Jean-Jacques OLIER
Le Directeur Spirituel

Parmi les traits qui semblent caractériser ce que l’on a appelé l’École française, il en est un qui apparaît avec force, c’est la direction spirituelle. Tous les grands spirituels du XVIIe siècle, de François de Sales et Bérulle, jusqu’à saint Jean Eudes et Grignion de Montfort, furent des guides spirituels appréciés. Tous, également, eurent l’humilité de se laisser conseiller par ceux qui, pendant de courtes périodes ou pendant plus longtemps, eurent la charge redoutable de les conduire jusqu’à la sainteté.

Jean-Jacques Olier, connut ce besoin de confier la conduite de son âme à des hommes particulièrement clairvoyants. Il fut d’abord accompagné par saint Vincent de Paul, puis par Charles de Condren, successeur de Bérulle. Après le décès de Charles de Condren, c’est un bénédictin de Saint-Germain des Prés, dom Bataille, qui devint le directeur de Jean-Jacques. Ayant justement apprécié les bienfaits d’une bonne direction spirituelle, Jean-Jacques Olier accompagna de nombreux prêtres, en particulier ceux de son séminaire Saint Sulpice, ainsi que des religieuses et des laïcs, ce dont témoigne sa volumineuse correspondance.

Jean-Jacques Olier ne se contenta pas d’accompagner de nombreuses personnes; il découvrit vite la nécessité de former soigneusement ceux qui auraient à mettre en œuvre l’art de la difficile conduite des âmes [1]. Seul, en effet, un bon accompagnement spirituel peut permettre aux chrétiens de s’engager dans une véritable vie intérieure. Olier estime que, “si trop peu de personnes profitent, dans l’Église, c’est faute de directeurs expérimentés pour les y aider.” Aussi eut-il le souci de préparer pour cette tâche des pasteurs “qui soient eux-mêmes des gens intérieurs.” C’est ce à quoi la Compagnie de Saint-Sulpice s’efforcera de contribuer, conformément aux avis de Monsieur Olier.

Jean-Jacques OLIER
Le Directeur Spirituel

I
Jean-Jacques Olier

et la direction spirituelle

1-1-Préparation des directeurs spirituels

Jean-Jacques Olier estime que la conduite des âmes relève de Dieu lui-même et de sa grâce. La conduite des âmes: l’art des arts, étant l’une des tâches les plus difficiles au monde, il faut en avoir expressément reçu la mission de la part des supérieurs qui ont autorité pour la confier :

“Le ministère de la direction ne va pas sans grands dangers. Seul le secours de Dieu et de sa grâce peut maintenir ceux qui l’exercent dans l’état de pureté et de sainteté exigé d’eux...” Seuls les directeurs que Dieu a lui-même établis dans ce ministère reçoivent “une grande force et une abondante bénédiction du Saint-Esprit pour détruire le Démon et son empire et mener les âmes vers la sainteté où Dieu les appelle... Mais lorsqu’on nous la demande, il nous faut pourtant l’entreprendre dans la confiance en Dieu. Il ne manque pas d’assister puissamment ceux à qui lui-même confie ce ministère...” qui demande une longue préparation.

C’est Jésus qui travaille à la longue formation d’un directeur: “Celui-ci, pour pouvoir travailler sous la conduite de l’Esprit-Saint à la sanctification de ses frères, doit s’être longuement appliqué à attirer en lui l’Esprit de Dieu, avoir acquis les solides vertus chrétiennes et avoir l’expérience des épreuves spirituelles.”

Voici, selon J. J. Olier, ce que doivent faire ceux qui se destinent au service des âmes :

          – d’abord vivre longuement la recherche de leur propre sanctification.

          – ensuite, consacrer un temps notable à l’oraison.

          – il est nécessaire qu’ils aient fait l’expérience des épreuves spirituelles de manière à être capables de guider les autres lorsque ceux-ci les connaîtront.

          – il leur faut jeûner, c’est-à-dire pratiquer la véritable mortification et les solides vertus chrétiennes pour pouvoir y guider avec assurance ceux qu’ils auront à conduire.

          – il faut, qu’avant de travailler au salut des âmes qui leur seront confiées, ils soient possédés de ce divin Esprit. “Le Saint-Esprit doit remplir tous ceux qu’Il établit pour la sanctification des autres.”

