7-1-La sorcellerie
Jusqu'en 1660
environ, au Canada, les jésuites n'avaient été affrontés qu'aux
pratiques de sorcellerie des Indiens, mais les choses allaient
changer. Avec l'arrivée importante de nouveaux colons venant des
régions normande, angevine ou autres, il est à peu près certain
que quelques-uns d'entre eux étaient venus avec leurs croyances
et leurs pratiques superstitieuses, liées plus ou moins à la
sorcellerie. L'on découvrit bientôt la présence des sorciers et
des magiciens en Nouvelle-France avec un meunier huguenot qui
avait fait mine de se convertir, et qui arriva avec l'évêque,
Mgr de Laval. Voici l'histoire, ou comment Catherine délivra une
jeune fille possédée.
7-1-1-Catherine
délivre une jeune fille obsédée par le démon
Nous avons vu
ci-dessus combien l'année 1660 avait été douloureuse pour tous
les habitants de Québec. Catherine de Saint-Augustin, en plus de
ses souffrances habituelles, eut connaissance des attaques des
démons, visibles par tous les habitants de la Nouvelle France.
En effet en 1660, Québec fut le témoin d'un étrange cas de
possession diabolique qui se termina par la pendaison d'un
sorcier-magicien en 1661. La raison de cette condamnation, c'est
qu'avant sa condamnation, ce sorcier avait désiré épouser une
jeune fille de 16 ans, Barbe Halay. N'ayant pu l'obtenir, vues
ses mauvaises mœurs, il jura de se venger, et pour ce faire, usa
de son art diabolique.
L'ursuline, Marie
de l'Incarnation, écrit dans une de ses lettres "qu'il
faisait venir des démons ou des esprits follets dans la maison
de la fille, avec des spectres qui lui donnaient bien de la
peine et de l'effroi... Il (l'homme) lui apparaissait jour et
nuit, quelquefois seul, quelquefois accompagné de deux ou trois
autres que la fille nommait quoiqu'elle ne les eût jamais
vus...." La jeune fille devint comme obsédée par le démon.
La demeure de la jeune fille fut infestée de démons qui jetaient
des pierres alentour sans cependant blesser personne. Des
spectres horribles faisaient un tintamarre épouvantable et
blasphémaient par la bouche de la jeune fille.
Mgr de Laval vint
l'exorciser, mais rien n'y fit. Alors l'évêque ordonna de la
faire transporter à l'Hôtel-Dieu, dans une chambre proche du
parloir des religieuses, et chargea Mère Catherine de
Saint-Augustin de s'en occuper. Les démons s'en prirent
rapidement à Catherine, la battant si violemment que les traces
et les meurtrissures visibles, en étaient effrayantes. Catherine
souffrait tout sans jamais se plaindre. Cela dura deux ans.
Heureusement Catherine bénéficia de l'assistance du Père de
Brébeuf, décédé en odeur de sainteté, et les démons finirent par
quitter la jeune fille. Mais ils continuèrent à s'acharner sur
la sainte Hospitalière, Mère Catherine de Saint-Augustin.
7-1-2-Conversion
d'un homme engagé dans les sortilèges
Catherine priait
pour un homme qui lui avait été recommandé; le Père de Brébeuf
lui fit connaître l'état misérable de cet homme engagé au
service du diable et au commerce des Sorciers. Elle multipliait
les pénitences et les mortifications; et l'homme se confessa.
Mais le pauvre homme, comme tous ceux qui se sont engagés dans
ces esclavages diaboliques, retombait toujours dans ses péchés.
Enfin la conversion fut durable; mais Catherine le paya très
cher, les démons se vengeant sur elle comme ils l'avaient fait
pour Thérèse d'Avila "lorsqu'elle leur ravissait quelque
pécheur qu'elle avait gagné à Dieu."
7-1-3-Des
visions atroces
Marie-Catherine de
Saint-Augustin a écrit, sans indiquer les dates[1],
quelques événements particulièrement dramatiques pour elle. Le
Père Ragueneau les rapporte dans son hagiographie; nous en
donnons ci-dessous le résumé.
Un jour, le corps
de Marie-Catherine devint si pesant qu'elle pouvait à peine
marcher. Elle se trouvait "dans un étrange abattement"
quand soudain elle vit près d'elle "un horrible fantôme"
qui l'entraîna en enfer. L'odeur de la fumée était une puanteur
intolérable. Là, elle vit "toutes sortes de bêtes venimeuses
qui tourmentent d'une manière inconcevable les infortunés
habitants de ce lieu... Là, on ne se souvient de Dieu que pour
le maudire, le blasphémer..." Là, on n'a que de la haine
pour Dieu, pour Marie, les saints et tous les hommes.
Marie-Catherine "visita" plusieurs lieux atroces et finit
par arriver "dans un troisième lieu où il n'y avait que des
personnes consacrées à Dieu: des papes, des cardinaux, des
évêques, des prêtres, des religieux et religieuses; il y en
avait un nombre si prodigieux que cela est inconcevable..."
Puis on conduisit Marie-Catherine vers le lieu qui lui était
réservé; enfin on la ramena dans sa chambre où elle eut à subir
une effroyable tentation. Comme elle résistait, les quatre
démons qui étaient là, la frappèrent rudement puis disparurent.
