Élisabeth de la Trinité
(1880-1906)
carmélite

 

Dernière retraite
de “Laudem Gloriæ”
du jeudi 16 au vendredi 31 août 1906

“Mon rêve est d'être la louange de Sa gloire”.

Jeudi 16 août

PREMIER JOUR

1. « Nescivi. » "Je n'ai plus rien su." Voilà ce que chante "l'épouse des cantiques" après avoir été introduite dans "le cellier intérieur." Il me semble que ce doit être aussi le refrain d'une louange de gloire en ce premier jour de retraite où le Maître l'a fait pénétrer au fond de l'abîme sans fond, pour lui apprendre à remplir l'office qui sera le sien durant l'éternité et auquel elle doit déjà s'exercer dans le temps, qui est l'éternité commencée, mais toujours en progrès. « Nescivi » !... Je ne sais plus rien, je ne veux plus rien savoir, sinon "le connaître, Lui, la communion à ses souffrances, la conformité à sa mort". « Ceux que Dieu a connus en sa prescience, Il les a aussi prédestinés pour être conformes à l'image de son divin Fils », le Crucifié par amour. Quand je serai toute identifiée avec cet Exemplaire divin, toute passée en Lui, et Lui en moi, alors je remplirai ma vocation éternelle: celle pour laquelle Dieu m'a "élue en Lui" « in principio », celle que je poursuivrai « in aeternum », alors que plongée au sein de ma Trinité je serai l'incessante louange de sa gloire, Laudem gloriae ejus.

2. « Nul n'a vu le Père, nous dit saint Jean, si ce n'est le Fils et ceux auxquels Il a plu au Fils de le révéler. » Il me semble que l'on peut dire aussi : « Nul n'a pénétré le mystère du Christ en sa profondeur, si ce n'est la Vierge. » Jean et Madeleine ont lu bien loin dans ce mystère, saint Paul parle souvent de « l'intelligence qui lui en a été donnée », et pourtant, comme tous les saints restent dans l'ombre quand on regarde aux clartés de la Vierge !... Elle, c'est l'inénarrable, [c'est] le « secret qu'elle gardait et repassait en son cœur » [et] que nulle langue n'a pu révéler, nulle plume n'a pu traduire! Cette Mère de grâce va former mon âme afin que sa petite enfant soit une image vivante, « saisissante », de son premier-né, le Fils de l'Éternel, Celui-là qui fut la parfaite louange de la gloire de son Père.

DEUXIÈME JOUR

3. « Mon âme est toujours entre mes mains. » Voilà ce qui se chantait en l'âme de mon Maître, voilà aussi pourquoi parmi toutes les angoisses Il demeurait toujours le Calme et le Fort. Mon âme est toujours entre mes mains !... Qu'est-[ce] à dire, sinon cette pleine possession de soi en présence du Pacifique ? Il est un autre chant du Christ que je voudrais répéter incessamment : « Je vous conserverai ma force »... Ma Règle me dit : « Votre force sera en silence » Il me semble donc que conserver sa force au Seigneur, c'est faire l'unité en tout son être par le silence intérieur, c'est ramasser toutes ses puissances pour les "occuper" au "seul exercice de l'amour", c'est avoir cet "œil simple" qui permet à la lumière de Dieu de nous irradier. Une âme qui discute avec son moi, qui s'occupe de ses sensibilités, qui poursuit une pensée inutile, un désir quelconque, cette âme disperse ses forces, elle n'est pas tout ordonnée à Dieu : sa lyre ne vibre pas à l'unisson et le Maître, quand Il la touche, ne peut en faire sortir des harmonies divines, il y a encore trop d'humain, c'est une dissonance. L'âme qui se garde encore quelque chose en son "royaume intérieur", dont toutes les puissances ne sont pas « encloses » en Dieu, ne peut être une parfaite louange de gloire ; elle n'est pas en état de chanter sans interruption ce « canticum magnum » dont parle saint Paul, parce que l'unité ne règne pas en elle ; et au lieu de poursuivre sa louange à travers toutes choses dans la simplicité, il faut qu'elle réunisse sans cesse les cordes de son instrument qui sont un peu perdues de tous côtés.

4. Combien elle est indispensable, cette belle unité intérieure, à l'âme qui veut vivre ici-bas de la vie des bienheureux, c'est-à-dire des êtres simples, des esprits. Il me semble que le Maître regardait là lorsqu'Il parlait à Madeleine de l'« Unum necessarium ». Comme la grande sainte l'avait compris! "L'œil de son âme éclairée par la lumière de foi" avait reconnu son Dieu sous le voile de l'humanité; et dans le silence, dans l'unité de ses puissances, « elle écoutait la parole qu'Il lui disait ». Elle pouvait chanter : « Mon âme est toujours entre mes mains », et encore ce petit mot : « Nescivi ». Oui, elle ne savait plus rien sinon Lui ! On pouvait faire du bruit, s'agiter autour d'elle : « Nescivi » ! On pouvait l'accuser : « Nescivi » ! Pas plus son honneur que les choses extérieures ne peuvent la faire sortir de son "sacré silence".

5. Ainsi en est-il de l'âme entrée dans la "forteresse du saint recueillement" : l'œil de son âme, ouvert sous les clartés de la foi, découvre son Dieu présent, vivant en elle; à son tour elle demeure si présente à Lui, dans la belle simplicité, qu'Il la garde avec un soin jaloux. Alors peuvent survenir les agitations du dehors, les tempêtes du dedans, alors on peut atteindre son point d'honneur : « Nescivi » ! Dieu peut se cacher, lui retirer sa grâce sensible : « Nescivi »... Et encore, avec saint Paul : « Pour son amour j'ai tout perdu. » Alors le Maître est libre, libre de s'écouler, de se donner « à sa mesure ». Et l'âme ainsi simplifiée, unifiée, devient le trône de l'Immuable, puisque "l'unité est le trône de la Sainte Trinité".

TROISIÈME JOUR

6. « Nous avons été prédestinés par un décret de Celui qui fait toutes choses selon le conseil de sa volonté, afin que nous soyons la louange de sa gloire. » C'est saint Paul qui nous fait part de cette élection divine, saint Paul qui pénétra si loin le « secret caché au coeur de Dieu dès les siècles ». Il va maintenant nous donner la lumière sur cette vocation à laquelle nous sommes appelés. « Dieu, dit-il, nous a élus en Lui avant la création pour que nous soyons immaculés et saints en sa présence, dans la charité. » Si je rapproche ces deux exposés du plan divin et éternellement immuable, j'en conclus que pour remplir dignement mon office de Laudem gloriae, je dois me tenir à travers tout « en présence de Dieu » ; plus que cela : l'Apôtre nous dit « in charitate », c'est-à-dire en Dieu, « Deus Charitas est... » ; et c'est le contact de l'Être divin qui me rendra « immaculée et sainte » à ses yeux...

