EdmÉ de Cantorbéry
(Edmond Rich)
Évêque, Écrivain, Saint
1170-1242

Edmond Rich était fils de Raynaud Rich, marchand d’Abington, dans le Berkshire. Sa mère se nommait Mabile. Ses parents étaient médiocrement pourvus des biens de la fortune ; mais ils possédaient les vraies richesses, celles de la grâce. Raynaud, du consentement de sa vertueuse épouse, quitta le monde et se fit religieux dans le monastère d'Evesham. Mabile se chargea de veiller à l'éducation de ses enfants. Elle n'avait pas moins d'ardeur que son mari pour la perfection chrétienne. Elle pratiquait de grandes austérités, et portait habituellement un rude cilice. Tous les jours elle assistait aux matines qui se disaient à minuit. Elle portait ses enfants à suivre le même genre de vie, autant que la faiblesse de leur âge pouvait le leur permettre. Par son conseil, Edmond récitait tout le psautier à genoux, les Dimanches et les fêtes, avant de prendre aucune nourriture. Les Vendredis, il ne vivait que de pain et d'eau. Quels que fussent les exercices que Mabile recommandait à ses enfants, ils ne suffisaient point à la ferveur d'Edmond; il en avait de particuliers, mais qu'il cachait avec soin, en évitant toutefois l'attachement à son propre sens. Il ne connaissait point les singularités qui ont souvent pour principe l'humeur ou le caprice, et qui ne servent qu'à nourrir l'amour-propre. Il était doux, affable, docile, complaisant, et paraissait n'avoir d'autre volonté que celle de sa mère et de ses maîtres. On le voyait prévenir jusqu'à leurs désirs, en sorte qu'il était facile de remarquer qu'en lui l'obéissance était véritablement le sacrifice du cœur. L'éducation qu'il reçut lui rendit comme familière la pratique des vertus chrétiennes, de celles mêmes qui coûtent le plus à la nature.

Edmond fit ses premières études à Oxford, et y donna des preuves de la beauté et de la pénétration de son esprit. Mais il se distinguait principalement de ses condisciples, par sa ferveur dans le service de Dieu. Son assiduité à la prière et son amour pour la retraite, firent bientôt connaître les vertus dont son âme était ornée. Il n'avait pour amis que ceux dans lesquels il remarquait de l'inclination pour la piété. Il était encore jeune lorsqu'on l'envoya avec son frère Robert à Paris, afin qu'ils pussent l'un et l'autre y achever leurs études. Mabile, en se séparant d'eux, leur donna à chacun un cilice, et leur conseilla de le porter deux ou trois jours de la semaine, pour se prémunir contre les attraits de la volupté, qui sont si dangereux pour la jeunesse. Lorsqu'elle leur envoyait des vêlements ou d'autres choses nécessaires à leur usage, elle y joignait quelque instrument de pénitence, pour leur rappeler la nécessité de la mortification.

Quelque temps après, Mabile tomba malade, et comme elle sentait approcher sa fin, elle fit venir Edmond en Angleterre, afin de lui recommander d'établir son frère et ses sœurs dans le monde. Elle lui donna sa bénédiction avant de mourir. Edmond l'ayant priée de la donner à son frère et à ses sœurs, elle lui répondit qu'elle les avait bénis en lui, et qu'ils auraient d'ailleurs une part abondante aux bénédictions du Ciel.

Lorsqu'Edmond eut fermé les yeux à sa mère, et qu'il lui eut rendu les derniers devoirs, il chercha à placer ses sœurs avec d'autant plus de soin, que leur beauté les exposait à plus de dangers. Mais si elles étaient belles, elles étaient encore plus vertueuses. Elles tirèrent bientôt leur frère d’embarras, en lui annonçant qu'elles désiraient embrasser l'état religieux. Il n'était plus question que de choisir un monastère ; il en voulait un où régnât la plus exacte régularité. « Embrasser l'état religieux, disait-il, c'est » prendre un engagement particulier à la perfection ; mais vivre dans cet état d'une manière imparfaite, c'est attirer sur soi une condamnation plus rigoureuse. » En même temps qu'il évitait les monastères riches et qui tenaient un rang dans le monde, il évitait ceux où l'on exigeait une dot pour l'admission des postulantes. Après un mûr examen, il se détermina pour le petit couvent des Bénédictines de Catesby, dans la province de Northampton, où l'on observait la discipline la plus exacte. Ses sœurs s'y rendirent célèbres par la sainteté de leur vie, et y moururent après avoir été successivement prieures.

