Lettres
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LETTRE 51

CYPRIEN A CORNEILLE, SON FRERE, SALUT.

Nous attestons, frère très cher, que nous avons rendu et que nous rendons sans relâche les plus grandes actions de grâces à Dieu le Père tout-puissant et à son Christ le Seigneur et le Dieu de notre salut, de ce que l'Église est si bien protégée par le ciel, que son unité et sa sainteté ne sont altérées ni constamment ni complètement par l'obstination de l'hérésie perfide et perverse. Nous avons lu en effet votre lettre et ce nous a été une joie à tous et une grande allégresse d'apprendre que le prêtre Maximus, et Urbanus, tous les deux confesseurs, et avec eux Sidonius et Macarius, obéissant a une sainte inspiration de fidélité, sont revenus à l'Église catholique, c'est-à-dire que, renonçant à leur erreur et sortant de leur égarement schismatique ou plutôt hérétique, ils ont regagné la maison de l'unité et de la vérité. Ainsi le lieu même d'où ils s'étaient mis en marche pour la gloire les reverra revenir glorieux, et il ne serait pas dit que ceux qui avaient confessé le Christ abandonnaient ensuite son camp, ni que ceux-là succombaient dans une épreuve de fidélité à l'affection et a l'unité qu'une épreuve de force et de courage avait laissés debout. Et voici que leur gloire est entière, intacte et sans tache, voici que leur honneur de confesseur a recouvré sa virginité et son intégrité. Ils se sont éloignés des déserteurs et des fuyards; ils ont laissé là ceux qui sont traîtres à la foi et qui attaquent l'Église catholique. C'est à bon droit qu'à leur retour, comme vous l'écrivez, ils ont été accueillis avec grande joie par le clergé et par le peuple, par toute la communauté des frères; car, en voyant que leur gloire est conservée à ces confesseurs et qu'ils reviennent à l'unité, il n'y a personne qui ne s'estime associé à leur bonheur et co-participant de leur gloire.

Nous pouvons nous faire une idée de cette joie d'après nos propres sentiments. En effet, à la lecture de la lettre que vous nous avez envoyée pour nous parler de l'aveu fait par eux de leur erreur, tout ce qu'il y a de frères ici s'est réjoui, et a reçu avec la plus grande allégresse une nouvelle dont tout le monde avait à se féliciter : mais quelle n'a pas dû être la joie la même où l'heureux événement se produisait sous les yeux de tous ! Le Seigneur dit dans son évangile qu'il y a une très grande joie dans le ciel pour la conversion d'un pécheur. Combien plus grande est la joie et sur la terre tout à la fois et dans le ciel, pour le retour de confesseurs qui reviennent à l'Église de Dieu avec leur honneur et leur gloire, et qui frayent aux autres la voix du retour par l'autorité et l'encouragement de leur exemple. Ici, en effet, l'erreur avait déteint sur quelques-uns de nos frères, qui se disaient qu'en les suivant ils suivaient la communion de confesseurs Leur illusion leur étant ôtée, la lumière s'est répandue dans tous les coeurs, et l'on a vu qu'une Église catholique est une, et ne peut être ni scindée ni divisée. Personne désormais ne pourra se laisser prendre aux verbeuses affirmations d'un schismatique furieux, maintenant qu'il est établi que de bons et glorieux soldats du Christ n'ont pu être longtemps retenus hors de l'Église par des tromperies et des perfidies du dehors. Je souhaite, frère très cher, que vous vous portiez toujours bien.

LETTRE 52

CYPRIEN A SON FRERE CORNEILLE, SALUT.

Vous avez agi avec célérité tout à la fois et avec charité, frère très cher, en nous envoyant en toute hâte l'acolyte Nicéphorus [1], pour nous annoncer le glorieux sujet de joie que donne le retour des confesseurs, et pour nous armer pleinement contre les nouvelles et pernicieuses machinations dressées par Novatien et Novatus contre l'Église du Christ. La veille, la funeste faction de la perverse hérésie, perdue déjà elle-même et destinée à perdre ceux qui y feront adhésion, était venue ici; le lendemain Nicéphorus survint avec vos lettres. Grâce à elles, nous avons appris nous-même, et nous nous sommes mis à apprendre aux autres, et à leur faire connaître qu'Évaristus, d'évêque qu'il était auparavant, n'était même plus demeuré simple fidèle; qu'éloigné de son siège et de son peuple, et sorti de l'Église du Christ, il erre au loin en d'autres provinces, et qu'ayant fait personnellement naufrage dans la foi, il cherche à provoquer autour de lui des naufrages semblables; que Nicostratus aussi, ayant perdu son saint office de diacre, après avoir soustrait par un larcin sacrilège l'argent de l'Église, et refusé de rendre les dépôts des veuves et des orphelins, n'a pas tant cherché à venir en Afrique, qu'à fuir de Rome, épouvanté de ses rapines et de ses crimes infâmes. Et maintenant, loin de l'Église qu'il a désertée et qu'il fuit, comme si changer de pays c'était changer soi-même, il se vante encore et se proclame confesseur, alors qu'on ne peut être appelé ni être confesseur du Christ, du moment qu'on a renié l'Église du Christ. En effet quand l'apôtre Paul dit : "C'est pourquoi l'homme quittera son père et sa mère, et ils seront à deux une seule chair. Ce sacrement est grand : je dis, par rapport au Christ et à l'Église"; quand le bienheureux Apôtre dit cela, et de sa voix sainte atteste l'union du Christ et de l'Église, et les liens indissolubles qui les attachent l'un à l'autre, comment celui-là pourrait-il être avec le Christ, qui n'est pas avec l'Épouse du Christ, avec son Église ? Comment peut-il prendre sur lui de régir et gouverner l'Église, celui qui l'a volée et dépouillée ?

Quant à Novatus, vous n'aviez pas à nous en envoyer des nouvelles de là-bas, car c'est plutôt à nous de vous faire connaître ce Novatus tel qu'il est. Toujours avide de nouveautés, emporté par une avarice et une rapacité insatiables, plein d'une arrogance superbe, enflé d'un orgueil insensé, toujours défavorablement apprécié des évêques, toujours condamné par la voix de tous les pontifes comme hérétique et pervers, curieux toujours pour trahir, flatteur pour tromper, jamais fidèle pour aimer : c'est une torche, un brandon pour allumer les incendies de la discorde séditieuse, une trombe, une tempête pour causer des naufrages dans la foi, un fauteur de troubles, un adversaire de la tranquillité, un ennemi de la paix. Enfin, Novatus s'éloignant de vous, c'est-à-dire la tempête et la trombe s'éloignant, le calme se fit un peu là où vous êtes, et de glorieux et excellents confesseurs [2] qui, à son instigation, s'étaient éloignés de l'Église, lorsqu'il se fut éloigné de Rome revinrent à l'Église C'est le même Novatus qui chez nous alluma d'abord l'incendie de la discorde; qui sépara ici certains de nos frères de l'évêque; qui, en pleine persécution, devint lui-même parmi nous, pour ébranler les âmes des frères, comme une seconde persécution. C'est lui encore qui, par esprit d'opposition et de cabale, a fait, sans ma permission et à mon insu, un diacre de Felicissimus, son satellite; puis, passant à Rome, avec le souffle de tempête qu'il porte avec lui, il a provoqué chez vous des troubles de même espèce et aussi graves, détachant violemment du clergé une partie du peuple fidèle, et dans une fraternité où régnait l'union et l'amour réciproque, rompant le lien de la concorde. Naturellement, comme Rome en raison de son importance le doit emporter sur Carthage, il y a commis des méfaits plus importants et plus graves. Ici il avait fait un diacre contre l'Église : là-bas, c'est un évêque qu'il a fait. Qu'on ne s'en étonne point, quand il s'agit de gens de cette espèce. Les méchants se laissent toujours emporter à la fureur qui les égare, et puis, quand ils ont commis des crimes, le remords qui aiguillonne leur âme criminelle ne les laisse pas en repos. Ils ne peuvent rester dans l'Église de Dieu, eux qui n'ont observé la discipline divine et ecclésiastique ni dans leur conduite, ni dans leurs moeurs, dont la paix est absente. Les pupilles dépouillées, les veuves volées, les dépôts même de l'Église niés, réclament le châtiment que nous voyons dans ses fureurs. Il a laissé son père mourir de faim dans son quartier, et ensuite il ne lui a même point donné la sépulture. Il a frappé du talon sa femme au ventre, et lui a fait délivrer son fruit avant l'heure, causant ainsi un avortement parricide. Et il ose maintenant condamner les mains de ceux qui sacrifient, alors que ses pieds sont plus criminels puisqu'il s'en est servi pour tuer le fils qui allait lui naître !

Cette conscience de ses crimes lui inspirait des craintes depuis longtemps. Aussi tenait-il pour certain que non seulement il aurait à sortir du corps sacerdotal mais qu'il serait excommunié, et, à la requête instante des frères, le jour était imminent où nous allions avoir à instruire sa cause, si la persécution ne nous avait prévenus. Il l'a accueillie comme un moyen souhaité d'échapper à une condamnation, et de s'en épargner les ennuis, et il a causé ces désordres et ces troubles : de cette manière, lui qui devait être chassé de l'Église et excommunié, il devancerait par un départ volontaire le jugement des évêques : comme si c'était échapper à la peine que de prévenir la sentence !

Quant aux autres frères, que nous avons le regret de voir pris à ses pièges, nous faisons tous nos efforts pour qu'ils fuient la dangereuse compagnie de ce vieux routier, échappent aux filets qui leur sont tendus, et regagnent cette Église dont il a mérité d'être chassé de par Dieu. Nous espérons, avec l'Aide de Dieu et sa Miséricorde, qu'ils pourront revenir. Il n'y a en effet pour périr que ceux dont la perte est inévitable d'après ces paroles du Seigneur dans son évangile : "Toute plante qui n'aura pas été plantée par mon père qui est aux cieux sera arrachée." Celui qui n'est pas planté dans le champ des préceptes et enseignements de Dieu le Père, celui-là seul pourra s'éloigner de l'Église, seul il pourra rester dans la fureur avec les schismatiques et les hérétiques. Quant aux autres, la Miséricorde de Dieu le Père, la Bonté du Christ notre Seigneur, et notre patience les réuniront avec nous. Je souhaite, frère très cher, que vous vous portiez toujours bien.

LETTRE 53

A CYPRIEN LEUR FRERE MAXIMUS, URBANUS, SIDONIUS, MACARIUS, SALUT.

Nous sommes sûrs, frère très cher, que vous aussi vous vous réjouissez autant que nous de ce que, après avoir délibéré, cherchant avant tout les intérêts de l'Église et le bien de la paix, laissant tout le reste de côté et le réservant au jugement de Dieu, nous avons fait la paix avec Corneille notre évêque et avec tout le clergé. La joie de toute l'Église et le bon accueil de tous a salué cette démarche, comme notre lettre doit vous l'apprendre. Nous demandons à Dieu, frère très cher, que vous vous portiez bien durant de longues années.

LETTRE 54

CYPRIEN AU PRETRE MAXIME ET DE MEME A URBANUS, SIDONIUS, MACARIUS, SES FRERES, SALUT.

La lecture de la lettre [3] que vous m'avez adressée, frères très chers, au sujet de votre retour, de la paix retrouvée avec l'Église, et de votre rentrée dans la fraternité, m'a, je l'avoue, apporté autant de joie que j'en avais eu en apprenant votre confession glorieuse et en recevant avec allégresse la nouvelle des beaux exploits de milice spirituelle et céleste accomplis par vous. C'est là en effet encore une autre confession (et elle honore votre foi) de reconnaître qu'il n'y a qu'une Église, de ne point partager une erreur, ou plutôt une perversion étrangère, de regagner le camp d'où vous vous êtes mis en marche, d'où vous avez bondi de votre élan le plus vigoureux pour livrer le combat, pour terrasser l'ennemi. Il convenait en effet de rapporter les trophées, après la bataille, là où avant la bataille on avait revêtu les armes, de peur que ceux que le Christ avait préparés pour la glorieuse lutte, ne fussent pas avec leur gloire dans l'Église du Christ. En fait, vous avez tout à la fois tenu la ligne qui convenait à votre foi, en gardant, dans la paix du Seigneur, la loi de charité et d'indissoluble concorde et frayé aux autres, en marchant ainsi, la voie de l'amour et de la paix. Vous avez fait en sorte que la vérité de l'Église, et l'unité de l'évangile et du sacrement à laquelle nous nous tenions, fût, par votre adhésion, nouée d'un nouveau lien, et que des confesseurs du Christ ne devinssent pas des guides d'erreur, après avoir été des modèles de courage et d'honneur dignes de tous les éloges.

Dans quelle mesure les autres vous félicitent et triomphent avec vous chacun en particulier, je n'ai point à le savoir, mais moi, je déclare que je vous félicite vivement et que je triomphe plus que les autres de votre retour à la paix et à la charité. En toute simplicité, je dois vous faire connaître ce que j'avais dans le coeur. J'étais fortement peiné, et tourmenté de ne pouvoir communiquer avec ceux que j'avais une fois commencé à aimer. Échapper de prison pour vous laisser prendre par l'erreur schismatique et hérétique, c'était comme si votre gloire était restée dans la prison. L'honneur de votre nom semblait y être demeuré, puisque des soldats du Christ ne revenaient pas à l'Église au sortir de la prison, où ils étaient allés avec l'applaudissement et les félicitations de l'Église.

Sans doute il semble qu'il y ait de la zizanie dans le champ de l'Église, mais notre foi et notre charité ne doivent point en être empêchées, au point de nous faire quitter l'Église parce que nous y voyons de la zizanie. Nous devons seulement nous efforcer d'être du bon grain, afin que, quand on rentrera la moisson dans les greniers du Seigneur, nous recueillions le fruit de notre travail et de notre effort. L'Apôtre dit dans sa lettre : "Dans une grande maison, il n'y a pas seulement des vases d'or et d'argent, mais aussi de bois et de terre, les uns vases d'honneur, les autres vases d'ignominie". Pour nous, appliquons-nous à être un vase d'or ou d'argent. D'ailleurs briser les vases de terre n'est permis qu'à Dieu seul, et à celui à qui a été donnée la verge de fer. Le serviteur ne peut pas être plus grand que son maître, et personne ne s'arroge ce que le père attribue à son fils au point de croire qu'il puisse désormais porter la pelle et vanner dans l'aire, ou séparer du bon grain toute la zizanie au gré d'un jugement humain. C'est là une prétention orgueilleuse et la présomption sacrilège de furieux égarés. Certains, prenant sur eux d'aller plus loin que ne le demande une justice modérée, se mettent hors de l'Église. En s'élevant dans leurs pensées plus que de raison, ils sont aveuglés par l'orgueil qui les enfle, et perdent la lumière de la vérité. C'est pourquoi nous autres, usant de tempérament, regardant comme le Seigneur use de poids et mesures, songeant à la Bonté et à la Miséricorde de Dieu le Père, nous avons longtemps délibéré entre nous, et pesé dans une juste balance ce qu'il y avait à faire. Vous pourrez connaître tout cela à fond, en lisant les opuscules [4] que j'ai lus ici dernièrement, et que je vous ai fait transmettre à vous aussi pour lecture, comme le demandait notre affection réciproque. Il n'y manque, pour les lapsi, ni le blâme pour les reprendre, ni le remède pour les guérir. Mais de plus, autant que mon humble talent me l'a permis, j'ai mis en lumière l'unité de l'Église catholique, et cet opuscule, j'ai confiance qu'il vous plaît de plus en plus, puisque maintenant vous le lisez en l'approuvant et en l'aimant, vu que vous réalisez dans vos actes les paroles par nous écrites, vous qui êtes revenus à l'Église, dans l'unité de la charité et de la paix. Je souhaite, frères très chers, que vous vous portiez toujours bien.

LETTRE 55

CYPRIEN A SON FRERE ANTONIANUS, SALUT.

J'ai reçu votre première lettre, frère très cher, où restant en union de sentiments avec le collège des évêques et attaché à l'Église catholique, vous nous faisiez connaître que vous ne communiquiez point avec Novatien, mais que vous suiviez notre conseil et que vous étiez en communion avec Corneille, notre collègue dans l'épiscopat. Vous m'aviez aussi écrit de transmettre à Corneille une copie de la même lettre, afin que délivré de toute inquiétude, il sût bien que vous communiquiez avec lui, c'est-à-dire avec l'Église catholique.

Mais ensuite une autre lettre nous est venue de votre part par l'intermédiaire de Quintus notre collègue dans le sacerdoce, où j'ai remarqué que votre âme, ébranlée par les lettres de Novatien, commençait à chanceler. En effet, après avoir précédemment fixé fermement et votre résolution et votre adhésion, vous exprimiez dans la nouvelle lettre le désir de savoir quelle hérésie Novatien a introduite, et comment expliquer que Corneille communique avec Trofime et ceux qui ont sacrifié. A la vérité, si c'est une inquiétude de foi qui vous donne ce souci, si vous cherchez dans cet esprit la vérité, dans un cas douteux, il n'y a rien à redire à ce qu'une âme que la crainte divine préoccupe soit en proie à des doutes qui la tiennent en suspens.

Mais comme je vois qu'après le premier sentiment manifesté dans votre lettre, vous avez été ensuite remué par les lettres de Novatien, je pose en principe, frère très cher, tout d'abord ceci, que des hommes sérieux, qui ont été une fois solidement établis sur la pierre, ne se laissent pas ébranler, je ne dis pas par un souffle léger, mais même par un coup de vent ou un cyclone; autrement, leur esprit incertain et flottant au gré d'opinions variées, comme aux souffles de vents qui le viendraient battre, serait fréquemment agité, et changerait de résolution, non sans encourir quelque reproche de légèreté. Pour éviter que les lettres de Novatien produisent cet effet chez vous ou chez quelque autre, je vais, frère, répondre à votre désir et, brièvement, vous rendre compte des faits.

Et tout d'abord, puisque vous paraissez ému de ma conduite à moi aussi, je dois justifier devant vous ma personne et plaider ma cause. Je ne veux pas, en effet, qu'on pense que j'aie à la légère abandonné ma ligne de conduite, et que, après avoir d'abord, dans les premiers temps, soutenu la thèse de la rigueur évangélique, je me sois ensuite écarté de l'esprit de discipline et de sévérité que je montrais auparavant, pour estimer qu'il y ait lieu de donner à bon compte la paix à ceux qui ont souillé leur conscience par des billets, ou fait des sacrifices impies. Ni l'une ni l'autre ligne de conduite n'a été adoptée par moi sans que j'aie longtemps balancé le pour et le contre et bien pesé les raisons.

