Jean-Jacques OLIER
(1608-1657) 

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Histoire de la Compagnie des prêtres

de Saint-Sulpice

2-1-Les origines

L'origine de la Compagnie est intimement liée au grand mouvement d'évangélisation et de rénovation chrétienne qui s'est développé en France au XVIIe siècle, et très immédiatement à l'activité missionnaire et pastorale de Jean-Jacques Olier. Disciple de Monsieur Vincent et du Père de Condren, Jean-Jacques Olier (1608-1657) avait pris part aux missions organisées par eux en France, tout spécialement à celles d'Auvergne et des environs de Chartres. Il avait découvert que ces efforts apostoliques seraient sans lendemain sans une profonde réforme du clergé. Or celle-ci supposait l'application des décisions du Concile de Trente concernant la formation des prêtres.

"Nous nous sommes rassemblés depuis quelques années, écrivait Jean-Jacques Olier, plusieurs sujets qui, après avoir travaillé sur les peuples dans les missions et les paroisses, reconnaissent qu'inutilement on travaillait sur eux si l'on ne travaillait auparavant à purifier la source de leur sanctification qui sont les prêtres, de là vient qu'ils se sont retirés pour cultiver les nouvelles plantes qui leur sont tombées dans les mains, et qui ont paru être appelées au clergé." (J.J.Olier, Divers écrits I, 71)

Ce désir de travailler à la réforme du clergé par la formation des prêtres, Jean-Jacques Olier le devait aussi à l'influence du Père de Condren, successeur du cardinal de Bérulle à la tête de l'Oratoire de France. Pierre de Bérulle voulait "restaurer l'état de prêtrise", alors si dégradé. Le Père de Condren dissuada Jean-Jacques Olier d'accepter l'épiscopat qui lui était proposé et l'orienta vers l'œuvre des séminaires. Jean-Jacques Olier se sentit appelé à "porter la contemplation dedans le sacerdoce ".

Ce souci de la réforme du clergé rejoignait celui d’un certain  nombre d’évêques. Plusieurs d’entre eux, comme le saint évêque de Cahors, Alain de Solminihac, avaient tenté de fonder des séminaires. Ces essais avaient le plus souvent échoué, à cause des résistances rencontrées auprès des curés eux-mêmes. En France, la mise en œuvre du Concile de Trente paraissait se heurter à des obstacles infranchissables. En fait, c'est une conception nouvelle du séminaire qui, autour de 1642, allait se développer à partir d'une expérience originale, celle des " exercices ", ou retraites, organisés pour les ordinands. Ce fut l'oeuvre de Saint Vincent de Paul, de Saint Jean Eudes et de Jean-Jacques Olier.

Avec deux autres prêtres, Olier fonda, en décembre 1641, un séminaire à Vaugirard, alors petit village proche de Paris. Devenu  curé de Saint-Sulpice, Monsieur Olier transporta cette petite communauté à Paris, près de son presbytère. D'autres prêtres se joignirent à lui. Ainsi fut constituée la Compagnie des prêtres du séminaire de Saint-Sulpice.

2-2-Les grandes orientations

Le séminaire dépendant de l'abbaye de Saint-Germain-des-Près se trouvait exempt de la juridiction de l'Archevêque de Paris. Jean-Jacques Olier regardait le Pape comme son supérieur. Cependant, le séminaire de Saint-Sulpice restait destiné au service de l'Eglise de France: il formerait les candidats au sacerdoce que les évêques lui enverraient; toutefois, les prêtres attachés au séminaire et tout donnés à la formation des prêtres, pourraient être mis à la disposition des évêques pour travailler à la fondation et à la direction des séminaires diocésains. Ainsi, du vivant même de Jean-Jacques Olier, la Compagnie des prêtres du séminaire de Saint-Sulpice accepta de prendre la direction de quatre séminaires. Mais ce devait être en dépendance de l'évêque du lieu et sans esprit de propriété: chaque “sulpicien” devait être disposé à revenir à “la maison”, c’est-à-dire au séminaire Saint-Sulpice.