1-2-Discernement des esprits

J. J. Olier estime qu’un directeur doit être capable de comprendre et de parler toutes, ou presque, les langues spirituelles, c’est-à-dire les différentes manières dont Dieu conduit les âmes. Car il n’y a pas deux âmes semblables, ni deux âmes appelées à suivre le même chemin. “Un directeur doit savoir tout cela.” Il doit se faire tout à tous, pour les conduire tous à Dieu. Et savoir s’adapter à tous. Il est comme une fontaine remplie d’eau céleste afin d’en abreuver tous ceux qui viennent y puiser. “Des fontaines qui doivent fournir aussi bien ceux qui n’ont pour cela que de petits vases, que ceux qui en ont de grands... Il n’y a pas lieu de mépriser les simples commençants... Il n’y a que fort peu de saints dans l’Église qui aient été établis dans la perfection adulte dès leur naissance, c’est-à-dire dès l’instant de leur conversion. Quant aux autres, ceux qui demeurent dans une voie tout ordinaire, il leur arrive parfois d’être plus saints que ceux qui reçoivent pourtant en plus grande abondance les faveurs de Dieu; pour la bonne raison qu’ils sont plus humbles et plus fidèles à leurs grâces propres...

On ne doit pas tomber dans la routine en dirigeant toutes les âmes de la même manière, mais il faut les conduire selon l’Esprit de Dieu tel qu’il se manifeste en chacune d’elles en particulier.”

D’où la grande prudence dont doivent faire preuve les directeurs. “Il faut avancer pas à pas dans la conduite des âmes, sans vouloir aller trop vite... Il faut absolument suivre la grâce sans jamais vouloir la devancer. La grande sagesse consiste à marcher à la suite du Seigneur et non pas à le précéder.”

1-3-Abandon à Dieu et liberté dans le discernement

Écrivant à une de ses dirigées, Jean-Jacques Olier exprimera son opinion selon laquelle le principe de base du discernement spirituel  est “la source des décisions et des choix, c’est la liberté intérieure d’où jaillit la conviction et qui se vérifie dans la paix. Dieu est celui qui vivifie les cœurs et apaise les âmes.”  Et il s’exclame: Ô ma sœur, que l’âme humble et abandonnée à Dieu est heureuse en ses mains!”

Dieu est toujours le Maître des événements. Il peut transformer en bien même nos mauvaises actions. Aucun obstacle ne peut empêcher une âme de s’unir à Dieu. Olier affirme: “Dieu a tant de moyens en sa sagesse pour faire voir sa volonté, que nous ne devons pas nous mettre en peine comment Il la fera paraître. Il suffit de les adorer en Dieu par la foi, et d’attendre en patience le temps auquel Il manifestera ses desseins. Il ferait plutôt parler les pierres que de ne pas manifester sa volonté à ses enfants qui Le cherchent en confiance.”

Jean-Jacques énumère un certain nombre de points devant permettre un bon discernement:

– La décision ne doit pas être précipitée, car elle vient, non pas de la volonté humaine, mais de Dieu.

– La qualité du discernement spirituel dépend de la manière dont la volonté humaine s’abandonne peu à peu à Dieu qui la fait vouloir comme il veut.

– On ne peut se décider pour une vocation pour des raisons générales, mais il faut la conviction intérieure que telle est la volonté de Dieu.

– On peut servir Dieu dans tous les états de vie.

-Il faut choisir d’accomplir les œuvres auxquelles on se croit destiné dans l’humilité.

Il convient de noter ici qu’Olier se montre sensible à la nécessité des vocations laïques. Il est important d’obéir à sa vocation propre.

1-4-Désintéressement des directeurs

Jean-Jacques Olier vivait à une époque où les bénéfices ecclésiastiques étaient très recherchés, et où de nombreux clercs cherchaient, par la direction, à soigner leur notoriété personnelle, ou à trouver des avantages matériels. Aussi Jean-Jacques Olier est-il revenu très souvent sur ce thème: le désintéressement des directeurs: “Pour servir l’action de l’Esprit de Dieu, on ne doit mêler à ce ministère aucun intérêt personnel... Il faut mourir à toutes ces ambitions pour n’avoir en vue, dans la direction, que Dieu seul sans y mêler le moins du monde ses propres intérêts.”

Tous les chrétiens sont appelés à aimer Dieu et à désirer sa gloire. Jésus-Christ seul doit régner dans leurs âmes. Aussi les directeurs sont-ils coupables quand “ils cherchent à se réserver une part dans le cœur de ceux qu’ils conduisent et à se le partager ainsi avec Jésus-Christ... Quelle méchanceté d’agir ainsi! C’est vouloir se mettre à la place de Dieu...”

Les directeurs remplis de l’Esprit de Dieu doivent s’oublier eux-mêmes. C’est parfois un véritable martyre pour une âme de toujours agir ainsi, car nous voulons aimer et être aimés. “Il faut pourtant demeurer dans cette fidélité à Dieu auquel nous sommes consacrés; il nous faut lui réserver tout notre cœur, notre âme tout entière avec toutes ses inclinations... Dieu nous possède infiniment mieux que toutes les créatures. Nous trouvons en Lui ce que jamais nous ne trouverons en elles. Si donc il faut aimer et être aimés, aimons Dieu de tout notre cœur et mettons-nous en mesure d’être parfaitement aimés de Lui.”