Edmond, déchargé du soin de ses sœurs, retourna à Paris pour y continuer ses études. Il avait fait autrefois vœu de chasteté perpétuelle, sous la protection de la Sainte Vierge ; il le garda toute sa vie avec la plus parfaite fidélité, il veillait sur son cœur et sur ses sens avec une exactitude scrupuleuse, et s'interdisait tout ce qui aurait été capable d'y porter la moindre atteinte. Tous les auteurs de sa vie s'accordent à dire qu'il ne contracta jamais la plus légère souillure contre la pureté.

Au milieu de ses études, il avait soin d'élever son cœur à Dieu par de fréquentes aspirations ; et pour lui faciliter encore cet exercice, il était toujours environné d'objets de piété. Quelque ardeur qu'il eût pour les sciences, il en avait encore plus pour acquérir la sainteté. La vertu sanctifiant ainsi ses études, la pureté de son cœur communiquait à son esprit des lumières qui augmentaient sa pénétration naturelle ; il trouvait la solution des questions les plus difficiles ; il savait découvrir et expliquer, avec une netteté admirable, les vérités les plus sublimes. Ses maîtres le regardaient comme un prodige de science et de sainteté.

Tous les jours il assistait à l'office de la nuit dans l'église de Saint-Méri ; l'office fini, il y restait encore longtemps en prières. Il entendait la messe de grand matin : après quoi, il se rendait aux écoles publiques, sans prendre de repos ou de nourriture. Il jeûnait souvent ; mais les Vendredis, il jeûnait au pain et à l'eau. Il portait un rude cilice, et mortifiait ses sens en toutes choses. Ce qu'il recevait pour son entretien, était presqu'entièrement distribué en aumônes. Il vendit jusqu'à ses livres, pour assister de pauvres étudiants qui étaient malades. Il passa plusieurs semaines auprès d'un d'entre eux ; il le gardait avec charité nuit et jour, et lui rendait les services les plus humiliants. Rarement il mangeait plus d'une fois par jour, encore mangeait-il très-peu. Il ne dormait que sur un banc ou sur la terre nue, et il fut trente ans sans se déshabiller. Il avait un lit dans sa chambre, mais il ne s'en servait jamais, et c'était uniquement pour cacher ses austérités. Plusieurs années avant que d'avoir reçu les saints ordres, il récitait chaque jour l'office de l'Eglise.

Lorsqu'il eut achevé son cours, il prit le degré de maître-ès-arts, et il enseigna publiquement les mathématiques. Il redoubla de ferveur dans la prière et la méditation, pour se prémunir contre la dissipation que cette science a coutume d'entraîner. Cette ferveur cependant souffrit à la longue quelque diminution. Une nuit, il lui sembla voir sa mère en songe ; après avoir tracé devant lui quelques figures de géométrie, elle lui demanda ce que tout cela signifiait, et lui ajouta qu'il valait bien mieux faire de l'adorable Trinité l'objet de ses études. Depuis ce temps-là, il ne voulut plus étudier que la théologie. Il céda enfin aux importunités de ses amis, et se fit recevoir docteur en cette faculté. Les auteurs ne s'accordent point sur le lieu où il fut élevé au doctorat ; ce fut à Paris, suivant les uns, et à Oxford suivant les autres. Quoi qu'il en soit, il expliqua quelque temps l'Ecriture-Sainte à Paris. Toutes les fois qu'il prenait dans ses mains le volume qui contenait les divins oracles il le baisait respectueusement. Ayant été ordonné prêtre, il fut chargé de prêcher, et il s'acquitta de ce ministère avec autant de fruit que d'onction. Ses leçons publiques, et même ses conversations, portaient tellement l'empreinte de l'esprit de Dieu, qu'on ne pouvait l'entendre sans être édifié. Plusieurs de ses disciples devinrent célèbres par leur savoir et leur sainteté ; sept quittèrent son école le même jour pour aller prendre l'habit dans l'ordre de Cîteaux. On comptait parmi eux Etienne, qui fut depuis abbé de Clairvaux, et qui fonda le monastère ou collège des Bernardins à Paris.