Dans la pensée de Jean-Jacques Olier, sa “petite Compagnie” devait se limiter à un groupe de prêtres peu nombreux, liés non par des voeux, mais par la charité sacerdotale et le don d'eux-mêmes au service de la formation des prêtres. Parce que le système des bénéfices faisait obstacle à la réforme du clergé, les prêtres de Saint Sulpice devaient renoncer aux bénéfices qui les auraient écartés de ce ministère. Ils devaient être animés d'une vie spirituelle caractérisée tout à la fois par “l'esprit apostolique”, le sens de l'adoration, et la “vie intérieure”. Centrée sur la communion à Jésus-Christ, Verbe Incarné, cette vie spirituelle devrait être nourrie de l'Écriture, et constamment renouvelée par l'Eucharistie et l'oraison. La dévotion à la Vierge Marie et aux apôtres tenait également une grande place.

La conception du séminaire mise en oeuvre par Jean-Jacques Olier à Vaugirard et à Saint-Sulpice, et exposée dans le "Projet d'un séminaire diocésain" qu'il présenta à l'assemblée du Clergé de France en 1651, différait profondément du séminaire tridentin de saint Charles Borromée. Le nouveau séminaire fondé par Jean-Jacques Olier ne devait accueillir que des hommes dont la vocation était déjà éprouvée, ou éventuellement des prêtres désireux de se former. Les uns et les autres venaient partager la vie de cette communauté de prêtres pour s'initier à l'esprit apostolique et développer les vertus et dispositions intérieures qui font l'âme sacerdotale. La sanctification des diocèses en dépendait et la gloire de Dieu y était engagée. Le séminaire devait constituer avant tout une communauté où les distances seraient abolies autant que possible entre les candidats au sacerdoce et les éducateurs spirituels exerçant le “ministère de la direction spirituelle”.

2-3-Les grandes étapes du développement après la mort de son fondateur

Le développement de la Compagnie s'est opéré à partir du séminaire de Saint-Sulpice et de son expérience originale. Des évêques de France firent appel à ses membres pour prendre en charge leur séminaire.

Fin du XVIIe siècle - Supérieur général de 1676 à 1700, Louis Tronson donna à la Compagnie son organisation, avec la volonté de garder une exacte fidélité aux grandes orientations reçues de Jean-Jacques Olier.

XVIIIe siècle - À la veille de la Révolution française la Compagnie dirigeait, en France, une quinzaine de séminaires. Le nombre de ses membres était passé de 70 en 1704 à 140 en 1789, mais la Révolution française éprouva durement la Compagnie. Toutefois elle favorisa aussi son implantation hors de France. En 1791, en réponse à l'appel de Monseigneur Carroll, premier évêque des États-Unis, Monsieur Emery envoya quatre sulpiciens à Baltimore, en vue de la fondation d'un séminaire.

XIXe siècle - Au cours du 19ème siècle et au début du 20ème siècle, la Compagnie se développa tout à la fois en France, au Canada et aux États-Unis.

En France, Monsieur Emery qui fut supérieur général de 1782 à 1811  accepta la charge de dix séminaires. Supprimée par Napoléon en 1811, la Compagnie est bientôt rétablie et approuvée par Louis XVIII en 1816 comme “congrégation autorisée”. Le nombre de ses membres s'accroissait régulièrement, et elle avait la charge d’une vingtaine de séminaires en France.

Au Canada, où elle avait, depuis le début de sa présence, la responsabilité de la paroisse Notre-Dame et l'aumônerie de plusieurs communautés religieuses, la Compagnie fonda plusieurs collèges et, en 1840, le séminaire de Montréal, qui aura le statut d'université pontificale. Au 20ème siècle, la Compagnie prit en charge le séminaire de saint Boniface, au Manitoba.

