Pierre de Bérulle
(1575-1629)

ÉLÉVATION SUR SAINTE MADELEINE

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Élévation à Jésus-Christ Notre Seigneur
sur la conduite de son esprit et de sa grâce vers Sainte Madeleine,
l’une des principales de sa suite, et des plus signalées
en sa faveur et en son Évangile

Dans son Mémorial de quelques points servant à la direction des supérieurs de la Congrégation de l’Oratoire, Bérulle exhorte ses confrères à “la science des saints”. Par ailleurs, la culture ambiante et les apports des sciences nouvelles (nouvelles pour l’époque) ont amené la réflexion et la pensée de Bérulle à la contemplation toute nouvelle de la divinité telle qu’elle s’est révélée dans l’Écriture sainte et chez les Pères de l’Église.

Est-ce à cause de la contemplation prolongée des mystères de Dieu que la théologie de Bérulle semble tellement mystique? Peut-être. Mais ce qui est sûr, c’est que pour Bérulle, l’amour domine tout, de telle sorte que sa théologie est plus une élévation vers Dieu qu’une réflexion abstraite. Cela est très sensible dans son Élévation à Sainte Madeleine.

L’Élévation à Sainte Madeleine est une œuvre de circonstance rédigée à l’intention de la jeune Henriette (16 ans) sœur du roi Louis XIII, mariée au roi Charles 1er d’Angleterre. La jeune reine, catholique en milieu exclusivement protestant, était particulièrement malheureuse. Pierre de Bérulle, ayant été l’un des artisans de ce malheureux mariage, -il espérait qu’ainsi les relations avec l’Angleterre seraient améliorées- voulut redonner un peu d’espoir à la jeune reine, et lui permettre de contempler Madeleine, à la Sainte Baume, revivant les trente années de la vie cachée de Jésus.

Bérulle présente donc, en Madeleine, une mystique du pur amour, une passionnée d’amour pour Jésus, dont le cheminement intérieur la mènera de l’amour d’union à la douleur de l’amour crucufiant. À travers l’évolution d’un personnage en partie légendaire, Bérulle développera ce qu’il appelle la science des saints et des humbles, et s’emploiera à développer un véritable discours mystique.

Remarques :

          – Pierre de Bérulle contemple l’évolution spirituelle de Marie- Madeleine. Ses idées et sa méditation progressent naturellement et comme sans effort, tout au long de sa contemplation.

En conséquence, et à de très rares exceptions, dans l’exposé succinct qui suit, le plan de la méditation de Bérulle a été scrupuleusement suivi. Les thèmes principaux ont été mis en évidence par des titres qui n’ont d’autre but que de faciliter la lecture.

          – Il faut savoir qu’à l’époque de Bérulle: fin du XVIème siècle, début du XVIIème, la langue française n’était pas encore définitivement fixée, d’où un style qui peut parfois surprendre nos esprits du XXIe siècle.

          – La ponctuation n’était que rarement mise sur les manuscrits; les éditeurs faisaient ce qu’ils pouvaient...

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La Rencontre-La vocation de Madeleine

1-1-Les choix et les faveurs de Jésus

Bérulle, s’adressant à Jésus, commence par Lui rappeler comment Il choisit les âmes qu’Il préfère: “En vos jours, sur la  terre, ô Jésus mon Seigneur... vous avez conféré plusieurs grâces et vous avez fait le choix de plusieurs âmes pour les tirer à vous. Mais  le choix le plus rare de votre amour, le plus digne de vos faveurs est en la Madeleine, et le plus grand de vos miracles a été opéré à son sujet. 