L’absence d’un tel regard de foi entraîne de grands dommages:

          – on risque de ne pas traiter les personnes de la même façon, selon qu’elles nous plaisent ou nous plaisent moins.

          – avec les personnes qui nous plaisent, nous risquons de perdre beaucoup de temps en conversations inutiles. ”Au lieu de sortir de l’entretien... tout pleins de Dieu, tout animés de son amour... nous nous sommes comme assoupis et nous nous retrouvons remplis, souvent, de la pensée, de l’estime et de l’amour de la créature... De la sorte, ce qui devrait nous rapprocher de Dieu nous en sépare.”

          – Le résultat, c’est qu’on a moins de goût pour l’oraison. “L’esprit n’a plus la liberté de s’occuper de Dieu, et, de ce fait, il est moins capable de recevoir ses dons, non seulement pour lui-même mais aussi pour les autres. De la sorte nous obstruons, pour ainsi dire, le canal dans lequel l’eau de la fontaine devait s’écouler afin de se répandre sur les autres.”

2
La direction spirituelle:

ses buts et ses moyens

La mission essentielle des directeurs spirituels, c’est de guider ceux qui leur sont confiés vers la sainteté.

2-1-Révéler les chemins de la sainteté et de l’amour

2-1-1-Révéler les défauts

Olier part d’un constat évident, et pourtant trop méconnu: la grande majorité des chrétiens “ne marche pas sur le chemin de la mortification et de la sainteté, pour la simple raison que personne ne le leur fait connaître.” Les âmes ont besoin qu’on leur révèle, “simplement mais avec clarté et tendresse, leurs besoins et leurs nécessités, les aider à prendre conscience de leurs défauts et leur en indiquer les remèdes, dussent-ils les trouver amers et désagréables.”

Et Jean-Jacques Olier insiste :

“C’est parce que nous n’osons pas leur dire franchement leurs vérités de peur de les choquer. Agir ainsi ne procède pas de la charité à leur égard mais satisfait plutôt notre amour-propre: nous avons peur de perdre leur estime et de les éloigner de nous. Poussés par l’intérêt ou quelque autre motif purement humain, nous craignons de les blesser et nous nous taisons. C’est cela qui nous empêche d’appliquer le traitement qui convient, et le mal, faute de remède, devient souvent incurable par la force de l’habitude contractée.”

2-1-2-Révéler l’appel à la sainteté

Les bons directeurs doivent convaincre leurs dirigés que tous les fidèles, sans exception, sont appelés à la sainteté. “La perfection évangélique est pour tous: c’est le festin auquel tout le monde est invité... Jésus-Christ est l’exemple que nous devons suivre de notre mieux: Il s’est donné lui-même à tous les membres de son Corps comme le modèle de leur vie. Il est notre chef et, nous qui sommes ses membres, nous devons participer à son Esprit et nous remplir de sa vie... ‘Soyez saints parce que je suis saint’ a dit Notre Seigneur.... Nous devons tous tendre à la perfection et y travailler... Nous sommes tous les enfants d’une unique Mère, l’Église... À tous elle dispense la même vie divine qui doit nous remplir, les mêmes sacrements qui doivent produire chez tous les mêmes effets de la grâce.”

Et si les directeurs savaient ce que perdent les âmes quand elles ne tendent pas vers Dieu autant qu’elles le pourraient, ils seraient inconsolables.

2-1-3-Révéler la perfection de l’amour

Qu’est-ce que la sainteté ? Tout simplement la perfection quotidienne de l’amour, telle que chacun peut le vivre: “Aussi est-il nécessaire d’instruire les fidèles de la véritable perfection et de leur révéler en quoi elle consiste.” Pas dans les choses extraordinaires, mais dans le pur amour; tous les chrétiens sont capables d’aimer. Notre Seigneur a voulu placer les âmes dans “ce qui peut être pratiqué par tous, en tout temps et en toute occasion, en toute condition et en tout emploi.”  Plus nous aimons et plus nous sommes établis en Dieu et Dieu en nous, “et cette demeure en lui nous fait participer plus intimement à son être divin et à ses divines perfections.”

La perfection n’est pas affaire de sensibilité, mais d’engagement et de courage pour accomplir la volonté de Dieu: “Cet amour qui fait les âmes parfaites ne doit pas être une affection d’enfant, un amour purement sensible, mais un amour fort, courageux, un amour actif, un  amour capable de nous conduire efficacement à la pratique de toutes les vertus chrétiennes...”