Aux États-Unis, la Compagnie connut un large rayonnement, et le séminaire de Baltimore put rassembler un grand nombre d'étudiants. Plusieurs sulpiciens reçurent la charge épiscopale. La Compagnie accepta la charge de quatre séminaires hors de Baltimore.

A partir de 1950 la Compagnie ouvrit plusieurs séminaires en Amérique latine et en Afrique.

(Tous droits réservés Copyright © 1998 Séminaire de St Sulpice. e-mail:sem.issy@wanadoo.fr)

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Position de J. J. Olier

par rapport au Jansénisme

Dans une correspondance adressée à la Marquise de Portes tentée par le Jansénisme, Jean-Jacques Olier considère le Jansénisme comme “un parti contraire et injurieux à son épouse, la sainte Église, dont il souffre les plaies et les injures avec plus de douleur que celles qu’il reçoit dans sa propre personne.” Pour lui, le Christ et l’Église sont indissociables, malgré certaines apparences, et “le gros de l’Église est plus sûr... Les erreurs, dans l’Église se sont toujours glissées sous le masque de réforme et de piété singulière.” Mais précise J.J.Olier, “les jansénistes sont animés par l’amertume de leur zèle fier et insolent, engendrant le mépris de tout ce qui n’est de leur parti, pour être seuls ouïs et regardés de tous comme des gens singuliers et extraordinaires en l’Église...“

Il n’y a pas de réforme dans l’Église sans humilité. De plus, les jansénistes ne peuvent supporter que le Christ soit mort pour tous les hommes, et qu’il soit le fondement de leur salut, à tous. De plus, explique Olier, la grâce ne nous manquera jamais: “Si nous commettons le péché, ce n’est jamais Dieu qui nous manque, mais c’est nous qui manquons à Dieu.” Plus tard, Olier exhortera sa dirigée[1] “à l’humilité, à la simplicité, et à ne pas tendre aux choses hautes et sublimes...” Le trésor de la piété chrétienne est une lumière exposée par Jésus “à tous ceux qui se contentant de l’Évangile, ne veulent rien de leur propre invention dans les voies chrétiennes. Craignez et fuyez toutes les choses singulières, et aimez l’anéantissement par-dessus tout.”

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La spiritualité de Jean-Jacques Olier

4-1-Jean-Jacques Olier et la Sainte Trinité

Jean-Jacques Olier parle au Père: “...Lorsque je suis entièrement uni à Jésus-Christ, il se trouve que je tends tout à vous, ô Dieu mon Père, je ne suis plus en lui qu’une tendance à vous.”

Prière de J.J. OLier à la Sainte Trinité

Très sainte et très adorable Trinité, un seul Dieu en trois personnes, souffrez qu’en Jésus-Christ notre médiateur vers vous, et en la grâce de son Esprit, je vous rende mes pauvres petits devoirs.

Père éternel, je vous adore comme mon Créateur... Verbe éternel, je vous adore comme mon Rédempteur... Esprit divin, je vous adore comme mon Sanctificateur...

Père éternel, je vous remercie de m’avoir créé avec tant d’amour, de m’avoir conservé avec tant de patience au milieu de mes crimes, et de m’avoir en particulier conservé cette nuit et donné ce jour pour vous servir et pour vous honorer.

Fils de Dieu, je vous remerie de m’avoir retiré mille fois de l’enfer, par les travaux de votre vie et par les souffrances de votre mort, et de m’avoir mérité tous les biens qui sont dans l’Église.

Esprit divin, je vous remercie d’avoir voulu être le porteur de tant de dons et de tant de grâces en mon âme; et, nonobstant tout le mépris que j’en ai fait, d’avoir si souvent renouvelé en moi votre vie.

Père éternel, je vous conjure de me pardonner le mauvais usage que j’ai fait du corps, et de l’esprit que vous m’avez donné avec tant de bonté et conservé avec tant de miséricorde.

Fils de Dieu, je vous demande pardon du peu de fruit que j’ai fait des saints exemples de votre vie, des conseils de votre saint Évangile et des grâces de tous vos sacrements...