Au moment, en effet, où l'on avait encore les armes à la main et où la lutte glorieuse de la persécution était dans toute son ardeur, il fallait exciter de toutes ses forces, de toute sa vigueur, les soldats au combat; et surtout notre parole devait soulever comme une trompette les âmes des lapsi, non seulement pour leur faire suivre, dans la prière et les lamentations, la voie de la pénitence, mais encore, puisque l'occasion se présentait de retourner au combat et de retrouver le salut, pour les exciter, les provoquer à une confession ardente et à un martyre glorieux. Enfin, comme à propos de certains d'entre eux les prêtres et les diacres m'avaient écrit qu'ils manquaient de modération, et qu'ils montraient trop d'empressement à rentrer en communion, en leur répondant par une lettre qui existe encore, j'ajoutai ceci : "S'ils sont tant pressés, ce qu'ils demandent est en leur pouvoir, les circonstances leur fournissent plus qu'ils ne demandent; la lutte dure encore, des engagements ont lieu chaque jour. S'il a le repentir sincère et ferme de ce qu'il a fait, et que l'ardeur de la foi domine en lui, celui qui ne peut attendre le pardon peut mériter la couronne." Cependant, j'ai remis à plus tard le règlement du cas des lapsi : ainsi, quand la paix et la tranquillité nous seraient rendues, et que la Bonté divine aurait permis aux évêques de se rassembler, nous pourrions mettre en commun nos idées, et, en les comparant, décider de ce qu'il conviendrait de faire; si quelqu'un avant notre délibération, et la décision prise d'après cette délibération générale, avait la témérité de communiquer avec les lapsi, il serait excommunié.

J'ai écrit, dans le même sens, une lettre détaillée à Rome, au clergé qui était alors encore sans évêque, et aux confesseurs, le prêtre Maximus et les autres, qui se trouvaient alors en prison, et qui sont maintenant unis dans l'Église à Corneille. Que je leur aie écrit dans ce sens, c'est ce que vous pouvez voir d'après leur réponse. Ils ont en effet ceci dans leur lettre : "Cependant nous aimons, dans une affaire si importante, ce que vous avez dit vous-même, qu'il faut attendre d'abord que la paix soit rendue à l'Église, et alors en en délibérant avec les évêques, les prêtres, les diacres, les confesseurs et les laïcs non tombés, traiter l'affaire des lapsi." On ajoutait encore (et c'était Novatien qui l'écrivait, qui lisait à haute voix ce qu'il avait écrit, et le prêtre Moyse alors encore confesseur, maintenant martyr, y apposait sa signature) que les lapsi malades et sur le point de trépasser recevraient la paix. Ces lettres ont été envoyées dans le monde entier et portées à la connaissance de toutes les églises et de tous les frères.

Cependant, conformément aux résolutions antérieurement prises, quand l'ardeur de la persécution se fut assoupie, avec un grand nombre d'évêques que leur foi et la Protection de Dieu avait maintenus sains et saufs, nous nous sommes réunis [5]. Après avoir lu les textes de l'Écriture dans les deux sens, nous avons adopté, avec un sage tempérament, un moyen terme : d'une part, l'espérance de la communion ne serait point totalement refusée aux lapsi, de peur que le désespoir ne les portât davantage au mal, et que voyant l'Église fermée devant eux, ils ne suivissent le siècle pour vivre en païens; d'autre part, la sévérité évangélique ne serait pas non plus énervée par une admission en bloc et à la légère à la communion; mais plutôt la pénitence durerait longtemps; on invoquerait, avec le regret des fautes, la paternelle bonté, on examinerait les cas un à un, les intentions, les circonstances atténuantes, conformément au texte de l'opuscule, que, je crois, vous est parvenu, et où les points du règlement sont détaillés. Et, de peur que le nombre des évêques d'Afrique ne parût insuffisant, nous avons encore écrit à Rome sur ce sujet à Corneille, notre collègue, qui lui aussi a tenu un concile avec un grand nombre de collègues dans l'épiscopat, et traitant l'affaire avec le même sérieux et les mêmes ménagements, a adopté les mêmes solutions que nous.

Il était nécessaire de vous en écrire en ce moment, afin que vous sachiez bien que je n'ai rien fait à la légère, mais que, conformément à la teneur de mes lettres antérieures, j'ai remis toutes choses au jugement de notre concile. Je n'ai d'abord communiqué avec aucun des lapsi, alors qu'il y avait encore moyen pour le lapsus de recevoir, non seulement le pardon, mais encore la couronne. Mais, ensuite, comme le réclamaient la nécessité de l'accord avec mes collègues et l'intérêt qu'il y avait à rassembler nos frères dans l'unité, et à guérir ces blessures, j'ai cédé à la nécessité des temps et considéré le devoir d'aviser au salut d'un grand nombre. Et maintenant je ne m'écarte pas de ce qui a été une fois résolu dans notre concile d'un commun accord, quoique bien des gens mettent beaucoup de bruits en circulation, et que des mensonges contre les évêques de Dieu, sortis de la bouche du diable pour rompre l'union et l'unité de l'Église catholique, soient répandus partout. Quant à vous, il vous faut comme un bon frère, comme un évêque uni à ses collègues dans le sacerdoce, non point accueillir facilement les paroles des méchants et des apostats, mais peser les actes de vos collègues, hommes modérés et sérieux, en examinant notre conduite personnelle et la discipline que nous suivons.

J'en viens maintenant, frère très cher, à la personne de Corneille, notre collègue, afin qu'avec nous vous connaissiez Corneille, non pas d'après les mensonges de détracteurs malveillants, mais d'après le jugement de Dieu qui l'a fait évêque, et le témoignage de ses collègues dans l'épiscopat, qui, dans le monde entier, ont ratifié son élection d'un accord unanime. Eh bien (ce qui donne à notre cher Corneille, aux Yeux de Dieu, du Christ, de l'Église, de ses collègues, une recommandation si glorieuse), ce n'est pas lui qui est arrivé tout d'un coup à l'épiscopat; il a passé par tous les offices ecclésiastiques, servi plusieurs fois le Seigneur dans les divers emplois religieux, et n'est monté qu'en franchissant les degrés successifs au faîte sublime du sacerdoce. Quant à l'épiscopat lui-même, il ne l'a ni sollicité, ni voulu; il ne l'a pas envahi comme tel qu'enflent les fumées de l'orgueil; mais tranquille d'ailleurs et modeste, tel que sont d'ordinaire ceux qui sont choisis de Dieu pour cette dignité, fidèle à sa réserve virginale, à la discrétion d'une humilité qui lui est naturelle, et qu'il a entretenue, il n'a point fait violence à personne, comme certains, pour devenir évêque, mais plutôt il a souffert violence et n'a accepté l'épiscopat que contraint et forcé. Et il a été élu évêque par un grand nombre de nos collègues qui étaient alors dans la ville de Rome; et qui nous ont envoyé, au sujet de son ordination, des lettres qui sont à son honneur, qui font son éloge et même lui rendent un témoignage glorieux. Corneille a été élu évêque par le Jugement de Dieu et de son Christ, par le témoignage favorable de la presque unanimité des clercs, par l'accord avec eux de la portion du peuple fidèle qui était présente, par la communauté des évêques vénérables et des gens de bien, personne ne l'ayant été avant lui, la place de Fabianus [6], c'est-à-dire la place de Pierre et le siège épiscopal étant vacants. Ce siège étant occupé et son occupation appuyée de la Volonté de Dieu et de notre accord à tous, il est inévitable que qui voudrait être élu évêque soit hors de l'Église, et n'ait point l'ordination ecclésiastique, puisqu'il n'est plus dans le sein de l'unité. Celui-là, quel qu'il soit, il aura beau se faire valoir, enfler ses prétentions, c'est un profane, c'est un étranger, c'est un homme du dehors. Et là où il ne peut y avoir de second après le premier, celui qui a été créé après celui qui doit être seul n'est pas second, mais n'est rien.

L'épiscopat obtenu, non point par brigue, ni par violence, mais de par la Volonté de Dieu, qui fait les évêques, quelle vertu n'a-t-il point montrée dans l'épiscopat même, quelle force d'âme, quelle fermeté de foi, que nous devons d'un coeur droit reconnaître et louer ! Il a siégé sans peur sur le siège épiscopal, au temps où un tyran [7] ennemi des évêques de Dieu, jetait feu et flammes, et aurait plutôt supporté d'apprendre qu'un empereur rival s'élevait contre lui que de voir établir dans Rome même un évêque de Dieu. Ne doit-il pas, frère très cher, recevoir le plus haut témoignage de vertu et de foi, ne doit-il pas être rangé parmi les confesseurs et les martyrs glorieux celui qui est resté si longtemps sur son siège, attendant les bourreaux de son corps et les vengeurs d'un tyran furieux ? Ils venaient pourtant vers lui parce qu'il résistait à des édits sauvages et foulait aux pieds avec la vigueur d'une foi énergique la crainte des tourments et des supplices; ils venaient pour l'assaillir l'épée à la main, ou le crucifier ou le brûler, ou lui déchirer membres et viscères dans quelque nouvelle forme de torture. La Puissance et la Bonté du Seigneur qui le couvrait a protégé dans l'épiscopat celui qu'elle avait voulu évêque; mais pour Corneille, au point de vue du sacrifice de soi, et des craintes de danger à courir, il a souffert tout ce qu'il pouvait souffrir et il a le premier vaincu par ses vertus épiscopales un tyran vaincu depuis dans la guerre et par les armes [8].

Quant à certaines accusations déshonorantes malignement répandues contre lui, ne vous en étonnez pas, je vous prie, vous qui savez bien que ce fut toujours l'oeuvre du diable de déchirer par le mensonge les serviteurs de Dieu, de déconsidérer par de faux bruits une réputation honorable et de faire enfin que ceux à qui leur conscience rend un glorieux témoignage se voient noircis par les rumeurs du dehors. Mais sachez bien aussi que nos collègues ont fait une enquête et trouvé de la manière la plus certaine que non seulement il ne s'est point souillé en signant un billet, comme certains en font courir le bruit, mais qu'il n'a pas même entretenu avec des évêques ayant sacrifié aucun rapport de communion sacrilège, et qu'il n'a joint à nous que ceux-là dont la cause a été entendue et l'innocence reconnue.

Pour ce qui est de Trofime, au sujet duquel vous avez exprimé le désir d'avoir des explications, les choses ne sont pas telles que vous les ont présentées des rumeurs vagues ou des mensonges malveillants. Comme l'ont fait souvent nos prédécesseurs, notre frère a tenu compte de ce qu'imposaient les circonstances pour ramener nos frères séparés. Une grande partie du peuple fidèle s'était éloignée avec Trofime. Or, Trofime revenait à l'Église, il donnait satisfaction; il avouait, en demandant pardon, son erreur passée; il satisfaisait encore et montrait une humilité parfaite en ramenant à l'Église les frères qu'il en avait séparés. Aussi a-t-on écouté ses prières, et l'Église a reçu non pas tant Trofime lui-même qu'un très grand nombre de frères qui étaient avec Trofime et qui n'auraient point repris le chemin de l'Église, si Trofime n'avait été avec eux. A la suite d'un conseil tenu là-bas entre plusieurs collègues, on a admis Trofime, pour qui satisfaisaient le retour des frères et le salut rendu à un grand nombre. Trofime d'ailleurs n'a été admis à notre communion qu'à titre laïc, et non pas, quoi qu'aient pu vous en dire des écrits malveillants, avec la dignité épiscopale.

Quant à ce qu'on vous a aussi annoncé que Corneille communiquait couramment avec ceux qui ont sacrifié, c'est encore une invention des apostats. Ceux qui nous quittent ne peuvent pas plus dire du bien de nous que nous ne devons nous attendre nous-mêmes à plaire à ceux qui, ne craignant pas de nous déplaire et de s'élever contre l'Église en vrais rebelles, s'appliquant de toutes leurs forces à entraîner nos frères hors de l'Église. Par conséquent, ni à notre sujet, ni au sujet de Corneille, n'écoutez ni ne croyez facilement, frère très cher, tous les bruits que l'on fait courir.

Ceux qui sont attaqués par la maladie, on vient à leur secours, comme il a été convenu. Mais quand on est venu à leur secours, et qu'on leur a donné la paix, parce qu'ils étaient en péril, on ne peut pas tout de même les étrangler ou les étouffer, ou porter la main sur eux pour les forcer à mourir : comme si, parce qu'on donne la paix aux mourants, il fallait que tous ceux-là meurent qui ont reçu la paix ! Bien plutôt serait-ce une marque de la Bonté de Dieu et de sa Douceur paternelle que ceux qui ont reçu avec la paix un gage de vie fussent tenus à vivre de par la paix reçue. Par conséquent si, la paix reçue, Dieu donne un délai, personne ne doit faire un grief aux évêques, puisqu'on a une fois décidé qu'en cas de péril on devait venir au secours des frères. Et n'allez pas croire, frère très cher, comme quelques-uns le pensent,que les "libellatices" [9] doivent être mis sur le même pied que ceux qui ont sacrifié, puisque parmi ceux-là même qui ont sacrifié, il arrive souvent que les circonstances et les cas soient différents. En effet il n'y a pas à mettre sur un pied d'égalité celui qui de sa propre volonté s'est porté du premier coup au sacrifice abominable, et celui qui après avoir résisté et lutté longtemps n'est arrivé à l'acte déplorable que par nécessité; celui qui a livré et lui-même et les siens, et celui qui, allant seul au danger pour tous, a préservé sa femme, ses enfants et toute sa maison par une convention qui l'exposait seul; celui qui a poussé au crime ses locataires et ses amis, et celui qui a laissé tranquilles locataires et fermiers, qui a même reçu sous son toit et à son foyer des frères qui s'éloignaient bannis et fugitifs, offrant ainsi et présentant au Seigneur plusieurs âmes vivantes et saines, capables d'intercéder pour une seule âme blessée.

Puis donc qu'entre ceux mêmes qui ont sacrifié il y a de grandes différences de cas, quelle rigueur implacable, quelle amère dureté n'est-ce pas de confondre les "libellatices" avec ceux qui ont sacrifié, quand celui qui a reçu un billet tient ce langage : "J'avais lu, et la parole de l'évêque m'avait appris, qu'on ne devait pas sacrifier aux idoles, et qu'un serviteur de Dieu ne devait pas adorer de vaines images; c'est pour cela que, ne voulant pas faire ce qui n'était pas permis, l'occasion d'un billet s'étant présentée, que je n'aurais pas accepté sans cette occasion, je suis allé trouver le magistrat, ou je lui ai fait dire par un autre qui l'allait trouver, que j'étais chrétien, que je ne pouvais aller à l'autel du diable, que je donnais ce gage, pour éviter de faire ce qui n'est pas permis". Malgré cela, maintenant, celui qui a un billet sur la conscience, apprenant de nous qu'il n'aurait pas dû même l'accepter et que si sa main est pure, si sa bouche n'a pas contracté de souillure au contact de la nourriture funeste, sa conscience est souillée tout de même, il pleure en nous entendant, et se lamente. Il comprend la faute qu'il a commise, et moins coupable que trompé, il atteste que pour l'avenir il est armé maintenant et prêt.

Si nous repoussons leur pénitence, à eux qui ont quelque confiance que leur faute est excusable, aussitôt avec leurs femmes, avec leurs enfants, qu'ils avaient conservés indemnes, ils tombent dans l'hérésie ou le schisme auxquels le diable les invite et s'efforce de les entraîner. Et il sera écrit à côté de nos noms, au jour du jugement, que nous n'avons pas soigné la brebis blessée, et qu'à cause d'une qui était blessée, nous en avons perdu plusieurs qui étaient indemnes. Il nous sera rappelé que le Seigneur a laissé quatre-vingt-dix-neuf brebis bien portantes pour en chercher une seule qui s'était perdue et qui était épuisée de fatigue, et l'ayant retrouvée, l'a portée sur ses propres épaules, tandis que nous, non seulement nous ne courons pas après ceux qui sont fatigués, mais nous allons jusqu'à les repousser lorsqu'ils nous reviennent; et que, à l'heure où de faux prophètes ne cessent de ravager et de déchirer le troupeau du Christ, nous fournissons une occasion aux chiens et aux loups, et perdons par notre dureté et notre inhumanité ceux que n'a point perdus la rage des persécuteurs. Et alors, frère très cher, que deviendra la parole de l'Apôtre ; "Je m'applique à faire plaisir à tous en tout, ne cherchant pas ce qui m'est avantageux à moi, mais ce qui l'est a un grand nombre, afin qu'ils soient sauvés. Imitez-moi comme j'imite le Christ". Et encore : "Je me suis fait infirme avec les infirmes, afin de gagner les infirmes". Et encore : "Si un membre souffre, les autres membres souffrent avec lui; et si c'est dans la joie qu'est un membre, les autres membres sont dans la joie".

Autre est le point de vue des philosophes et des stoïciens, frère très cher. Ils disent que toutes les fautes sont égales, et qu'un homme sérieux ne doit pas facilement se laisser fléchir. Mais entre les chrétiens et les philosophes, il y a une très grande différence. Et puisque l'Apôtre dit : "Veillez à ce que personne ne vous emporte comme une proie par la philosophie et un enseignement trompeur", il faut éviter ce qui ne vient pas de la Bonté de Dieu, mais de la présomption d'une philosophie trop dure. Nous lisons dans les Écritures au sujet de Moyse : "Moyse fut un homme très doux". Et dans son évangile le Seigneur dit : "Soyez miséricordieux comme votre Père céleste a été miséricordieux à votre égard". Et encore : "Ce ne sont pas les bien portants qui ont besoin d'un médecin, mais ceux qui se portent mal". Quels soins peut-il donner celui qui dit : "Moi, je ne soigne que les gens bien portants, qui n'ont pas besoin de médecin". Notre assistance, nos soins, c'est à ceux qui sont blessés que nous les devons. Ne tenons pas pour morts, mais plutôt comme gisant par terre entre la mort et la vie, ceux que nous voyons que la persécution funeste a blessés. S'ils avaient entièrement péri, on ne verrait pas sortir encore de leurs rangs des confesseurs et des martyrs.