Cette manière d’agir est très agréable à Dieu et capable de nous sanctifier en très peu de temps. Elle est sûre et exempte d’illusion parce que nous faisons la volonté de Dieu selon ses desseins. De plus, on vit alors dans un véritable esprit de sacrifice continuel. On ne cherche pas à se contenter soi-même, mais “on vit plutôt dans une sorte de martyre permanent, d’autant plus agréable à Dieu qu’il est plus paisible, plus continu et supporté avec un plus grand amour.”

2-2-Travailler pour la Gloire de Dieu et la sainteté des âmes

Pour Jean-Jacques Olier, la plus grande joie qu’un directeur puisse donner à Notre Seigneur, c’est “de travailler, par la direction, à perfectionner ainsi des âmes,” que Jésus pourra présenter au Père. Ainsi, en elles et par elles devenues plus saintes, le Père sera loué, honoré et glorifié. Par ailleurs, c’est aussi la gloire du Christ qui est élevée, car son Corps mystique deviendra plus beau et plus éclatant: “Les saints, en effet, sont les joyaux de la couronne de Notre-Seigneur. Plus ils ont de prix aux yeux de Dieu et plus elle est belle (la couronne).”  

Plus les saints ont de sainteté, plus ils louent Dieu, et plus ils participent à l’intérieur de Jésus-Christ, c’est-à-dire à sa gloire.

Les saints sont comme des fossés qui révèlent la plénitude divine du Christ. Olier donne une comparaison saisissante: “L’intérieur de Jésus-Christ est un peu comme un grand fleuve qui se répand dans la campagne où une multitude de fossés reçoivent ses eaux en proportion de leur capacité plus ou moins grande. Ce sont ces fossés qui, à eux tous, montrent la plénitude des eaux de ce fleuve qui les remplit tous et qui est capable de la faire, quelles que soient leur profondeur et leur capacité. Ces fossés témoignent du besoin qu’ils ont du fleuve: sans le secours de ses eaux ils resteraient à sec et complètement vides. Alors que la campagne, arrosée par les eaux du fleuve, perd son aridité et devient fertile et belle à regarder.

Ainsi en va-t-il de l’intérieur de Jésus-Christ qui, en se communiquant à toute la terre de l’Église, lui donne beauté et fertilité. Et tous les saints sont comme autant de fossés qui reçoivent de la plénitude de cet intérieur divin à la mesure de leur capacité: ils en révèlent et en font connaître la grandeur selon qu’ils sont plus ou moins remplis des eaux de cette source divine.”

Olier complète sa comparaison : “L’amour du Fils de Dieu pour son Père est d’une étendue sans limite qui lui donne un désir infini de le louer, non seulement par lui-même, mais encore dans tous les hommes. Il a voulu les remplir tous de l’étendue de ses louanges et de son amour pour autant qu’ils en sont capables. Voilà la grande soif de Notre-Seigneur et le grand désir de son cœur. Pour notre part, (les directeurs d’âmes) nous assouvissons cette soif lorsque nous mettons les âmes en meilleures dispositions de participer à son amour et à ses louanges. Et cela, seulement si nous les rendons plus saintes et plus parfaites: plus elles acquièrent la sainteté et plus elles communient à Jésus-Christ.”

Cela est très logique, et déjà, dans l’épître aux Galates, Jésus, par la voix de Paul, appelait tous les chrétiens à se revêtir de Lui-même, c’est-à-dire à Le laisser libre d’agir librement en eux :

“Nous rendrons donc une âme d’autant plus plus parfaite que nous y établirons Jésus-Christ avec plus de plénitude et d’étendue, affirme Jean-Jacques Olier... De cette manière nous pouvons, nous autres directeurs, répondre et satisfaire tout à la fois au désir qu’a le Père éternel de voir son Fils dans tous ses membres, et à celui du Fils qui souhaite s’y exprimer lui-même pour l’amour et la gloire de son Père... Aussi, lorsqu’Il vit dans une âme, Jésus-Christ la met-Il dans un état de parfait anéantissement devant Dieu et la fait-Il entrer dans l’esprit de sa propre religion envers le Père.”

Et Jean-Jacques Olier de conclure :

“Lorsque nous travaillons à la perfection des âmes, c’est un triple bien que nous accomplissons :

          – Nous donnons une grande joie à Dieu, (le Père)

          – Nous faisons une grande joie à Notre-Seigneur... qui ne désire que la Gloire de son Père,

          – Nous procurons à ces âmes le bonheur le plus grand dont elles puissent bénéficier, à savoir, de posséder Dieu et d’en jouir, lui qui est leur souverain bien.

C’est pour cela que “nous sommes tenus de conduire les âmes à la perfection, afin de les mettre en mesure de servir les desseins que Notre-Seigneur a sur elles pour la gloire de son Père.”