Père éternel, je vous offre toutes les œuvres de ma journée. Verbe éternel, je vous offre toutes mes pensées et toutes mes paroles. Esprit de Dieu, je vous consacre toutes les affectios de mon cœur...

Père éternel, je mets toute ma foi en vous. Fils de Dieu, vous êtes mon espérance. Esprit divin, vous êtes mon amour.

Père éternel, soyez la perfection de mon âme. Fils de Dieu, soyez-en la lumière. Esprit Divin, soyez-en tout le mouvement.

Père éternel, vous serez un jour toute ma félicité. Fils de Dieu, vous serez ma vérité. Esprit Divin, vous serez ma vie.

Gloire au Père...

4-2-Jean-Jacques Olier et le Saint-Esprit

Jean-Jacques Olier se souvint toute sa vie du conseil du Père de Condren: “Abandonnez-vous à l’Esprit-Saint.” Plus tard, il n’hésitera pas à donner ce même conseil à ses dirigés, pour que l’Esprit-Saint les conduise sur les voies de la vie mystique: “Au nom de Dieu, n’arrêtez pas la course de son Esprit, et la vitesse avec laquelle Il voudrait emporter votre âme. Dîtes-Lui que s’Il est un géant, comme vous le croyez, qu’Il vous enlève sur ses bras et vous emporte avec Lui. Dîtes-Lui que vous êtes un enfant faible et petit qui ne peut pas avancer comme Il fait, mais que s’Il veut vous faire la grâce de vous élever en sa force, et de vous porter en son sein, vous marcherez comme Lui à grands pas, vous avancerez toujours dans la vitesse de votre course, vous arriverez heureusement avec Lui...”

4-3-Le Mystère de l’Incarnation

4-3-1-Le mystère de l’Incarnation thème des réflexions de J.J. Olier

Comme pour Bérulle, le mystère de l’Incarnation fut souvent le thème des réflexions et des méditations de Jean-Jacques Olier: “Le Mystère de l’Incarnation est un mystère universel; en tant que fondement et source des autres, il en contient aussi toutes les grâces, il est principe d’anéantissement et de mort (la kénose) comme de vie nouvelle.” D’où la dépendance absolue de l’humanité au Christ au Verbe de Dieu. L’anéantissement du Verbe dans la chair est un mystère[2] “qui a rempli d’étonnement les anges et les saints et qui est un sujet de scandale à tous ceux qui n’ont pas la sagesse et la lumière de Dieu pour connaître l’immensité de ses bontés et l’excès de ses miséricordes.”

4-3-2-Olier et la Vierge Marie

Jean-Jacques Olier fut un grand mystique, qui vivait en étroite communion avec Jésus et Marie. Il contemplait souvent le mystère de Jésus vivant en Marie recevant toutes ses grâces de son Fils Jésus. Et ce mystère, J.J.Olier l’envisageait en lien avec le mystère de l’Église: Jésus vit dans l’Église comme source de la plénitude de la grâce. Mais cette vie en l’Église, Jésus l’a commencée en Marie qui, la première, l’a accueillie. Il y a entre la Mère et son Fils un échange extraordinaire d’amour, vrai mystère de foi, mystère ecclésial par excellence. Et Olier de s’écrier: “Ô commerce incompréhensible! Ô société de Jésus et de Marie inaccessible aux yeux de toute créature!”

Olier qui sut être un véritable initiateur mystique, c’est-à-dire un homme capable de partager, avec discernement, les grandes intuitions spirituelles dont il vivait, n’hésitait pas, dans certaines circonstances et quand il se sentait en grande confiance, à risquer quelques confidences. Ainsi, à l’approche de la fête de la Visitation, il écrivit à une de ses dirigées: “...Ce matin, j’ai été averti intérieurement que c’était en ce jour solennel que nous devions honorer cette vie intérieure de Jésus en Marie, et ses opérations merveilleuses en elle, et par elle en l’Église dont les prémices ont été si augustes et si éclatantes en Saint Jean. Cette fête demande de moi un renouvellement de cœur, car c’est pour cela que les saints et les mystères nous sont présentés.”

