Chapitre 4

À côté du jansénisme
Le Cœur de Jésus

L’histoire du jansénisme en France, et de Port-Royal en particulier, laisse, sinon un goût amer: il semble que tous ceux qui étaient les amis de Port-Royal étaient de bonne foi, mais un étonnant malaise et comme une insatisfaction profonde. Les écrits de Saint-Augustin ne présentent-ils qu’un Dieu tout puissant et terrible? Dieu, que l’Ancien Testament et Jésus nous avaient révélé, n’était-il qu’un Dieu qu’il fallait craindre, qui disposait des hommes à son gré, selon son bon plaisir, ne sauvant que ceux qu’il avait prédestinés d’avance?

Pourtant, lorsqu’on relit quelques textes de saint Augustin, on trouve aussi beaucoup d’amour. Voici quelques lignes de saint Augustin, extraites de ses sermons:

“Cherche comment l’homme peut aimer Dieu, et tu ne trouveras absolument rien d’autre que ceci: c’est Dieu, le premier, qui l’a aimé. Celui que nous avons aimé s’est donné lui-même, il s’est donné pour que nous ayons de quoi aimer... Dieu s’offre à nous. Il nous crie: ‘Aimez-moi et vous m’aurez en vous...’ Oh! mes frères!... Chantez avec la voix, chantez avec le cœur... chantez par toute votre vie... Vous êtes sa louange, si vous vivez selon le bien.”

Saint Augustin avait également dit et écrit : “Aime, et fais ce que tu veux!” Ceux qui ont perdu tant de temps à polémiquer avaient-ils vraiment compris le message de saint Augustin ? Et pourquoi se sont-ils accrochés avec tant de vigueur, et peut-être aussi, tant d’orgueil, à ce qui ne conduisait ni à l’amour, ni au bonheur?

Curieusement les deux hommes qui, de toutes leurs forces, avaient voulu ramener à Dieu leurs contemporains égarés par de multiples souffrances, les guerres, les famines, les  épidémies de peste,... et surtout par un clergé ignorant qui avait perdu le sens de Dieu, les deux hommes qui avaient travaillé ensemble pendant plusieurs années: Pierre de Bérulle, et Jean Duvergier de Hauranne, c’est-à-dire Saint-Cyran, ont été, en France, les chefs de file de deux mouvements parallèles et pourtant opposés: l’École Française de spiritualité et le jansénisme.

— Du jansénisme nous avons découvert la grandeur d’un Dieu qui décidait de tout. Pour trouver grâce devant Dieu, si toutefois il pouvait trouver grâce, l’homme devait mener une vie extraordinairement pénitente, et aussi austère que possible. Et cela sans même être certain de son salut éternel

— De la spiritualité de l’École française, qui prônait cependant une vie tout aussi pénitente et austère, mais baignée dans l’amour de Dieu, surgirent de nombreux saints épris de Dieu, embrasés de charité.

Pourtant, conscients, eux aussi, de leur petitesse, de leur néant, et de leur nature pécheresse, ils faisaient des pénitences qui nous semblent aujourd’hui excessives, et menaient une vie tout aussi austère. Mais  l’amour qu’ils vouaient à Dieu dominait tout.

Et Dieu-Amour qui faisait vibrer tant de cœurs, Dieu d’amour et de miséricorde voulut manifester sa tendresse en révélant le Sacré-Cœur de son Fils bien-aimé, le Sacré-Cœur de Jésus.

Pour vérifier cette affirmation, le mieux est de se pencher rapidement sur les quatre principaux confidents de l’amour du Cœur de Jésus: Jean Eudes (1601-1680), Claude la Colombière (1641-1682), Marguerite-Marie Alacoque (1647-1690), et Louis-Marie Grignion de Montfort (1673-1716). 

4-1-Saint Jean-Eudes (1601-1680)

4-1-1-La vie de Jean Eudes

Jean Eudes est né dans le petit village de Ri, près d’Argentan en Normandie, le 14 novembre 1601, trois ans après l’Édit de Nantes, d’une famille de paysans. Jean, le futur saint, était l’aîné de sept enfants. Vers l’âge de douze ans sa foi personnelle était déjà mûre. Il “commençait à connaître Dieu et à communier tous les mois, après avoir fait une confession générale.” Il ne commença ses études qu’à partir de 1615, chez les jésuites de Caen.

Le 19 mars 1623 Jean Eudes fut reçu dans la Congrégation de l’Oratoire par le Père de Bérulle, le fondateur. Il y restera vingt ans, jusqu’en 1643. Il sera ordonné prêtre le 20 décembre 1625, mais auparavant, le 20 mai 1624, il avait prononcé, à l’invitation de Bérulle, le “voeu de servitude à Jésus”. De 1627 à 1631, Jean Eudes résida à l’Oratoire de Caen et sa charité se manifesta largement pendant l’épidémie de peste de 1631.