7. Je rapporte ceci à la belle vertu de simplicité dont un pieux auteur a écrit : « Elle donne à l'âme le repos de l'abîme », c'est-à-dire ce repos en Dieu, Abîme insondable, prélude et écho de ce sabbat éternel dont parle saint Paul disant : « Pour nous qui avons cru, nous serons introduits en ce repos. »

Les glorifiés ont ce repos de l'abîme parce qu'ils contemplent Dieu dans la simplicité de son essence. « Ils le connaissent, dit encore saint Paul, comme ils sont connus de Lui », c'est-à-dire par la vision intuitive, le regard simple ; et c'est pourquoi, poursuit le grand saint, « ils sont transformés de clarté en clarté, par la puissance de son Esprit, dans sa propre Image » ; alors ils sont une incessante louange de gloire à l'Être divin qui contemple en eux sa propre splendeur.

8. Il me semble que ce serait donner joie immense au Cœur de Dieu que de s'exercer dans le ciel de son âme à cette occupation des bienheureux et d'adhérer à Lui par cette contemplation simple, qui rapproche la créature de l'état d'innocence dans lequel Dieu l'avait créée avant la faute originelle, « à son image et à sa ressemblance ». Tel a été le rêve du Créateur : pouvoir se contempler en sa créature, y voir rayonner toutes ses perfections, toute sa beauté comme au travers d'un cristal pur et sans tache ; et n'est-ce pas là une sorte d'extension de sa propre gloire ?...

L'âme, par la simplicité du regard avec lequel elle fixe son divin objet, se trouve séparée de tout ce qui l'entoure, séparée aussi et surtout d'elle-même. Alors elle resplendit de cette « science de la clarté de Dieu », dont parle l'Apôtre, parce qu'elle permet à l'Être divin de se refléter en elle, "et tous ses attributs lui sont communiqués". En vérité, cette âme est la louange de gloire de tous ses dons; elle chante, à travers tout et parmi les actes les plus vulgaires, le canticum magnum, le canticum novum ..., et ce cantique fait tressaillir Dieu jusqu'en ses profondeurs...

« Ta lumière, peut-on lui dire avec Isaïe, se lèvera dans les ténèbres, et les ténèbres deviendront comme le plein midi. Le Seigneur te fera jouir d'un perpétuel repos, Il inondera ton âme de ses splendeurs, Il fortifiera tes os, tu seras comme un jardin que l'on arrose toujours, comme une fontaine dont les eaux ne tarissent jamais... Je t'élèverai au-dessus de ce qu'il y a de plus élevé en ce monde... »

QUATRIÈME JOUR

9. Hier saint Paul, soulevant un peu le voile, me permettait de plonger mon regard en « l'héritage des saints dans la lumière », afin que je voie quelle est leur occupation et que j'essaie autant que possible de conformer ma vie à la leur, pour remplir mon office de « Laudem gloriae ». Aujourd'hui c'est saint Jean, le disciple que Jésus aimait, qui va un peu m'entr'ouvrir « les portes éternelles » pour que je puisse reposer mon âme en "la sainte Jérusalem, douce vision de paix !..." Et d'abord, me dit-il, il n'y a pas de lumière dans la ville, «parce que la clarté de Dieu l'a illuminée et que l'Agneau en est le flambeau »...

Si je veux que ma cité intérieure ait quelque conformité et ressemblance avec celle « du Roi des siècles immortel » et reçoive la grande illumination de Dieu, il faut que j'éteigne toute autre lumière et que, comme en la ville sainte, I'Agneau en soit « le seul flambeau ».

10. Voici la foi, la belle lumière de foi, qui m'apparaît. C'est elle seule qui doit m'éclairer pour aller au-devant de l'Époux. Le psalmiste chante qu'Il se « cache dans les ténèbres », puis semble d'autre part se contredire en disant que "la lumière l'environne comme d'un vêtement". Ce qui ressort pour moi de cette contradiction apparente, c'est que je dois me plonger dans "la ténèbre sacrée" en faisant la nuit et le vide dans toutes mes puissances; alors je rencontrerai mon Maître, et « la lumière qui l'environne comme d'un vêtement » m'enveloppera aussi, car Il veut que l'épouse soit lumineuse de sa lumière, de sa seule lumière, « ayant la clarté de Dieu ».

Il est dit de Moïse qu'il était « inébranlable dans sa foi, comme s'il avait vu l'Invisible ». Il me semble que telle doit être l'attitude d'une louange de gloire qui veut poursuivre à travers tout son hymne d'action de grâces : « inébranlable dans sa foi, comme si elle avait vu l'Invisible »..., inébranlable dans sa foi au « trop grand amour »... « Nous avons connu la charité de Dieu pour nous, et nous y avons cru »...

11. « La foi, dit saint Paul, est la substance des choses que l'on doit espérer, et la démonstration de celles que l'on ne voit pas. »

Qu'importe à l'âme, qui s'est recueillie sous la clarté que crée en elle cette parole, de sentir ou de ne pas sentir, d'être dans la nuit ou la lumière, de jouir ou de ne pas jouir... Elle éprouve une sorte de honte de faire de la différence entre ces choses ; et lorsqu'elle se sent encore touchée par elles, elle se méprise profondément pour son peu d'amour, et regarde vite à son Maître pour se faire délivrer par Lui. Elle l'« exalte » selon l'expression d'un grand mystique, "sur la plus haute cime de la montagne de son cœur, au-dessus des douceurs et des consolations qui découlent de Lui, car elle a résolu de tout dépasser pour s'unir à Celui qu'elle aime". Il me semble qu'à cette âme, cette inébranlable en sa foi au Dieu-Charité, peuvent s'adresser ces paroles du Prince des apôtres : « Parce que vous croyez, vous serez remplis d'une joie inébranlable et glorifiée. »

CINQUIÈME JOUR

12. « Je vis une grande multitude que nul ne pouvait compter... Ce sont ceux qui viennent de la grande tribulation, et qui ont lavé et blanchi leurs robes dans le Sang de l'Agneau. C'est pourquoi ils sont devant le trône de Dieu, et ils le servent nuit et jour dans son temple, et Celui qui est assis sur le trône habitera sur eux. Ils n'auront plus désormais ni faim ni soif, et le soleil ne tombera pas sur eux, ni aucune ardeur. Parce que l'Agneau sera leur pasteur, et Il les conduira aux fontaines des eaux de la vie, et Dieu essuiera toute larme de leurs yeux... »

Tous ces élus qui ont la palme en main, et qui sont tout baignés dans la grande lumière de Dieu ont dû auparavant passer par la « grande tribulation », connaître cette douleur chantée par le psalmiste, « immense comme la mer ». Avant de contempler « à face découverte la gloire du Seigneur », ils ont communié aux anéantissements de son Christ; avant d'être « transformés de clarté en clarté en l'image de l'Être divin », ils ont été conformes à celle du Verbe incarné, le Crucifié par amour.