Parfois, les relations de Jean-Jacques Olier avec ses dirigés étaient pour lui l’occasion de se renouveler spirituellement. Il écrivait: “Toutes les choses que je vous dirai me seront autant d’exhortations pour moi-même. Car je me sens toujours le premier appelé à ce que je vous demande.”

Ainsi, il peut y avoir réciprocité entre le directeur et le dirigé. Olier n’hésitait pas à avouer: “Vous savez la part que vous avez à ce qu’elle (la Vierge Marie) me donne, et à tout ce que je reçois des bontés ineffables de son cher Fils, l’adorable et suradorable Jésus. Il faut particulièrement en ces temps nous abîmer en Marie, pour entrer en toutes ses dispositions envers Jésus-Christ et envers son Père. Car elle est la Mère de l’un, et la sainte Épouse de l’autre, et nous ne saurions trouver ailleurs de quoi rassasier mieux nos cœurs dans l’amour que nous leur devons et dans la société qu’il faut que nous ayons avec le Père et le Fils.”

4-4-Union à Dieu par l’oraison

4-4-1-Importance de l’oraison

Jean-Jacques Olier rappelle que “Jésus-Christ Notre Seigneur ayant acquis à son Église, par ses mystères, les grâces nécessaires pour sa sanctification, a aussi institué des voies pour les porter en elle; les mystères sont comme les réservoirs immenses qui contiennent cet abîme infini de mérites. Et les canaux par lesquels ceux-ci dans les membres de Jésus-Christ sont les sacrements qui sont les voies par lesquelles Jésus-Christ nous met en communion de sa grâce...

Mais comme ces sacrements ne peuvent pas se réitérer à tout moment et que, néanmoins, nous sommes sans cesse dans le besoin du secours de Dieu, il a été de sa sagesse de donner à l’Église un moyen qui suppléât au défaut des sacrements et qui eût une efficacité assez forte pour pouvoir attirer l’Esprit de Jésus-Christ en nous. Ce moyen, c’est l’oraison: moyen tout saint et qui obtient de Dieu tout ce qu’on lui demande, Dieu s’étant engagé à ne rien refuser à l’oraison.

L’oraison est la communion spirituelle à Jésus-Christ le Fils de Dieu: par l’oraison il se donne à l’âme comme Époux et, par conséquent, avec tous ses dons et toutes ses richesses. Ainsi l’âme, par l’oraison, trouve l’abondance et l’Esprit et des dons qu’elle avait reçus par les sacrements et qu’elle avait perdus par ses infidélités. Elle s’y revêt de nouveau des grâces des mystères du Christ et, comme elle peut sans cesse être en oraison, elle peut être continuellement en communion avec Jésus-Christ.

L’oraison est le seul moyen pour travailler utilement à la vie intérieure: tous les autres n’ont de force qu’autant que l’âme est présente à Dieu et le Saint-Esprit présent à l’âme. Il n’y a d’agréable à Dieu que ce qui se fait par cette union intime au Divin Esprit, qui est une oraison perpétuelle. Voilà pourquoi, pour tirer quelque fruit de notre exercice, il faut être tout appliqué à l’oraison et tout perdu en Dieu, il faut être tout abandonné à lui et dans une soumission si universelle de tout nous-même à ses volontés qu’il ne trouve en nous quoi que ce soit qui lui résiste.”

4-4-2-D’où quelques conseils:

“Il faut premièrement... adorer[3] les saints mystères de Notre Seigneur, contempler les opérations intérieures de Saint-Esprit dans son cœur...” et avoir renoncé à soi-même et à ses propres intentions.

“En second lieu, il faut s’humilier entièrement du peu d’effet que nous avons reçu de ces mystères... et de ce que nous en avons si souvent perdu les grâces et dissipé les biens qui nous avaient été donnés par les sacrements...