Dès 1632, Jean Eudes, oratorien fut envoyé en mission dans le diocèse de Coutances où il se révéla vite un missionnaire remarquable et un prédicateur de génie. 

En octobre 1640, il fut nommé supérieur de l’Oratoire de Caen. Pour des raisons connues de lui seul, et jamais expliquées, peut-être des difficultés pour créer le séminaire tel qu’il le souhaitait, avec les oratoriens, Jean Eudes, après avoir groupé autour de lui quelques jeunes prêtres, noyau de la future “Congrégation du Séminaire de Jésus et Marie”, quitta, clandestinement, la maison dont il était le supérieur et rejoignit les prêtres qui l’attendaient.  C’était le 23 mars 1643. Il convient de préciser que le Père de Condren, successeur de Bérulle, était mort deux ans auparavant le 7 janvier 1641.

En 1659 et en 1660, Dieu permit que notre saint fût calomnié, méprisé, outragé, déchiré de toutes les façons. Et à partir de 1660 les jansénistes livrèrent, à leur ennemi juré, une guerre ouverte et impitoyable: “Jean Eudes était l’homme du monde que les novateurs (les jansénistes) haïssaient le plus.”

4-1-2-L’Ermitage

“L’Ermitage” de Caen avait été créé par Mr de Bernières et “quelques personnes de rare vertu qui désiraient se retirer dans quelque ermitage pour y finir leur vie.”  L’Ermitage devint une sorte de centre de ralliement vers lequel affluèrent des personnages illustres, dont saint Jean Eudes. 

Malheureusement, immédiatement après la mort de Mr de Bernières, les jansénistes se livrèrent à de vives attaques contre sa mémoire et déclenchèrent ce que l’on appela les scandales de Caen, Falaise, Argentant et Séez.

Pourquoi le nom de Jean Eudes fut-il mêlé à ces événements? Mystère!  Mais cela lui coûta très cher... ce qui ne l’empêcha de continuer ses missions, de poursuivre la fondation de séminaires. Nous sommes en 1670, et Jean Eudes atteint le sommet de son calvaire. Les calomnies contre lui se multipliaient, y compris jusqu’à Rome, afin d’empêcher l’approbation de sa Congrégation. Pourtant, au milieu de toutes ces épreuves, Jean Eudes avait le courage de chanter:

“Vive Jésus, mon doux Sauveur!
“Vive Jésus, Dieu de mon cœur!
“Vive la Reine de mon cœur!
“Je veux chanter et nuit et jour
“Les merveilles de son bon cœur.”

4-1-3-Jean Eudes et les jansénistes

En septembre 1674, le Père Jean Eudes écrivait: “Mes grands bienfaiteurs, Messieurs de la nouvelle doctrine (les jansénistes) ont fait imprimer un libelle contre moi, qu’ils ont distribué par toute la France, et dans toutes les communautés de Paris, sur les écrits que j’ai faits de la Sœur Marie (Marie des Vallées), qui est plein de faussetés, de calomnies de toutes sortes et de toutes sortes de marques de leur passion. Ils me chargent de treize hérésies, c’est-à-dire de l’arianisme, du nestorianisme, du monothélisme ...”

Ces persécutions se poursuivirent durant les années 1675 et 1676. Le missionnaire brisé, malade, âgé de 74 ans, voulut prêcher une dernière mission à Saint-Lô. Ce fut un triomphe. Le 17 juin 1679, il eut la grande joie d’être reçu par le Roi, revenu enfin de ses préventions.

Le 28 juin 1680 Jean Eudes convoqua la première assemblée générale de sa Congrégation.   Puis il mit toutes ses affaires en ordre et mourut le lundi 19 août 1680, “dans les transports d’une ardente charité.”

Durant toute sa vie, reconnaissant son impuissance à s’acquitter correctement de toutes ses obligations, Jean Eudes se tourna toujours vers la Sainte Vierge, car, disait-il, “nous ne devons point séparer ce que Dieu a uni si parfaitement. Jésus et Marie sont si étroitement liés ensemble que qui voit Jésus voit Marie, qui aime Jésus aime Marie, qui a dévotion à Jésus a dévotion à Marie; Jésus et Marie sont les deux premiers fondements de la religion chrétienne.”

Le pape Léon XIII a proclamé saint Jean Eudes “auteur du culte liturgique des Sacrés-Cœurs de Jésus et de Marie.” Pie X le proclama “Père, Docteur et Apôtre de ce même culte. Le pape Pie XI n’hésita pas à louer “la conduite, dans la propagation de ce culte, de celui qui en est le Père, le Docteur et l’Apôtre, conduite qui excita l’implacable haine des jansénistes.”