C’est en sa faveur que vous avez ressuscité Lazare,... et que son frère reçut en son corps le plus grand de vos effets miraculeux, comme elle était elle-même le plus grand de vos miracles sur les âmes et le plus rare effet de vos faveurs... Comme un ouvrier excellent, vous voulez faire deux sortes de miracles. Les uns sont intérieurs et se font à la vue des anges; les autres sont extérieurs et se font à la vue des hommes. Le Lazare en son corps  a porté un des plus grands de vos miracles extérieurs et sensibles, et la Madeleine en son âme a porté un des plus grands de vos miracles intérieurs et invisibles, par l’opération secrète de votre esprit sur son cœur et sur son âme. L’un de ces miracles ravit les hommes, et l’autre ravit les anges... Ô Seigneur... vos rayons plus puissants ont été sur cette âme! Vous la tirez de la mort à la vie; de la vanité à la vérité; de la créature au Créateur; et d’elle à vous-même...

Vous lui donnez en un moment une grâce si abondante, qu’elle commence où à peine les autres finissent, et dès le premier pas de sa conversion elle est au sommet de la perfection, établie en un amour si haut qu’il est digne de recevoir louange de votre bouche sacrée... ‘Elle a beaucoup aimé!’... Amour singulier et nouveau... amour qui se forme à vos pieds et fait désormais une nouvelle différence dedans l’Ordre de la grâce et dans l’Ordre de l’amour... Car c’est un Ordre qui regarde le mystère de l’Incarnation, commencé aussi en la terre et non au ciel; c’est un Ordre affecté au temps de ce sacré mystère, et en la présence de Jésus sur la terre. Ce nouvel Ordre est réservé à Madeleine...

Mais faut-il que cette âme soit élevée pour cet amour? C’est une pécheresse, Seigneur, mais elle est à vos pieds, et en un lieu si saint et si adorable, il n’y a plus qu’éminence et sainteté en elle: aussi ne parlez-vous point de ses péchés; vous ne parlez que de son amour, car l’amour a déjà couvert ses offenses; vous ne parlez que de ses larmes, de ses parfums, de son amour et de son soin à baiser, laver et à essuyer vos pieds...

Ainsi l’amour et l’amour de Jésus est le partage de Madeleine... Vous ne dîtes pas seulement, Seigneur, qu’elle aime, mais qu’elle a aimé, et qu’elle a beaucoup aimé...”

 Après une telle contemplation, Bérulle se plaint de lui-même: “Plût à Dieu que le cours de ma vie fût équivalent à un de ses moments, et qu’après tous les ans d’une vie si longue et laborieuse je puisse avoir quelque part à ce degré d’amour par lequel elle a commencé et en faveur duquel vous daignez prononcer qu’elle a beaucoup aimé. Ô âme! Ô amour! Ô pécheresse! Ô pénitente! Ô Jésus, source de pénitence, de grâce et d’amour!

1-2-Heureux temps : le séjour de Jésus sur la terre!

Bérulle, après avoir longuement contemplé Madeleine aux pieds de Jésus, glorifie le temps qui bénéficia de la présence de Jésus sur la terre: “Que c’est un temps heureux que celui de la vie et du séjour de Jésus en la terre! C’est un temps de mystère et de merveilles; c’est un temps désirable et salutaire; c’est le printemps de la grâce et du salut; c’est la plénitude des temps... Que la terre s’élève et s’éjouisse et que le ciel s’abaisse et s’étonne en la vue et l’honneur de cette vérité... Vous êtes en la terre, ô Jésus mon Sauveur et vous n’êtes pas encore au ciel... Au ciel je vois des anges... mais je vois un Homme-Dieu en la terre, et en lui je vois une grâce, source de grâce, et une gloire source vive de gloire...

Ce nouvel homme qui habite la terre est un nouveau vivant, auteur de la vie et la vie même. Il est un divin composé de l’Être créé et incréé... Si nous avons à estimer la terre, ne l’estimons et ne l’aimons que parce que le Fils de Dieu s’est incarné en la terre et non au ciel...

Au ciel s’est perdu le plus haut degré d’amour qui avait été créé, et ce par la perte du premier ange, auquel il avait été donné. Et c’est en la terre que se doit réparer cet amour perdu dans le ciel, c’est aux pieds de Jésus que cet amour doit être réparé... Je reçois volontiers, dit Bérulle, cette pensée qui honore Jésus et le Sacré mystère de l’Incarnation: c’est le mystère des mystères... C’est une grâce incomparable, et les anges en leur gloire l’admirent et la vénèrent, et ne prennent autre rang que des servants à cette grâce...