Mais comme ils ont en eux de quoi revenir à la pleine santé de la foi, par la pratique ultérieure de la pénitence, et que la pénitence fortifie la vertu et l'arme, - armement impossible, si on perd l'espérance, si écarté durement et cruellement de l'Église, on se tourne vers les païens et vers les oeuvres du siècle, si de l'Église d'où l'on est rejeté on passe à l'hérésie et au schisme, auquel cas se fît-on ensuite égorger pour le Nom du Christ on ne pourra plus, étant hors de l'Église, séparé de l'unité et de la charité, être couronné même dans la mort -; pour ces raisons, frère très cher, nous avons, après avoir examiné les cas séparément, résolu à l'égard des "libellatices", de les admettre provisoirement; à l'égard de ceux qui ont sacrifié, de venir à leur secours au moment de la mort, parce qu'il n'y a plus de confession aux enfers et que nous ne pouvons obliger à faire pénitence, si le fruit de la pénitence est enlevé. Si le combat vient avant la mort, il les trouvera fortifiés par nous, armés pour le combat; si le mal fait son oeuvre jusqu'au bout avant le combat, ils s'en vont avec la consolation d'être dans la paix et la communion de l'Église.

Nous n'empêchons point par un jugement préalable le Jugement du Seigneur et s'Il trouve pleine et suffisante la pénitence du pécheur, Il peut ratifier ce que nous avons décidé ici-bas. Si au contraire quelqu'un nous a trompés par une feinte pénitence, Dieu dont on ne se moque point, et qui voit le coeur de l'homme, jugera Lui-même de ce que nous n'avons pas bien pénétré, et le Seigneur réformera la sentence de ses serviteurs. Mais nous devons pourtant nous souvenir, frère, qu'il est écrit : "Le frère qui aide son frère sera glorifié" et que l'Apôtre aussi a dit : "Veillant chacun sur vous-même, de peur d'entrer vous aussi en tentation, portez le fardeau les uns des autres, et c'est ainsi que vous accomplirez la loi du Christ." Et ceci encore, qu'il met dans son épître pour rabattre les orgueilleux et briser leur superbe : "Et que celui qui croit être debout, craigne de tomber"; et en un autre endroit, il dit : "Qui êtes-vous pour juger le serviteur d'un autre ? C'est pour son maître qu'il est debout ou qu'il tombe. Or, il restera debout : Dieu est assez puissant pour le soutenir" . Jean aussi prouve que Jésus Christ notre Seigneur est notre avocat et intercède pour nos péchés : "Mes petits enfants, je vous écris ces choses afin que vous péchiez point; mais si quelqu'un pèche, nous avons pour avocat Jésus Christ le juste, et Il est une victime qui intercède pour nos péchés". - Et l'apôtre Paul a dit encore dans une de ses épîtres : "Si, alors que nous étions encore pécheurs, le Christ est mort pour nous, à combien plus forte raison, maintenant que nous avons été justifiés dans son Sang, serons-nous sauvés par Lui de la Colère divine".

Pensant à sa Bonté et à sa Clémence, nous ne devons pas être acerbes, ni durs, ni sans humanité, quand il s'agit d'encourager nos frères, mais plutôt souffrir avec ceux qui souffrent, pleurer avec ceux qui pleurent, et les relever autant que nous pouvons, en leur prêtant le secours et les consolations de notre affection. Il ne faut pas non plus nous montrer ni tellement implacables et opiniâtres à repousser leur pénitence, ni non plus relâchés et trop faciles à les admettre dans notre communion. Un de nos frères est étendu sur le sol, blessé dans le combat par l'adversaire. D'un côté le diable s'efforce d'achever celui qu'il a blessé, de l'autre le Christ exhorte celui qu'Il a racheté à ne point périr entièrement. Quel est des deux celui auprès de qui nous nous tenons, de quel côté sommes-nous ? Est-ce avec le diable, afin qu'il tue, et voyant notre frère gisant à demi mort, passons-nous, comme dans l'évangile le prêtre et le lévite ? Ou bien, comme des prêtres de Dieu et du Christ, suivant Dieu et le Christ dans son enseignement et dans sa pratique, enlevons-nous le blessé de la gueule du monstre ennemi pour le soigner et le réserver ensuite au jugement de Dieu ?

Et n'allez pas croire, frère très cher, que la vertu des frères diminue où que les martyres vont cesser parce qu'on aura adouci aux lapsi les rigueurs de la pénitence, et qu'on aura donné aux pénitents l'espoir de la paix. La force des fidèles reste immuable, et ceux qui craignent et aiment Dieu de tout leur coeur demeurent debout dans l'intégrité de leur courage. Aux adultères aussi nous accordons un temps de pénitence et nous leur donnons la paix. La virginité ne cesse pas pour cela dans l'Église et des fautes étrangères ne font pas défaillir les glorieuses résolutions de la continence. L'Église rayonne toute parée d'une couronne de vierges, la pudeur et la chasteté gardent le niveau de leur gloire, et parce qu'on accorde à un adultère la pénitence et le pardon, la vigueur de la continence n'en est pas pour cela énervée. C'est une chose en effet, d'attendre le pardon, une autre de parvenir à la gloire; une chose de ne sortir de prison qu'après avoir payé sa dette jusqu'au dernier quart d'as, et une autre de recevoir du premier coup la récompense de sa foi et de son courage; une chose de se laver de ses péchés par le tourment d'une longue souffrance et de se purifier en quelque sorte par le feu, et une autre de purifier son âme de tous ses péchés par le martyre; une chose enfin d'être en suspens en attendant la Sentence du Seigneur au jour du jugement, et une autre d'être tout de suite couronné par le Seigneur.

Parmi nos prédécesseurs certains évêques de cette province ont pensé qu'on ne devait pas donner la paix aux adultères, et qu'il fallait complètement exclure de la pénitence ceux qui avaient commis ce genre de faute. Ils ne se sont cependant pas séparés du collège de leurs frères dans l'épiscopat, et l'on n'a pas rompu l'unité de l'Église catholique par une dureté ou une sévérité opiniâtre, allant à ce point que, par la raison qu'on donnait la paix aux adultères, celui qui ne la donnait pas dût se séparer de l'Église. Pourvu que le lien de la concorde subsiste et que persévère la fidélité indissoluble à l'unité de l'Église catholique, chaque évêque règle lui-même ses actes et son administration comme il l'entend, sauf à en rendre compte au Seigneur.

Je m'étonne d'ailleurs que quelques-uns soient intransigeants au point de penser qu'on ne doive pas accorder la pénitence aux lapsi, ou qu'ils soient d'avis de refuser le pardon aux pénitents, quand il est écrit : "Souvenez-vous d'où vous êtes tombé, repentez-vous, et faites vos oeuvres d'auparavant." Cela est dit à quelqu'un qui manifestement est tombé, et que le Seigneur exhorte à se relever par des oeuvres de miséricorde car il est écrit : "L'aumône délivre de la mort", non à coup sûr de cette mort que le Sang du Christ a éteinte, de laquelle la grâce salutaire du baptême et de notre Rédempteur nous a délivrés, mais de celle que des fautes postérieures amènent insensiblement. De même, en un autre endroit, un temps pour la pénitence est donné, et à celui qui ne fait pas pénitence le Seigneur adresse des menaces : "J'ai, dit-il, contre vous bien des choses : vous laissez votre épouse, Jézabel, qui se dit prophétesse, enseigner et séduire mes serviteurs, se livrer au désordre des moeurs et manger des victimes offertes aux idoles. Je lui ai donné du temps pour faire pénitence et elle ne veut pas se repentir de ses désordres. Je vais la jeter sur un lit, et ceux qui se sont livrés au désordre avec elle, je les jetterai dans une grande tribulation, si elle ne fait pénitence de ses oeuvres". Dieu, à coup sûr, n'exhorterait pas ainsi à la pénitence, si ce n'était parce qu'Il promet le pardon aux pénitents. Et dans l'évangile : "Je vous le déclare, dit-Il, il y aura ainsi plus de joie dans le paradis, pour un pécheur qui fait pénitence que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui n'en ont pas besoin." En effet, pour qu'il ait écrit : "Dieu n'a point fait la mort et Il ne se réjouit pas de la perte de ceux qui vivaient", à coup sûr Celui qui ne veut pas que personne périsse souhaite que les pécheurs fassent pénitence, et que par la pénitence ils reviennent à la vie. Aussi le prophète Joël, à son tour, élève la voix et déclare : "Voici maintenant ce que dit le Seigneur, notre Dieu. Revenez à Moi de tout votre coeur" et, en même temps, avec des jeûnes, des larmes et en battant votre coulpe, déchirez vos coeurs, et non vos vêtements, et revenez au Seigneur, votre Dieu, qui est miséricordieux, bon, patient, plein de pitié, et prêt à changer de dispositions au sujet des maux qu'Il a envoyés". Dans les psaumes aussi nous voyons la Sévérité tout à la fois et la Bonté d'un Dieu qui menace et qui épargne, en même temps qui punit pour corriger, et, quand Il a corrigé, qui sauve. "Je visiterai, dit-Il, avec la verge leurs forfaits, et leurs crimes avec le fouet : pourtant Je ne retirerai pas ma Miséricorde de dessus leurs têtes".

Le Seigneur aussi dans son évangile, montrant la Bonté de Dieu le Père, dit : "Quel est l'homme qui, entendant son fils lui demander du pain, lui donnerait une pierre, ou qui, s'il lui demandait un poisson, lui présenterait un serpent ? Si donc vous, qui êtes méchants, savez faire à vos fils des dons qui sont bienfaisants, combien plus votre Père du ciel donnera-t-Il des biens à ceux qui les Lui demanderont ?". Le Seigneur compare ici un père selon la chair à la Bonté éternelle et infinie de Dieu le Père. Sur la terre ce méchant père, après avoir été gravement offensé par ce fils pécheur et pervers, le voyant ensuite se corriger, renoncer aux fautes qu'il commettait auparavant, revenir à une vie modeste et honnête et à la pratique de la vertu, où le ramènent les regrets de la pénitence, ce père se réjouit, il se félicite, et accueillant celui qu'il avait rejeté, laisse éclater sa joie paternelle, et le serre dans ses bras : combien plus, l'unique et vrai Père, bon, miséricordieux, tendre, que dis-je, la Bonté, la Miséricorde et la Tendresse même, se réjouit de voir la pénitence de ses fils; et loin de menacer de sa Colère ceux qui sont pénitents, ou de ses Châtiments ceux qui pleurent leur faute, et gémissent sur elle, leur promet au contraire son Indulgence et son Pardon. Aussi le Seigneur dans son évangile proclame-t-Il bienheureux ceux qui pleurent parce que celui qui pleure appelle la compassion, celui qui est obstiné et orgueilleux accumule sur lui la colère et les châtiments du jugement qui vient. Voilà pourquoi, frère très cher, ceux qui ne font pas pénitence, qui ne montrent pas qu'ils regrettent leur faute de tout leur coeur, et ne donnent pas des marques manifestes de leur désolation, nous avons estimé qu'il y avait lieu de leur refuser tout espoir de communion et de paix, au cas où ils imploreraient leur pardon étant malades et en péril de mort, parce que leur demande ne procède pas du regret de leur faute, mais de la pensée de la mort qui approche; et celui-là n'est pas digne d'être consolé au moment de la mort, qui n'a point pensé qu'il mourrait.

Pour ce qui est de Novatien, frère très cher, vous désirez savoir quelle hérésie il a introduite. Sachez d'abord que nous ne devons même pas être curieux de connaître ce qu'il enseigne, puisqu'il enseigne hors de l'Église. Quel que soit ce personnage, quelle que soit sa qualité, il n'est pas chrétien, n'étant pas dans l'Église du Christ. Il a beau se vanter, et exalter en termes orgueilleux sa science, ou son éloquence, n'ayant pas conservé la charité fraternelle, ni l'unité de la société chrétienne, il a perdu sa qualité antérieure. A moins qu'il ne soit encore un évêque à vos yeux, lui qui, alors qu'un évêque a été élu dans l'Église par seize évêques, s'efforce par la brigue de se faire donner un épiscopat adultère et étranger par des gens qui ont quitté l'Église ! Alors qu'il n'y a, de par l'institution du Christ, qu'une Église unique répandue en plusieurs membres dans le monde entier, un épiscopat unique représenté par une multiplicité d'évêques unis entre eux, il s'efforce, malgré l'enseignement de Dieu, malgré l'unité de l'Église dans la diversité de ses parties partout liées et adhérentes, de faire une église humaine ! Il envoie en un grand nombre de villes de nouveaux apôtres de son choix et jette les fondements d'une institution nouvelle. Alors que, depuis longtemps, dans toutes les provinces et dans chaque cité des évêques ont été ordonnés, d'âge avancé, de foi entière, trouvés fidèles dans l'épreuve, proscrits dans la persécution, il ose faire et mettre au-dessus d'eux d'autres évêques, qui sont de faux évêques - comme s'il pouvait faire faire le tour du monde aux nouvelles cabales de son opiniâtreté, ou rompre l'assemblage du corps de l'Église en y jetant ses germes de discorde ! Il ignore sans doute que les schismatiques sont toujours pleins d'ardeur dans les débuts, mais qu'ils ne peuvent pas prendre d'accroissement, ni développer leurs entreprises illégitimes, et qu'ils tombent tout d'un coup avec leur cabale perverse. Il ne pourrait d'ailleurs garder le pouvoir épiscopal, même nommé régulièrement, s'il en venait à rompre avec le corps de ses collègues et avec l'unité de l'Église, puisque l'Apôtre nous avertit de nous supporter les uns les autres, pour ne pas nous écarter de l'unité que Dieu a établie, et qu'il dit : " ... Vous supportant réciproquement avec charité, vous appliquant à garder l'unité de l'esprit par le lien de la paix". Celui donc qui n'observe ni l'unité de l'esprit, ni le lien de la paix, et se sépare de l'Église et du collège des évêques, ne peut avoir ni le pouvoir, ni l'honneur épiscopal, puisqu'il n'a voulu garder ni l'unité, ni la paix de l'épiscopat.

Et puis, quelle arrogance orgueilleuse, quel manque d'humilité et de douceur, quelle outrecuidante présomption, d'oser entreprendre ou de se croire capable de faire ce que le Seigneur n'a pas accordé aux apôtres eux-mêmes, de penser, dis-je, que l'on est capable de discerner la zizanie du blé, ou, comme si l'on avait été autorisé à porter le van et à nettoyer l'aire, d'entreprendre la séparation de la paille d'avec le froment ! Comment oser, lorsque l'Apôtre dit : "Dans une grande maison, il y a non seulement des vases d'or et d'argent, mais aussi de bois et de terre cuite", comment oser paraître choisir les vases d'or et d'argent, et mépriser, rejeter, condamner les vases de bois et de terre cuite, alors que c'est seulement au Jour du Seigneur que les vases de bois doivent être brûlés à la flamme du Feu divin, et les vases de terre cuite brisés par celui à qui a été remis la verge de fer ?

Au moins, si l'on s'établit scrutateur du coeur et des reins, qu'en tout on montre une justice égale, et puisqu'on sait qu'il est écrit : "Vous voilà guéri désormais, ne péchez plus, de peur qu'il ne vous arrive pire", que l'on éloigne d'auprès de soi et de sa compagnie les voleurs et les adultères, puisque le cas de l'adultère est beaucoup plus grave et plus mauvais que celui du libellatice. L'un, en effet, a péché contraint, l'autre, de son plein gré; l'un, estimant suffisant de ne point sacrifier, a été le jouet d'une erreur, l'autre s'emparant de l'épouse d'autrui, ou allant au lupanar, a souillé détestablement, dans la fange d'un cloaque, d'un bourbier populacier, un corps sanctifié et devenu le temple de Dieu, selon le mot de l'Apôtre : "Tout autre péché, que l'homme commet, n'intéresse pas le corps : celui qui commet l'adultère pèche contre son corps même". Pourtant à ceux-là aussi, on accorde la pénitence et le droit d'espérer satisfaire par leurs larmes, selon la parole du même apôtre : "Je crains qu'en arrivant auprès de vous je n'aie à pleurer un bon nombre de ceux qui ont péché antérieurement et n'ont point fait pénitence de leurs impuretés, fornications et turpitudes".

Que les nouveaux hérétiques ne se flattent point en disant qu'ils ne communiquent pas avec les idolâtres puisqu'il y a chez eux des adultères et des voleurs qui tombent sous l'accusation d'idolâtrie, selon la parole de l'Apôtre : "Sachez-le bien : aucun débauché, aucun impudique, aucun voleur, n'a part à l'héritage du royaume du Christ et de Dieu"; et encore : "Mortifiez vos membres terrestres, laissant là fornication, impureté, mauvais désirs, et cupidité, qui sont service des idoles, et pour lesquels vient la colère de Dieu". Car, puisque nos corps sont les membres du Christ, et que chacun de nous est temple de Dieu, quiconque déshonore par un usage adultère le temple de Dieu, déshonore Dieu, et quiconque en commettant des péchés fait la volonté du diable, sert les démons et les idoles. Les mauvaises actions ne procèdent pas, en effet, de l'Esprit saint, mais de l'inspiration de l'adversaire, et c'est de l'esprit impur que viennent les désirs qui font prendre parti contre Dieu, et servir le diable. Dès lors, s'ils disent qu'un fidèle est souillé par la faute d'un autre, et s'ils prétendent sérieusement que l'idolâtrie de celui qui pèche passe à celui qui ne pèche pas, ils ne peuvent, d'après leur propre parole, échapper à l'accusation d'idolâtrie, puisqu'il est établi par l'Apôtre que les adultères et les voleurs, avec lesquels ils communiquent, sont des idolâtres. Pour nous, suivant notre foi, et la forme donnée par l'enseignement divin, nous tenons pour vérité que la faute ne tient que celui-là même qui la commet, et qu'on ne peut pas être responsable pour un autre, vu que le Seigneur nous avertit en disant : "La justice du juste sera sur lui, et le crime du criminel sera sur lui"; et encore : "Les pères ne seront pas mis à mort pour les fils, ni les fils pour les pères. Personne ne mourra que pour sa propre faute". Nous en tenant à ce que nous lisons là, nous ne croyons pas que personne doive être forclos du fruit de la satisfaction et de l'espoir de la paix, sachant de par l'autorité même et les encouragements de Dieu attestés par l'Écriture divine que les pécheurs sont invités à faire pénitence, et que l'indulgence et le pardon ne sont pas refusés à ceux qui les demandent.