En troisième lieu, nous devons demander la communion spirituelle à ces mystères du Christ...

En quatrième lieu, après avoir demandé cet Esprit, dans la paix et l’humilité... il faudra se laisser à sa divine nourriture, il faudra se laisser nourrir de sa divine substance et revêtir de ses dons intérieurs qu’il communique aux âmes...

Après avoir passé un temps assez notable et être demeuré en cet état de repos et de paix, en laissant agir en soi l’Esprit, lorsque son opération cessera, on devra se porter à l’œuvre, uni à cet esprit qui donne à nos actions tout leur poids et leur valeur...”

En conséquence, l’oraison est l’action la plus importante de toute la vie des chrétiens. On doit la conclure “par un abandon total de soi-même au Saint-Esprit, qui sera notre lumière, notre amour et notre vertu...”

Jean-Jacques Olier estime que “la charité prend naissance dans le sein de l’oraison.” Car, c’est le Saint-Esprit “qui anime tout, qui vivifie tout et qui applique tout au service de Dieu par la vertu de son feu et de sa charité sainte, sans la vigueur et la vie de laquelle tout y serait ou mort, ou languissant...

C’est la sainte charité qui a tout opéré de ce qui est plus saint et de plus glorieux en l’Église... C’est cette même charité qui avance les pas des serviteurs de Dieu dedans ses voies et qui élève leurs désirs au-dessus de la terre pour les tirer à lui en les faisant marcher dans la conduite de ses divines lois... C’est en cette oraison où le prêtre puise la vie pour soi et pour les peuples...”

D’où l’obligation impérative de travailer assidûment à la pratique de l’oraison dans les séminaires, en raison de ses effets et des vertus si rares nécessaires aux prêtres. La rareté de l’oraison “est la seule cause pourquoi l’on voit si peu de fruits et d’avancement dans les âmes.”

4-4-3-Réflexions sur l’Eucharistie

“Voici ce que je viens d’apprendre à l’oraison. Notre Seigneur s’est mis au très Saint-Sacrement de l’autel pour continuer sa mission jusqu’à la fin du monde en allant par ce moyen dans tous les lieux de l’univers pour y prêcher la gloire de son Père, et tous les hommes apostoliques et tous les apôtres sont ainsi porteurs de Jésus-Christ; ils portent partout Notre-Seigneur, ils sont comme des sacrements qui le portent afin que, en eux et par eux, il publie lui-même la gloire de son Père...”

Après nous avoir préparés par les deux sacrements qui nous donnent l’Esprit, (le Baptême et la Confirmation) Notre Seigneur vient Lui-même, non plus seulement pour nous donner son Esprit, mais pour nous convertir et nous changer totalement en Lui. Il ne vient pas seulement pour agir en nous par son Esprit, mais pour agir en nous pour Dieu et y agir Lui-même, en sa propre personne, pour la gloire de Dieu.”

4-5-La louange et l’adoration

“... Si toutes les créatures sont tout autant de livres et de cahiers pour me faire voir votre beauté et celle de votre Fils, il est bien raisonnable que je les lise... Il me semble, ô mon Dieu, que vous souffrirez bien que je me réjouisse en voyant ces beaux cieux, ce beau soleil et cette belle terre et ses fleurs, cette mer et ses poissons, cet air et ses oiseaux, de ce qu’il a plu à votre bonté paternelle et à votre divine sagesse d’avoir fait toutes ces choses pour votre Fils... Mon cher Jésus, mon divin Maître, que je suis heureux de voir toutes ces œuvres faites pour vous! J’en suis mille fois plus content, plus joyeux, plus satisfait que si c’était pour moi-même... Donc, autant qu’il me sera possible, je serai fidèle à la grâce du monde qui me parle, et du sentiment de votre Esprit qui m’y excitera intérieurement à vous louer, ô mon Jésus, dans l’aspect de ce monde, et je ne verrai point de créature que je ne dise, si votre Esprit me veut faire la grâce de m’y exciter: mon Jésus, vous êtes bien plus beau que cela!”