Une telle vision,
et les terribles tentations de blasphèmes qui l'accompagnaient,
peuvent sembler irréelles et le fruit d'une imagination
déréglée. Aussi le Père Ragueneau prendra-il soin, dans son
ouvrage, d'indiquer que de nombreux saints avaient connu de
telles visions de l'enfer et de telles tentations, et de citer
les saintes Thérèse d'Avila, Christine, Françoise romaine, Alix
Le Clerc, et les saints Josaphat, Anuphe, François d'Assise, et
bien d'autres...
Bientôt
Marie-Catherine sera tentée de toutes les façons: la charité
envers le prochain lui devint un supplice; le désespoir, nous
l'avons vu, la conduisit même un jour au bord du suicide. Le
Père de Brébeuf la sauva en lui demandait d'aller solliciter la
permission de la Vierge Marie. Puis elle eut la communion en
aversion: le 23 octobre 1662, elle "commença à appréhender la
communion du lendemain... La nuit, elle entendait les démons
s'animer pour l'empêcher de communier. Ils la menaçaient si elle
le faisait." Catherine était cependant bien décidée à ne pas
fléchir, mais ce jour-là, au moment d'aller vers l'autel, elle
fut comme paralysée, et dut rester à sa place: elle fut bien
mortifiée.
Enfin, et cela est
peu connu, Marie-Catherine de Saint-Augustin fut affrontée aussi
à de fausses visions, provoquées par l'ange des ténèbres.
Le Père Ragueneau
sait que tout ce qu'il raconte, au sujet des expériences
démoniaques auxquelles Dieu permit que Catherine fut soumise,
sera souvent mal compris; ce qui fut le cas. Aussi, d'avance,
explique-t-il sa décision d'en parler: "Exprès on a jugé à
propos de rapporter ici le détail de toutes ces choses et de
l'opération des démons sur les personnes qu'ils obsèdent, afin
que cela serve d'instruction aux Directeurs qui se trouveront
dans de semblables expériences; car sans ces connaissances,
aisément on prendrait des conduites tout autre qu'il n'est
expédient, dont les démons tirent un avantage très grand..."
7-2-Les obsessions diaboliques
Nous aurions pu ne
pas aborder ce chapitre des souffrances que Catherine de
Saint-Augustin eut à souffrir à cause des attaques diaboliques[2]
sans cesse renouvelées. Certes, ces questions sont très
délicates à traiter, surtout de nos jours, mais nous aurions
manqué d'honnêteté si nous avions complètement passé sous
silence les obsessions diaboliques, sous toutes leurs formes
dont elle fut la victime. Tantôt les démons lui apparaissaient
sous diverses formes pour la tromper ou l'effrayer; tantôt ils
la secouaient dans son lit pendant la nuit; ou bien ils
l'accablaient de coups, l'empêchaient de parler ou de se signer.
Et ils multipliaient les tentations d'impureté ou d'impiété, lui
donnant la haine de l'Eucharistie. Heureusement le Père de
Brébeuf l'assistait, du haut du ciel, de ses interventions
surnaturelles et Catherine poursuivait sa vie de complète
immolation...
7-2-1-Remarques
du Père Ragueneau
Quelques précisions
doivent maintenant être abordées. Le Père Ragueneau donne les
précisions suivantes:
– "L'obsession
est une opération manifeste de Satan pour nuire à l'homme.
On l'appelle manifeste pour la distinguer de la tentation qui,
ordinairement, est occulte, au moins en son principe... Ceux qui
sont obsédés sont souvent privés de leurs fonctions naturelles:
leur imagination est obscurcie, et leur cœur peut être serré en
diverses rencontres. Mais ils s'aperçoivent très bien que tout
cela se fait par un principe extérieur bien que parfois
invisible.
– La
possession est une opération maligne par laquelle le
diable se rend maître des puissances de l'homme, jusqu'à lui
ôter la réflexion et la liberté, et à parler et répondre
personnellement par sa bouche. La différence entre obsession et
possession est que le diable, dans la possession, répond
personnellement par la bouche de la personne possédée; mais
lorsqu'il obsède, il peut produire d'autres effets qui se
trouvent en ceux qu'il possède, mais non pas parler par la
bouche de celui qui est simplement obsédé, ni répondre en sa
propre personne en le privant de l'usage de la raison et de la
liberté."
Autre remarque
importante du Père Ragueneau: "Les Docteurs notent que,
souvent, dans l'obsession, les démons impriment des sentiments
de douleur sur le corps de la personne et donnent certains
signes sensibles de leur présence: faire du bruit, donner des
tortures dans les entrailles et dans les nerfs, causer des
pesanteurs, faire naître des maladies."
7-2-2-Remarques
de Dom Oury
Dans son
livre publié en 1985, "L'Itinéraire mystique de Catherine de
Saint-Augustin" Dom Guy-Marie Oury écrit:
"Tout ce que
les libertins du 17ème siècle ont vécu, Catherine de
Saint-Augustin l'a souffert sous forme de tentations ou
d'obsessions: le refus de Dieu, l'incrédulité, l'impureté; ce
libertinage préparait la grande offensive contre l'Église que
connaîtra le 18ème siècle. Catherine subit la
tentation de la haine de Dieu pour l'épargner à un pays qui en
sera préservé au siècle des lumières[3],
comme si elle avait concentré sur elle-même le plus fort des
tentations diaboliques.
Il est important de
noter une nouvelle fois, que les religieuses de l'Hôtel-Dieu ne
voyaient rien d'anormal en Catherine. Les manifestations
diaboliques dont elle était victime, ou les mouvements de
révolte qui l'agitaient et qu'elle manifestait parfois envers le
Père Chastelain, son directeur, restaient du domaine privé et
confidentiel de la confession.
|