4-1-4-La dévotion au Sacré-Cœur de Jésus

D’instinct les âmes pieuses s’étaient toujours tournées vers l’amour et la tendresse que le Cœur de Jésus avait pour nous. Mais cette dévotion restait essentiellement d’ordre privé. C’est l’Oratoire qui, avec Bérulle, Condren et Olier, ouvrit le  chemin vers un culte public en valorisant le Verbe Incarné. Mais il revenait à Jean Eudes d’en préciser la doctrine et d’en organiser le culte public. Jean Eudes avait été attiré à la dévotion aux Cœurs de Jésus et de Marie par les impressions saintes qu’il avait reçues dans l’oraison, concernant les “belles choses que Notre Seigneur en avait enseignées à sainte Gertrude, sainte Mechtilde et sainte Thérèse.”

Il est impossible de ne pas citer ici quelques exclamations amoureuses de saint Jean Eudes, si proches de celles de Bérulle et même de Bossuet:

“Ô divine Essence qui êtes un abîme sans fond et sans borne de merveilles! Ô immense océan de grandeurs!... Ô Trinité de mon Dieu!...Ô Infinité qui contenez toutes les perfections imaginables et inimaginables! Ô Immortalité! Ô Invisibilité! Ô Lumière inaccessible! Ô Vérité incompréhensible! Ô abîme de science et de sagesse! Ô Vérité! Ô sainteté de mon Dieu!...”

Et, en union avec Jésus, Jean Eudes se remettait entre les mains du Père. Il déposait son âme “dans le très aimable Cœur de Jésus et de Marie, fournaise ardente de l’Amour éternel, les suppliant de l’embraser, consumer et transformer en une très pure flamme de ce divin Amour... De toute l’étendue de ma volonté, je me donne à l’Amour incompréhensible par lequel mon Jésus et sa bonne Mère m’ont donné leur très aimable Cœur d’une manière spéciale, et en union de ce même amour, je donne ce même Cœur comme une chose qui est à moi et dont je puis disposer pour la gloire de mon Dieu. Je le donne à la petite congrégation de Jésus et Marie, pour être le partage, le trésor, le patron principal, le coeur, la vie, la règle des vrais enfants de cette congrégation.”

Dans une lettre de 1672 adressée à sa congrégation, Jean Eudes écrit: “Quel cœur plus adorable, plus admirable et plus aimable que le Cœur de cet Homme-Dieu qui s’appelle Jésus?... Ce Cœur auguste qui est la source de notre salut, qui est l’origine de toutes les félicités du Ciel et de la terre, qui est une fournaise immense d’Amour vers nous et qui ne songe, jour et nuit, qu’à nous faire une infinité de biens, et qui est enfin crevé de douleur pour nous en la Croix, ainsi que le Fils de Dieu l’a déclaré à sainte Brigitte.” [1] 

“En revenant au Cœur, nous allons droit à l’essentiel,” car l’Amour fou de Dieu se manifeste dans le Cœur humain de son Fils bien-aimé. Le Cœur que nous contemplons au centre de la Croix, le Cœur de chair de Jésus est là, brisé, percé par la lance.

“C’est dans le drame de la Croix et dans le Cœur ouvert que s’est révélée la gloire de l’Amour, et sa victoire définitive sur la mort; c’est de la blessure du Cœur que l’eau vivifiante a coulé sur le monde. Même si une femme oubliait son enfant, moi je ne vous oublierais pas: voyez, je vous ai gravés dans mes mains et dans mon Cœur.”

Le 24 avril 1671, soit deux mois avant l’entrée de sainte Marguerite-Marie à la Visitation de Paray-le-Monial, Jean Eudes âgé de 70 ans, déclarait:

“De toute l’étendue de ma volonté, je me donne à l’amour incompréhensible par lequel mon Jésus et ma toute bonne Mère m’ont donné leur très aimable Cœur d’une manière spéciale, et, en union de ce même amour, je donne ce Cœur comme une chose qui est à moi et dont je puis disposer pour la gloire de mon Dieu; je le donne à la petite Congrégation de Jésus et Marie pour être... le cœur, la vie, la règle des vrais enfants de cette Congrégation... Je le donne aussi, de même, à toutes mes très chères filles, les religieuses de Notre-Dame de Charité, aux Carmélites de Caen et de Dieppe et à tous mes autres enfants spirituels...”

