Edwin,
qui dut sa grandeur au bon usage qu'il fit de l'adversité,,
était fils d'Alla, roi de Déïre. Mais à la mort de son père, il fut
dépouillé de ses états par Ethelfred, roi des Berniciens, qui ne fit
qu'une monarchie de tout
le Northumberland. Il se retira auprès. de Redwald, roi des Est-Angles. Ce prince, gagné par les prières, et
les promesses qu'on-lui avait faites, prit secrètement la résolution
de le livrer à son ennemi. Edwin n'ignora pas longtemps ce qui se
tramait contre lui; un ami qu'il avait dans le conseil de lledwald,
l'avertit de tout. Etant une nuit à la porte du palais, occupé de
pensées fort tristes, un étranger l'assura qu'il recouvrerait son
royaume, et qu'il deviendrait même le principal roi d'Angleterre,
s'il voulait pendre les précautions qu'on lui indiquerait pour la
conservation de sa vie. Il le promit, et aussitôt l'étranger, lui
mettant la main sur la tête, lui dit de se ressouvenir de ce signe.
Sur ces
entrefaites, Redwald changea de sentiment, à la persuasion de la
reine sa femme; il attaqua et tua même Ethelfred, qui lui avait
déclaré la guerre, sur le bord oriental de la petite rivière d'Idle,
dans la province de Notlingham. Par cette victoire,
Edwin fut mis en possession du Northumberland, qui comprenait tout
le nord de l'Angleterre. Le succès de ses armes le rendit depuis si
formidable, que tous les rois anglais et même les bretons ou gallois
reconnurent la supériorité de sa puissance. Il épousa Edilburge,
fille de S. Ethelbert, premier roi chrétien d'Angleterre, et sœur d'Ealbad,
roi de Kent. Mais 'e mariage ne fut conclu qu'à condition que la
princesse aurait la liberté de professer le christianisme, et qu'on
laisserait auprès d'elle S. Paulin qui venait d'être sacré évêque.
En 626, un
assassin, envoyé par le roi des West-Saxons, voulut ôter la vie à
Edwin, en le frappant avec un poignard empoisonné. C'en était fait
de ce prince, si Lilla, son ministre et son favori, ne se fût jeté
entre lui et l'assassin. Le ministre perdit la vie, mais le poignard
atteignit aussi le roi, et lui fit une blessure qui ne fut cependant
pas mortelle. Le coupable ayant été arrêté sur-le-champ, fut mis en
pièces, après avoir tué toutefois un autre officier du roi. Edwin,
préservé d'un si grand danger, rendit des actions de grâces aux
idoles qu'il adorait. Mais S. Paulin lui représenta que son culte
était sacrilège, et qu'il était redevable de sa conservation aux
prières de la reine. Il l'exhorta ensuite à remercier le vrai Dieu,
qui venait de lui faire éprouver si visiblement l'effet de sa
protection. Edwin parut écouter avec plaisir le discours du saint,
et il consentit que l'on consacrât à Dieu la princesse dont la reine
venait d'accoucher : elle fut baptisée, avec douze autres personnes,
le jour de la Pentecôte, et reçut le nom d'Eanflède.
Edwin promit à S.
Paulin d'embrasser la religion chrétienne s'il guérissait
parfaitement, et s'il remportait la victoire sur un ennemi qui avait
attenté si lâchement à sa vie. Sa santé fut à peine rétablie, qu'il
rassembla son armée pour marcher contre le roi des West-Saxons. Il
le vainquit, et prit ou tua tous ceux qui étaient entrés dans le
complot tramé contre lui. Il renonça dès-lors au culte des idoles ;
mais il différa encore de recevoir le baptême. Le pape Boniface lui
écrivit pour l'exhorter à tenir sa promesse, et il joignit à sa
lettre divers présents, tant pour le roi que pour la reine.
Cependant Edwin se fit instruire, et eut plusieurs conférences avec
ses principaux officiers sur le changement de la religion qu'il
projetait. S. Paulin, de son côté, priait pour sa conversion, et le
pressait de ne pas résister plus longtemps à la grâce. Ou dit que ce
saint évêque ayant appris par révélation, et ce que l'on avait
prédit au roi, et ce qu'il avait promis en conséquence, lui mit la
main sur la tête, en lui demandant s'il se ressouvenait de ce signe.