13. L'âme qui veut servir Dieu nuit et jour en son temple, j'entends ce sanctuaire intérieur dont parle saint Paul quand il dit : « Le temple de Dieu est saint et vous êtes ce temple », cette âme doit être résolue de communier effectivement à la passion de son Maître. C'est une rachetée qui doit racheter d'autres âmes à son tour, et pour cela elle chantera sur sa lyre : « Je me glorifie dans la Croix de Jésus-Christ. Avec Jésus-Christ je suis clouée à la Croix ... » Et encore : « Je souffre en mon corps ce qui manque à la passion du Christ, pour son corps qui est l'Église. » « La reine s'est tenue à votre droite » : telle est l'attitude de cette âme ; elle marche sur la route du Calvaire à la droite de son Roi crucifié, anéanti, humilié, et pourtant toujours si fort, si calme, si plein de majesté, allant à sa passion pour « faire éclater la gloire de sa grâce », selon l'expression si forte de saint Paul. Il veut associer son épouse à son oeuvre de rédemption, et cette voie douloureuse où elle marche, lui apparaît comme la route de la Béatitude : non seulement parce qu'elle y conduit, mais encore parce que le Maître saint lui fait comprendre qu'elle doit dépasser ce qu'il y a d'amer dans la souffrance pour y trouver, comme Lui, son repos.

14. Alors elle peut servir Dieu « nuit et jour en son temple » ! Les épreuves du dehors et du dedans ne peuvent la faire sortir de la sainte forteresse où le Maître l'a renfermée. Elle n'a plus « ni faim ni soif », car malgré son désir consumant de la Béatitude, elle trouve son rassasiement en cette nourriture qui fut celle de son Maître : « la volonté du Père ». « Elle ne sent plus le soleil tomber sur elle », c'est-à-dire elle ne souffre plus de souffrir. Alors l'Agneau peut « la conduire aux sources de la vie », là où Il veut, comme Il l'entend, car elle ne regarde pas les sentiers par lesquels elle passe, elle fixe simplement le Pasteur qui la conduit. Dieu se penchant sur cette âme, sa fille adoptive, si conforme à l'image de son Fils « premier-né d'entre toutes les créatures », la reconnaît pour une de celles qu'Il a « prédestinées, appelées, justifiées ». Et Il tressaille en ses entrailles de Père en pensant à consommer son oeuvre, c'est-à-dire à la « glorifier » en la transférant en son royaume, pour y chanter dans les siècles sans fin « la louange de sa gloire ».

SIXIÈME JOUR

15. « Et je vis, et voilà l'Agneau debout sur la montagne de Sion, et avec Lui cent quarante-quatre mille qui avaient son nom et le nom de son Père écrits sur leurs fronts. Et j'entendis une voix, comme la voix des grandes eaux, et comme la voix d'un grand tonnerre; et la voix que j'entendis était comme de plusieurs joueurs de harpe qui jouent sur leurs harpes. Et ils chantaient comme un cantique nouveau devant le trône; et nul ne pouvait dire le cantique, sinon ces cent quarante-quatre mille, car ils sont vierges... Ceux-là suivent l'Agneau partout où Il va ... »

Il est des êtres qui dès ici-bas font partie de cette "génération pure comme la lumière", ils portent déjà sur leurs fronts le nom de l'Agneau et celui de son Père. « Le nom de l'Agneau » : par leur ressemblance et conformité avec Celui que saint Jean appelle « le Fidèle, le Véritable » et nous montre "vêtu d'une robe teinte de sang" ; ces êtres-là sont aussi les fidèles, les vrais, et leur robe est teinte du sang de leur immolation continuelle. « Le nom de son Père » : parce qu'Il rayonne en eux la beauté de ses perfections, tous ses attributs divins se reflétant dans ces âmes ; et ils sont comme autant de cordes qui vibrent et chantent « le cantique nouveau ». Elles « suivent aussi l'Agneau partout où Il va », non seulement dans les routes larges et faciles à parcourir, mais dans les sentiers épineux, parmi les ronces du chemin; c'est que ces âmes-là sont vierges, c'est-à-dire libres, séparées, dépouillées, libres de tout sauf de leur amour, séparées de tout et surtout d'elles-mêmes, dépouillées de toutes choses aussi bien dans l'ordre surnaturel, que dans l'ordre naturel.

16. Quelle sortie de soi cela suppose ! quelle mort ! disons le mot avec saint Paul : « Quotidie morior. » Le grand saint écrivait aux Colossiens : « Vous êtes morts, et votre vie est cachée en Dieu avec Jésus-Christ. »

Voilà la condition : il faut être mort ! Sans cela on peut être caché en Dieu à certaines heures ; mais on ne VIT pas habituellement en cet Être divin, parce que toutes les sensibilités, recherches personnelles et le reste, viennent en faire sortir.

L'âme qui fixe son Maître avec cet "œil simple qui rend tout le corps lumineux" est gardée « du fonds d'iniquité qui est en elle » et dont se plaignait le prophète. Le Seigneur l'a fait entrer en « ce lieu spacieux » qui n'est autre que Lui-même: là tout est pur, tout est saint !

O bienheureuse mort en Dieu ! O suave et douce perte de soi en l'Être aimé, qui permet à la créature de s'écrier : « Je vis, non plus moi, mais c'est le Christ qui vit en moi ; et ce que j'ai de vie en ce corps de mort, je l'ai en la foi du Fils de Dieu qui m'a aimé, et s'est livré pour moi. »

SEPTIÈME JOUR

17. « Coeli enarrant gloriam Dei. » Voilà ce que racontent les Cieux: la gloire de Dieu. Puisque mon âme est un ciel où je vis en attendant "la Jérusalem céleste", il faut que ce ciel chante aussi la gloire de l'Éternel, rien que la gloire de l'Éternel.