4-2-Saint Claude la Colombière, directeur de Marguerite-Marie (1641-1682)

4-2-1-La vie de Saint Claude la Colombière

Claude La Colombière, troisième enfant d’une famille de sept, dont cinq seulement survécurent, naquit le 2 février 1641, à Saint Symphorien-d’Ozon, dans le diocèse de Lyon. Son père était notaire royal. A l’âge de 17 ans, Claude fut admis au noviciat de la Compagnie de Jésus. Il y sera ordonné prêtre en 1669 et, d’abord nommé précepteur des fils de Colbert, il sera ensuite professeur à Lyon. Spirituellement, son âme éprise de Dieu ne cherchait qu’à se détacher d’elle-même pour trouver Dieu, car le Seigneur préparait, sans bruit, celui qui était prédestiné à diriger Soeur Marguerite-Marie Alacoque et à prêcher le message du Cœur de Jésus.

C’est le 2 février 1675 que le Père la Colombière, nommé supérieur de la maison des jésuites de Paray-le-Monial, où il demeura dix-huit mois, rencontra Marguerite-Marie Alacoque. Le Père La Colombière et Marguerite-Marie, mais chacun à sa place, devaient révéler au monde les richesses et les tendresses infinies du Cœur de Jésus. 

Le message de Paray contenait la nécessité d’orienter les âmes sur le Cœur de chair de Jésus, “Cœur couronné d’épines et surmonté de la Croix.” et de “manifester, avec insistance, son amour passionné payé d’ingratitude, méconnu et outragé...“ Le Père Claude fera connaître le Sacré-Cœur et ne cachera pas son “cœur à Cœur” permanent avec le Christ.

Mûr pour la Croix, Claude la Colombière pouvait partir à Londres où il avait été nommé, en octobre 1676, prédicateur auprès de la duchesse d’York. La situation, à Londres, était alors très difficile pour les catholiques, peu nombreux et soumis constamment aux persécutions anti-papistes. Le Père Claude fut arrêté dans la nuit du 13 au 14 novembre 1678, et incarcéré dans la prison de King’s Bench particulièrement insalubre...

Aucune charge ne pouvant être retenue contre lui, malgré les calomnies, il fut libéré en décembre, mais banni du Royaume d’Angleterre. Cependant le climat humide de la Grande Bretagne et le séjour en prison lui avaient été fatals, et, durant ses trois dernières années, il ne mènera plus qu’une une vie de très grand malade, avant de mourir le 15 février 1682.

Il avait 41 ans. Il sera inhumé à Paray-le-Monial, dans la petite chapelle du collège où il s’était consacré au Sacré-Cœur.

4-2-2-Le Sacré-Cœur de Jésus et Claude La Colombière

Le Sacré-Cœur de Jésus, c’est l’amour. Les textes qui suivent, tous écrits de la main du Père Claude, vont nous montrer comment Jésus manifeste l’amour de son Cœur.

Nous devons aimer notre prochain selon l’Évangile, comme Jésus-Christ nous a aimés... Mais comment est-ce que Jésus-Christ nous a aimés? Il nous a aimés solidement, il nous a aimés pour notre salut, pour l’éternité. Ce n’est pas un amour qui se borne à de vaines marques de tendresse, ou qui le porte à nous procurer des biens fragiles et temporels: tout son amour tend à nous rendre heureux éternellement.”

Que le Cœur de Jésus soit donc notre école, et conformons-y le nôtre... Oui divin Jésus, je veux me loger dans votre Cœur, verser tout mon fiel dans ce Cœur; il l’aura bientôt consumé. Dans ce Cœur je m’exercerai au silence, à la résignation à votre divine volonté, à une constance invincible... Je vous demande vos prières, ô doux Jésus. Vous les avez offertes pour vos ennemis, ne me les refusez pas, à moi qui souhaite de (sic) vous aimer, d’aimer même la croix et mes ennemis pour l’amour de Vous.” [2] 

4-2-3-Claude la Colombière et l’Eucharistie

Claude La Colombière avait aussi une vénération pour l’Eucharistie, contrairement aux jansénistes qui paraissaient la craindre. Après avoir médité sur le Saint-Sacrement il écrivit:

“Dès que j’ai envisagé ce mystère, je me suis senti tout pénétré de doux mouvements d’admiration et de reconnaissance pour la bonté que Dieu nous a témoignée en ce mystère. Il est vrai que j’y ai reçu de si grandes grâces et que j’ai ressenti si sensiblement les effets de ce pain des anges, que je ne saurais y penser sans être en même temps touché d’une très grande gratitude.” 

Et encore: “Jésus, Vous êtes le seul et le véritable ami. Vous prenez part à tous mes maux, vous vous en chargez, vous savez le secret de me les tourner en bien, vous m’écoutez avec bonté lorsque je vous raconte mes afflictions, et vous ne manquez jamais de les adoucir.