O dérision préjudiciable aux frères que l'on dépouille, ô piège à faire tomber des malheureux qui pleurent, ô enseignement vain et inopérant d'institution hérétique : exhorter à la pénitence pour satisfaire, et ôter à la satisfaction son efficacité médicinale, dire à nos frères : "Pleurez, versez des larmes, gémissez jours et nuits, et, pour laver et effacer votre faute, faites des oeuvres généreusement, fréquemment : après tout cela vous mourrez hors de l'Église. Vous ferez tout ce qui a rapport à la paix, mais cette paix que vous cherchez, vous ne l'aurez aucunement". Qui donc dans ces conditions ne périrait tout de suite ? Qui ne succomberait au seul désespoir ? Qui ne détournerait son coeur de la pensée de la pénitence ? Vous croyez qu'un paysan travaillera si vous lui dites : "Travaillez votre champ avec toute votre habileté d'agriculteur, apportez le plus grand soin à vos cultures, mais vous ne récolterez pas de moisson, vous ne ferez pas de vendange, vous ne retirerez rien de vos oliviers, vous ne cueillerez pas de fruits sur vos arbres". Ou encore c'est comme si vous conseilliez à quelqu'un de se rendre propriétaire de navires et d'en faire usage, en lui disant : "Achetez du bois des meilleures forêts, faites un bateau de chêne solide et choisi, gouvernail, amarres, voiles, ayez soin que rien ne manque à l'équipement et à l'armement du navire, mais quand vous aurez fait cela, renoncez à voir quelque avantage vous revenir de ses voyages et de ses courses".

C'est fermer d'avance et couper le chemin des regrets et la voie du repentir; c'est vouloir que, malgré le bon accueil que le Seigneur Dieu dans l'Écriture réserve à ceux qui reviennent à lui et se repentent [10], notre dureté et notre cruauté, en supprimant le fruit de la pénitence, suppriment la pénitence elle-même. Si nous trouvons que personne ne doit être empêché de faire pénitence, et que ceux qui prient le Seigneur de leur pardonner et implorent sa Miséricorde, peuvent, en raison de sa Miséricorde et de sa Bonté, être admis à la paix par les évêques, il y a lieu d'accueillir les gémissements de ceux qui pleurent, et de ne pas refuser à ceux qui ont regret de leur faute le fruit de la pénitence. Il n'y a plus de confession sous la terre et l'on n'y peut plus faire d'exomologèse. Donc ceux qui se repentent de tout coeur, et demandent à rentrer en communion doivent être admis provisoirement dans l'Église et y être réservés au Jugement de Dieu, qui devant venir à son Église y jugera ceux qu'Il y aura trouvés. Mais les apostats et les déserteurs, les adversaires et les ennemis, ceux qui émiettent l'Église de Dieu, même s'ils étaient mis à mort pour le Nom du Christ, ne peuvent selon l'Apôtre être admis à la paix de l'Église, attendu qu'ils n'ont conservé ni l'unité de l'esprit, ni celle du corps de l'Église.

Voila, frère très cher, en attendant, quelques points sur un grand nombre, que j'ai parcourus aussi brièvement que je l'ai pu, tout à la fois pour satisfaire à votre désir, et pour vous unir de plus en plus à notre collège et à notre corps. Mais si l'occasion et le moyen s'offrent à vous de venir auprès de nous, nous pourrons conférer davantage, et nous occuper plus pleinement et plus largement de ce qui peut favoriser la concorde salutaire. Je souhaite, frère très cher, que vous vous portiez toujours bien.

LETTRE 56

CYPRIEN A FORTUNATUS, AHYMNUS, OPTATUS, PRIVATIANUS, DONATULUS, SES FRERES, SALUT.

Vous m'avez écrit, frères très chers, que pendant votre séjour dans la ville de Capsa [11] pour l'ordination d'un évêque, des nouvelles vous avaient été apportées par Superius, notre frère et collègue, au sujet de nos frères Ninus, Clementianus et Plorus qui avaient été arrêtés pendant la persécution. En confessant le Nom du Seigneur ils avaient d'abord triomphé de la violence du magistrat et de l'assaut d'un peuple furieux. Soumis ensuite, devant le proconsul [12], à des peines plus graves, ils ont été domptés par la violence des tourments, et cédant à des supplices prolongés, ils ont déchu du haut degré de gloire où ils tendaient, dans la plénitude de leur force et de leur courage. Cependant après cette chute grave, non volontaire mais forcée, ils n'ont cessé depuis trois ans de faire pénitence. Vous avez cru devoir nous consulter pour savoir s'il était permis de les admettre dès maintenant à la communion.

A dire vrai, pour ce qui est de mon sentiment intime, je crois que la Miséricorde du Seigneur ne leur manquera pas. Il est établi, en effet, qu'ils ont été au combat, qu'ils ont confessé le Nom du Seigneur, vaincu la violence des magistrats et l'assaut d'un peuple furieux en y opposant une fidélité inébranlable, ils ont souffert l'emprisonnement, résisté longtemps au milieu des menaces du proconsul et des rugissements du peuple qui les entourait, aux supplices qui les déchiraient, et dont la répétition prolongée faisait un vrai crucifiement. Ainsi ce qui, au dernier moment, leur a été soustrait par l'infirmité de la chair, se trouve compensé par leurs précédents mérites, et c'est assez, je pense, pour de tels chrétiens d'avoir perdu leur gloire, sans que nous ayons à les exclure du pardon, et à les priver de la bonté paternelle et de notre communion. Nous estimons donc qu'il peut leur suffire d'avoir gémi pendant trois ans constamment et douloureusement, avec toutes les marques du repentir. Du moins, je ne crois pas que ce soit accorder la paix imprudemment et à la légère, que de l'accorder à ceux dont nous voyons que la bravoure antérieurement ne s'est pas dérobée à la lutte, et qui peuvent, si la bataille se livre de nouveau, recouvrer leur gloire. Puisque le Concile [13] a décidé que ceux qui font pénitence seront secourus en cas de danger causé par la maladie, et qu'on leur donnera la paix, ceux-là doivent à coup sûr passer d'adord, quand il s'agit de recevoir la paix, qui ne sont pas tombés par lâcheté, mais qui, ayant combattu et reçu des blessures, n'ont pu, à cause de la faiblesse de la chair, porter jusqu'au bout la couronne de leur confession glorieuse. Souhaitant de mourir, il ne leur fut pas donné d'être mis à mort, et les tortures, après tant de résistance, les meurtrirent jusqu'au moment où elles eurent, non point vaincu la foi qui est invincible, mais lassé la chair, qui est faible.

Cependant, puisque vous m'avez demandé de traiter de ce même objet à fond avec d'autres collègues, une chose si importante réclame, en effet, une étude plus approfondie et plus sérieuse, ou plusieurs mettent leurs lumières en commun. Mais, d'autre part, presque tous, en ce début des fêtes de Pâques, demeurent chez eux avec les frères. Quand donc ils auront satisfait au devoir de célébrer ces solennités, et seront venus auprès de moi, je m'en entretiendrai plus à fond avec chacun d'eux. De cette manière, nous prendrons un parti ferme et vous transmettrons un avis émanant de plusieurs évêques. Je souhaite, frères très chers, que vous vous portiez toujours bien.

LETTRE 57 [14]

CYPRIANUS, LIBERALIS, CALDONIUS, NICOMEDES, CAECICILIUS, JUNIUS, MARRUTIUS, FELIX, SUCCESSUS, FAUSTINUS, FORTUNATUS, VICTOR, SATURNINUS, UN AUTRE SATURNINUS, ROGATIANUS, TERTULLUS, LUCJANUS, SATTIUS, SECUNDINUS, UN AUTRE SATURNINUS, EUTYCHES, AMPLUS, UN AUTRE SATURNINUS, AURELIUS, PRISCUS, HERCULANEUS, VICTORICUS, QUINTUS, HONORATUS, MANTHANEUS, HORTENSIANUS, VERIANUS, JAMBUS, DONATUS, POMPONIUS, POLYCARPUS, DEMETRIUS, UN AUTRE DONATUS, PRIVATIANUS, FORTUNATUS, ROGATUS ET MONNULUS, A CORNEILLE LEUR FRERE, SALUT.

Nous avions décidé [15], frère très cher, après en avoir délibéré entre nous, que ceux qui, au cours des hostilités de la persécution, avaient été renversés par l'adversaire, feraient longtemps pénitence plénière; et que s'ils étaient mis en danger par le mauvais état de leur santé, ils recevraient la paix sous le coup de la mort. En effet, il n'eût pas été légitime - et la bonté paternelle, la Clémence de Dieu s'y serait <opposée - de fermer l'Église à ceux qui frappaient à la porte, ni de refuser a ceux qui pleuraient et demandaient pardon le secours des espérances salutaires, en les laissant partir vers le Seigneur sans la communion et la paix. Lui-même n'a-t-Il pas permis et réglé, que ce qui aurait été lié sur la terre serait aussi lié dans le ciel, et que là pourrait être pardonné ce qui l'aurait d'abord été ici dans l'Église ? Mais, de plus, nous voyons que le jour de nouvelles hostilités approche [16] ; des signes nombreux, continuels nous avertissent d'être armés, équipés pour la guerre que l'ennemi nous déclarer de préparer aussi par nos exhortations le peuple que Dieu a daigné nous confier, et de rassembler dans le camp du Seigneur tous les soldats sans exception qui demandent des armes et réclament le combat. Cédant donc à cette nécessité, nous avons été d'avis que ceux qui ne se sont pas éloignés de l'Église du Seigneur et qui n'ont pas cessé de faire pénitence, de pleurer et de demander pardon au Seigneur depuis le premier jour de leur chute, doivent recevoir la paix, et être armés et équipes pour le combat qui est imminent

Il faut, en effet, obéir aux signes et aux avertissements fondés; ainsi les pasteurs n'abandonneront pas leurs brebis au péril, mais plutôt tout le troupeau sera réuni, et les soldats du Seigneur armés pour les combats de la guerre spirituelle. C'était avec raison qu'on prolongeait plus longtemps la pénitence des repentants, en venant au secours des malades seulement au moment de la mort, quand régnaient le calme et la tranquillité qui permettaient de faire attendre les larmes de ceux qui pleuraient, et de ne venir à leur secours que tard, lorsque la maladie les mettait en danger de mort. Mais, maintenant, ce n'est pas à des infirmes, mais à des forts que la paix est nécessaire ; ce n'est pas à des mourants, mais à des vivants que la communion doit être rendue. De cette manière, ceux que nous excitons et animons au combat ne resteront pas sans armes et découverts, mais seront protégés par le Corps et le Sang du Christ; l'Eucharistie devant être une défense à ceux qui la reçoivent, ceux que nous voulons voir défendus contre l'adversaire seront munis du secours de la nourriture dominicale. Comment les instruire et les inviter à répandre leur sang en confessant le Nom du Christ, si nous leur refusons le Sang du Christ quand ils vont combattre ? Comment les rendre capables de boire à la coupe du martyre, si nous ne les admettons pas d'abord à boire dans l'Église la coupe du Seigneur en vertu du droit attaché à notre communion ?

Des distinctions doivent être faites, frère très cher. Ceux qui ont apostasié et qui, retournés au monde auquel ils avaient renoncé, y vivent en païens, ceux qui, transfuges passés à l'hérésie, prennent tous les jours contre l'Église des armes parricides, ne sauraient être traités comme ceux qui ne quittent pas le seuil de l'Église, implorant constamment et avec larmes les consolations de la paternelle bonté divine, déclarant être prêts pour le combat, et debout pour le Nom de leur Seigneur et pour leur salut. Dans les conjonctures présentes, nous donnons la paix non à ceux qui dorment, mais à ceux qui veillent; nous donnons la paix non pour qu'on vive dans les délices, mais sous les armes; nous donnons la paix non pour le repos, mais pour le combat. Si, conformément à ce que nous entendons dire et que nous souhaitons, ils restent vaillamment debout, et, avec nous, jettent par terre l'adversaire dans la lutte, nous n'avons pas de regret d'avoir donné la paix à de tels courages; bien mieux, c'est un grand honneur pour notre épiscopat et une gloire d'avoir donné la paix à des martyrs, puisque ainsi, en évêques qui célébrons quotidiennement le sacrifice divin, nous avons préparé à Dieu des victimes et des hosties. Si au contraire (que Dieu détourne ce malheur de nos frères !) quelqu'un des lapsi, nous trompe, demandant la paix hypocritement et au moment où la lutte menace, se faisant réadmettre dans notre communion sans être disposé à lutter, c'est lui-même qu'il trompe et qu'il joue, lui qui cache une chose dans son coeur et en a une autre sur les lèvres. Nous, autant qu'il nous est donné de voir et de juger, nous voyons l'extérieur de chacun; quant à sonder le coeur, et à pénétrer l'âme, nous ne le pouvons pas. De cela juge Celui qui sonde les choses cachées et qui en connaît . Il doit bientôt venir et juger des secrets et des mystères du coeur. Les méchants ne doivent pas faire tort aux bons, mais plutôt les bons rendre service aux méchants. Et la paix ne doit pas être refusée à ceux qui rendront témoignage au Christ parce qu'il y en a qui refuseront de le faire : la paix doit être donnée à tous ceux qui porteront les armes; autrement notre ignorance risquerait de laisser de côté tel ou tel qui doit être couronné au terme du combat.

Qu'on ne dise pas : "Celui qui supporte le martyre est baptisé dans son sang; il n'est pas nécessaire qu'il reçoive la paix de l'évêque, lui qui doit avoir la paix de sa gloire et obtenir une plus grande récompense du jugement favorable du Seigneur." D'abord celui-là ne peut pas être apte au martyre que l'Église n'arme pas pour le combat, et le coeur fait défaut que ne remonte pas, que n'enflamme pas la communion eucharistique. Le Seigneur dit dans son évangile : "Quand ils vous auront traduits devant les tribunaux, ne songez pas à ce que vous pourrez dire. Ce que vous aurez à dire vous sera donné à l'heure même. Ce n'est pas vous en effet qui parlez, mais l'Esprit de votre Père qui parle en vous". (Mt 10,19-20). Quand Il dit qu'en ceux qui, ayant été traduits, confessent le Nom du Christ, c'est l'Esprit du Père qui parle, comment celui-là pourra-t-il être trouvé prêt et apte à la confession qui n'a pas auparanant, en recevant la paix, recouvré l'esprit du Père, Lequel parle Lui-même pour confirmer ses serviteurs, et confesse en nos personnes. Puis, s'il laisse tous ses biens pour fuir, et qu'étant en un endroit caché et solitaire, il tombe entre les mains de brigands, ou meure de langueur et de fièvres, ne vous sera-t-il pas imputé à crime qu'un si bon soldat, qui a abandonné tout ce qu'il avait, et a négligé maison et parents ou enfants pour suivre le Seigneur, meure sans la paix et en dehors de la communion ? Est-ce qu'une accusation ou de négligence lâche ou de dureté cruelle ne sera pas portée contre nous les pasteurs, pour n'avoir voulu ni soigner pendant la paix, ni armer pendant la guerre, des ouailles à nous confiées et commises à nos soins ? Est-ce que le Seigneur ne nous adressera pas le reproche qu'Il crie par la bouche de son prophète : "Vous buvez le lait et vous vous revêtez de la laine; vous tuez les brebis grasses sans paître le troupeau; à ce qui était débile, vous n'avez pas cherché à rendre des forces, ni la santé à ce qui était malade; à ce qui était meurtri, vous n'avez pas appliqué de bandage; ce qui s'écartait, vous ne l'avez pas rappelé, et ce qui s'était perdu, vous ne l'avez pas recherché; ce qui était fort, vous l'avez accablé de fatigue, et mes brebis se sont dispersées, parce qu'il n'y a point de pasteurs, et elles sont devenues la proie de toutes les bêtes sauvages, et il n'y a eu personne pour aller à leur recherche, et les rappeler. En conséquence voici ce que dit le Seigneur : "Voici que je viens aux pasteurs; je leur redemanderai mes brebis et les leur retirerai des Mains, de manière qu'ils ne les paissent plus; désormais, ils n'en seront plus les pasteurs; J'arracherai mes brebis à leur bouche pour les paître Moi-même avec justice". (Ez 34,3-6 et 10,16).

Afin donc qu'à notre bouche, qui, en refusant la paix, montre plutôt la rigueur d'une cruauté humaine que la Bonté de la Paternité divine, les brebis à nous confiées ne soient point arrachées par le Seigneur, nous avons pris des résolutions, sous l'inspiration du saint Esprit. D'après les avertissements du Seigneur à nous donnés par des visions répétées et très claires, en raison de l'attaque de l'ennemi qui nous est annoncée et montrée comme imminente, nous avons décidé de rassembler dans le camp les soldats du Christ. et, chaque cas particulier examine, de donner la paix a ceux qui sont tombés dans le combat, ou plutôt de fournir des armes à ceux qui vont combattre. Nous espérons que la pensée de la Bonté du Père céleste vous fera approuver notre décision. Que si, parmi nos collègues il s'en trouve un pour penser qu'à l'approche de la lutte il ne faut pas donner la paix aux frères et aux soeurs, il rendra compte au Seigneur au jour du jugement, de ce qu'il montre ou de sévérité inopportune, ou de dureté inhumaine. Pour nous, conformément à ce que réclamait la foi, la charité, la sollicitude de l'heure, nous avons fait connaître ce que nous savions : que le jour de la lutte approchait, qu'un ennemi violent allait se lever contre nous, qu'un combat venait, non point tel que le précédent, mais beaucoup plus violent et plus acharne, que l'annonce nous en était faite fréquemment de la part de Dieu, que la Providence, la Bonté du Seigneur nous en donnait l'avis réitéré. De son Secours et de sa Bienveillance nous pouvons être assurés, nous qui avons confiance en Lui. Il annonce à ses soldats qu'il y aura bataille, il leur donnera, quand ils se battront, la victoire. Je souhaite, frère très cher, que vous vous portiez toujours bien.

LETTRE 58

CYPRIEN AUX FIDELES DE THIBARIS [17], SALUT.

