre de la loi : Jésus leur donna des avis à ce sujet et enseigna sur l'esprit et sur la lettre. Ils se montrèrent très humbles et prirent tout en bonne part.

Ici aussi beaucoup de gens furent baptisés et guéris : ou amena à Jésus un grand nombre de possédés qu'il délivra ; il y avait un hôpital plein de possédés. Aucun apôtre n'était encore venu ici. Pierre, Jacques et Jean opérèrent aussi des guérisons et enseignèrent.

Quelques païens vinrent trouver Jésus sur la limite de leur quartier et lui témoignèrent de grands égards. Quelques-uns d'entre eux furent baptisés et guéris. Jésus ne trouva pas ici de contradicteurs et il travailla incroyablement. Il logea dans l'hôtellerie voisine de la synagogue.

Nobé est une ville libre qui fait partie de la Décapole ; elle se gouverne elle-même.

9 juillet. — Jésus est allé à cinq lieues au sud-ouest de Nobé, à deux lieues à l'est de Bosra, et à trois quarts de lieue environ de Selcha, qui est au pied de la chaîne de l'Hermon, dans un charmant village de bergers, qu'on appelle le Camp de la paix de Jacob, parce que c'est l'endroit où ce patriarche, poursuivi par Laban, campa pour la première fois à son retour dans la terre promise. C'est ici que commencent les montagnes de Galaad. (Gen. XXI, 25-26.) Les bergers qui habitent ce lieu descendent Éliézer, ce serviteur d'Abraham qui alla chercher Rébécca pour son fils Isaac. Il y avait aussi parmi eux des descendants de gens que Melchisédech avait délivrés de l'esclavage où Sémiramis les retenait, et établis ici sur la frontière : plus tard ils s'unirent par des mariages avec la postérité Éliézer. Il y a ici trois belles fontaines, elles sont situées au pied d'une agréable colline, tout autour de laquelle sont établies comme dans un rempart couvert de verdure de jolies et fraîches habitations. Les plus âgés et les plus considérables parmi les possesseurs de troupeaux habitent près de cette colline, au haut de laquelle est un emplacement destine à la prédication. De tous cotés on voit s'étendre au loin des pâturages et des enclos remplis de chameaux, d'ânes et de montons. Chaque espèce d'animaux est à part, et il y a des abreuvoirs près des puits. Les bergers habitent sous des tentes dressées sur des fondements solides, à quelque distance des fontaines. La plaine est couverte de longues rangées de mûriers, mais ce qui offre surtout un charmant aspect, c'est un chemin très long bordé de poteaux soutenant une plante grimpante d'une végétation très riche, qui couvre souvent un espace de deux cents pas et qui porte des fruits assez semblables à des courges. Ce chemin va de la colline à Selcha et forme comme un berceau de verdure à perte de vue. Les gens de l'endroit avaient célébré, peu de jours auparavant, une fête commémorative de la délivrance de leurs ancêtres réduits en esclavage par Sémiramis. Ils vont à Selcha pour assister à la synagogue, et c'est de cette ville qu'on vient les instruire. Le village des bergers est en grande estime dans le pays, on le considère comme une fondation en mémoire de Jacob ; on y exerce largement l'hospitalité. Les bergers ont l'obligation d'héberger et de traiter amicalement, moyennant une modique redevance, les caravanes arabes et en général tous les étrangers.

Jésus arriva vers midi avec les trois apôtres. Il s'arrêta devant le village près d'une des trois fontaines. Les plus vieux d'entre les bergers vinrent lui laver les pieds et lui apportèrent des fruits, du miel et du pain. Ils savaient déjà qu'il viendrait, et or' avait amené dans le tour bâtiment qui est adossé à la colline beaucoup de malades que Jésus guérit et enseigna. Quatre cents bergers au moins s'étaient rassemblés là avec leurs femmes et leurs enfants. Les femmes portaient des robes beaucoup plus courtes que celles qu'on porte ailleurs dans la Terre promise. Jésus les enseigna près de la colline, il fut très affable et très cordial avec eux. et il leur remit en mémoire le passage des trois rois qui avaient fait une halte ici trente-deux ans auparavant. Il y avait la beaucoup de gens qui s'en souvenaient. Il parla de l'étoile de Jacob, prophétisée par Balaam, et de l'enfant nouveau-né que ces sages rois étaient allés visiter. Il parla de l'accomplissement des prophéties, de Jean le Précurseur, de son enseignement et de son témoignage et dit que le Messie promis, le consolateur et le Sauveur était présent au milieu des Israélites, mais qu'ils ne le reconnaissaient pas. Il leur raconta des paraboles touchant le bon Pasteur, les semailles et la moisson, car on faisait alors dans ce pays la récolte des fruits et celle du froment, qui a ici de très gros épis. Le Seigneur fut singulièrement affable et affectueux avec eux : en leur Parlant, il les appelait toujours : " mes chers enfants ".

Il vint encore dix disciples envoyés à Jésus par les autres apôtres. Ils arrivèrent deux par deux : c'étaient toujours un ancien (le plus souvent ayant été disciple de Jean) et un nouveau. Les frères de Marie de Cléophas, neveux de la sainte Vierge, Jacob, Sadoch et Éliacim étaient de ce nombre. Ils venaient de la part des apôtres et des disciples détachés pour s'entendre sur le lieu où ils se réuniraient. Le Seigneur logea avec eux dans une maison située au pied de la colline.

10 juillet. — Ce matin, Jésus est encore allé visiter diverses cabanes de bergers, et il a nonne des enseignements et des consolations. Il a raconté ici ce qui est arrive aux bergers de Bethléem, comment ils ont vu l'enfant avant les rois et comment les anges le leur ont annoncé. Les gens de l'endroit ont pris Jésus en grande affection. Beaucoup voulaient tout quitter et le suivre afin de l'entendre toujours, mais il les a exhortés à rester et à observer ses enseignements. Les bergers d'ici portent attaches autour du corps des paquets de laine fine qu'ils filent en gardant leurs troupeaux.

Vers midi des habitants de Selcha. qui est à peu près a une petite lieue au nord, vinrent inviter Jésus à visiter leur ville. Il y alla avec les disciples et fut solennellement reçu devant la porte par les maîtres d'école et leurs élèves. Ceux qui étaient venus le chercher, lui avaient demandé s'il pouvait donner le baptême de Jean, car dans ce pays on a une haute opinion du Précurseur. Jésus les enseigna touchant le témoignage rendu par Jean, etc. Il y eut beaucoup de baptêmes et de guérisons ; les enfants furent bénis. Jésus enseigna dans la synagogue. Des païens vinrent aussi le trouver, implorant ses consolations et son assistance : ils sont ici en rapports assez intimes avec les Juifs et ils ont des temples. La ville est tout en longueur : il y a deux rues.

11 juillet.-- Jésus, accompagné des siens, a quitté Selcha avant midi ; il est allé à une lieue et demie à l'ouest, par un chemin qu'on appelle la route de David et qui se dirige à l'ouest vers le Jourdain, en suivant toujours les sinuosités des vallées. Ils firent une lieue et demie à l'ouest sur ce chemin, après quoi ils tournèrent au midi et prirent une grande route militaire qui conduit à un petit endroit dont le nom actuel est Thantia : ils avaient encore environ cinq lieues à faire jusque-là, et ils arrivèrent pour le sabbat.

Jésus était allé quelque temps avec eux sur la route de David pour la leur montrer et leur en dire quelque chose. Cette route est un enfoncement, une espèce de chemin creux qui parfois est rempli d'eau. Elle descend entre des montagnes le long d'une vallée solitaire ; sur l'un des côtés se trouve un sentier pour les chameaux : on rencontre par intervalles des emplacements disposés pour leur donner la pâture ; il s'y trouve des anneaux pour les attacher et des auges. Lorsqu'Abraham vint dans le pays, il vit sur ce chemin un point lumineux et il y eut une vision que j'ai oubliée. Lorsque David, par le conseil de Jonathas, eut conduit ses parents dans le pays de Maspha (1. Rey., XXII), il resta caché dans cette gorge avec trois cents hommes, et c'est pourquoi elle a reçu le nom de route de David. Il eut ici une vision de l'avenir. Il vit un cortège lumineux, le cortège des trois Rois, et il entendit des chants qui semblaient venir du ciel et qui célébraient le consolateur promis à Israël. C'est encore ici qu'il composa en partie l'un de ses Psaumes, j'ai oublié lequel. Malachie aussi, après un combat, suivit une lumière qui le conduisit ici et il s'y cacha. De même les trois Rois, se laissant conduire par leurs chameaux, descendirent de la contrée de Selcha dans ce chemin où l'étoile leur apparut avec un éclat particulier et où ils firent entendre des chants mélodieux: ensuite, suivant la rive du Jourdain, ils le passèrent vis-à-vis Coréeh, et se rendirent à Jérusalem par le désert d'Anathoth : ils entrèrent par la porte où passa Marie venant de Bethléhem pour la présentation au temple.

A Thantia, Jésus alla aussitôt à la synagogue. L'instruction traita de Balaam, de l'étoile de Jacob, du prophète Michée et de Bethléhem Ephrata. (Numer., XXII, 2 ; XXV, 10. Mich. V, 7 ; VI, 9.)

12 juillet. — Thantia parait être une vieille ville et comme une ancienne place forte. Il y a encore de vieilles tours et quelques arcades ; elle est grande et peu habitée. Il y a d'ici sept bonnes lieues jusqu'à Ramoth-galaad, qui est au sud-ouest. Je crois que la ville a eu un autre nom que celui qu'elle a maintenant, à l'époque de Jésus Il y passe une grande route militaire allant à Bosra et plus loin : les habitants vivent principalement de ce qu'ils gagnent avec les caravanes, dont ils reçoivent les marchandises en dépôt pour les envoyer dans d'autres directions.

Jésus ne trouva pas de contradicteurs : il guérit dans les maisons beaucoup de Malades, parmi lesquels plusieurs que les disciples venus antérieurement n'avaient pas pu guérir. Il n'y avait ici rien d'organisé pour l'assistance des malades et des pauvres : les disciples avaient déjà donné quelques règles à ce sujet, et Jésus mit tout à fait les choses en état. Aujourd'hui aussi le baptême fut donné par les disciples à un très grand nombre de personnes que Jésus prépara. Jésus enseigna sur l'étoile de Jacob, sur la prophétie de Michée touchant Béthléhem, sur le voyage des trois Rois, et il montra clairement que tout cela s'appliquait à lui.

Les habitants et leurs rabbins étaient très pieux : on avait ici et dans d'autres endroits du pays la coutume de faire sur la route de David des pèlerinages accompagnés de jeûnes et de prières pour implorer la venue du Messie. Appuyés sur les anciennes traditions, ils espéraient avoir là des visions, des apparitions du Messie : c'était de là, croyaient-ils, qu'il viendrait les visiter. Pendant que Jésus enseignait, ils disaient souvent : " il parle comme si c'était lui, pourtant ce n'est pas possible ". Car ils s'imaginaient que le Messie devait arriver invisible dans Israël, à la façon d'un ange, et ils pensaient que Jésus devait être quelque chose comme son précurseur, celui qui l'annonçait. Ils se faisaient aussi du Messie une idée comme celle qu'ils avaient de Melchisédech sur lequel ils savaient beaucoup de choses, et du prophète Malachie. Jésus leur dit qu'ils reconnaîtraient peut-être le Messie quand il serait trop tard. Je vis que beaucoup d'entre eux se réunirent à la communauté chrétienne avant et après le crucifiement.

13 juillet. — De Thantia Jésus alla a quatre lieues à l'est à peu près, dans une ville placée sur une montagne qui avait été une forteresse pendant la guerre des Macchabées (1. Maccab., V, 9). Près de là est la montagne où la fille de Jephté était allée pleurer avec ses douze compagnes. Sur cette montagne avaient aussi résidé des prophètes ou des ermites, des gens comme les Esséniens : j'ai vu cela alors pour la première fois. Il y a encore des restes de jardins et d'habitations. Balaam aussi résida sur cette montagne : mais s'étant rendu coupable de mensonge, il ne put plus y remonter ; au commencement, il n'y avait rien de mauvais en lui, c'était même un saint homme, mais il tomba. Les disciples qui étaient venus le mercredi trouver Jésus à Selcha sont repartis hier soir après le sabbat.

Aujourd'hui Jésus alla sur la montagne voisine de Datheman avant d'entrer dans la ville même. Il y fit une instruction devant quelques centaines de personnes. Sur cette montagne il y a encore des murs en ruines et quelques tours, comme des vigies. Le pays est un haut plateau sur lequel s'élève la montagne. Vers l'orient, dans la direction de l'Arabie, on peut voir la route qui conduit à Bosra, à Césarée de Phillipe et à Damas. Du côté de l'ouest, la vue s'étend jusqu'au delà du Jourdain.

Balaam menait sur cette montagne une vie solitaire et contemplative lorsque le roi des Moabites le fit venir. Balaam était d'illustre origine, il appartenait à une famille très riche. Dès sa jeunesse, il avait eu l'esprit de prophétie : il se trouvait en rapport avec ces peuples qui avaient les yeux tournés vers l'étoile prédite et parmi lesquels étaient les ancêtres des trois rois mages. Ce n'était ni un magicien, ni un scélérat : comme tous les hommes éclairés chez les autres peuples, il n'adorait que le vrai Dieu, mais le culte qu'il lui rendait était imparfait et mélangé. Il s'éloigna de bonne heure de ses compatriotes ; pour se retirer dans la solitude sur les montagnes, et il fit particulièrement son séjour sur la montagne en question ; je crois qu'il avait là avec lui d'autres prophètes ou des disciples. Lorsqu'il revint d'auprès de Balac, il voulut y remonter, mais une force divine l'en empêcha. L'odieux conseil qu'il avait donné aux Moabites l'avait fait tomber profondément et perdre entièrement la grâce : il erra tout troublé dans le désert où il perdit la vie, je ne sais plus comment. J'ai vu beaucoup de choses qui le concernaient.

Lorsque la fille de Jephté se retira sur cette montagne ; il y avait déjà des jardins et des habitations, et des prophètes ou des anachorètes y résidaient. La fille de Jephté n'était pas une pure juive, son père et elle avaient un mélange de sang païen. Lorsque Jésus enseigna sur cette hauteur, il s'y trouvait de très beaux jardins, une belle chaire, un puits d'excellente eau et quelques vieilles tours. Le soir Jésus alla à Datheman, qui est à peu près à une lieue au sud-ouest. La ville est grande, mais en partie détruite : c'était une forteresse. Je crois qu'à une autre époque, des Juifs s'y étaient enfermés, que Judas Macchabée les délivra et fit à cette occasion un grand carnage de leurs ennemis.

Les gens de ce pays parlent sans cesse de la sainteté de la roule de David : ils disaient à Jésus qu'ils ne voudraient pas habiter le pays d'au delà du Jourdain, où l'on ne pouvait pas parler de ce qui avait été vu d'avance et de ce qui était arrivé sur la route de David. Ils citaient aussi tout ce qu'on disait de merveilleux touchant le cortège de ces quinze personnages d'élite conduits par leurs trois chefs, qui avaient passé par là trente-deux ans auparavant. s'enquérant continuellement du roi nouveau-né : ils ajoutaient que c'était une tradition parmi les gens pieux que David avait vu par avance ce cortège. Ici aussi Jésus enseigna sur Balaam sur l'étoile de Jacob et sur la fille de Jephté.

È

CHAPITRE SEPTIÈME

Jésus à Bethabara

Jésus à Bethabara. - bénédiction des enfants. - Guérison de lépreux, Jésus se réunit aux apôtres dans le voisinage de Madian et va de là à Jéricho. - Jésus à Jéricho. - Zachée. - Jésus à Samarie. - à Béthanie. Résurrection de Lazare. Jésus à Jérusalem.

29 juillet l820. — Jésus est avec quelques apôtres sur le chemin de Bethabara. Ce bourg n'est pas grand : il a pourtant une école. Il est situé à peu de distance du lieu où les Israélites passèrent le Jourdain sous Josué, et vis-à-vis de la fontaine baptismale où Jésus fut baptisé par Jean ; c'est encore là que Gédéon mit les Ephraimites en embuscade pour couper la retraite aux Madianites. Il y a tout près un autre endroit qui est au bord même du Jourdain et dont le nom ressemble à Bhetania.

Une foule considérable s'était rassemblée ici : il s'y trouvait des gens malades d'autres qui ne l'étaient pas et spécialement beaucoup d'amis de Jésus. Dix des saintes femmes y étaient aussi : cinq qui suivaient habituellement le Sauveur, savoir : Marthe, Madeleine, leur servante Marcelle, Marie Salomé et Marie de Cléophas ; et cinq autres parmi lesquelles je reconnus avec plaisir la femme de Jérusalem qu'on appelle communément Véronique, car je l'aime beaucoup et je suis toujours contente de la voir. Elle est grande, belle et forte comme Judith. Je vis aussi Marie, mère de Jean Marc, chez laquelle Jésus va souvent quand il est à Jérusalem. (Les trois autres étaient vraisemblablement Jeanne Chusa, Suzanne et Salomé de Jérusalem.) Ces cinq dernières femmes, de même que Nicodème, tenaient plus secrètes leurs relations avec Jésus ; elles ne se montraient pas en public à sa suite comme les autres qui lui préparaient des logements sur toutes les routes et lui rendaient tous les services qui sont du ressort des femmes. Celles-ci se tenaient le plus souvent renfermées dans l'intérieur des hôtelleries et ne se montraient pas autant au dehors. Cependant elles s'occupaient aussi de tous les arrangements à prendre, spécialement Véronique, qui pourvoyait ici à tout ce qui était nécessaire aux femmes, tandis que Marthe se chargeait de ce qui concernait le Seigneur, les disciples et les pauvres. Je ne vis d'abord que trois apôtres près de Jésus. La bourgade pouvait à peine contenir la foule qui s'y pressait ; beaucoup de gens étaient établis sous des hangars, d'autres sous de grands arbres. Il y avait des malades de toute espèce. Lorsque Jésus vint à l'hôtellerie de Bethabara, il donna à ses compagnons des enseignements touchant le divorce Ceux-ci dirent que s'il en était ainsi, il n'était pas avantageux de se marier, à quoi Jésus leur répondit ce qui se trouve dans saint Matthieu et dans saint Marc (X, 10 etc.)

Jésus guérit beaucoup de malades. Je vis des paralytiques et des gens perclus jeter leurs béquilles ; je vis aussi certains possédés sourds et muets dont il me fut dit qu'ils étaient de ceux dont le coeur était complètement fermé à l'enseignement divin. Je vis guérir un homme qui avait la main desséchée et aussi plusieurs aveugles. Il y avait ici des espions des Pharisiens qui observaient tout ce que faisait Jésus.

Quelques disciples de Jérusalem étaient venus avec les femmes, car celles-ci n'allaient jamais tout à fait seules. Jésus continua à enseigner sur le divorce en présence des disciples. Je vis plus tard cinq apôtres auprès de lui ; je crois que le quatrième était Matthieu ; le cinquième ne me semble pas être proprement un apôtre ; cependant il est dans des rapports tout à fait intimes avec Jésus, tantôt il est près de lui, tantôt il est absent. (C'était peut-être Saturnin).

Jésus fit ici une infinité de choses et il travailla sans relâche, toujours grave, doux, calme et pénétré d'une - tristesse secrète, singulièrement touchante. Il enseignait quelquefois dans la rue, d'autres fois on le tirait par ses habits pour le faire entrer dans une maison. Il raconta plusieurs paraboles ; il instruisit les habiles et les simples. Aux premiers il disait qu'ils devaient se montrer reconnaissants envers Dieu en mettant à son service tout ce qu'il leur avait donné, ainsi qu'il le faisait lui-même. Il fit ici beaucoup de choses dont il n'est pas parlé dans l'Évangile. Il se tint aussi dans la maison près des saintes femmes. Marie, sa mère, était à Jérusalem. dans une maison assez voisine de celle de Nicodème.

Je vis beaucoup de mères arriver comme en procession avec des troupes d'enfants; il y en avait de tout âge, et jusqu'à des nourrissons qu'elles portaient dans leurs bras.

Elles venaient par une large rue du bourg, et lorsque Jésus, tournant un angle, entra dans cette rue, les disciples qui le précédaient voulurent, à cause du travail incessant auquel il se livrait, renvoyer sans miséricorde les femmes et les enfants, car il en avait déjà béni un grand nombre. Mais Jésus s'y opposa, et alors on les rangea en bon ordre. D'un côté du chemin se tenaient, les unes derrière les autres, cinq longues rangées d'enfants, d'âge et de sexe différents ; toutefois les garçons étaient séparés des petites filles. Celles-ci étaient beaucoup plus nombreuses. Les mères avec leurs nourrissons sur les bras étaient debout derrière le cinquième rang De l'autre côté du chemin se tenaient beaucoup d'autres personnes qui se portaient successivement en avant Le Seigneur passa le long du premier rang d'enfants, leur imposa les mains et les bénit. A quelques-uns il mettait la main sur la tête, à d'autres sur la poitrine ; il en serra quelques-uns contre son sein. Il y en eut qu'il montra aux autres comme modèles : il semblait tour à tour instruire, exhorter, encourager, bénir. Quand il fut à l'extrémité du premier rang des enfants, il remonta l'autre côté de la rue le long des grandes personnes, auxquelles il donna des avis et des enseignements, leur montrant aussi quelques-uns des enfants. Ensuite il redescendit le long du second rang des enfants, et repassa devant d'autres adultes qui s'étaient placés à leur tour en première ligne. Il continua ainsi jusqu'à ce qu'il eut donné même aux nourrissons des marques de sa charité. Il me fut dit que tous les enfants qu'il avait bénis avaient reçus par là une grâce intérieure, et que plus tard ils étaient devenus chrétiens. Il vint bien ici un millier d'enfants à Jésus, car je crois qu'ils continuèrent à affluer pendant quelques jours.

Ce fut pendant que Jésus bénissait les enfants qu'il donna à un jeune homme la leçon dont il est parlé dans saint Matthieu (XIX, 16-26). Ce jeune homme était sorti des rangs de la foule qui se tenait en face des enfants. Pendant cette bénédiction des enfants, plusieurs autres personnes sortirent aussi des rangs pour lui adresser la parole.

Lorsque le Seigneur parla à Pierre de la résurrection (Matth., XIX, 28), il y avait encore là des espions des Pharisiens qui s'étonnèrent et murmurèrent.

Ce fut vers le soir que le Seigneur alla à la maison ; les femmes avaient préparé le repas. On mangea debout et en se promenant de long en large. Le Seigneur ne cessa pas d'enseigner. Il y avait, outre les boissons, des petits pains, des fruits et des rayons de miel. Le Seigneur alla plusieurs fois dans le vestibule où étaient les femmes ; je vis là Marie Salomé s'avancer vers lui avec ses fils, Jacques et Jean, et le prier de les faire asseoir à ses côtés. Ce fut plus tard, quand tous furent réunis, que les dix autres s'indignèrent à ce sujet.

Les femmes de Jérusalem parmi lesquelles était Véronique, repassèrent le Jourdain dans la soirée pour retourner chez elles. Marthe et Madeleine, avec leur suite, ne partirent que le lendemain matin pour Béthanie.

Je vis que plusieurs des gens chargés de faire des rapports aux Pharisiens restèrent et se convertirent ; beaucoup d'autres qui étaient partis pleins d'irritation, pour Jérusalem, changèrent de sentiments sur la route et devinrent plus tard partisans de Jésus. Comme Jésus s'était éloigné de quelques personnes qui s'empressaient autour de lui, les siens lui en demandèrent la raison, et il leur répondit que ces gens n'étaient poussés que par une vaine curiosité.

30 juin. — Aujourd'hui j'ai vu le Seigneur dans la soirée qui suivit le repas, partir sans bruit de Bethabara avec les cinq apôtres et se diriger vers le levant. Ils arrivèrent près d'une grande maison dans le voisinage de laquelle il y en avait de plus petites. Alors des gens qui se tenaient sur le chemin appelèrent Jésus pour qu'il entrât dans cette maison où se trouvaient dix lépreux. Les apôtres craignant de communiquer avec ces lépreux, firent un détour, et se dirigeant vers le midi, allèrent se reposer sous un arbre pour y attendre Jésus. Les gens qui avaient appelé Jésus s'étaient placés là d'avance pour l'implorer lorsqu'il passerait. Les lépreux étaient couchés dans une partie retirée de la maison : ils étaient enveloppés de linges et tout couverte de croûtes. Jésus leur ordonna quelque chose et il me sembla qu'il en touchait un ; ensuite il les quitta. Je vis deux hommes les conduire l'un après l'autre à un petit étang, large d'environ douze pieds, situé dans le voisinage de la maison, et les faire entrer dans deux grandes auges qui se trouvaient là. Il y avait dans le mur, à droite et à gauche, des tuyaux d'où l'on pouvait faire jaillir de l'eau sur eux. Ils furent ainsi lavés et je crois qu'il y avait dans le voisinage des prêtres près desquels ils se rendirent.

Le Seigneur passa encore par un autre bâtiment voisin du premier. Il avait une cour carrée ayant sur deux de ses côtés des galeries couvertes ; sous l'une d'elles étaient couchés des hommes infirmes et contrefaits ; sous l'autre des femmes malades. Il y avait dans le sol des excavations régulières pour placer les couches des malades. Au milieu de la cour, un passage couvert qui la coupait parallèlement aux galeries conduisait à une pièce où l'on faisait la cuisine et la lessive. Outre ce passage et les galeries où gisaient les malades, il y avait des pelouses en plein air coupées par des sentiers à l'usage des malades. Je vis quelques hommes avec des robes courtes allant jusqu'aux genoux et de larges ceintures ; ils étaient employés au service des malades ; je vis aussi des femmes enveloppées dans de longs voiles, qui prenaient soin des personnes de leur sexe. Jésus opéra ici plusieurs guérisons, et lorsqu'il sortit, je vis sur le chemin un des lépreux qu'il avait guéris, le suivre en célébrant ses louanges à haute voix. Il se retourna et cet homme se prosterna la face contre terre : alors Jésus dit quelques mots et continua son chemin. Près des maisons voisines, se tenaient beaucoup de femmes avec des enfants qu'il bénit comme ceux de Bethabara, en sorte qu'il était déjà nuit lorsqu'il s'éloigna.

Les cinq apôtres qui avaient pris les devants l'attendaient sous un arbre. Je crois que Jésus se reposera quelque temps avec eux, et qu'ensuite ils se dirigeront au midi en faisant un coude du côté d'un endroit dont les habitants ne valent rien. Je vois cela dans la volonté du Seigneur Jésus.

31 juillet et 1er août. — Dans la nuit de dimanche lundi, j'ai vu que Jésus avait rejoint les cinq apôtres sous un arbre et se reposait près d'eux. Je vis bien distinctement. Matthieu, et en outre Pierre, Jacques et Jean. Ce matin ils marchèrent vers l'endroit où j'avais deviné qu'ils iraient. Machérunte, la forteresse où Je ;m a été décapité, se trouvait à leur droite Ils eurent à traverser un petit torrent très rapide qui leur barrait le passage. J'avais le sentiment que l'endroit dont ils approchaient était habité par de méchantes gens, généralement païens ; il y avait pourtant quelques juifs parmi eux. Ils arrivèrent d'abord à un bourg où s'élevait un grand édifice à toit plat, assez semblable à une synagogue, avec quelques maisons et quelques échoppes à l'entour. Quatre apôtres et plusieurs disciples les attendaient là avec quelques autres personnes venues à leur suite Tout ce monde vint à eux, témoignant une grande joie. Neuf des apôtres sont maintenant réunis Ils` racontent tout ce qu'ils ont fait an nom de Jésus.

A une lieue de là se trouve une plus grande ville dans laquelle le Seigneur n'entra pas. Les gens qui l'habitent sont trop mauvais, ils observent d'un air défiant, ils ne savent pas ce que signifie la réunion de tant de personnes dans la petite bourgade juive. Cependant quelques apôtres et quelques disciples s'entretiennent avec des habitants de la ville près du grand pont qui la précède.

C'est Madian : ce sont des Madianites qui habitent là. Moïse a gardé les troupeaux chez eux et femme était fille d'un prêtre de ce temple.

Le Seigneur fait peu de chose ici il se borne à enseigner. Ils se reposent tous, car ils ont rudement travaillé.

2 août. — Ce soir ils se remettent en route. Ils reviennent vers le Jourdain en passant par une petite ville. Ils contourneront Bethabara où le Seigneur a eu tant à faire.

Les apôtres et les disciples revenus de leur mission ont raconté tout au long ce qu'ils ont fait, et Jésus leur a donné des instructions à ce sujet. C'est pour cela qu'il a voulu faire cette longue course, afin de pouvoir conférer librement avec eux pendant un certain temps, et aussi pour laisser à la rage des Pharisiens le temps de se calmer. Je le vis passer la nuit avec ses compagnons sous des hangars de bergers. Ces bergers étaient très bienveillants ; ils ne mirent pas leurs troupeaux sous les hangars, et eux-mêmes cédèrent la place ; ils apportèrent aussi du miel pour la nourriture des voyageurs. Les apôtres et les disciples dormirent, mais le Seigneur instruisit les bergers en leur racontant des paraboles. Plus tard il prit, lui aussi, un peu de sommeil.

C'est ici, sur le chemin. que Jésus parla du rang que la mère des fils de Zébédée avait demandé pour ses enfants, car les derniers arrivés parmi les disciples s'étaient indignés de cette prétention lorsqu'ils en avaient entendu parler. Barthélemy Al Judas n'étaient pas encore de retour' et j'ai quelque idée que Jésus leur répéta ici qu'il y avait un traître parmi eux.

3 août. — Lorsqu'ils partirent, quelques-uns des bergers les accompagnèrent, laissant leurs troupeaux à la garde de leurs compagnons. J'ai oublié beaucoup de choses, mais je les vis tous dans un lieu plus rapproché du Jourdain, entrer dans une maison qui appartenait à une famille de bergers et y passer la nuit. Le Seigneur y raconta plusieurs paraboles. Je me rappelle aussi ces paroles : " Ceux qui se disent chastes, mais qui mangent et boivent tout ce qui leur fait envie, font comme s'ils voulaient éteindre un grand feu en y jetant du bois sec ".

Parmi plusieurs disciples qui vinrent ici trouver Jésus, je m'en rappelle un qui plus tard alla à Marseille avec Madeleine. Ils se dirigent vers une petite ville peu éloignée, où les trois apôtres qui manquent et les autres disciples doivent les rejoindre.

4-5 août. — Je vis Jésus sortir de la maison des bergers avec les neuf apôtres, plusieurs disciples et d'autres personnes, et se diriger vers une petite ville plus rapprochée du Jourdain. Je vis beaucoup de gens, parmi lesquels nombre de malades et d'estropiés, se rendre à cette ville, car les trois derniers apôtres, Barthélemy, Judas et un autre encore l'attendaient là avec plusieurs disciples, et ils avaient déjà commencé à guérir et à enseigner. Je vis aussi de cet endroit le Seigneur paraître dans le lointain : c'était comme si l'on eût vu arriver une procession. Il marche tantôt en avant, tantôt au milieu des siens ; souvent il s'arrête et ils se rapprochent de lui, mais sans jamais se presser en foule.

Le soir je vis Jésus arriver à la petite ville. Judas ne guérissait pas, mais il était fort affairé : il amenait des malades, il les assistait, il donnait des ordres, il distribuait de l'argent. Jésus entra dans une maison de la ville. Je vis ici des Pharisiens : deux d'entre eux vinrent trouver le Seigneur et lui adressèrent des questions. Il y avait aussi des femmes affligées de différents maux. J'en vis une prier le Seigneur de guérir sa fille qui était couverte d'ulcères. Le Seigneur voulait lui envoyer un disciple, mais elle insista pour qu'il vint lui-même. Alors Jésus n'y alla pas, n'envoya pas non plus de disciple et ne guérit pas la malade. Il enseigna ici dans la synagogue à l'occasion du sabbat et guérit à l'entrée une femme toute courbée. Les Pharisiens réclamèrent vivement à ce sujet et reproduisirent leurs invectives contre les guérisons faites le jour du sabbat.

8 août. — Je vis le Seigneur enseigner à diverses reprises dans la petite ville. Les Pharisiens voulaient l'en empêcher. Ils se tenaient devant la synagogue et ne voulaient pas l'y laisser entrer, mais il se fraya un passage au milieu d'eux, enseigna et raconta plusieurs paraboles.

Personne ici ne lui avait offert l'hospitalité : ce ne fut que le soir du dernier jour qu'un homme l'invita à entrer dans sa maison et l'y hébergea ainsi que les apôtres et plusieurs disciples ; il fit pour tous de petites couronnes de laine qu'il leur mit sur la tête pendant le repas. Mais il n'agissait pas de bonne foi : c'était un adhèrent secret des Pharisiens qui espionnaient Jésus. Il fit tout pour le mieux quant à l'extérieur, mais ce n'était pas un motif de charité.