Je vous trouve toujours et en tout lieu; vous ne vous éloignez jamais; et si je suis obligé de changer de demeure, je ne laisse pas de vous trouver où je vais. Vous ne vous ennuyez jamais de m’entendre; vous ne vous lassez jamais de me faire du bien. Je suis assuré d’être aimé si je vous aime.”

4-3-Sainte Marguerite-Marie Alacoque (1647-1690)

4-3-1-Quelques rappels sur la vie de Marguerite-Marie

Marguerite Alacoque, plus connue sous le nom de Marguerite-Marie, naquit le 22 juillet 1647, dans le Charolais, d’une famille de notaires.  Après bien des difficultés, elle put, le 25 août 1671, être admise au noviciat, chez les Visitandines de Paray-le-Monial. C’est alors que le Seigneur lui fit connaître le mystère de sa mort et de sa Passion. Puis vinrent les grandes révélations du Sacré-Cœur de Jésus.

Marguerite-Marie fut rapidement incomprise, et même persécutée, y compris par ceux-là mêmes qui auraient dû la soutenir et la conseiller. Aussi le Seigneur lui envoya-t-il “un sien serviteur”, spécialement préparé, pour la rassurer dans sa voie: un jeune Jésuite de trente quatre ans, Claude La Colombière. Dès qu’il se présenta à la Visitation, Marguerite-Marie entendit clairement ces paroles intimes: “Voici celui que Je t’envoie.” Marguerite-Marie put ouvrir son cœur et le Père La Colombière la comprit immédiatement.

Dès lors les apparitions, et aussi les épreuves, se multiplièrent pour Marguerite-Marie. Le Père La Colombière fut envoyé à Londres, puis, très malade, revint à Paray en août 1681. Il y mourut le 15 février 1682, à l’âge de 41 ans.

À partir de 1689, c’est un jeune Jésuite, le Père Croiset, qui fut chargé de recueillir les confidences de Marguerite-Marie. Une confiance profonde s’établit entre ces deux âmes que Jésus avait choisies pour faire connaître au monde la dévotion à son divin Cœur. 

Marguerite-Marie mourut le 17 octobre 1690.

Jésus voulut montrer à sa confidente que le Père la Colombière était, pour Lui, un instrument choisi pour la gloire de Dieu. Au cours d’une messe célébrée par le Père La Colombière, la volonté de Dieu se manifesta. Marguerite-Marie raconte: “Lorsque je m’approchai pour la sainte communion, Notre Seigneur me montra son Sacré-Cœur comme une ardente fournaise, et deux autres cœurs qui s’y allaient unir et s’abîmer, me disant:

— C’est ainsi que mon pur amour unit ces trois cœurs pour toujours.

Et après, Il me fit entendre que cette union était toute pour la gloire de son Sacré-Cœur, dont Il voulait que je lui découvrisse les trésors, afin qu’il en fît connaître et en publiât le prix et l’utilité; et que pour cela Il voulait que nous fussions comme frère et sœur, également partagés de biens spirituels.”

4-3-2-La Révélation  du Sacré-Cœur

La première apparition eut lieu le 27 décembre 1673, devant le Saint Sacrement. Jésus fit d’abord reposer sa privilégiée longuement sur sa poitrine et lui découvrit les merveilles de son amour et les secrets inexprimables de son Cœur, secrets tenus jusqu’alors cachés. Jésus lui dit, entre autres:

“Mon divin Cœur est si passionné d’amour pour les hommes... que, ne pouvant plus contenir en lui-même les flammes de son ardente charité, il faut qu’il les répande par ton moyen et qu’il se manifeste à eux pour les enrichir de ses précieux trésors que je te découvre et qui contiennent les grâces sanctifiantes et salutaires pour les retirer de l’abîme de perdition.”

Marguerite-Marie raconta une autre apparition:

“Alors que le Saint Sacrement était exposé... Jésus-Christ mon doux Maître, se présenta à moi, tout éclatant de gloire avec ses cinq plaies, brillantes comme cinq soleils, et de cette sacrée Humanité sortaient des flammes de toutes parts, mais surtout de son adorable poitrine qui ressemblait à une fournaise; et s’étant ouvert, il me découvrit son tout aimant et tout aimable Cœur qui était la vive source de ces flammes. Ce fut alors qu’il me découvrit les merveilles inexplicables de son pur Amour, et jusqu’à quel excès il l’avait porté à aimer les hommes dont Il ne recevait que des ingratitudes et des méconnaissances, ce qui m’est beaucoup plus sensible, me dit-il, que tout ce que j’ai souffert en ma Passion; d’autant que s’ils me rendaient quelque retour d’amour j’estimerais peu tout ce que j’ai fait pour eux, et voudrais, s’il se pouvait, en faire encore davantage; mais ils n’ont que des froideurs et du rebut pour tous mes empressements à leur faire du bien...”