J'avais pensé, mes frères très chers, et voulais, si les affaires et le temps le permettaient, aller en personne, selon le désir que fréquemment vous aviez exprimé, auprès de vous, pour encourager, vaille que vaille, votre communauté par mes paroles. Mais je suis tellement retenu par des affaires urgentes, qu'il ne m'est pas possible de m'éloigner beaucoup d'ici, ni de quitter longtemps, le peuple à la tête duquel nous a mis la divine Bonté : je vous envoie donc, en attendant, cette lettre à ma place. Recevant souvent des inspirations, avis que Dieu daigne nous envoyer, nous avons voulu porter à votre connaissance les inquiétudes que nous donnent ces avertissements. Vous devez donc savoir et tenir pour certain que la persécution est suspendue sur nos têtes, que ce jour vient, que la fin du monde et le temps de l'Antichrist approchent. Ainsi nous devons tous nous tenir près pour le combat, ne penser à rien qu'à la gloire de la vie éternelle et à sa couronne de la confession du Seigneur, sans nous imaginer, d'ailleurs, que ce qui vient est tel que ce qui est passé. Un combat plus sérieux et plus acharné est imminent  : les soldats du Christ doivent s'y préparer avec un robuste courage considérant que chaque jour le calice du sang du Christ leur est donné à boire, afin qu'ils soient en état de verser eux-mêmes leur sang pour le Christ. On veut en effet être trouvé avec le Christ, quand on reproduit ce que le Christ a enseigné et a fait, selon la parole de l'apôtre Jean : "Celui qui dit qu'il demeure dans le Christ, il doit marcher lui-même comme le Christ a marché". (Jn 2,6). De même l'apôtre Paul nous exhorte et nous instruit en disant : "Nous sommes les enfants de Dieu; si nous sommes ses enfants, nous sommes aussi ses héritiers et les cohéritiers du Christ, à condition que nous souffrions avec Lui pour être glorifiés avec Lui". (Rom 8,16-17).

C'est tout cela que nous devons considérer, afin que personne ne regrette rien du monde qui va périr, mais qu'on suive le Christ, qui vit éternellement, et fait vivre ses serviteurs qui ont foi en son Nom. Le temps vient, en effet, mes très chers, que le Seigneur a prédit depuis longtemps et dont Il nous a annoncé l'approche en disant : "Une heure viendra, où quiconque vous fera mourir croira honorer Dieu. Mais ils feront ainsi parce qu'ils n'ont connu ni mon Père ni Moi. Mais je vous ai dit ces choses, afin que, quand viendra leur heure, vous vous souveniez que Je vous l'ai prédite". (Jn 16,2-4). Que personne ne s'étonne que nous soyons assaillis de persécutions constantes, que des alarmes nous inquiètent sans cesse. Le Seigneur nous a prédit d'avance que cela aurait lieu à la fin des temps. Il nous a formés à notre service de soldats par l'enseignement et l'encouragement de sa parole. L'apôtre Pierre aussi nous a appris que les persécutions ont lieu afin que nous soyons éprouvés, et qu'à l'exemple des justes qui nous ont précédés, nous soyons, nous aussi, unis par la mort et la souffrance à la charité de Dieu. Il a mis, en effet, ceci dans son épître : "Mes très chers, ne vous étonnez pas de l'incendie qui s'allume peur vous, il a pour but de vous éprouver, et ne vous découragez pas comme s'il vous arrivait quelque chose d'extraordinaire. Mais toutes les fois que vous avez part aux Souffrances du Christ, réjouissez-vous, afin qu'à la manifestation de sa Gloire, vous tressailliez de joie. Si l'on vous outrage pour le Nom du Christ, vous êtes heureux, parce que le Nom du Seigneur, un Nom de majesté et de puissance, repose sur vous, et qu'il est par eux en blasphème, par vous en honneur." (Pi 4,12-14). Les apôtres n'ont fait que nous enseigner ce qu'ils avaient appris de l'enseignement dominical, et des instructions venues du ciel, le Seigneur Lui-même confirmant leur parole et disant : "Il n'est personne qui, abandonnant sa maison, son champ, ses parents, ses frères ou ses soeurs, ou son épouse pour le royaume de Dieu, ne reçoive sept fois autant dès ce monde et dans le siècle à venir la vie éternelle". (Lc 18,29-30). Et encore : "Heureux serez-vous, quand les hommes vous prendront en haine, vous écarteront, vous chasseront et maudiront votre nom à cause du Fils de l'homme. Réjouissez-vous ce jour-là et tressaillez d'allégresse car voici que votre récompense est grande dans le ciel". (Lc 6,22-23).

Le Seigneur a voulu que nous nous réjouissions et que nous tressaillions dans les persécutions, parce que quand les persécutions viennent, c'est alors que se donnent les couronnes de la foi, alors que font leurs preuves les soldats du Christ, alors que les cieux s'ouvrent aux martyrs. Nous ne nous sommes pas engagés dans la milice pour ne penser qu'à la paix, refuser le service et nous y dérober, quand le Seigneur, le Maître de l'humilité, de la patience, de la souffrance, a fourni Lui-même avant nous le même service. Ce qu'Il a enseigné, Il a commencé par le faire, et nous exhortant à souffrir, Il a auparavant souffert Lui-même pour nous. Ayons devant les yeux, frères très chers, que Celui que le Père a constitué seul juge, et qui viendra juger, a déjà fait connaître le sens dans lequel il jugera et conduira son enquête future. Il a prédit et proclamé qu'Il confesserait devant son Père ceux qui Le confesseraient et qu'Il renierait ceux qui Le renieraient. Si nous pouvions échapper à la mort, nous craindrions, à bon droit, de mourir. Mais puisqu'il est inévitable qu'un mortel meure, saisissons l'occasion que nous offre la divine promesse et la divine Bonté; subissons la mort, pour recevoir l'immortalité, et ne craignons pas d'être tués, puisqu'il est sur que quand on nous tue, on nous couronne.

Et que personne, frères très chers, en voyant le peuple de nos frères mis en fuite par la crainte de la persécution, et dispersé, ne se trouble de ne plus les trouver réunis, et de n'entendre plus les évêques les instruire. Nous ne pouvons être tous ensemble, nous qui n'avons pas le droit de donner la mort, et qui ne pouvons pas ne pas la recevoir. En ces jours, chacun de nos frères peut se trouver, provisoirement et par la force des circonstances, séparé, non d'esprit mais de corps, du troupeau : qu'il ne se laisse pas émouvoir par l'horreur de cet exil; où qu'il se trouve éloigné et caché, que la solitude ne l'épouvante pas. Il n'est pas seul celui que le Christ accompagne dans sa fuite; il n'est pas seul celui qui, conservant le temple de Dieu ou qu'il soit, n'est jamais sans Dieu. Et, si pendant qu'il fuit dans la solitude et la montagne, il est tué par un brigand, attaqué par un fauve, accablé par la faim, la soif, ou le froid, ou, si pendant qu'il se hâte sur les mers dans une navigation précipitée, la tempête et la tourmente le font périr dans les flots, le Christ a les yeux sur son soldat, où qu'il combatte; quand il meurt dans la persécution, pour l'honneur de son Nom, Il lui donne la récompense qu'Il a promis de donner au jour de la résurrection. La gloire du martyre n'est pas moindre de ne pas mourir publiquement et devant beaucoup de monde, quand la raison de mourir est de mourir pour le Christ. L'attestation du martyre est suffisante, quand il a pour témoin Celui-là même qui éprouve les martyrs, et les couronne.

Imitons, frères très chers, Abel le juste, qui inaugura le martyre en subissant le premier la mort pour la justice. Imitons Abraham, cet ami de Dieu, qui n'hésita pas à offrir de ses propres mains son fils comme victime, obéissant à Dieu avec une foi dévouée. Imitons les trois enfants, Ananias, Azarias, Misaël, qui, sans se laisser effrayer par leur âge, ni décourager par la captivité, lorsque la Judée eut été vaincue, et Jérusalem prise, vainquirent un roi dans son propre royaume par la vaillance de leur foi. Sommés d'adorer la statue qu'avait fait édifier le roi Nabuchodonosor, ils se montrèrent plus forts que les menaces du roi et que les flammes, faisant cette déclaration et attestant leur foi par ces paroles : "O roi Nabuchodonosor, il n'est pas besoin que nous vous répondions à ce sujet. Le Dieu que nous servons est assez puissant pour nous tirer de la fournaise ardente, et Il nous délivrera de vos mains. Et quand même cela ne serait pas, sachez que nous ne servons pas vos dieux, et que nous n'adorons pas la statue que vous avez fait élever". (Dan 3,16-18). Ils croyaient selon la foi, qu'ils pouvaient échapper, mais ils ajoutèrent "quand même cela ne serait pas", afin de faire savoir au roi qu'ils pouvaient aussi mourir pour le Dieu qu'ils honoraient. C'est là du courage et de la foi : croire et savoir que Dieu peut nous délivrer de la mort qui menace, et cependant ne pas craindre la mort et ne pas céder, pour donner une plus grande preuve de sa foi. La vigueur incorruptible et invincible de l'Esprit saint a éclaté par leur bouche et l'on voit la vérité de ce que le Seigneur a proclamé dans son évangile : "Quand on vous aura arrêtés, ne songez pas à ce que vous direz. Ce, que vous aurez à dire vous sera donné à l'heure même. Ce n'est pas vous, en effet, qui parlez, mais l'Esprit de votre Père qui parle en vous". (Mt 10,19-20). Il a dit que la manière dont nous devons parler et répondre nous sera donnée et suggérée par Dieu à l'heure même, et que ce n'est pas nous qui parlons, mais l'Esprit de Dieu notre Père. Ce Dieu ne S'éloigne point et ne Se sépare point de ceux qui Le confessent, c'est Lui même qui parle et qui est couronné en nous. Ainsi, encore, Daniel, comme on le sommait d'adorer l'idole de Bel, au moment où tout le peuple et le roi l'adoraient, voulant rendre honneur à son Dieu, éclata en paroles pleines de foi et de liberté : "Je n'honore que le Seigneur, mon Dieu, qui a créé le ciel et la terre". (Dan 14,4).

Dans l'histoire des Macchabées, les supplices douloureux des bienheureux martyrs, les tourments multiples des sept frères, et cette mère qui anime ses fils, et meurt elle-même avec eux, ne nous donnent-ils pas des exemples de grand courage et de grande foi ? Ne nous excitent-ils pas, par les souffrances qu'ils endurèrent, au triomphe du martyre. Et les prophètes à qui l'Esprit saint donna la connaissance de l'avenir, et les apôtres que le Seigneur avait choisis, est-ce que, en se laissant mettre à mort, ces justes ne nous apprennent pas à mourir à notre tour pour la justice ? La Naissance du Christ fut aussitôt marquée par des martyres d'enfants, ceux qui avaient deux ans et au-dessous étant égorgés à cause de son Nom. Un âge impropre au combat fut en état de conquérir la couronne. Pour qu'il fût bien établi que ceux-là sont innocents qui se font égorger pour le Christ, l'enfance innocente fut mise à mort à cause de son Nom. Il fut bien montré que personne n'est exempt de la persécution, lorsque meure des enfants de cet âge subirent le martyre. Combien le cas serait grave pour un serviteur portant le nom de chrétien de ne pas vouloir souffrir quand son Maître, le Christ, a souffert le premier; combien lâche pour nous de ne pas consentir à souffrir pour nos péchés, quand Lui, qui n'avait pas de péché propre, a souffert pour nous ! Le fils de Dieu a souffert pour faire de nous des fils de Dieu, et le fils de l'homme ne veut pas souffrir pour continuer d'être fils de Dieu ! Si nous sommes en proie à la haine du monde, le Fils de Dieu l'a éprouvée avant nous; si nous souffrons ici bas des outrages, l'exil, les tourments, l'Auteur, le Maître du monde a souffert un traitement pire encore; et Il nous le rappelle : "Si le monde, dit-Il, vous haït, souvenez-vous qu'il M'a haï d'abord. Si vous étiez du monde, le monde aimerait ce qui lui appartiendrait; mais, parce que vous n'êtes pas du monde, et que Je vous ai choisis et tirés du monde, c'est pour cela que le monde vous haït. Souvenez-vous de la parole que Je vous ai dite : Le serviteur n'est pas au-dessus de son maître. S'ils M'ont persécuté, ils vous persécuteront aussi". (Jn 15,18-20). Notre Maître et notre Dieu a fait tout ce qu'Il a enseigné, de telle façon que le disciple n'est pas excusable, qui reçoit un enseignement et ne fait pas ce qu'on lui enseigne.

Et que personne d'entre vous, frères très chers, ne se laisse tellement effrayer par la persécution qui s'annonce et la venue prochaine de l'Antichrist, qu'il ne trouve plus dans les exhortations évangéliques et les préceptes et les avertissements célestes, des armes contre tous les dangers. L'Antichrist vient, mais après lui vient le Christ. L'ennemi rôde et exerce ses ravages, mais le Seigneur le suit aussitôt et venge nos souffrances et nos blessures. L'adversaire se fâche et fait des menaces, mais il y a quelqu'un qui peut nous tirer de ses mains. Celui-là doit être craint, à la colère de qui personne ne peut échapper, comme il nous en avertit Lui-même : "Ne craignez pas, dit-Il, ceux qui peuvent tuer le corps, mais ne peuvent tuer l'âme. Redoutez plutôt celui qui peut tuer le corps et l'âme, en le jetant dans la géhenne". (Mt 10,28). Et encore : "Celui qui aime son âme la perdra, et celui qui hait son âme en ce monde, la sauvera pour la vie éternelle." (Jn 12,25). L'Apocalypse aussi nous met en garde et nous avertit : "Si quelqu'un adore la bête et son image, et en reçoit la marque sur son front et sur la main, il boira du vin de la Colère de Dieu mêlé dans la coupe de sa Colère; il sera puni par le feu et par le soufre sous les yeux des saints anges et de l'Agneau, et la fumée de leur supplice montera dans les siècles des siècles. Il n'aura point de repos le jour ni la nuit, celui qui adore la bête et son image". (Ap 14,9-11).

Pour concourir dans les épreuves agonistiques du siècle, on s'exerce, on s'entraîne, et l'on s'estime fort honoré si, sous les yeux du peuple et en présence de l'empereur, on a eu le bonheur de recevoir la couronne. Voici une épreuve sublime et magnifique, qu'honore l'attribution de la couronne céleste, où Dieu nous regarde combattre, et, étendant ses Regards sur ceux dont Il a daigné faire ses enfants, jouit du spectacle de notre lutte. Pendant que nous sommes martyrisés, et soutenons le combat de la foi, Dieu nous regarde, ses anges nous regardent, le Christ nous regarde. Quelle gloire pour nous, quelle heureuse fortune, d'avoir Dieu pour président de l'épreuve quand nous sommes aux prises, le Christ pour juge du combat quand nous sommes couronnés. Armons-nous, frères très chers, de toutes nos forces, et préparons-nous à la lutte, avec une âme incorruptible, une foi entière, un courage prêt au sacrifice. Que l'armée de Dieu sorte du camp et marche au combat qui nous est offert. Que ceux qui sont restés debout s'arment, afin que celui qui n'a point fléchi garde sa gloire tout entière. Que ceux qui sont tombés s'arment aussi, afin que le tombé recouvre ce qu'il a perdu. Que l'honneur anime les uns, la douleur les autres. Le bienheureux Apôtre nous apprend à nous armer et à nous préparer, quand il dit : "La lutte que nous avons à soutenir n'est point contre des êtres de chair et de sang, mais contre les puissances et les princes de ce monde et de ces ténèbres, contre les esprits de perversité répandus dans les airs. C'est pourquoi revêtez-vous d'une armure entière, afin que vous puissiez résister, au jour mauvais. Ainsi quand vous aurez achevé de vous armer, vous vous dresserez, les reins ceints de vérité, portant la cuirasse de justice, les pieds chaussés, tout prêts à aller annoncer l'évangile de la paix, prenant le bouclier de la foi pour éteindre les traits enflammés de l'ennemi, portant le casque du salut et le glaive de l'esprit, qui est la parole de Dieu." (Ep 6,12-17).

Prenons ces armes, revêtons-nous de ces défenses spirituelles et célestes, afin qu'au jour mauvais nous puissions résister aux menaces du diable, et lutter contre lui. Couvrons-nous de la cuirasse de justice, afin que notre poitrine soit armée et défendue contre les traits de l'ennemi, que l'enseignement évangélique soit pour nos pieds une armure défensive, afin, que quand le serpent sera foulé et écrasé, il ne puisse nous mordre ou nous faire tomber. Portons courageusement le bouclier de la foi, afin que sur lui s'émoussent les traits de l'ennemi. Prenons aussi pour en couvrir notre tête le casque spirituel, afin de protéger nos oreilles pour qu'elles n'écoutent point des édits funestes, de protéger nos yeux pour qu'ils se refusent à regarder des statues abominables, de protéger notre front pour que le signe de Dieu y soit gardé sans altération, de protéger notre bouche pour que notre langue confesse victorieusement le Seigneur son Dieu. Armons aussi notre main du glaive spirituel, afin qu'elle repousse avec mépris et sans peur, des sacrifices funestes, et que se souvenant de l'eucharistie où elle reçoit le Corps du Seigneur, elle s'attache à Lui pour recevoir ensuite de Lui la récompense des célestes couronnes.

Quel grand, quel beau jour, frères très chers, que celui où le Seigneur passera la revue de son peuple, et d'un regard divin examinera les mérites de chacun, ou Il enverra les méchants dans la géhenne, et condamnera aux flammes éternelles du feu vengeur ceux qui nous auront persécutés, tandis qu'à nous, Il nous paiera le prix de notre foi et de notre dévouement ! Quelle ne sera pas notre gloire et notre bonheur : être admis à voir Dieu, avoir l'honneur de participer aux joies du salut et de la lumière éternelle dans la compagnie du Christ le Seigneur notre Dieu, rencontrer Abraham, Isaac et Jacob, tous les patriarches, les apôtres, les prophètes, les martyrs, jouir au royaume des cieux dans la compagnie des justes et des amis de Dieu, des joies de l'immortalité acquise, y goûter "ce que l'oeil de l'homme n'a pas vu, ce que son oreille n'a pas entendu, ce que son coeur n'a point éprouvé" ! (1 Cor 2,9). Que nous devions recevoir plus que le juste prix de ce que nous faisons ou souffrons ici-bas, c'est ce que l'Apôtre proclame : "Les souffrances de ce temps ne sont pas comparables à la gloire à venir qui sera manifestée en nous." (Rom 8,18). Quand cette manifestation viendra, quand la gloire de Dieu brillera en nous. nous serons aussi heureux et charmés de l'honneur dont le Seigneur daignera nous combler, que resteront tristes et malheureux ceux qui, abandonnant Dieu ou se révoltent contre Lui, ont fait la volonté du diable, et doivent avec lui être torturés par un feu qui ne pourra s'éteindre.

