Au cœur de la Grande
Guerre, en 1917, l'écrivain Anatole France, peu suspect de sympathies
catholiques, écrivait: «L'empereur Charles d'Autriche a offert la paix,
c'est le seul honnête homme qui ait paru au cours de la guerre; on ne
l'a pas écouté». Pour expliquer sa recherche obstinée de la paix,
l'empereur avait confié à son chef de cabinet: «Il y va de la sécurité
et du calme de l'Église, ainsi que du salut éternel de beaucoup d'âmes
en péril». Charles Ier a été béatifié le 21 octobre 2004 par le Pape
Jean-Paul II.
Charles de Habsbourg, fils
aîné de l'archiduc Otto et de Maria-Josèphe de Saxe, est né le 17 août
1887 à Persenbeug, non loin de Vienne (Autriche). L'enfant est le
petit-neveu de l'empereur d'Autriche François-Joseph. Il grandit sous la
vigilance aimante mais sans faiblesse de sa mère, femme très chrétienne.
Son père, lui, mène une vie scandaleuse. Charles est confié à des
précepteurs chrétiens qui entretiennent ses excellentes dispositions. Il
n'a qu'un défaut: la timidité.
Charles fait sa première
communion en 1898, à Vienne: «Si l'on ne savait pas prier, c'est par ce
jeune monsieur qu'on l'apprendrait», commente l'un des assistants.
L'enfant fréquente le lycée public des Bénédictins écossais où se
développent ses qualités: franchise, charité, ténacité, modestie. Si sa
santé donne quelques inquiétudes, l'archiduc Charles ne cesse de
progresser dans les domaines intellectuel et spirituel. Irréprochable
dans sa conduite, il n'en est pas moins gai et aime beaucoup la musique.
En 1905, il inaugure la carrière militaire, de règle pour un Habsbourg.
L'année suivante, il perd son père, qui meurt dans une piété et une
sérénité inattendues. Il devient alors le second dans l'ordre de la
succession au trône, après son oncle, François-Ferdinand, qui l'initie
aux affaires de l'État.
Nous aider mutuellement
à gagner le Ciel
En 1908, Charles est nommé
chef d'escadron en Bohême. Un de ses proches dira de lui: «L'amour
sincère du jeune archiduc pour toutes les beautés de la nature révélait
un être foncièrement bon qui adorait le Créateur à travers toutes ses
oeuvres et laissait deviner un homme totalement dépourvu de méfiance et
de haine, qui accueillait chacun à coeur ouvert». Charles rencontre, en
1909, la princesse Zita de Bourbon-Parme, de cinq ans plus jeune que
lui; elle avait été élève des Bénédictines de Solesmes. Il obtient de
l'empereur François-Joseph l'autorisation de demander sa main. Après la
Messe des fiançailles, Charles glisse à Zita: «Maintenant, il nous faut
nous aider mutuellement à gagner le Ciel». Préparé par une retraite
spirituelle, le mariage a lieu le 21 octobre 1911. Quelque temps avant,
au cours d'une audience accordée à Zita, le Pape saint Pie X prédit aux
fiancés leur prochaine accession au trône. La princesse lui ayant
rappelé que l'héritier direct du trône est François-Ferdinand et non pas
Charles, le Pape maintient son étonnante affirmation.
En 1912, Charles sert en
Galicie comme capitaine; il s'occupe activement de ses troupes afin
d'améliorer leur bien-être matériel et moral. Le 20 novembre, Zita donne
naissance à un fils, Otto; six ans plus tard, le jour de la première
communion de cet aîné, Charles consacrera sa famille au Sacré-Cœur. En
février 1913, la petite famille s'établit au château de Hetzendorf, près
de Vienne. Charles y mène une vie ascétique; il travaille jusque tard
dans la nuit. Il s'assujettit à toutes les contraintes de la vie
d'officier, sans jamais se servir de son rang pour obtenir des
passe-droits.
Au début de 1914,
l'archiduc héritier François-Ferdinand confie à Charles: «Je suis
convaincu que je mourrai assassiné; la police est au courant». De fait,
la franc-maçonnerie a condamné à mort François-Ferdinand, obstacle à son
dessein de détruire l'empire catholique d'Autriche-Hongrie.