Edmond, de retour en Angleterre, fixa sa demeure à Oxford, et y resta depuis 1219 jusqu'en 1226. Il y enseigna la logique d'Aristote, ce que personne n'avait encore fait jusqu'alors (4). Mais les travaux attachés à cette profession, ne l'empêchaient pas de se livrer au ministère de la prédication. Les provinces d'Oxford, de Glocester et de Worcester furent souvent le théâtre de son zèle, et il y f1t des missions qui opérèrent de grands fruits. Il refusa plusieurs bénéfices qu'on lui offrit successivement. A la fin, il accepta t1n canonicat et la trésorerie de la cathédrale de Salisbury ; mais il en distribua le revenu aux pauvres, et à peine se réservait-il ce qui était nécessaire pour ses plus pressants besoins. Peu de temps après, le Pape le nomma pour prêcher la croisade contre les Sarrasins, et l'autorisa en même temps à recevoir un honoraire de différentes églises où il devait prêcher. Le Saint remplit cette commission avec beaucoup de zèle, mais il ne voulut recevoir ni honoraire, ni même aucune espèce de .présent. On dit que prêchant un jour en plein air, près de l'église de Worcester, il survint un orage qui épargna le lieu où était assemblé le peuple qui l'écoutait. Ses discours étaient si touchants, et il possédait si bien l'éloquence du cœur, que les pécheurs les plus endurcis se convertissaient. Guillaume, surnommé Longue-Epée, comte de Salisbury, menait depuis longtemps une vie très-opposée aux maximes du christianisme. Il n'approchait même jamais des sacrements. Ayant entendu un sermon de notre Saint, et conversé quelques heures avec lui, il se convertit si parfaitement, que depuis ce temps-là il ne s'occupa plus que de son salut.

Edmond forma plusieurs personnes au grand art de la prière : aussi était-il un habile maître dans les voies de la vie intérieure, et il est encore regardé comme un des plus célèbres contemplatifs de l'Eglise. Il voulait qu'on joignît à la prière l'esprit d'humilité et de mortification. Il inculquait en toute occasion la nécessité de la prière du cœur. « Cent mille personnes, disait-il, tomberont dans l'illusion en multipliant leurs prières J'aimerais mieux » ne dire que cinq mots du cœur, et avec dévotion, que cinq mille avec froideur, avec indifférence, et dont mon âme n'est point affectée. Célébrez les louanges du Seigneur » avec Intelligence. L'âme doit ressentir ce que dit la langue. Saint Edmond, dit un auteur moderne, s'appliqua dès sa jeunesse à la contemplation des vérités éternelles Il a si bien réuni en sa personne, ce qui est très-rare, la science du cœur avec celle de l’école, la théologie mystique avec la spéculative, qu'ayant fait passer dans son cœur les lumières de son esprit, il de ritualité, qui porte pour titre le Miroir de l'Eglise, et dans lequel on trouve plusieurs excellentes » choses touchant la contemplation. »