C’est dignité à cet amour (perdu dans le ciel et réparé dedans la terre) qu’il soit réparé par Jésus... par lui-même en la terre... C’est aux pieds divins de Jésus que se doit faire ce divin ouvrage... Mais sur qui tombera ce sort heureux? L’Évangile nous marque et représente la Madeleine fréquente et assidue aux pieds de Jésus... Partout nous la voyons aux pieds sacrés de Jésus: c’est son séjour et son partage; c’est son amour et sa conversation.”

Bérulle, méditant sur la vie de Madeleine, se demande quelle est l’origine de l’heureux moment où elle est aux pieds de Jésus, chez le pharisien. Jésus opère en nos âmes quand il Lui plaît. Ainsi, Madeleine sort de son palais. Elle sort aussi d’elle-même et cherche son Seigneur...

Bérulle commente : “Elle ne peut tarder un moment sans vous chercher, sans vous trouver, et sans vous offrir ses devoirs et vous consacrer son cœur... Il lui suffit de savoir où vous êtes pour vous aller trouver: vous lui êtes tout, et tout ne lui est rien... Adam voyant sa faute, se cache et couvre sous un figuier...“ Madeleine, elle, voyant son péché, s’expose au soleil de justice. “Que dirai-je, ô Seigneur? C’est votre amour qui la conduit... Elle s’en va donc et elle entre chez le pharisien; mais elle ne pense qu’à vous, elle ne voit que vous en cette salle, en ce banquet: et elle fond à vos pieds. Son cœur parle, et non sa langue...”

1-3-Madeleine chez le pharisien

“Ô Seigneur, tandis que vous prenez votre repas... vous êtes secrètement opérant en cette âme, attirant et consommant son cœur et son esprit dans votre amour et consacrant cette nouvelle hostie à vous-même et à vos pieds. Et cette âme et hostie nouvelle de votre amour, immolée à vos pieds, est répandant ses larmes et son esprit encore plus, et fait fondre son cœur en votre amour. Je m’éjouis de voir ce chef-d’œuvre de grâce et d’amour; de voir cette âme pécheresse autrefois et maintenant pénitente... de la voir recevant une pureté et sainteté si grandes... L’esprit malin a autrefois habité en elle, voire plusieurs esprits, mais ils n’osent même plus la regarder... Le Diable n’en approchera désormais non plus que du ciel dont il est banni...

Ce cœur a été autrefois souillé d’un amour profane, mais il est maintenant pénétré d’un amour céleste et est un trône de la pureté même...  Cette émanation sainte de Jésus, cette infusion céleste en Madeleine, porte au cœur et au corps même de cette humble pénitente, non un effet seulement, mais une participation sainte de la pureté de Jésus, et en un degré si haut et si éminent que le Diable est contraint de la révérer et n’ose plus s’approcher de ce sanctuaire.

Ce sont grâces et faveurs faites à Madeleine; mais ce sont mérites et grandeurs en Jésus et aux pieds de Jésus. Ces pieds sont sacrés et divins, sont agréables et adorables, sont subsistants en la Divinité même, et ce nonobstant ils sont employés, ils sont fatigués pour les pécheurs, et seront un jour percés pour répandre le sang qui doit laver le monde. À l’ombre de ces pieds sacrés découle maintenant une source de grâce et de pureté en cette âme principale, l’une des plus éminentes en la suite et en l’amour de Jésus; et aussi de ce cœur abaissé, ou plutôt élevé à ces pieds divins, sort une source d’eau vive qui lave la pureté même en lavant les pieds de Jésus”

1-4-Jésus et le pharisien

Bérulle plaint le pauvre et ignorant pharisien. “Il ne connaît pas les merveilles qui se passent chez lui et en sa présence... Il ne connaît ni Jésus ni Madeleine... Il ne sait pas ce que Jésus est à Madeleine et ce que Madeleine est à Jésus... Il ne sait pas que Jésus répand ses odeurs sur Madeleine comme Madeleine répand ses odeurs sur Jésus,... que Jésus aime Madeleine, comme Madeleine aime Jésus; il ne sait pas que c’est l’Esprit même de Jésus qui est dans le cœur de Madeleine...”