« Le jour transmet au jour ce message. » Toutes les lumières, toutes les communications de Dieu à mon âme sont ce « jour qui transmet le message de sa gloire au jour ». « Le décret de Jahveh est pur, chante le psalmiste, il illumine le regard... » Par conséquent, ma fidélité à correspondre à chacun de ses décrets, à chacune de ses ordonnances intérieures, me fait vivre dans sa lumière : elle aussi est un « message qui transmet sa gloire ». Mais voici la douce merveille : « Jahveh, qui te regarde resplendit ! » s'écrie le prophète. L'âme qui par la profondeur de son regard intérieur contemple à travers tout son Dieu dans la simplicité qui la sépare de toute autre chose, cette âme est « resplendissante » : « elle est un jour qui transmet au jour le message de sa gloire. »

18. « La nuit l'annonce à la nuit. » Voici qui est bien consolant ! Mes impuissances, mes dégoûts, mes obscurités, mes fautes elles-mêmes, racontent la gloire de l‘Éternel ! Mes souffrances de l'âme ou du corps racontent aussi la gloire de mon Maître ! David chantait : « Que rendrai-je au Seigneur pour tous les bienfaits que j'ai reçus de Lu ? » Voici : « Je prendrai le calice du salut. » Si je le prends, ce calice empourpré du Sang de mon Maître et que, dans l'action de grâces, toute joyeuse, je mêle mon sang à celui de la sainte Victime, il est en quelque sorte infinisé et peut rendre au Père une louange superbe; alors ma souffrance est « un message qui transmet la gloire » de l'Éternel.

19. « Là (dans l'âme qui raconte sa gloire) Il a placé une tente pour le Soleil. » Le soleil, c'est le Verbe, c'est "l'Époux". S'Il trouve mon âme vide de tout ce qui ne rentre pas en ces deux mots : son amour, sa gloire, alors Il la choisit pour être "sa chambre nuptiale", Il s'y "élance" « comme un géant qui se précipite triomphant dans sa carrière » et je ne puis « me dérober à sa chaleur ». C'est ce "feu consumant" qui fera la bienheureuse transformation dont parle saint Jean de la Croix quand il dit : « Chacun semble être l'autre et tous deux ne sont qu'un », pour être «louange de gloire » du Père !

HUITIÈME JOUR

20. « Ils n'ont de repos ni jour ni nuit, disant : Saint, saint, saint, le Seigneur tout-puissant, qui était, qui est, qui sera dans les siècles des siècles... Et ils se prosternaient, et ils adoraient, et ils jetaient leurs couronnes devant le trône, disant: Vous êtes digne, Seigneur, de recevoir la gloire, et l'honneur, et la puissance ... »

Comment imiter dans le ciel de mon âme cette occupation incessante des bienheureux dans le Ciel de la gloire ? Comment poursuivre cette louange, cette adoration ininterrompues ? Saint Paul me donne une lumière là-dessus lorsqu'il écrit aux siens que « le Père les fortifie en puissance par son Esprit quant à l'homme intérieur, en sorte que Jésus-Christ habite par la foi en leurs cœurs et qu'ils soient enracinés et fondés en l'amour ». Être enraciné et fondé en l'amour: telle est, me semble-t-il, la condition pour remplir dignement son office de laudem gloriae. L'âme qui pénètre et qui demeure en ces « profondeurs de Dieu » chantées par le roi-prophète, qui fait par conséquent tout « en Lui, avec Lui, par Lui, et pour Lui », avec cette limpidité du regard qui lui donne une certaine ressemblance avec l'Être simple cette âme par chacun de ses mouvements, de ses aspirations, comme par chacun de ses actes, quelques ordinaires qu'ils soient, « s'enracine » plus profondément en Celui qu'elle aime. Tout en elle rend hommage au Dieu trois fois saint: elle est pour ainsi dire un Sanctus perpétuel, une louange de gloire incessante !...

21. « Ils se prosternent, ils adorent, ils jettent leurs couronnes »... Et d'abord l'âme doit se « prosterner », se plonger dans l'abîme de son néant, s'y enfoncer tellement que selon la ravissante expression d'un mystique elle trouve « la paix véritable, immuable et parfaite que rien ne trouble, car elle s'est précipitée si bas que personne n'ira la chercher là » .

Alors elle pourra « adorer ». L'adoration, ah ! c'est un mot du Ciel ! Il me semble que l'on peut la définir: l'extase de l'amour. C'est l'amour écrasé par la beauté, la force, la grandeur immense de l'Objet aimé, et il "tombe en une sorte de défaillance " dans un silence plein, profond, ce silence dont parlait David lorsqu'il s'écriait : « Le silence est ta louange !... » Oui, c'est la plus belle louange, puisque c'est celle qui se chante éternellement au sein de la tranquille Trinité, et c'est aussi le « dernier effort de l'âme qui surabonde et ne peut plus dire... » (Lacordaire ).

« Adorez le Seigneur, car Il est saint », est-il dit dans un psaume. Et encore : « On l'adorera toujours à cause de Lui-même. » L'âme qui se recueille sous ces pensées, qui les pénètre avec « ce sens de Dieu » dont parle saint Paul, vit dans un Ciel anticipé, au-dessus de ce qui passe, au-dessus des nuages, au-dessus d'elle-même ! Elle sait que Celui qu'elle adore possède en Lui tout bonheur et toute gloire et, « jetant sa couronne » en sa présence comme les bienheureux, elle se méprise, elle se perd de vue et trouve sa béatitude en celle de l'Être adoré, parmi toute souffrance et douleur. Car elle s'est quittée, elle est « passée » en un Autre. Il me semble qu'en cette attitude d'adorante l'âme "ressemble à ces puits" dont parle saint Jean de la Croix qui reçoivent "les eaux qui descendent du Liban", et l'on peut dire en la voyant: « L'impétuosité du fleuve réjouit la Cité de Dieu. »

NEUVIÈME JOUR

22. « Soyez saints, parce que je suis saint. » Quel est donc celui qui peut donner un tel commandement ?... Il a révélé Lui-même son nom, ce nom qui Lui est propre, que Lui seul peut porter : « Je suis, dit-Il à Moïse, Celui qui suis », le seul vivant, le principe de tous les autres êtres. « En Lui, dit l'Apôtre, nous avons le mouvement, l'être et la vie. » « Soyez saints, parce que je suis saint ! » C'est bien, il me semble, la même volonté qui s'exprime qu'au jour de la création alors que Dieu dit : « Faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance. » C'est toujours le désir du Créateur de s'identifier, de s'associer sa créature ! Saint Pierre dit « que nous avons été faits participants de la nature divine » ; saint Paul recommande que nous conservions "ce commencement de son Être" qu'Il nous a donné; et le disciple de l'amour nous dit: « Dès maintenant nous sommes enfants de Dieu ; et on n'a pas encore vu ce que nous serons. Nous savons que lorsqu'Il se montrera, nous serons semblables à Lui, parce que nous le verrons tel qu'Il est. Et quiconque a cette espérance en Lui, se sanctifie comme Lui-même est saint. » Etre saint comme Dieu est saint, telle est, semble-t-il, la mesure des enfants de son amour! Le Maître n'a-t-Il pas dit : « Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait » ?