4-5-1-Prière de louange devant la splendeur de la création

“Mon Dieu, je vous adore en toutes vos créatures; je vous adore, véritable et unique soutien de tout le monde; sans vous rien ne serait, et rien ne subsiste qu’en vous. Je vous aime, ô mon Dieu, et je loue votre majesté paraissant sous l’extérieur de toutes les créatures...

Vous paraissez sous des corps sensibles aux yeux de tous les hommes, lesquels ne peuvent vous voir en vous-même, qui êtes un esprit invisible, et qui ne pouvez être aperçu de nous. Vous vous rendez sensible sous toutes choses, pour être aimé, loué, et admiré de toutes sortes de créatures. Je vous adore par la foi, tel que vous êtes en vous, et je vous adore tel que vous me paraissez par le secours de mes sens, au-dehors de vous-même.

Mon Dieu, vous êtes bien plus beau et plus parfait en vous que tout ce que je vois répandu dans le monde. Il n’y a que figure en tout ce que je vois, il n’y a de vérité que dans vous-même; tout me sert de peinture pour adorer l’original, qui est vous, ô mon grand Tout...”

4-5-2-Et la louange conduit à l’adoration.

Prions avec Jean-Jacques Olier; il nous apprend l’adoration de Dieu dans la contemplation de la nature.

“Mon Dieu faites que je vous voie par la foi, et que je vous regarde par sa lumière mille fois plus sublime, plus pure, plus certaine, et qui dit plus elle seule que tout le monde ensemble.

Je vous adore, ô mon Dieu, en toutes vos beautés et perfections, telles que vous les possédez en vous-même.

J’adore votre splendeur et votre majesté, plus belle mille fois que celle du soleil.

J’adore votre fécondité, mille fois plus admirable que celle qui paraît dans les astres.

J’adore votre vie, infiniment plus agréable que celle qui paraît dans les fleurs.

J’adore votre activité, infiniment plus agissante que celle qui paraît dans le feu.

J’adore votre stabilité, infiniment plus arrêtée et plus solide que celle de la terre.

J’adore votre subtilité, infiniment plus délicate que celle qui paraît dans l’air.

J’adore votre douceur et votre calme, mille fois plus paisible que celui de nos fleuves.

J’adore votre étendue, mille fois plus vaste et immense que celle de l’océan et des mers qui enferment le monde.

J’adore votre hauteur, un million de fois plus sublime que les montagnes que je vois.

J’adore votre vitesse, qui passe celle des cieux.

Mon Dieu, dans vos ouvrages, rien n’est comparable à vous.”

Et encore :

“Ô Jésus, vous êtes mon monde, qui me fait admirer la beauté de mon Dieu... pour concevoir la bonté de Dieu, je n’ai qu’à regarder mon doux Jésus. Il est le soleil de mon âme... Il m’illumine et il m’éclaire quant il lui plaît... Ô Jésus, soyez mon amour unique, mon tout unique, uniquement aimable. Ô Jésus de mon cœur, vous êtes si adorable et si aimable qu’au lieu de faire ce que vous demandez je m’en oublie!”

“Je vous adore, ô mon Seigneur Jésus, en votre anéantissement devant Dieu, où vous confessez votre néant[4] et le nôtre[5] ...

“Je vous adore, ô mon Seigneur Jésus, rendant à votre Père les adorations, les amours, les louanges, les remerciements, les prières, les vœux et tous les devoirs d’une parfaite religion, tels que sa grandeur les mérite.

Je vous remercie, ô mon Seigneur Jésus, de nous avoir choisis pour être vos membres, afin de continuer à rendre en nous sur la terre tous les devoirs de votre religion, de même qu’au ciel vous les rendez à Dieu dans les anges et dans les saints, par la vertu de votre Esprit.”

Je vous en supplie, Esprit Divin de mon Seigneur Jésus, qui êtes en nous, de vouloir nous aider à rendre tous nos devoirs à la très Sainte Trinité...