2-3-Autres bienfaits de la direction spirituelle

2-3-1-Pour l’Église

“Les âmes saintes sont, pour l’Église, un trésor spirituel et apostolique inestimable, aussi bien par l’efficacité de leur prière que par le rayonnement de leur témoignage exemplaire.”

Aussi les directeurs contribuent-ils, en forgeant des âmes saintes, à fortifier l’Église, à obtenir des grâces pour ceux pour qui elles prient. Elles sont également des témoins qui portent Dieu aux autres.

2-3-2-Pour le directeur

Coopérant avec le Christ à l’œuvre de Dieu, le directeur est appelé, lui aussi, à progresser. Jésus nous a donné l’Évangile et nous a communiqué sa vie divine. “Mais Il a voulu prendre un soin particulier pour former et sanctifier chaque chrétien, afin d’en faire un sujet de prédilection pour Dieu son Père par la sainteté à laquelle il atteindra et la conformité avec son Fils que Dieu verra en lui.”

Or tout ce que Jésus veut faire, Il le fait par l’intermédiaire des directeurs qu’Il a choisis pour être ses collaborateurs. S’ils sont fidèles à Dieu pour Lui procurer, ne fût-ce qu’un instant, toute la gloire possible en Lui donnant des saints, quelle béatitude pour eux que la béatitude des âmes qu’ils auront conduites à la perfection! “Dieu veut en effet, que ceux qui en (du bonheur de leurs dirigés) ont été les instruments jouissent du bien qu’ils auront fait à leurs frères et soient récompensés à jamais de la gloire qu’ils Lui auront procurée à Lui-même par leurs travaux.

Cette seule perspective devrait nous inciter à travailler de toutes nos forces à la sanctification et au perfectionnement des âmes... Qui ne désirerait avoir un cœur élargi à toutes les créatures pour  magnifier Dieu en toutes? Et si nous n’en sommes pas capables, parce que cette grâce est réservée à Jésus-Christ, Lui qui doit être la louange universelle de Dieu son Père, tâchons au moins de Le glorifier dans les âmes que Dieu nous confie, en les perfectionnant le plus que nous pouvons afin de pouvoir, avec elles, louer et aimer Dieu éternellement!... Voyant notre désir de Le glorifier en travaillant à sanctifier ses enfants, Dieu prend un soin particulier de notre propre sanctification... Nous devons donc travailler du mieux que nous pouvons à rendre les âmes semblables à Dieu... mais nous ne devons pas avoir moins de zèle pour nous conformer nous-mêmes à Dieu.”

Jean-Jacques Olier conclut ces règles aux directeurs par ce conseil plein de bon sens: “Il convient de veiller à ce que les dirigés ne s’écartent pas de leur propre chemin sous prétexte d’imiter ce qui, chez les saints, est inimitable. La perfection chrétienne ne consiste pas à faire beaucoup, mais à beaucoup aimer et à faire avec amour ce que le Seigneur nous demande. Ce sont les vertus des saints qu’il faut imiter.”

3
L’amour de Dieu et des âmes

Jean-Jacques Olier enseigne ses Sulpiciens, futurs directeurs: “Conduire des frères sur le chemin de la perfection évangélique, est, de la part du directeur, œuvre de la véritable charité.” Mais Monsieur Olier leur fait comprendre qu’ils ne sont que de simples instruments dans la main de Dieu, et qu’ils ne doivent avoir en vue que Dieu seul dans les âmes qu’ils conduisent vers lui. En conséquence, les directeurs, entrant dans la charité de Jésus-Christ pour tous les hommes doivent, eux aussi, les aimer tous en Dieu, moyennement certaines conditions:

          – ils doivent se garder de toute attache, et conserver une grande liberté vis à vis d’elles: “C’est ‘l’abomination de la désolation dans le lieu saint’ lorsque, dans le cœur des prêtres... l’on trouve quelque image profane, autrement dit quelque créature pour prendre la place de Jésus-Christ.”

          – ils doivent donner aux âmes l’exemple de ce qu’ils enseignent et conseillent: “Dieu choisit les prêtres pour se communiquer par eux aux autres et il les regarde un peu comme des canaux pour les arroser des eaux de sa grâce.

          – c’est par leur sainteté qu’ils mériteront l’estime des hommes: “La sainteté, en effet, ne va pas sans un certain rayonnement qui la fait transparaître.”

Ces précautions n’empêchent ni l’estime, ni l’amitié. Jean-Jacques écrit: “Nous pouvons, et même nous devons aimer et chérir les personnes que nous conduisons, tout comme il est raisonnable que celles-ci aient pour nous quelque estime; mais cet amour ne doit pas être fondé sur le penchant naturel.”