4-3-3-La grande apparition du Sacré-Cœur de Jésus

Un an plus tard, entre le 13 et le 20 juin 1675, eut lieu la grande apparition, et probablement la révélation décisive. Découvrant son Cœur, Jésus dit à Marguerite-Marie: “Voilà ce Cœur qui a tant aimé les hommes qu’il n’a rien épargné jusqu’à épuiser et se consommer (sic) pour leur témoigner son amour; et pour reconnaissance, je ne reçois de la plupart que des ingratitudes, par leurs irrévérences et leurs sacrilèges, et par les froideurs et les mépris qu’ils ont pour moi dans ce Sacrement d’amour. Mais ce qui m’est le plus sensible est que ce sont des cœurs qui me sont consacrés qui en usent ainsi.

C’est pour cela que je te demande que le premier vendredi d’après l’octave du Saint-Sacrement soit dédié à une fête particulière pour honorer mon Cœur, en communiant ce jour-là, et en lui faisant une réparation d’honneur par une amende honorable, pour réparer les indignités qu’il a reçues pendant le temps qu’il a été exposé sur les autels.”

4-4-Saint Louis-Marie Grignion de Montfort (1673-1716)

4-4-1-la vie de Saint Louis-Marie Grignion de Montfort

Louis-Marie est né à Montfort-La-Cane, en Bretagne, à 20 kilomètres de Rennes, le 31 janvier 1673. Son père, Jean-Baptiste, (1647-1716) de petite noblesse terrienne, était avocat. Louis-Marie quitta sa famille (qui comptait déjà douze enfants) à l’âge de onze ans, pour aller à Rennes, dans un collège tenu par les Jésuites.  

Il convient de noter ici que deux pères du collège, les Pères Bellier et Nepveu, très dévôts à la Sainte Vierge, avaient mis en honneur un acte d’offrande de soi-même à la Sainte Vierge, en qualité d’esclave, pour honorer sa maternité.

En 1692, à presque vingt ans, Louis-Marie entra au séminaire des pauvres, chez les sulpiciens. Il fut bientôt chargé de la Bibliothèque du séminaire où il découvrit Le petit psautier de la Vierge, dans lequel il lut la formule qu’il citera souvent: “Totus tuus”. Il aimait aussi beaucoup cette citation de Bérulle: “Nous sommes obligés d’être esclaves de Jésus et de Marie par naissance et par renaissance: c’est-à-dire le baptême. Cette servitude n’est que le vœu du baptême.”

Louis-Marie fut ordonné prêtre le 5 juin 1700, mais, dès cette époque, sa vie trop sainte, nourrie des écrits du Père Surin commença à déranger: contradictions et moqueries ne lui manquèrent jamais.

Avril 1701. Louis-Marie est envoyé à l’hôpital de Poitiers pour servir les pauvres. C’est là qu’il rencontra Marie-Louise Trichet (7 mai 1684-28 avril 1759) la future fondatrice des Filles de la Sagesse.

En mars 1703, les épreuves s’accumulent. Voici le Père de Montfort à Paris, à la Salpêtrière, où la misère des pauvres est extrême. Il reste avec eux pendant quatre mois, mais bientôt on le chasse. De décembre 1703 à mars 1704, il erre dans Paris, raillé, moqué, méprisé par ses confrères. Il songe à quitter le ministère...

Mars 1704, retour triomphal à Poitiers et son évêque accepte sa proposition de donner des missions dans son diocèse. Louis-Marie Grignion de Montfort a enfin trouvé sa voie... Il multiplie ses activités dans les quartiers pauvres. Tout semble bien aller, mais de nouveau on ne veut plus de lui à l’hôpital...

Le Père de Montfort pense réaliser sa vraie vocation: les missions. Mais il est dénoncé à son évêque, et il est expulsé. Où aller? Tous ses horizons sont bouchés. Au printemps 1706, Louis-Marie, désespéré part à Rome, à pied. (1500 kilomètres) Le 6 juin 1706 il est reçu par le pape Clément XI qui lui impose de rester en France et d’y prêcher des missions. Louis-Marie a trente trois ans.

À l’automne 1712, le Père de Montfort écrit le Traité de la vraie dévotion à la Sainte Vierge. Début 1713, il rédige les règles de la future Compagnie de Jésus, et celles des Filles de la Sagesse. Il multiplie les missions mais, de nouveau, ses adversaires se mobilisent: il ne fait pas bon être fidèle à l’Amour et à la volonté de Dieu! Un soir, le Père de Montfort est victime d’une tentative d’empoisonnement... Il en réchappe, mais sa santé est ruinée.