Le Pape Grégoire IX désigna saint Edmond pour remplir le siège de Cantorbéry, qui était vacant depuis longtemps. Le chapitre de cette église l'élut d'une voix unanime, et le Roi Henri III, ayant donné son consentement, l'élection fut confirmée par le Souverain-Pontife. On envoya des députés à Cantorbéry pour informer le Saint de cette élection, et pour le conduire à son troupeau. Edmond, qui ne savait rien de ce qui s'était passé, protesta contre la violence qu'on lui faisait. Il fallut toute l'autorité de l'Evêque de Salisbury pour vaincre sa résistance. On le sacra le 2 Avril 1234. Il continua toujours son premier genre de vie, sans craindre de s'exposer à la censure de quelques évêques qui n'étaient pas animés, comme lui, de l'esprit de Dieu. Sa principale occupation était de connaître les besoins spirituels et corporels de son troupeau, afin de pourvoir aux uns et aux autres. Il avait un soin particulier des jeunes filles qui n'avaient point de ressources ; et, pour les mettre plus sûrement à l'abri du danger, il leur procurait un établissement. Il faisait une guerre déclarée aux vices ; il maintenait la discipline avec une vigueur vraiment apostolique ; il veillait sur ses officiers de justice, pour qu'ils remplissent avec intégrité les fonctions de leurs charges, et qu'ils n'abusassent pas de leur autorité pour opprimer les faibles. Pour réprimer plus efficacement les abus qui régnaient surtout parmi le clergé, il publia ses Constitutions, qui sont divisées en trente-six canons. La corruption était alors trop grande pour que son zèle ne lui suscitât pas des ennemis. Une partie de son clergé, sans Dans le huitième canon, le Saint montre combien il craignait la simonie et le vice d'une honteuse cupidité, dans les prêtres qui reçoivent des rétributions pour des messes. Celui qui sert à l'autel a droit de vivre de l'autel ; il peut prendre, pour sa subsistance, l'honoraire que l'Eglise lui permet de recevoir, à l'occasion de certaines fonctions auxquelles cet honoraire est attaché, et lorsqu'il n'y a point de danger que le peuple soit détourné par-là de remplir des devoirs de religion. C'est par une suite de ce danger qu'il n'y a point d'honoraire attaché à l'administration des sacrements de Pénitence et d'Eucharistie, ni aux autres fonctions qui s'exercent fréquemment pour nourrir et entretenir la piété des fidèles. On se rendrait pourtant coupable de simonie, si on recevait l'honoraire, comme le prix d'une messe ou de toute autre fonction spirituelle. Ce fut pour prévenir les abus de ce genre, ceux surtout qui pouvaient se glisser relativement aux trentaines et aux annuels pour les morts, que le saint archevêque publia le canon dont il s'agit, et que Lynwood et d'autres auteurs ont obscurci par leurs longs commentaires.

Il ordonna dans le quinzième, de rappeler au peuple, tous les Dimanches, à la messe de paroisse, les canons portés contre les parents dont les enfants sont étouffés : canons qui en certains cas les obligent à se retirer dans un monastère, d'autres fois à faire pénitence pendant trois ans, et même pendant sept, si la mort de leurs enfants a été occasionnée par l'ivrognerie, ou par quelque autre péché.

Dans le cinquième, saint Edmond s'adressant aux recteurs, vicaires et autres prêtres proposés au gouvernement des paroisses , s'exprime ainsi : « Nous vous avertissons et vous enjoignons expressément de vivre en paix avec tous les hommes, autant qu'il dépendra de vous ; d'exhorter vos paroissiens à n'être qu'un même corps en Jésus-Christ n par l'unité de la foi et par le lien de la paix ; d'apaiser tous les différends qui s'élèvent dans vos paroisses; de terminer toutes les que» relies, autant que vous le pourrez, et de ne pas permettre que le n soleil se couche sur la colère d'aucun de vos paroissiens. » Le préambule de ce canon fait voir jusqu'à quel point le saint archevêque aimait la paix.

« C'est un devoir pour nous, mes enfants, d'aimer la paix, puisqu'un > Dieu en est l'auteur, qu'il nous l'a recommandée, qu'il est venu en excepter le chapitre de son église, se déclara contre lui, et tâcha de rendre inutiles ses pieux efforts. On l'accusait de scrupule. Mais ce qu'on traitait de scrupule, n'était autre chose que cette disposition qui porte les Saints à veiller sur eux-mêmes, et sur toutes leurs actions ; à ne connaître que l'Evangile pour règle de leur conduite ; à pacifier le ciel et la terre, et que de cette paix il fait dépendre celle qui est éternelle. »