Je vous aime, ô mon Dieu, de tout mon cœur, de toute ma pensée, de toute mon âme et de toutes mes forces, en la vertu de votre Saint-Esprit.

Je vous loue, ô mon Dieu, en toutes les grandeurs de vos divines perfections. Je vous remercie, ô mon Dieu, de tous les biens spirituels et temporels que j’ai reçus de vous, et que j’en dois attendre de toute éternité.

Je vous prie, ô mon Dieu, par Notre Seigneur Jésus-Christ, qu’il vous plaise de procurer votre gloire par tout le monde, d’augmenter l’amour et le respect qui est dû à votre Fils au très saint Sacrement de l’autel, et d’étendre par toute la terre votre sainte Église pour être glorifié en elle...

Enfin, mon Dieu, pour suppléer à nos défauts, je vous offre tous les devoirs extérieurs et intérieurs de religion que votre Fils Jésus vous rend en lui-même et en toute l’étendue e son Église.

Je vous offre encore, ô mon Dieu, toutes mes paroles, toutes mes pensées et toutes mes œuvres avec celles de mon Seigneur Jésus, pour mériter d’être reçues de vous; détestant toute autre intention que celle qu’Il aurait s’Il était sur terre et s’Il vivait en ma place.

Je m’unis, ô mon Dieu, à son divin esprit, qui vous fait aimer et adorer par tous les anges et par tous les saints, et qui remplit le ciel et la terre de vos saintes louanges, afin de me rendre présent par cet Esprit à toutes les créatures qui vous honorent...

4-6-Les œuvres

Jean-Jacques Olier nous met en garde: “Le vieil homme en nous veut toujours agir, et par conséquent se rechercher, parce que la chair en nous, en l’état où elle est, ne peut que chercher ses intérêts...” Pour éviter cela, il faut d’abord, dans nos œuvres, renoncer à nous-mêmes en toutes nos actions. Il faut ensuite adorer l’Esprit de “Jésus qui élevait son âme dans toute la pureté, la sainteté et la justice possibles.“

Il faut demander à ce divin Esprit de répandre en nous les dispositions qui nous permettent de travailler à la gloire de Dieu, et, ensuite, il faut Le laisser élever notre âme vers Dieu comme Il le désire. “Lorsque le Saint-Esprit est en nous par la grâce et que nous vivons séparés du péché, il suffit que notre âme par sa plus pure portion... se tienne unie au Saint-Esprit pour agir en sa vie et en sa sainteté... Ainsi il ne faut pas nous mettre beaucoup en peine des sécheresses et des répugnances de la chair, pourvu que nous fassions notre devoir... Lorsque Dieu voit en nous l’agrément des bons désirs qu’il nous donne, que nous ne voulons agir que pour sa gloire... il nous élève, il nous sanctifie, et nous fait opérer en esprit et en vérité, sans pour cela se faire sentir à l’âme pour la sevrer de la chair.”

“En somme tous les saints ne sont que des sacrements vivants de Jésus-Christ, et le même Esprit de Jésus réalise par eux diverses choses, diverses grâces, divers sentiments et diverses lumières, mais chacun pourtant de manière assortie à sa vocation... Ainsi toute l’Église n’est-elle qu’un Christ, toute l’Église n’est que le Christ partout, exprimé toutefois diversement par diverses personnes qui, toutes, représentent quelque chose de lui. ”


[1] La Marquise de Portes

[2] Jésus-homme se reconnaît créature sans commune mesure avec Dieu Créateur.

[3] L’adoration est une vertu qui porte l’âme à l’anéantissement, à l’admiration, aux louanges, aux remerciements, à l’amour, en un mot à toute sorte de devoirs et d’hommages que nous devons rendre à Dieu en cette première partie de l’oraison.

[4] votre néant, c’est à dire votre kénose.

[5] L’abaissement kénotique du Christ est source de l’anéantissement spirituel des chrétiens.

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