Pour la nuit on leur arrangea des couches avec des nattes posées les unes contre les autres et des tresses de paille en guise d'oreillers, parce qu'il n'y avait pas assez de lits pour tous. Leur hôte ne suivit pas le Seigneur : il vint plus tard le voir à Samarie.

9 août. — Lorsqu'ils quittèrent la petite ville, le Seigneur leur raconta des paraboles relatives à l'hospitalité, et parla des dispositions intérieures de leur hôte de la veille. Ils se dirigèrent vers Jéricho en faisant des détours à travers une contrée déserte. Les apôtres et les disciples firent encore des récits de ce qu'ils avaient fait, et plus d'une fois avec un sentiment d'amour-propre. Alors Jésus les réprimanda comme il l'avait fait dans une autre occasion lorsqu'il avait dit : " Je voyais le démon tomber du ciel comme un éclair ". Cela les effraya.

Jésus raconta en route une parabole que malheureusement j'ai oubliée. Elle avait trait à la conduite future des douze apôtres. Il dit qu'ils lui étaient attachés maintenant parce qu'ils étaient bien traités. Ils ne comprirent pas cela, mais il voulait dire qu'ils vivaient en paix et recevaient de beaux enseignements ; quand la tribulation viendrait, disait-il, ils se comporteraient tout autrement, et il ajouta que ceux qui portaient comme un manteau d'amour pour lui, le laisseraient tomber et s'enfuiraient dépouillés. Je vis que cela faisait allusion à ce qui arriva à Jean dans le jardin de Gethsémani.

Un peu avant d'arriver à Jéricho, il fut rejoint par cette femme du petit endroit situé de l'autre côté du Jourdain dont il n'avait pas accueilli la demande lorsqu'elle l'avait prié de guérir sa fille couverte d'ulcères. Elle pria Jésus de venir maintenant à son aide, car ? disait-elle, elle avait renoncé a tout ce qu'il avait prescrit de quitter. Mais le Seigneur s'y refusa de nouveau : il lui dit que son enfant avait été conçu dans le péché, et il lui reprocha une faute qu'elle commettait habituellement depuis plusieurs années. Cela ne semblait pas chose de grande importance, mais elle ne devait pas revenir qu'elle ne fut convertie a cet égard. Alors je vis cette femme passer devant les apôtres et les disciples et prendre le chemin de Jéricho.

10 août. — A quelque distance de Jéricho, quatre Pharisiens qui étaient de ceux qu'on avait envoyés de Jérusalem, vinrent engager Jésus à ne pas aller plus loin, parce qu'Hérode, disaient-ils, en voulait à sa vie. Ils firent cette démarche parce qu'ils le craignaient, car ils avaient beaucoup entendu parler de ses nombreux miracles. Jésus leur répondit qu'ils devaient dire de sa part a ce renard d'Hérode : "J'ai encore à chasser les démons et à guérir les malades aujourd'hui et le jour suivant ; ce n'est que le troisième jour que viendra la consommation". (Luc, XIII, 31-35). Il m'a été dit que deux de ces Pharisiens se convertirent et s'attachèrent à Jésus tandis que les deux autres s'en retournèrent furieux à Jérusalem. Dans une occasion précédente, il y eut un Pharisien qui resta près de lui.

Comme Jésus s'approchait de Jéricho, il vint à lui de cette ville deux frères qui ne pouvaient pas se mettre d'accord au sujet de leur héritage : l'un voulait rester, l'autre voulait s'en aller. Là-dessus l'un d'eux se mit en tête de faire accommoder leur différend par ce Jésus dont on parlait tant : et ils étaient allés au-devant de lui. Mais il les renvoya, disant que ce n'était pas son affaire : sur quoi Jean lui ayant représenté que c'était pourtant une bonne oeuvre à faire et Pierre ayant parlé dans le même sens, il répondit qu'il n'était pas venu pour partager les biens de la terre mais ceux du ciel, et il fit à ce sujet une longue exhortation devant une foule nombreuse qui s'était assemblée autour de lui. Toutefois les disciples ne le comprirent pas bien, car ils n'avaient pas encore reçu le Saint Esprit et ils étaient toujours dans l'attente d'un royaume terrestre.

Beaucoup de femmes avec des enfants vinrent encore à la rencontre de Jésus, demandant sa bénédiction. Les disciples que les récentes menaces des Pharisiens avaient rendus très timides à l'égard de tout ce qui pouvait attirer l'attention, essayèrent de les éloigner, car ils étaient chargés de maintenir l'ordre. Mais Jésus ordonna de laisser venir les enfants et dit aux disciples qu'ils avaient besoin d'être bénis afin de devenir aussi ses disciples. Il bénit alors beaucoup de nourrissons et aussi des enfants de dix à onze ans. Il y en avait de plus jeunes encore que Jésus ne bénit pas et je ne sus pas pourquoi. Ceux qui avaient reçu sa bénédiction et plusieurs autres qui ne l'avaient pas reçue se retirèrent. Quelques-uns parmi ces derniers attendirent une autre occasion.

11-21 août. — Près de la ville de Jéricho, dans un endroit où il y a un mélange de jardins, de lieux de plaisance et de maisons, le Seigneur et sa suite se trouvaient en présence d'une foule très compacte. Il y avait là une quantité de gens accourus des contrées environnantes. Ces gens l'entouraient de tous côtés ainsi que beaucoup de malades qui l'attendaient, couchés sous des hangars et des tentes.

Zachée, un chef des publicains, qui demeurait hors de la ville, était accouru dans cet endroit où le Seigneur devait passer : mais comme il était petit, il monta sur un figuier pour pouvoir voir Jésus dans la foule. Quand le Seigneur fut arrivé là, il regarda sur l'arbre et dit : " Zachée, descendez vite, car je dois aujourd'hui loger dans votre maison ". Zachée descendit en toute hâte, il s'inclina humblement avec un sentiment d'émotion profonde et se rendit dans sa maison pour tout préparer. Ce que Jésus lui dit, qu'il devait entrer ce jour-là dans sa maison, se rapportait à la maison de son coeur dont il faisait dès lors sa demeure, car ce fut à Jéricho même. et non chez lui, que le Seigneur entra aujourd'hui...

Ici devant la porte il n'y avait pas d'habitants de la ville, ils se tenaient renfermés dans leurs maisons à cause des Pharisiens. Il n'était guère venu que des étrangers qui imploraient l'assistance de Jésus. Il guérit un aveugle et un sourd-muet que je me rappelle parmi beaucoup d'autres. Quelques-uns furent éconduits. Il bénit encore des enfants, spécialement des enfants à la mamelle. Et dit aux disciples qu'il fallait ainsi accoutumer les gens à mettre leurs enfants en rapport avec lui dès l'âge le plus tendre, et que tous ceux qu'il aurait bénis s'attacheraient à lui plus tard.

Dans la foule qui était devant la ville, se trouvait une femme affligée de pertes de sang que je voyais venir depuis quelques jours avec la ferme résolution d'obtenir de Jésus sa guérison, mais elle n'arriva pas jusqu'à lui aujourd'hui. Elle aura probablement à attendre encore longtemps, car j'ai entendu Jésus dire aux disciples que quiconque ne demande pas avec persévérance, n'a pas une volonté sérieuse ni une foi véritable.

Comme le sabbat allait s'ouvrir, il entra avec les siens dans la ville pour se rendre à la synagogue. Je le vis ensuite dans une hôtellerie j il était avec les apôtres dans une salle à manger ouverte : les disciples mangeaient dans les galeries extérieures. Le repas se composait de petits pains, de miel et de fruits : ils mangèrent debout et Jésus ne cessa pas d'enseigner et de raconter. Les apôtres avaient un verre pour trois. Le Seigneur en avait un pour lui seul. La femme dont il avait rejeté la requête au delà du Jourdain et une seconde fois sur la route, vint encore le trouver ici. Il l'éconduisit encore, parce qu'elle jouait un double jeu. Elle s'était adressée aux Pharisiens de Jéricho pour savoir ce qu'on disait de Jésus à Jérusalem, et elle avait tenu toute sorte de propos indiscrets. Il lui fallut donc encore attendre.

Zachée vint trouver Jésus ici. Les disciples avaient déjà murmuré de ce qu'il frayait avec ce publicain décrié et de ce qu'il voulait même aller loger chez lui ; car quoique le Seigneur eût déjà plus d'une fois combattu leurs préjugés, il y avait beaucoup de nouveaux disciples pour lesquels Zachée était un objet de scandale, spécialement quelques-uns de ses parents qui faisaient partie de la suite de Jésus, et qui étaient honteux que Zachée ne se fût pas encore converti et fût demeuré publicain. Zachée s'approcha d'eux devant la maison, mais aucun d'eux ne voulut lui parler, aucun ne lui offrit la moindre chose.

Alors Jésus vint dans la galerie, lui fit signe d'entrer, et lui offrit à boire et à manger.

12 août. — Ce matin je vis Jésus aller à la synagogue. Il enjoignit aux Pharisiens de lui céder la place parce qu'il allait faire la lecture du sabbat et l'instruction. Là-dessus ils firent grand bruit, mais ils ne purent prévaloir contre le Seigneur. Il enseigna ici très ouvertement et sans réticences. Je me souviens qu'il parla spécialement contre l'avarice. Il dit beaucoup de choses qui se trouvent dans l'Évangile et beaucoup d'autres qui ne s'y trouvent pas : du reste les enseignements rapportés dans l'Évangile ne sont la plupart du temps qu'une espèce d'abrégé. Jésus guérit aussi, devant la synagogue, un malade qu'on avait apporté sur une civière.

Le soir d'après le sabbat Jésus et les apôtres sortirent de Jéricho pour se rendre à l'habitation de Zachée. Il fut encore suivi sur le chemin par la femme qui lui demandait de guérir son enfant : je vis le Seigneur lui imposer les mains pour la délivrer elle-même de son péché, après quoi il lui dit qu'elle pouvait s'en retourner chez elle parce que sa fille était guérie, et je la vis se remettre en route.

Les disciples n'accompagnèrent pas Jésus chez Zachée. Celui-ci fit au Seigneur un accueil très hospitalier. Il y avait sur la table un plat oblong, avec un rôti d'agneau, à ce que je crois, et en outre, comme de coutume, du miel et beaucoup de petits fruits. Zachée ne se mit pas à table avec les convives, il s'occupait du service, mais quand Jésus parlait, il se faisait remplacer : alors il se tenait respectueusement prés du Seigneur et l'écoutait attentivement. Quelques-uns des apôtres éprouvaient une certaine répugnance à manger chez ce publicain décrié. Alors Jésus raconta la parabole du figuier, de la vigne qui n'avait pas porté de fruit pendant trois ans, mais pour lequel le vigneron avait demandé encore un an de patience (Luc, XIII, 5-9). Je vis que Jésus dit cela pour les apôtres comme s'ils étaient la vigne, lui-même le maître, et Zachée le figuier ; il y avait en effet trois ans que les parents de celui-ci avaient quitté leur profession décriée pour suivre le Seigneur, tandis que lui-même avait continué à l'exercer, ce qui le rendait méprisable aux yeux des disciples. Mais Jésus avait eu pitié de lui lorsqu'il lui avait crié de descendre de l'arbre. Jésus parla encore des arbres stériles qui donnent une quantité de feuilles et pas un fruit. Il dit que les feuilles étaient les actes purement extérieurs, qu'elles faisaient entendre un bruit incessant, mais qu'elles ne duraient pas et que la bonne sentence n'était pas en elles ; que les fruits, au contraire, étaient le principe intérieur opérant par la foi et produisant des oeuvres fécondes, semblable en cela au fruit qui donne de la force à ceux qui s'en nourrissent et qui porte le germe dans lequel l'arbre se perpétue. Il me sembla qu'en disant à Zachée de descendre de l'arbre, c'était comme s'il lui eût dit de quitter le monde avec ses dehors spécieux et son vain bruit ; il semblait encore que Zachée fût le fruit mur pour lequel était venu le moment de se séparer de l'arbre qui pendant trois ans était resté dans la vigne sans rien produire.

Jésus parla encore des fidèles serviteurs qui ne faisaient pas les officieux en présence de leur maître, mais qui pendant son absence, veillaient constamment et ne permettraient pas qu'on fît aucun bruit, afin de pouvoir l'entendre quand il frapperait à la porte il raconta encore plusieurs belles paraboles dont une à l'adresse de Judas : des visites me l'ont fait oublier.

Jésus passa la nuit ici. Il y avait dans la maison de grandes chambres vides, des caveaux et des magasins dont les portes étaient munies de serrures et de chaînes, afin qu'on pût y conserver et y mettre en sûreté toute sorte de choses.

Je jetai un coup d'úil sur Béthanie. Lazare est malade : on désire vivement le Seigneur : mais il doit aller à Samarie avant de se rendre à Béthanie. Cela ne plaît pas aux disciples : ils voudraient aller à Jérusalem.

16 août. — Aujourd'hui je vis Jésus manger chez un Pharisien de distinction qui en avait invité beaucoup d'autres. Les jours précédents, il y avait eu dans cette maison des festins continuels où se réunissaient les Pharisiens qui étaient tous furieux contre Jésus et qui le faisaient espionner. De leur côté, les disciples et les apôtres ne laissaient pas d'être mécontents et inquiets, trouvant qu'il se compromettait trop et contrecarrait trop ouvertement les gens. Quand Jésus fut arrivé pour le repas, les Pharisiens lui reprochèrent d'avoir guéri le jour du sabbat le malade qui était devant la synagogue et Jésus leur fit des réponses qui se retrouvent plusieurs fois dans l'Évangile. Il les reprit aussi de leur orgueil qui leur faisait toujours prendre les premières places, et il raconta des paraboles.

Les Pharisiens qui étaient dans cette maison étaient très irrités de ce que Jésus avait fait et enseigné à Jéricho. Ils délibéraient s'ils ne le feraient pas arrêter à Jéricho, et ils avaient envoyé à Jérusalem prendre des ordres a ce sujet, ce qui causait une grande inquiétude aux disciples. Une foule incroyable se pressait autour de Jésus quelque part qu'il allât, et il enseignait partout. Il passa de nouveau la nuit dans l'hôtellerie.

Je vois que Lazare est très gravement malade. Ses soeurs ont un si ardent désir de voir arriver Jésus qu'elles vont souvent jusque dans le voisinage de Jéricho pour s'assurer si leurs messagers ne ramènent pas avec eux le Seigneur. Mais il ne viendra pas encore, car il doit aller d'ici à Samarie. La sainte Vierge est à Jérusalem chez la mère de Jean Marc. Elle va souvent à Béthanie.

Beaucoup de personnes furent baptisées ici aujourd'hui par Jacques et par Barthélemy. Sur une place qui est au centre de Jéricho se trouve une pièce d'eau, entourée de bâtiments, et où l'on vient se baigner : il y a des compartiments sépares pour les hommes et pour les femmes. On y descend par des degrés et l'on y trouve des espèces de baignoires flottantes comme à Jérusalem sur la piscine de Béthesda, et comme de l'autre côté du Jourdain il l'endroit où Jésus guérit les lépreux. Les néophytes descendaient dans l'eau et mettaient ensuite un petit manteau blanc qu'ils trouvaient à emprunter là. Deux disciples leur posaient la main sur les épaules, l'autre versait l'eau sur eux. Le malade guéri le jour du sabbat fut du nombre de ceux qui se firent baptiser.

17 août. — Le Seigneur continua à enseigner dans la synagogue. Des pécheurs et des publicains se pressaient autour de lui dans la rue et devant l'école. Il enseigna partout devant de nombreux auditeurs. Quelques apôtres enseignèrent aussi ça et là. Les Pharisiens tenaient toujours des conciliabules dans leur maison, attendant le retour des messagers qu'ils avaient envoyés à Jérusalem et complotant pour s'emparer de la personne du Seigneur. Les disciples étaient très inquiets et très mécontents de ce que Jésus s'exposait au danger avec si peu de précautions. Je vis beaucoup de personnes, parmi lesquelles force pécheurs et publicains, l'entourer devant la synagogue j je vis aussi des malades se faire apporter devant lui : les disciples étaient si mécontents qu'ils le laissaient seul. Du reste il renvoya la plupart des malades et se borna à peu près à enseigner. Je vis alors que la femme paralytique et affligée de pertes de sang, qui était venue ici dans l'espoir d'être guérie (ce n'est pas l'hémorroïsse de l'Évangile), se fit placer devant la porte et invoqua le secours de Jésus. Mais il ne la guérit pas, parce qu'il voulait faire voir que la foi doit être persévérante et ne jamais cesser d'espérer et de prier. Jésus alla ensuite près des disciples et des gens qui se scandalisaient de sa doctrine et de ses rapports avec les pécheurs et les publicains, et il raconta les paraboles de l'enfant prodigue, de la brebis égarée, de la drachme perdue, etc.

Aujourd'hui encore on baptisa à la fontaine des bains. Jésus y enseigna et y prépara les néophytes comme il l'avait déjà fait la veille. Il y eut des malades dont le baptême opéra la guérison. Plusieurs aspirants furent refusés. Les femmes, tout enveloppées dans leurs voiles, écoutaient de loin les enseignements de Jésus ; elles allaient ensuite à leur bain où elles dénouaient leur chevelure et ôtaient leur voile. La femme affligée de pertes de sang fut aujourd'hui conduite, à raison de sa maladie, dans un endroit à part pour y prendre le bain de purification ou d'expiation une rémission des péchés y était attachée, et les malades ne pouvaient guérir qu'après avoir obtenu cette rémission.

18 août. — Jésus alla avec les disciples dans un quartier de la ville qui est devant la porte, et il enseigna constamment. Beaucoup de malades s'étaient fait porter sur son passage et imploraient son assistance.

La femme affligée de pertes de sang qu'il avait rebutée plusieurs fois était aussi couchée sur le chemin ; et quand Jésus passa, elle se traîna jusqu'à lui et toucha le bas de sa robe. Il s'arrêta, se retourna vers elle et la guérit. Alors elle se leva, rendit grâces, revint à la ville pleine de santé et repartit pour son pays quand le sabbat fut terminé. Après cette guérison le Seigneur enseigna la prière répétée, persévérante, et dit qu'on ne devait jamais cesser de prier. J'eus aussi une vision sur l'amour du prochain où il me fut montré comment les gens qui avaient aidé cette femme à faire son long voyage, l'amenaient tantôt dans un lieu, tantôt dans un autre sur le passage du Seigneur et s'adressaient aux disciples pour savoir où le Seigneur irait, afin de pouvoir procurer à cette femme une bonne place, car on ne pouvait pas la placer partout à cause de sa maladie qui là rendait impure. Ce n'est pas l'hémorroïsse de l'Évangile, car elle était en outre paralytique et il lui fallut supplier inutilement pendant huit jours : l'autre fut guérie sur-le-champ.

C'est un spectacle touchant que de voir, partout où va Jésus, les malades couchés les uns contre les autres sur le chemin, gémir et supplier, les disciples s'agiter et s'inquiéter, et le Seigneur avec sa gravité, son calme et sa mansuétude incomparables, guérir et enseigner sans interruption.

NOTE : Anne Catherine prit dans le commencement pour un baptême cette purification légale des femmes ; mais sur une indication que lui donna son ange gardien, elle déclara expressément qu'aucune femme ne fut baptisée avant la descente du Saint Esprit. (Note du Pèlerin.)

Il vint aujourd'hui des messagers de Béthanie pour prier Jésus de vouloir bien venir près de Lazare, mais ils ne parlèrent qu'aux disciples. Jésus déclara qu'il n'irait pas encore parce que son temps n'était pas encore venu. Aujourd'hui de très bon matin, il envoya deux disciples à Samarie, de manière à ce qu'ils pussent y être rendus avant le sabbat. Ils devaient annoncer son arrivée prochaine.

19 août. — Le Seigneur enseigna à l'occasion du sabbat, guérit des malades et alla de maison en maison. Il ne reviendra plus ici et veut répandre, avant de partir, tous les trésors de sa charité. Il a délivré des possédés ; j'ai oublié les détails.

20 août. — Le Seigneur continua à enseigner et à guérir, allant de maison en maison : il chassa aussi des démons. Sur les quatre Pharisiens qui étaient venus devant Jéricho l'avertir de ne pas aller à Jérusalem, deux restèrent près de lui ; les deux autres qui étaient allés si pleins de colère à Jérusalem, ils furent mal reçus à cause d'un certain changement qui s'était opéré dans leurs sentiments à l'endroit du Seigneur eu sorte qu'eux aussi revinrent près de lui.

Aujourd'hui il congédia plusieurs des apôtres et des disciples qu'il envoya deux à deux dans des endroits où il ne doit plus aller.

21 août. — Les Pharisiens s'étaient réunis en grand nombre à Jéricho. Il s'y trouvait une centaine de Pharisiens étrangers, dont beaucoup venus de Béthabara et de Béthanie qui est au delà du Jourdain. Ils étaient pleins de rage et l'espionnaient. Aujourd'hui, dans l'après-midi, son entourage s'étant amoindri par suite de la mission donnée à plusieurs des apôtres et disciples, ils se réunirent et l'interpellèrent avec beaucoup de violence. Ils reproduisirent tous leurs griefs accoutumés, mais il les réduisit au silence. Ils cherchaient à le prendre par ses paroles et comme il parlait souvent de son Père céleste, ils lui dirent de nouveau que ses frères étaient la, mais il répondit, comme dans une autre occasion, que ses frères étaient ceux qui accomplissaient la volonté de Dieu et observaient ses commandements.

Beaucoup de malades se rassemblent déjà dans un petit endroit au nord de Jéricho.

22 août. — Ce matin, je vis Jésus aller à un petit endroit qui est à peu près à une lieue au nord de Jéricho. Beaucoup de gens s'y étaient déjà rassemblés et imploraient son assistance. On avait amené sur le chemin des malades, des aveugles et des estropiés qui attendaient son arrivée. Sur le chemin, devant la ville, je vis encore Jésus accosté par les Pharisiens et assailli d'une foule de reproches et de questions insidieuses. Mais ils ne gagnèrent rien sur lui et leurs efforts furent impuissants.

Beaucoup de gens l'accompagnaient sur la route, où deux aveugles étaient assis avec leurs conducteurs. Lorsque Jésus passa devant eux, ils l'invoquèrent à haute voix et le supplièrent de les guérir. Mais le peuple, dans les rangs duquel se trouvaient des malveillants et des espions, les menaça pour les faire taire. Ils le suivirent pourtant, conduits chacun par deux hommes, et ils continuèrent à crier : " Fils de David, ayez pitié de nous " ! Alors le Seigneur s'arrêta et leur demanda ce qu'ils voulaient de lui ; à quoi ils répondirent qu'ils le priaient de leur rendre la vue. Le Seigneur les fit approcher et toucha leurs yeux : ils recouvrèrent la vue, et le suivirent. Il y eut beaucoup d'agitation à leur occasion et à l'occasion de ceux que Jésus avait guéris lors de son entrée à Jéricho. Les Pharisiens firent des enquêtes ; ils interrogèrent l'un de ces deux aveugles ainsi que son père.

Les disciples désiraient vivement que Jésus allât près de Lazare, à Béthanie, où ils auraient été plus tranquilles et moins inquiétés ; ils éprouvaient tous un peu de fatigue et d'ennui. Jésus guérit encore beaucoup de malades sur son chemin On ne peut dire à quel point il restait calme, patient et imperturbable au milieu de toutes ces interpellations, de ces attaques et de ces persécutions, et avec quelle douce gravité il souriait quand les disciples voulaient le détourner de sa voie. Il enseigna encore longuement sur les Pharisiens et Sur le scandale.

23 août. — Je vis aujourd'hui le Seigneur dans une petite bourgade au nord de Jéricho, où il guérit beaucoup de malades. Il y avait une école où il enseigna. Les habitants lui firent bon accueil.

24 août. — Je vis aujourd'hui Jésus aller dans la direction de Samarie. Des malades de toute espèce s'assemblaient déjà pour l'attendre sur divers points de la route. Je vis dresser une tente devant un village à cent pas environ du grand chemin. Dix lépreux y furent installés par leur conducteur, sur des couches disposées en cercle. Lorsque Jésus traversa le village et passa devant cette tente, les lépreux sortirent et implorèrent à haute voix son assistance. Jésus s'arrêta, et les disciples continuèrent à marcher. Les lépreux, tout enveloppés de linges, s'approchèrent du Seigneur aussi vite que leurs forces le leur permirent, et se rangèrent en cercle autour de lui. Il toucha chacun d'eux et leur ordonna d'aller se montrer aux prêtres ; après quoi, il continua son chemin. Un des lépreux (c'était un Samaritain) alla plus vile que les autres. Il suivit deux disciples envoyés en mission par Jésus ; les autres prirent divers chemins. Ceux-ci n'avaient pas été pris sur-le-champ ; quoiqu'ils se trouvassent en état de marcher, ce ne fut pourtant qu'au bout d'une heure à peu près qu'ils furent tout à fait délivrés de leur lèpre, peut-être parce qu'ils ne méritaient pas de l'être plus tôt.

Bientôt après, un père de famille d'un village de bergers situé à un quart de lieue à droite de la route, vint à Jésus et le pria d'aller avec lui, parce que sa petite fille était morte. Le Seigneur le suivit aussitôt à son habitation ; et comme il y allait, il fut rejoint par un des lépreux guéris le Samaritain ; se voyant parfaitement guéri, il avait eu le coeur touché et était aussitôt revenu en toute hâte pour remercier son bienfaiteur. Il se jeta aux pieds de Jésus, qui dit : " Tous les dix n'ont-ils pas été guéris ? où sont donc les neufs autres ? N'y a-t-il que cet étranger qui rende gloire à Dieu et qui soit revenu pour témoigner sa reconnaissance ? Levez-vous, retournez chez vous ; votre foi vous a sauvé ". Cet homme, plus tard, est devenu son disciple.

Je vis alors Jésus entrer avec le père de famille dans la maison de celui-ci. Pierre, Jean et Jacques le Majeur étaient avec lui. L'enfant était une petite fille d'environ sept ans, et je crois qu'elle était morte depuis quatre jours déjà. Jésus lui mit une main sur la tête, l'autre sur la poitrine, et pria en levant les yeux au ciel. Alors l'enfant se leva pleine de vie. Il dit aux apôtres qu'ils en feraient autant en son nom. Jésus restera ici aujourd'hui. Le père de l'enfant avait une foi robuste et attendait le Seigneur en toute confiance. Sa femme avait voulu l'envoyer plus tôt à Jésus ; mais il était plein d'espoir, et il attendit son arrivée. Il ne tarda pas à remettre ses affaires entre les mains d'un autre ; et sa femme étant morte peu après le crucifiement de Jésus, il devint disciple et se fit un nom célèbre. La petite fille guérie devint aussi une personne de grande piété.

Il y a dans les environs d'autres maisons de bergers que Jésus visitera. Il se rend en faisant un long détour sur le territoire samaritain.

NOTE : Il parcourt ce pays de bergers par lequel sa mère a passé avant sa naissance et qu'il a visité lui-même après son baptême. (Note du Pèlerin)

28 août. — Jésus parcourut ces jours-ci des maisons de bergers disséminées sur un grand espace et il guérit beaucoup de malades : il délivra surtout beaucoup d'obsédés et de possédés, des femmes et des jeunes filles. Il n'avait plus avec lui que Pierre, Jacques, Jean et un très petit nombre de disciples : tous les autres avaient été envoyés dans des endroits où il ne doit plus aller.

30 août. — Je vis le Seigneur, tout en allant d'une maison de berger à l'autre, parcourir le pays montagneux des environs d'Hébron où Zacharie habitait. Je le vis seul avec Pierre assister à une noce dans une maison de bergers. Je vis les nouveaux époux revenir de la synagogue où le mariage avait été célébré. Ils s'avançaient sous un dais. suivi d'un cortège. En tête de ce cortège marchaient des petites filles parées de guirlandes de laine blanche et jouant de la flûte : derrière venaient les petits garçons en habits de fête faisant une musique du même genre. Il y avait là un prêtre de Jéricho. Lorsqu'ils entrèrent dans la maison et virent le Seigneur, ils furent émus et surpris et se pressèrent autour de lui Mais Jésus leur dit de continuer à célébrer leur noce suivant les usages reçus, afin de ne pas donner de scandale. Ils burent alors dans de petites coupes : la fiancée était seule avec les femmes, et les enfants jouèrent de leurs instruments et dansèrent devant elle. Je vis ensuite les nouveaux époux aller trouver Jésus dans une chambre séparée où le Seigneur joignit encore leurs mains qu'il bénit de la main droite et où il leur donna des enseignements sur l'indissolubilité du mariage et sur la continence.

Le Seigneur et Pierre se mirent ensuite à table avec les bergers et le prêtre, et le fiancé les servit. Le prêtre était mécontent de ce que la place d'honneur avait été donnée aux nouveaux hôtes : il était assis en face de Jésus et quitta bientôt la table. Je vis aussi qu'il ameuta quelques Pharisiens qui plus tard vinrent ici assaillir le Seigneur de leurs interpellations. Je vis que l'un d'eux, lui parlant avec emportement, lui arracha son manteau de dessus les épaules : mais le Seigneur resta impassible : il ne leur donna prise en rien et ils se retirèrent.

Jésus resta dans cette maison de bergers où il se montra singulièrement cordial et affectueux. Les parents des jeunes époux et plusieurs autres vieux bergers qui vinrent se joindre à eux, étaient de ceux qui l'avaient visité à la crèche dans la nuit de sa nativité. Ils racontèrent ce qui s'était passé alors de la façon la plus touchante et ils rendirent au Seigneur toute espèce d'hommages. Plusieurs jeunes gens répétèrent ce que leur avaient raconté À ce sujet leurs défunts parents. Ils amenèrent parmi eux beaucoup de malades dont quelques-uns, affaiblis par l'âge, ne pouvaient plus marcher et aussi des enfants malingres et infirmes que Jésus guérit tous avec une grande charité. Il dit aussi aux fiancés d'aller après sa mort trouver les apôtres qui les baptiseraient et les instruiraient pour qu'ils pussent marcher dans sa voie.

Pendant tout ce voyage je ne vis nulle part Jésus aussi plein de sérénité et de joie qu'au milieu de ces gens simples et bons. C'était un spectacle très touchant. J'ai vu que tous ceux qui lui avaient rendu hommage lorsqu'il était au berceau, reçurent la grâce de devenir chrétiens.

31 août. — Je vis le Seigneur après la noce des bergers se diriger plus au midi dans les montagnes où se trouve Juta Les gens de la noce lui firent la conduite. Il y avait de nouveau six apôtres prés de lui : je me rappelle qu'André était l'un d'eux. J'entendis dire aux disciples, qu'il allait à un village de la montagne où il y avait une école, qu'il y enseignerait et y resterait pour le sabbat. Pendant ce voyage je vis qu'on amena beaucoup d'enfants à Jésus sur son chemin : la plupart étaient très gros ; ils semblaient avoir le corps tout enflé et ne pouvaient pas marcher. Les gens de cette contrée étaient encore très bons.

1er septembre. — Jésus alla droit à la synagogue du petit endroit dont il a été parlé et il y enseigna. Les prêtres qui s'y trouvaient s'éloignèrent pour en appeler d'autres, mais ils furent obligés de lui abandonner la chaire. Le peuple écouta le Seigneur avec joie Il passa la nuit dans une hôtellerie ouverte, située près de là Je crois que Joseph et Marie y passèrent aussi la nuit lorsqu'ils allèrent chez Zacharie. Cet endroit n'est pas loin de Juta. L'école est située isolément sur une colline. Il y a ici beaucoup de pierres blanches et de beaux pâturages entre les rochers.

2 septembre. — Je vis le Seigneur célébrer le sabbat dans l'école qui est sur la colline avec les disciples et quelques gens pieux. Les Pharisiens le célébrèrent ailleurs. Comme il parlait toujours de sa fin prochaine, les disciples auraient voulu qu'il allât à Nazareth sa patrie, mais c'était aux bonnes gens d'ici qu'il voulait consacrer son temps et non à ceux de Nazareth où on l'avait autrefois si mal reçu. Il enseigna sur le texte : " Nul ne peut servir deux maîtres ". Les Pharisiens se moquaient lorsqu'ils l'entendaient dire qu'il ne reviendrait plus : il avait déjà dit cela plusieurs fois, prétendaient-ils.

3 septembre. — Jésus enseigna encore ici. Il dit aujourd'hui qu'il était venu apporter le glaive. (Matt. X) Cela troubla et inquiéta les disciples. Il expliqua alors qu'il s'agissait du retranchement de tout ce qui est mauvais. Parmi les gens du pays, il y en avait quelques-uns qui avaient plusieurs femmes, et Jésus enseigna sur le mariage, sur la continence et sur ce qu'il fallait quitter sa famille pour le suivre. Il enseigna fréquemment en paraboles. Il vint beaucoup de gens d'endroits éloignés auxquels ceux du voisinage furent obligés de faire place.