Bérulle peut s’exclamer: “Et vous, ô Jésus mon Seigneur,... je vous loue, vous adore et vous bénis. Je m’éjouis de vous voir, ô Jésus, l’honneur du ciel et de la terre, conversant en la terre et opérant entre les hommes choses si divines et si dignes de votre grandeur, de votre puissance, de votre amour et de votre divinité même, cachée sous le voile de votre humanité.”

Cependant Bérulle s’étonne: “Et toutefois, Seigneur, vous ne pensez, ce semble, et ne parlez qu’au pharisien, oubliant celle qui est à vos pieds, qui pense à vous et qui ne pense qu’à vous. Vous regardez le pharisien et ne la regardez pas; vous parlez au pharisien et ne lui parlez pas...” Mais, vous les considérez si amoureusement, vous les remémorez si suavement, vous les représentez si vivement, vous les comparez si avantageusement que le pharisien reçoit sa condamnation par sa propre bouche et Madeleine sa justification par la vôtre...”

1-5-Les privilèges de Madeleine

Bérulle poursuit :“Vous associez Madeleine à votre sainte mère; et, désormais, elle vous accompagne et accompagnera jusques à la Croix, jusques à la mort, jusques à la vie et jusques à la vie de gloire...” Curieusement, selon Bérulle, le Seigneur accorde à Marie-Madeleine des privilèges d’amour plus grands, plus évidents et plus publics qu’à tous ses autres disciples Comme le signale l’Évangile, “c’est d’elle que Jean, le disciple bien-aimé, et les autres apôtres ont appris les premières nouvelles de la gloire de Jésus...”  Comme si, poursuit Bérulle en s’adressant à Jésus: “vous vouliez en chacun de vos états différents laisser des marques de faveurs envers cette âme sainte, en la vie, en la Croix, en la mort, après la mort et en l’état même de votre gloire...

Je vois bien, continue Bérulle, qu’au dernier souper, faisant la Pâque avec vos apôtres, par un abaissement adorable, vous leur avez voulu laver les pieds, mais ne leur avez pas permis de laver les vôtres; et vous le permettez à Madeleine, et diverses fois, l’une chez le pharisien où elle lave vos pieds de ses larmes, l’autre en Béthanie chez Simon le lépreux, six jours avant votre mort, où elle lave vos pieds encore, non plus de ses larmes, car l’amour les a toutes épuisées, mais de ses eaux de senteur et liqueurs précieuses...

En effet, durant la dernière semaine de sa vie terrestre, Jésus voulut employer son temps à Béthanie et travailler à la conversion de deux âmes saintes: Marthe, et Marie-Madeleine. Là, Madeleine se prosterne  et noie son Seigneur de ses eaux de senteur. Ce faisant, elle prévient par cette onction, la sépulture de Jésus. Mais Madeleine ne comprend pas cette allusion de Jésus à sa propre mort. Selon Bérulle, “son amour est plus opérant que discernant... Par son humble et sainte ignorance, elle nous apprend à suivre fidèlement les mouvements du Saint-Esprit, sans voir, sans discerner les causes et les fins pour lesquelles ils nous sont donnés... Spectacle bien étrange, constate Bérulle, de voir, en ce banquet, Jésus entre Judas et Madeleine, deux esprits, deux mouvements et deux fins bien différents. Judas pense à vous trahir, ô Jésus mon Seigneur, et Madeleine ne pense qu’à vous aimer... Liaison opérée par la conduite de votre Esprit qui veut réparer en Madeleine ce qu’il perd en Judas... Ô Madeleine, ô banquet! Que de délices et d’amertumes tout ensemble!