L'acharnement mis par les milieux maçonniques à détruire le dernier
empire catholique d'Europe ne peut surprendre. Les groupes maçonniques,
même lorsqu'ils se disent spiritualistes, ont une vision du monde fermée
au surnaturel et ils rejettent la notion de révélation divine comme
celle de dogme; c'est pourquoi la franc-maçonnerie s'est constamment
opposée à l'Église catholique. Un franc-maçon de haut grade
reconnaissait, en 1990, cet antagonisme fondamental: «Le combat qui se
livre actuellement conditionne l'avenir de la société. Il oppose deux
cultures: l'une fondée sur l'Évangile et l'autre sur la tradition de
l'humanisme républicain. Et ces deux cultures sont fondamentalement
opposées. Ou la vérité est révélée et intangible, d'un Dieu à l'origine
de toutes choses, ou elle trouve son fondement dans les constructions de
l'Homme, toujours remises en question parce que perfectibles à l'infini»
(Paul Gourdeau). Le 26 novembre 1983, le Cardinal Ratzinger, Préfet de
la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, a précisé: «Le jugement
négatif de l'Église sur les associations maçonniques demeure inchangé,
parce que leurs principes ont toujours été considérés comme
inconciliables avec la doctrine de l'Église, et l'inscription à ces
associations reste interdite par l'Église. Les fidèles qui appartiennent
aux associations maçonniques sont en état de péché grave et ne peuvent
accéder à la Sainte Communion».
«Sous votre
protection...»
François-Ferdinand a des
vues larges, pleinement partagées par son neveu Charles: il veut
réformer l'empire dans le sens du fédéralisme, pour donner à chacun des
peuples qui en font partie une plus large autonomie. Mais le 28 juin
1914, il est assassiné à Sarajevo, par un conspirateur serbe. Charles
devient l'héritier direct de la double monarchie dont son grand-oncle
François-Joseph est encore l'empereur. Le 19 juillet 1914, le Conseil
austro-hongrois de la Couronne adresse à la Serbie un ultimatum exigeant
une enquête pour trouver les coupables de l'attentat. Le rejet partiel
de cet ultimatum entraîne le déclenchement d'une guerre européenne.
Charles pressent que ce conflit sera terriblement meurtrier. Mais il
exécute loyalement les ordres de son grand-oncle et part pour le front.
Sur son sabre, il fait graver l'invocation suivante à Marie: «Sub tuum
præsidium confugimus, sancta Dei Genitrix» («Sous votre
protection, nous nous réfugions, ô sainte Mère de Dieu»). L'Italie
déclare la guerre à l'Autriche en mai 1915. Nommé colonel, Charles est
envoyé dans le Trentin où il remporte une série de victoires. Ce n'est
pas de gaieté de coeur qu'il combat des Italiens, lui dont l'épouse est
une princesse italienne. En juin 1916, nommé colonel-général, il
parvient à arrêter une offensive russe en Galicie. Ses rapports avec
certains officiers allemands servant sur le même front, sont difficiles.
Révolté par l'usage des gaz toxiques, devenu courant sur le front
français, Charles obtient, après avoir parlementé avec les Russes,
qu'aucun des deux camps n'y aurait recours. Il refuse aussi de laisser
bombarder les villes.
En novembre 1916,
François-Joseph meurt pieusement, après un règne de 68 ans. Charles de
Habsbourg devient empereur d'Autriche et roi apostolique de Hongrie. Il
a vingt-neuf ans. Dans un manifeste publié le jour même, il déclare: «Je
ferai tout ce qui sera en mon pouvoir pour bannir dans le plus bref
délai les horreurs et les sacrifices qu'entraîne la guerre, et pour
procurer à mon peuple les bienfaits de la paix». Le 22 décembre, Charles
fait rédiger par son ministre Czernin des propositions de paix,
acceptées du bout des lèvres par son allié, l'empereur d'Allemagne,
Guillaume II: elles seront rejetées par les puissances de l'Entente
(France, Grande-Bretagne, Russie, Italie). Le 30 décembre 1916, à
Budapest, Charles ceint la couronne que saint Étienne reçut du Pape
Sylvestre II, en 1001. Cependant, il confie: «Être roi, ce n'est pas
satisfaire une ambition, mais se sacrifier pour le bien du peuple tout
entier». Peu après, Guillaume II donne l'ordre de déclencher la guerre
sous-marine à outrance. Le souverain autrichien refuse de donner son
soutien à cette offensive qui, dirigée contre des navires de commerce,
provoquera la mort de nombreux civils. Il ne peut supporter la pensée
des combats effroyables qui, dans toute l'Europe, ont déjà causé des
millions de morts, et cela pour des objectifs dérisoires. Charles
remarque: «Il ne suffit pas que je sois seul à vouloir la paix. Il faut
que j'aie le peuple entier et tous les ministres à mes côtés!» Or, la
presse ne cesse d'exciter le bellicisme du peuple par des communiqués
triomphants, tandis qu'elle cache la vérité sur la situation de l'empire
où la misère du peuple est chaque jour plus grande.