6 septembre. — Jésus a quitté le petit bourg où je l'ai vu ces jours-ci monter souvent à la synagogue et en redescendre. Il a de nouveau envoyé en mission la plupart des apôtres et des disciples. Il alla à deux lieues plus au nord, mais par un autre chemin que celui qu'il avait pris pour venir : beaucoup de personnes l'accompagnèrent. Il visita un petit endroit dont les habitants étaient animés de bons sentiments et vinrent à sa rencontre devant la porte. Jésus enseigna ici beaucoup de braves gens, la plupart du temps sous un arbre.

20 septembre. — Pendant treize jours, Anne Catherine en proie à de grandes souffrances, fut hors d'état de rien raconter : à partir du 20, elle communiqua les courts fragments qui suivent.

Jésus s'est arrête dans un endroit voisin de Samarie, et il ne va pas à Béthanie. Je vois trois Maries venir à sa rencontre : la sainte Vierge, sa soeur aînée Marie d'Héli, et la fille de celle-ci, Marie de Cléophas.

21-23 septembre. — Les saintes femmes sont auprès de Jésus. Un messager de Lazare le prie d'aller à Béthanie, mais il n'y va pas encore.

Les saintes femmes et le messager sont restés ici pour le sabbat. Jésus alla pour le sabbat à un endroit situé à une journée de voyage au nord de Béthanie. Il y a une grande synagogue où il enseigna : elle a deux étages et elle est pleine de monde. Il enseigne à l'étage supérieur, mais il descend souvent en bas. Beaucoup de femmes viennent pour faire bénir leurs enfants : on apporte aussi beaucoup de malades sur des lits. Les saintes femmes et le messager l'attendent à l'endroit où il était précédemment.

24 septembre. — Jésus enseigna très au long ces jours-ci sur la parabole du Samaritain et du Lévite, sur la signification de Jéricho et de Jérusalem, et aussi sur la drachme perdue. Il dit que ceux qui ne viendraient pas à sa suite tomberaient entre les mains des assassins. Il bénit et guérit beaucoup d'enfants de différents âges et d'autres malades.

27 septembre. — Jésus est revenu à un bourg où les femmes l'attendaient. Il avait avec lui des apôtres et des disciples : ils logeaient dans une hôtellerie et ils reçurent la nouvelle de la mort de Lazare.

Je me trouvai aussi à Béthanie et je vis que Lazare venait de mourir. Je vis ses soeurs quitter la maison après sa mort. Il fut embaumé sur une planche et enveloppé à la manière juive : la maison était pleine de monde. Le corps, avec la planche qui le supportait, fut déposé dans un coffre à claire-voie avec un couvercle bombé, et porté au tombeau. Je vis Marthe et Madeleine se rendre après la mort de leur frère dans la métairie voisine de l'héritage de Joseph, qu'elles possédaient près de Ginéa et de Jezraël, et où elles avaient souvent donné l'hospitalité à Jésus et à la sainte Famille. Elles semblaient attendre là son arrivée.

28-30 septembre. — Dans la nuit de jeudi à vendredi, je vis Jésus. les saintes femmes et tous les apôtres voyager au clair de la lune, divisés en plusieurs groupes. Ils avaient quitté le petit endroit où l'on s'était fort scandalisé à son sujet, et se dirigeaient du côté du bien de Lazare où les soeurs de celui-ci attendaient Jésus.

Le matin je vis le Seigneur et sa suite dans un village de quelques maisons : dans l'après-midi je les vis dans la petite ville de Ginéa devant laquelle est situé le bien de Lazare, où les saintes femmes se rendirent aussitôt. Quand à Jésus, il alla avec les hommes à la synagogue où il enseigna.

Le soir, après le sabbat, Jésus prit son repas avec les saintes femmes dans là maison de campagne de Lazare. Madeleine vint à sa rencontre et lui dit que Lazare était mort : que ne s'était-il trouvé là ! Jésus lui répondit que son temps n'était pas encore venu et qu'il était bon que Lazare fût mort. Ils mangèrent dans une grande salle ouverte d'un côté et qui avait vue sur une cour. Les femmes n'entrèrent dans la salle que lorsqu'il enseigna et se tinrent discrètement en arrière. Il parla du scandale qu'on avait fait à son sujet dans le petit endroit où il s'était trouvé dernièrement et du scandale dont il serait encore l'occasion.

Jésus dit aux soeurs de Lazare de ne rien déranger dans tout ce qui avait été à l'usage de leur frère : il ajouta qu'il ne viendrait que dans quelques jours. Les femmes partent demain pour Béthanie : Jésus retourna à Ginéa avec les apôtres.

3 octobre. — Ce soir je vis Jésus et lés apôtres arriver à une hôtellerie qui est à une lieue de Béthanie. Il y a là quelques maisons et une école. Des messagers envoyés par les soeurs de Lazare, vinrent le presser de venir il leur fit répondre par les disciples qu'il irait dans deux jours.

Le récit qu'on lit dans l'Évangile de saint Jean résume tout cela sans distinction de temps il y a déjà trois semaines que Jésus a reçu la nouvelle que Lazare était dangereusement malade ; la nouvelle de sa mort lui est arrivée dans l'endroit voisin de Samarie où il était avec les saintes femmes et où il dit : "Notre ami dort". Mais ce fut sur la métairie de Lazare qu'il dit expressément : "Lazare est mort".

Jésus fit ici une grande instruction sur les ouvriers de la vigne. La mère de Jacques et de Jean chercha encore ici à adresser sa requête au Seigneur. Elle entendait parler de la consommation prochaine de son oeuvre et pensait que les parents de Jésus devaient avoir une place à part dans son royaume.

4-5 octobre. — Jésus enseigna ici dans l'école. Il reprocha aux disciples leur impatience et leurs murmures sur ce qu'il tardait tant à se rendre à Béthanie. Il semblait toujours ne pouvoir s'expliquer sur ce qui le touchait et sur ce qui les touchait eux-mêmes, dans la crainte de n'être pas compris. Dans ses enseignements il s'attachait surtout à rectifier leurs idées et à les mettre en défiance contre leurs pensées toutes terrestres plutôt qu'à leur expliquer le fond des choses parce qu'ils n'auraient parce qu'ils n'auraient pas pu le comprendre.

Il n'y avait ici des Pharisiens qui l'observaient et faisaient des rapports à Jérusalem: il était aussi venu des personnes de Béthanie. La mère de Jean et de Jacques qui habitait devant Béthanie, revint encore lui présenter sa requête. Mais il lui répondit sévèrement.

6-7 octobre. — Entre le petit endroit où était Jésus et Béthanie, il y avait beaucoup de prairies, de jardins ouverts plantés d'arbres et de promenades d'agrément. Je vis le Seigneur accompagné des apôtres, marcher tout en enseignant, s'arrêter par intervalles, tantôt s'asseoir, tantôt rester debout, et se diriger ainsi à pas lents vers Béthanie. La maison et la propriété de Lazare étaient comprises dans l'enceinte des murs en ruines du bourg toutefois une partie des jardins et des cours antérieures se trouvait en dehors.

Lazare était mort depuis huit jours : on l'avait laissé quatre jours sans l'enterrer, dans l'espoir que Jésus viendrait et le ressusciterait. Ses soeurs étaient allées au-devant du Seigneur jusqu'à sa métairie de Ginéa et comme il ne voulait pas venir encore, elles s'en étaient retournées et avaient fait mettre leur frère au tombeau. En ce moment beaucoup d'hommes et de femmes de Béthanie et de Jérusalem se trouvaient près d'elles pour pleurer le mort avec elles suivant la coutume. Les femmes étaient assises ensemble, à part des hommes. Il me sembla qu'après le repas, vers la fin du jour, Marie de Zébédée entra pour parler à Marthe qui était assise au milieu des femmes (elle était venue par la même route que Jésus), et lui dit à l'oreille que le Seigneur venait. Je vis Marthe aller avec elle dans un jardin situé derrière la maison ou Madeleine était assise toute seule sous un berceau de feuillage, et dire à celle-ci que Jésus était proche. Je vis que par charité elle voulait laisser sa soeur aller la première à la rencontre du Seigneur et que Madeleine en effet y courut en toute hâte avec Marie de Zébédée. Je ne la vis pas arriver jusqu'à lui, je la vis seulement sur le chemin pendant que Marthe restait assise avec les femmes. Jésus, quand il se trouvait avec ses apôtres et ses disciples, ne se laissait pas volontiers aborder à tout moment par les femmes.

Au bout de quelque temps, le jour commençant à tomber, Madeleine revint trouver les autres femmes et prit la place de Marthe auprès d'elles. Je vis alors celle-ci aller au-devant du Seigneur qui s'était arrêté à la limite des jardins, près d'un berceau de feuillage où il s'entretenait avec les apôtres et d'autres personnes qui s'étaient jointes à eux. Marthe échangea quelques paroles avec lui : puis je la vis revenir en hâte et parler bas à Madeleine. Madeleine alors courut au-devant du Seigneur et je vis quelques Juifs la suivre.

Jésus, entouré d'un grand nombre de personnes, se tenait encore près du berceau. En ce moment le soleil se couchait. Madeleine se jeta aux pieds de Jésus, et lui dit: " Si vous aviez été ici, il ne serait pas mort " ! Je vis alors les Juifs pleurer, et Jésus aussi devint triste et pleura. Mais je le vis entrer dans la cabane de feuillage, où l'on alluma une lampe, et où les apôtres et lui-même prirent, sans s'asseoir, une légère réfection. Il enseigna là très longtemps. J'entendis plusieurs des auditeurs, dont la plupart n'avaient pas pu entrer et dont le nombre allait toujours croissant, chuchoter et murmurer de ce qu'il n'avait pas conservé la vie à Lazare. Je vis aussi que le Seigneur était très attristé et très ému. Il fit une très longue instruction sur la mort, et ne la termina que vers le matin.

Il me sembla que le jour venait de poindre lorsqu'ils allèrent au tombeau. Les apôtres étaient avec Jésus : je me souviens particulièrement de Matthieu et de Jean. Il y avait là aussi les soeurs de Lazare et la sainte Vierge avec les autres Maries, en tout sept femmes. et beaucoup de peuple. La foule allait toujours croissant ; c'était presque un rassemblement tumultueux, comme lors du crucifiement. On suivait d'abord un chemin bordé de haies couvertes de verdure, on passait ensuite par une porte, et il restait à peu près un quart de lieue à faire pour arriver au cimetière. Ce cimetière était entouré de murs. Quand on était entré, un chemin qui bifurquait à droite et à gauche conduisait autour d'un monticule artificiel coupé transversalement par des caveaux. Non loin de l'entrée se trouvait, sur la pente du monticule, la porte de la sépulture de Lazare. Quand on ouvrait cette porte, on voyait un caveau profond qui se prolongeait sous la colline. Ce caveau était divisé en chambres sépulcrales par plusieurs grilles ; il était fermé à son extrémité par une autre grille à travers laquelle on voyait de la verdure et des arbres.

Lazare était enterré dans la première chambre. Ce caveau recevait le jour d'en haut, par des ouvertures pratiquées dans la voûte : on y descendait par quelques marches. A droite, en entrant, se trouvait contre la paroi une excavation en forme de carré long, profonde d'environ trois pieds, et recouverte d'une pierre. C'était là qu'était le corps de Lazare, placé dans un cercueil loger autour duquel on pouvait circuler. La pierre tombale était levée et appuyée à la paroi dans le prolongement du caveau se trouvaient plusieurs tombeaux.

Jésus, les apôtres et les femmes de la famille s'approchèrent au caveau qui était ouvert. En outre, de ce côté le cimetière était découvert autour de la sépulture, et plus loin jusque devant l'entrée. Jésus descendit dans le sépulcre avec quelques apôtres ; Madeleine, Marthe et les autres femmes restèrent à la porte. La foule était si pressée, qu'on grimpait au-dessus de la voûte et sur le mur du cimetière pour mieux voir. Lorsque Jésus fut devant le tombeau, il commanda aux apôtres d'ôter la pierre. Ils l'enlevèrent en effet et l'appuyèrent contre la paroi, ils firent de même pour une clôture plus légère qui était dessous. Ce fut alors que Marthe lui dit que Lazare était déjà enterré depuis quatre jours et qu'il sentait mauvais, et que Jésus lui répondit. Cependant les apôtres enlevèrent encore le couvercle en clayonnage qui fermait le cercueil, en sorte qu'on vit le corps couché et enveloppé. Alors Jésus leva les yeux au ciel, pria à haute voix et cria d'une voix forte : " Lazare, sortez " ! à ce cri, le cadavre se releva sur son séant, et la foule qui était dehors se précipita tumultueusement en avant. Mais le Seigneur commanda aux apôtres d'écarter les curieux. Ils lui obéirent et firent retirer la foule à l'entrée du cimetière. Cependant il était resté dans le caveau, près du cercueil, des apôtres qui enlevèrent le suaire dont je visage de Lazare était recouvert. Il ressemblait a un homme appesanti par le sommeil. Ils lui délièrent les mains et les pieds, remirent les bandelettes aux personnes qui étaient dehors, et prirent un manteau qu'on leur présenta. Alors Lazare, se levant, sortit du cercueil et du tombeau, tout chancelant et ressemblant à une ombre. On lui jeta le manteau sur les épaules, et, passant devant le Seigneur comme un somnambule, il gagna la porte où se tenaient ses soeurs et d'autres femmes, qui reculèrent effrayées comme devant un spectre, et qui se prosternèrent la face contre terre sans oser le toucher. Jésus sortit du sépulcre après lui, et lui prit les deux mains avec une gravité affectueuse.

Alors il se rendirent à l'habitation de Lazare. La presse était grande, mais il régnait un certain effroi parmi les spectateurs et la foule s'écarta pour leur livrer passage. Lazare marchait comme s'il n'eût pas touché la terre : mais il avait encore toute l'apparence d'un cadavre. Jésus marchait à côté de lui ; les autres le suivaient pleurant, sanglotant et plongés dans une stupeur muette. Ils revinrent par une ancienne porte, puis suivant le chemin qui passait entre les haies verdoyantes du jardin, ils arrivèrent à la salle de verdure d'où ils étaient partis et où le Seigneur entra avec Lazare et les siens. Le peuple se pressait en foule au dehors et l'agitation était grande. Lazare se prosterna de tout son long. devant Jésus. comme un homme que l'on reçoit dans un ordre religieux. Jésus parla encore assez longtemps : on fit retirer la foule et ils arrivèrent vers midi à la maison de Lazare qui était à environ cent pas de là. Ils entrèrent dans une salle à manger ouverte, attenant au bâtiment principal, et les femmes allèrent à la cuisine pour apprêter le repas.

Jésus, les apôtres et Lazare étaient seuls. Les apôtres se rangèrent en cercle autour de Jésus et de Lazare. Alors Lazare s'agenouilla devant le Seigneur, qui lui mit la main droite sur la tête et souffla sept fois sur lui : son souffle était lumineux. Je vis sortir de Lazare comme une sombre 1rapeur et je vis loin du cercle comme une figure noire qui s'envolait dans les airs : c'était le démon qui se retirait furieux et réduit à l'impuissance. En soufflant ainsi sur Lazare, Jésus le consacra à son service, le purifia de toute attache au monde et au péché et munit de grâces spirituelles. Il s'entretint longtemps encore avec lui, et lui dit qu'il l'avait ressuscité pour qu'il se vouât à son service. Il lui annonça qu'il aurait à souffrir de grandes persécutions de la part des Juifs.

Jusqu'à ce moment Lazare était resté enveloppé dans son linceul : il sortit pour s'en débarrasser et reprendre ses vêtements : ce fut alors seulement que ses soeurs et ses amis l'embrassèrent : car auparavant il y avait en lui quelque chose de cadavérique qui inspirait la terreur. J'ai vu aussi que son âme après s'être séparée de son corps s'était trouvée dans un séjour tranquille, exempt de supplices et éclairé par une espèce de crépuscule, qu'il y avait rencontre des justes, comme Joseph, Joachim, Anne, Zacharie, Jean-Baptiste, et qu'il leur avait raconté ce qu'il savait de la vie du Rédempteur sur la terre.

Lazare reçut par l'insufflation de Jésus les sept dons du Saint Esprit et il fut entièrement dégagé de toute attache aux choses de la terre. Il reçut ces dons avant les apôtres, car la mort lui avait fait connaître de grands mystères, il avait vu un autre monde ; ayant déjà subi la mort, puis étant né une seconde fois, il se trouvait capable de recevoir ces dons surnaturels. Ce personnage de Lazare a une signification mystérieuse d'une grande importance.

On avait préparé un grand repas et tous se mirent à table. Il y avait un grand nombre de plats : plusieurs petites urnes étaient posées sur la table, un homme surveillait le service : les femmes vinrent après le repas et se placèrent au bout de la table pour entendre parler Jésus. Lazare était près de lui. On faisait un bruit horrible autour de la maison : beaucoup de gens de Jérusalem étaient venus, notamment des gardes qui s'étaient postés de tous les côtés. Mais Jésus envoya les apôtres dire au peuple et aux gardes de se retirer. Jésus enseigna encore à la lueur des lampes et il dit aux disciples, qu'il voulait aller le lendemain à Jérusalem avec les apôtres. Comme ils lui représentaient le danger qu'il courait, il répondit qu'on ne le reconnaîtrait pas, qu'il ne se montrerait pas en public. Je vis qu'après cela ils prirent un peu de sommeil couchés autour de la salle contre les murailles.

8 octobre. — Jésus alla avant le jour de Béthanie à Jérusalem, accompagné de Jean et de Matthieu qui avaient relevé leurs robes un peu autrement qu'à l'ordinaire ils firent le tour de la ville et arrivèrent par des sentiers détournés à cette maison où eut lieu plus tard la célébration de la cène. Ils y restèrent en secret toute la journée et la nuit suivante. Jésus enseigna et encouragea les amis qu'il avait dans la ville. Je vis dans la maison de Marie, mère de Marc, Véronique et une douzaine d'hommes. Je me disais envoyant cela, qu'aujourd'hui, quand il s'agit des intérêts de la religion, on trouve difficilement des amis qui consentent à vous cacher chez eux. Nicodème auquel celle maison appartenait et qui la mettait volontiers à la disposition de Jésus et de ses amis n'était pas là. Il était allé ce jour-là à Béthanie pour voir Lazare.

Je vis aussi les Pharisiens et les princes des prêtres tenir conseil à l'occasion de Jésus et de Lazare : je les entendis dire, entre autres choses, qu'ils craignaient que Jésus ne ressuscitât une foule de morts, ce qui ferait naître de grands embarras. Je trouvai cela stupide et ridicule.

Vers midi il y eut une émeute à Béthanie : si Jésus eût été là, on l'aurait lapiné. Lazare fut obligé de se cacher : les apôtres se dispersèrent de tous les côtés. Les amis de Jésus à Béthanie se cachèrent. Le calme se rétablit pourtant parce qu'on finit par se dire qu'on n'avait le droit de rien faire contre Lazare.

Jésus passa tout le reste de la nuit dans la maison de la montagne de Sion. Avant le jour il quitta Jérusalem avec Mathieu et Jean et se réfugia au delà du Jourdain : il ne reprit pas la route de Béthabara qu'il avait suivie dernièrement : mais il remonta vers le nord-est. Vers midi, il avait déjà franchi le Jourdain : le soir les apôtres vinrent de Béthanie le retrouver et ils passèrent la nuit sous un grand arbre.

10-11 octobre. — Le matin ils se dirigèrent vers un petit endroit voisin. Il y avait au bord du chemin un aveugle, conduit par deux enfants qui n'étaient pas de sa famille. C'était un berger des environs de Jéricho. Il avait entendu dire aux apôtres que le Seigneur venait, et il invoqua Jésus à grands cris. Le Seigneur lui mit la main sur la tête et il recouvra la vue. Alors l'aveugle jeta ses haillons et n'ayant que son vêtement de dessous, il suivit Jésus jusqu'au village, où le Seigneur entra dans une salle et enseigna sur la nécessité de le suivre ; il dit que, comme cet aveugle avait jeté ses haillons, il fallait tout quitter et marcher a sa suite, les yeux ouverts. On donna un manteau à l'aveugle : il voulait rester avec Jésus mais le Seigneur s'y refusa, et lui dit qu'il fallait d'abord faire preuve de persévérance. Jésus enseigna ici jusqu'au soir : il y avait environ huit apôtres avec lui.

En approchant d'une petite ville, il eut faim. Cela me fit rire, car en réalité c'était une autre espèce de faim qu'il avait : il avait faim des âmes. Il était accompagné de quelques personnes des derniers endroits visités par lui, lesquelles marchaient sans ordre. Il passa devant un figuier ou il ne trouva pas de fruits : puis il revint vers cet arbre qu'il maudit et qui se dessécha à l'instant : ses feuilles devinrent jaunes et il se tordit sur lui-même. Lorsque Jésus arrivé à la ville fut entré dans l'école, il enseigna sur le figuier stérile. Il y avait ici des docteurs et des pharisiens. Ils passèrent la nuit dans une hôtellerie du voisinage Les Pharisiens d'ici étaient malveillants et ils pressèrent Jésus de se retirer. Prés de cet endroit (c'est peut-être Betharan), passe un petit cours d'eau, sur lequel il y a un pont et qui se jette dans le Jourdain. L'école ici. est située sur une hauteur.

Jésus avec sa suite quitta cet endroit où il n'eut pas à se louer des habitants. Ils se dirigèrent au nord-est à travers vers le territoire de la tribu de Gad et passèrent la nuit : dans une hôtellerie de bergers.

È

CHAPITRE HUITIÈME

Séjour à Cédar et à Sichar-Cédar

- Jésus fait un voyage dans le pays des adorateurs des astres. - Son séjour à Cédar et à Sichar-Cédar.

Du 12 octobre au 18 novembre 1820.

Jésus à Chorozain - à Bethsaide.-il traverse le pays de Basan. - il enseigne à Cédar - à Edon.-Guérison d'un couple de vieux époux. Jésus à Edon.- il réconcilie des ménages - enseigne en paraboles sur le mariage - établit un vignoble. - Morts ressuscités. - Jésus retourne à Cédar et enseigne de nouveau sur le mariage.

12 octobre. — J'entendis Jésus parler d'un voyage qu'il allait faire, dire aux apôtres que pendant ce temps ils devaient rester séparés de lui, puis leur indiquer les endroits où ils devaient enseigner, ceux qu'ils devaient éviter, et enfin le lieu où ils devaient de nouveau se réunir à lui. Il fait un merveilleux voyage : mais je ne me souviens pas bien de tous les pays qu'il parcourt, ni de l'ordre suivant lequel ils se succèdent. Il célébrera le sabbat dans la ville où il a béni les enfants la seconde fois. Il a envoyé un disciple en avant : le nom de l'endroit commence par " Cor " ou " Coras " : Jésus l'a maudit une fois. (C'est le Grand Chorozain dans le voisinage duquel il bénit des enfants, le 27 novembre) (tome III, page 219). Il ira de là à Bethsaïde, puis il redescendra vers le midi jusque dans les environs de Machérunte où Jean Baptiste a été décapité. Il ira de nouveau dans le pays habité jadis par les Madianites chez lesquels Moise séjourna un certain temps, et où se trouve la mauvaise ville (Madian), dans laquelle tout récemment Jésus n'a pas voulu entrer. Il ira aussi à l'endroit où Agar déposa Ismael (Bersabée, le point le plus méridional de la terre promise), à celui où Jacob érigea la pierre et fut visité par les trois anges. (Gen XXVI, 1-4, et XXVI, 23-24.) il contournera la mer Morte par la rive orientale et passera aussi au lieu où Melchisédech sacrifia en présence d'Abraham. Ce sacrifice eut lieu dans une vallée, au midi de la fertile vallée des Raisins, qui va dans la direction de Gaza. Il y a encore aujourd'hui dans cet endroit une chapelle où l'on célèbre quelquefois le saint sacrifice Elle est construite en pierres brutes et toute couverte de verdure et de mousse comme le sont les tours de la montagne des Prophètes. J'appris aussi que Jésus ira en Egypte et à Héliopolis où il a résidé pendant son enfance. Il y a là quelques gens de bien qui ont joué avec lui lorsqu'ils étaient enfants eux-mêmes, et qui ne l'ont point oublié. Ils n'avaient cessé de demander ce qu'il pouvait être devenu. Ils s'étaient bien enquis de lui, mais ne pou, aient pas croire que ce fût ce Jésus dont on parlait tant. Il reviendra de l'autre côté par Hébron et traversera la vallée de Josaphat : il ira aussi au lieu où Jean l'a baptisé et dans le désert où il a été tenté. Jésus annonça que son absence serait d'environ trois mois. Les siens devaient se réunir à lui au puits de Jacob, près de Sichar. Toutefois il était possible qu'ils le rencontrassent auparavant lorsqu'il reviendrait par la Judée.

NOTE : Elle appelle ainsi une montagne qui figure plusieurs fois dans ses visions comme le point culminant où sont les sources d'une eau sacrée avec laquelle descend sur le monde le don de prophétie. Elle voit toujours, sous forme d'objets couverts de verdure et de mousse, les monuments d'une haute antiquité se rattachant aux premiers âges du monde. (Note du Pèlerin.)

Il leur parla longuement à ce sujet et leur donna particulièrement beaucoup d'instructions sur la manière dont ils auraient à se comporter pendant son absence dans le cours de leurs prédications. Je me souviens qu'il leur dit que là où ils seraient mal accueillis, ils devaient secouer la poussière de leurs souliers.

Aujourd'hui, de jeudi à vendredi, il semble avoir encore logé chez des bergers. Les disciples se dispersèrent de différents côtés. Matthieu alla chez lui pour un certain temps. Il est marié et sa femme est excellente : ils vivent dans la continence depuis sa vocation. Pendant un certain temps il enseignera chez lui et supportera sans s'émouvoir le mépris qu'on lui témoignera.

Aujourd'hui, dans l'après-midi, Jésus accompagné de Pierre, d'André et de Philippe, se rendit à Chorozaïn pour y célébrer le sabbat. Il alla aussitôt à la synagogue où il enseigna.

14 octobre. — Ce matin Jésus enseigna encore dans la synagogue. Vers midi il fut accosté par un homme de Capharnaüm qui était venu l'attendre et dont le fils était il la mort. Il supplia le Seigneur d'aller avec lui et de guérir son fils. Mais le Seigneur lui dit de s'en retourner, parce que son fils était guéri, et il obéit. Il y eut encore beaucoup de malades et d'affligés, soit de la ville, soit d'endroits éloignés, qui se rassemblèrent autour de Jésus : il en guérit quelques-uns sur-le-champ et promit aux autres qu'ils seraient guéris plus tard.

Le soir du sabbat, Jésus prit congé des habitants devant la synagogue et se dirigea avec deux apôtres vers l'endroit où le Jourdain entre dans le lac, afin de passer de l'autre côté : le passage était plus haut et cela allongeait beaucoup le chemin. On se sers ait pour traverser le fleuve d'une espèce de radeau fait avec des poutres superposées et au milieu duquel était une sorte de cuve dans laquelle on jetait les paquets : elle était placée assez haut pour que l'eau ne pût y pénétrer : on faisait avancer ce radeau avec des perches. La rive du Jourdain n'est pas élevée dans cet endroit et il me semble qu'il y a quelques petites îles. Je vis le Seigneur et les trois apôtres marcher au clair de la lune. Devant Bethsaide, comme devant la plupart des villes de la Terre promise, se trouvait un hangar où les voyageurs avaient coutume de rabattre leurs vêtements et de se nettoyer avant d'entrer dans la ville. Il se trouvait là ordinairement des gens pour leur laver les pieds. C'est ce qu'on fit pour le Seigneur et pour ses disciples. Ils allèrent ensuite dans la maison d'André qui était marié : on y avait apprête un repas composé de miel, de petits pains et de raisin. La maison est située sur l'un des côtés de la ville : elle est assez grande et précédée d'une cour entourée de murs. Le Seigneur avait avec lui Pierre, Philippe et André, qui, je crois, avait pris les devants. Une douzaine d'hommes prenaient part au souper : je ne me souviens plus bien si c'étaient des apôtres ou d'autres disciples. A la fin du repas, il vint aussi six femmes pour entendre parler le Seigneur. Jésus prit ici son logement.

15 octobre. — Aujourd'hui Jésus visita à BethsaÏde une seconde maison où se trouvaient plusieurs femmes : je ne sais pas si c'était la maison de Philippe. Il quitta ensuite Bethsaïde avec les apôtres. Il alla au nord et s'arrêta encore devant Bethsaïde dans une maison où étaient déposés beaucoup d'objets à l'usage des pêcheurs. Il s'était rassemblé là une quantité de personnes devant lesquelles Jésus enseigna assez longtemps. De là il remonta le long du Jourdain qu'il passa sur un pont, bien au-dessus de l'endroit où il avait traversé le fleuve précédemment.

16 octobre. — Aujourd'hui Jésus marcha toute la journée avec les trois apôtres à travers la Galilée orientale, se dirigeant au midi vers le pays des Amorrhéens ou de Basan. Il a marché aussi une partie de la nuit.

17 octobre. — Ce matin vers cinq heures, je vis dans une contrée située au delà du Jourdain, où il y avait beaucoup de sable blanc et de pierres blanches, plusieurs disciples qui attendaient l'arrivée du Seigneur sous un hangar de bergers. Il y avait avec eux trois jeunes gens d'une taille élancée qu'ils avaient amenés et qui me parurent être du pays où le Seigneur avant d'aller à Samarie enseigna sous un arbre et bénit des enfants. Ils cueillirent ici des baies et d'autres fruits : c'étaient des baies jaunes et vertes, grosses comme des figues, et de petites pommes jaunes qui venaient soit sur des buissons, soit sur des arbres d'où ils les faisaient tomber avec des bâtons crochus.

Le chemin que le Seigneur suivit avec les trois apôtres était une belle route à l'usage du public : cependant elle paraissait peu fréquentée, car l'herbe y poussait en abondance. Elle était bordée des deux côtés d'arbres fruitiers, très touffus, dont les branches s'entremêlaient ensemble. Les apôtres cueillirent des fruits qu'ils mirent dans leurs poches : le Seigneur n'y toucha pas. Il me sembla qu'il avait suivi toute la nuit un chemin montant. Ceux qui l'attendaient allèrent à sa rencontre, le saluèrent et l'entourèrent, sans toutefois lui donner la main.

Jésus était plus grand que les apôtres. Soit qu'ils marchassent, soit qu'ils s'arrêtassent, on voyait toujours dominer son front pâle et majestueux. Il marchait d'un pas ferme et le corps très droit : il n'était ni gras ni maigre, mais son corps était admirablement proportionné, et tout en lui annonçait la santé et la vigueur. Il avait de larges épaules et une large poitrine. Ses muscles étaient développés comme ceux d'un homme qui voyage beaucoup et prend beaucoup d'exercice : toutefois, rien en lui ne portait la trace d'un travail rude et pénible.

Devant le hangar était une poutre équarrie, longue et large. Jésus et ses compagnons s'assirent autour comme à table et on plaça devant chacun une portion des fruits qu'on avait recueillis. Ils avaient aussi avec eux de petites cruches contenant un breuvage. A l'horizon s'élevaient des montagnes devant lesquelles était une ville. Je crois que c'était sur le territoire des Amorrhéens. A peu de distance d'ici le chemin descendait un peu. Je les vis marcher tout le jour et arriver vers le soir à un village composé de maisons disséminées. Sur le chemin était une espèce d'hôtellerie où ils entrèrent d'abord, et où se rassemblèrent autour d'eux beaucoup de curieux. Les gens de ce pays n'avaient guère entendu parler de Jésus : ils étaient du reste simples et bons. Le Seigneur raconta ici une 1`arabole sur le bon Pasteur. Ils ne restèrent pas dans cette maison, mais ils allèrent dans une autre hôtellerie un peu écartée du chemin : ils y mangèrent et y dormirent. Le Seigneur leur dit qu'il irait seul avec les trois jeunes gens, passerait par la Chaldée et le pays d'Ur où Abraham était né et se rendrait en Egypte par l'Arabie. Les disciples devaient se répandre de divers côtés en deçà des limites de la Terre promise et y enseigner ; lui aussi voulait enseigner là où il irait. Il leur assigna comme lieu de rendez-vous au bout de trois mois le puits de Jacob près de Sichar. Je vis parmi les disciples Siméon, Cléophas et Saturnin.

18 octobre. — Au point du jour Jésus se sépara des apôtres et des disciples qui l'accompagnaient. Il leur tendit la main. Ils étaient très contristés de ce qu'il ne voulait prendre avec lui que les trois jeunes gens lesquels étaient âgés de dix-sept à dix-huit ans. J'ai su le nom du plus jeune, mais je l'ai oublié. Plus tard, il a été souvent employé par les apôtres et il a beaucoup travaillé et beaucoup souffert. Le chemin que prit le Seigneur se dirigeait vers le levant, toujours en descendant. Vis-à-vis s'élevaient les montagnes de Galaad. Le sol était blanchâtre et sablonneux : on voyait ça et là des cèdres, des dattiers et aussi des noyers : des ruisseaux coulaient dans la vallée. Il y a dans les environs plusieurs villes : je me rappelle les noms d'Astharoth et de Cédar.