Ô Jésus mon Seigneur, s’écrie bérulle, si l’amour de Madeleine a été tendre vers vous chez le pharisien... son amour sera fort à la Croix et au Calvaire... pour être ferme et debout durant vos douleurs et tourments, et demeurer constante et fidèle en votre amour. Vous allez à la Croix, ô Jésus mon Seigneur, et vos apôtres tremblent à cette simple parole: mais Madeleine ne tremblera à l’effet même, et elle sera au pied de la croix sans égard aux juifs, aux soldats, aux tourments, et sans penser à autre chose qu’à vous qui êtes sa vie, son amour et son tout.

1-6-Madeleine au pied de la Croix

Maintenant, allons à la Croix: “Nous y trouverons Madeleine attachée tandis que Jésus y est attaché. Là elle n’a vie qu’en la Croix, et n’a sentiment qu’aux douleurs de son Sauveur. Il est sa vie et puisqu’il est en croix, sa vie est en Croix.... Au pied de cette Croix elle élève ses yeux et son âme à Jésus, les ténèbres épandues sur la terre ne lui en peuvent ôter la vue... Jésus est le soleil de Madeleine qui ne s’éclipse point dans son cœur. Il est lors plus lumineux en elle qu’il ne fut jamais, il l’éclaire dans ces ténèbres, et mourant en la Croix, il demeure vivant pour elle et il opère comme vivant en elle, même dedans sa mort...

Jésus n’est point captif pour Madeleine, son pouvoir n’est point lié pour elle: moins il opère lors dans sa Judée, plus il est opérant dans l’esprit de Madeleine, et il opère deux choses grandes que la terre ne peut connaître en ses ténèbres, que le Ciel nous révélera en sa lumière. Plus l’objet est digne, plus il y a d’amour; et plus il y a d’amour, plus il y a de douleur soit en la souffrance, soit en la séparation de ce qui est aimé. Or tout ceci se trouve joint en la Croix en la Madeleine...

Au pied donc de cette Croix où Jésus est mourant, où Madeleine est attachée et où l’amour de Jésus est régnant et triomphant, Madeleine reçoit une forte et nouvelle impression d’amour; mais cet amour est douleur et cette douleur est amour, amour et douleur tout ensemble, douleur aimante et amour douloureux...

Chez le pharisien la douleur de cette âme était sur elle-même et sur ses offenses, et ici ses larmes et sa douleur ont un plus digne objet; ses larmes se répandent sur Jésus et son cœur est navré de douleur sur les douleurs de Jésus et sur la perte qu’elle va faire de Jésus... Après la très sainte Vierge... cette âme que nous voyons au pied de la Croix a recueilli de la Croix de Jésus plus d’amour et de douleur que pas une âme alors, ni après... Cet amour sera d’autant plus grand et la douleur d’autant plus vive que la main qui l’opère est plus puissante et qu’elle opère proportionnellement à la dignité de sa Croix, de sa personne et de son amour envers cette âme. Ô Croix! ô Jésus! Ô Madeleine! Ô douleur! Ô amour!”

Suit pour Bérulle une longue et bouleversante méditation :

“Madeleine, donc, navrée d’amour, outrée de douleur, regarde et contemple Jésus vivant, souffrant et mourant en la Croix; et Jésus navré en son corps, et plus encore en son cœur, regarde et contemple Madeleine vivante et souffrante à ses pieds. Jésus est en douleur puisqu’il est en la Croix, et c’est ici le jour qui le fait nommer par un prophète, l’homme non seulement de douleur, mais de douleurs, tant elles sont en grand nombre. Et comme il est en douleur, il est en amour. Car sa douleur et sa Croix viennent d’amour... Jésus n’est en douleur que par amour et par excès d’amour...