23. Parlant à Abraham Dieu disait : « Marche en ma présence et sois parfait. » C'est donc là le moyen pour atteindre à cette perfection que notre Père du Ciel nous demande ! Saint Paul, après s'être plongé en ces conseils divins, révélait bien cela à nos âmes, écrivant « que Dieu nous a élus en Lui avant la création, afin que nous soyons immaculés et saints en sa présence dans l'amour ». C'est encore à la lumière de ce même saint que je vais m'éclairer afin de marcher, sans jamais connaître les détours, sur cette route magnifique de la présence de Dieu où l'âme chemine "seule avec le Seul", conduite par la « force de sa droite », « sous la protection de ses ailes, sans craindre les alarmes de la nuit, ni la flèche qui vole au milieu du jour, ni le mal qui se glisse dans les ténèbres, ni les assauts du démon de midi... »

24. « Dépouillez-vous du vieil homme selon lequel vous avez vécu dans votre première vie, me dit-il, et revêtez-vous de l'homme nouveau qui a été créé selon Dieu, dans la justice et la sainteté. » Voilà le chemin tracé, il ne s'agit que de se dépouiller pour le parcourir comme Dieu l'entend ! Se dépouiller, mourir à soi, se perdre de vue, il me semble que c'est là que le Maître regardait lorsqu'Il disait : « Si quelqu'un veut venir après moi, qu'il prenne sa croix et se renonce. » « Si vous vivez selon la chair, dit encore l'Apôtre, vous mourrez, mais si vous mortifiez par l'esprit les œuvres de la chair, vous vivrez. » Voilà la mort que Dieu demande et dont il est dit : « La mort a été absorbée par la victoire. » « O mort, dit le Seigneur, je serai ta mort » ; c'est-à-dire : O âme, ma fille adoptive, regarde-moi et tu te perdras de vue; écoule-toi tout entière en mon Être, viens mourir en moi, pour que je vive en toi !...

DIXIÈME JOUR

25. « Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait. » Lorsque mon Maître me fait entendre cette parole au fond de l'âme, il me semble qu'Il me demande de vivre comme le Père « dans un éternel présent », "sans avant, sans après", mais tout entière en l'unité de mon être en ce « maintenant éternel ». Quel est-il, ce présent ? Voici David qui me répond : « On l'adorera toujours à cause de Lui-même. »

Voilà le présent éternel dans lequel Laudem gloriae doit être fixée. Mais pour qu'elle soit vraie en cette attitude d'adoration, pour qu'elle puisse chanter : « J'éveille l'aurore », il faut qu'elle puisse dire aussi avec saint Paul : « Pour son amour, j'ai tout perdu » ; c'est-à-dire : à cause de Lui, pour l'adorer toujours, je me suis "isolée, séparée, dépouillée" de moi-même et de toutes choses, tant à l'égard du naturel que dans l'ordre surnaturel vis-à-vis des dons de Dieu. Car une âme qui n'est pas ainsi « détruite et délivrée » d'elle-même sera forcément à certaines heures banale et naturelle, et cela n'est pas digne d'une fille de Dieu, d'une épouse du Christ, d'un temple de l'Esprit Saint. Pour se prémunir contre cette vie naturelle il faut que l'âme soit tout éveillée en sa foi, avec ce beau regard tendu vers le Maître. Alors elle « marchera, comme chantait le roi-prophète, en la droiture de son cœur, dans l'intérieur de sa maison ». Alors elle « adorera toujours son Dieu à cause de Lui-même » et vivra, à son image, dans cet éternel présent où Il vit...

26. « Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait. » Dieu, dit saint Denys, est « le grand solitaire ». Mon Maître me demande d'imiter cette perfection, de Lui rendre hommage en étant une grande solitaire. L'Être divin vit dans une éternelle, une immense solitude ; Il n'en sort jamais, tout en s'intéressant aux besoins de ses créatures, car Il ne sort jamais de Lui-même ; et cette solitude n'est autre que sa divinité.

Pour que rien ne me sorte de ce beau silence du dedans : toujours même condition, même isolement, même séparation, même dépouillement ! Si mes désirs, mes craintes, mes joies ou mes douleurs, si tous les mouvements provenant de ces "quatre passions" ne sont pas parfaitement ordonnés à Dieu, je ne serai pas solitaire, il y aura du bruit en moi ; il faut donc l'apaisement, le "sommeil des puissances", l'unité de l'être. « Écoute, ma fille, prête l'oreille, oublie ton peuple et la maison de ton père, et le Roi sera épris de ta beauté. »

Il me semble que cet appel est une invitation au silence : écoute... prête l'oreille... Mais pour entendre, il faut oublier « la maison de son père », c'est-à-dire tout ce qui tient à la vie naturelle, cette vie dont veut parler l'Apôtre quand il dit : « Si vous vivez selon la chair, vous mourrez. » Oublier « son peuple », c'est plus difficile, il me semble ; car ce peuple, c'est tout ce monde qui fait pour ainsi dire partie de nous-même : c'est la sensibilité, les souvenirs, les impressions, etc., le moi en un mot! Il faut l'oublier, le quitter, et quand l'âme a fait cette rupture, quand elle est libre de tout cela, le Roi est épris de sa beauté. Car la beauté c'est l'unité, du moins c'est celle de Dieu !...

ONZIÈME JOUR

(suite)

27. « Le Seigneur m'a fait entrer dans un lieu spacieux, Il a eu de la bonne volonté pour moi... » Le Créateur, en voyant le beau silence qui règne en sa créature, en la considérant toute recueillie en sa solitude intérieure, est épris de sa beauté et Il la fait passer en cette solitude immense, infinie, en ce « lieu spacieux » chanté par le prophète et qui n'est autre que Lui-même : « J'entrerai dans les profondeurs de la puissance de Dieu. » Parlant par son prophète le Seigneur a dit : « Je la conduirai dans la solitude et je lui parlerai au cœur. » La voici, cette âme, entrée en cette vaste solitude où Dieu va se faire entendre ! « Sa parole, dit saint Paul, est vivante et efficace, et plus pénétrante qu'aucun glaive à deux tranchants : elle atteint jusqu'à la division de l'âme et de l'esprit, jusque dans les jointures et dans les moelles. » C'est donc elle directement, qui achèvera le travail du dépouillement dans l'âme; car elle a ceci de propre et de particulier, c'est qu'elle opère et qu'elle crée ce qu'elle fait entendre, pourvu toutefois que l'âme consente à se laisser faire.

