i – ENFANCE ET ADOLESCENCE
Catherine JARRIGE
vint au monde à DOUMIS, paroisse de CHALVIGNAC, le 4 octobre 1754.
Dernière née d'une famille de sept enfants, elle avait trois frères
et trois sœurs: une famille nombreuse. Une
famille d'agriculteurs
pauvres. Quand on
visite à DOUMIS sa maison natale, où elle a fait ses premiers
pas, on est frappé par l'exiguïté de la demeure: une seule pièce de
dimensions modestes au rez-de-chaussée, un cantou, un grenier qui
devait servir de dortoir. Une vie rude. On ne chômait pas chez les
JARRIGE. Pierre JARRIGE, le père, s'engagea comme fermier: il dut
travailler dur pour la survie des siens.
C'est le temps de
la prime enfance. CATINON mène la vie toute simple d'une petite
paysanne pauvre de son temps: pauvrement vêtue, fille de plein air
et de franc amusement. A l'époque, pas de scolarité obligatoire.
L'école, comme beaucoup de jeunes de son temps, elle ne put la
fréquenter. Elle n'eut pour toute science que cette sagesse rurale,
acquise par l'expérience et l'enseignement des anciens, le contact
quotidien avec la nature, et son catéchisme. Elle savait lire un
peu: on a conservé longtemps à MAURIAC son livre de prières et sa
règle de tertiaire dominicaine. Elle vit dans les champs avec ses
frères et sœurs et les enfants des environs. Elle garde chèvres
et moutons, les mène à la pâture.
Elle est gaie,
primesautière, espiègle même. Elle joue des tours à ses compagnons
de jeu. Comme avec tous les enfants, les disputes ne manquaient pas
et notre CATINON n'était pas la dernière à se jouer des petits
bergers qui l'avaient battue. Elle ouvrait les claire-voies des
pâturages ou faisait un trou dans la muraille, de sorte que les
troupeaux de ses adversaires d'un jour allaient et venaient à
l'aventure dans les près voisins. CATINON a raconté plus d'une fois
ses fredaines de jeunesse pour les déplorer.
Les finances des
JARRIGE n'étaient pas brillantes. Les parents durent se résoudre à
placer leurs enfants. Voilà donc CATINON louant ses services encore
toute petite, à l'âge de dix ans. La jeune Catherine était
travailleuse, donnant pleine satisfaction à ses maîtres. Soixante
ans plus tard, les autorités de l'arrondissement qui la proposèrent
pour le prix MONTHYON, lui donneront ce satisfecit: « Elle servit
successivement plusieurs maîtres avec une fidélité, une activité,
une intelligence qui la distinguèrent dans sa condition ». Quand on
songe à ce qu'était la vie des petits pâtres ou des petites bergères
qu'on engageait au pair, aux brimades dont ils étaient parfois
l'objet, à leur peine d'être séparés de leur famille, au rythme de
travail plus qu'intensif auquel ils étaient soumis, l'éloge n'est
pas mince.
Vers douze ou
treize ans, CATINON fait sa première communion. Elle se prépare avec
soin à cette étape importante de son existence. De l'avis général,
il se produit un changement en elle. Elle entre dans l'adolescence,
devient plus sérieuse, attachée à la prière.
Le 22 décembre 1
767, sa mère décède à l'âge de 47 ans. Catherine a 13 ans et deux
mois. Elle n'eut donc pas une enfance toujours facile, confrontée à
la pauvreté et à la privation de la vie de famille, à l'obligation
de travailler dès l'âge de dix ans. Ces épreuves lui forgèrent une
âme forte et courageuse.
II – UNE SAINTE JOYEUSE
On connaît le
proverbe: « Un saint triste est un triste saint ». Catherine
fut une sainte joyeuse. Jamais elle ne perdit l'humeur enjouée,
gaie, rieuse et même un peu espiègle de sa prime jeunesse.
On pourrait en
faire la patronne des danseurs. En grandissant, Catherine apprit la
danse, l'une des rares réjouissances de cette époque en milieu
rural. Elle se passionne pour la danse qui devient littéralement son
« hobby» : « J'allais partout » dira-t-elle,
« où il y avait une veillée, une
danse, une musette ».
Elle dansait la
bourrée. Quand a commencé son procès de béatification en 1911-1930,
il n'était pas très indiqué pour une sainte de danser. Les témoins
interrogés alors soulignèrent qu'elle ne dansait que la bourrée et,
je cite leur commentaire: « la bourrée, danse peu répréhensible,
qui ne prête pas à conséquence ». Quand CATINON prit conscience
que le Seigneur l'appelait à son service, elle renonça à la danse,
non sans mal. CATINON déclarait elle-même que ce renoncement fut
sans doute l'un des plus grands sacrifices de sa vie. Pour y
parvenir, elle dut contraindre fortement sa nature impétueuse. Elle
le fit pour être plus libre dans le service des pauvres et des
malades, pour se consacrer à Dieu sans partage. La règle des
Tertiaires dominicaines, dont elle faisait, partie interdisait
d'aller au bal. Dieu seul désormais était sa Joie et son chant.