Edwin, tremblant, voulait se jeter à ses pieds ; mais il l'en
empêcha, et lui dit avec douceur : « Vous voyez que Dieu vous a
délivré de vos ennemis ; non content de cette faveur, il vous offre
encore un royaume éternel. Pensez de votre côté à remplir votre
promesse en recevant le baptême et en conformant votre vie aux
maximes de la religion que vous aurez embrassée. »
Le roi répondit
qu'il voulait conférer avec les principaux membres de son conseil,
pour les engager à suivre son exemple. S. Paulin y consentit. Le
prince ayant assemblé ce qu'il y avait de plus distingué parmi ces
officiers, leur demanda leur avis. Coifi, grand prêtre des idoles,
parla le premier, et déclara qu'il était prouvé par l'expérience que
les dieux qu'ils adoraient n'avaient aucun pouvoir. Une autre
personne dit qu'on ne devait pas balancer de se rendre à ce que
désirait le roi, puisqu'il n'y avait aucune comparaison à faire
entre une vie de peu de durée et un bonheur éternel. S. Paulin, qui
était présent à l'assemblée, parla ensuite avec beaucoup de force de
l'excellence et de la nécessité de la religion chrétienne. Coifi
applaudit à ce discours, et fut d'avis que l'on réduisît en cendres
les temples et les autels des idoles. Le roi ayant demandé qui les
profanerait le premier, Coifi répondit que c'était à lui à donner
l'exemple, puisqu'il avait été le chef du culte idolâtrique. Il
demanda qu'on lui fournît des armes et un cheval ; car, selon la
superstition de ces peuples, l'usage des armes et du cheval était
défendu au grand prêtre, et il ne pouvait avoir qu'une cavale pour
monture. Etant monté sur le cheval du roi, avec une épée à son côté
et une lance à sa main, il se rendit au principal temple, qu'il
profana en y jetant sa lance. Il ordonna ensuite à ceux qui
l'accompagnaient de le détruire et de le brûler avec son enceinte.
Du temps de Bède on en voyait la place à peu de distance d'York, du
côté de l'Orient, et on la nommait Godmundingham,
c'est-à-dire réceptacle de dieux.
Edwin fut baptisé
à York le jour de Pâques de l'année 627, la onzième de son règne. La
cérémonie de son baptême se fit dans une église qui n'était que de
bois, parce qu'on l'avait bâtie à la hâte, et qui était dédiée sous
l'invocation de S. Pierre. Le prince jeta depuis les fondements
d'une église de pierre, beaucoup plus vaste, dans l'enceinte de
laquelle était la première, mais qui ne fut archevêque sous le règne
de S. Oswald, son successeur. S. Paulin, du
consentement du roi, fixa son siège épiscopal à York, et il continua
de prêcher librement l'Evangile. Il administra le baptême à un grand
nombre de personnes, parmi lesquelles on comptait les enfants
d'Edwin et des officiers de distinction. Le roi et la reine étant à
leur château d'Yeverin, parmi les Berniciens du Northumberland, il
employa plus d'un mois, depuis le matin jusqu'au soir, à instruire
les Infidèles, et il les baptisa dans la petite rivière de Glen. H
n'y avait encore ni oratoires ni baptistères, et c'est pour cela
qu'on baptisait les catéchumènes dans les rivières ; cette coutume
prouve d'ailleurs que le baptême s'administrait alors par immersion.
Lorsque S. Paulin était à la campagne avec le roi chez les Deïres,
il administrait le baptême dans la rivière de Swale, près de
Cataract, et la tradition s'en est conservée dans le pays jusqu'à ce
jour.
Le roi fit bâtir
une église en l'honneur de S. Alban ; et de là se forma une nouvelle
ville qui fut appelée Albansbury, et depuis Àlmondbury. Il y avait
en ce lieu un palais royal que les Païens brûlèrent après la mort de
S. Edwin. Les successeurs de ce prince avaient un château dans le
territoire de Loidis ou Leeds, où l'on bâtit dans la suite une ville
de ce nom.