Que ces pensées, frères très chers, soient bien fixées dans nos esprits. Que ce nous soit une préparation aux armes, un exercice de jour et de nuit, d'avoir devant les yeux, de nous représenter sans cesse, dans notre esprit et dans nos sens, les supplices des méchants, et les récompenses des justes, les peines dont le Seigneur menace ceux qui Le renient, et au contraire la gloire qu'Il promet à ceux qui confessent son Nom. Si le jour de la persécution nous trouve dans ces pensées et dans ces méditations, le soldat du Christ, instruit par ses enseignements et ses avertissements, n'a point peur du combat : il est prêt pour la couronne. Je souhaite, frères très chers, que vous vous portiez toujours bien.

LETTRE 59

CYPRIEN A CORNEILLE SON FRERE, SALUT.

J'ai lu, frère très cher, les lettres que vous m'avez envoyées par notre frère l'acolyte Saturus. Elles sont pleines d'affection fraternelle, d'esprit de discipline ecclésiastique, et de vigueur épiscopale. Vous m'y faites connaître que Felicissimus [18], ennemi du Christ non depuis peu, mais excommunié depuis longtemps a cause de ses crimes particulièrement nombreux et graves, et condamné par une sentence portée non seulement par moi, mais par un grand nombre de mes collègues dans l'épiscopat, a été rejeté par vous à Rome. Venu avec une troupe de factieux et de désespérés, il a trouvé devant lui cette plénitude de vigueur avec laquelle doivent agir des évêques, et vous l'avez chassé de l'Église, d'où il avait été depuis longtemps chassé avec ses semblables par le Dieu tout-puissant, et par le jugement de rigueur du Christ notre Seigneur et notre Juge. Il ne faut pas en effet que ce voleur de l'argent à lui confié, ce corrupteur de vierges, ce ravageur de tant de foyers, continue d'outrager de sa présence infamante, de son contact impur et honteux, l'épouse du Christ qui est pure, sainte et sans tache.

Malheureusement, mon frère, la lecture d'une autre correspondance que vous avez jointe a votre première lettre, m'a passablement étonnée. J'y ai remarque que les menaces et les moyens d'intimidation des gens qui sont allés à Rome ont fait sur vous quelque impression, parce qu'ils vous ont abordé, d'après ce que vous m'écrivez, en vous menaçant en furieux de lire publiquement les lettres qu'ils apportaient, si vous ne les receviez point, et de dire de moi mille choses infamantes, honteuses, dignes de leur bouche. Si les choses en sont à ce point, frère très cher, que l'on ait peur de l'audace des pires individus et que ce qu'ils ne peuvent obtenir par droit et justice, les méchants l'obtiennent par des menaces furieuses et désespérées, c'en est fait de la de la vigueur du gouvernement épiscopal, du pouvoir sublime et divin d'administrer l'Église. Nous ne pouvons pas plus longtemps demeurer chrétiens, si les choses en sont venues à ce point, que nous craignions les menaces ou les embûches de gens perdus de scélératesse. Les Gentils nous menacent, et les Juifs, et les hérétiques et tous ceux dont le diable possède les coeurs et les âmes; chaque jour leur rage se manifeste par des clameurs furieuses. Il ne faut cependant pas céder parce qu'ils menacent, ou bien c'est que l'adversaire et l'ennemi est plus grand que le Christ, puisqu'il exige tant et montre tant d'arrogance dans ce monde. Nous devons conserver, frère très cher, une foi inebanlable, et notre courage doit rester ferme, immobile, opposant à toutes les vagues et à tous les assauts des flots qui mugissent, la force et la stabilité d'un rocher. Il n'importe pas d'ou vient à un évêque la menace ou le danger, puisqu'il vit exposé aux dangers et aux menaces, et que cependant menaces et dangers lui sont une source de gloire. Ce ne sont pas seulement en effet aux menaces des Gentils et des Juifs que nous devons penser et nous attendre, quand notre Seigneur Lui-même a été arrêté par ses frères, et trahi par celui-là même qu'il avait choisi pour en faire un de ses apôtres ; quand nous voyons au commencement du monde le juste Abel assassiné par son frère, Jacob poursuivi par un frère acharné à sa perte, Joseph enfant vendu par ses frères; quand nous lisons aussi dans l'évangile cette prédiction que les gens de la maison en deviendront les ennemis, et que ceux dont les âmes étaient unies par un lien sacré se livreront les uns les autres. Peu importe qui livre ou persécute, quand c'est Dieu qui permet d'être livré et couronné. Ni pour nous ce n'est un déshonneur de souffrir de nos frères ce qu'a souffert Christ, ni pour eux ce n'est une gloire de faire ce qu'a fait Judas. Mais quelle est cette outrecuidance, quelle est, de la part de ceux qui font ces menaces, cette arrogance orgueilleuse et vaine, d'aller me menacer là-bas, quand ils m'ont ici présent à leur disposition. Les injures pour lesquelles ils se déchirent quotidiennement eux-mêmes ne nous effraient pas; les bâtons, les pierres, les glaives que ces parricides ont toujours à la bouche, ne nous font point trembler. Autant qu'il est en eux, ils sont homicides aux Yeux de Dieu. Ils ne peuvent cependant tuer que si Dieu leur permet de tuer. Nous ne devons mourir qu'une fois, et eux cependant, par leur haine, leurs paroles et leurs méfaits, ils nous mettent à mort tous les jours.

Mais, frère très cher, ce n'est pas une raison d'abandonner la discipline ecclésiastique, ou de nous relâcher de notre fermeté dans l'exercice de l'autorité épiscopale, parce que nous sommes en butte à des critiques ou soumis à des procédés d'intimidation. L'Écriture divine est la qui nous dit : "L'homme présomptueux et obstinés, l'homme qui se vante, ne gagnera rien, lui qui enfle son orgueil comme l'enfer." (Hab 2,5). Et encore : "Ne craignez pas les paroles du pécheur, car sa gloire se tournera en excréments et en vers. Il s'élèvera aujourd'hui et demain on ne le trouvera plus. Il sera retourné en sa poussière, et ses pensées se seront évanouies." (1 Mac 2,62-63). Et encore : "J'ai vu l'impie s'exalter et s'élever au-dessus des cèdres du Liban : je n'ai fait que passer, il n'était plus. Je l'ai cherché, et n'en ai plus trouvé la place". (Ps 36,35-36). La superbe, I'orgueil, la prétention arrogante et dédaigneuse, ne vient pas de l'enseignement du Christ,- Il recommande l'humilité -; elle naît de l'esprit de l'antichrist, à qui le Seigneur par son prophète adresse ce reproche : "Tu as dit en ton coeur : Je monterai au ciel, j'établirai mon séjour au-dessus des plus hautes étoiles, je siégerai sur une montagne au-dessus des hautes montagnes, vers l'Aquilon. Je monterai sur les nuées, je serai semblable au Très-Haut". (Is 14,13-16).). Et il ajoute : "Et toi, tu descendras aux enfers dans les fondements de la terre : et ceux qui te verront, s'étonneront de ton sort." L'Écriture divine en un autre endroit menace d'un châtiment pareil ceux qui ressemblent à cet orgueilleux : "Le Seigneur des armées a son jour contre l'insolent et l'orgueilleux, contre celui qui s'enfle et s'élève." (Is 2,12). Ainsi chacun se montre par son langage et ses paroles, et il découvre en parlant si c'est le Christ qu'il a au coeur, ou l'antichrist. C'est ce que le Seigneur dit dans son évangile : "Race de vipères, comment pourriez-vous dire des choses bonnes, étant mauvais ? ce qui sort de la bouche vient de l'abondance du coeur. L'homme bon tire de bonnes choses de son bon trésor, et l'homme mauvais de son mauvais trésor tire des choses mauvaises". (Mt 12,34-35). Aussi le riche pécheur qui implore le secours de Lazare reposant dans le sein d'Abraham et dans un lieu de rafraîchissement, tandis que lui-même en proie aux tourments est brûlé dans les flammes ardentes, est châtié surtout dans sa bouche et dans sa langue, parce que c'était surtout sa langue et sa bouche qui avaient péché.

Il est écrit : "Ceux qui injurient n'obtiendront pas le royaume de Dieu"; (1 Cor 6,10) et le Seigneur déclare dans son évangile : "Celui qui dira à son frère 'Insensé' et celui qui lui dira 'Raca' [19] sera passible de la géhenne de feu". (Mt 5,22). Comment dès lors ceux-là pourront-ils échapper à la Colère vengeresse du Seigneur qui accablent de tels outrages non seulement des frères, mais même des évêques, à qui Dieu daigne accorder tant d'honneur que quiconque refusait d'obéir à son prêtre, jugeant ici-bas pour un temps, était aussitôt mis à mort ? Dans le Deutéronome en effet, le Seigneur Dieu parle ainsi : "Tout homme qui agira orgueilleusement, n'écoutant point le prêtre ou le juge qui sera en fonction en ces jours-là, sera mis à mort, et tout le peuple qui le saura sera saisi de frayeur, et ils ne se comporteront plus en impies à l'avenir". (Dt 17,12-13). De même parlant à Samuel, objet du mépris des Juifs, le Seigneur dit : "Ce n'est pas vous qu'ils ont méprisé, mais c'est Moi qu'ils ont méprisé"; (1 Sam 8,7) et le Seigneur dit encore dans son évangile : "Celui qui vous écoute, M'écoute, et celui qui M'a envoyé, et celui qui vous rejette Me rejette, et celui qui m'a envoyé". (Lc 10,16). Quand Il eut guéri le lépreux : "Va, lui dit-il, et montre-toi au prêtre". (Mt 8,4). Et plus tard, au temps de sa passion, un serviteur du grand-prêtre lui ayant donné un soufflet en lui disant : "C'est ainsi que vous répondez au pontife !" Il ne répondit pas une parole violente à l'adresse du pontife, et n'enleva rien à l'honneur sacerdotal, mais affirmant et montrant davantage son innocence : "Si J'ai mal parlé, dit-Il, reprochez-moi ce que j'ai dit de mal; et si J'ai bien parlé, pourquoi Me frappez-vous ?" (Jn 18,22-23). De même plus tard, dans les Actes des Apôtres, le bienheureux apôtre Paul, à qui l'on venait de dire : "C'est ainsi que vous vous emportez en outrages contre le Grand prêtre", quoique depuis le crucifiement du Seigneur ces prêtres-là fussent devenus des sacrilèges, des impies, des meurtriers, et qu'ils n'eussent plus rien de l'honneur et de l'autorité sacerdotale, cependant, pensant qu'il y avait encore en celui-là le nom, quoique vain, et comme une ombre, de grand-prêtre, Paul lui répondit : "Je ne savais pas, mes frères, qu'il fût pontife. Il est écrit en effet : 'Tu n'outrageras point un prince de ton peuple'." (Ac 23,4-5).

Quand il y a de tels exemples, et beaucoup d'autres de même nature, par où Dieu daigne affirmer l'autorité et la puissance épiscopale, que pensez-vous que soient ceux qui, se faisant les ennemis des évêques, et se mettant en révolte contre l'Église catholique, ne se laissent toucher ni par les menaces de Dieu qui nous avertit, ni par les rigueurs vengeresses du jugement qui doit venir ? Jamais en effet les hérésies n'ont surgi d'ailleurs, jamais les schismes n'ont eu une autre source : c'est toujours qu'on n'obéit pas à l'évêque de Dieu, que l'on ne songe plus qu'il n'y a dans l'Église qu'un évêque, qu'un juge, tenant pour un temps la place du Christ. Si, conformément aux enseignements divines toute la communauté des frères lui obéissait, personne ne remuerait d'intrigues contre le sentiment du collège des évêques, personne n'oserait, après le jugement de Dieu, I'approbation du peuple, l'accord des évêques, s'établir juge non des évêques, mais de Dieu; personne ne déchirerait l'Église en rompant le lien de l'unité; personne n'aurait assez de suffisance et d'orgueil pour s'en aller au dehors fonder une nouvelle secte séparée : à moins que quelqu'un n'ait une témérité si sacrilège, un tel égarement d'esprit, qu'il pense pouvoir se passer du jugement de Dieu pour devenir évêque, alors que le Seigneur dit dans son évangile : "Est-ce qu'on n'a pas deux passereaux pour une obole ? et pourtant aucun d'eux ne tombe à terre sans la volonté de votre Père." (Mt 10,29). Quand Il déclare que les choses les moins importantes n'arrivent pas sans que Dieu le veuille, quelqu'un peut-il penser que les plus hautes et les plus grandes se font dans l'Église de Dieu sans que Dieu le sache ou le permette ? Et ses évêques c'est-a-dire ses intendants, seront-ils établis sans son ordre ? C'est n'avoir point la foi dont nous vivons, c'est ne pas rendre honneur à Dieu, souverain de toutes choses. Assurément des évêques se font sans la volonté de Dieu, mais ce sont ceux qui se font hors de l'église, ceux qui se font contre l'ordre et l'enseignement évangélique, comme le Seigneur Lui-même l'établit en disant dans les Douze Prophètes : "Ils se font un roi, et ce n'est point par moi". (Os 8,4). Et encore : "Leurs sacrifices sont comme un pain de deuil : tous ceux qui en mangent, seront souillés". (Os 9,4). Et par la bouche d'Isaïe aussi l'Esprit saint fait cette déclaration : "Malheur à vous, enfants rebelles. Voici ce que dit le Seigneur : Vous avez tenu conseil sans Moi; vous avez fait une convention sans mon Inspiration; vous accumulez péché sur péché." (Is 30,1).

Au surplus - je le dis, parce que j'y suis provoqué, je le dis avec douleur, je le dis parce que j'y suis forcé - quand un évêque est élu à la place d'un évêque décédé, quand il est choisi en une période de paix par le suffrage du peuple tout entier, quand il est protégé par le secours de Dieu en temps de persécution, uni d'ailleurs dans une même foi avec tous ses collègues, apprécié du peuple durant quatre ans d'épiscopat, aux jours de calme tout entier au service de la discipline, aux jours de tempête porté sur les listes de proscription avec sa qualité d'évêque jointe à son nom, plusieurs fois réclamé pour être exposé au lion dans le cirque, honoré d'un témoignage de Dieu dans l'amphithéâtre, réclamé de nouveau pour le lion par la clameur populaire à l'occasion de sacrifices qu'un édit affiché ordonnait à la population dans les jours même où, j'écrivais cette lettre : Quand un tel évêque, dis-je, frère très cher, est vu en butte aux attaques de quelques désespérés et égarés qui sont hors de l'Église, on sait qui attaque, et que ce n'est pas le Christ, Lui qui établit ou protège les évêques, mais celui qui, étant l'adversaire du Christ et l'ennemi de son Église, ne poursuit un évêque mis à la tête de l'Église que pour pouvoir, en enlevant le pilote, travailler avec plus d'acharnement et de violence à provoquer le naufrage de l'Église elle-même.

Aucun chrétien qui se souvient de l'évangile et retient les recommandations de l'Apôtre, qui nous a prévenus, ne doit se laisser émouvoir, frère très cher, si, à la fin des temps, certains hommes orgueilleux, rebelles et ennemis des évêques de Dieu, ou bien s'éloignent de l'Église, ou bien travaillent contre elle : le Seigneur et ses apôtres ont prédit qu'il y aurait de telles gens à notre époque. Et que l'on ne s'étonne pas que le serviteur établi sur la famille du Maître, soit abandonné de certaines personnes, quand le Maître Lui-même, qui faisait les plus grandes merveilles, et donnait à la Puissance de Dieu son Père le témoignage de ses oeuvres, a été abandonné par ses disciples. Et pourtant, il n'a pas, Lui, fait des reproches ou de graves menaces à ceux qui s'éloignaient, mais se tournant vers ses apôtres, il leur a dit : "Est-ce que vous aussi, vous voulez vous en aller ?" Il a respecté la loi d'après laquelle l'homme, laissé à sa volonté et à son libre arbitre, se porte de lui-même ou à la mort ou au salut. Pierre cependant, sur qui l'Église avait été bâtie par le même Christ, parlant de lui seul pour tous et répondant par la voix de l'Église, lui dit : "A qui irions-nous ? Tu as la parole de la vie éternelle; et nous croyons et nous savons que tu es le Christ, Fils du Dieu vivant". (Jn 6,67-69). Il veut faire entendre que ceux qui s'éloignent du Christ périssent par leur faute; mais que l'Église qui croit au Christ, et qui reste fidèle à ce qu'elle sait, ne s'éloigne jamais de Lui; il montre que ceux-là sont l'Église qui demeurent dans l'Église de Dieu, tandis que ces autres ne représentent pas une plantation faite par le Père, que l'on voit non pas rester en place comme le blé, mais s'agiter au souffle de l'ennemi comme la paille que le vent emporte. C'est d'eux que Jean dit, dans son épître : "Ils se sont séparés de nous, mais ils n'étaient pas des nôtres; s'ils avaient été des nôtres, ils seraient restés avec nous". (Jn 2,19). De même Paul nous avertit de ne pas nous émouvoir lorsque des méchants s'en vont de l'Église, et de ne point avoir une foi moins vive quand des mécréants s'éloignent : "Eh quoi, dit-il, si quelques-uns d'entre eux sont devenus infidèles, est-ce que leur incrédulité a anéanti la Fidélité de Dieu ? Écartons cette pensée : car Dieu est véridique, et tout homme est menteur". (Rom 3,3-4).

Quant à nous, frère, notre devoir est de donner nos soins à ce que personne ne s'éloigne de l'Église par notre faute; mais si quelqu'un s'en écarte de son propre mouvement et par une faute personnelle, et refuse ensuite de faire pénitence et de revenir à l'église, nous pouvons croire qu'au jour du jugement nous ne serons pas déclarés coupables, nous qui avons cherché à lui garder la santé, et que ceux-là seuls resteront soumis aux châtiments qui n'auront pas voulu suivre nos salutaires conseils, et guérir. Les outrages de ces pervers ne doivent point nous troubler, ni nous empêcher de rester attachés à la règle droite et sûre, puisque l'Apôtre aussi nous instruit en disant : "si je cherchais à plaire aux hommes, je ne serais pas serviteur du Christ". (Gal 1,10). Il faut voir si nous voulons servir les hommes ou Dieu. Si l'on plaît aux hommes, le Seigneur est offensé. Si au contraire nous faisons tous nos efforts pour plaire à Dieu, nous devons dédaigner les outrages et les attaques des hommes.