André, Philippe et Pierre retournèrent chez eux. Les disciples se dispersèrent sur divers points de la frontière. Jésus voulut aller pour le sabbat dans une ville qui était la dernière ville juive de ce côté. Je crois que c'est Cédar.

Le Seigneur portait sur son corps une tunique brunâtre, faite au métier ou tricotée, et plissée dans le sens de la longueur : il avait par là-dessus une longue robe blanche de laine fine avec de larges manches, laquelle était serrée autour du corps par une large ceinture faite de la même étoffe, ainsi que le mouchoir qu'il roulait autour de sa tète pour dormir.

Ils mangèrent en chemin des fruits et des baies. Les jeunes gens portaient des besaces ou se trouvaient des petits pains et des petites cruches contenant un breuvage. Ils avaient des bâtons. Plus d'une fois le Seigneur aussi cassa une branche pour s'en faire un bâton qu'il laissait là au bout de quelque temps. Il avait des semelles sous ses pieds nus. Pendant la route il instruisait les jeunes gens qui étaient très innocents et très simples. Le soir ils entrèrent le soir dans une maison isolée habitée par des gens simples et grossiers. Ils y passèrent la nuit.

Jésus ne se fit pas connaître ici et pourtant il enseigna en racontant de belles paraboles, relatives au bon Pasteur pour la plupart. On lui fit des questions touchant Jésus de Nazareth, mais il ne leur dit pas que c'était lui. Il les interrogea sur leurs travaux et sur leurs affaires et ils le prirent pour un berger qui voyageait en quête de bons pâturages, ainsi qu'on en rencontrait souvent dans la Palestine. Je ne le vis pas opérer de guérisons ni faire de miracles.

19 octobre. — Jésus se remit en route ce matin. Il peut être encore à quelques milles de Cédar, ville située sur un point où l'on arrive en montant toujours : les montagnes s'élèvent par derrière. La patrie d'Abraham est, je crois, encore loin de là vers le nord-est : le pays des trois rois est au sud-est.

Les disciples étaient retournés chez eux, ou s'étaient répandus en divers lieux pour enseigner. Zachée de Jéricho s'était trouvé ici avec eux. Il revint chez lui, renonça à son emploi, vendit tout ce qu'il possédait pour le donner aux pauvres et se retira dans un petit endroit avec sa femme : ils vécurent dès lors dans la continence. Le Seigneur avait annoncé aux disciples qu'il se réunirait à eux après un intervalle de neuf semaines.

Il y avait eu une grande agitation à Jérusalem à la suite de la résurrection de Lazare. Jésus s'éloigna pour se faire oublier ; pendant ce temps beaucoup de gens pourraient se convaincre de la vérité de ce prodige et seraient par là préparés à se convertir. Quand il revint, il avait beaucoup maigri. Rien n'a été écrit sur ce voyage, car aucun des apôtres ne l'accompagnait. Peut-être aussi tous ne savaient-ils pas où il était allé. Autant qu'il m'en souvient, c'est la première fois que je vois ce voyage.

Aujourd'hui le Seigneur accompagné des trois jeunes gens poursuivit sa route vers le sud-est en faisant plusieurs détours. Pendant la nuit du 19 au 20 ils logèrent de nouveau chez des bergers dans une maison isolée. Les gens de ce pays sont généralement bons et sans malice. Ils admirent Jésus et l'ont pris en amitié. Il raconte plusieurs des paraboles qu'il a racontées en Judée et ils l'écoutent avec plaisir. Il ne guérit pas, il ne bénit pas : quand ils l'interrogent sur Jésus de Nazareth, il leur parle de ceux qui se sont mis à sa suite et il lie encore cela à des paraboles. Ils le prennent pour un berger en quête de troupeaux ou de pâturages.

20 octobre. — Jésus continua à voyager ainsi pendant la journée de vendredi. Ses rapports avec ses trois jeunes compagnons sont singulièrement touchants. Le plus jeune d'entre eux qui a quinze ou seize ans, se nomme Erémenzear. Plus tard, lorsqu'ils firent partie des disciples, Jésus leur donna à tous les trois d'autres noms qui se rapportaient à leurs caractères. Je ne les sais pas encore. Ils ne m'ont pas l'air de Juifs : ils sont tout autres, plus élancés, plus adroits et ils portent de longs vêtements. Je crois savoir confusément qu'ils ont pour parents des bergers qui avaient fait partie du cortège des trois rois de l'Orient et qui restèrent en Palestine. Le pays où ils vont maintenant semble être leur patrie. Ils sont avec Jésus comme des enfants, ils le servent avec beaucoup de bonne grâce et quand on rencontre de l'eau, ils lui lavent les pieds. Ils courent à droite et à gauche sur le chemin, rapportent des baguettes, des branches, des fleurs, des fruits. Jésus les enseigne très affectueusement et leur explique en paraboles tout ce qui est arrivé jusqu'à présent. On rencontre souvent dans ce pays de grands buissons épineux où pendent de très grosses baies. Ils n'allèrent pas à Cédar par la route directe, mais par des chemins détournés et ils visitèrent plusieurs maisons.

Ils arrivèrent aujourd'hui à Cédar avant le sabbat. Il était trop tard pour entrer dans la ville et ils passèrent la nuit dans une grande hôtellerie ouverte, où beaucoup d'autres voyageurs avaient aussi cherché un abri. Il y a là beaucoup de hangars avec des endroits pour se coucher : le tout est entouré d'une cour fermée. Un homme auquel appartenait cette maison ou qui en était le surveillant l'avait ouverte le soir, après quoi il était retourné à la ville. Jésus célébra le sabbat dans l'hôtellerie avec les jeunes gens.

21 octobre. — Ce matin l'homme de l'hôtellerie revint de la ville et je crois me rappeler qu'on lui paya un petit écot. Les voyageurs s'en allèrent chacun de leur côté. Mais il prit avec lui Jésus et ses compagnons qu'il conduisit à la ville dans sa maison. La ville est située à l'entrée des montagnes, dans une vallée arrosée par un cours d'eau dont elle occupe les deux rives. Elle se compose d'une vieille et d'une nouvelle ville, séparées par la petite rivière qui vient du levant et coule vers la Terre promise. Cette rivière est très encaissée et deux arches en maçonnerie la traversent. La partie de la ville qui est en deçà du cours d'eau est la moins importante et la plus pauvre : elle est habitée en majorité par des bergers juifs qui en outre font métier de construire des cabanes et de fabriquer divers objets à l'usage des bergers. Le quartier de l'autre rive parait plus riche : il est habité par des païens sans mélange de Juifs. Les gens d'ici ne sont déjà plus tout à fait habillés à la mode juive : ils ont souvent des capuchons pointus. Dans le quartier qui est en deçà de la rivière, il y a une synagogue. On voit aussi sur une place une fontaine jaillissante, entourée de pelouses bien tenues, avec des allées sablées. C'est ce qu'il y a de plus beau dans l'endroit.

Le Seigneur et les jeunes gens allèrent à la synagogue avec leur hôte et ils célébrèrent le sabbat fort tranquillement Quand les prières furent terminées, Jésus leur demanda s'ils voulaient qu'il leur racontât quelque chose, et comme ces braves gens y consentirent de grand coeur, il leur raconta entre autres choses la parabole de l'enfant prodigue. Ils écoutèrent très attentivement et témoignèrent beaucoup d'admiration. Ils ne savaient pas qui il était. Il se donna pour un berger qui cherchait des agneaux perdus et voulait les conduire dans de bons pâturages. Ils virent en lui un prophète et l'invitèrent à venir dans leurs maisons. Il enseigna encore et raconta des paraboles le jour suivant.

22-24 octobre. — Aujourd'hui, il parla en plein air près de la fontaine : les hommes et les femmes étaient assis à ses pieds, sans distinction, ou couchés sur l'herbe : il prit des enfants dans ses bras. Il raconta, entre autres choses, comment Zachée était monté sur le sycomore, et avait tout quitté pour suivre Jésus : il parla aussi de l'homme qui s'était glorifié dans le temple "de n'être pas comme ce publicain", et aussi de celui qui s'était frappé la poitrine en disant : "Seigneur, ayez pitié de moi qui suis un pauvre pécheur".

Le lundi Jésus séjourna encore à Cédar. Les habitants l'avaient pris en affection et étaient sans défiance à son égard. Ils l'ont prié de rester jusqu'au sabbat suivant, et d'enseigner alors dans l'école. On lui fit beaucoup de questions sur Jésus et il raconta plusieurs choses touchant ce Jésus et son enseignement. Le soir il alla dans un petit endroit situé à une lieue de là, en descendant la rivière, et il y passa la nuit. On l'avait invité à y venir. Il ne revint que le mardi soir à Cédar où il enseigna.

25 octobre. — Aujourd'hui Jésus alla à l'est de Cédar dans une contrée où il y avait des palmiers et de belles prairies. Il se dirigeait vers un endroit qui s'appelle, je crois' Edon. Il visita sur son chemin une maison isolée où le père et la mère de famille étaient depuis longtemps retenus sur leur couche par une maladie incurable. Il y avait dans la maison plusieurs enfants qui allaient et venaient. C'étaient de bonnes gens et Jésus resta près d'eux. Ils l'interrogèrent sur Jésus de Nazareth touchant lequel ils avaient entendu divers bruits absurdes. Il parla de lui, des persécutions qu'il avait a subir, et dit qu'il reviendrait dans le royaume de son père et donnerait part à ce royaume à tous ceux qui voudraient le suivre. Il raconta tout cela dans une belle parabole touchant un roi et son fils. Je vis en même temps une vision de sa Passion et de son Ascension : je vis son trône élevé au-dessus du monde à côté de son Père avec tous les anges qui l'entouraient et je vis la récompense de ses imitateurs. Je vis le tableau de son royaume et de toute la parabole qu'il racontait à ces gens. Je vis qu'il leur laissa ce tableau imprimé dans leur coeur.

Il leur demanda ensuite s'ils voulaient suivre le bon roi, et comme ils lui répondirent qu'ils le voulaient, il leur dit que Dieu allait les récompenser en leur rendant la santé de manière à ce qu'ils pussent le suivre à Edon. Ils furent en effet guéris sur-le-champ et le lendemain ils l'accompagnèrent jusqu'à Edon au grand étonnement de tout le monde.

26 octobre. — J'arrivai à cette petite ville à travers des campagnes riantes et des prairies où s'élevaient des palmiers : en y entrant, je vis à gauche sur une place une maison où l'on faisait une noce. Cette maison où se célébraient ordinairement les fêtes de ce genre se compose d'une grande salle à l'extrémité de laquelle est la cuisine, et de chambres à coucher disposées tout autour de la maison où les lits sont rangés trois par trois et séparés par une cloison. Tout cela est au milieu d'une cour entourée d'un mur. Quoiqu'on fût en plein jour, une lampe était allumée dans la salle.

Il y a ici dans les moeurs plus de simplicité et de liberté que dans l'intérieur de la Judée. Les hommes et les femmes, le fiancé et la fiancée se tenaient dans la même pièce : tous étaient parés de guirlandes. Des enfants chantaient ou jouaient de la flûte et d'autres instruments de musique, ces bonnes gens attendaient Jésus qu'ils regardaient comme un prophète. Ils avaient entendu parler des enseignements en paraboles qu'il avait donnés à Cédar et ils l'avaient invité à leur fête.

Je vis le Seigneur partir de chez les deux époux qu'il avait guéris, et arriver ici dans l'après-midi. Les trois jeunes gens vinrent avec lai. Il avait à la main un bâton recourbé par en haut comme une houlette. Les habitants le reçurent avec joie et avec respect, ils lui lavèrent les pieds qu'ils essuyèrent avec leurs vêtements, ils en firent autant pour ses compagnons. Ils prirent son bâton qu'ils déposèrent dans un coin. Ils dressèrent une table pour lui : on apporta du poisson, des petits pains, un rayon de miel qui avait bien un pied de long, et des baies rouges dont on arracha avant de les manger une petite couronne de feuilles noires avec des points blancs. Il y avait aussi sur la table de petites cruches, des coupes et de petites écuelles qui semblaient de terre vernissée : on y prenait avec une cuiller quelque chose qu'on mettait dans la boisson. Ils mangeaient étendus sur de petits bancs avec des dossiers : on plaça Jésus entre le fiancé et la fiancée. Les femmes étaient assises plus bas. Le Seigneur bénit les mets et tous en mangèrent.

Jésus enseigna pendant le repas. Il parla de cet homme de Judée qui avait changé l'eau en vin aux noces de Cana en Galilée. Sur ces entrefaites arrivèrent les deux époux qu'il avait guéris la veille, et ses hôtes qui les savaient malades depuis si longtemps furent saisis d'étonnement. Ils rapportèrent ce que le Seigneur leur avait raconté du roi et de son royaume ; s'ils croyaient à sa parole, avait-il dit, ils auraient un jour part à son royaume, aussi sûr qu'ils étaient guéris maintenant. Jésus leur expliqua encore une fois tout cela et leur dit nettement qu'il y avait encore un mur entre eux et le royaume de ce roi, mais qu'ils le franchiraient s'ils se surmontaient eux-mêmes. Malheureusement je ne puis reproduire ce que j'ai entendu comme il le faudrait : j'ai entendu toutes les paroles, toutes les questions et j'ai été occupée de ce mariage toute la nuit. Ce n'est qu'un peu avant le jour qu'ils allèrent se coucher et le Seigneur dormit derrière la salle à manger prés de ses jeunes compagnons.

Après le repas, je vis Jésus aller se reposer : il était plus de minuit. Il dormit dans la même chambre que les trois jeunes gens. Je vis, comme je l'ai toujours vu, le Seigneur se retirer à part, avant de se coucher, et prier son Père céleste, agenouillé et les mains levées au ciel. Je vis alors des rayons lumineux sortir de sa bouche, et en même temps descendre vers lui une lumière céleste ou peut-être une figure d'ange. Cela arrivait souvent aussi pendant le jour quand il se retirait à l'écart dans quelque lieu solitaire. J'ai appris de lui à prier ainsi dès mon enfance : je faisais ce que je lui voyais faire.

Avant l'Incarnation, je voyais la sainte Vierge prier le plus souvent debout, les mains croisées sur la poitrine et les yeux baissés. Mais lorsqu'elle fut devenue la mère du Seigneur, je la vis ordinairement, lorsqu'elle était seule, prier à genoux, la tête levée, les yeux et les mains tournés vers le ciel.

Je vis combien Marie et les autres amis de Jésus avaient à souffrir de la méchanceté des Juifs. La résurrection de Lazare qui avait fait sur beaucoup de personnes une impression favorable au Sauveur, les avait remplis d'une telle rage qu'ils persécutèrent partout les partisans de Jésus. Lazare se tenait caché le plus souvent dans les caves de sa maison : les amis qu'avait Jésus à Bethanie, à Bethphagé et dans le petit endroit où il s'était arrêté en dernier lieu avant d'aller à Béthanie, n'osaient pas sortir de leurs retraites. Je vis des femmes de distinction dévouées à Jésus Leur porter de Jérusalem des aliments, notamment de petits oiseaux dans des corbeilles. La mère de Jésus en était réduite à ne pouvoir pas aller le soir sur le chemin sans s'exposer à ce qu'on lui jetât des pierres. Jean était dans son pays.

J'eus aussi ces derniers jours une vision touchant Judas. Lui seul se montre hardi et effronté en présence des Pharisiens : il parla longuement avec eux de Jésus, non sans se vanter à tout propos ; il se persuade qu'il va les détourner de faire telle ou telle chose, et avec toute sa jactance il renie souvent le Seigneur. Je compris par là combien le bavardage est dangereux. Je vis Marie l'avertir plusieurs fois, mais il ne prenait rien de tout cela au sérieux et il en riait. Il était du reste compatissant et serviable. C'était toujours pour moi un grand chagrin de penser qu'il devait tomber si bas, mais une malédiction terrible pesait sur lui depuis sa naissance.

Le plus âgé des trois jeunes gens qui accompagnaient Jésus dans son voyage s'appelait Eliud, et fut baptisé plus tard sous le nom de Siricius. Celui qui venait ensuite s'appelait Sela ou Silas ; le plus jeune, Erémenzear, fut nommé plus tard Hermès. Leurs parents, qui étaient de la même race que Mensor, étaient tombés dans la pauvreté et avaient fait partie du cortège des trois rois ; puis ils étaient restés chez les bergers de la vallée qui avoisine Bethléhem, avaient embrassé le judaïsme et pris des femmes juives : ils possédaient des pâturages entre Samarie et Jéricho. Je crois que Jésus, après son entretien avec la Samaritaine près du puits de Jacob, avait guéri un de ces jeunes garçons, dans les environs de Sichar, à la demande de la sainte Vierge (tome II, page 196). On les appela par la suite " les disciples discrets ", et ils furent plus tard avec Thomas, Jean et Paul. Erémenzear a écrit quelque chose sur le voyage.

Ceux que Jésus avait convertis pendant ce voyage, soit à Cédar, soit plus loin, furent, je crois, baptisés plus tard par Thomas, dont la vigne commençait à l'endroit où finissait celle de Jean. Il a cultivé tout ce district depuis l'Arabie jusqu'à l'Inde, et il a donné le baptême aux gens de la suite des trois rois qui vivaient encore.

27 octobre. — Ce matin le Seigneur était encore à Edon. L'affluence était si grande qu'il fut obligé de sortir et de prêcher devant la maison. Il régla ici beaucoup de choses. Deux personnes qui voulaient se marier, quoique étant parentes du côté paternel, le consultèrent à ce sujet : il leur expliqua que la loi de Moïse leur interdisait de s'unir, et il enseigna sur le mariage en général. L'un et l'autre s'engagèrent à vivre dans la chasteté.

Comme Jésus enseignait ici sur le mariage, on lui parla d'un endroit voisin où les habitants n'observaient plus les prescriptions de la loi sur cette matière et où un homme avait épousé successivement les sept soeurs. On raconta cela en le déplorant et le Seigneur résolut d'aller dans cet endroit.

Deux de ses habitants assistaient ici au repas de noces. L'un d'eux n'avait pas d'enfants de sa propre femme, mais il avait eu de la femme de l'autre qui s'appelait Eliud, plusieurs enfants que celui-ci croyait être à lui.

Les discours de Jésus pendant le repas excitèrent de vifs remords chez le coupable. Plus tard Jésus réconcilia ces deux hommes et les amena à la pénitence et au renoncement. Il remit encore la paix dans d'autres familles. Après le repas, plusieurs des assistants revinrent avec lui à Cédar pour y célébrer le sabbat.

A Cédar qui n'est qu'à deux lieues, il y avait près de la synagogue, dans un jardin, un oratoire ouvert où se trouvait un autel avec des lampes placées sur de grands chandeliers. Une haie séparait les hommes et les femmes. Les prêtres cédèrent volontiers leur place au Seigneur et il fit, au lieu d'eux, les instructions et les prières. Ils restèrent là jusque vers les dix heures, ayant sur leur tète le ciel étoilé: après quoi, Jésus se rendit à la synagogue.

28 octobre. — Aujourd'hui, Jésus enseigna toute la Journée dans l'école de Cédar ; on l'interrogea de plusieurs cotés sur des cas de conscience relatifs aux prescriptions de la loi, spécialement sur des questions matrimoniales qu'on le pria de décider. On parla encore de cet endroit où un homme avait épousé successivement les sept soeurs. Les assistants semblaient très partagés dans leurs opinions.

Vers le soir, le Seigneur revint chez son premier hôte près de la porte de la ville : il prit un peu de nourriture, après avoir encore enseigné dans le jardin voisin de la synagogue.

29 octobre. — Ce matin Jésus enseigna encore à la synagogue sur le mariage. Il vint à lui deux époux divorcés qu'il réconcilia. Le mari avait avec lui ses proches : la femme était de même accompagnée des siens. Le Seigneur s'entretint séparément avec les uns et les autres, puis les époux s'avancèrent, se tendirent la main et le Seigneur les bénit. Je crois que ces gens étaient de l'endroit où l'on avait des idées si fausses sur les lois qui réglaient le mariage. Quand Jésus eut fini d'enseigner ici, ces gens qui étaient bons et simples lui racontèrent une histoire qu'ils tenaient de leurs ancêtres et le consultèrent à ce sujet. Malheureusement tout ce que j'en ai retenu est qu'il y était question de deux femmes, une veuve sans enfants qui affectait la sainteté, et une autre femme qui avait un mari et des enfants ; la fausse dévote avait pour directeur un prophète : elle était remplie d'amour-propre. J'ai oublié le nom du prophète. Jésus leur expliqua quelque chose à ce sujet. Il prit de nouveau son repas chez son hôte, près de la porte de la ville. Après le repas, ses trois compagnons reconduisirent chez eux les deux vieux époux qu'il avait guéris.

Jésus fut ensuite conduit à une maison située dans une partie plus élevée de la ville, et habitue par un jeune couple qui avait des enfants. Il y enseigna, imposa les mains aux enfants et mangea aussi quelque chose au repas du soir. Je l'ai vu bien rarement manger deux fois le même jour. Ici, les femmes mangeaient à table, assises au bout inférieur. Le soir les trois jeunes gens revinrent. Il passa la nuit dans cette maison.

30 octobre. — La partie de la ville située en deçà de la rivière où Jésus se trouve maintenant, se compose de groupes de maisons bâties en terrasse contre une montagne escarpée. On a souvent à monter, pour y arriver, des escaliers taillés dans le roc. Telle était, entre autres, la maison où il se trouvait en dernier lieu. Le quartier de la ville situé de l'autre côté de l'eau semble indépendant de celui-ci : il est bâti sur une colline et le sol en est plus uni. Le Seigneur n'y était pas encore allé.

Ce soir je vis Jésus se diriger vers le nord, où le pays est moins montueux. Il était accompagné de plusieurs personnes, notamment de parents et de compatriotes de la jeune femme aux noces de laquelle il avait assisté. Le lieu où je le vis semble être une résidence de bergers. Il y a plusieurs hangars ouverts, des maisons dont les murs sont faits de fagots d'épines, de longues rangées d'arbres dont les branches sont entrelacées ensemble, et des haies vives tout autour : cet ensemble d'habitations est fermé par une porte grillée, à l'entrée et à la sortie. Cependant il ne semblait pas que personne y habitât pour le moment. Je vis Jésus et ses compagnons entrer dans l'enceinte à la chute du jour : ils mangèrent des fruits sous un hangar ; c'étaient des figues, du raisin, des dattes et des baies de couleur noire. Ils étaient encore là quand les étoiles commencèrent à se montrer dans le ciel. C'était une très belle nuit : il faisait chaud et les gouttes de rosée brillaient dans le gazon. A quelque distance de là se trouve cette petite ville dont les habitants connaissent si mal les lois touchant le mariage.

31 octobre. — Jésus parcourut encore le pays dans diverses directions et ce ne fut que vers le soir qu'il arriva près d'une petite ville située au nord de Cédar sur le penchant d'une montagne. La plupart des gens qui l'avaient Suivi s'étaient dispersés dans les environs pour regagner leurs demeures. Les trois jeunes gens étaient avec lui. Il vint au-devant de lui des gens qui le conduisirent à la ville dont le nom ressemble à Sichar `, et le firent entrer dans une maison destinée aux fêtes publiques, assez semblable à celle que j'avais vue à Cana en Galilée. Beaucoup de personnes s'y trouvaient rassemblées et il y avait une espèce de solennité. Un couple de jeunes époux avait perdu ses parents enlevés par une mort subite et on donnait à manger aux gens qui avaient accompagné les corps au tombeau. Devant la maison était une cour entourée d'un treillis, dans laquelle se trouvait un berceau de verdure artistement tressé. Aux quatre coins de cette cour se trouvaient quatre blocs de pierre brute creusés en forme d'auge et remplis d'eau, d'où sortaient des plantes grimpantes, lesquelles montaient sur des pieux, et formaient des arcades de verdure qui allaient retomber au milieu de la cour sur une colonne ayant l'apparence du marbre et ornée de ciselures de toute espèce.

NOTE : Pour distinguer cet endroit, nous l'appellerons dorénavant Sichar-Cédar.

Cette colonne ne semblait pas être en pierre, et elle paraissait pouvoir être transportée facilement d'un lien à l'autre. Ces plantes n'étaient que posées dans les vases ; elles se conservaient parfaitement fraîches comme des roseaux. Cette décoration et d'autres semblables qui étaient dans la maison faisaient un effet charmant.

Le maître de la maison reçut Jésus dans une salle voisine de cette cour. Il le força de se placer sur un siège, ainsi que ses compagnons, et leur lava les pieds dans un bassin qu'on avait apporté. On leur offrit ensuite à boire et un peu de pain. Ils allèrent après cela dans une autre pièce où un repas était préparé. On voulait que Jésus s'assit à la place d'honneur. Mais il s'y refusa ; il voulut servir à table, et il servit tous les convives, leur présentant le pain, les fruits et les grands rayons de miel ; il versa dans les coupes de la liqueur que contenaient les cruches ; et je vis qu'elle était de trois espèces : il y avait un jus verdâtre, une boisson de couleur jaune, et un liquide tout a fait blanc. Jésus enseigna : il parla de la manière de servir et de tout ce qui s'y rapportait. Je ne puis répéter exactement ce qu'il dit. Je crois qu'ils n'ont pas couché dans cette maison, qui semblait n'être qu'une maison destinée aux fêtes. Cette ville est celle dont Jésus avait entendu dire, aux noces d'Edon, que beaucoup de gens y avaient contracté des mariages illicites.

L'homme que Jésus était venu trouver ici s'appelait Eliud ; il avait assisté aux noces célébrées à Edon. C'était celui dont Jésus savait que la femme avait conçu tous ses enfants dans l'adultère, quoiqu'il les crût siens. Eliud avait été aux noces sans sa femme, et il était revenu dans sa patrie avant Jésus. Il y avait appris une bien triste nouvelle, car les parents de sa femme étaient morts de chagrin tous les deux parce qu'ils avaient découvert que leur fille était enceinte, et qu'ils savaient que ce ne pouvait pas être de leur gendre. celui-ci ayant fait voeu de continence et se trouvant absent au moment de la conception. Ces bons vieillards, accablés de douleur, s'étaient jetés dans les bras l'un de l'autre, et ils étaient morts ainsi. Leur gendre ignorait la cause de leur mort ; il ne soupçonnait pas non plus l'infidélité de sa femme. Le Seigneur, à son arrivée, trouva les habitants de l'endroit rassemblés dans une maison publique pour la cérémonie des funérailles. La femme n'était pas présente à cette cérémonie. Tous les assistants étaient en longs vêtements de deuil avec des ceintures noires ; quelques-uns avaient des bandelettes noires autour du bras, d'autres autour de la tête. On faisait des prières à cette cérémonie. Un homme s'avançait au milieu de la réunion, priait et parlait. Jésus remplit ici cet office. Il parla de la mort comme châtiment du péché, des naissances pures et des naissances impures, et il en revint encore a des comparaisons tirées de la vigne.

Après la cérémonie, Jésus alla avec Eliud chez celui-ci. Il laissa ses trois disciples chez d'autres personnes. Eliud le conduisit à sa femme qu'ils trouvèrent plongée dans un profond chagrin ; le Seigneur voulut l'entretenir en particulier, et Eliud se retira. Je vis alors le Seigneur parler à cette femme. Elle lui avoua son crime, se jeta à ses pieds en pleurant, et Jésus la bénit. Ensuite il la quitta, et Eliud le conduisit à sa chambre à coucher. Je vis le Seigneur lui adresser encore des paroles graves et touchantes, puis, lorsqu'il se fut retiré, prier et prendre un peu de repos.

1er novembre. — Ce matin, de bonne heure, je vis Eliud, portant un bassin plein d'eau et une branche verte, entrer chez Jésus, qui était encore accoudé sur sa couche. Il se leva aussitôt, et Eliud lui lava les pieds, qu'il essuya avec sa robe. Alors le Seigneur lui dit de le conduire dans sa chambre à coucher, parce qu'il voulait à son tour lui laver les pieds. Eliud ne voulait pas y consentir. Mais Jésus lui dit d'un ton sévère que s'il s'y refusait, il quitterait sa maison à l'instant ; qu'il en devait être ainsi, et que puisqu'il voulait aller à sa suite, il ne devait pas hésiter à lui obéir. Alors cet homme conduisit Jésus dans sa chambre à coucher, et apporta de l'eau dans un bassin. Mais Jésus lui prit les deux mains, le regarda en face d'un air affectueux ; puis, lui ayant dit quelques mots du lavement des pieds, il en vint à parler de la destinée humaine, et lui dit enfin que ses enfants avaient été conçus dans l'adultère, que sa femme était enceinte, qu'elle se repentait, et qu'il fallait lui pardonner. Alors cet homme fondit en larmes, se jeta par terre et s'y roula en poussant des gémissements que lui arrachait l'excès de sa douleur. Jésus s'éloigna de lui, se tourna d'un autre côté et pria. Au bout de quelques instants, quand la première douleur fut passée, Jésus revint à lui, le releva, le consola et lui lava les pieds. Alors il se calma et Jésus lui ordonna d'appeler sa femme. Celle-ci vint, ayant son voile baissé. Jésus prit sa main, qu'il mit dans la main d'Eliud, les bénit, les consola, et releva le voile de la femme. Puis il les fit sortir et demanda qu'on lui envoyât les enfants. Quand ils furent venus, il leur parla, les bénit et les ramena à leurs parents. Les époux, à dater de ce moment, vécurent unis, se gardant la fidélité, et tous deux firent voeu de continence.

Je vis, ce même jour, le Seigneur visiter dans leurs maisons la plus grande partie des habitants du lieu, et redresser leurs erreurs. Je le vis aller de maison en maison, s'entretenir avec chacun d'eux de sa position particulière, et gagner le coeur de tous.

Il y a près de cet endroit des rangées considérables de ruches qui s'étendent sur le penchant de la montagne. La pente est disposée en terrasses, et on voit adossés à la montagne plusieurs ruchers quadrangulaires, aplatis par en haut, et élevés d'environ sept pieds. Ils renferment plusieurs rangées de ruches placées les unes sur les autres. Elles ne se terminent pas par une extrémité arrondie, mais en pointe comme un toit, et on peut les ouvrir par devant. Tout le rucher est fermé par un treillage de jonc artistement tressé. Les diverses ruches sont séparées par des escaliers conduisant sur des terrasses où croissent des arbrisseaux attachés à des treillages et couverts de baies et de fleurs blanches. On monte ensuite à d'autres ruches situées plus haut.

2 Novembre. — Vers quatre heures de l'après-midi je vis Jésus enseigner et raconter sous le berceau de verdure de la maison où se donnaient les fêtes. De la place où il se trouvait il dominait un peu ses nombreux auditeurs. Les femmes se tenaient en arrière et je craignais qu'elles ne pussent pas entendre tout ce qu'il disait. Ces gens avaient demandé au Seigneur d'où il était : il ne leur répondit qu'en Paraboles et ils crurent en toute simplicité.

Il y avait là beaucoup de gens obérés et endettés : et Jésus raconta une parabole touchant un fils de roi qui était venu pour payer toutes les dettes. Ils prirent cela à la lettre et se réjouirent fort. Jésus passa de là à la parabole du serviteur auquel sa dette avait été remise et qui voulait traduire en justice un compagnon qui lui devait une petite somme. Il leur dit aussi que son père lui avait donné une vigne, qu'il devait la tailler, la cultiver et chercher des ouvriers pour y travailler. C'était pour cela qu'il était venu. Beaucoup de serviteurs inutiles e t paresseux devaient être jetés dehors ainsi que les sarments qu'ils n'avaient pas retranchés. Puis il leur donna des explications sur la taille de la vigne, parla des ceps qui produisaient peu de raisin, mais une grande quantité de branches et de feuilles, de la végétation inutile qui s'est produite dans l'homme par l'effet du péché, et de la nécessité de la tailler et de la supprimer par le renoncement afin qu'il puisse venir des fruits. Il en vint enfin au mariage, à ses lois, et à la tempérance qu'on doit y observer, dit combien le penchant qui y porte rabaisse souvent l'homme au-dessous de la bête, et comment il doit être maîtrisé pour porter des fruits. Puis il en revint à la vigne et exhorta ses auditeurs à la cultiver dans leur pays. Ils répondirent en toute simplicité qu'ils n'avaient pas d'endroits propres à cette culture. Mais il leur répondit qu'ils pouvaient établir un vignoble là où était cette quantité d'abeilles, qu'il y avait là un emplacement convenable : après quoi il leur raconta une autre parabole touchant les abeilles. Ils ne demandaient pas mieux que de travailler dans sa vigne, s'il le désirait, mais il leur dit qu'il devait aller ailleurs pour payer des dettes, qu'il lui fallait faire mettre sous le pressoir le vrai cep de vigne pour en tirer un vin vivifiant, afin que d'autres apprissent à cultiver la vigne et à préparer le vin. Ces hommes simples furent tout attristés à l'idée de son départ, et ils le supplièrent de rester, sur quoi il leur dit que s'ils croyaient en lui, il enverrait quelqu'un qui ferait d'eux tous des ouvriers de la vigne. Je vis alors que tous les habitants de ce bourg le quittèrent plus tard par suite d'une persécution et que Thaddée leur fit embrasser le christianisme.