III – MENETTE
DES PAUVRES – MENETTE DES PRÊTRES
Car Dieu
l'appelait au service des pauvres, des malades, des orphelins. Pour
mieux s'y consacrer, Catherine se fixa à MAURIAC et entra dans le
Tiers-Ordre de saint Dominique. Elle devint ainsi une « Menette ».
Les Menettes étaient des laïques et non des religieuses. Elles se
donnaient à Dieu tout en vivant dans le monde, au milieu de leurs
concitoyens. Leur statut s'apparentait à celui des actuels Instituts
séculiers ou des vierges consacrées. Leur activité principale était
l'aide aux plus démunis, une aide non seulement matérielle mais
aussi spirituelle. Elles étaient au milieu de leurs contemporains
les témoins de la tendresse de Dieu pour tout homme. Elles
collaboraient aussi à la catéchèse. Leur règle leur prescrivait des
temps de prière réguliers, l'assistance quotidienne à la Messe. Une
vie d'union profonde avec le Christ. II y avait alors à MAURIAC
quatre groupes de Menettes: le Tiers-Ordre de Notre Dame, celui de
St François, celui de Ste Agnès qui a survécu jusqu'en 1914, et
celui de St Dominique. Catherine choisit celui de St Dominique.
Pourquoi ce choix ? Nous l'ignorons. Sans doute parce qu'elle
portait le nom d'une grande dominicaine, Catherine de Sienne. II y
avait également un couvent de dominicaines à MAURIAC, dont l'abbé
RONNAT, curé de la paroisse était le supérieur. C'est par la vie de
sa sainte patronne et par le curé de MAURIAC que CATINON aura connu
la famille dominicaine. Sans doute était-elle aussi attirée par
l'esprit évangélique, apostolique, de St Dominique. Le service des
plus pauvres n'était-il pas la meilleure façon d'annoncer
l'Evangile? CATINON le pensait. Elle entra donc dans la famille
dominicaine.
CATINON se mit à
l'ouvrage: près de cinquante belles années au service des pauvres et
des malades, des orphelins, des malheureux de la région de MAURIAC.
Elle leur donna sa vie.
Les pauvres
d'abord. II n'en manquait pas à la fin du XVllle siècle et au début
du XIXe. CATINON les connaissait, elle savait leurs besoins. Elle
passait une partie de ses journées à quêter pour eux dans tout
MAURIAC chez les plus fortunés surtout. Toute la bourgeoisie
mauriacoise fut mise à contribution pendant des années. Catherine
portait sur son tablier deux grandes poches en cuir où elle mettait
le fruit de ses quêtes. En entrant dans la maison où elle quêtait,
elle montrait d'un regard et d'un sourire ses deux poches, qu'elle
tenait larges ouvertes et elle disait d'une joyeuse façon en patois
: « Mettez-là ! Mettez-là ! » ou: « Bonjour, Madame, je
reviens encore. Oh ! Ne vous fâchez pas ! » C'était là tout son
discours. On devinait le reste. La maîtresse de maison se fâchait
parfois. La Menette ne s'effarouchait pas. Elle continuait à sourire
et restait là. On lui donnait toujours. II lui arrivât parfois de
prendre un air grave et fâché; elle criait plus fort que ses
interlocuteurs: « Ah? Vous autres, grande Madame, grand Monsieur,
vous avez tout ce qu'il vous faut, et de l'argent, et du pain blanc,
et du bon vin, et de bons feux. Vous vous souciez peu de ceux qui
meurent de faim ou de froid. Mais ce n'est pas ça... Allons, voyons,
donnez ou je prends ». Et on lui donnait. Même les cœurs les
plus endurcis se laissaient vaincre par le sourire de CATINON. Elle
emportait du pain, des saucissons, des fruits ou des habits pour ses
pauvres et ses malades.
Quand elle
rencontrait un orphelin ou un petit enfant pauvre, souffreteux,
déguenillé, grelottant dans les rues de MAURIAC, elle le prenait par
la main, le conduisait chez elle ou dans quelque maison charitable,
et là, elle le réchauffait, lui servait à manger, rapiéçait ses
habits. Avant de le renvoyer chez lui, elle lui donnait ce qu'elle
avait: du pain, un bonnet, une chemise, une casquette, des sabots.
CATINON ne tirait
jamais orgueil de son activité caritative. Elle agissait
gratuitement, sans bruit, par amour du Christ et des autres. Amie
des pauvres, elle vivait elle-même dans une grande pauvreté. Que de
fois on lui donna des vêtements ou des souliers pour son usage
personnel ! Dans les minutes qui suivaient, elle avait tôt fait de
trouver un pauvre qui en héritait. Elle allait jusqu'à sacrifier sa
nourriture pour les pauvres. Un jour, une bourgeoise voulut lui
donner plus que son ordinaire qui se composait d'une soupe de pain
bis. CATINON se mit à dire en patois: « Bouche, tu en veux.