28. Mais ce n'est pas tout de l'entendre, cette parole, il faut la garder ! Et c'est en la gardant que l'âme sera « sanctifiée dans la vérité », et c'est là le désir du Maître: « Sanctifiez-les dans la vérité, votre parole est vérité. » A celui qui garde sa parole, n'a-t-Il pas fait cette promesse : « Mon Père l'aimera, et nous viendrons à lui et nous ferons en lui notre demeure » ? C'est toute la Trinité qui habite dans l'âme qui l'aime en vérité, c'est-à-dire en gardant sa parole ! Et lorsque cette âme a compris sa richesse, toutes les joies naturelles ou surnaturelles qui peuvent lui venir de la part des créatures ou de la part même de Dieu, ne font que l'inviter à rentrer en elle-même pour jouir du Bien substantiel qu'elle possède, et qui n'est autre que Dieu Lui-même. Et elle a ainsi, dit saint Jean de la Croix, une certaine ressemblance avec l'Être divin.

« Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait. » Saint Paul me dit « qu'Il opère toutes choses selon le conseil de sa volonté » et mon Maître me demande encore de Lui rendre hommage en cela : « faire toutes choses d'après le conseil de sa volonté ». Ne jamais me laisser gouverner par les impressions, par les premiers mouvements de la nature, mais me posséder moi-même par la volonté... Et pour que cette volonté soit libre, il faut selon l'expression d'un pieux écrivain « l'enclore en celle de Dieu ». Alors je serai « mue par son Esprit », comme dit saint Paul. Je ne ferai que du divin, que de l'éternel, et, à l'image de mon Immuable, je vivrai dès ici-bas dans un éternel présent.

DOUZIÈME JOUR

29. « Verbum caro factum est et habitavit in nobis. » Dieu avait dit : « Soyez saints, parce que je suis saint », mais Il restait caché en son inaccessible [lumière ] et la créature avait besoin qu'Il descendît jusqu'à elle, qu'Il vécût de sa vie, afin qu'en mettant ses pas dans la trace des siens elle pût ainsi remonter jusqu'à Lui, et se faire sainte de sa sainteté. « Je me sanctifie pour eux, afin qu'eux aussi soient sanctifiés dans la vérité. » Me voici en présence « du secret caché aux siècles et aux générations », du « mystère qui est le Christ » : « pour nous, dit saint Paul, l'espérance de la gloire » ! Et il ajoute que « l'intelligence de ce mystère » lui a été donnée. C'est donc près du grand Apôtre que je vais m'instruire afin de posséder cette science qui, selon son expression, « dépasse toute autre science : la science de la charité du Christ Jésus ».

30. Et d'abord il me dit qu'il est « ma paix », que c'est « par Lui que j'ai accès près du Père », car il a plu à ce « Père des lumières » que « toute plénitude habitât en Lui, et de réconcilier tout en Lui-même, pacifiant par le Sang de sa Croix ce qui est, soit sur la terre, soit dans les cieux »... « Vous êtes remplis en Lui, poursuit l'Apôtre, ensevelis avec Lui par le baptême, et ressuscités avec Lui par la foi en l'opération de Dieu... Il vous a fait revivre avec Lui, vous pardonnant tous vos péchés, effaçant la cédule du décret de condamnation qui pesait sur vous: Il l'a abolie en l'attachant à la Croix. Et dépouillant les principautés [et] les puissances, Il les a victorieusement traînées captives, triomphant d'elles en Lui-même ... », « pour vous rendre saints, purs, irrépréhensibles devant Lui... »

31. Voilà l'œuvre du Christ en face de toute âme de bonne volonté, et c'est le travail que son immense amour, son « trop grand amour », le presse de faire en moi. Il veut être ma paix afin que rien ne puisse me distraire ou me faire sortir de "la forteresse inexpugnable du saint recueillement". C'est là qu'Il me donnera « accès auprès du Père » et me gardera immobile et paisible en sa présence, comme si déjà mon âme était dans l'éternité. C'est par le Sang de sa Croix qu'Il pacifiera tout en mon petit ciel, pour qu'il soit vraiment le repos des Trois. Il me remplira de Lui, Il m'ensevelira en Lui, Il me fera revivre avec Lui, de sa vie : « Mihi vivere Christus est » ! Et si je tombe à tout instant, dans la foi toute confiante je me ferai relever par Lui, et je sais qu'Il me pardonnera, qu'Il effacera tout avec un soin jaloux, plus que cela qu'Il me "dépouillera", qu'Il me "délivrera" de toutes mes misères, de tout ce qui est obstacle à l'action divine, et "qu'Il entraînera toutes mes puissances", qu'Il les fera ses captives, triomphant d'elles en Lui-même. Alors je serai toute passée en Lui, je pourrai dire: « Je ne vis plus. Mon Maître vit en moi ! » Et je serai « sainte, pure, irrépréhensible » aux yeux du Père.

TREIZIÈME JOUR

32. « Instaurare omnia in Christo. » C'est encore saint Paul qui m'instruit, saint Paul qui vient de se plonger dans le grand conseil de Dieu et qui me dit « qu'Il a résolu en Soi-même de restaurer toutes choses dans le Christ ».

Pour que je réalise personnellement ce plan divin, voici encore saint Paul qui vient à mon aide et qui va lui-même me tracer un règlement de vie. « Marchez en Jésus-Christ, me dit-il, enracinée en Lui, édifiée sur Lui, affermie dans la foi, et croissant de plus en plus en Lui par l'action de grâces ».

33. Marcher en Jésus-Christ, il me semble que c'est sortir de soi, se perdre de vue, se quitter, pour entrer plus profondément en Lui à chaque minute qui passe, si profondément que l'on y soit enraciné, et qu'à tout événement, [à] toute chose on puisse lancer ce beau défi : « Qui me séparera de la charité de Jésus-Christ ? » Lorsque l'âme est fixée en Lui en de telles profondeurs, quand ses racines y sont ainsi plongées, la sève divine s'épanche à flots en elle, et tout ce qui est vie imparfaite, banale, naturelle est détruit ; alors, selon le langage de l'Apôtre, « ce qui est mortel est absorbé par la vie ». L'âme ainsi "dépouillée" d'elle-même et "revêtue" de Jésus-Christ n'a plus à craindre les contacts du dehors, ni les difficultés du dedans, car ces choses, loin de lui être un obstacle, ne font que « l'enraciner plus profondément en l'amour » de son Maître. A travers tout, envers et contre tout, elle est en état de « l'adorer toujours à cause de Lui-même ». Car elle est libre, délivrée d'elle-même et de tout; elle peut chanter avec le psalmiste : « Qu'une armée m'assiège, je ne crains pas ; qu'un combat surgisse, j'espère malgré tout; car Jahveh me cache dans le secret de sa tente » et cette tente n'est autre que Lui-même. Voilà, il me semble, ce que saint Paul entend quand il [dit] : « être enraciné en Jésus-Christ ».