Jésus est la vie et l’amour de cette âme (Madeleine)et dès longtemps. Et cette âme se voit au jour de sa plus grande douleur, puisqu’elle est au jour de la mort et souffrance de son Seigneur, qui est son Dieu, son amour et son tout. Sa douleur augmente son amour et son amour engendre sa douleur, et c’est un flux et un reflux perpétuel de douleur et d’amour en ce cœur pur, saint et dolent de Madeleine. Ce jour donc est le jour de douleur et d’amour de Jésus et de Madeleine... L’amour est crucifié, et il faut qu’il  crucifie aussi...

Madeleine est non seulement fidèle et cherchante, mais elle est adhérente à Jésus. Elle est à ses côtés tandis qu’il est en Croix... Elle s’approche de Jésus et n’en demeure pas éloignée comme les autres dames de Galilée, qui contemplent de loin ce spectacle d’amour et de douleur extrême. Elle se sépare d’elles et se joint à la Vierge et s’approche de Jésus et de sa Croix... Qui verrait le cœur de Jésus y verrait Madeleine empreinte. Qui verrait le cœur de Madeleine, y verrait Jésus et Jésus souffrant, vivement imprimé... Madeleine n’est pas fuyante comme tous les apôtres...

Madeleine se joint à la très sainte Vierge, et comme elle la suit en l’amour de Jésus, elle s’approche et de la Vierge et de la Croix, où Jésus est pendant et attaché...” Comme Marie la Mère de Jésus, Madeleine se tenait au pied de la Croix. “Béni soit cet état de Madeleine, stable, ferme et proche de Jésus et de la Croix de Jésus... Temps singulier et mémorable auquel Jésus est actuellement pendant en Croix. Temps auquel la vie mourante est source de vie et de plusieurs vies... Jésus qui est la Vie, et qui est lors de la Vie mourante, est source de plusieurs sortes de vies qui font une très grande et très belle différence dans l’éternité:” La vie dont l’homme s’est privé par le péché d’Adam et la vie de Jésus, second Adam mourant sur la Croix... “Ordre d’Amour, de Croix et de martyre des cœur et des esprits!...

La Croix n’éloigne pas Madeleine du tombeau... Madeleine est fidèleà Jésus, est présente à Jésus, est proche de Jésus et de sa Croix; est attachée à la Croix et à Jésus...”

En dehors de la très sainte Vierge, qui est aussi proche de Jésus que Madeleine? Pourtant, constate Bérulle avec étonnement: “Jésus ne la daigne pas consoler d’une seule parole. Il ne parle ni d’elle, ni à elle, comme si elle était ensevelie en sa mémoire. Il parle au bon larron... Il parle à sa sainte Mère et à Saint Jean et il ne parle point à Madeleine qui est en leur compagnie. Il parle au Père éternel et sur moi et sur ceux qui le crucifient, et il ne parle ni à Madeleine, ni sur Madeleine qui est crucifiée par son amour même...  Et Madeleine ne parle point à Jésus, comme Jésus ne parle point à Madeleine. Elle ne lui parle point à la vérité, mais son cœur parle, et parle le langage d’amour qui est le langage du cœur... Elle entretient Jésus de son silence et le silence de Jésus sert d’entretien à Madeleine...

La Croix crucifie Madeleine en Jésus et avec Jésus. Tous deux sont en croix, en douleur, en souffrance, et en croix et souffrance d‘amour excellent et divin.

Mais Jésus meurt en cette Croix et Madeleine ne meurt pas, car en mourant il lui donne la vie et s’imprime en son cœur comme une cire amollie par ses rayons... Il grave en elle sa vie, sa mort, sa Croix et son amour, et cet amour est toujours vivant et vivifiant en elle... Cet amour est vivant et régnant en Jésus mort et fait vivre Madeleine: c’est sa vie, c’est son amour, et c’est pourquoi elle ne meurt point en la mort de Jésus...

Après donc que tout est consommé et que vous l’ayez ainsi déclaré, ô Jésus, par votre sacrée parole, vous expirez, ô Seigneur de la vie et on vous détache de la Croix où l’amour et l’obéissance vous avaient attaché...”