Le 28 avril 1716, Louis-Marie Grignion de Montfort expirait, à 43 ans. Plus de 10 000 personnes l’accompagnèrent jusqu’à sa sépulture, dans la chapelle Notre-Dame de l’Église de Saint-Laurent-sur-Sèvre.

4-4-2-La spiritualité de Louis Marie Grignion de Montfort 

Adorer, aimer, remercier Dieu, c’était, pour Louis-Marie, l’unique source à laquelle il puisait pour accomplir inlassablement son œuvre, malgré les obstacles et les difficultés auxquelles il fut constamment affronté. Dieu seul! c’était son amour, son programme, sa force... Il avait, comme tous les saints, la conviction profonde de son néant, de sa pauvreté, de son état de pécheur. Son obéissance et son humilité firent souvent l’admiration de ses contemporains, même de ceux qui ne le comprenaient pas. Mais par dessus tout il vouait à Marie un culte profond, une consécration totale qui le mena à la rencontre de Dieu. À Dieu seul, par Marie. Totus tuus...

“Peut-on aimer ce qu’on ne connaît pas? se demande Louis-Marie.

Peut-on aimer ardemment ce qu’on ne connaît qu’imparfaitement? Pourquoi est-ce qu’on aime si peu la Sagesse éternelle et incarnée, l’adorable Jésus, sinon parce qu’on ne le connaît pas, ou très peu?” Il faut donc découvrir la Sagesse éternelle, c’est-à-dire Jésus.

“Si la puissance et la douceur de la Sagesse éternelle ont tant éclaté dans la création, la beauté et l’ordre de l’univers, elle a brillé bien davantage dans la création de l’homme... Ô libéralité de la Sagesse éternelle envers l’homme! Ô heureux état de l’homme dans son innocence! Mais malheur des malheurs!”... car l’homme est devenu pécheur...

Heureusement il y a la Miséricorde de Dieu! Et c’est en contemplant cette Sagesse éternelle et sa Miséricorde que Louis-Marie écrira son traité sur  “L’amour de la Sagesse éternelle”, et découvrira que la Sagesse, c’est l’Amour qui se donne à l’homme.

Cela n’empêche pas qu’il soit nécessaire que l’homme, objet de tant d’amour, sache se mortifier. “Tous ceux qui sont à Jésus-Christ, la Sagesse incarnée, ont crucifié leur chair avec ses vices et ses concupiscences,... se font une continuelle violence, portent leurs croix tous les jours, et enfin sont morts et même ensevelis en Jésus-Christ... Il faut aussi, nécessairement, joindre la mortification du jugement et de la volonté par la sainte obéissance; parce que, sans cette obéissance, toute mortification est souillée de la volonté propre, et souvent plus agréable au démon qu’à Dieu.“

4-4-3-Louis-Marie et le Cœur de Jésus

Amoureux de Marie, contemplatif de la Sagesse Incarnée, Louis-Marie Grignion de Montfort deviendra le chantre du Sacré-Cœur de Jésus. Ses nombreux cantiques débordent de l’amour du Sacré-Cœur de Jésus dont son cœur est plein. En voici quelques exemples:

Anges, dîtes-moi, je vous prie, quel est ce beau brasier de feu? C’est le Cœur du Fils de Marie et du Fils unique de Dieu.
Ce Cœur, dès que l’homme l’aborde, élève Dieu son Créateur,
Exalte sa Miséricorde et lui rend un parfait honneur.
Chose étonnante, il s’humilie devant son Père, à tout moment.
Il loue, il adore, il supplie, il parle pour nous puissamment.
Ô merveille tout ineffable! Cœur plein de la divinité!
Cœur infiniment adorable, dans la Très Sainte Trinité!
Oh! qu’il aime l’homme son frère d’un pur et ardent amour!
Il nous aime autant que lui-même, avec excès, infiniment.
Ô grand Cœur! Ô fournaise ardente! Ô brasier tout miraculeux
Qui jette une flamme abondante pour brûler la terre et les cieux!
Il est le Cœur des cœurs sublimes, le Cœurs des vrais prédestinés.
Dans ce Cœur, les plus saintes âmes, les plus grands amis du Sauveur
Ont puisé leurs plus pures flammes, leur plus ineffable ferveur.
Voici le trésor véritable de la grâce de Jésus-Christ,
Voici la fontaine admirable de tous les dons du Saint-Esprit.
C’est ici la source de vie en qui tous les saint ont puisé,
C’est ici le bel incendie dont le cœur était embrasé. (
Cantique 40)

Toujours dans ce même cantique 40, Louis-Marie nous découvre que le Cœur de Jésus, c’est aussi “la plus sainte retraite où l’on évite tout péché, c’est la ville du refuge, la vraie arche du déluge...