Acharnement pour la paix
En mars 1917, Charles
demande à ses beaux-frères Sixte et Xavier de Bourbon-Parme, qui
combattent dans l'armée belge, de se mettre en rapport avec les
gouvernements de l'Entente. L'empereur leur confie une lettre, dans
laquelle il déclare que l'Autriche est prête à renoncer à diverses
exigences formulées en 1914, concernant notamment la Serbie. De même, il
propose d'abandonner la Galicie à l'Allemagne en compensation de la
restitution à la France de l'Alsace-Lorraine. Une transaction avec
l'Italie est aussi envisagée. Mais l'intransigeance des différentes
parties en présence fait échouer cette tentative de paix. Une seconde
proposition de Charles à l'Entente échoue, de même que celle du Pape
Benoît XV, soutenue avec enthousiasme par Charles. Les ministres
franc-maçons français et italiens d'une part, et les officiers
d'état-major allemands d'autre part, ont voulu la guerre à tout prix.
Dans la seule armée française, ce refus aura causé la mort de 300 000
soldats.
Dès l'avènement de
l'empereur, des campagnes de calomnies sont orchestrées contre lui, même
au sujet de ses mœurs, alors qu'il est d'un sérieux et d'une tempérance
incontestables. À l'inverse, il est traité de bigot. De fait, l'empereur
assiste quotidiennement à la Messe et y communie; il récite assidûment
le chapelet et aime à visiter les sanctuaires dédiés à la Sainte Vierge.
Dans son intense vie spirituelle, il trouve la force dont il a besoin
pour assumer ses lourdes responsabilités. On fait aussi passer Charles
pour incapable, alors qu'il s'est montré un officier remarquable. Il
parle sept langues; sa puissance de travail est extraordinaire et il
possède à un rare degré l'esprit de synthèse. Bien mieux que son
entourage, il discerne le mortel danger où se trouve son empire. Au
printemps 1917, il refuse énergiquement de laisser Lénine, qui vit exilé
en Suisse, traverser ses États pour aller semer la révolution en Russie,
plan machiavélique conçu par l'état-major allemand. Charles a compris
que Lénine est potentiellement dangereux pour toute l'Europe; le
bolchevisme, il le pressent, ne se contentera pas de ruiner la Russie,
mais s'étendra partout. Cependant, Lénine parviendra à regagner la
Russie en passant par l'Allemagne dans un train spécial.
Dans le chaos de la
défaite
Dans l'impossibilité de
conclure la paix avec les pays de l'Entente, Charles est obligé de
continuer une guerre abhorrée, afin d'éviter autant que possible le
malheur que causerait à ses peuples l'effondrement de l'empire. En
octobre 1917, l'Autriche remporte sur l'Italie la victoire de Caporetto.
L'empereur ne se laisse pas griser par ce succès, conquis au prix du
sang versé, et qui ne règle rien. Ses pouvoirs constitutionnels, qui ne
sont pas illimités, l'obligent à laisser les mains libres aux parlements
bellicistes et à son déloyal ministre, Czernin, qui joue la carte de la
«paix par la victoire», c'est-à-dire par la guerre. L'empereur mène, à
Baden, dans une simple maison, une vie de labeur. Sa table est des plus
maigres, tant il a en horreur le marché noir qui sévit partout. Zita, de
son côté, se dévoue corps et âme aux blessés et aux orphelins, créant
des oeuvres d'assistance. Le peuple, dans sa grande majorité, ne s'y
trompe pas et acclame le couple impérial au cours de ses voyages.