Edwin, non
content de pratiquer lui-même l'Evangile, cherchait tous les moyens
de répandre la connaissance du vrai Dieu parmi ses sujets. On peut
dire en général que la nation anglaise reçut la foi avec une ferveur
digne des premiers siècles de l'Eglise. Les conversions furent aussi
sincères que nombreuses. On voyait de toutes parts des hommes
parfaitement détachés de ce monde, qui ne pensaient qu'au bonheur du
ciel, et qui travaillaient chaque jour à se perfectionner dans la
science des saints. Les rois eux-mêmes ne trouvaient rien de pénible
dans la pratique de la vertu, et savaient maîtriser leurs passions
pour les assujettir au joug de la foi. Ils étaient, en un mot, les
modèles de leurs sujets. Ils n'avaient que du mépris pour les
grandeurs, et foulaient aux pieds ces couronnes pour lesquelles ils
avaient tout sacrifié avant leur conversion. On en vit plusieurs qui
préféraient le cilice à la pourpre, et une pauvre cellule aux plus
riches palais; qui se dépouillèrent volontairement de leur
puissance, et qui allèrent vivre sous les règles de l'humilité et de
l'obéissance. D'autres portèrent toujours le sceptre; mais ce fut
pour donner à leur zèle plus de force et d'autorité, pour accroître
le royaume de Jésus-Christ et pour l'étendre chez les peuples
barbares. Ce zèle se trouva dans Edwin et lui mérita une mort
glorieuse.
Redwald, roi des
Est-Angles, avait reçu le baptême dans le royaume de Kent. Mais
s'étant depuis laissé séduire, il voulut ailier le culte du vrai
Dieu avec celui des idoles. Earpwald, son fois et son successeur, se
laissa toucher par les conseils d'Edwin, et embrassa le
christianisme avec beaucoup de sincérité. Il fut tué quelque temps
après, et ses sujets retombèrent dans l'idolâtrie. Au bout de trois
ans, Sigebert, revenu des Gaules, où il avait été exilé, rétablit la
religion chrétienne. Les Etats d'Edwin ne se ressentirent point de
ces variations. La paix et la tranquillité y accompagnèrent toujours
la pratique du christianisme; cette paix même passa en proverbe, et
l'on assure qu'une femme tenant son enfant dans ses bras pouvait
sans rien craindre aller seule d'une mer à l'autre. Il y avait aux
fontaines qui se trouvaient sur les grands chemins des vases
d'airain pour puiser de F eau, et personne n'était même tenté de les
enlever, tant les lois étaient parfaitement observées.
Il y avait
dix-sept ans qu'Edwin régnait sur les Anglais et les Bretons,
lorsqu'il plut à Dieu de l'éprouver par les afflictions ; et Penda,
prince du sang royal de Mercie, fut l'instrument dont il se servit.
Penda, qui protégeait l'idolâtrie, secoua le joug de l'obéissance
qu'il devait à notre saint. Il composa une armée de vieux soldats
vétérans, semblables à ceux qui s'étaient d'abord emparés de la
Bretagne, et qui étaient fort attachés à leurs anciennes
superstitions. Son dessein était de détruire le christianisme. Les
Merciens le reconnurent pour leur souverain, et il régna vingt-deux
ans. En levant l'étendard de la révolte, il fit alliance avec
Cadwallon, roi des Bretons ou Gallois qui, à la vérité, professaient
le christianisme, mais sans en suivre la morale. Il était d'un
caractère barbare, et portait aux Anglais une haine implacable ; il
croyait qu'il lui était permis de leur causer tous les maux qui
dépendraient de lui, et même de les exterminer sans égard pour leur
religion et sans aucune différence d'âge ou de sexe. Comme Edwin
était le prince le plus puissant de l'éparchie anglaise, et que les
autres lui rendaient une espèce d'obéissance, toute la fureur de la
guerre se tourna principalement contre lui, et il fut tué dans une
bataille qui se donna à Heavenfield, aujourd'hui Hatfield, dans la
province d'York. Le corps du saint roi fut enterré à Whitby : mais
sa tête le fut dans le porche de l'Eglise qu'il avait fait bâtir à
York. Il a le titre de martyr dans le martyrologe de Florus et dans
tous les calendriers d'Angleterre. On voit par le catalogue de Speed
qu'il était patron titulaire de deux anciennes églises, bâties,
l'une à Londres, et l'autre à Brève, dans la province de Sommerset.
S. Edwin mourut en 633, dans la quarante-huitième année de son âge.
SOURCE : Alban
Butler : Vie des Pères, Martyrs et autres principaux Saints… – Traduction :
Jean-François Godescard. |