Dans ce Cœur, l’âme est embaumée de l’odeur des plus doux parfums, C’est en lui qu’elle est enflammée des feux qui ne sont pas communs.

Ce Cœur est notre arche vivante qui renferme toute la loi,
Les secrets de l’âme innocente et les mystères de la foi.
C’est en ce Cœur que notre Maître forma tous ses secrets d’amour,
Avant de les faire connaître, avant de les produire au jour.
Ô grand Cœur, ô profond abîme de la profonde humilité!
Ô grand Cœur, ô trône sublime de la parfaite charité.

Dans son Cantique 41, Louis-Marie nous fait pénétrer plus avant dans le Cœur de Jésus:

“Pénétrons jusqu’au fond du Temple, entrons dans ce Cœur merveilleux...  

Et Jésus dit, s’adressant à sa Mère:

“Ma Mère, vous m’êtes très chère, je vous comble de mes faveurs,
Afin que vous soyez la mère et le refuge des pécheurs.

Car le Cœur de Jésus “est doux et traitable! Il converse avec les enfants;

Qu’il est affable et charitable, que ses attraits sont triomphants!
Ce Cœur court où l’amour l’entraîne...
L’amour qui lui ravit la vie le fait survivre après sa mort,
Il se met dans l’Eucharistie. Ô Cœur, que votre amour est fort!
On le cloue, on le crucifie, son Cœur est toujours aussi doux!
Enfin la fournaise est ouverte, Enfin, ce grand Cœur est ouvert.”

4-4-4-Comment répondre à l’Amour du Cœur de Jésus?

Dans son Cantique 42, Louis-Marie fait parler Jésus:

“Pour M’aimer d’un amour immense, entre en mon Cœur qui t’aime tant. J’ouvre ainsi sur la fin du monde, aux pécheurs mon Cœur plein d’ardeur, Mais tant s’en faut qu’on y réponde, on n’a pour lui que des froideurs. On foule aux pieds toutes mes peines, mon sang, mon Cœur, ma charité, Et, malgré le sang de mes veines, on m’accable d’iniquités.  

C’est mon Cœur seul qui fortifie, Il est puissant en ses attraits. C’est mon Cœur seul qui pacifie, il est le centre de la paix. Veux-tu la divine Sagesse qui fait un sage selon Dieu?

Veux-tu cette divine ivresse? Mon Cœur est son trône de feu. Veux-tu brûler bien à ton aise? Jette-toi vite dans mon Cœur, C’est un feu, c’est une fournaise, ou plutôt, c’est l’Amour vainqueur. 

Si tu désires aimer Marie et d’un amour comme infini, Aime par mon Cœur, je te prie, Car mon Cœur au sien est uni. Nos cœurs n’étaient qu’une victime lorsqu’ils vivaient en ces bas-lieux, Tous deux par un lien intime, ne font qu’un même amour aux cieux. 

4-5-Place du Sacré-Cœur dans l’École Française

Pourquoi, après avoir traité de l’histoire de Port-Royal, cette longue présentation des quatre saints qui ont été les grands   promoteurs du culte et de la dévotion au Sacré-Cœur de Jésus?

Ils étaient, comme les jansénistes et les Solitaires de Port-Royal, affrontés aux mêmes douloureux problèmes de leur société. Ils ont connu le même puissant courant ascétique et mystique qui circula à travers tout le dix-septième siècle religieux, en France. Ils ont participé à l’élaboration de ce qu’il a été convenu d’appeler “L’École Française de spiritualité”, ce grand courant religieux né de la spiritualité des Lazaristes, des Oratoriens, des Sulpiciens, puis des Eudistes, des Monfortains, et des Frères des Écoles chrétiennes.

Ce courant, les jansénistes ne l’ignoraient pas. Mais tandis que les uns, les jansénistes, s’attardaient sur des problèmes théologiques qui les menaient vers la seule crainte de Dieu, et les conduisirent souvent à prendre part à des polémiques et des controverses sans fin, d’autres, nos quatre saints, découvraient la réalité de l’Amour de Dieu et sa tendresse infinie révélée dans le Cœur Sacré du Fils, Jésus. Cela, il fallait le dire.


[1] “Le Bienheureux Jean Eudes” de Ch. LEBRUN - Éditions P. LETHIEULLEUX - Chapitre 3

[2] “Écrits spirituels” de Claude La Colombière,  édités par Desclée de Brouwer Bellarmin, pages 203 à 205

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