Ces gens ne savaient pas qui était Jésus. Il ne prophétisa point et ne fit pas de miracles chez eux : mais ils étaient simples et naïfs comme des enfants malgré les désordres qui s'étaient introduits dans leurs moeurs.

J'ai vu les amis de Jésus pendant ce temps. Lazare et ses amis ne vont se voir qu'en secret et pendant la nuit. Judas fait l'important avec les Pharisiens. Marie le voit souvent et lui donne des avertissements. Il est avare et envieux J'ai vu Marie pleurer en l'avertissant.

3 novembre. — Je vis encore le Seigneur chez plusieurs habitants de l'endroit où il se trouvait Il réconcilia deux époux qui vivaient depuis longtemps séparés, joignit leurs mains ensemble et les bénit. Il alla aussi voir cet homme qui, après avoir épousé successivement six soeurs, se disposait à épouser la septième, et lui expliqua pourquoi cela n'était pas permis.

Après cela Jésus enseigna encore en public sur la culture de la vigne ; il dit comment il fallait défoncer la terre, la fumer, tailler les ceps, et il appliqua tout cela d'une manière admirable et profondément instructive au mariage et à la propagation de l'espèce : il parla aussi des différentes races d'hommes et du péché originel. Je l'entendis dans cette instruction donner beaucoup de détails relatifs aux premières familles humaines.

Je l'entendis aussi dire beaucoup de choses merveilleusement profondes dans leur simplicité sur le mystère du mariage en exposant purement les procèdes de là culture de la vigne. Je trouvai remarquablement clair et convaincant ce que dit le Seigneur que là ou l'union n'existait pas dans le mariage et où il n'atteignait pas son but, qui est de mettre au monde des hommes bons et purs, la faute en était toujours à la femme. Elle peut supporter et souffrir, et c'est son devoir : elle est le vase qui reçoit, protège et élabore, elle peut par un travail intérieur tout corriger en elle et dans son fruit. Elle élève ce fruit qui est en elle, elle peut en travaillant sur elle-même moralement et physiquement y effacer ce qui est mauvais, et tout ce qu'elle fait profite ou nuit à son enfant. Dans le mariage il ne s'agit pas de la satisfaction des convoitises, mais de lutte, de mortification, de sollicitudes et d'enfantement dans la douleur : or, c'est un enfantement douloureux qu'une lutte continuelle contre l'amour-propre, le péché et la curiosité : cette lutte et la victoire qui la couronne fait aussi de l'enfant un vainqueur, etc. Tout cela était dit en termes très simples et très profonds. L'homme et la femme sont un seul corps : la femme est le vase qui reçoit, elle doit souffrir, endurer et expier : elle peut tout corriger et tout réparer. Il ne s'agit pas ici de chercher sa propre satisfaction, mais d'effacer le péché et d'arriver à la justification par la souffrance et la prière.

Jésus donna encore beaucoup d'enseignements spéciaux sur le mariage et je fus tellement frappée de la vérité et de l'extrême utilité de ces doctrines, que je me dis très vivement à moi-même : "Pourquoi cela n'est-il pas écrit ? Pourquoi n'y a-t-il pas ici de disciple pour le recueillir afin que tous en profitent ?". J'étais pendant toute cette vision comme un des auditeurs qui étaient là présents, et j'allais de côté et d'autre. Comme je me livrais avec ardeur à ces pensées, mon fiancé céleste se tourna vers moi et me dit à peu près ceci : "J'exerce la charité et je cultive la vigne là ou cela produit des fruits. Si ces paroles étaient mises par écrit elles seraient, comme une grande partie de beaucoup de ce qui est écrit, mises à néant, détournées de leur vrai sens, ou méprisées. Ces enseignements et une infinité d'autres choses qui n'ont pas été mises par écrit ont porté plus de fruits que ce qui est écrit. Ce n'est pas la loi écrite qui est observée, tout est écrit dans ceux qui croient, qui espèrent, qui aiment".

La manière dont Jésus enseigne toutes ces choses et dont il les tourne en paraboles, prouvant ce qu'il dit du mariage par ce que la nature opère dans le cep de vigne, et ce qu'il dit de la vigne par ce que la nature opère dans le mariage, a quelque chose d'admirable et de singulièrement persuasif. Ses auditeurs l'interrogent en toute simplicité. Souvent l'un d'eux lui offre son champ pour y planter la vigne : Jésus répond en expliquant quels travaux préparatoires il faut y faire, et les images qu'il leur présente leur inculquent de plus en plus les vérités qu'il leur enseigne (Note).

Dans l'après-midi, le Seigneur assista à des fiançailles dans la synagogue. C'étaient des jeunes gens j ils étaient pauvres et habitaient chez la mère de la fiancée, où le jeune homme, qui était un orphelin parent de la famille, avait été élevé avec la fiancée dès son enfance.

NOTE : Elle dit encore à cette occasion : " Depuis plusieurs jours je ne cesse d'être poussée intérieurement à corriger par des avertissements le mal qui se fait dans un ménage de ma connaissance le veux en parler à mon père spirituel. Je dois aussi cette nuit travailler de toutes mes forces à ma vigne et couvrir les ceps pour les garantir de la gelée ". On ne peut voir, sans être vivement touché, comment tous les travaux agricoles, visiblement symboliques, auxquels elle se livre dans ses visions, prennent par leur coïncidence constante avec les travaux des champs tels qu'ils se font dans la saison, un caractère de réalité qui donne au calendrier une très haute valeur, si l'on suit ces méditations dans toutes leurs conséquences ; car alors la nature entière, le temps et le travail des hommes se manifestent comme des paraboles exprimant ce qui se passe dans une sphère supérieure. (Note du Pèlerin.)

Tous deux étaient pleins d'innocence, et le Seigneur se montra très bon pour eux. Je vis le cortège aller à la synagogue. En avant marchaient des enfants de six ans élégamment habillés, ayant des guirlandes de fleurs sur là tête et jouant du fifre ; puis des jeunes filles vêtues de blanc qui jetaient des fleurs, et des jeunes gens qui jouaient de la harpe, du triangle, et d'autres instruments singuliers. Le fiancé était presque habillé comme un prêtre. Les deux fiancés étaient conduits par des personnes qui lors des épousailles leur mirent les mains sur les épaules. La cérémonie eut lieu à ciel ouvert, dans une salle qui précédait la synagogue, et dont le toit avait été enlevé pour cela. Elle se fit par le ministère d'un prêtre juif. Jésus était présent.

Lorsque les étoiles furent visibles dans le ciel, ils célébrèrent le sabbat dans la synagogue et jeûnèrent jusqu'au samedi soir où la noce fut célébrée dans la maison destinée aux fêtes publiques.

4 novembre. — Le Seigneur raconta plusieurs paraboles. Il parla de l'enfant prodigue et des nombreuses demeures qui sont dans la maison de son Père, parce que le fiancé n'avait pas de maison à lui et devait habiter chez la mère de sa femme. Il lui dit aussi que jusqu'à ce qu'une demeure lui fût donnée dans la maison de son Père, il devait habiter près de la vigne, sous une tente qu'il dresserait au pied de la montagne des abeilles, hors de la ville. Il parla encore beaucoup du mariage, dit que les parents qui i, ne se sanctifiaient pas ne faisaient que disperser et propager le péché ; mais que s'ils vivaient saintement, s'ils considéraient et pratiquaient le mariage comme un état de pénitence et mettaient leurs enfants dans la voie du salut, ils recueillaient et amassaient. Jésus dit aussi qu'il était l'époux d'une fiancée à laquelle ceux qui auraient été recueillis dans son sein devraient une nouvelle naissance. Il parla des noces de Cana en Galilée et de l'eau changée en vin. Tout ce qu'il racontait de lui-même était dit à la troisième personne, comme concernant cet homme de Judée qu'il connaissait si bien et qui était en butte à tant de persécutions ; on devait même, disait-il finir par le mettre à mort.

Les assistants accueillirent toutes ses paroles avec une foi naive ; les paraboles étaient pour eux des réalités. Le fiancé semblait être un maître d'école ; car Jésus lui dit qu'il devait enseigner, non pas à la façon des Pharisiens qui imposaient aux autres des fardeaux qu'ils ne voulaient pas porter eux-mêmes, mais par son propre exemple.

Jésus parla aussi d'Ismaël ; car Cédar et les endroits voisins sont habités, à ce que je crois, par des descendants d'Ismaël. C'est ici le pays d'Agar, si je ne me trompe.

Les gens de cette contrée sont bergers pour la plupart : ils se regardent comme inférieurs à ceux de la Judée, dont ils parlent toujours comme de personnages importants et d'une race d'élite. Ils vivent encore à l'ancienne mode. Un grand propriétaire de troupeaux possède une maison spacieuse avec un fossé à l'entour ; dans le voisinage sont les habitations des bergers, ses subordonnés ; il a aussi ses pâturages dans les environs. Il a un puits qui lui appartient, et où vont boire ses troupeaux ou même ceux de ses voisins s'il y a une convention entre eux. Il y a beaucoup de ces familles de propriétaires disséminées dans le pays. Le bourg lui-même est petit.

5 novembre. — Jésus engagea les habitants du bourg à construire pour les fiancés une habitation légère, une espèce de tente, près de la montagne des abeilles, à l'endroit où ils devaient planter un vignoble. Chacun des amis du jeune couple ilt une pièce de clayonnage léger qui fut couverte de peaux de bêtes et enduite d'une matière visqueuse. Ils fabriquèrent avec cela une maison qu'ils transportèrent ensuite à l'endroit désigné. Chacun travailla plus ou moins selon qu'il le put ; ils se cotisèrent aussi pour leur fournir ce dont ils avaient besoin. Le Seigneur leur dit comment tout devait être disposé, et ils furent émerveillés de voir qu'il s'y entendait si bien. Lors de la cérémonie nuptiale, il leur avait enseigné que les vieillards et les pauvres devaient siéger aux premières places.

Il sortit avec eux pour leur indiquer l'emplacement le plus convenable. C'était un petit promontoire, qui se détachait en avant de la montagne des abeilles. La vigne devait s'élever sur la pente derrière la maison Ce fut là que Jésus établit le jeune ménage. Il leur donna cette maison et ce vignoble.

6 et 7 novembre. — L'une des premières fêtes dont Dieu ait prescrit la célébration aux Israélites allait commencer ; je crois que c'était celle de la nouvelle lune. On l'ouvrit le soir dans la synagogue. Après cela, tous se réunirent avec Jésus dans la maison des fêtes. Il savait que plusieurs de ceux qu'il avait engagés à construire une maison pour les nouveaux mariés, avaient pensé et s'étaient dit les uns aux autres : "Peut-être que lui-même n'a pas de maison ni de domicile, et qu'il veut habiter chez ces gens " ? Il leur dit, à cette occasion, qu'il ne resterait pas parmi eux, qu'il n'avait pas de maison ici-bas, que son royaume devait d'abord venir, qu'il devait planter la vigne de son Père et l'arroser de son sang sur la montagne du Calvaire ; qu'ils ne pouvaient pas comprendre cela pour le moment, mais qu'ils le comprendraient quand il aurait arrosé la vigne ; qu'ensuite il reviendrait d'un pays ténébreux, que ses messagers viendraient les appeler, et qu'alors ils quitteraient leur pays pour le suivre : mais que quand il viendrait pour la troisième fois, il conduirait dans le royaume de son Père tous ceux qui auraient fidèlement travaillé à la vigne. Quant à eux-mêmes, ils ne devaient pas rester ici longtemps ; c'est pourquoi ils ne devaient avoir qu'une maison ou plutôt une légère tente facile à enlever.

Jésus parla aussi beaucoup de l'amour qu'ils devaient se porter réciproquement : ils devaient, pour ainsi dire, jeter l'ancre les uns dans les autres afin de n'être pas dispersés par les tempêtes de ce monde et détruits isolément. Il parla encore en paraboles de la culture de la vigne, des pousses inutiles, de la taille des branches, de la tempérance, etc.; et, en s'adressant aux nouveaux mariés, de l'amour conjugal et de la pureté qu'il devait avoir pour porter des fruits purs. Il voulait encore, dit-il, préparer la vigne pour le jeune couple et leur apprendre à planter les ceps, après quoi il se retirerait pour travailler à la vigne de son Père.

Il présenta tous ces enseignements d'une manière si simple et pourtant si ingénieuse que le sentiment de ce qu'il était en réalité alla toujours croissant chez eux, sans leur faire rien perdre de leur simplicité. Il leur apprit à reconnaître dans toute la vie de l'homme et dans toute la nature une loi sainte, une loi cachée qui avait été défigurée par le péché.

Cette instruction se prolongea assez avant dans la nuit, et lorsque Jésus voulut s'éloigner, ils le retinrent, l'embrassèrent et le prièrent de leur faire mieux comprendre tout cela ; mais il leur dit que maintenant ils devaient se borner à faire comme il avait dit ; que plus tard il leur enverrait quelqu'un qui les enseignerait plus clairement.

Cette réunion fut suivie d'un petit repas où tous burent à la même coupe. Jésus alla aujourd'hui loger dans une petite maison chez deux vieux époux qui l'avaient fort pressé de leur faire cette faveur.

Le jeune homme pour lequel le Seigneur fit construire ici une maison avait un nom qui ressemblait un peu à Jedediah : il faut que je l'entende prononcer encore une fois ; j'ai entendu tant de noms que je ne puis pas dire exactement celui-ci. (Plus tard elle se rappela tout à coup qu'il se nommait Salathiel.) La fiancée s'appelait comme Brunette ou Finette : c'est ainsi que je l'entendis nommer. Ils furent baptisés par Thaddée ainsi que la plus grande partie des gens de l'endroit. L'évangéliste Marc était de ce pays. Trente-cinq ans après l'ascension de Jésus-Christ, Salathiel avec sa femme et trois enfants en âge d'homme s'en alla à Éphèse. Je l'y vis chez l'orfèvre Démétrius qui avait autrefois suscité une persécution contre Paul, mais qui plus tard s'était converti, et qui lui raconta beaucoup de choses relatives à Paul et aussi l'histoire de sa propre conversion. Paul n'était plus à Ephèse. Salathiel, ses trois fils et Démétrius allèrent le retrouver. La femme de Salathiel resta à Ephèse dans une maison où plusieurs autres personnes de son pays vinrent habiter près d'elle. La plupart des Juifs quittèrent Ephèse. Salathiel avec ses fils, Démétrius, un disciple nommé Gaius et enfin Silas étaient tous sur le navire où Paul fit naufrage près de Malte, et ils gagnèrent cette île avec lui. Paul, de sa prison de Rome, désigna aux trois fils de Salathiel des lieux où ils auraient à travailler.

9 novembre. — Je vis notre Seigneur dans la maison des parents de la fiancée. Il enseigna encore longtemps sur le mariage, sur l'amour pur qui produit des fruits purs, et sur la nécessité de supprimer dans l'homme ce qu'il y a de superflu ; autrement il donne du bois au lieu de fruits.

Il sortit ensuite avec des hommes auxquels il ordonna de lui apporter des plants de vigne. Il voulait leur apprendre à les planter. La place où devait être la maison fut déblayée et on fit des terrassements sur la pente de la montagne. Ils avaient déjà disposé un espalier. Ils dirent au Seigneur qu'il ne venait dans cet endroit que des raisins très aigres. Il répondit qu'il en était ainsi parce que les ceps étaient d'une espèce inférieure, d'une mauvaise provenance, qu'ils poussaient comme des sauvageons et n'étaient pas taillés : c'est pourquoi leur fruit avait seulement l'apparence extérieure du fruit de la vigne, mais non sa douceur. Il leur promit que ceux qu'il plantait maintenant donneraient de bons raisins. A cette occasion, Jésus enseigna de nouveau sur le mariage, qui ne porte des fruits purs et doux que lorsqu'il est soumis au joug de la règle, modéré par la continence, associé au travail, aux souffrances et aux sollicitudes.

Ils lui apportèrent de gros faisceaux de plants, mais il en prit cinq seulement. Il défonça lui-même le sol, les planta à une certaine distance les uns des autres contre l'espalier, et leur montra comment ils devaient être liés en forme de croix. Il continua en même temps à enseigner sur le mariage, et tout ce qu'il dit du cep de vigne, de ses propriétés naturelles et de ce qu'il acquiert par la culture, fut appliqué à la propagation de l'espèce humaine et aux fruits spirituels.

Ils allèrent ensuite à la synagogue et Jésus donna encore sous forme de paraboles plusieurs enseignements touchant le mariage. Il parla de la grande corruption qui infectait la propagation de l'espèce humaine, dit qu'après la conception il fallait vivre dans la continence, et pour prouver combien sous ce rapport les hommes s'abaissaient au-dessous des animaux les plus nobles, il cita la chasteté et la continence des éléphants. On trouve des éléphants dans une contrée qui n'est pas très éloignée d'ici. Ils l'interrogèrent aussi sur Noé et lui demandèrent s'il n'était pas vrai qu'il avait fait du vin et s'était enivré. Jésus leur expliqua cela, et parla de l'ivresse comme mettant en grand danger de pécher, soit par l'usage immodéré du vin, soit par celui du mariage ; car l'ivresse pouvait être produite également par le vin et par les désirs impurs. Il enseigna comment l'ivresse donnait naissance au péché et comment un mal en engendrait un autre.

Jésus dit encore qu'il allait les quitter, qu'il lui fallait planter et arroser la vigne sur la montagne du Calvaire, mais qu'il leur enverrait quelqu'un pour leur enseigner toutes choses et les conduire dans la vigne de son père.

10 et 11 novembre. — Jésus n'a pas fait de grands miracles dans cet endroit. Il a seulement, dans quelques occasions, guéri par la prière et l'imposition des mains de petites maladies, des maux de tête, des fièvres, etc. Vendredi soir il alla à la synagogue où il fit l'instruction du sabbat.

Il enseigna encore le jour suivant et parla beaucoup du royaume de son père et des demeures qui s'y trouvaient. Ils lui demandèrent pourquoi il n'avait rien apporté de ce royaume et pourquoi il allait si pauvrement vêtu. Il leur répondit que ce royaume était réservé à ceux qui iraient à sa suite, et que pour le posséder il fallait s'en rendre digne. Quant à lui, il n'était ici qu'un étranger cherchant et appelant des serviteurs fidèles pour la vigne.

Il dit aussi pourquoi il faisait faire pour le fiancé une maison de si peu de consistance. C'était parce que ceux qui marchaient à sa suite n'étaient point à demeure sur la terre et parce qu'on ne devait pas s'attacher à la terre. Pourquoi construire une maison solide pour leur corps qui lui-même était une demeure fragile t il fallait purifier cette maison de leur âme, la sanctifier comme un temple, et ne pas la profaner, ni la surcharger ou l'amollir aux dépens de l'âme. Ces discours l'amenèrent à parler de nouveau de la maison de son père.

Jésus parla aussi du Messie et des signes auxquels on pourrait le reconnaître, dit qu'il devait naître d'une haute lignée, mais de parents simples et pieux, et que d'après les signes du temps, il devait être déjà sur la terre. Il les exhorta à s'attacher à lui et à suivre ses enseignements.

Il donna aussi beaucoup de préceptes touchant l'amour du prochain et le bon exemple. Il dit au fiancé Salathiel qu'il devait laisser sa maison ouverte, avoir toute confiance en ce qu'il lui disait, et vivre pieusement, qu'alors Dieu garderait sa maison et que rien ne serait détourné à son préjudice.

Les habitants avaient déjà fort avancé leur travail pour la nouvelle maison. Salathiel reçut beaucoup plus qu'il ne lui était nécessaire. Le Seigneur parla contre l'amour de soi ; il dit qu'on devait tout faire pour l'amour de Dieu et du prochain, etc. Les gens de l'endroit étaient très simples et n'avaient qu'une instruction très imparfaite.

12 novembre. — Jésus se mettait avec eux dans des rapports de plus en plus intimes. Il parla aujourd'hui beaucoup du mariage et de la continence en se servant de similitudes tirées des semailles. Il dit qu'il fallait user de modération dans les semailles et dans la moisson, qu'autrement on ne récoltait que des fruits gâtés et de mauvaises herbes.

Il alla aussi voir des personnes qui voulaient se marier, quoique parentes à un degré qui rendait le mariage illicite. Jésus les fit appeler, leur parla de ce qu'ils avaient l'intention de faire et leur montra qu'ils contrevenaient à la loi et qu'ils n'avaient en vue que des avantages temporels Ils furent très effrayes de ce qu'il connaissait si bien leurs pensées, quoique personne ne lui en eût parlé et ils renoncèrent à leur projet. A cette occasion, l'on se lava les pieds réciproquement : la fiancée essuya les pieds de Jésus avec l'extrémité de son voile ou avec la partie supérieure de son manteau. Ces deux personnes reconnurent Jésus à sa doctrine comme étant plus qu'un prophète. Ils se convertirent et s'attachèrent à lui. Il leur expliqua les motifs des prohibitions portées par la loi contre certains mariages : mais j'ai oublié ces explications.

Jésus alla aussi dans la campagne et il entra dans une maison habitée par une belle-mère qui avait une passion criminelle pour son beau-fils et voulait l'épouser. Celui-ci était depuis longtemps inquiet de la trop grande affection de sa belle-mère, mais il ne connaissait pas encore ses projets. Le Seigneur auquel il lava les pieds lui fit connaître le danger qu'il courait : il lui ordonna de s'éloigner de cet endroit et d'aller travailler à la maison de Salathiel, ce que le jeune homme fit aussitôt. Le Seigneur lui lava aussi les pieds. La belle-mère à laquelle Jésus reprocha sévèrement sa faute fut très irritée. Elle ne fit pas pénitence et finit même par se perdre tout à fait : je ne sais plus comment cela arriva.

13 novembre. — Aujourd'hui Jésus enseigna de nouveau sur le mariage et sur l'abus qu'on en peut faire. Il parla de David, dit comment l'intempérance qu'il aurait dû réprimer en lui par le renoncement et la pénitence, l'avait fait si misérablement tomber dans le péché et il ajouta qu'on ne perdait rien par le renoncement, mais par l'abus et l'excès. Il parla de Moïse, du châtiment infligé à sa femme dont il donna la raison, de l'arche d'alliance et de ce que Moïse y avait renfermé avant le passage de la mer Rouge. Les gens du pays sont très ignorants, mais le Seigneur leur expliqua tous les points sur lesquels ils l'interrogèrent.

Ces gens doivent avoir par leurs ancêtres quelque relation particulière avec l'arche d'alliance. Ils demandèrent au Seigneur ce qu'était devenu l'objet sacré contenu dans l'arche. Il leur répondit que les hommes en avaient tant reçu qu'il était passé en eux. Du reste, par cela même qu'il n'était plus à leur disposition, on pouvait connaître que le Messie était né. Beaucoup des gens de ce pays croyaient que le Messie avait péri dans le massacre des Innocents.

A une lieue à peu près de cet endroit, du côté du levant, se trouvait une habitation entourée d'un fossé, appartenant à un riche propriétaire de troupeaux qui était mort subitement dans les champs, à peu de distance de sa maison. Sa femme et ses enfants étaient plongés dans la douleur. Les préparatifs étaient déjà faits pour son enterrement et la famille envoya prier le Seigneur de venir assister aux funérailles avec d'autres personnes.

Jésus y alla dans l'après-midi, accompagné de ses trois disciples, de Salathiel, de la femme de celui-ci, de plusieurs femmes voilées, et aussi de plusieurs hommes. Ils étaient une trentaine à peu près. Tout était déjà préparé pour la mise au tombeau : le corps était déposé dans une grande allée d'arbres, ouverte par en haut, qui se trouvait en face de la maison.

Cet homme était mort en punition de ses péchés. Des bergers qu'il opprimait ayant quitté le pays il s'était approprié une grande partie de leur bien et bientôt après se trouvant dans ce champ mal acquis, il était tombé frappé de mort subite.

Jésus arrivé devant le cadavre parla du défunt, demanda à quoi lui servait maintenant le soin qu'il avait pris de son corps, cette demeure terrestre dont il s'était fait l'esclave et qu'il lui avait fallu quitter. Il avait chargé son âme de dettes par amour pour ce corps qui ne les avait pas payées et qui ne pouvait pas les payer, etc.

La femme était très affligée et elle dit que le roi des Juifs, l'homme de Nazareth avait le pouvoir de ressusciter les morts ; hélas' pourquoi n'était-il pas ici ? Alors Jésus lui dit : "Oui, le roi des Juifs a ce pouvoir, mais on le persécute pour cela et on veut le faire mourir, lui qui donne la vie ! Et on ne veut pas le reconnaître". Sur quoi les assistants répondirent : "Que n'est-il parmi nous ! Nous le reconnaîtrions!"
Jésus alors les mit à l'épreuve. Il leur parla de la foi, leur dit que s'ils voulaient croire et faire ce qu'il enseignait, le roi des Juifs aussi leur viendrait en aide, etc. Puis il sépara des autres assistants qu'il renvoya, la famille du défunt, ainsi que Salathiel et sa femme, et il s'entretint encore avec la femme, la fille et le fils du défont. La femme lui avait dit précédemment en présence de ceux qui venaient de se retirer : "Seigneur, vous parlez comme si vous étiez le roi des Juifs lui-même"; et il lui avait fait signe de se taire. Mais lorsque les autres qu'il savait être plus faibles furent sortis, il dit à ceux qui étaient restés que s'ils croyaient à sa doctrine, s'ils la suivaient et s'ils voulaient garder le secret, le mort reviendrait à la vie, car son âme n'était pas encore jugée : elle attendait encore dans ce champ, témoin de son iniquité, et où elle s'était séparée de son corps. Ils promirent au Seigneur de lui obéir et de se faire, et Jésus fit quelques pas avec eux dans le champ où l'homme était mort.

J'eus alors une vision touchant l'état de son âme après sa mort. Je la vis au-dessus du lieu où il était mort dans un cercle, dans une sphère où lui était montré le tableau de tous ses péchés et de leurs conséquences sur la terre, et elle était bourrelée de remords à cette vue. Elle vit aussi tous les supplices dans lesquels elle devait être plongée et dans cet état elle eut une révélation des souffrances expiatoires de Jésus. Au moment où, toute dévorée de remords, elle allait entrer dans le lieu de son supplice, Jésus fit une prière et l'appelant du nom de Nazor, qui était celui du défunt, la fit rentrer dans son corps.

Jésus dit alors aux assistants : "à notre retour, nous trouverons Nazor sur son séant et plein de vie". Je vis, à l'appel de Jésus, l'âme voler vers son corps, s'amoindrir et comme entrer dans la bouche, après quoi le corps se redressa sur son séant dans le cercueil.

J'ai toujours vu l'âme humaine avoir comme son siège au-dessus du coeur : j'ai vu aussi partir de là plusieurs fils qui vont vers la tête.

Lorsque Jésus et ceux qui l'accompagnaient furent de retour à la maison, ils virent Nazor enveloppé dans son linceul et les mains liées, qui s'était mis sur son séant dans le cercueil : sa femme lui délia les mains et défit les bandelettes. Etant sorti de la bière, il se jeta aux pieds de Jésus et voulut embrasser ses genoux, mais le Seigneur fit un pas en arrière et lui dit qu'il devait se purifier, se laver, se tenir caché dans sa chambre et garder le secret sur sa résurrection jusqu'à ce que lui, Jésus, eût quitté le pays. Alors la femme conduisit son mari dans un coin reculé de la maison où il se purifia et s'habilla. Cependant Jésus, Salathiel, la femme de celui-ci, et les trois disciples prirent quelque nourriture dans la maison où ils passèrent la nuit ; le cercueil fut déposé dans le caveau sépulcral. Le Seigneur enseigna jusqu'à une heure avancée de la nuit.

14 novembre. —Le matin le Seigneur alla visiter Nazor le ressuscité ; il lui lava les pieds et l'exhorta à penser dorénavant à son âme plus qu'à son corps et à restituer le bien mal acquis. Il fit ensuite venir les enfants de cet homme, parla de la miséricorde de Dieu que leur père avait éprouvée, les exhorta à la crainte de Dieu, les bénit et les conduisit à leurs parents. Il conduisit aussi la mère à son époux et la lui remit comme à un homme revenu pour mener en commun avec elle une nouvelle vie meilleure et plus austère.

Ce même jour Jésus donna encore beaucoup d'enseignements sur le mariage et toujours en se servant de comparaisons tirées de la vigne et des semailles. Il s'adressa particulièrement au jeune couple et dit à Salathiel : " Tu t'es laissé attirer par la beauté corporelle de ta femme. Pense donc quelle doit être La beauté d'une âme, puisque Dieu envoie son fils sur la terre pour sauver l'âme par le sacrifice de sa vie. Mais celui qui travaille pour le corps ne travaille pas pour l'âme. La beauté produit la convoitise et la convoitise corrompt l'âme par le rassasiement. Cette satisfaction immodérée est la plante parasite qui étouffe et fait périr le froment et la vigne ". C'est ainsi qu'il ramena son exhortation à des prescriptions relatives à la culture du blé et de la vigne et qu'il leur signala spécialement deux plantes grimpantes de très mauvaise nature afin qu'ils ne les laissassent pas approcher de leur champ ni de leur vignoble.

Jésus leur dit encore qu'il voulait aller à Cédar pour le sabbat, qu'il y enseignerait dans l'école et qu'alors ils apprendraient comment ils pourraient avoir part à son royaume et quelle voie il leur faudrait suivre. Il annonça qu'il quitterait le pays le dimanche suivant et qu'il se dirigerait vers le levant à travers l'Arabie. Ils lui demandèrent pourquoi il allait chez les païens qui adoraient les astres. Il répondit qu'il avait là des amis qui avaient suivi une étoile pour venir le saluer lors de sa naissance. C'était eux qu'il voulait aller chercher, pour les inviter aussi à entrer dans la vigne et dans le royaume de son père et pour leur frayer le chemin. Il resta encore la nuit suivante dans cette maison.

15 novembre. — Aujourd'hui dans la nuit du mercredi au jeudi, je me trouvai à Cédar où Jésus est à présent. Je rencontrai sur mon chemin un jeune homme de quinze à seize ans dont les parents étaient malades et ne pouvaient pas quitter leur lit, et qui parcourait le pays, allant partout où il espérait apprendre quelque chose sur Jésus. Il se rendait à Cédar pour le sabbat afin d'entendre Jésus qui y était revenu avec une troupe d'une cinquantaine de personnes. Je me souviens de m'être entretenue avec ce jeune homme, mais je ne sais plus à propos de quoi. Il changea plus tard de nom pour prendre celui de Tite et devint disciple de Paul. Je le vis très distinctement parce que j'avais dans mon voisinage des reliques d'un martyr de sa famille appelé Fidèle, lequel m'a fait connaître le nom de beaucoup de gens de ce pays et beaucoup de choses qui y sont arrivées. Lorsque Jésus y alla, Fidèle n'était pas encore né, mais il était présent dans la personne de ses aïeux. Son arrière-grand-père était cet homme que Jésus guérit ainsi que sa femme, auprès d'Edon, le 25 octobre. Il s'appelait Benjamin et descendait de Ruth en droite direct. Marc avait aussi des relations avec cette famille : mais son lieu de naissance était plus rapproché de la Judée. Silas aussi connaissait ces personnes.

Il y avait à Cédar une affluence extraordinairement nombreuse : on s'y pressait comme à Coesfeld le jour de la Pentecôte. Je vis Jésus guérir en public plusieurs malades : il se bornait à leur dire en passant près de l'endroit où ils étaient couchés : " Levez-vous et suivez-moi ". Aussitôt ils se levaient pleins de santé. L'étonnement et l'admiration étaient au comble, au point que si Jésus ne s'était pas retiré à l'écart, la joie aurait produit un soulèvement dans tout le pays. Jésus fit une exhortation au peuple et le convoqua pour le soir à la synagogue.

Nazor le ressuscité et sa femme n'étaient pas ici. Nazor, après son retour à la vie, avait été pris d'une maladie occasionnée par le repentir et par la commotion violente que son âme avait rapportée dans son corps. Du reste le Seigneur avait fait connaître à sa femme l'état de l'âme de son mari.