« Il faut résister au torrent des mauvais exemples et des coutumes perverses ; à remplir les devoirs de leur place, malgré tous les obstacles que le monde leur oppose. Personne peut-être n'aimait plus la paix que saint Edmond: mais il ne voulait pas l'acheter par une lâche et criminelle complaisance ; il aima mieux être persécuté, même par ses amis, que d'approuver ou de tolérer des abus qui auraient exposé son salut éternel, et celui des âmes confiées à ses soins. Au reste, la patience avec laquelle il supporta les persécutions, devint pour lui une source de mérites. La tranquillité de son âme fut toujours inaltérable; il oubliait tout ce qui lui était personnel, et il ne pensait qu'à faire du bien à ses ennemis. Quand on lui représentait qu'il portait la charité trop loin à leur égard, il avait coutume de répondre : « Pourquoi les autres me feraient-ils offenser Dieu, ou perdre la charité que je dois avoir pour eux ? S'il se trouvait quelqu'un qui voulût m'arracher les yeux, ou me priver de mes membres, il m'en deviendrait plus cher, et je le jugerais plus digne de ma tendresse et » de ma compassion. » II comparait les tribulations à un lait que Dieu préparait pour la nourriture de son âme. « L'amertume qu'elles peuvent renfermer, disait-il, est mêlée de beaucoup de douceur ; c'est comme un miel sauvage qui doit nourrir l'âme dans le désert de ce monde. Il ajoutait que Jésus-Christ nous avait enseigné, par son exemple, à aimer nos persécuteurs et à recommander leurs âmes au Père céleste. » Aussi les consolations qu'il recevait étaient-elles proportionnées à la grandeur de ses souffrances. C'était surtout dans la prière et la contemplation que Dieu se plaisait à lui faire goûter des douceurs ineffables. Un savant Dominicain apprit d'un de ses confrères, et de plusieurs autres personnes qui avaient vécu avec le saint archevêque, qu'il reçut souvent des grâces extraordinaires, et qu'on le vil plusieurs fois en extase lorsqu'il était en prières. Tant d'éminentes vertus étaient jointes à une grande affabilité ; il traitait avec bonté ceux qui approchaient de lui, et il voulait que sa table fût servie avec décence ; mais il pratiquait en particulier des mortifications dont il dérobait la connaissance aux autres.

Quoique le Saint éprouvât tous les jours de nouvelles contradictions, il ne perdait rien de sa tranquillité. Le Roi Henri III avait épuisé ses finances par une mauvaise économie, et par ses prodigalités envers ses favoris. Il exigea de ses sujets des impôts exorbitants, et les ecclésiastiques ne furent pas plus ménagés que les autres. Il en vint même jusqu'à s'approprier les revenus des évêchés, des abbayes et des autres bénéfices qui étaient à sa nomination. Il les laissait longtemps vacants, et il imaginait des prétextes pour cacher le véritable motif de sa conduite. Lorsqu'il y nommait, son choix ne tombait que sur ses créatures, et sur des personnes tout-à-fait indignes. Edmond, vivement affligé de ces désordres, reçut du Pape Grégoire IX une bulle qui l'autorisait à nommer aux bénéfices qui ne seraient pas remplis après une vacance de six mois ; mais cette bulle n'eut point d'exécution ; le Roi s'en plaignit, et elle fut révoquée. Le saint archevêque, craignant de paraître conniver à des abus qu'il ne pouvait réprimer passa secrètement en France, témoignant par-là combien il les improuvait. Il vint à la cour où il fut très-bien reçu et de saint Louis et de toute la famille royale. La ville de Paris rendit aussi un témoignage éclatant à ses vertus.

De Paris, le Saint se rendit à l'abbaye de Pontigni, de l'ordre de Cîteaux, dans le diocèse d'Auxerre. On y avait autrefois reçu deux de ses prédécesseurs, saint Thomas, sous le Roi Henri II, et Etienne Langton, sous le Roi Jean. II se livra dans cette retraite à l'exercice de la prière et aux pratiques de la plus austère pénitence. Il ne sortait que pour aller prêcher dans les villages voisins. Mais sa santé fut bientôt si dérangée, que les médecins jugèrent qu'il devait changer d'air. Il obéit, et se retira chez les chanoines réguliers de Soissy, près Provins en Champagne. Les moines de Pontigny fondirent en larmes, en le voyant partir : mais il les consola, en leur disant qu'il retournerait chez eux à la fête de saint Edmond, martyr. Il entendait, sans doute, que son corps serait reporté ce jour-là à Pontigny, ce que l'événement justifia.