Il faut apprendre aux dirigés tous les écueils qu’ils peuvent rencontrer: tentations, illusions, dangers de toutes sortes, afin qu’ils soient mieux en mesure de les éviter. Mais pour cela, “il est nécessaire que les dirigés rendent compte de leur conscience... Un directeur doit encore prendre soin qu’ils ne s’arrêtent pas sur le véritable chemin... Parce que la vie ne nous est donnée que pour aller continuellement à Dieu, nous perdons beaucoup en nous arrêtant en route.”

C’est Jésus-Christ qu’il faut seulement voir, aimer et servir en chaque personne. Les directeurs doivent être un peu comme l’étoile qui est apparue aux Mages pour les conduire jusqu’à Notre-Seigneur. Quand les Mages eurent trouvé l’Enfant, elle disparut. Les directeurs doivent faire de même: “Dès lors que nous l’avons fait et que nous leur avons fait connaître Notre-Seigneur, il nous faut alors disparaître, il faut nous effacer sans plus vouloir que l’on nous regarde...”

Le succès de leur action, les directeurs doivent l’attendre de Dieu seul. ”C’est en effet au Saint-Esprit à faire fructifier la semence qu’Il fait répandre dans les âmes par la parole qu’il met dans la bouche de ses ministres.

4
Les vertus des directeurs spirituels

La direction des âmes est un service éprouvant: il faut donner du temps, supporter les défauts des dirigés et la lenteur de leurs progrès, et parfois même, l’absence de résultats. Cependant les directeurs ne doivent jamais se lasser malgré les difficultés qu’ils rencontrent et qu’ils doivent accueillir avec joie. L’amour qu’ils ont pour Jésus-Christ les fait persévérer et grandir dans les vertus qui leur sont les plus nécessaires:

4-1-La disponibilité, car le temps des directeurs appartient à Dieu, et non à eux.

Les directeurs sont les serviteurs des âmes, et ce n’est pas à eux de choisir leur emploi du temps. ”Il est plus facile de donner de son argent que de son temps et de sa peine,” affirme Jean Jacques Olier. Les directeurs doivent rendre les services qu’exigent les personnes que Dieu leur envoie, lesquelles ne sont pas toujours maîtresses de leur temps: il ne faut pas leur refuser la nourriture dont elles ont faim, et que Dieu leur envoie par leur ministère. “Nous ne devons rien omettre, conseille J.J.Olier, afin de contribuer à la perfection des âmes... Il faut imiter les peintres... Les âmes que nous conduisons sont un peu comme des tableaux sur lesquels il nous faut tenter d’imprimer les perfections de Dieu et les vertus de Jésus-Christ Notre Seigneur.”

4-2-La patience

Jésus a supporté ses apôtres avec tous leurs défauts, et avec une patience infinie. De la même façon, Jésus nous aime malgré nos imperfections. Les directeurs, dit Jean-Jacques Olier, doivent imiter Jésus-Christ “en supportant avec amour et patience les défauts de ceux que Dieu leur confie. La charité qu’ils doivent avoir n’a pas à leur masquer les imperfections de leurs dirigés, ou plutôt, si elle les leur fait voir, ce n’est qu’en vue de les en corriger.”  

Et Mr Olier poursuit: “Plus ils sont malades et plus nous devons en avoir compassion et prendre grand soin de les guérir en leur appliquant les remèdes dont ils ont besoin... Nous devons entrer dans toutes les dispositions de Notre-Seigneur... Les âmes doivent nous coûter aussi cher qu’à Notre-Seigneur si nous voulons avoir pour elles la qualité de pères spirituels. Il faut les attendre avec patience, les attirer avec amour et ne point cesser jusqu’à ce que nous les ayons mises dans l’état où Dieu les appelle... Une telle conduite est souvent crucifiante, mais l’amour nous la doit rendre douce et aimable... Dieu donne toute la vie pour arriver à la perfection, Il ne la réalise pas tout d’un coup... il faut suivre l’Esprit de Dieu et ne pas vouloir le devancer.”

J.J.Olier conclut : “Voilà comment nous devons nous comporter: avoir une très grande patience, beaucoup prier, et attendre le moment où Dieu voudra nous faire miséricorde, tout en travaillant autant que nous le pouvons... Il arrivera d’ailleurs, que des personnes dont nous désespérions nous serons données parfois à cause de notre grande fidélité et de notre longue patience; et alors, nous les gagnerons à Dieu... Ce sont comme des semences que nous jetons dans les âmes dont il nous faut laisser à Dieu seul de les faire fructifier quand son temps sera venu et selon ses propres desseins.”