17 novembre. — Aujourd'hui à midi je vis Jésus dans une maison de Cédar s'entretenir avec Salathiel et sa femme touchant l'état du mariage. Il leur donna des avis circonstanciés et leur dit comment ils devaient vivre ensemble et à quelles conditions ils pouvaient devenir un bon cep de vigne. Ils devaient se tenir en garde contre la concupiscence et, chaque fois qu'ils useraient du mariage, refléchi1 sur les motifs qui les dirigeaient ; car lorsqu'ils ne seraient poussés que par les désirs charnels, ils produiraient les fruits amers de la concupiscence. Il les prémunit contre l'excès en toute chose, les exhorta à la prière et au renoncement et à se garder de l'ivresse du vin. Il parla de Noé et du péché de l'ivrognerie. La fiancée devait être un vase pur : il lui prescrivit la séparation pendant ses maladies et la continence absolue après la conception. Il parla de la confiance mutuelle et de l'obéissance de la femme. Le mari ne devait pas refuser de répondre à ses interrogations : il devait l'honorer et la ménager comme un vaisseau fragile. Il ne devait pas entrer en méfiance s'il la voyait parler à d'autres hommes : de son côté elle ne devait pas être jalouse s'il s'entretenait avec une autre femme : toutefois aucun des deux ne devait scandaliser l'autre. Ils ne devaient souffrir aucun tiers intermédiaire entre eux et traiter leurs affaires en esprit de charité. Il parla sévèrement de tout ce qui tend uniquement à satisfaire la convoitise naturelle, et représenta le mariage et son usage tel qu'il est permis à l'homme déchu, comme devant être accompagné chez des époux pieux, de sentiments de pénitence et d'humiliation. Ils ne devaient avoir commerce ensemble qu'après avoir prié et en se maîtrisant eux-mêmes, et ils devaient recommander à Dieu les fruits de leur union. Il dit à la femme qu'elle devait devenir une pieuse Abigaïl. Il leur indiqua aussi un endroit propre à cultiver du blé Il leur recommanda d'établir une clôture, autour de leur vigne : cette clôture, c'était les avis qu'il leur donnait.

Le soir d'avant le sabbat Jésus s'entretint avec le prépose de la synagogue, qui s'appelait aussi Nazor et qui était parent du ressuscité : il lui parla de Tobie dont l'un et l'autre étaient descendants et rappela toutes les voies par lesquelles ce saint homme avait été conduit J'ai eu à cette occasion une vision sur toute l'histoire de Tobie mais je l'ai oubliée. Les descendants de Tobie et de Ruth. qui habitaient ici, se distinguaient des rejetons d'Ismael par leur bonté, leur régularité et leur douceur.

18 novembre. — Pendant tout le sabbat le Seigneur fit une grande instruction sur la vigne, sur le mur et la haie dont il faut l'entourer, sur le champ de blé, sur le pain et le vin, sur l'arche d'alliance, sur une vierge choisie entre toutes, sur le petit grain de blé qui n'était autre que lui-même et qu'il devait être enfoui dans la terre et ressusciter. Ils ne comprirent pas le sens de ses paroles. Il dit qu'ils devaient marcher à sa suite, non sur ces chemins de peu d'étendue qu'ils voyaient, mais sur la longue route qui aboutit au jugement. Il parla de la résurrection des morts et du jugement dernier et leur recommanda de veiller. Il raconta des paraboles sur les serviteurs paresseux, dit que le jugement viendrait comme le voleur de nuit, que la mort venait à toute heure. Eux, les Ismaélites, étaient ces serviteurs : il fallait qu'ils fussent fidèles.

Il dit que Melchisédech avait été sa figure prophétique. Melchisédech avait offert en sacrifice du pain et du vin, mais en lui le pain et le vin étaient devenus chair et sang. Il finit pal leur déclarer nettement qu'il était le Rédempteur. Là-dessus beaucoup d'entre eux devinrent plus irrésolus et plus craintifs, d'autres, au contraire, plus enthousiastes et plus ardents. Il leur recommanda particulièrement de s'aimer mutuellement, de compatir les uns aux autres, de partager leurs joies et leurs douleurs comme les membres d'un même corps.

Je ne puis redire que ce peu de détails. mais son discours fut le résumé de tout ce que Jésus avait enseigne ici jusqu'à présent : ce fut, sous une forme symbolique et en même temps très simple, une instruction touchant le mystère de la chute originelle, la propagation du genre humain et sa dispersion, les moyens de salut et les directions données au peuple élu qui devaient avoir pour terme la naissance du Sauveur conçu d'une vierge et la régénération en lui pour passer de la mort temporelle à la vie éternelle.

Pendant cette instruction du Seigneur sur le cep de vigne et le froment, je vis de nouveau, en guise d'éclaircissements, plusieurs scènes de l'Ancien Testament que j'avais oubliées depuis longtemps. Je vis le premier sacrifice que fit Abraham en entrant dans la Terre promise, et je le vis, à cette occasion, placer sur l'autel des ossements d'Adam. Je vis qu'un ange lui porta comme un breuvage, qu'Abraham en but et qu'ensuite (mais je ne suis pas parfaitement sure de ceci) il en versa un peu sur l'autel où le feu s'alluma à l'instant et consuma les offrandes. J'entendis l'ange lui dire quelque chose : il semblait annoncer qu'il lui apportait ce qu'Adam avait perdu par sa chute. Cela avait l'apparence d'un liquide épais. Je vis alors sortir du nombril d'Abraham un sarment de vigne gros et tortueux, sous lequel se tenait un méchant oiseau de proie, la tête redressée et le bec ouvert : c'était comme un aigle ou un hibou. Il semblait vouloir dévorer le fruit du cep de vigne. Au-dessus de cet oiseau était une licorne bondissante, qui dirigeait sa corne contre le cou de l'oiseau, comme pour défendre le cep de vigne. Au-dessus de la licorne, autour du cep, je vis trois coeurs, puis à droite, une branche de la vigne portant une grosse grappe de raisin, puis au haut du cep, un visage humain avec une couronne au-dessus de laquelle était un globe surmonté d'une croix.

Lorsque plus tard je vis près d'Abraham les anges qui lui annonçaient la naissance d'Isaac, je vis qu'un d'eux lui mit dans la poitrine une chose sainte : c'était un corps peu consistant et comme spirituel. Je vis alors de nouveau sortir un cep de vigne du corps d'Abraham, comme dans la vision mentionnée plus haut ; mais je vis en face de la grappe de raisin paraître de beaux filaments lumineux : ils se réunirent pour former un noeud d'où sortit un bouquet d'épis de blé. Entre les épis je vis plusieurs visages humains. et il me semblât que deux d'entre eux se fondaient ensemble.

È

CHAPITRE NEUVIÈME

Séjour de Jésus dans le pays des trois Rois.

Du 21 novembre au 11 décembre.

Jésus quitte Cédar et arrive à une ville de tentes habitée par les adorateurs des astres. - Fête nocturne. - Jésus chez une tribu de bergers. - Un globe merveilleux. - Jésus part pour la ville des trois Rois - Arrivée au chef-lieu. - Jésus est reçu solennellement par le roi Mensor. - Mensor raconte au Seigneur l'histoire de l'étoile. - Le Sauveur se fait reconnaître et enseigne. Il visite le temple des rois. - Célébration d'une fête de trois jours.-Conversion d'une femme idolâtre. - Jésus fait une grande instruction.

21 novembre. — Je suivis cette nuit le chemin de la croix dans la Jérusalem actuelle: il est caché sous des décombres et interrompu par des constructions ; mais je pus passer à travers tous les murs et je vis en même temps la Passion du Seigneur. De là je pris le chemin que Jésus avait suivi pour son voyage, et lorsque je fus arrivée près du figuier qu'il avait maudit en dernier lieu, j'eus des visions qui se rapportaient à la trente-troisième almée de Jésus-Christ. J'allai sur ses traces jusqu'à Cédar et je le suivis.

Je vis le Seigneur quitter Cédar, accompagne des trois jeunes gens et de plusieurs amis ; il passa la rivière et se dirigea du côté du désert en traversant la ville païenne. Lorsqu'ils la traversèrent, on y célébrait une fête, j'entendis des réjouissances bruyantes et je vis des nuages de fumée : on sacrifiait devant un temple. Ces païens étaient fort hostiles aux Juifs de l'autre rive, cependant plusieurs étaient allés à Cédar lors du dernier sabbat : ils avaient vu Jésus et avaient entendu de loin son instruction. Quelques-uns se rapprochèrent des Juifs après son départ et les questionnèrent amicalement sur ses enseignements.

Jésus fut accompagné assez loin par une vingtaine de personnes, parmi lesquelles Salathiel, le jeune Tite, Eliud, le mari de la femme adultère, et Nazor, le chef de la synagogue. Le chemin se dirigeait d'abord au levant, puis au midi ; il était uni, quoique situé entre deux crêtes de montagnes, et traversait alternativement des pâturages, un sol de sable jaune ou blanc et un terrain semé de cailloux blancs. Ils arrivèrent enfin à une plaine couverte de verdure et virent s'élever devant eux parmi des palmiers une grande tente entourée de plusieurs autres plus petites ; alors Jésus congédia ses amis de Cédar : il les bénit et ils retournèrent chez eux. Cela se passait dans l'après-midi.

Jésus continua son chemin jusqu'à la ville de tentes des adorateurs des étoiles. Le jour déclinait déjà lorsqu'il arriva près d'un grand et beau puits, placé dans un petit enfoncement, et entouré d'un mur de terre assez bas. Il y avait près de ce puits une grande cuiller à puiser. Le Seigneur but et s'assit près du puits, les jeunes gens lui lavèrent les pieds, ce qu'il fit à son tour pour eux. C'était touchant à voir. Il y avait dans cette plaine de beaux palmiers, des prairies et des groupes de tentes dispersées sur une grande étendue ; tout cela était dominé par une tour ou une pyramide avec des degrés ; elle était d'une assez grande hauteur, mais qui pourtant ne dépassait pas celle d'une église ordinaire. On vit paraître de divers côtés des hommes qui regardèrent de loin Jésus d'un air surpris et a peu de distance du puits se trouvait la principale tente. Elle avait plusieurs sommets pointus, et se composait d'un grand nombre de chambres dépendant les unes des autres et séparées par des cloisons grillées ; la partie supérieure était recouverte de peaux de bêtes. Prise dans son ensemble, elle était belle et habilement construite. De cette espèce de château de tentes sortirent cinq hommes qui s'avancèrent vers Jésus, tenant à la main des branches d'arbres d'espèces différentes : celle de l'un d'eux était couverte de petites feuilles jaunes ou de fruits de même couleur ; celle d'un autre, de baies rouges ; un troisième portait une branche de palmier ; un autre encore, un sarment de vigne avec ses feuilles et une grappe de raisin. Je ne me souviens pas bien de tous les détails. Ils avaient une espèce de jupon de laine fendu sur les côtés, et allant de la ceinture aux genoux ; le haut du corps était couvert, jusqu'au creux de l'estomac, d'une jaquette bouffante d'une étoffe de laine très fine et presque transparente, avec des manches qui allaient à la moitié de l'avant-bras ; ils étaient nus depuis le creux de l'estomac jusqu'à la ceinture. C'étaient des hommes blancs avec des barbes noires, courtes et crépues ; leurs cheveux étaient longs et bouclés ; ils avaient un bonnet dont les bords pendaient tout autour de la tête, et qui était comme tordu par en haut. Ils s'avancèrent d'un air bienveillant vers Jésus et ses compagnons, les saluèrent et les invitèrent à entrer dans la tente, en leur présentant les branches qu'ils portaient à la main. Ils donnèrent à Jésus la branche de vigne ; celui qui le conduisait en avait une pareille On fit asseoir Jésus et les siens dans une des chambres de la tente, sur une espèce de banc recouvert de coussins avec des franges qui pendaient en avant ; on leur offrit aussi à manger : c'étaient des fruits, si je ne me trompe. Le Seigneur ne s'entretint qu'un moment avec ces gens. Ils conduisirent leurs hôtes par un passage qui longeait plusieurs chambres à coucher séparées et garnies de lits de repos matelassés, dans une partie de la tente qui servait de salle à manger. Au centre s'élevait une colonne qui soutenait la tente, et qui était ornée de guirlandes de feuillage, de branches de vigne, de grappes de raisin et d'autres fruits : tout cela avait une telle apparence de réalité que je ne savais pas si c'était naturel ou artificiel. Ils dressèrent là une petite table ovale de la hauteur d'un escabeau, formée d'une planche mince qui se dédoublait et dont les pieds, repliés en un faisceau, s écartaient pour la supporter ; ils la couvrirent d'un tapis bariolé sur lequel étaient figurés plusieurs petits personnages habillés comme eux Ils mirent sur la table des vases à boire et de la vaisselle qu'ils tirèrent d'un compartiment de la tente ; des tapis étaient suspendus devant tous ces compartiments, en sorte qu'on ne pouvait pas en voie l'intérieur.

Jésus et les disciples se mirent autour de la table sur un tapis. Leurs hôtes apportèrent du pain ou plutôt des gâteaux au milieu desquels était marquée une empreinte et aussi des fruits de toute espèce et du miel. Eux-mêmes s'assirent sur des espèces de tabourets ronds, les jambes croisées sous eux : devant eux était une espèce de guéridon sur lequel ils posèrent un plat. Ils servirent leurs hôtes à tour de rôle. Il y avait en outre devant la tente des serviteurs qui préparaient tout. Je les vis aller dans une autre tente où ils prirent des oiseaux qu'on mit à la broche dans une cuisine. Cette cuisine était un foyer placé sous une espèce de hutte en terre d'où la fumée s'échappait par en haut. Elle était revêtue de maçonnerie à l'intérieur. On servit ces oiseaux arrangés d'une façon singulière : je ne sais comment cela se faisait, mais ils étaient garnis de toutes leurs plumes et on les aurait crus vivants.

Quand le repas fut fini, ils conduisirent leurs hôtes à l'endroit où ils devaient coucher et le Seigneur demanda de l'eau. Lorsqu'elle eut été apportée, les disciples lui lavèrent les pieds et il leur rendit à son tour le même service. Ces gens en furent surpris et interrogèrent Jésus. Il leur fit une réponse qui me parut être un enseignement à leur adresse, et je crois qu'ils se proposèrent d'adopter, eux aussi, cet usage.

Lorsque le Seigneur et les disciples furent couchés, les cinq hommes sortirent de la tente, revêtus de manteaux qui étaient plus longs par derrière que par devant et où pendait sur le des un large morceau d'étoffe. Il était nuit et ils se dirigèrent vers un temple dont la forme était celle d'une pyramide quadrangulaire. Il n'était pas construit en pierre, mais en matériaux légers, tels que du bois et des peaux de bêtes, si je ne me trompe. Des degrés placés à l'extérieur permettaient de monter jusqu'au sommet. Ce temple était situé dans un fond autour duquel le terrain se relevait en amphithéâtre, formant des terrasses avec des degrés pour s'asseoir et des parapets. Ces enceintes étaient coupées par des passages qui donnaient accès aux différents compartiments, et les passages eux-mêmes étaient garnis de barrières légères et élégantes. Plusieurs centaines de personnes s'étaient déjà réunies dans cette espèce de cirque qui entourait le temple. Les femmes se tenaient derrière les hommes, puis venaient les jeunes filles et enfin les enfants. Des globes étaient placés par endroits sur les degrés de la pyramide. On les illuminait, et alors ils faisaient l'effet des étoiles du ciel, dont ils imitaient jusqu'au scintillement. Je ne sais pas comment cela était arrangé. Ces globes étaient ranges dans le même ordre que certaines constellations.

La pyramide était creuse à l'intérieur et pouvait contenir un grand nombre de personnes. Au milieu s'élevait une haute colonne de laquelle partaient des solives qui aboutissaient aux parois. Sur ces solives étaient disposées des lumières qui s'élevaient jusqu'au sommet de la pyramide et c'était par là qu'étaient éclairés les globes placés au dehors. Un jour singulier régnait dans l'intérieur : c'était un crépuscule semblable à un clair de lune : on voyait au-dessus de soi comme un ciel semé d'étoiles où figuraient la lune, et tout en haut, au point central, le soleil. Tout cela était imité avec infiniment d'art et produisait une certaine impression d'effroi, car en bas dans le temple, il n'y avait qu'un jour très faible à la lueur duquel on apercevait trois idoles placées autour de la colonne. L'une était comme un homme avec une tête d'oiseau : elle avait un long bec crochu et je vis qu'on y introduisait en guise d'offrandes toute sorte d'aliments, comme des oiseaux et d'autres objets semblables qui retombaient sous la partie inférieure du corps ; une autre de ces idoles avait une tête presque semblable à celle d'un boeuf : elle était assise ou plutôt accroupie. On lui mettait des oiseaux entre les bras comme on y aurait mis un petit enfant. Elle avait aussi dans le corps des trous où il y avait du feu, et il y avait en face une table pour les sacrifices où l'on immolait et découpait des animaux qu'on brûlait ensuite. La fumée s'échappait, comme par un conduit, dans la terre ou en dehors du temple. On ne voyait de flamme nulle part : mais ces hideuses figures, dont la troisième était une horrible et indécente figure de femme, brillaient d'une lueur rougeâtre dans le demi-jour.

La foule qui les entourait faisait entendre des chants étranges : c'était tantôt une voix seule, tantôt un choeur nombreux : à des accents plaintifs succédaient tout à coup des cris perçants. Ils criaient surtout ainsi tous ensemble quand ils voyaient paraître la lune ou certains autres astres. Je crois que leurs cérémonies idolâtriques durèrent jusqu'au lever du soleil.

Je m'éloignai pendant cette scène et j'allai à Cédar en passant par le quartier païen. Je vis revenir ceux qui avaient accompagné Jésus : leurs proches venaient à leur rencontre. Je vis aussi que les païens les arrêtaient et les questionnaient avec curiosité. mais amicalement, touchant cet homme qui avait fait de grandes choses parmi eux. Je vis ces païens stupéfaits et comme bouleversés de tout ce qu'ils entendaient : je vis qu'ayant été Jusque-là très malveillants pour leurs voisins, ils prenaient maintenant de tout autres sentiments et formaient le projet de les visiter désormais et d'entretenir des relations avec eux. Déjà quelques-uns s'étaient trouvés à la dernière instruction du sabbat. Ces païens avaient un autre culte que ceux que j'ai vus cette nuit : c'était plus grossier et plus abominable. Ils fabriquaient beaucoup d'idoles et faisaient de temps en temps des sacrifices en plein air.

Je me remis en voyage par une route qui allait toujours en descendant et j'arrivai dans le pays où mourut Saint Clément.

22 novembre. — Ce matin, je vis Jésus se disposant à quitter les gens chez lesquels il était. Il ne leur donna qu'un petit nombre d'instructions. Comme ils lui demandaient qui il était et où il allait, il parla du royaume de son Père, dit qu'il en était sorti pour visiter des amis qui étaient venus le saluer aussitôt après sa naissance, qu'après cela il irait en Égypte pour revoir des compagnons de sa jeunesse et les inviter à le suivre, parce qu'aussitôt après il retournerait à son Père. Il leur parla aussi de leur culte idolâtrique pour lequel ils se donnaient tant de peine et sacrifiaient tant de victimes : il leur dit qu'il fallait adorer le Père qui avait créé tout ce qu'ils voyaient, et ne pas offrir leurs victimes à des images qui étaient l'ouvrage de leurs mains, mais les donner à leurs frères indigents.

Les habitations des femmes de cette tribu sont tout à fait retirées et séparées des tentes des hommes. Chacun d'eux avait toute une troupe de femmes dans une tente : elles avaient de longs vêtements, portaient à leurs oreilles des joyaux de toute espèce et étaient coiffées d'un bonnet très haut : Jésus loua cet usage de tenir les femmes à part et dit qu'il était bon qu'elles vécussent retirées ; mais il blâma sévèrement leurs habitudes de polygamie. Il les exhorta à n'avoir qu'une seule femme et à la traiter comme une esclave. Ils trouvèrent dans ses enseignements quelque chose de si attachant et de si surhumain qu'ils le prièrent de rester parmi eux : ils voulaient lui amener un vieux prêtre plein de sagesse, mais Jésus n'y consentit pas.

Ils lui apportèrent alors d'anciens écrits qu'ils feuilletèrent. Ce n'étaient pas des rouleaux de parchemin, mais des feuilles épaisses, semblables à de l'écorce d'arbre, où étaient gravés toute sorte de caractères formant des courbes bizarres. Ces feuilles ressemblaient un peu à du cuir épais. Ils prièrent instamment le Seigneur de rester avec eux et de les instruire. Mais il leur dit qu'ils auraient à le suivre quand il serait retourné à son Père, qu'alors il les ferait convoquer.

Avant de partir, le Seigneur inscrivit pour eux avec un bâton pointu, sur la pierre dont le sol de la tente était formé, cinq noms de sa généalogie. Cela me parut consister seulement en quatre ou cinq lettres entrelacées parmi lesquelles je reconnus une M. Elles étaient profondément gravées. Ils admirèrent beaucoup cette inscription, lui témoignèrent un grand respect et firent plus tard un autel de la pierre où elle était tracée. Je la vois maintenant à Rome, cachée dans un mur à l'un des angles de l'Église de Saint Pierre. Pourvu que les ennemis de l'Eglise n'aillent pas la prendre là !

Jésus ne leur permit pas de l'accompagner : il passa devant la tour des idoles et se dirigea au midi avec ses disciples, à travers les tentes dispersées au loin. Il parla à ses compagnons de la sympathie avec laquelle l'avaient accueilli ces païens pour lesquels il n'avait rien fait, tandis que les Juifs endurcis et ingrats l'avaient persécuté méchamment, malgré les bienfaits dont il les avait comblés.

Jésus et ses compagnons marchèrent tout le jour et d'un pas très rapide. Je ne me souviens plus où il passa la nuit. Il me semble qu'il lui faut faire encore quelques journées de voyage représentant bien une centaine de lieues avant d'arriver au pays des trois rois.

24 novembre. — Le vendredi soir, un peu avant le sabbat, je vis Jésus, dans le voisinage de quelques tentes de bergers, se reposer prés d'un puits avec ses compagnons qui lui lavèrent les pieds, ce qu'il fit aussi pour eux. Alors il commença à célébrer le sabbat, priant avec eux, les enseignant, et montrant ainsi, même sur une terre étrangère, combien était mal fondé le reproche que lui faisaient les Juifs de ne pas sanctifier le sabbat. Il dormit cette nuit en plein air, à côté du puits, en compagnie des trois jeunes gens. Il n'y avait pas dans cet endroit de bergers établis à demeure ni qui eussent des femmes avec eux : ils y avaient seulement une résidence près de pâturages situés à une grande distance de leur séjour ordinaire.

25 novembre. — Aujourd'hui les bergers s'assemblèrent autour de lui et l'écoutèrent. Il leur demanda s'ils n'avaient pas entendu parler de ces gens, qui trente trois ans auparavant, avaient été conduits par une étoile en Judée pour y rendre leurs hommages au roi des Juifs nouveau-né " Oui, certainement ", lui répondirent-ils, et alors le Seigneur leur Ait qu'il était ce roi des Juifs et qu'il voulait à son tour visiter ces hommes.

Ils témoignèrent une joie naïve et le prirent en grande affection : ils lui firent dans un endroit entouré de palmiers un beau siège formé de marches de gazon s'élevant les unes au-dessus des autres : ils détachaient et enlevaient le gazon avec de longs couteaux de pierre Ou d'os, et le siège fut bientôt prêt. Le Seigneur s'y assit et il les enseigna en leur racontant de charmantes paraboles : et ces gens. au nombre de quarante environ l'écoutèrent avec une simplicité d'enfant et prièrent avec lui.

Vers le soir ils défirent une tente et, l'ajustant avec une autre ils arrangèrent une espèce de grande salle où ils préparèrent pour tous un repas composé de fruits, de lait de chamelle et d'une espèce de bouillie roulée en boulettes. Le Seigneur ayant bénit ce qui lui était servi, ils lui demandèrent pourquoi il faisait cela ; quand il le leur eut expliqué, ils le prièrent de bénir aussi ce qu'ils mangeaient, et il condescendit à leur désir. Ils lui demandèrent de leur laisser des mets bénits par lui et comme ils lui présentaient des choses délicates et qui devaient se gâter promptement, il demanda des aliments plus inaltérables et qui pussent se conserver longtemps. Les boulettes blanches qu'il bénit pour eux étaient faites de riz. Il leur dit qu'il faudrait remplacer ce qu'ils en mangeraient par du riz nouveau, qu'alors cela ne se gâterait jamais et ne perdrait jamais la bénédiction.

Les rois mages ont déjà appris en songe que Jésus vient les voir.

26 novembre. — Je vis de nouveau le Seigneur enseigner sur le trône de gazon. Il parla de la création du monde, de la chute du premier homme et de la promesse faite par Dieu de l'en relever. Il leur demanda s'ils n'avaient pas le souvenir d'une promesse qui leur eût été faite ? Mais ils n'avaient conservé qu'un petit nombre des traditions sur Abraham et aussi sur David, et le peu qu'ils en savaient était mêlé de fables. Ils étaient simples et naïfs comme des enfants à l'école : celui qui avait quelque chose à répondre à une question le faisait tout de suite sans hésitation.

Le Seigneur ayant vu leur innocence et leur ignorance, opéra en leur faveur un grand prodige. Je ne me souviens plus précisément de ce qu'il disait en ce moment, mais il sembla tirer avec la main droite d'un rayon de soleil comme un petit globe lumineux qui resta suspendu à sa main par un fit de lumière. Il devint assez grand pour qu'on pût se trouver au milieu et y voir toutes choses. Ces bonnes gens et les disciples y virent tout ce que le Seigneur leur expliquait. Ils se tenaient autour de lui, frappés de stupeur et d'effroi. Je vis dans ce globe la très sainte Trinité, et lorsque je vis le Fils en elle, Jésus disparut à mes yeux et j'aperçus un ange planant dans l'air auprès du globe. Il y eut un moment où Jésus eut ce globe posé sur sa main et un autre où il sembla que sa main elle-même fut le globe. On y voyait des tableaux innombrables sortant les uns des autres : j'entendis prononcer le nombre 360 ou 365, qui est celui des jours de l'année et il y avait aussi dans les tableaux du globe quelque chose qui s'y rapportait.

Jésus leur enseigna aussi une courte prière qui rappelait un peu le Pater et il leur indiqua trois intentions auxquelles ils devaient la faire alternativement. C'était une action de grâces pour la création, une autre pour la rédemption et une troisième, je crois, pour les âmes du purgatoire, à moins que ce ne fût pour la résurrection ou pour l'ascension, mais il n'était pas question du jugement dernier On voyait dans le globe se développer successivement toute une histoire de la création, de la chute et enfin de la rédemption avec tous les moyens d'y avoir part Je compris alors tout cela, de même que ces hommes simples, mais à présent je ne puis plus le redire. Je vis dans ce globe toutes les choses créées rattachées par des rayons à la très sainte-Trinité d'ou elles tiraient leur développement : j'en vis quelques-unes s'en séparer comme par une rupture. Le Seigneur leur donna une idée de la création par l'apparition du globe sortant de sa main, une idée du lien qui rattache le monde déchu à la Divinité et à la rédemption en le leur montrant suspendu par un fil, enfin une idée du jugement en le prenant dans sa main. Il leur parla de l'année et des jours dont elle se compose comme d'images appartenant à cette histoire de la création : il enseigna aussi sur la place que devaient y tenir la prière et le travail. Ces gens étaient moins vêtus que les adorateurs des astres.

Lorsque le Seigneur eut fini ses explications, le globe disparut subitement comme il était venu, elles bergers remués jusqu'au fond de l'âme par le sentiment de leur profonde misère et de la majesté divine de leur hôte, furent saisis de tristesse et se prosternèrent, ainsi que les trois jeunes gens, la face contre terre, versant des larmes et adorant Jésus aussi fut saisi de- tristesse et se prosterna la face contre terre sur le tertre de gazon. Mais les jeunes gens voulurent le relever et il se releva en effet : les bergers firent de même et l'entourèrent timidement en lui demandant pourquoi il était si triste ; il leur répondit alors qu'il s'affligeait avec les affligés.

Il leur fit ensuite cueillir une jacinthe qui croissait là à l'état sauvage, mais bien plus grande et plus belle que nos jacinthes, et il leur demanda s'ils ne connaissaient pas les propriétés de cette fleur. Quand le ciel s'obscurcit, leur dit-il, elle se penche, s'attriste et ses couleurs palissent ; il suffit même pour cela qu'un nuage cache le soleil. Il leur dit encore sur cette fleur et sur sa signification beaucoup de choses admirables que j'ai oubliées, comme tant d'autres.

Jésus leur demanda aussi quelle était leur religion, quoiqu'il le sût parfaitement ; mais il était comme un bon précepteur qui se fait enfant avec les enfants. Alors ils lui apportèrent tous leurs dieux. C'étaient des animaux de toute espèce très bien imités, ânes, brebis et chameaux : ils étaient revêtus de peaux et paraissaient du reste faits de métal. Ce qui était vraiment risible, c'est que toutes leurs idoles de bêtes ne représentaient que des femelles, ayant en guise de mamelles de grandes bourses terminées par un petit tube. Ils les remplissaient de lait, et les trayaient à certains jours de fête, en buvant de ce lait, eu dansant et en sautant. Chacun choisissait dans son troupeau les animaux les plus beaux et les plus irréprochables qu'on nourrissait à part et qu'on considérait comme sacrés. C'était à l'image de ces bêtes sacrées qu'ils faisaient leurs idoles et c'était de leur lait qu'ils remplissaient les mamelles de ces divinités. Quand ils célébraient leur culte, ils réunissaient tous ces simulacres sous des tentes élégamment décorées, et c'étaient des réjouissances comme pour une foire annuelle. Les femmes et les enfants y prenaient part : on trayait le lait, on mangeait, on buvait, on dansait et l'on adorait ces images d'animaux. Ils ne fêtaient pas le jour du sabbat, mais le jour suivant.

Pendant qu'ils racontaient tout cela à Jésus et lui montraient leurs idoles d'animaux, je vis une de ces fêtes qu'ils décrivaient. Le Seigneur leur fit voir que leur culte n'était qu'une ombre et une misérable contrefaçon du culte du vrai Dieu, et il partit de là pour leur expliquer qu'il était lui-même l'animal sans tache du troupeau l'agneau dont il fallait tirer toute nourriture et tout bien. Il leur dit aussi qu'il fallait renoncer à tous ces animaux remettre dans leurs troupeaux les bêtes vivantes et donner à de pauvres gens les idoles dont la matière avait quelque valeur il fallait ensuite construire un autel sur lequel ils brûleraient de l'encens pour rendre grâces au Père céleste. Ils devaient aussi implorer le bienfait de la rédemption et partager tout ce qu'ils possédaient avec leurs frères indigents : car ils avaient pour voisins dans le désert de pauvres gens qui ne possédaient rien et qui n'avaient pas même de tentes. Ce qui resterait de la chair des animaux dont ils se seraient nourris devait être offert en holocauste et ils devaient faire de même pour ce qui leur resterait de pain après que les pauvres auraient reçu leur part. Les cendres devaient être semées sur des terrains stériles qu'il leur indiqua afin d'y attirer la bénédiction d'en Haut. Il leur dit tout cela en leur en expliquant les raisons.

Jésus s'entretint avec eux des rois mages qui l'avaient visite : ils avaient eux aussi, entendu dire que trente-trois ans auparavant. Ceux dont il parlait avaient fait un long voyage pour visiter le Sauveur du monde croyant qu'ils en rapporteraient toute sorte de prospérités et de bénédictions : on leur avait dit aussi que ces rois à leur retour avaient fait de grands changements dans leur religion : mais ils ne savaient rien de plus à leur sujet.

27 novembre. — Jésus resta encore le lundi chez ces bergers, il alla avec eux visiter leurs troupeaux et leurs cabanes et leur donna des renseignements sur toute espèce de choses, notamment sur les propriétés de certaines plantes. Il leur promit de leur envoyer bientôt quelqu'un qui les instruirait. Il leur dit qu'il était venu pour tout homme qui désirait son avènement et non pour les Juifs seuls' comme ils le croyaient par humilité.

Les trois jeunes gens avaient été stupéfaits lorsqu'ils avaient vu le prodige tout nouveau du globe lumineux.

Ils avaient avec le Seigneur de tout autres rapports que les apôtres : ils étaient vis-à-vis de lui comme des serviteurs qui lui obéissaient en silence avec une simplicité enfantine et ils ne se permettaient pas comme les apôtres de lui demander des explications. Ceux-ci avaient une fonction : eux n'étaient que comme de pauvres écoliers au service d'un maître.

Les gens de ce pays n'allaient qu'à certains intervalles de temps visiter leurs femmes dans leurs maisons. Ils tenaient la continence en honneur et cela par suite d'une tradition venant d'Abraham : ils la faisaient même observer d'une certaine manière aux animaux dont se composaient leurs troupeaux.