Et Bérulle de conclure: “Jésus sera détaché de la Croix en la présence de Madeleine, et ne sera pas détaché de son cœur, elle le suivra jusques au tombeau...” Bérulle poursuit, s’adressant à Jésus: “Madeleine est la dernière qui vous quitte, et ne vous quitte que pour ne vous pas quitter... Mais comme elle est la dernière qui vous quitte, elle est la première qui vous cherche et vous trouve: elle vous cherche mort et elle vous trouve vivant!”

1-7-Après la Résurrection

Selon Bérulle, Madeleine ne cherchait que “le miracle de votre amour... et maintenant vous voulez qu’elle soit la première qui vous voie immortel et glorieux...”

Bérulle rapporte que, selon Saint Jean, “les apôtres viennent et s’en retournent, et Madeleine reste attachée à ce lieu... Et Madeleine restée en ce saint lieu,les anges viennent aussitôt et lui paraissent.” Madeleine est si peu courtoise “aux anges qui la visitent, que, les voyant elle ne les regarde pas, elle ne leur parle pas, elle ne les entretient pas, elle n’y pense pas, elle ne pense qu’à son amour, et elle n’entretient que sa douleur... Elle cherche le Seigneur des anges et rien ne la peut arrêter et occuper que lui.” Madeleine n’est absorbée que dans le Seigneur.

Les anges, donc, demeurent en silence et Madeleine en douleur, le Seigneur apparaît, non comme le Seigneur, mais comme un jardinier et lui tient le même propos que lui avaient tenu les anges: ’Mulier quid ploras? Quem quæris?’ (Femme pourquoi pleures-tu? Qui cherches-tu?) Mais un amour si grand ne peut plus supporter de délai. Après ces deux paroles il se manifeste, il découvre sa gloire, il lui rend son esprit, il lui ouvre les yeux, et elle voit vivant celui qu’elle cherche mort, et elle est ravie de joie, d’amour et de lumière en la présence de Jésus, en la présence de ce soleil vivant.“

Jésus a simplement dit: “Maria!” , et ce mot excite en elle amour et lumière. “Et Madeleine voit celui qui est la vie, qui est sa vie... Ce nom avait trop d’alliance avec Jésus en la personne de sa sainte Mère et en la personne encore de cette simple disciple, pour ne pas joindre aussitôt deux cœurs et deux esprits si proches et si préparés à l’amour saint et mutuel l’un et l’autre... C’est le premier nom proféré par Jésus en sa Résurrection; et Madeleine aussi la première de tous les mortels, selon l’Évangéliste, qui voit Jésus, le Fils unique de Dieu, le Sauveur du monde et le Dieu de son cœur dans la vie, dans la gloire: ô grandeur! ô amour! ô faveur non pareille!”

Bérulle s’adresse ensuite à Jésus: “J’ai autrefois contemplé votre entrée dans la vie mortelle et passible et vos premières et principales actions en icelle; je veux aussi contempler votre entrée en cette vie nouvelle, admirable et immortelle, et vos premières actions en cet état... Je veux ouvrir le livre de vie, et le livre de votre vie ce sont les Écritures. Là je trouve que la première personne que vous avez visitée en votre vie nouvelle et votre état de gloire, c’est Madeleine...

Quand vous naissez, Seigneur, en Bethléem, à la vérité les premiers regards de vos yeux mortels sont sur votre sainte Mère, mais vous ne lui parlez point, vous ne prononcez point son nom qui est le même nom de Marie, bien que ce nom soit consacré en sa personne à l’innocence et à la maternité divine, et à une éminence de grâce qui n’aura jamais rien de pareil...

Quand vous renaissez, Seigneur, au sépulcre en votre vie de gloire, vos premiers regards et le premier aspect de vos yeux immortels, glorieux et brillants comme un soleil, sont sur Madeleine, vos premières paroles sont à Madeleine, le premier nom que vous prononcez c’est son nom, ce nom de Marie, nom consacré en sa personne à l’amour et à la pénitence...

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