34. Et maintenant qu'est-ce qu'être édifié sur Lui ? Le prophète chante encore : « Il m'a élevé sur un roc, alors ma tête se dresse au-dessus des ennemis qui m'entourent » ; il me semble que c'est bien la figure de l'âme « édifiée sur Jésus-Christ ». Il est ce rocher où elle [est] élevée au-dessus d'elle-même, des sens, de la nature, au-dessus des consolations ou des douleurs, au-dessus de ce qui n'est pas uniquement Lui. Et là, en sa pleine possession, elle se domine, elle se dépasse elle-même, et dépasse aussi toutes choses.

Maintenant saint Paul me recommande d'être affermie en la foi : en cette foi qui ne permet jamais à l'âme de sommeiller, mais qui la tient tout en éveil sous le regard du Maître, toute recueillie sous sa parole créatrice, en cette foi « au trop grand amour », qui permet à Dieu, me dit saint Paul, de combler l'âme « selon sa plénitude ».

35. Enfin, il veut que « je croisse en Jésus-Christ par l'action de grâces » : c'est que c'est en elle que tout doit s'achever ! « Père, je vous rends grâce ! » Voilà ce qui se chantait en l'âme de mon Maître et Il veut en entendre l'écho en la mienne! Mais il me semble que le « cantique nouveau » qui peut le plus charmer et captiver mon Dieu est celui d'une âme dépouillée, délivrée d'elle-même, en laquelle Il peut refléter tout ce qu'Il est et faire tout ce qu'Il veut. Cette âme se tient sous sa touche comme une lyre, et tous ses dons sont comme autant de cordes, qui vibrent pour chanter de jour et de nuit la louange de sa gloire !

QUATORZIÈME JOUR

36. « Il me semble que tout est perte depuis que je sais ce qu'a de transcendant la connaissance du Christ Jésus, mon Seigneur. Pour son amour j'ai tout perdu, tenant toutes choses pour du fumier, afin de gagner le Christ, afin d'être trouvé en Lui non avec ma propre justice mais avec la justice qui vient de Dieu par la foi. Ce que je veux c'est le connaître, Lui, et la communion à ses souffrances, et la conformité à sa mort. Je poursuis ma course, tâchant d'atteindre là où le Christ m'a destiné en me prenant ; tout mon souci est d'oublier ce qui est en arrière, de tendre constamment vers ce qui est en avant ; je cours droit au but..., au prix de la vocation céleste à laquelle Dieu m'a appelé dans le Christ Jésus. » Cette vocation, l'Apôtre en a souvent révélé la grandeur : « Dieu, dit-il, nous a élus en Lui avant la création pour que nous soyons immaculés et saints en sa présence, dans l'amour... Nous avons été prédestinés par un décret de Celui qui opère toutes choses selon le conseil de sa volonté, afin que nous soyons la louange de sa gloire. »

37. Mais comment répondre à la dignité de cette vocation ? Voici le secret : « Mihi vivere Christus est !... Vivo enim, jam non ego, vivit vero in me Christus »... Il faut être transformé en Jésus-Christ, c'est encore saint Paul qui me l'enseigne : « Ceux que Dieu a connus en sa prescience, Il les a prédestinés pour être conformes à l'image de son Fils. »

Il importe donc que j'étudie ce divin Modèle, afin de m'identifier si bien avec Lui que je puisse sans cesse l'exprimer aux yeux du Père. Et d'abord, que dit-Il en entrant dans le monde ? « Me voici, je viens, ô Dieu, pour faire votre volonté. » Il me semble que cette prière devrait être comme le battement du cœur de l'épouse : « Nous voici, ô Père, pour faire votre volonté ! »

38. Le Maître fut si vrai en cette première oblation! Sa vie n'en fut pour ainsi dire que la conséquence ! « Ma nourriture, aimait-Il dire, est de faire la volonté de Celui qui m'a envoyé. » Ce doit être aussi celle de l'épouse, en même temps que le glaive qui l'immole... « S'il est possible, que ce calice s'éloigne de moi; mais non pas comme je veux, Père, comme vous voulez. » Et alors elle s'en va dans la paix, joyeuse, à toute immolation avec son Maître, se réjouissant « d'avoir été connue » par le Père, puisqu'Il la crucifie avec son Fils. « J'ai pris vos ordonnances pour être à jamais mon héritage, parce qu'elles sont les délices de mon cœur » : voilà ce qui se chantait en l'âme du Maître et qui doit avoir un écho retentissant en celle de l'épouse ! C'est par sa fidélité de tous les instants à ces « ordonnances » extérieures ou intérieures qu'elle « rendra témoignage à la vérité » et pourra dire : « Celui qui m'a envoyée ne m'a pas laissée seule ; Il est toujours avec moi, parce que je fais toujours ce qui Lui plaît. » Et ne le quittant jamais, prenant son contact si fortement, elle pourra rayonner « cette vertu secrète », qui sauve et délivre les âmes. Dépouillée, affranchie d'elle-même et de tout, elle pourra suivre le Maître sur la montagne pour y faire avec Lui, en son âme, « une oraison de Dieu ». Puis, toujours par le divin Adorant, Celui-là qui fait la grande louange de la gloire du Père, elle « offrira sans cesse une hostie de louange, c'est-à-dire le fruit des lèvres qui rendent gloire à son nom » (saint Paul). Et, comme chante le psalmiste, elle le louera « dans l'expansion de sa puissance, selon l'immensité de sa grandeur ».

39. Puis, quand viendra l'heure de l'humiliation, de l'anéantissement, elle se rappellera ce petit mot « Jésus autem tacebat »; et elle se taira, gardant, « conservant toute sa force au Seigneur », cette force que « l'on puise dans le silence ». Alors quand viendra l'abandon, le délaissement, l'angoisse qui firent jeter au Christ ce grand cri: « Pourquoi m'avez-vous abandonné ? », elle se souviendra de cette prière : « qu'ils aient en eux la plénitude de ma joie » ; et buvant jusqu'à la lie « le calice préparé par le Père » elle saura trouver en son amertume une suavité divine. Enfin, après avoir dit bien souvent « j'ai soif », soif de vous posséder dans la gloire, elle chantera: « Tout est consommé, je remets mon âme entre vos mains. » Et le Père viendra la prendre pour la "transférer en son héritage", où dans « la lumière, elle verra la lumière ».