28 novembre. — Le mardi, le Seigneur continua son voyage vers le séjour des trois rois. Dix ou douze bergers l'accompagnèrent; quelques-uns d'entre eux semblaient avoir une affaire à traiter ou une redevance à acquitter. Ils portaient avec eux des cages pleines d'oiseaux. Ce voyage eut lieu à travers une contrée très solitaire : sur toute une longue route ils ne rencontrèrent pas d'habitations : toutefois le chemin était très distinctement tracé et ne se perdait pas dans le désert. Ce chemin par endroits et quelquefois pendant longtemps était bordé d'arbres qui portaient un fruit bon à manger de la grosseur d'une figue : on rencontrait aussi ça et là des baies de diverses espèces à certaines stations qui marquaient le terme d'une journée de voyage on trouvait toujours un puits couvert entouré d'arbres rattachés ensemble par leur sommet et dont les branches qui retombaient tout autour formaient un berceau de verdure. A ces stations on avait aussi disposé des abris et des emplacements commodes pour faire du feu. Vers midi au plus fort de la chaleur ils se reposaient près de ces puits et mangeaient des fruits. Ensuite le Seigneur et ses trois jeunes acolytes se lavaient mutuellement les pieds. Il ne se laissait pas toucher par ses autres compagnons de voyage. Les jeunes gens attirés par sa bonté étaient quelquefois avec lui d'une familiarité enfantine : d'autres fois ils le regardaient en dessous tout intimidés et se regardaient ensuite les uns les autres, se son venant de ses prodiges et pressentant sa ;divinité. Souvent aussi je vis que Jésus semblait disparaître à leurs yeux. Il les enseignait et s'entretenait avec eux à propos de tout ce qui se présentait le long du chemin.

Ils marchaient une partie de la nuit : les jeunes gens se procuraient alors du feu en faisant tourner rapidement deux morceaux de bois l'un dans l'autre. Ils avaient aussi avec eux une espèce de lanterne placée au bout d'un bâton, laquelle était ouverte par en haut et où une petite flamme produisait une grande lueur rougeâtre. Je ne me rappelle plus ce que c'était. J'ai vu aussi pendant la nuit, des bêtes sauvages qui couraient effrayées. Pendant leur voyage ils eurent à traverser le plus souvent de hautes montagnes, mais qui n'étaient pas escarpées et s'élevaient en pente douce. Je vis une fois dans une plaine beaucoup de noyers plantés régulièrement et des gens qui mettaient dans des sacs les noix tombées par terre : cela ne semblait être qu'un glanage après la récolte. Je vis aussi des arbres qui avaient perdu leurs feuilles et sur lesquels il y avait encore des fruits. Je vis des pêchers sur des pentes, des arbres à tiges très minces plantés en ligne, et un arbuste ressemblant à notre laurier. Souvent les lieux de repos étaient marqués par de grands massifs de genévriers dont le tronc était gros comme le bras d'un homme robuste : ils étaient très touffus par en haut tandis que toutes les branches d'en bas étaient élaguées : l'aspect en était très agréable.

Toutefois, la plupart du temps, le chemin traversait un désert de sable blanc : il y avait aussi des endroits où la terre était couverte de cailloux blancs, ou de petites pierres polies, semblables à des oeufs d'oiseaux : il y avait aussi de grands amas de pierres noires, semblables à des débris de poterie ou à des fragments de bouteilles. Plusieurs étaient percées de trous réguliers pouvant servir d'anses, et les gens du pays en recueillaient quelques-unes pour s'en servir en guise de plats ou de pots. Sur la dernière montagne qu'ils eurent à franchir, il n'y avait que des pierres grises. En descendant, ils trouvèrent au pied de cette montagne une haie formée d'arbres élevés et touffus derrière laquelle coulait un torrent rapide, arrosant des terres cultivées. Au rivage était amarré un radeau fait de troncs d'arbres et d'osier tressé : ils s'en servirent pour passer l'eau.

30 Novembre. — Je les vis traverser la plaine en se dirigeant vers un groupe de cabanes faites en clayonnage et revêtues de mousse. Elles avaient des toits pointus, et les endroits où l'on dormait étaient disposés tout autour de la pièce qui occupait le centre J'y vis des sièges et des lits de mousse. Les gens qui les habitaient étaient convenablement vêtus et portaient sur eux des couvertures qui ressemblaient à de longs manteaux. J'y vis aussi des femmes qui faisaient cuire des aliments.

Je vis à quelque distance des tentes dressées, mais beaucoup plus grandes et plus solidement établies que toutes celles que j'avais vues précédemment. Elles reposaient sur des bases en pierre et semblaient être à plusieurs étages : des escaliers extérieurs circulaient alentour Je vis le Seigneur passer entre les premières cabanes de mousse, lorsque la vision prit fin : c'était ce matin vers cinq heures Là aussi il se reposa près d'un puits et ses jeunes compagnons lui lavèrent les pieds. On le conduisit dans une maison destinée à recevoir les étrangers. Les gens de l'endroit étaient très bienveillants. Les bergers qui avaient accompagné Jésus reprirent le chemin de leur pays : on leur donna des provisions pour le voyage.

Ce district où sont les habitations couvertes de mousse est très étendu : il y a une quantité innombrable d'habitations de ce genre disséminées autour des champs, des prairies et des jardins. On ne peut pas voir d'ici le grand palais de tentes : il se trouve à une assez grande distance : on le voyait en descendant la montagne. Le pays est singulièrement agréable et fertile. On trouve, adossées à des collines, beaucoup de haies de baumiers auxquels on fait des incisions et d'où découle un liquide précieux : on le reçoit dans ces pierres creusées en forme de pots qui se trouvent plus loin dans le désert. Je vis de magnifiques champs de blé avec des chaumes gros comme des roseaux : je vis aussi des ceps de vigne, des roses et des fleurs en boules grosses comme des têtes d'enfants. Il y a de petits ruisseaux limpides d'une eau très claire et d'un cours très rapide, coulant sous des berceaux de verdure formés par des haies soigneusement entretenues qui les bordent des deux côtés. On récolte les fleurs dont ces haies sont couvertes et celles qui tombent dans l'eau sont arrêtées par des filets placés de distance en distance où on les recueille. Aux endroits où on les repêche ainsi, il y a des ouvertures pratiquées dans ces berceaux de verdure. Je ne sais plus bien à quel usage ces fleurs sont employées.

Les gens de l'endroit apportèrent et montrèrent à Notre Seigneur tout ce que produisait leur pays. Il s'entretint avec eux de ces hommes qui avaient autrefois suivi l'étoile : ils lui répondirent qu'ils demeuraient d'abord dans des contrées très éloignées les unes des autres, qu'à leur retour, ils s'étaient réunis dans ce pays où l'étoile, qui s'y était montrée pour la première fois, les avait conduits ; qu'ils y avaient élevé une pyramide servant d'oratoire à l'endroit où l'étoile avait d'abord apparu, et qu'ils avaient établi tout autour une ville de tentes où ils étaient restés pour l'habiter ensemble. Ils avaient en outre reçu l'assurance que le Messie viendrait les visiter et ils voulaient, lorsqu'il en partirait, quitter ce pays à leur tour. Mensor le plus vieux de tous, vivait encore et avait conservé ses forces : Théokéno, le second, était tellement affaibli par les années qu'il ne pouvait plus marcher. Séir le troisième, était mort depuis quelques années et son corps se conservait sans altération dans une pyramide sépulcrale ou il était déposé. Le jour anniversaire de sa mort, on s'y rendait en cérémonie, on ouvrait les tombeaux et on leur rendait certains honneurs. On entretenait chez eux un feu qui brûlait perpétuellement. Après avoir donné tous ces détails à Jésus, ils s'informèrent auprès de lui de ce qu'étaient devenus les gens du cortège des trois rois qui étaient restés dans la Terre Promise.

Anne Catherine fut obligée d'interrompre ici le récit de ces intéressantes visions. Elle lut à cette époque réduite par l'intensité de ses souffrances à un état d'épuisement qui fit craindre pour sa vie. Le 1er décembre, elle raconta péniblement ce qui suit :

On envoya d'ici un messager à deux lieues d'ici, à la ville de tentes de Mensor, le plus âgé des deux rois qui vivaient encore : on lui fit dire qu'il était arrivé un homme qu'on croyait être un envoyé de ce roi des Juifs visité par lui.

Le soir, comme le sabbat allait commencer, Jésus demanda qu'on mit à sa disposition une cabane où il pût être seul avec ses compagnons et comme il n'y avait pas ici de lampes comme celles dont les Juifs se servaient, ils en arrangèrent une eux-mêmes. Jésus resta donc seul jusqu'au samedi soir pour célébrer le sabbat avec les trois jeunes disciples.

J'ai vu aussi que sept hommes vinrent de la demeure du roi Mensor pour lui souhaiter la bienvenue. Ils portaient de grands manteaux blancs brodés d'or, plus longs par derrière que par devant, et ils avaient sur la tête des bourrelets blancs avec des ornements en or. Je vis entre autre chose sur ces bourrelets un bouton brillant où était fixée ; comme une aigrette, une longue plume d'autruche penchée de côté. Ils invitèrent Jésus à venir avec ses disciples : je vis aussi que sur leur ordre on vida pour faire place au Seigneur, une habitation qui était remplie de fruits de toute espèce : ils le prièrent de faire un long séjour parmi eux. J'entendis aussi le Seigneur faire une instruction dans la chambre principale de cette habitation : il parla des païens bien disposés et dit qu'il y en avait qui, sans avoir été instruits, avaient pourtant le coeur pieux.

Je vis aussi, à l'endroit qu'habitaient les rois, faire des préparatifs pour recevoir le Seigneur. On attachait des arbres ensemble et on faisait des arcs de triomphe où étaient suspendus des ornements de toute espèce, des morceaux d'étoffe, des fleurs et des fruits.

3 décembre. — Je vis bien des choses de tout genre que je ne puis plus rapporter dans l'ordre où elles se présentaient : j'en oublierai certainement beaucoup. Dés qu'on eut reçu la nouvelle de l'arrivée de Jésus, je vis faire chez les rois toute espèce de préparatifs pour la réception. A cette occasion, je vis en détail l'endroit où ils demeurent. C'est un séjour singulièrement agréable, élégant et commode : cela ressemble plus à un lieu de plaisance, à un campement qu'à une ville. La tente principale fait l'effet d'un château. Elle repose sur des substructions en pierre sur lesquelles s'appuie d'abord un étage formé entièrement de parois à claire voie. Au-dessus se trouvent les appartements du château qui a plusieurs étages. Tout autour de cette grande construction courent des escaliers et des galeries ouvertes. On voit à l'entour d'autres tentes de cette espèce plus ou moins élevées, qui toutes sont unies entre elles par des chemins pavés d'une espèce de mosaïque en pierres de couleur, représentant toute espèce d'objets, notamment des étoiles et des fleurs. Tous ces jolis chemins passent entre des pelouses vertes et des jardins dont les parterres symétriques sont pleins de fleurs, de charmants arbrisseaux à petites feuilles ressemblant à des myrtes et à des lauriers, et d'arbustes portant des baies et des aromates. Au milieu d'un de ces emplacements est une belle fontaine jaillissante. Elle est haute de plusieurs étages et de tous les côtés, on la voit de loin lancer en l'air de beaux jets d'eau. Cette fontaine est sous un édifice entouré d'une colonnade à ciel ouvert garnie de sièges et de bancs. Derrière la fontaine se trouve le temple. Il est précédé d'une cour entourée de colonnades ouvertes d'un côté : de l'autre côté on voit l'entrée de diverses sépultures ; les sépultures des rois déjà morts se trouvent également ici. Le temple lui-même est une pyramide quadrangulaire, mais moins déprimée que celles que j'ai vues antérieurement pendant ce voyage. Des escaliers tournants avec des balustrades montent autour de cette pyramide et la pointe est travaillée à jour : je remarquai un de ces pavillons où il y avait d'un côté des jeunes gens et de l'autre des jeunes filles. Je crois qu'il leur sert d'école. En général toutes les habitations des femmes sont placées en dehors de cette enceinte. Elles demeurent à part et ensemble. Je ne puis dire avec quel soin et quelle élégance les choses sont disposées et arrangées, combien tout est vert et riant, et combien en même temps tout est agréable et simple.

On voit partout de beaux jardins avec des bancs pour se reposer. Je vis aussi un grand bâtiment à jour rempli d'oiseaux du haut en bas. J'aperçus à une certaine distance des tentes et des cabanes de toute espèce où habitent divers artisans, notamment des forgerons. Je vis encore des étables et de grandes prairies couvertes de troupeaux de chameaux, d'ânes et de grands moutons à laine fine : il s'y trouvait aussi des vaches qui avaient de grandes cornes et de petites têtes : elles différaient des nôtres Je n'ai pas vu de montagnes dans ce pays : il n'y a que des collines en pente douce. Elles ne me paraissaient pas beaucoup plus hautes que ces éminences qu'on appelle dans mon pays les tombeaux des paiens : elles sont entourées de palissades, et il y a aussi de petites tentes à l'entour. Je vis là de longs tubes que l'on faisait entrer dans la terre : il y avait dans le tube un instrument à forer garni d'une poignée : les gens du pays l'enfonçaient dans la terre et quand en le retirant, ils y trouvaient de l'or (car c'était là ce qu'ils cherchaient), ils creusaient dans le flanc de la colline et en retiraient le métal. J'ai vu bien d'autres choses encore, mais je ne peux plus mettre tout cela en ordre.

Lorsqu'on leur annonça l'arrivée prochaine du Seigneur qu'ils croyaient être un envoyé du Sauveur du monde, je vis tout en mouvement pour le recevoir comme si le roi des Juifs fût venu lui-même. Ils étaient pleins de joie et profondément émus. Je vis le vieux roi conférer avec les autres chefs et les prêtres et tout disposer comme pour une fête. On prépara les habits qui devaient être donnés comme présents, on attacha les uns aux autres des arbres par le sommet pour les courber en forme d'arcs de triomphe, on cueillit des fleurs pour en faire des guirlandes, etc. Je vis en même temps le Seigneur, ses jeunes disciples et les sept messagers se mettre en marche vers le château de tentes, et le vieux Mensor en sortir sur un chameau richement en harnaché qui portait des coffres de chaque côté, et aller à la rencontre du Seigneur avec une suite d'une vingtaine d'hommes de distinction, vieux et jeunes, dont plusieurs avaient accompagné les trois rois à Bethléhem. Ce cortège chantait une mélodie grave et mélancolique du genre de celle que je leur avais entendu chanter pendant la nuit lors de leur voyage à Bethléhem.

Le roi Mensor était le plus âgé de ceux qui avaient porté leurs offrandes à l'enfant Jésus : il avait je visage basané et portait sur la tête une coiffure ronde et élevée entourée d'un bourrelet blanc. Il avait un manteau blanc brodé avec une longue queue par derrière. Devant le cortège un homme portait un long bâton avec une pointe dentelée à laquelle était attaché quelque chose qui flottait au loin. C'était un insigne d'honneur, une espèce de bannière : cela ressemblait un peu à une queue de cheval.

Le cortège suivit une allée bordée de belles prairies sur lesquelles on voyait par endroits des tapis moelleux de mousse blanche ressemblant à d'épaisses fourrures, et il s'arrêta à moitié chemin, près d'un arbre sous lequel était une fontaine entourée d'une espèce de temple de verdure. Là le vieillard mit pied à terre et attendit le Seigneur qu'on voyait approcher. Les sept messagers qui étaient allés chercher Jésus lui servirent ici de courriers. L'un d'eux courut en avant et annonça son arrivée. Alors on prit dans les coffres que portait le chameau plusieurs magnifiques vêtements blancs brodés d'or, des coupes d'or, des assiettes et des soucoupes de même métal pleines de fruits et on plaça tout cela sur un tapis près de la fontaine.

Le Seigneur n'étant plus qu'à quelques pas, le vieillard courbé par les années alla à sa rencontre avec un profonde humilité, soutenu par deux hommes et suivi d'un troisième qui portait la queue de son manteau. Il tenait à la main un long bâton, avec des ornements d'or qui se terminait en forme de sceptre. Dès qu'il aperçut Jésus, il eut une espèce d'avertissement intérieur et se sentit ému comme il l'avait été près de la crèche devant laquelle c'était lui qui s'était agenouillé le premier. Il tendit son sceptre à Jésus et se prosterna devant lui. Jésus lui prit la main et le releva. Alors on apporta les présents au vieux roi qui étala sur ses mains les riches vêtements et les offrit à Jésus et à ses disciples. Le Seigneur les remit à ceux-ci, qui les firent replacer sur le dos du chameau. Jésus les accepta, mais il ne voulut pas s'en revêtir. Le vieillard lui offrit aussi le chameau, mais Jésus le remercia.

Ils entrèrent alors sous le berceau qui ombrageait la fontaine, et le vieillard présenta au Seigneur de l'eau fraîche dans laquelle il versa quelques gouttes d'une liqueur contenue dans un flacon : il lui offrit aussi de petits fruits dans des soucoupes. On ne saurait dire combien il montrait d'humilité et de cordialité naïve. Il s'enquit du roi des Juifs, car il croyait Jésus son envoyé et il ne pouvait pas s'expliquer la grande émotion dont il était pénétré intérieurement. J'ai oublié tout ce qu'ils se dirent : je vis les autres s'entretenir avec les disciples : ils embrassèrent Erémenzear, celui qui s'appela depuis Hermas, et pleurèrent de joie en apprenant de lui qu'il était le fils d'un de ceux qui étaient restés dans la Terre Sainte lors de la visite des rois à Jésus enfant. Plus tard j'appris qu'il était de la descendance de Cétura, la seconde femme d'Abraham.

Quand ils se furent arrêtés là quelque temps, ils voulurent faire monter Jésus sur le chameau, mais il s'y refusa et exigea que le vieillard s'y assit de nouveau. Jésus et les disciples marchèrent en tête du cortège. Au bout d'une heure, ils arrivèrent à la limite proprement dite des habitations ; c'était une enceinte de toiles blanches tendues de haut en bas qui s'étendait en ligne circulaire à droite et à gauche. Ils trouvèrent à l'entrée une troupe de jeunes filles en habits de fête qui venaient à leur rencontre : elles marchaient deux par deux, portant entre elles des corbeilles pleines de fleurs, et elles en semèrent une si grande quantité devant le Seigneur que tout le chemin en était jonché. Il y avait aussi à l'entrée, des arbres qu'on avait courbes pour former un arc de triomphe. On passait ensuite sous une longue allée plantée d'arbres. Les jeunes filles avaient des caleçons blancs très larges et sous les pieds des sandales dont l'extrémité était relevée en pointe. Elles portaient des vêtements de dessus ouverts par devant et un peu plus longs par derrière : leur tête était entourée de bandelettes blanches et leurs bras de plusieurs petites guirlandes faites d'une étoffe froncée, avec des fleurs, de la laine et des plumes de couleurs éclatantes : elles en avaient aussi autour du cou et sur la poitrine Elles étaient habillées très modestement mais elles n'étaient pas voilées.

Au bout de cette allée d'arbres dont les sommets se rejoignaient et formaient une voûte, le cortège arriva au bord d'un fossé ou d'un ruisseau qui entourait un jardin: on le passait sur un pont que recouvrait une tente. Jésus y fut reçu par quatre ou cinq prêtres sous un arc de triomphe très orné. Ils étaient revêtus de grands manteaux blancs avec de longues queues qu'on portait derrière eux. Leur robe était toute garnie de lacets et ils avaient au bras droit un long manipule qui semblait fait de fils tressés ou de fourrure et qui descendait jusqu'à terre. Ils portaient sur la tête des couronnes dentelées et sur le front un ornement en forme de coeur qui se terminait aussi en pointe. Deux d'entre eux portaient un bassin d'or ou il y avait du feu : d'autres avaient à la main des vases d'or avant la forme de petits navires et ils y prenaient l'encens qu'ils jetaient dans le feu. Lorsqu'ils s'approchèrent de Jésus, on cessa de porter leur queue qui fut relevée et rattachée derrière eux.

Jésus passa à travers tous ces hommages, calme et impassible, comme le jour des Rameaux.

Le chemin qui traversait le jardin suivait une allée en berceau qui était ouverte d'un côté. Le jardin était grand : sa limite extérieure était tracée par de grands arbres : à l'intérieur il était planté de jolis arbustes. Beaucoup de canaux et de ruisseaux passaient à travers ce jardin que des allées semées de cailloux élégamment disposés partageaient en plusieurs petites plates-bandes triangulaires où il y avait de belles plantes et des fleurs de toute espèce. Les arbres et les arbustes du jardin étaient taillés de manière à figurer différents objets : et j'en vis quelques-uns représentant des hommes et des animaux. Il y avait aussi des bancs où l'on se reposait à l'ombre, et de jolies fabriques. Toute l'allée en berceau qui coupait le jardin en deux était semée de pierres de couleur représentant des étoiles et d'autres objets. Le jardin aboutissait à un autre ruisseau formant un arc de cercle et sur lequel passait aussi un pont couvert d'une tente. Après l'avoir franchi on voyait à droite et à gauche s'étendre en demi-cercle des tentes basses, de forme carrée, où demeuraient les jeunes gens. Le chemin, toujours couvert, conduisait au milieu de la grande place ronde qui était le point central de cette enceinte circulaire, et en face était la grande tente royale. Au milieu de la place s'élevait une colline plantée et formant une île, car elle était entourée d'eau. Il y avait là une fontaine surmontée d'une espèce de temple ouvert de tous les côtés, reposant sur des colonnes élancées et dont le toit était couvert de peaux de bêtes.

Lorsque le Seigneur ayant franchi le pont arriva sur la place, les jeunes gens le reçurent en jouant de la flûte et en frappant sur- de petits tambours. Ils avaient un costume singulier et je crois qu'ils faisaient le service de gardes du corps : car j'en vis quelques-uns aller de long en large comme des sentinelles, armés d'épées très courtes semblables à des couperets. Leur habillement est mi-parti : un côté ne ressemble pas à l'autre. D'un côté ils n'ont rien de bien remarquable, de l'autre ils portent divers objets suspendus à l'épaule, notamment quelque chose qui ressemble à un grand croissant et où on voit la silhouette d'un visage humain. Ils ont des bonnets surmontés d'un cimier en plumes.

Lorsque le roi fut descendu de son chameau, on emmena l'animal, et le roi conduisit Jésus et ses disciples à la fontaine qui était sur la petite île. C'est une fontaine jaillissante, placée sous un petit temple ouvert : il y a plusieurs' bassins les uns au-dessus des autres : elle est faite d'un beau métal luisant et garnie d'un grand nombre de conduits. Quand on les ouvre tous, l'eau jaillit de tous les côtés, tombe dans plusieurs rigoles bordées de verdure et descendant ainsi les pentes de la colline va se perdre dans le ruisseau qui forme l'île. Des sièges sont disposés tout autour de la fontaine. Le roi retint quelque temps ses hôtes dans cet endroit : les disciples lavèrent les pieds du Seigneur et il les leur lava à son tour. Je crois que les assistants voulaient aussi leur rendre cet office : mais je ne me souviens plus si Jésus le leur permit.

Ils sortirent de là en franchissant un autre pont surmonté d'une tente et arrivèrent de l'autre côté de la place au château du roi. C'est un grand édifice, élevé de plusieurs étages avec des fondements en pierre supportant un rez-de-chaussée à claire-voie, rempli d'arbustes et de plantes de toute espèce : des escaliers et des galeries couvertes circulent à l'extérieur et s'élèvent jusqu'au haut du château. On voit çà et là des fenêtres, mais elles ne sont pas disposées symétriquement. La toiture a plusieurs combles surmontés de petits drapeaux, de lunes et d'étoiles. On conduisit Jésus dans une grande salle ronde ou plutôt octogone. Au milieu était un piller servant d'appui autour duquel étaient fixés des disques ronds placés les uns au dessus des autres et où on suspendait toute sorte de choses. Autour de ce piller était une table circulaire assez basse sur laquelle un repas fut servi dans de très belle vaisselle.

Tous étaient restés debout et Jésus s'entretint avec eux. Le repas était très élégamment disposé, de belles herbes de toute espèce étaient arrangées dans les assiettes, où elles formaient comme de petits jardins. Cette circonstance et la vaisselle d'or avec tous ses ornements me remirent en mémoire les beaux plats d'or à rebords bleus des tables célestes. Il y avait une quantité de beaux fruits, entre autres un gros fruit jaune à côtes, surmonté d'un bouquet touffu. On voyait aussi sur la table des oiseaux rôtis, de petites coupes d'or, de charmants vases à boire, des petits pains et surtout de beaux rayons de miel. Les parois de la tente étaient tendues de couvertures bariolées où étaient représentées des fleurs et des figures, entre autres des figures d'enfants qui servaient à boire. Le sol était aussi tapissé d'étoffes moelleuses.

Lorsque je vis tout cela, j'étais en dehors de la tente avec mon conducteur, et lorsque je vis les rayons de miel il vint tout d'un coup d'un endroit éloigné où étaient des ruches, un essaim de grandes abeilles qui se posèrent sur ma robe. Elle ne me firent aucun mal, mais elles couvrirent mon tablier jusqu'à la poitrine de manière qu'il était tout noir et je me mis à frapper dessus. Alors mon conducteur me dit : " Pourquoi frappes-tu ces abeilles : elles t'apportent du miel ". Elles s'envolèrent et mon tablier se trouva couvert du plus beau miel. Mais la vision avait disparu : je ne me rappelle plus ce que je fis du miel.

4 -6 décembre. — Anne Catherine raconta seulement ce qui suit des visions des trois jours suivants. Le vieux roi et les autres racontèrent comment ils avaient vu l'étoile et tout ce qui s'était passé alors. Il y avait dans leur tribu une ancienne prédiction relative à une étoile de ce genre. Ils l'avaient vue pour la première fois quinze ans avant la naissance du Messie : ils la virent ensuite de cinq ans en cinq ans. Ils y avaient toujours vu des figures comme on en voit dans les étoiles : celles-ci se rapportaient à Jésus.

Ici le Pèlerin demanda à Anne Catherine si elle avait vu quelque chose de ce genre dans les étoiles et elle répondit : " Oh ! oui : on y voit des jardins, des maisons, des arbres, avec toute sorte d'incidents et de changements. J'ai vu cela très fréquemment dès mon enfance, lorsque je priais dans les champs pendant les nuits d'hiver et j'ai toujours cru que tout le monde voyait ces choses ".

J'ai su tout ce que les rois mages avaient vu dans l'étoile, mais je l'ai oublié. La première figure qu'ils virent, quinze ans avant la naissance du Christ, fut une vierge tenant d'une main un sceptre, de l'autre une balance où il y avait une grappe de raisin et un épi de blé. Pendant les cinq dernières années, ils virent ces tableaux changer souvent : en dernier lieu, ils y virent l'enfant dans la crèche, ayant près de lui Joseph et Marie, et ils virent même des lettres et des mots, par exemple le nom de la Judée, si je ne me trompe. Ils avaient eu aussi quelque connaissance du mystère de la Rédemption et ils savaient que Jésus viendrait les visiter. Ils n'avaient pas été les seuls à voir cela : les autres adorateurs des astres, dans le pays desquels le Sauveur avait passé d'abord pendant ce voyage, avaient aussi vu l'étoile, mais ils ne l'avaient pas suivie : c'est pourquoi ils étaient restés en arrière dans la voie du salut. Je crois qu'ils avaient vu encore une figure qui portait une croix, et une montagne.

Lorsque dans la nuit de Noël, ils virent l'enfant Jésus dans l'étoile et reçurent un avertissement, ils s'envoyèrent réciproquement des messages et se mirent en voyage pour aller rendre leurs hommages à l'enfant nouveau-né. L'étoile n'avait cessé de se rapprocher d'eux et elle allait devant eux. C'était ici qu'ils s'étaient rencontrés et réunis, auparavant ils demeuraient fort loin les uns des autres : mais lorsqu'à Bethléhem ils furent avertis en songe de ne pas revenir vers Hérode et de s'en retourner chez eux par un autre chemin, il leur fut dit aussi qu'ils devaient se réunir ensemble dans cet endroit et y attendre le moment où ils iraient dans un autre pays à la suite du roi des Juifs.

Ils demandèrent à Jésus pourquoi ils avaient perdu de vue l'étoile en arrivant à Jérusalem et il leur dit : " Pour éprouver votre foi et parce qu'elle ne devait pas se montrer sur Jérusalem. " La malade répéta ces paroles en souriant, comme pour répondre au Pèlerin qui lui reprochait d'avoir si étourdiment oublié tant de choses importantes, par- exemple les objets représentés dans les étoiles.

Je vis encore le Seigneur enseigner dans la tente et leur dire en dernier lieu qu'il n'était pas l'envoyé de Jésus, mais Jésus lui-même, sur quoi ils se prosternèrent par terre en pleurant. Le vieux roi Mensor surtout fondait en larmes, et ils ne pouvaient contenir les témoignages de leur amour et de leur vénération. Ils ne pouvaient pas comprendre qu'il fût venu les trouver. Mais il leur dit qu'il était venu pour les Gentils comme pour les Juifs, qu'il était venu pour tous ceux qui croyaient en lui. Ils croyaient que le moment était arrivé de quitter le pays qu'ils habitaient et ils voulaient le suivre tout de suite en Judée. Mais il leur répondit que son royaume n'était pas de ce monde, et qu'ils seraient scandalisés et ébranlés dans leur foi, s'il leur fallait voir les injures et les mauvais traitements qu'il était destiné à subir de la part des Juifs. Ils ne pouvaient se faire une idée de cela et ils lui demandèrent aussi une fois comment il se faisait que tant de méchants prospérassent pendant que beaucoup de gens de bien avaient tant à souffrir. Il leur dit alors que ceux qui trouveraient leurs satisfactions ici-bas auraient ailleurs un compte à rendre ; que cette vie était une vie de pénitence etc.

Ces gens savaient quelque chose d'Abraham et de David ; quand Jésus leur fit connaître sa généalogie, ils apportèrent de vieux documents où ils cherchèrent si eux-mêmes n'avaient point quelque parenté avec la race dont il était issu. C'étaient des tablettes repliées les unes sur les autres, et qu'on déployait comme des cartes d'échantillons. Ils étaient dociles comme des enfants et il n'y avait rien qu'ils ne voulussent faire. Ils savaient que la circoncision avait été prescrite à Abraham, et ils demandèrent au Seigneur si eux aussi devaient se soumettre à cette loi. Jésus leur dit que ce n'était plus nécessaire, qu'ils avaient déjà opéré la circoncision sur leurs convoitises, et qu'ils avaient encore à circoncire. Je trouvai, dans l'instruction que Jésus fit ici, des éclaircissements remarquables sur ce mystère, mais j'ai oublié tout cela.

Ils avaient également connaissance de Melchisédech et de son sacrifice de pain et de vin, et ils dirent au Seigneur qu'ils faisaient eux aussi, un sacrifice de cette espèce. C'était une cérémonie où ils offraient des petits pains et un liquide verdâtre, en prononçant quelques paroles dont le sens était à peu près celui-ci : " Quiconque me mange avec piété sera comblé de prospérités ". Jésus leur parla à ce sujet et leur dit que le sacrifice de Melchisédech était une figure prophétique du plus saint des sacrifices. et que c'était lui-même qui était offert dans ce sacrifice : il ajouta qu'ils possédaient différentes formes de la vérité, mais que toutes avaient été altérées et corrompues par l'esprit de ténèbres.

Je vis une fois, je ne me souviens plus bien si ce fut dans la nuit qui précéda l'arrivée de Jésus ou dans celle qui suivit, tous les chemins qui aboutissaient à la tente royale, éclairés jusqu'à une grande distance. On y avait planté des poteaux surmontés de globes transparents dans lesquels il y avait de la lumière, et au-dessus de chaque globe était une petite couronne qui brillait comme une étoile. Je vis aussi alors beaucoup de personnes rassemblées autour du temple et dans le temple, mais je n'y entrai pas moi-même.

La première fois que le Seigneur visita le temple, c'était pendant le jour. Les prêtres allèrent le chercher en cérémonie au château. Ils avaient des bonnets plus hauts que la première fois : à leur épaule était suspendu un cordon de petits disques d'argent, et ils portaient à l'autre bras de ces longs manipules que j'avais déjà vus. Des draperies étaient tendues au-dessus du chemin et ils marchaient pieds nus. Je vis dans les alentours du temple des femmes assises qui semblaient curieuses de voir le Seigneur. Elles avaient au-dessus d'elles de petits auvents portés sur des perches comme pour les garantir du soleil. Elles se tenaient à distance et se courbèrent jusqu'à terre devant le Seigneur.

Le temple était près d'un des côtés du château et compris dans la vaste enceinte qui avait la fontaine pour centre : c'était une pyramide quadrangulaire moins élevée que le château il y avait un étage inférieur formé par des parois verticales : des escaliers découverts couraient tout autour. La pointe était à jour. Cette pyramide était dans une cour entourée d'une galerie couverte, dont le côté fermé touchait à des passages souterrains conduisant aux sépultures des rois morts. Au milieu du temple s'élevait une colonne d'où partaient des chevrons qui aboutissaient aux quatre parois. Tout en haut était suspendue une roue avec toute espèce de figures, d'étoiles et de globes : cette roue avait son emploi dans les cérémonies religieuse.