4-3-La charité

Avec Notre-Seigneur, les directeurs doivent avoir pour les âmes l’amour d’un père et d’une mère, un amour paternel fort et courageux, un amour maternel plein de tendresse et de compassion. C’est pourquoi, précise Jean Jacques Olier, “il nous faut avoir ces deux dispositions à la fois: la force et la tendresse, la patience  et le courage, la compassion et la réprimande.”

Voilà comment doivent se conduire les directeurs d’âmes: “Ils doivent avoir un amour de père en portant avec force les âmes à suivre leur devoir, en les crucifiant quand c’est nécessaire... Ils doivent aussi avoir un amour de mère, habile à soulager les âmes après les avoir affligées, en leur donnant de petits réconforts... Voilà le savoir-faire dont il leur faut faire preuve... Ce savoir-faire, il faut le chercher et le trouver en Notre Seigneur...”

Jean-Jacques Olier n’hésitera pas à exprimer la charité pastorale qu’un directeur doit éprouver vis-à-vis des personnes qu’il accompagne. Il écrit à l’une de ses dirigées: “Je me sens obligé à Jésus-Christ de me trouver lié en Lui à votre intérieur, pour porter avec Lui tous vos maux; et je me sens en même temps dans le désir de me voir encore en Lui autant qu’Il Lui plaira, au milieu de tous ceux qu’Il m’a unis, pour porter leur joug et leurs fatigues... Pensez que Jésus tout rempli de la divinité, a été secondé et visité par l’ange réconfortant... Dieu me fasse cette miséricorde de n’être pas absent de vous un seul moment, comme Dieu, par ma charge, m’oblige à cela.”

4-4-Accepter et aimer la croix pour les âmes

La valeur des âmes est “si grande que nous devons tout mépriser pour les gagner: il n’est aucune souffrance qu’il ne nous faut aimer pour les conquérir à Jésus-Christ... C’est là un martyre continuel: c’est vivre comme des victimes frappées tous les jours d’une infinité de coups qu’il faut chérir et supporter en regardant Jésus-Christ et en prenant part à sa charité pour les âmes.”

l’amour de la croix, c’est l’amour des forts et la nourriture des âmes consacrées résolument à Jésus-Christ. Car, “nous ne vivons pas à nous, mais à Jésus-Christ crucifié.”

5
L’union spirituelle

Dieu établit parfois, entre certaines âmes, une communion spirituelle qui répond à ses desseins particuliers sur elles. Mais ”ces unions spirituelles demandent à être vécues avec une absolue pureté intérieure et dans un total abandon à l’action de la grâce, le plus souvent inaperçue de ceux-là mêmes qui en bénéficient... L’union particulière est celle que Dieu établit entre quelques saintes âmes dont Il veut se servir pour sa gloire et pour réaliser les desseins qu’Il a sur elles...

L’expérience est là pour le montrer: si Dieu réalise ces unions spéciales, c’est parce qu’Il appelle certaines âmes à une même œuvre qu’Il veut faire en son Église et parce qu’Il les veut ainsi en Lui, afin qu’elles réalisent cette œuvre avec davantage d’union, de perfection, et de sainteté... Et c’est Dieu seul qui doit être le lien de nos unions spirituelles.”

Jean-Jacques Olier estime qu’une profonde communion peut exister entre le Directeur et l’un ou l’autre de ses dirigés; mais cette communion réside dans la volonté. Elle est de l’ordre de la charité, et c’est l’Esprit-Saint qui la dirige: “La charité des hommes en Dieu doit être comme la dilection des anges dont l’union n’est que par le sujet de la charité, qui est la volonté; et rien que l’esprit n’a part à leur affection.”

Jean-Jacques Olier a connu une authentique amitié spirituelle en la mère de Bressand, de douze ans son aînée, et à plusieurs reprises il s’est confié à elle, n’hésitant pas à lui montrer l’état de son âme, surtout lors de périodes difficiles. Il avoue être de plus en plus conscient et malheureux de la superbe qui l’habite et dont il prie Dieu de le débarrasser.

Le 6 août 1639 il lui déclare : “...J’ai vu aujourd’hui même, plus que jamais, l’impureté de ma vie et du peu d’affection que je ressens au service de Dieu.” Et en mai 1641: “Dieu m’ouvre de jour en jour les yeux à ma misère... Je connais à présent que je suis si rempli d’amour-propre que j’y suis comme assujetti; et depuis que Dieu m’a retiré les mouvements sensibles qui ne servaient que de couverture à mes vices, je me suis retrouvé si nu de vertu et si rempli de désordres que je ne puis exprimer la moindre partie de mes défauts.”

Jean-Jacques avouera aussi: “Puisque je puis à cœur ouvert vous dire le fond de mon âme, il s’est découvert que je ne suis qu’un hypocrite superbe, dissimulé et incapable de ne rien faire de bien...”