En janvier 1918, par ses
«quatorze points», inspirés des objectifs de la franc-maçonnerie,
Wilson, le président des États-Unis, proclame la nécessité pour la paix
future, de réorganiser l'Europe centrale et balkanique selon le
«principe des nationalités». Cela signifie le démantèlement de l'empire
austro-hongrois au profit de petits États-nations. Cette conception
utopique, inspirée par les socialistes tchèques Bénès et Masaryk, est à
l'origine des conflits qui vont déchirer l'Europe centrale jusqu'à nos
jours. Charles essaie vainement de faire entendre raison à la Maison
Blanche. À l'ouest, les dernières offensives allemandes de mai et juin
1918 sont arrêtées et suivies, en juillet, d'une contre-offensive de
l'Entente. L'Allemagne, dans les semaines qui suivent, se replie et
doit, après le déclenchement de la révolution à Berlin, demander
l'armistice, qui sera signé le 11 novembre. La défaite allemande
provoque par contrecoup la sécession des nationalités slaves de l'empire
austro-hongrois. Le parlement hongrois proclame la déchéance des
Habsbourg. Le 2 novembre, l'empereur est contraint de demander
l'armistice à l'Italie. Les milieux politiques le poussent à
l'abdication, mais il ne se reconnaît pas le droit de disposer d'une
autorité reçue de Dieu. Soumis à de harcelantes pressions, le 12, à
Vienne, il abandonne l'exercice du pouvoir, sans avoir abdiqué. Puis il
se retire au château d'Eckartsau, où il est aussitôt mis sous
surveillance policière. En mars 1919, la «république autrichienne»
proscrit Charles Ier, qui proteste contre la violence qui lui est faite
et réaffirme sa légitimité en face d'un pouvoir né de l'insurrection.
L'empereur et sa famille
s'installent à Prangins, près de Genève, en Suisse. De là, encouragé par
le Pape Benoît XV, Charles va s'efforcer de remonter sur le trône de
Hongrie. Peut-être pourra-t-il alors – c'est l'espoir du Saint-Père –
reformer une fédération d'États catholiques en Europe centrale. Le 25
mars 1921, Charles quitte la Suisse et se rend clandestinement en
Hongrie. L'amiral Horthy, chef de l'État depuis 1920, s'est intitulé
régent et se dit loyal envers son roi. D'origine calviniste, il est en
réalité athée et déteste la tradition catholique des Habsbourg. Le jour
de Pâques, à Budapest, Charles est reçu par Horthy qui tergiverse,
prétexte mille difficultés et fait tout pour ameuter les puissances
étrangères afin d'empêcher la restauration monarchique. Charles,
entre-temps, est tombé malade; ses partisans lui proposent de reprendre
le pouvoir par les armes, mais il refuse, pour éviter l'effusion du
sang. À bord d'un train spécial, il est ramené en Suisse manu
militari.
Un noble et ferme refus
Il se rend plusieurs fois
au monastère bénédictin de Disentis, où il cherche dans l'oraison la
force dont il a besoin. À l'occasion de ce séjour, l'empereur révèle à
deux moines que des personnalités haut placées en France et en Hongrie
lui ont promis de faciliter la restauration de la monarchie en Hongrie,
et même en Autriche, à condition qu'il «consente à introduire dans ses
États l'école neutre et le mariage civil avec son corollaire, le
divorce». Charles s'y est catégoriquement refusé. L'empereur n'a aucune
ambition personnelle mais, le jour de son sacre, il a fait le serment
devant Dieu et le peuple hongrois, de se dévouer au bien de ceux dont la
divine Providence lui a confié la direction. Il ne supporte pas de voir
ce pays livré à une coterie, tandis que le peuple vit dans la misère. Le
21 octobre 1921, en compagnie de l'impératrice Zita, Charles s'échappe
et prend un avion à Zurich. Il atterrit à l'ouest de la Hongrie et
marche vers Budapest, ralliant à sa cause les régiments qu'il rencontre.
Mais l'amiral Horthy, en faisant croire à l'armée que Charles est
l'otage de communistes tchèques, attaque les forces impériales. Charles
ordonne alors le cessez-le-feu. Séquestré, il refuse d'abdiquer, par
fidélité à son serment de roi couronné.
Les pays de l'Entente
jugent le Habsbourg indésirable et s'occupent eux-mêmes de son
expulsion. Le 31 octobre, Charles et Zita sont embarqués sur un bateau
britannique qui descend le cours du Danube jusqu'à la Mer Noire. Puis un
navire roumain les conduit à Constantinople. Ils ignorent ce que sont
devenus leurs enfants, restés en Suisse. Quand le capitaine du vaisseau
lui avoue qu'il est question de le transférer à Asunción, îlot perdu au
milieu de l'Atlantique-sud, Charles frémit et s'écrie: «Mais alors, nous
ne pourrions jamais revoir les enfants!» Cependant, il sourit bientôt et
dit d'une voix rassérénée: «Que je suis pusillanime! Ils ne peuvent nous
envoyer qu'à l'endroit choisi par Dieu». Le 19 novembre 1921, le navire
aborde à Funchal, capitale de l'île portugaise de Madère, qui sera – les
Anglais en ont décidé ainsi – le lieu d'exil de l'empereur déchu. Une
dotation annuelle a été prévue par les «Nations alliées» pour les
besoins de l'exilé, mais elle ne sera jamais versée. On croit Charles
riche, mais il est pauvre. Aussi doit-il chercher un logement peu
onéreux. Il choisit la villa Quinta, située à 600 mètres d'altitude,
mais ce choix s'avère malheureux: l'hiver, le climat y est insalubre à
cause du brouillard. Le 2 février 1922, après bien des difficultés, Zita
peut amener ses enfants à Madère.