Je ne vous ai pas, frère très cher, écrit immédiatement au sujet de Fortunatus, ce pseudo-évêque institué par quelques hérétiques opiniâtres. C'est que l'affaire n'était pas telle qu'elle dût être portée en hâte à votre connaissance, comme si elle avait été importante et redoutable; aussi bien vous connaissiez assez ce Fortunatus, un des cinq prêtres sortis de l'Église, et excommuniés récemment par une sentence de personnages nombreux et graves, mes collègues dans l'épiscopat, qui vous en ont écrit l'année dernière. De même vous deviez connaître Felicissimus, le porte-drapeau de la révolte, dont le nom aussi se trouve dans les lettres que nous envoyèrent jadis nos collègues. Il n'a pas été seulement excommunié ici par ces évêques, mais encore il a été récemment chassé par vous de l'Église, à Rome. Je me dis que tout cela était connu de vous, j'étais sûr que votre mémoire et votre sens de la discipline n'en oubliait rien : je n'ai donc pas jugé qu'il fallût, en hâte et d'urgence, vous annoncer ces folies d'hérétiques. Il n'est pas de la dignité de la noble Église catholique de s'occuper de ce que les hérétiques et les schismatiques font de mal chez eux. On dit en effet que le parti de Novatien s'est fait un pseudo-évêque du prêtre Maximus que Novatien nous avait jadis envoyé comme son représentant, et que nous avions rejeté de notre communion. Je ne vous avais pas cependant écrit ces nouvelles, car nous n'en faisons pas de cas, et, d'autre part, je vous avais tout récemment envoyé la liste des évêques d'ici, qui sont à la tête de nos frères, et que l'hérésie n'a point entamés. Nous avons décidé d'un commun avis de vous envoyer cette liste, afin de vous fournir un moyen abrégé de déjouer l'erreur, de voir nettement la vérité, et de vous faire connaître, à vous et à vos collègues, quels sont ceux à qui vous devez-écrire et de qui vous devez recevoir des lettres. De cette manière si quelqu'un, en dehors de ceux dont notre liste renferme les noms, osait vous écrire, vous saurez bien qu'il s'est souillé d'un sacrifice ou d'un billet ou qu'il fait partie des hérétiques, c'est-à-dire que c'est un dévoyé et un profane. Ayant cependant l'occasion d'un clerc de mon intimité dans la personne de l'acolyle Felicianus que vous aviez envoyé avec notre collègue Perseus, j'ai mis dans la lettre que je lui confiais, entre autres choses dont je devais vous informer, un mot sur ce Fortunatus. Mais notre frère Felicianus dut retarder son départ tant à cause du vent que parce que nous devions lui remettre d'autres lettres, et Felicissimus se hâtant d'aller vers vous, l'a prévenu. Ainsi toujours les scélérats se pressent, comme si leur hâte pouvait prévaloir contre l'innocence.

Je vous mandais donc, frère, par Felicianus qu'on avait vu arriver à Carthage, Privatus [20], un hérétique de vieille date, de la colonie de Lambèse, condamné il y a plusieurs années, en raison de fautes nombreuses et graves, par la sentence de quatre-vingt-dix évêques, et aussi, ce que vous savez comme nous, très sévèrement blâmé par des lettres de nos prédécesseurs Fabianus et Donatianus. Il avait déclaré vouloir plaider sa cause devant nous au concile que nous avons tenu aux dernières Ides de mai. N'y ayant pas été admis, il a fait de ce Fortunatus un pseudo-évêque digne d'être son collègue. Avec lui était venu aussi un certain Félix dont, lui-même avait jadis, en dehors de l'Église, et dans l'hérésie, fait un pseudo-évêque. D'autres encore accompagnaient l'hérétique Privatus , c'étaient Jovinus et Maximus, que des sacrifices et des crimes abominables établis a leur charge avaient fait condamner par la sentence de neuf de nos collègues, et qui avaient été de nouveau excommuniés par plusieurs d'entre nous dans le concile de l'année dernière. A ces quatre, un cinquième s'est joint, Repostus de Sutururca, qui non seulement est tombé lui-même au cours de la persécution, mais encore a fait tomber par ses conseils sacrilèges la plus grande partie de son peuple. Ces cinq personnages, avec un petit nombre de chrétiens qui avaient sacrifié ou dont la conscience n'était pas en paix, se sont élu un évêque dans la personne de Fortunatus. Ainsi leurs crimes s'accordant, le gouvernant serait pareil aux gouvernés.

Par la, vous pouvez, frère très cher, juger des autres mensonges que ces hommes scélérats et pervers ont répandus. Pas plus de cinq pseudo-évêques, apostats ou hérétiques, ne sont venus à Carthage, pour associer Fortunatus à leur folie. Ils n'ont pas craint cependant, comme vous nous l'écrivez, de publier en vrais fils du diable pleins de mensonges, qu'il y avait vingt-cinq évêques ! Ce mensonge, ils le publiaient ici aussi d'avance parmi nos frères, disant que vingt-cinq évêques devaient venir de Numidie pour s'élire un évêque. Quand leur mensonge eut été mis à nu et confondu par la présence à leur réunion de seulement cinq naufragés excommuniés par nous, ils ont navigué vers Rome avec leur cargaison de mensonges, comme si la vérité ne pouvait pas naviguer derrière eux, et en établissant les faits, confondre leurs langues menteuses. C'est une vraie folie, frère, que de ne pas penser, de ne pas savoir que les mensonges ne trompent pas longtemps, que la nuit dure jusqu'à ce que luise le jour, et que, quand la clarté du jour a paru et que le soleil s'élève, les ténèbres et l'ombre se retirent devant la lumière, qui met fin aux brigandages qui se donnaient carrière à la faveur de la nuit. Enfin, si vous leur demandiez les noms, il ne les pourraient pas donner, même en en inventant. Il y a chez eux une telle pénurie, même de méchants, que parmi les apostats ou les hérétiques ils n'en pourraient réunir vingt-cinq. Cependant, pour tromper les simples et ceux qui sont au loin, ils exagèrent le nombre, comme si, même en le supposant exact, l'Église pouvait être vaincue par l'hérésie, ou la justice par l'injustice.

Il ne faut pas d'ailleurs, frère très cher, que je fasse maintenant comme eux, et que je suive la série de crimes qu'ils ont commis ou commettent encore. Nous devons considérer ce qu'il convient que disent ou écrivent les évêques de Dieu; et c'est moins le ressentiment qui doit parler chez nous que la réserve. Il ne faut pas que je paraisse répondre à leurs attaques en articulant contre eux plutôt des injures que des crimes et des fautes réelles. Je ne parle donc pas de leurs vols au détriment de l'Église, je passe sous silence leurs cabales, leurs adultères, et divers genres de crimes. Il y a un fait, où la cause même de Dieu, et non la mienne ou celle des hommes, est intéressée, sur lequel je ne crois pas qu'on doive se taire. C'est que dès le premier jour de la persécution, alors que les fautes de ceux qui avaient failli étaient encore toutes récentes, et que non seulement les autels du diable, mais les mains mêmes et la bouche des lapsi fumaient encore de sacrifices abominables, ils n'ont cessé de communiquer avec les lapsi et de s'opposer à ce qu'ils fissent pénitence. Dieu proclame : "Celui qui sacrifie aux dieux sera déraciné; on ne doit sacrifier qu'au Seigneur seul"; (Ex 22,20) et notre Seigneur dit dans son évangile : "Celui qui M'aura renié, Je le renierai". (Mt 10,33). Et en un autre endroit, l'Indignation, la Colère divine ne peut se tenir de dire : "Vous leur avez versé des libations, vous leur avez présenté des offrandes. Et Je ne m'indignerais pas de ces sacrilèges !" (Is 57,6) dit le Seigneur. Et ils s'opposent à ce qu'on prie Dieu, qui déclare Lui-même être indigné ! Ils s'opposent à ce qu'on tâche d'adoucir par des prières et des oeuvres satisfactoires le Christ qui proclame qu'Il renie celui qui Le renie !

Dans le temps même de la persécution nous avons écrit des lettres à ce sujet [21] et nous n'avons pas été écouté. Dans un concile où nous étions nombreux, nous avons décidé d'un commun accord, et en joignant des menaces à notre décision, que les frères auraient à faire pénitence, et que personne ne devrait avoir la témérité de donner la paix à ceux qui ne se conduiraient pas en pénitents. Et eux, sacrilèges à l'égard de Dieu, et de ses évêques, emportés d'une fureur téméraire, s'éloignant de l'Église et levant contre elle des armes parricides, ils travaillent à permettre à la malice du diable d'achever son oeuvre, à empêcher la divine Bonté de soigner les blessés dans son Église. Ils corrompent par leurs mensonges la pénitence de malheureux, empêchant que Dieu qui est irrité ne reçoive satisfaction, que celui qui a rougi d'être chrétien ou a craint les tourments, ne cherche ensuite le Christ son Seigneur, que l'Église ne voie revenir à elle celui qui s'était éloigné de l'Église. On travaille à mettre obstacle au rachat des fautes par de justes réparations et marques de douleur, à empêcher les blessures d'être lavées par des larmes. La vraie paix est supprimée par le mensonge d'une paix fausse, le sein d'une mère ou l'on trouverait le salut se ferme par l'opposition d'une marâtre, et l'on n'entend pas comme il faudrait des pleurs et des gémissements sortir du coeur et de la bouche des lapsi. De plus la bouche et la langue des laps, qui ont péché au Capitole, sont forcées de dire des injures aux évêques. Ils poursuivent d'outrages et d'insultes les confesseurs, les vierges et tous les justes que leur foi a distingués et glorifiés dans l'Église. Pourtant à la vérité, ils n'atteignent pas tant la modestie, l'humilité et la pudeur des nôtres, qu'ils ne font de tort à leur propres espérances et à leur propre vie. Ce n'est pas, en effet, celui qui s'entend dire, mais celui qui dit des injures, qui est à plaindre; ce n'est pas non plus, celui qui reçoit des coups d'un frère, mais celui qui en donne, qui est déclaré coupable contre la loi. Quand des méchants font tort à des innocents, ceux-là subissent eux-mêmes le tort qui croient le faire. Bref, c'est de là que leur vient cet étourdissement de l'esprit, cet affaiblissement du sens, cette espèce d'aliénation mentale : c'est une marque de la Colère de Dieu que de ne plus comprendre les fautes et de ne point, par conséquent, les faire suivre de la pénitence. Il est écrit : "Dieu leur a donné un esprit de léthargie", (Is 29,10) afin de les empêcher de revenir, de se soigner, de se guérir, après leur faute, par des prières et de justes réparations. L'apôtre Paul dit dans une épître : "Ils n'ont pas eu l'amour de la vérité, qui les eût sauvés. C'est pourquoi Dieu leur enverra des illusions, de manière qu'ils croient au mensonge, et que tous ceux-là soient jugés qui n'ont pas cru à la vérité, mais se plaisent dans l'injustice". (2 Th 2,10). Le plus haut degré de bonheur est de ne pas pécher, le second, c'est de reconnaître ses fautes. Là c'est l'innocence entière et immaculée qui conserve, ici c'est le remède qui vient après, et qui guérit. Ces deux biens, les lapsi les ont perdus, et ainsi pour eux n'existe plus la grâce que le baptême donne avec la sanctification, et la pénitence ne reste pas non plus qui guérit la faute. Pensez-vous donc, frère, que ce soient des péchés légers, des manquements sans gravité, que d'empêcher qu'on implore la Majesté de Dieu irrité, qu'on redoute la colère et le feu et le jour du Seigneur, et, à l'approche de l'Antichrist, de désarmer la foi du peuple qui combat, en affaiblissant la vigueur de la discipline et la crainte du Christ ? Aux laïcs de voir ce qu'ils ont à faire : les évêques ont le devoir de se donner plus de peine pour affirmer et procurer la Gloire de Dieu, et nous ne devons pas paraître rien négliger en ce point quand le Seigneur nous avertit en disant : "Et maintenant, voici mon décret pour vous, ô prêtres. Si vous n'écoutez pas, et si vous ne prenez pas à coeur d'honorer mon Nom, Je lancerai contre vous la malédiction, et Je maudirai vos bénédictions." (Mal 2,1-2). Est-ce donc rendre honneur à Dieu, de mépriser à ce point sa Majesté et son Autorité ? Alors qu'Il Se déclare indigné et irrité contre ceux qui sacrifient, et les menace de peines éternelles, de supplices sans fin, des sacrilèges viennent dire de ne point songer à sa Colère, de ne point craindre son Jugement, de ne point frapper à la porte de l'Église; des prêtres, supprimant la pénitence et ne voulant pas que l'on fasse aucune confession de son crime, méprisant les évêques et foulant aux pieds leur autorité, donnent la paix avec des paroles trompeuses; et pour empêcher que ceux qui sont tombés ne se relèvent, ou que ceux qui sont hors de l'Église n'y reviennent, ceux qui n'ont pas la communion offrent la communion aux autres !

Il ne leur a pas suffi de s'éloigner de l'évangile, d'ôter aux lapsi l'espoir de la satisfaction et de la pénitence, d'empêcher des coupables impliqués dans des affaires de fraude, souillés d'adultères ou de sacrifices abominables, de revenir à l'Église pour y faire la confession de leurs fautes, et de les priver ainsi de tout sentiment et de tout fruit de pénitence, d'avoir formé en dehors de l'Église et contre l'Église un parti de perversité, où viendrait se réfugier la bande de pécheurs qui ne veulent pas prier Dieu et donner satisfaction. Après tout cela, ils se sont encore fait sacrer un pseudo-évêque par des hérétiques, et c'est dans ces conditions qu'ils osent passer la mer, pour venir au siège de Pierre et l'Église principale, d'où l'unité épiscopale est sortie, et y apporter des lettres de schismatiques et de profanes. Ils ne réfléchissent donc pas que ce sont là les mêmes Romains dont l'Apôtre a loue la foi et auprès de qui la perfidie ne saurait avoir accès. Quelle raison d'ailleurs peuvent-ils avoir de se mettre en route, et d'annoncer qu'ils ont élu un pseudo-évêque contre les évêques ? Ou bien, en effet, ils sont toujours contents de ce qu'ils ont fait, et alors ils persévèrent dans leur crime, ou bien ils en sont mécontents et s'en détournent, et alors ils savent où ils doivent revenir. Il a été réglé par nous, d'un commun accord, (solution équitable et juste), que les causes doivent être entendues là où le délit a été commis; une portion du troupeau a d'ailleurs été attribuée à chacun des pasteurs pour la conduire et la gouverner, sauf à rendre compte à Dieu de sa conduite. Il faut donc que ceux à qui nous sommes préposés ne courent pas çà et la, et ne cherchent pas à rompre la concorde d'évêques unis, en suscitant des conflits par leurs cabales et leurs mensonges audacieux, mais ils doivent plaider leur cause là ou ils peuvent avoir des accusateurs et des témoins de leurs délits : à moins que quelques personnages perdus de scélératesse ne doivent l'emporter sur l'autorité des évêques d'Afrique, qui les ont déjà jugés, et ont prononcé récemment encore, avec toute la gravité de leur jugement, qu'ils avaient la conscience chargée d'un grand nombre de crimes. Leur cause a été examinée, la sentence prononcée, et il ne convient pas à l'autorité épiscopale d'encourir le reproche d'inconstance ou de légèreté, quand le Seigneur nous instruit en disant : "Que votre parole soit : Cela est, cela est; cela n'est pas, cela n'est pas". (Mt 5,37).

Si l'on fait, en y comprenant les prêtres et les diacres, le compte de ceux qui ont jugé leur cause l'an passé, ceux qui ont pris part au jugement et à l'enquête sont plus nombreux que ceux qui semblent encore unis à Fortunatus. Vous devez en effet savoir, frère très cher, que depuis qu'il a été fait pseudo-évêque par les hérétiques, il a été abandonné de presque tout le monde. Ceux, en effet, qui auparavant s'en laissaient imposer par des paroles prestigieuses, et l'assurance qu'ils reviendraient tous en même temps à l'Église, quand ils virent qu'un pseudo-évêque avait été élu, s'aperçurent qu'ils avaient été joués et trompés; et ils reviennent chaque jour, ils frappent à la porte de l'Église. Nous cependant, qui devons rendre compte au Seigneur de notre administration, nous étudions scrupuleusement et examinons soigneusement ceux qu'il faut recevoir dans l'Église. Certains en effet ont contre eux des griefs si graves, ou une opposition si ferme et si absolue des frères, qu'on ne peut absolument pas les recevoir, car alors il y aurait scandale et péril pour un grand nombre. Il n'y a pas lieu, en effet, de conserver des parties gâtées, si elles doivent corrompre des parties saines, et le pasteur n'est pas bienfaisant ni avisé qui mêle au troupeau des brebis atteintes de maladies contagieuses en s'exposant à contaminer le troupeau tout entier. Ne faites pas attention à leur nombre : mieux vaut un fils craignant Dieu que mille impies, comme dit le Seigneur par son prophète : "O mon fils, ne te réjouis pas d'avoir des fils en grand nombre, s'ils sont impies, car la crainte de Dieu n'est pas en eux ." O si vous pouviez, frère très cher, vous trouver ici près de nous quand ces égarés, ces dévoyés reviennent du schisme; vous verriez quel mal j'ai à amener nos frères à être patients, et à calmer leur indignation pour permettre de recevoir les coupables et de travailler à les guérir. S'ils sont heureux et s'ils se félicitent de voir revenir ceux qui peuvent être supportés, et qui sont en effet moins coupables, ils murmurent en revanche et résistent quand des esprits incorrigibles, emportés, des hommes souillés ou d'adultères ou de sacrifices, et orgueilleux après tout cela, reviennent à l'Église pour y corrompre à l'intérieur les âmes honnêtes. J'obtiens à peine par la persuasion, j'arrache plutôt au peuple la réadmission de ceux qui sont dans ce cas. D'ailleurs la rigoureuse indignation des frères s'est trouvée justifiée par le fait que tel ou tel qui, malgré l'avis contraire et l'opposition du peuple, avait été reçu grâce à ma facilité, est devenu pire qu'auparavant, et n'a pu rester fidèle à la pénitence, parce que la pénitence avec laquelle il était venu n'était pas sincère.