Jean-Jacques implore les prières de sa correspondante à qui il fera de nouvelles confidences: “Que Dieu est bon... Ses miséricordes sont sans fin, et je vois bien qu’Il les veut exercer sans fin sur son pauvre et chétif esclave, cette petite créature basse, faible, impuissante et néant. Très chère fille, Il m’aime et me veut encore plus aimer.”

Parlant des épreuves spirituelles et des nuits, Jean-Jacques Olier écrit à la même correspondante: “C’est Dieu même répandu dedans nous et qui ne souffre plus, par la jalousie qu’Il a pour nous, que nous aimions et embrassions quoi que ce soit hors de Lui-même. Il est jaloux jusqu’au point de l’être de ses propres dons, et, craignant qu’on les aime et qu’on s’y attache, Il les retire de nous et nous en prive pour nous mettre à sa merci et nous obliger d’avoir recours à Lui unique, à Lui pur et simple, sans autre vue, autre détour et autre amour que Lui seul...”

Car J.J.Olier vit dans l’obscurité de la foi. Son âme “est comme une nuit cachée, obscure, basse, dégagée, séparée de tout et de Dieu même qui désire qu’on ne se répande point en ses dons, et qu’on ne s’appuie en autre qu’en Lui seul...” C’est le monde de la foi.

Conduite à tenir

Dans les âmes auxquelles Dieu nous unit, il ne faut voir que Dieu en elles. “Il ne nous faut jamais rien chercher d’autre que Dieu... Il nous faut toujours, mais principalement dans les occasions de contact, agir dans l’Esprit de Dieu: c’est Lui qui les élève au-dessus d’elles-mêmes et veut les établir dans un état divin, pour qu’elles agissent toujours en Dieu et pour Dieu...

Appelées à demeurer totalement en Dieu, ces âmes doivent révérer et honorer dans leurs conversations la pureté et la sainteté des relations mutuelles des trois Personnes divines dans l’éternité...

Tout se passe dans les ardeurs de l’amour divin, à soupirer après la gloire de Dieu et à jouir de la divine dilection. C’est ainsi que doivent se passer les relations entre ces âmes: toutes doivent avoir lieu dans la charité, rien d’autre que Dieu ne doit s’y manifester, l’amour doit y éclater, le zèle pour la gloire de Dieu doit y paraître et s’y faire entendre les Cantiques du Seigneur pour les louanges unanimes à rendre à Dieu. Tout, en un mot, doit y être orienté vers Dieu dans un total oubli de soi... Il faut enfin que les âmes entrent dans un profond anéantissement intérieur... Notre esprit, étant fait pour Dieu, ne doit trouver son repos qu’en Lui seul.”

Notre Seigneur se plaît parfois à choisir des âmes saintes pour les présenter à son Père, et Lui montrer la puissance et l’efficacité de sa grâce. Il faut Le laisser faire. Alors, “lorsque les âmes conversent entre elles avec une telle pureté, Dieu d’abord les unit ensemble de plus en plus profondément en augmentant sa grâce à laquelle Il leur donne part plus abondamment... et elles sont dans la plus grande et la plus sainte liberté spirituelle... et ne perdent jamais Dieu de vue.”

Le 2 novembre 1651, Olier confie à Madame de Saujon :

“Après avoir humilié mon âme, comme il a accoutumé de le faire avant qu’il me fasse miséricorde, Jésus m’a fait entendre ces glorieuses paroles: ‘Je veux vous engloutir en ma sagesse.’ Et ces autres très aimables pour vous: ‘Je veux que vous l’y attiriez en moi.’“ La lettre se termine comme suit: “Le saint Époux a fait aussi sentir et entendre à mon âme à votre sujet ces douces paroles: ‘Je l’ai choisie et l’ai faite pour être une avec vous dans mon œuvre.’ Ce qui m’est une consolation merveilleuse, ce que j’ai cru vous devoir faire savoir aussitôt pour la joie de votre cœur.[2] ”

Mais attention! Les âmes, même les plus saintes, ne sont pas Dieu, et ne doivent donc pas remplir notre cœur qui est fait pour Dieu seul.


[1] “Jean-Jacques Olier était si accoutumé à marcher en la présence de Dieu et à regarder uniquement Notre Seigneur qu’il tâchait d’oublier ce qu’étaient ces personnes dont il avait la conduite pour n’envisager que Jésus-Christ en elles.” (Extrait des mémoires de Bretonvilliers)

[2] À cette époque Jean-Jacques Olier projetait de fonder une société de femmes destinée à honorer la vie de Jésus en Marie. Cette société se serait appelée les “Filles de l’intérieur de la Vierge Marie.” Cette société ne vit le jour qu’après la mort de Jean-Jacques Olier, sous l’impulsion de Mme Tronson et de Mme Saujon.

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