Ils montrèrent à Jésus une représentation de la crèche qu'ils avaient faite à leur retour de Bethléhem, sur le modèle de celle qu'ils avaient vue dans les étoiles. Tout cela était en or et entouré d'une grande plaque d'or en forme d'étoile. L'enfant était assis sur une couverture rouge, dans une crèche comme celle de Bethléhem : ses petites mains étaient croisées sur sa poitrine et il était emmailloté depuis les pieds jusqu'à la poitrine. Ils y avaient même mis du foin : on voyait derrière la tète de l'enfant une espèce de guirlande blanche : je ne sais plus de quoi elle était faite. Ils montrèrent cette image à Jésus : ils n'avaient du reste aucune autre image dans leur temple. A l'une des parois était suspendu un long rouleau ou une tablette : c'était un de leurs écrits sacrés. On y voyait presque partout des espèces de figures. Il y avait aussi entre la colonne et la représentation de la crèche un petit autel avec des ouvertures sur le côté. Ils avaient encore une espèce de petit aspersoir avec de l'eau dont on aspergeait les assistants comme on le fait avec de l'eau bénite. Je vis en outre une branche bénite qui figurait dans diverses cérémonies, des petits pains ronds, un calice et, si je ne me trompe, de la chair de victime sur un plat. Ils montrèrent tout cela à Jésus : il leur donna des enseignements à ce sujet et il réfuta différentes raisons qu'ils apportèrent à l'appui de leurs pratiques.

Ils menèrent ensuite Jésus dans les tombeaux du défont roi Séir et de sa famille. C'étaient de beaux caveaux ayant leur place à part dans le passage couvert qui entourait la pyramide du temple. Les tombeaux ressemblaient à des lits de repos pratiqués dans la muraille. Les corps y étaient couchés, revêtus de longues robes blanches, sur de belles couvertures qui retombaient en dehors. Je vis leurs visages à demi enveloppés et leurs mains qui étaient nues et blanches comme la neige. Je ne sais pas s'il n'y avait plus que les os ou si elles n'étaient pas recouvertes de peau desséchée, car je vis sur les mains des sillons profonds'. Les caveaux des sépultures étaient très spacieux et il y avait un siège dans chacun. Les prêtres y apportèrent du feu et firent des encensements. Tous versaient des larmes : le vieux roi Mensor surtout pleurait comme un enfant. Jésus s'approcha du corps et parla sur la mort. Il me semble aussi qu'il toucha leurs mains et les bénit cependant je n'ai plus de souvenirs bien précis à ce sujet.

NOTES : 1 - Plus tard, racontant comment l'apôtre saint Thomas était venu baptiser ici, trois ans après l'ascension du Sauveur, elle dit qu'il lava avec de l'eau bénite je visage du roi Séir, mort alors depuis douze ans après en avoir retiré une espèce de masque blanc. Ce roi était le plus basané des trois, et son corps avait encore toute sa peau. Les autres corps n'étaient que des squelettes blanchis. (Note du Pèlerin)

2 - Pendant le saint temps de l'Avent, en 1820, Anne Catherine, tout en voyant et en racontant le séjour du Seigneur dans le pays des saints rois mages, avait en même temps des visions journalières touchant les mystères qui se rapportent au temps de l'Avent. Mais la richesse et la variété de ces visions lui rendait très difficile de les communiquer d'une manière suivie, et il y eut 'beaucoup de choses qu'elle ne put raconter qu'après coup et d'une manière très incomplète. (Note du Pèlerin.)

7 décembre. — J'ai oublié de raconter que lorsque Mensor, après la réception solennelle, conduisit Jésus à son château, il le mena aussitôt près de Théokéno, le second des rois mages qui vivait encore : il était tellement affaibli par l'âge qu'il ne pouvait plus marcher. C'était celui des trois qui avait le teint le plus blanc : il habitait une chambre entourée de grillages dans la partie inférieure du château et il reposait là couché sur des coussins. Les arbustes que j'avais vus à ce rez-de-chaussée forment son jardin parce qu'il ne peut plus sortir. Tout ce que j'ai dit s'être passé dans le château eut lieu en sa présence Jésus je visitait tous les jours avec Mensor. Théokéno raconta une fois, à propos du défont roi Séir, que lorsque, selon leurs usages, ils eurent placé une branche d'arbre devant la porte de son tombeau, une colombe était venue se poser sur cette branche, qu'elle y venait encore souvent et qu'elle était maintenant très vieille.

Il demanda ce que cela signifiait. Jésus lui demanda à son tour quelle avait été la foi de Séir, et le vieil infirme répondit : " Seigneur, elle était comme la mienne. Depuis que nous avons visité le roi des Juifs et jusqu'à sa mort, son unique désir a toujours été qu'il n'y eût rien en lui qui ne fût conforme à la volonté du roi des Juifs ". Là-dessus Jésus leur expliqua que la colombe qui était venue se poser sur la branche indiquait qu'il avait été baptisé du baptême de désir. J'ai vu moi-même cette colombe.

Je vis entre le temple et la fontaine une fosse creusée en terre dans laquelle il y a toujours du feu allumé : la flamme en est blanche et ne dépasse jamais le bord de la fosse. Je n'y vis pas mettre de bois. Les prêtres apportèrent dans des tubes creux quelque chose qu'ils faisaient rouler dedans. Je crois que c'étaient des morceaux d'une matière qui leur servait à fondre l'or et qu'on tirait de la terre. Au-dessus de ce feu était souvent placé, pour le couvrir, un demi globe de métal surmonté d'une figure tenant à la main un petit étendard.

J'ai vu aussi, à peu de distance de la mine, l'endroit où on fait fondre l'or : on ne se servait pas de bois pour cela. On creusait la terre pour en retirer des morceaux d'une matière brune et jaune, longs à peu près comme la moitié du bras ; on faisait courir le métal liquide dans de longues rigoles, et on obtenait ainsi des lingots. Le feu était mêlé avec le métal et l'environnait entièrement. Il y avait beaucoup d'orfèvres et d'autres ouvriers établis sous de petites tentes dans l'enceinte extérieure.

Il y a cinq chemins partant de différents endroits qui aboutissent au centre de la ville, et il se trouve sur divers points des collines qui renferment de l'or. L'or s'y rencontre soit en petites parcelles qui ressemblent à des miettes de pain grillé et qu'on fait fondre, soit en grains et en petits morceaux qu'ils conservent dans des coffrets. Ils font des trous au haut des monticules avec des instruments à forer et quand ils rencontrent quelque chose, ils creusent des galeries sur le côté.

Je vis les femmes qui habitaient à part sous des tentes rangées en cercle hors de l'enceinte. J'en vis beaucoup travailler sur de longues bandes de tapisserie blanche qui étaient tendues comme des toiles et où elles brodaient des fleurs des deux côtés. Elles cousaient avec de longues tiges blanches crochues qui ressemblaient à des arêtes de poisson et elles y travaillaient plusieurs à la fois. J'ai vu de ces tapisseries suspendues aux parois autour des tentes.

Je vis encore aujourd'hui le Seigneur dessiner pour ces gens un agneau qui avait un petit étendard sur l'épaule et qui reposait sur un faisceau de tablettes écrites auxquelles étaient suspendus sept sceaux. Il le dessina sur une plaque, leur dit de faire faire une image sur ce modèle et de la placer en face de la crèche prés de la colonne. J'ai vu aussi qu'on fit la chose comme il l'avait dit.

Ce ne fut qu'à son arrivée que je vis Jésus manger avec les paiens et seulement du pain et quelques fruits : quand il buvait, on lui donnait un vase qui n'avait encore servi à personne.

8 décembre. — A partir d'aujourd'hui les rois célébrèrent pendant trois jours une fête de leur religion sur laquelle j'ai appris quelque chose. C'était à cette date que, quinze ans avant la naissance du Christ, ils avaient vu l'étoile pour la première fois et y avaient aperçu l'image d'une vierge tenant d'une main un sceptre, de l'autre une balance avec un bel épi de blé dans le premier de ses plateaux et une grappe de raisin dans le second. C'est pourquoi, depuis leur retour de Bethléhem, ils célébraient cet anniversaire par une fête de trois jours en l'honneur de Jésus, de Marie et Joseph : car ils honoraient fort ce dernier qui les avait reçus d'une manière si affectueuse. Cette fois ils ne voulaient pas par humilité se livrer devant le Seigneur aux pratiques ordinaires de leur culte : ils désiraient seulement qu'il voulût bien enseigner. Mais Jésus leur dit de célébrer leur fête comme de coutume pour ne pas donner de scandale aux gens qui n'étaient pas suffisamment instruits. Je vis alors différentes choses concernant leur religion. Ils avaient trois images d'animaux qui toutefois n'étaient pas dans le temple, mais au dehors : un dragon ouvrant une gueule énorme, un chien dont la tête était très grosse, et un oiseau à longues jambes et à long cou, assez semblable à une cigogne, mais avec un bec un peu recourbé. Je ne crois pas qu'ils adorassent ces images comme des divinités: j'entendis dire qu'elles représentaient seulement certaines idées. Le dragon figurait la nature mauvaise et ténébreuse qu'il fallait faire mourir. Le chien, outre qu'il représentait un certain astre, était un emblème de la fidélité, de la reconnaissance et de la vigilance : l'oiseau était celui de la piété filiale. Je ne puis pourtant pas dire ce qui en était réellement, ni s'il en avait toujours été ainsi : il y avait là des symboles d'un sens profond que je compris bien alors, mais que je ne puis plus expliquer clairement. Je sais seulement que ce n'était pas aussi répréhensible que l'idolâtrie et qu'il n'y avait là aucune de ses abominations, mais au contraire bien des pensées marquées au coin de la sagesse et de l'humilité et inspirées par la contemplation des merveilles de Dieu. Ces figures d'animaux n'étaient pas en or, elles étaient d'une couleur plus foncée que celle de l'or et peut-être faites avec ce dont ils se servaient pour fondre ce métal ou avec ce qui restait après la fusion Sous l'image du dragon je lus cinq lettres AASCC ou ASCAS; je ne me souviens plus bien dans que ordre elles étaient tracées. Le chien s'appelait Sur : je ne me rappelle plus le nom de l'oiseau.

Les quatre prêtres enseignèrent autour du temple, dans quatre endroits différents, en présence des hommes, des femmes, des jeunes filles et des jeunes gens. Je vis qu'ils ouvraient la gueule du dragon en disant : " Si cet animal si hideux et si terrible était vivant et s'il voulait nous dévorer, qui pourrait nous secourir sinon le Dieu tout-puissant " ? Ce Dieu, ils le désignaient aussi par un nom particulier.

Je les vis ensuite faire descendre la roue que j'avais vue récemment suspendue dans le temple en haut d'une colonne et la placer sur l'autel dans une rainure où un prêtre la fit tourner. Il y avait plusieurs cercles les uns dans les autres et des globes d'or creux qui brillaient et résonnaient en tournant. J'appris qu'elle était destinée à indiquer le cours des astres. Ils chantaient en même temps des paroles dont le sens était : " Que deviendrions si Dieu ne faisait pas tourner les astres " ?

Après cela ils présentèrent encore de l'encens à l'enfant Jésus en or qui était dans la crèche. Il me sembla aussi qu'ils brûlaient de petits ossements. Jésus leur dit qu'à l'avenir il faudrait ôter de là les figures d'animaux et prêcher sur la miséricorde, l'amour du prochain et là rédemption : que du reste ils devaient admirer Dieu dans ses créatures lui rendre grâce et n'adorer que lui seul. Comme le sabbat commençait dans la soirée Jésus se retira à part avec ses disciples et pria.

Le soir Anne Catherine tomba évanouie, épuisée qu'elle était par une maladie douloureuse et par des travaux à l'aiguille pour les pauvres malades qu'elle avait faits à grand-peine malgré cela. Son cou et ses mains avaient une chaleur fébrile et elle souffrait de violentes douleurs à la tête. Au bout de quelques minutes elle étendit les mains comme pour prendre quelque chose qu'on lui donnait, se retourna et dit en s'éveillant à demi : " Lorsque je me suis retournée il avait disparu. Un des rois est venu avec un bouquet de myrte et a voulu alléger mes maux de tête ". Après cela, elle dit ce qui suit sur l'origine des rois mages, mais d'une manière peu suivie et avec des interruptions fréquentes.

Le vieux roi au teint d'un beau jaunâtre qui s'est conservé en bonne santé s'appelle Mensor. C'est lui qui a offert de l'or à la crèche. Il avait plusieurs belles cassettes pleines de petits grains d'or. Il était plein de droiture et pur comme de l'or. Il s'était agenouillé le premier devant l'enfant Jésus. Je crois qu'il fut fait prêtre, lorsque, trois ans après l'Ascension du Christ Thomas vint baptiser lui et les siens et qu'ils quittèrent leur demeure, divisés en plusieurs troupes. Ils allèrent en Crête et habitèrent dans les environs de la ville natale de Saturnin un endroit où ont aussi résidé Denis l'Aréopagite et Carpus : on voit d'un côté la mer de l'autre de belles plaines et plus loin un pays désert. Beaucoup d'entre eux se dispersèrent en différents lieux : d'autres suivirent les apôtres en qualité de disciples.

Les trois rois mages appartenaient à trois tribus différentes. L'une de ces tribus descendait de Cetura seconde femme d'Abraham, l'autre de gens qui avaient adoré le veau d'or et s'étaient séparés de Moïse et d'Aaron lorsque Moïse dans sa colère brisa les tables de la loi. Le troisième roi descend de Job, je crois que c'est le roi Mensor.

Job vivait avant l'établissement de la circoncision était plus ancien qu'Abraham. C'était un homme juste : son histoire réelle diffère sur quelques points de celle que nous lisons dans l'Écriture : mais celle-ci est approuvée et elle a été inspirée par le Saint Esprit. C'est une figure prophétique de l'Église.

— Ici Anne Catherine cita plusieurs traits de l'histoire de Job dont elle fit de très belles applications aux destinées de l'Église : elle mentionna spécialement ce qui est dit des amis du patriarche de ses filles et du fumier sur lequel il était assis.

L'animal appelé Léviathan signifie le mal le péché le démon. Chaque péché a une forme d'animal qui lui correspond : le moindre péché véniel a une affreuse forme d'animal que je vois souvent se tenant près des personnes ou attachée à leurs habits ; je la vois aussi souvent près de moi et on ne peut rien imaginer d'aussi hideux.

9 décembre. — Le vendredi soir, je vis Jésus se retirer seul avec les trois jeunes gens dans une chambre du château pour y célébrer le sabbat. Ils avaient avec eux de longs vêtements blancs qui ressemblaient presque à des linceuls et dont ils se revêtirent une ceinture où étaient brodées des lettres et une bande d'étoffe assez semblable à une étole, croisée sur la poitrine. Ils dressèrent un petit autel ou une table sur laquelle ils étendirent une couverture rouge et blanche : il y avait dessus une lampe qu'ils avaient apprêtée et un vase plein d'huile avec sept mèches allumées Jésus se tenait au milieu, un disciple à droite, un autre à gauche et le troisième derrière lui : ce fut ainsi qu'ils prièrent. Je vis avec étonnement qu'ils ne laissaient entrer aucun païen.

Les païens passèrent toute la journée autour du temple près de leurs figures d'animaux et on enseigna les hommes, les femmes, les jeunes gens et les jeunes filles, chaque catégorie dans une enceinte à part, entourée de degrés servant de sièges. A la clôture du sabbat, Jésus revint les trouver et je vis là un incident surprenant La figure du dragon était dans l'enceinte des femmes. Celles-ci avaient des costumes très divers ; plusieurs, spécialement les jeunes filles, portaient de longs pantalons blancs, et toutes, quand elles allaient et venaient, avaient des manteaux plus longs par derrière que par devant. Les femmes avaient près d'elles les plus petits enfants qui étaient tout nus sauf une bande d'étoffe autour des reins. D'autres femmes étaient vêtues très simplement avec des jupons et de longs manteaux. Celles-ci paraissaient d'une condition inférieure. Quelques-unes qui paraissaient les plus considérables avaient des costumes singuliers, comme celle dont je vais parler. C'était une grosse et robuste femme d'une trentaine d'années : lorsqu'elle vint, elle était enveloppée dans un long manteau qu'elle déposa pour s'asseoir. Elle avait autour des reins un jupon plissé qui descendait jusqu'aux genoux ; ses jambes étaient nues, mais entièrement entourées de rubans croisés auxquels étaient attachées les sandales. Le haut du corps jusqu'au cou était couvert d'un justaucorps très juste, chamarré de chaînes brillantes et d'ornements de toute espèce. A ses épaules pendaient des morceaux d'étoffe, formant comme des demi manches ouvertes et allant jusqu'à la moitié de l'avant-bras : le reste du bras était, comme les jambes, enveloppé de rubans et de bracelets. Elle était coiffée d'un bonnet fait avec des guirlandes de plumes crépues qui descendait jusqu'aux veux et encadrait les joues et le menton : le haut de la tête était couvert d'un bourrelet élevé allant de l'avant a l'arrière et à travers lequel on voyait sa chevelure tressée et soigneusement arrangée. Ses oreilles étaient visibles ; de longues pendeloques y étaient attachées et descendaient jusque sur la poitrine qui était couverte d'ornements du même genre.

Avant que le prêtre commençât son instruction, plusieurs femmes allèrent devant le dragon, se prosternèrent et baisèrent la terre : cette femme le fit avec une dévotion et une ardeur toutes particulières. Mais Jésus entra dans le cercle et lui demanda pourquoi elle faisait cela : je vis alors que, parlant de sa vénération pour le dieu, elle dit qu'il la réveillait tous les matins ; alors, elle se levait, se prosternait devant sa couche, tournée vers l'endroit où était le dragon, et l'adorait. Je vis aussi dans une vision comment tout cela se passait. Alors Jésus lui dit : "Pourquoi vous prosternez-vous devant Satan ? Satan a pris possession de votre foi. Il est vrai que vous êtes réveillée, mais ce n'est pas Satan, c'est l'ange qui devrait vous réveiller. Voyez qui vous adorez " ! Au même instant elle vit près d'elle, et tous les assistants la virent aussi, une longue figure de couleur roussâtre, comme le poil du renard, avec un visage pointu tellement hideux qu'elle fut saisie d'horreur. Jésus le montra du doigt et dit : " Voilà celui qui vous a réveillée. Mais chaque homme a aussi un bon ange : prosternez-vous devant lui et suivez ses conseils ".

Alors tous virent près d'elle une belle figure lumineuse devant laquelle elle se prosterna toute bouleversée. J'avais vu le bon ange se tenir derrière elle lorsque Satan était à ses côtés, maintenant Satan s'étant retiré, l'ange prit sa place. Alors cette femme revint à son siège, profondément émue. J'ai su quel était son nom : elle est devenue plus tard une sainte martyre que nous honorons encore. Je pense que j'entendrai de nouveau prononcer son nom.

NOTE : Elle l'appela plus tard Cuppès, et vit que trois ans après l'Ascension du Christ, elle fut baptisée par saint Thomas et reçut le nom de Séréna, sous lequel elle fut martyrisée dans la suite.

Le Seigneur dit encore beaucoup de choses : puis il enseigna aussi près de la figure d'oiseau autour de laquelle se tenaient les jeunes filles et les jeunes gens. Il donna des avis sur la mesure à garder dans l'amour qu'on porte, soit aux personnes, soit aux animaux : car il y avait ici des gens qui avaient pour leurs parents une espèce d'adoration, et d'autres qui se montraient plus tendres envers les bêtes qu'envers leurs semblables.

10 décembre. — Jésus voulut aujourd'hui donner dans le temple une instruction aux prêtres, aux rois et à tout le peuple qui les entourait. Afin que le vieux roi infirme Théokéno pût aussi l'entendre, Jésus se rendit près de lui avec Mensor, lui ordonna de se lever et de venir avec lui. Il le prit par la main : Théokéno plein de foi se leva et se trouva en état de marcher. Jésus le conduisit au temple. Il put s'y rendre facilement. C'était celui des trois rois qui avait le teint le plus blanc.

Jésus fit ouvrir les portes du temple en sorte que tous ceux qui se tenaient à l'entour passent le voir et l'entendre. Il enseigna tantôt dans le temple, tantôt autour du temple, les hommes, les femmes, les jeunes filles, les jeunes gens et les enfants. Il raconta plusieurs des paraboles qu'il avait racontées aux Juifs. Les auditeurs purent l'interrompre et l'interroger ; car il le leur avait prescrit. Plusieurs fois aussi il interpella quelqu'un de ses auditeurs, l'engageant à exposer ouvertement ses doutes en présence de tous, car il savait ce que chacun avait dans l'esprit. Ils demandèrent entre autres choses pourquoi il ne ressuscitait pas de morts et ne guérissait pas de malades chez eux, quoique le roi des Juifs l'eût fait souvent. Je ne me souviens plus de tout ce qu'il leur répondit : mais il dit entre autres choses qu'il ne faisait pas cela chez les païens ; il ajouta pourtant qu'il leur enverrait des hommes qui feraient beaucoup de prodiges parmi eux. Il parla aussi de la purification par le baptême sur laquelle ces envoyés dont il avait parlé les instruiraient : en attendant ils devaient avoir foi en ses paroles.

Jésus enseigna ensuite en particulier les prêtres et les rois : il leur dit que tout ce qui, dans leurs doctrines religieuses, avait quelque apparence de vérité, se bornait à des formes vides remplies par Satan et par conséquent mensongères : car quand le bon ange se retire, Satan s'introduit et corrompt le culte dont il prend possession. Antérieurement ils avaient honoré tous les objets auxquels ils pouvaient rattacher la pensée d'une force quelconque ; à leur retour de Bethléhem ils avaient laissé de côté plusieurs de leurs pratiques : toutefois il en était encore resté beaucoup.

Il leur dit qu'il fallait détruire les idoles d'animaux, les faire fondre et donner les matériaux de quelque valeur à des gens qu'il leur indiqua. Tout leur culte et toute leur science n'étaient qu'un pur néant : ils devaient renoncer à ces idoles, enseigner la charité et la miséricorde et remercier le Père qui est au ciel de la grande bonté qu'il avait eue de les appeler à la connaissance de la vérité. Du reste, il voulait leur envoyer quelqu'un qui leur donnerait les enseignements dont ils avaient encore besoin.

Il leur prescrivit aussi de laisser de côté la roue étoilée. Cette roue était à peu près grande comme la roue d'un chariot ordinaire. Elle avait sept jantes auxquelles étaient attachés en haut et en bas différents globes avec des rayons. Au centre était un globe plus grand représentant la terre : le long de la circonférence étaient disposées douze étoiles dans lesquelles étaient autant de figures remarquables par la richesse et l'éclat des matériaux. J'y vis entre autres l'image d'une vierge dont les yeux et la bouche scintillaient et qui avait des pierres précieuses sur le front. J'y vis aussi l'image d'un animal qui avait dans la bouche quelque chose de singulièrement éclatant. Je n'ai pas bien distingué tout cela parce que la roue était toujours en mouvement. Je vis aussi que toutes les figures n'étaient pas toujours visibles en même temps, mais qu'on en cachait parfois quelques-unes.

Jésus leur laissa du pain et du vin bénits, qu'il bénit lui-même pour eux. Les prêtres, sur son ordre, firent cuire des pains très blancs et très minces qui ressemblaient à de petits gâteaux. Je vis aussi un petit vase plein d'un liquide rouge (je ne sais pas si c'était du vin ou du baume). Le Seigneur se fit apporter une boîte où tout cela devait être conservé. Jésus la plaça sur le petit autel des sacrifices, pria et bénit l'assistance, puis il imposa les mains sur les épaules de quatre prêtres et sur celles des rois Mensor et Théokéno. Il les fit ensuite s'agenouiller devant lui, les mains croisées sur la poitrine et il pria sur eux. Il bénit le pain et le liquide et leur dit d'en faire usage pour la première fois à Noël, et après cela trois fois dans l'année, ou peut-être tous les trois mois : je ne m'en souviens plus bien. Je me rappelais encore, il y a peu de temps, les paroles que Jésus prononça dans cette circonstance, mais je les ai oubliées. Ils lui demandèrent ce qu'ils auraient à faire quand il n'en resterait plus suffisamment : il leur dit qu'alors il faudrait distribuer des parcelles de plus en plus petites. Lui-même coupa le pain en forme de croix. Il leur enseigna ensuite comment ils devraient le renouveler : il leur dit comment ils devaient le bénir et de quelles paroles ils devaient se servir. Précédemment ils avaient encore interrogé le Seigneur touchant le sacrifice de Melchisédech, dont ils avaient quelque connaissance et dont lui-même avait parlé récemment. Il leur fit aussi pressentir quelque chose relativement à sa Passion et à la sainte Cène. Ce pain qu'il avait bénit pour eux devait être un pain d'oblation, une figure prophétique de la Cène : mais ils n'en firent pas encore usage aujourd'hui : ils devaient commencer seulement à Noël. Le vase avait la forme d'un grand mortier ; il y avait un couvercle avec un bouton. Il s'y trouvait deux compartiments ; au-dessus était le pain : au-dessous il y avait une petite porte derrière laquelle était le vase contenant le liquide rouge. Il avait deux anses. Il rappelait un peu le calice de la Cène, mais il n'avait pas de pied. Le Seigneur leur en donna le modèle pour qu'ils le portassent à un orfèvre ; à l'extérieur il avait un beau reflet argenté comme celui du vif-argent, à l'intérieur il était jeune.

J'ai vu une fois ici un grand repas donné lors de l'arrivée de Jésus qui raconta et expliqua des paraboles où il était question de festins. Plus d'une fois je le vis enseigner des journées entières, pendant lesquelles il ne prit que rarement un peu de nourriture.

Le soir du 10 décembre, Anne Catherine était à peine entrée en extase que le Pèlerin lui demanda le nom de la prêtresse des idoles. Elle répondit : "Attendez" ! comme si elle eût voulu se retourner, puis au bout de quelques instants elle reprit: "Elle n'est pas là en ce moment. Jésus enseigne encore les prêtres en particulier, les femmes ne sont pas là: elles sont toujours éloignées. Je retrouverai bien le nom. Jésus parle maintenant de l'aveuglement des païens".

I l décembre.-- Aujourd'hui j'ai vu en plein jour Jésus enseigner dans le temple où tout le peuple était assemblé. Tantôt il sortait, tantôt il rentrait et il faisait venir successivement près de lui une troupe après l'autre. Il avait fait venir aussi toutes les femmes et tous les enfants, et il dit à ses auditeurs comment ils devaient élever les enfants et leur apprendre à prier. C'est alors que j'ai vu ici pour la première fois des enfants réunis en grand nombre. Les petits garçons étaient nus à l'exception d'une ceinture autour des reins : les filles avaient de petits manteaux.

Je vis aussi de nouveau cette femme à laquelle le Seigneur avait reproché son idolâtrie. C'était une femme de distinction : son mari qui était un grand et gros homme, était près du roi Mensor. Elle avait auprès d'elle une dizaine d'enfants dont aucun n'était en bas âge. Je ne puis pas croire que tous lui appartinssent. Jésus bénit la plupart de ces enfants en leur mettant la main sur les épaules, et non sur la tête, comme il faisait aux enfants en Judée.

Il enseigna encore dans le temple sur toute sa mission, et sur sa fin prochaine. Il dit que son séjour ici était un secret pour les Juifs ; qu'il s'était fait accompagner par des enfants qui ne se scandalisaient pas de tout ce qu'ils voyaient et qui obéissaient ; que les Juifs l'auraient fait mourir s'il ne s'était pas échappé, etc. Il leur dit encore qu'il avait voulu leur rendre visite parce qu'ils étaient venus je visiter eux-mêmes, parce qu'ils avaient cru, espéré et aimé. Il les exhorta à remercier Dieu de ne les avoir pas laissé tomber entièrement dans l'aveuglement de l'idolâtrie et de la grâce qu'il leur faisait d'une foi sincère qui leur ferait garder ses préceptes. Si je ne me trompe, il leur parla aussi de l'époque de son retour au Père céleste et de celle où ses envoyés viendraient les trouver. Il leur dit encore qu'il allait en Egypte où il avait résidé tout enfant avec sa mère, parce qu'il y avait là des gens qui l'avaient reconnu pendant son enfance. Il devait y rester tout à fait inconnu parce qu'il se trouvait là des Juifs qui paraissaient vouloir se saisir de lui et le livrer : toutefois son temps n'était pas encore venu.

Ils ne pouvaient pas comprendre qu'il prît toutes ce précautions humaines et ils se disaient naïvement : " Qui donc pourrait le traiter ainsi, lui qui certainement est Dieu ". Là-dessus il leur répondit qu'il était homme aussi, que le Père l'avait envoyé pour ramener ceux qu'étaient dispersés et égarés, qu'en qualité d'homme, pouvait souffrir dans son corps de la part des hommes quand son temps serait venu : enfin c'était parce qu'il était homme, qu'il pouvait avoir des rapports si intimes avec eux.

Il les exhorta de nouveau à abandonner toute pratique idolâtrique et à s'aimer les uns les autres : puis après avoir parlé de sa Passion, il en vint à leur expliquer comment on était véritablement compatissant : il leur dit qu'ils devaient cesser de donner des soins exagérés aux animaux malades, qu'il fallait appliquer cette charité aux hommes qui souffraient dans leur corps ou dans leur âme, chercher au loin les nécessiteux quand ils n'en avaient pas dans leur voisinage, et prier pour tous leurs frères dans la détresse. Il dit encore que ce qu'ils feraient aux nécessiteux, c'était à lui-même qu'ils le feraient : du reste ils ne devaient pas maltraiter les animaux. Ces gens avaient ici des tentes remplies de toutes sortes d'animaux malades, rangés les uns auprès des autres dans de petites couches ; ils aimaient surtout beaucoup les chiens ; il y en avait ici de très grands avec de grosses têtes.

ésus enseignait déjà depuis très longtemps lorsque je vis arriver une caravane de chameaux qui s'arrêta à quelque distance : alors un vieillard, chef d'une tribu étrangère, mit pied à terre et s'approcha avec un vieux serviteur pour lequel il avait une grande déférence. Ils s'arrêtèrent à une certaine distance. Personne ne s'occupa d'eux jusqu'à ce que l'instruction du Seigneur fût terminée et que celui-ci fût allé à la tente avec ses disciples pour prendre un peu de nourriture. Alors on reçut le chef étranger et on lui assigna une tente. Il alla voir les prêtres avec son vieux serviteur et dit qu'il ne pouvait croire que Jésus fût le roi promis aux Juifs : il en usait trop familièrement avec eux pour que cela fût possible. Les Juifs, il le savait de science certaine, avaient une arche dans laquelle était leur Dieu dont personne ne pouvait approcher ; celui-ci ne pouvait donc être leur Dieu. Son vieux serviteur aussi dit, à propos de Marie, des choses qui prouvaient son ignorance : pourtant l'un et l'autre étaient vraiment des gens de bien. Ce roi avait, lui aussi, vu l'étoile, mais il ne l'avait pas suivie : il parla beaucoup de ses dieux dont il faisait grand état, dit qu'il avait fort à se louer de leur bonté et qu'il leur était redevable de toute sorte de biens. Il mentionna, entre autres choses, une guerre qu'il avait eue à soutenir récemment : ses dieux alors l'avaient secouru et son vieux serviteur lui avait porté certains renseignements très utiles. J'ai malheureusement oublié les détails. Ce roi avait le teint plus blanc que Mensor, son vêtement était plus court et le turban dont il était coiffé moins épais. Il était très attaché à ses dieux, il en emmenait même un avec lui sur un chameau : c'était une idole qui avait plusieurs bras et dans le corps un grand nombre de trous où l'on pouvait mettre des offrandes. Il avait avec lui des femmes et en tout une trentaine de personnes. Lui-même était plein de simplicité : il avait la plus haute estime pour le vieillard qu'il avait avec lui, il l'honorait même comme un prophète. Ce devait être une espèce de devin, car il avait poussé son maître à ce voyage pour lui montrer le plus grand de tous les dieux : cependant Jésus ne parut pas répondre à son attente. Ce que le Seigneur avait dit de la compassion et de la bienfaisance lui plut beaucoup car il était lui-même très bienfaisant, et il dit qu'il regardait comme très coupable d'oublier les hommes pour les animaux. On lui donna plus tard un repas auquel Jésus n'assista pas. Du reste je ne vis pas le Seigneur s'entretenir avec lui.

ans la soirée et dans la nuit, je vis encore le Seigneur enseigner dans le temple et alentour. Tout était illuminé et il y avait dans le temple une profusion de lumières extraordinaire. Tous les habitants du pays étaient rassemblés : il y en avait de tout âge et de tout sexe. Ils avaient fait disparaître les idoles aussitôt après sa première injonction à ce sujet. Mais je vis dans le temple quelque chose que je n'avais pas encore vu, peut-être parce que je ne m'y étais pas encore trouvée pendant la nuit. On voyait tout au haut un ciel étoilé très lumineux où se réfléchissaient une quantité de petits jardins, de petites pièces d'eau et de petits arbres qui étaient placés dans le haut du temple et garnis de lumières. C'était admirable à voir : je ne sais pas comment on s'y prenait pour disposer ainsi tout cela.

FIN DU CINQUIÈME VOLUME

SOURCE: http://www.jesusmarie.com

pour toute suggestion ou demande d'informations