Que dirai-je de ceux qui sont allés vers vous avec Félicissimus, députés par le pseudo-évêque Fortunatus, vous portant des lettres aussi fausses que celui qui les envoie lui-même, que leur conscience chargée de crimes, leur vie détestable et honteuse, et telle que s'ils étaient dans l'Église, ils devraient en être chassés ? Comme ils se sentent coupables, et qu'ils n'osent venir ou s'approcher du seuil de l'Église, mais errent çà et là par la province pour circonvenir nos frères et les dépouiller, déjà connus de tous et de partout chassés pour leurs crimes, ils passent la mer pour aller aussi vers vous. Ils ne peuvent en effet avoir le front de s'approcher de nous, ou de rester parmi nous, à cause de fautes, des plus honteuses et des plus graves, que les frères pourraient leur reprocher. S'ils veulent se soumettre à notre jugement, qu'ils viennent. S'ils peuvent avoir quelque excuse ou quelque défense, voyons quel sentiment ils ont de leur devoir de satisfaire, quels fruits de pénitence ils apportent. Ni l'Église, ici, ne se ferme, ni l'évêque ne se refuse à personne. Notre patience, notre facilité, notre bonté sont à la disposition de ceux qui viennent à nous. Je souhaite que tous reviennent à l'Église, je souhaite que tous nos compagnons de combat soient dans le camp du Christ, dans la maison du Père qui est Dieu. Je pardonne tout; je ne veux point connaître une foule de torts qui existent, et cela par désir de rassembler tous les frères. Même les fautes commises contre Dieu, je ne les pèse pas dans la balance d'une religion scrupuleuse. Je pèche presque moi-même en pardonnant plus de péchés qu'il ne faut. J'ouvre mes bras, avec un amour entier et prompt, à ceux qui reviennent avec de vrais sentiments de pénitence, à ceux qui confessent leur faute avec humilité et simplicité.

Mais s'il en est qui pensent pouvoir revenir à l'Église non par des prières, mais par des menaces, ou qui croient qu'ils s'en ouvriront l'accès non par des larmes, et des oeuvres satisfactoires; mais par des moyens d'intimidation, qu'ils sachent bien que devant de telles dispositions l'Église du Seigneur reste fermée; qu'ils sachent que le camp du Christ, invincible, vaillant et défendu par Dieu Lui-même, ne cède pas à des menaces. Un évêque de Dieu qui s'attache à l'évangile en tant qu'il garde les préceptes du Christ, peut être tué, il ne peut être vaincu. Nous avons des exemples de courage et de foi dans la conduite du grand pontife Zacharie. On ne put l'effrayer par la menace de la lapidation; il fut tué dans le temple de Dieu, criant et répétant ce que nous crions nous aussi et répétons contre les hérétiques : "Voici ce que dit le Seigneur. Vous avez abandonné les voies du Seigneur, et le Seigneur à son tour vous abandonnera".(2 Chr 24,20). Il ne faut pas en effet, parce que quelques personnes emportées et perverses abandonnent les voies salutaires du Seigneur, et n'ayant pas une conduite sainte sont abandonnées par le saint Esprit, que nous oubliions nous aussi l'enseignement divin. Il ne faut pas penser que les crimes de ces furieux prévalent sur les jugements des évêques, ou que des efforts humains puissent plus pour attaquer que la Protection divine ne peut pour défendre.

Faudra-t-il donc, frère très cher, voir abdiquer à ce point la dignité de l'Église catholique, la majesté du peuple resté fidèlement et incorruptiblement dans l'Église, l'autorité même et le pouvoir épiscopal ? Quoi, ceux-là prétendraient juger d'un chef de l'Église qui sont hors de l'Église et hérétiques; des malades, de celui qui est bien portant; des blessés, de celui qui est sans blessure; ceux qui sont tombés, de celui qui est debout; les accusés, d'un juge; les sacrilèges, d'un ministre sacré. Que reste-t-il alors, sinon que l'Église se retire devant le Capitole, et que les évêques s'éloignant et emportant l'autel du Seigneur, les statues des Dieux et les idoles viennent avec leurs autels dans l'endroit sacré où s'assemble notre clergé; et que Novatien enfin trouve une nouvelle et plus riche matière à déclamer, à vitupérer contre nous, en voyant ceux qui ont sacrifié et nié publiquement le Christ, non seulement priés de revenir et admis sans pénitence, mais encore devenant les maîtres par la crainte qu'ils inspirent ? S'ils demandent la paix, qu'ils déposent les armes; s'ils veulent satisfaire, que signifient leurs menaces ? D'ailleurs s'ils menacent, qu'ils sachent bien qu'ils n'effraient pas les évêques de Dieu. L'antichrist non plus, quand il viendra, n'entrera point dans l'Église par ses menaces, et on ne cédera point à ses armes et à sa violence parce qu'il annonce l'intention de tuer ceux qui résisteront. Ils nous arment, les hérétiques, lorsqu'ils pensent nous effrayer par leurs menaces; ils ne nous jettent point la face contre terre, mais plutôt ils nous redressent et nous enflamment, lorsqu'ils donnent aux frères une paix pire que la persécution. Nous souhaitons sans doute que le crime n'accomplisse point ce que la fureur leur fait dire, et que péchant en paroles impies et cruelles, ils ne pèchent pas aussi en actes. Nous prions et nous supplions Dieu qu'ils ne cessent de provoquer et d'irriter, pour que leurs coeurs s'adoucissent; que, délivrés de leur fureur, ils reviennent au calme, que leurs coeurs couverts des ténèbres du péché reconnaissent la lumière de la pénitence, et que, plutôt que de répandre eux-mêmes le sang d'un évêque, ils demandent qu'un pontife répande pour eux des prières. Mais s'ils s'obstinent dans leur fureur, s'ils persévèrent cruellement dans leurs tentatives perfides et leurs menaces, il n'y a point d'évêque de Dieu qui soit si faible, si déchu et si bas, si anéanti par l'humaine infirmité, qu'il ne se redresse contre les ennemis de Dieu et ses assaillants, et dont la vigueur et l'énergie même de Dieu qui le protège ne relève et n'anime la faiblesse. Que nous importe de quelle main, ou à quelle heure nous serons tués, puisque c'est de la main du Seigneur que nous devons recevoir notre récompense. Ceux là ont un sort digne de larmes et de lamentations, que le diable aveugle au point qu'ils ne pensent plus aux supplices éternels de la géhenne, et travaillent à nous donner une idée de la venue de l'antichrist qui approche.

Je sais, frère très cher, que, comme le demande la mutuelle affection que nous nous devons et que nous nous portons, vous lisez toujours mes lettres au clergé si florissant qui siège avec vous et au peuple si nombreux et si saint des fidèles de Rome. Cette fois cependant j'insiste, et je vous prie de faire à ma demande ce que vous faites les autres fois de vous-même et par égard pour moi : afin que, si les racontars venimeux semés perfidement contre moi avaient fait impression sur quelques fidèles, la lecture de cette lettre les chasse de leurs oreilles et de leurs coeurs, et qu'aucune calomnie hérétique n'entame de sa morsure ni n'altère de sa souillure l'affection des gens de bien.

Au surplus, que nos frères fuient à l'avenir et évitent les entretiens de ceux dont la parole "étend ses ravages comme le chancre." (2 Tim 2,17). Ainsi que le dit l'Apôtre : "Les mauvais entretiens corrompent les bons naturels". (1 Cor 15,33). Et encore : "Quant au fauteur de divisions, évite-le après un avis, sachant qu'un tel homme est dévoyé, et condamné par son propre jugement". (Tit 3,10-11). Et l'Esprit saint parle par la bouche de Salomon : "L'homme pervers, dit-il, porte la perdition dans sa bouche, et ses lèvres cachent le feu". (Pro 16,27). Et il donne encore l'avertissement suivant : "Mets une haie d'épines à tes oreilles et n'écoute pas la langue perverse". (Ec 28,24). Et encore : "Le méchant écoute ce que dit la langue perverse, le juste ne fait pas attention aux lèvres qui mentent". ( Pro 17,4). Je sais que les frères qui sont avec vous, défendus par votre prudence, et tenus en éveil par leur propre vigilance, ne sauraient se laisser prendre et tromper par les hérétiques et leurs poisons, que les préceptes et les enseignements divins règnent chez eux autant que la crainte de Dieu. Cependant un excès ou de sollicitude pour vous ou d'affection nous a décidé à vous écrire ces choses, afin que nul rapport ne soit noué avec de telles gens, qu'on n'ait avec eux aucun commerce, ni de table ni d'entretiens, et que nous soyons aussi séparés d'eux qu'ils sont éloignés de l'Église. Il est écrit : "Si quelqu'un méprise l'Église, qu'il soit pour vous comme un païen et un publicain". (Mt 18,17). Et le bienheureux Apôtre ne conseille pas seulement, mais ordonne de se séparer de telles gens : "Nous vous prescrivons, dit-il, de vous éloigner de tous les frères qui ne marchent pas droit, et ne se conforment pas à l'enseignement reçu de nous". (2 Thes 3,6). Il ne peut y avoir de société entre la foi et l'infidélité. Celui qui n'est pas avec le Christ, qui est l'adversaire du Christ, l'ennemi de son unité et de sa paix, ne peut être uni à nous. S'ils viennent avec des prières, des intentions de satisfaire, qu'on les écoute. S'ils adressent des insultes et des menaces, qu'on les repousse. Je souhaite, frère très cher, que vous vous portiez toujours bien.

LETTRE 60

CYPRIEN A CORNEILLE SON FRERE, SALUT.

Nous avons reçu, frère très cher, les glorieux témoignages de votre foi, de votre courage, et votre belle confession nous a donné tant de joie que nous nous considérons comme participant à vos mérites et à votre gloire. Comme il n'y a entre nous qu'une Église, qu'une âme et qu'un coeur, quel évêque ne se réjouirait de la gloire d'un autre évêque comme d'une gloire propre à lui-même, et quel est le groupe de frères qui ne serait heureux de voir des frères dans la joie ? On ne saurait dire toute l'allégresse, toute la satisfaction qui s'est manifestée ici, quand nous avons appris ces heureuses nouvelles de votre courage; quand nous avons su que vous avez servi de chef aux frères dans la confession, mais aussi que la confession du chef a été rehaussée par la conformité de sentiment des frères. Ainsi en marchant à la gloire le premier, vous avez eu beaucoup de compagnons de gloire; vous avez décidé les fidèles à être confesseurs, en vous montrant prêt, le premier, à confesser pour tous. Nous ne savons que louer le plus en vous, ou bien votre foi prompte et ferme, ou bien cette affection des frères qui ne permet pas de séparation. Le courage de l'évêque marchant le premier s'est montré publiquement, l'union des frères suivant l'évêque s'est affirmée de même. Il n'y a eu chez vous qu'un coeur et qu'une voix, et toute l'Église de Rome a confessé Jésus Christ.

On a vu briller, frère très cher, cette foi dont le bienheureux Apôtre vous a fait honneur. Le courage glorieux d'aujourd'hui et cette fermeté de résolution, il les voyait d'avance en esprit, et louant l'avenir en célébrant vos belles actions, il n'exaltait les pères que pour encourager les fils. En étant unis, en étant forts, vous avez donné aux autres frères de grands exemples de force et d'union. Vous avez montré qu'il faut avoir très vive la crainte de Dieu et s'attacher fermement au Christ, que le peuple doit se tenir avec les évêques dans le péril, que les frères ne doivent point se séparer des frères dans la persécution, que ceux qui sont unis ne peuvent être vaincus; que le Dieu de paix accorde aux pacifiques ce qu'ils lui demandent tous ensemble. L'ennemi s'était élancé, menaçant, violent, pour jeter le trouble dans le camp du Christ. Mais il a été repoussé aussi vigoureusement qu'il avait attaqué, et il a rencontré autant de courage et de résistance qu'il apportait de menaces et de terreur. Il avait cru pouvoir encore procéder comme il a coutume de faire contre les serviteurs de Dieu, et les renverser d'un coup de surprise, comme de jeunes recrues sans expérience, qui auraient été mal préparées à son attaque et insuffisamment sur leurs gardes. S'attaquant d'abord à un en particulier, il avait essayé de faire ce que fait le loup qui cherche à séparer une brebis du troupeau, I'épervier qui écarte une colombe de la volée. N'étant pas assez fort contre tous ensemble, il cherche à surprendre des individus isolés. Mais vigoureusement repoussé par la foi d'une armée unie, il s'aperçut que les soldats du Christ veillaient, sur leurs gardes maintenant, et qu'ils étaient debout en armes pour le combat, qu'ils ne pouvaient être vaincus, mais que s'il s'agissait de mourir ils le pouvaient, que ce qui les rend invincibles, c'est précisément qu'ils ne craignent pas de mourir. Ils virent qu'ils ne rendent point coup pour coup à ceux qui les attaquent, puisqu'il n'est point permis à des innocents de tuer même des coupables, mais qu'ils sont tout disposés à donner leur sang et leur vie, afin que, quittant un monde où va se développant tant de cruauté et de méchanceté, ils s'éloignent plus promptement des méchants et des cruels. Quel glorieux spectacle aux Yeux de Dieu sous les Regards du Christ ! Quelle joie pour son Église, quand on vit qu'au combat présenté par l'ennemi, ce n'étaient pas les soldats un à un qui marchaient, mais le camp tout entier. Tous en effet, sans aucun doute, seraient venus, s'ils avaient su, puisque chacun de ceux qui ont su est accouru en tout hâte. Que de lapsi y ont trouvé l'occasion de se relever par une confession glorieuse ! Ils se sont redressés courageusement, et le sentiment même du regret de leur faute les a rendus plus courageux. Ainsi, il apparaît que jadis ils ont été surpris, que la nouveauté de l'attaque et l'inaccoutumance les a déconcertés et épouvantés, qu'ils se sont repris ensuite, que la crainte de Dieu les a ramenés à une foi sincère, et leur a rendu leurs forces, les armant d'une constance, d'une énergie à toute épreuve et qu'enfin maintenant ils ne sollicitent plus le pardon d'une faute, mais aspirent à la couronne du martyre.

Que fait là-dessus Novatien, frère très cher ? Renonce-t-il à son erreur ? ou bien, comme c'est la coutume des insensés, nos bonheurs et nos succès ne le rendent-ils pas plus furieux ? L'éclat plus grand dont jouissent ici la charité et la foi ne fait-il pas croître là dans la même mesure la folie des querelles et de la jalousie ? Il ne soigne pas sa blessure, le malheureux, mais il se blesse lui-même et les siens plus grièvement; il fait entendre les éclats de sa voix pour la perte des frères; et lance les traits empoisonnés de sa faconde, plutôt buté par la perversité d'une philosophie profane qu'adouci par la sagesse du Seigneur, déserteur de l'Église, ennemi de la miséricorde, meurtrier du repentir, docteur de l'orgueil, corrupteur de la vérité, destructeur de la charité ? Sait-il maintenant reconnaître quel est l'évêque de Dieu, quelle est l'Église et la maison du Christ, quels sont les serviteurs de Dieu que le diable tourmente, quels sont les chrétiens que l'antichrist attaque ? L'adversaire du Seigneur ne cherche pas ceux qu'il a déjà soumis; il ne se montre pas impatient de renverser ceux qu'il a fait siens. Hostile à l'Église, en guerre avec elle, ceux qu'il en a éloignés, et conduits dehors, sont comme des captifs et des vaincus qu'il dédaigne et laisse de côté. Ceux qu'il ne cesse d'inquiéter sont ceux en qui il voit que le Christ habite.

D'ailleurs quand même, parmi ceux-là l'un ou l'autre viendrait à être arrêté, il n'aurait pas à s'en applaudir, comme s'il avait confessé le Nom du Christ; il est trop clair que, quand des gens de cette sorte sont mis à mort hors de l'Église, ce n'est pas là récompense de foi, mais châtiment d'infidélité; et que ceux-là n'habitent pas parmi les frères unis dans la maison de Dieu, qu'une fureur de discorde, ainsi qu'on l'a vu, a éloignés de la divine maison de la paix.

Nous vous exhortons autant que nous pouvons, frère très cher, au nom de l'affection mutuelle qui nous unit, puisque la divine Providence nous prévient et que les salutaires avis de la divine Bonté nous avertissent de l'approche du jour où il faudra lutter, à persévérer dans les jeûnes, les veilles, les prières, avec tout le peuple chrétien. Ne cessons de gémir et de prier.Voilà en effet pour nous les armes célestes qui nous permettent de rester debout, et de tenir; voilà les défenses spirituelles, et les armures divines qui nous protègent. Pensons l'un à l'autre, dans l'union des coeurs et des âmes; prions chacun de notre côté l'un pour l'autre; dans les moments de persécution et les difficultés, soutenons-nous par une charité réciproque, et si à l'un de nous Dieu fait la grâce de mourir bientôt et de précéder l'autre, que notre amitié continue auprès du Seigneur, que la prière pour nos frères et nos soeurs ne cesse pas de s'adresser à la Miséricorde du Père. Je souhaite, frère très cher, que vous vous portiez toujours bien.


[1] Voir l. 49 et l. 50.

[2] Maxime, et les autres dont il est question l. 49.

[3] C'est la lettre 53.

[4] Le De Lapsis et De Catholicae Ecclesiae Unitate. Ce dernier traité s'occupe à la fois de l'unité d'évêque dans chaque Église (au temps de saint Fulgence, il était parfois cité sous le titre De simplicitate proelatorum) et de l'unité dans l'Église universelle.

[5] Au concile du printemps de 251.

[6] Fabianus était décédé en janvier (250). L'élection de Corneille eut lieu dans la première quinzaine de mars.

[7] L'empereur Dèce.

[8] Le tyran fut tué dans une guerre, sur les bords du Danube, en 251.

[9] Le "libellatice" est celui qui, sans avoir sacrifié, a reçu un "libellus", billet certifiant qu il l'a fait.

[10] L'invitation à la pénitence et la promesse du Pardon divin reviennent en effet souvent dans la Bible, soit en paraboles, comme celle de l'enfant prodigue (Lc 15,10-32), soit directement exprimées.

[11] Capsa, en Byzacène (Gafsa).

[12] La persécution semble s'être aggravée à l'arrivée du proconsul, en avril.

[13] A l'assemblée du printemps.

[14] Cette lettre synodale émane du concile de 252.

[15] On avait pris cette résolution au concile du printemps, en 251.

[16] La persécution qu'on redoutait était celle de Gallus.

[17] Thibaris ville de la proconsulaire, aujourd'hui Thibar, près de Teboursouck (Tunisie).

[18] Sur Félicissimus et Novatus voir les lettres 41, 42 et 43.

[19] Le mot 'raca' signifie probablement la même chose que 'fatue'. Il se rattache à l'araméen 'rêquâ' et a l'hébreu 'rêq' qui signifie "vide,vain", Ces mots d'après saint Jérôme (In Matthieu I,5) équivalent ici à l'injure habituelle "sans cervelle".

[20] Sur Privatus de Lambèse voir la lettre 36.

[21] Par exemple la lettre 43. Quant au concile c'est celui du printemps de 251.

    

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