Bouche, tu n'en auras pas ».
C'était une âme
de prière. Elle puisait la force d'agir dans la prière comme à une
source d'eau vive. Elle priait à l'église, chez elle, mais aussi
dans les rues de la ville. Partout, on peut faire une place à Dieu :
« Que de fois » raconte un
témoin, je l'ai vue venir à moi, une main tendue pour recevoir
l'aumône, l'autre cachée sous son tablier où elle tenait secrètement
son chapelet ».
Pendant la
Révolution, CATINON ressentit cruellement la déchirure de l'Eglise,
le schisme, résultant de la Constitution civile du clergé. II y
avait deux Églises en FRANCE. La Menette souffrait de voir
consacrées par la loi française la rupture de la communion avec
l'Eglise de ROME, avec le Pape, la suppression de la vie consacrée,
de la vie religieuse, la déchristianisation sous la Terreur, les
persécutions injustes contre le clergé réfractaire.
Dans la
tourmente, elle comprit que l'enjeu était tout simplement la survie
de l'Eglise, la continuation de l'annonce de l'Evangile par l'Eglise
du Christ. Refusant d'assister aux offices du clergé
constitutionnel, elle aidait les réfractaires persécutés à exercer
leur ministère clandestinement. Elle cachait deux réfractaires dans
sa maison.
Au plus fort de
la Terreur, CATINON parcourait les bois pour apporter nourriture,
vêtements et objets du culte pour la célébration de la messe aux
prêtres qui se cachaient. Elle accompagna l'abbé FILIOL aux pieds de
l'échafaud et recueillit son sang comme les premières chrétiennes
recueillaient le sang des martyrs.
On l'arrêta deux
fois . Elle passa une fois en jugement et fut acquittée faute de
preuves. Elle n'ignorait pas qu'elle risquait sa vie. La loi
punissait à la fois les suspects et les receleurs de prêtres
réfractaires. Mais elle avait le courage que procure l'Esprit de
Dieu aux âmes fortes. La persécution dura dix ans.
Lorsque la
Révolution prit fin, elle continua d'apporter son aide au clergé
pour reconstruire la paroisse de MAURIAC, pour que l'Evangile règne
dans les cœurs. Menette des pauvres, elle devint ainsi la Menette
des prêtres.
Après la
Révolution, elle continua jusqu'en 1836 son ministère incessant
auprès des pauvres, des orphelins et des malades. Trente-six
nouvelles années bien remplies au service des plus démunis. En les
servant, elle avait conscience de servir le Christ souffrant.
IV – LA
« PÂQUE » ET LA « MÉMOIRE » DE CATINON-MENETTE
Après une vie
bien remplie, une vie de service et d'amour des plus pauvres et de
l'Eglise, CATINON-MENETTE rend son âme à Dieu, le 4 juillet 1836.
Elle est pleurée de tous. Toute la région se mobilise pour ses
obsèques. Des plus riches aux plus pauvres, les plus favorisés de la
fortune comme les ouvriers, les fermiers, les métayers des environs,
tous tiennent à lui rendre un dernier hommage. Une immense foule.
CATINON-MENETTE
n'a pas été oubliée des cantaliens. Sa tombe est toujours entretenue
et fleurie. On la prie. On demande son intercession auprès du
Seigneur pour les malades, pour les plus démunis, pour les
vocations. Sa cause de béatification, commencée en 191 1, s'est
achevée en juin 1996. Le pape Jean-Paul II l'a déclarée «
Bienheureuse" le dimanche 24 novembre 1996, en la basilique
Saint-Pierre de Rome. « La vie des saints », écrit St
François de Sales, « n'est pas autre chose que l' Evangile vécu.
II n'y a pas plus de différence entre l'Evangile écrit et la vie des
saints, qu'entre une musique notée et une musique chantée ».
CATINON-MENETTE, cette Sainte de chez nous, n'est-elle pas un très
beau témoin de l'Evangile dans nos montagnes? Elle fait partie de
nos « racines » ecclésiales, de nos ancêtres dans la Foi, de ceux
qui nous ont transmis le don précieux de l'Amour évangélique.
CATINON-MENETTE a du renoncer à la danse sur la terre mais nul doute
que dans le Royaume, le Seigneur lui ait permis de danser pour Lui.
Le prophète Sophonie ne rapporte-t-il pas que le Seigneur aime la
danse: « Le Seigneur dansera pour toi avec des cris de joie, comme
aux jours de fête» (Sa 3, 1 7,18). Puisse CATINON-MENETTE nous
entraîner dans la danse de Dieu.
Philippe Dupuy |