Comme sa maladie augmentait de jour en jour, il demanda à recevoir le saint Viatique. Il dit en présence du Saint-Sacrement : « J'ai cru en vous, Seigneur : je vous ai prêché ; j'ai enseigné votre doctrine. Vous m'êtes témoin que je n'ai désiré que vous sur la terre ; et vous voyez que mon cœur ne désire autre chose que l'accomplissement de votre sainte volonté. » II passa le reste de la journée dans une ferveur admirable, et on aurait dit à la sérénité de son visage, qu'il ne sentait plus son mal. Le lendemain il reçut l'Extrême-onction; depuis ce moment-là, il voulut avoir toujours un crucifix dans la main, et il ne cessait de baiser amoureusement les plaies du Sauveur. Ses larmes et ses soupirs attendrissaient tous les spectateurs, qui ne pouvaient douter, en le considérant, qu'il n'éprouvât de grandes consolations intérieures. La dévotion qu'il avait toujours eue pour le sacré Nom de Jésus, semblait redoubler à chaque instant. Il expira tranquillement à Soissy, le 16 novembre 1242, ayant été, selon Godwin, huit ans archevêque de Cantorbéry. On enterra ses entrailles à Provins : mais son corps fut reporté à Pontigny, où sept jours après on l'inhuma avec beaucoup de solennité. Plusieurs cures miraculeuses ayant attesté sa sainteté, Innocent IV le canonisa en 1247. L'année suivante, on leva de terre son corps, qui fut trouvé entier, et dont les jointures étaient encore flexibles. On en fit solennellement la translation, en présence de saint Louis, de la Reine Blanche, sa mère, des princes, ses frères, Robert, comte d'Artois, Alphonse, comte de Poitiers, Charles, qui fut depuis comte de Provence et d'Anjou , et Roi de Sicile; d'Isabelle de France, sœur du saint Roi ; du cardinal Pierre, évêque d'Albano ; du cardinal Eude, évêque de Frascati, légat du Saint-Siège; des archevêques de Bourges, de Sens, de Bordeaux, et d'Armagh ; de saint Richard, évêque de Chichester, et d'un grand nombre de prélats, d'abbés, et d'autres personnes de distinction. Les reliques du Saint sont encore dans cette abbaye, qui a pris le nom de Saint Edmond de Pontigny.

Nous apprenons du sous-diacre Etienne, qui fut six ans secrétaire de saint Edmond, qu'il s'est opéré plusieurs miracles par l'intercession de ce Saint ; miracles qui ont été vérifiés et approuvés par des évêques d'Angleterre. Cet auteur ajoute qu'il est aussi certain de leur existence, que s'il les eût vus de ses propres yeux. Il en rapporte un qui fut opéré sur lui-même.

Nous ne devons pas nous étonner des grands progrès que saint Edmond fit dans l'école de l'amour divin, et dans la contemplation. Il avait appris à mourir parfaitement à lui-même. 11 avait compris de bonne heure que le cœur de l'homme est rempli de corruption ; qu'il est entraîné par mille affections désordonnées ; qu'il est livré à des passions subtiles qui l'agitent successivement, qui se déguisent sous des formes séduisantes, et qui infectent souvent nos vertus de leur poison. Il savait que Dieu réprouve quelquefois des actions que le monde admire, et qu'ayant principalement égard aux dispositions intérieures, à la pureté et à la ferveur d'intention les vertus les plus brillantes en apparence, se trouvent souvent fausses à ses yeux, et ne lui paraissent que des vices déguisés, que des fruits de l'amour-propre. De là, cet esprit d'humilité, de douceur, de patience, de componction, de renoncement et de prière, qui, en le détachant de plus en plus des choses terrestres, purifiait son cœur et le rendait digne de recevoir les précieuses influences de la grâce.

SOURCE : Alban Butler : Vie des Pères, Martyrs et autres principaux Saints… – Traduction : Jean-François Godescard.

 

 

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