«Le Seigneur fera ce
qu'il voudra»
Le Pape Benoît XV donne à
Charles la faculté d'avoir une chapelle domestique où demeure le
Saint-Sacrement, et d'y faire célébrer la Messe, précieuse consolation
pour lui. Dans les semaines qui suivent, l'ascension spirituelle de
Charles suscite l'admiration de son épouse. Apprenant que des bruits
malveillants courent sur sa mauvaise santé, l'empereur s'écrie: «Je ne
voudrais pas mourir ici»; mais aussitôt, il sourit et se reprend:
«Le Seigneur fera ce qu'il voudra». Il a de plus en plus le sentiment
que Dieu va lui demander d'offrir sa vie pour le salut de ses peuples et
il confie cette pensée à Zita, en ajoutant: «...et je le ferai!» Il n'y
a en lui aucune révolte contre les événements ou contre les personnes.
Un témoin dira: «Jamais il ne voulait apparaître martyr; jamais il n'a
condamné ceux qui l'ont trahi et si, devant lui, on en médisait, il
prenait leur défense».
Le 9 mars, l'empereur prend
froid après être monté à pied de Funchal à sa villa. Le 17, sa
température atteint 39° et il tousse. Le 21, il a 40° de fièvre et une
bronchite généralisée, qui dégénère en congestion pulmonaire. Charles
n'a pas encore 35 ans, mais il est moralement et physiquement affaibli
par les lourdes épreuves des années qui viennent de s'écouler. Au cours
des jours suivants, la pneumonie s'aggrave. Les derniers jours de
l'empereur sont ceux d'un saint. Malgré son extrême fatigue, il assiste
à la Messe célébrée quotidiennement dans sa chambre. Le 27 mars, il
demande à recevoir l'Extrême-Onction et fait une confession générale en
pleine lucidité. Il fait venir son fils aîné, Otto, qui n'a que neuf
ans: «Je veux qu'il soit témoin. Ce sera un exemple pour toute sa vie;
il faut qu'il sache ce que doit faire en pareil cas un roi, un
catholique, un homme». Le 29, Charles est victime de deux crises
cardiaques; en privé, il confie: «N'est-ce pas excellent d'avoir une
confiance illimitée dans le Sacré-Cœur? Sinon mon état serait
insupportable». Un peu plus tard, il déclare: «Je dois beaucoup
souffrir, afin que mes peuples puissent se retrouver tous ensemble». Le
samedi 1er avril, il veut prier, mais sa garde-malade lui conseille de
dormir. Il répond: «J'ai tant à prier!» Dans la matinée, son état
devient désespéré. Il peut cependant recevoir la Sainte Communion en
viatique. Le Saint-Sacrement est exposé dans la chambre du mourant qui
murmure: «J'offre ma vie en sacrifice pour mon peuple», puis: «Mon
Sauveur, que votre volonté soit faite!» À midi vingt-cinq, après avoir
dit «Jésus, Marie, Joseph», il rend le dernier soupir. L'empereur-roi
laisse derrière lui une veuve qui attend son huitième enfant.
Malgré l'échec apparent de
sa vie, Charles Ier a rendu un témoignage admirable de conformité à la
divine Providence dans le malheur. C'est pourquoi l'Église l'a proposé
en exemple par la béatification. On peut lui appliquer ce passage du
livre de la Sagesse: Les âmes des justes sont dans la main de Dieu,
et le tourment ne les atteindra pas. Aux yeux des insensés, ils
paraissent être morts; leur sortie de ce monde semble un malheur, et
leur départ du milieu de nous un anéantissement; mais ils sont dans la
paix... Après une légère peine, ils recevront une grande récompense; car
Dieu les a éprouvés, et les a trouvés dignes de lui (Sg 3, 1-5).
«Dès le début, l'empereur Charles conçut sa charge comme un service
saint de ses peuples. Sa préoccupation principale était de suivre
l'appel du chrétien à la sainteté même dans son action politique...
Qu'il soit un exemple pour nous tous, surtout pour ceux qui ont
aujourd'hui en Europe la responsabilité politique» (Jean-Paul II).
Dom Antoine Marie osb
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