« Sachez, chantait David, que Dieu a merveilleusement glorifié son Saint. » Oui, le Saint de Dieu aura été glorifié en cette âme, parce qu'Il y aura tout détruit, pour la « revêtir de Lui-même », et qu'elle aura pratiquement vécu la parole du Précurseur: « Il faut qu'Il croisse et que je diminue. »

QUINZIÈME JOUR

40. Après Jésus-Christ, sans doute à la distance qu'il y a de l'Infini au fini, il est une créature qui fut aussi la grande louange de gloire de la Sainte Trinité. Elle répondit pleinement à l'élection divine, dont parle l'Apôtre: elle fut toujours « pure, immaculée, irrépréhensible » aux yeux du Dieu trois fois saint. Son âme est si simple. Les mouvements en sont si profonds que l'on ne peut les surprendre. Elle semble reproduire sur la terre cette vie qui est celle de l'Être divin, l'Être simple. Aussi elle est si transparente, si lumineuse qu'on la prendrait pour la lumière, pourtant elle n'est que le « miroir » du Soleil de justice : « Speculum justitiae ! »...

« La Vierge conservait ces choses en son cœur » : toute son histoire peut se résumer en ces quelques mots ! C'est en son coeur qu'elle vécut et en une telle profondeur que le regard humain ne peut la suivre. Quand je lis en l'Évangile « que Marie parcourut en toute diligence les montagnes de Judée » pour aller remplir son office de charité près de sa cousine Élisabeth, je la vois passer si belle, si calme, si majestueuse, si recueillie au-dedans avec le Verbe de Dieu. Comme Lui sa prière fut toujours celle-ci : « Ecce, me voici ! » Qui ? « La servante du Seigneur », la dernière de ses créatures : elle, sa Mère ! Elle fut si vraie en son humilité, parce qu'elle fut toujours oublieuse, ignorante, délivrée d'elle-même. Aussi elle pouvait chanter : « Le Tout-Puissant a fait en moi de grandes choses, désormais les nations m'appelleront bienheureuse. »

41. Cette Reine des vierges est aussi Reine des martyrs; mais c'est encore en son coeur que le glaive la transperça, car chez elle tout se passe au-dedans !... Oh! qu'elle est belle à contempler durant son long martyre, si sereine, enveloppée dans une sorte de majesté qui respire à la fois la force et la douceur... C'est qu'elle avait appris du Verbe Lui-même comment doivent souffrir ceux que le Père a choisis comme victimes, ceux qu'Il a résolu d'associer au grand oeuvre de la rédemption, ceux qu'il « a connus et prédestinés pour être conformes à son Christ », crucifié par amour.

Elle est là au pied de la Croix, debout, dans la force et la vaillance, et voici mon Maître qui me dit : « Ecce Mater tua », Il me la donne pour Mère... Et maintenant qu'Il est retourné au Père, qu'Il m'a substituée à sa place sur la Croix afin que « je souffre en mon corps ce qui manque à sa passion, pour son corps qui est l'Église », la Vierge est encore là pour m'apprendre à souffrir comme Lui, pour me dire, pour me faire entendre ces derniers chants de son âme que nul autre qu'elle, sa Mère, n'a pu surprendre.

Quand j'aurai dit mon « consummatum est », c'est encore elle, « Janua coeli », qui m'introduira dans les parvis divins, me disant tout bas la mystérieuse parole : « Laetatus sum in his quae dicta sunt mihi, in domum Domini ibimus !... »

SEIZIÈME JOUR

42. « Comme la biche altérée soupire après les sources d'eau vive, ainsi mon âme soupire après toi, ô Dieu ! Mon âme a soif du Dieu vivant! Quand irai-je, et paraîtrai-je devant sa face ?... »

Et pourtant, comme "le passereau qui a trouvé un lieu pour s'y retirer", comme "la tourterelle qui a trouvé un nid pour y placer ses petits", ainsi Laudem gloriae a trouvé en attendant d'être transférée en la sainte Jérusalem, « beata pacis visio » sa retraite, sa béatitude, son Ciel anticipé où elle commence sa vie d'éternité. « En Dieu mon âme est silencieuse; c'est de Lui que j'attends ma délivrance. Oui, Il est le rocher où je trouve le salut, ma citadelle, et je ne serai pas ébranlée !... »

Voilà le mystère que chante aujourd'hui ma lyre ! Comme à Zachée, mon Maître m'a dit : « Hâte-toi de descendre, car il faut que je loge chez toi ... » Hâte-toi de descendre, mais où ? Au plus profond de moi-même: après m'être quittée moi-même, séparée de moi-même, dépouillée de moi-même, en un mot sans moi-même.

43. « Il faut que je loge chez toi ! » C'est mon Maître qui m'exprime ce désir ! Mon Maître qui veut habiter en moi, avec le Père et son Esprit d'amour, pour que, selon l'expression du disciple bien-aimé, j'aie « société » avec Eux. « Vous n'êtes plus des hôtes ou des étrangers, mais vous êtes déjà de la maison de Dieu », dit saint Paul. Voilà comment j'entends être « de la maison de Dieu » : c'est en vivant au sein de la tranquille Trinité, en mon abîme intérieur, en cette "forteresse inexpugnable du saint recueillement" dont parle saint Jean de la Croix !

David chantait : « Mon âme tombe en défaillance en entrant dans les parvis du Seigneur. » Il me semble que ce doit être l'attitude de toute âme qui rentre en ses parvis intérieurs pour y contempler son Dieu et pour y prendre fortement son contact: elle « tombe en défaillance », dans un divin évanouissement en face de cet Amour tout-puissant, de cette Majesté infinie qui demeure en elle ! Ce n'est point la vie qui l'abandonne ; mais c'est elle qui méprise cette vie naturelle et qui s'en retire... Car elle sent qu'elle n'est pas digne de son essence si riche, et elle s'en va mourir et s'écouler en son Dieu.

44. Oh ! qu'elle est belle, cette créature ainsi dépouillée, délivrée d'elle-même ! Elle est en état de "disposer des ascensions en son cœur pour passer de la vallée des larmes" (c'est-à-dire de tout ce qui est moindre que Dieu) "vers le lieu qui est son but", ce « lieu spacieux » chanté par le psalmiste, qui est, il me semble, l'insondable Trinité : « Immensus Pater, immensus Filius, immensus Spiritus sanctus !... » Elle monte, elle s'élève au-dessus des sens, de la nature ; elle se dépasse elle-même; elle surpasse aussi toute joie comme toute douleur et passe à travers les nuages, pour ne se reposer que lorsqu'elle aura pénétré « en l'intérieur » de Celui qu'elle aime et qui lui donnera Lui-même « le repos de l'abîme ». Et tout cela sans être sortie de la sainte forteresse ! Le Maître lui a dit : Hâte-toi de descendre... C'est encore sans sortir de là qu'elle vivra, à l'image de la Trinité immuable, en un éternel présent, « l'adorant toujours à cause d'Elle-même » et devenant par un regard toujours plus simple, plus unitif, « la splendeur de sa gloire », autrement dit l'incessante louange de gloire de ses perfections adorables.

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