LIVRE IV

I

QUELS FURENT, SOUS LE RÈGNE DE TRAJAN,
LES ÉVÊQUES DES ROMAINS ET DES ALEXANDRINS

Vers la douzième année du règne de Trajan , l'évêque de l'Église d'Alexandrie, dont nous avons parlé un peu plus haut, quitte la vie. Le quatrième depuis les apôtres, Primus reçoit la charge des Alexandrins.

A cette époque également, Evariste ayant accompli sa huitième année , Alexandre reçoit l'épiscopat à Rome, recevant le cinquième (rang de) succession depuis Pierre et Paul.

II

CE QUE LES JUIFS SOUFFRIRENT DE SON TEMPS

Tandis que ce qui concerne l'enseignement et l'Église de notre Sauveur florissait chaque jour et faisait de plus grands progrès, les malheurs des Juifs augmentaient en des maux provoqués les uns par les autres. Déjà donc, vers la dix-huitième année de l'empereur (Trajan), une nouvelle sédition des Juifs prit naissance et fit périr un très grand nombre d'entre eux. En effet, à Alexandrie et dans tout le reste de l'Egypte, et aussi du côté de Cyrène, ils semblèrent entraînés par un esprit redoutable de révolte et se soulevèrent en sédition contre les Grecs qui vivaient avec eux. La sédition s'accrut considérablement et, l'année suivante, ils provoquèrent une guerre considérable, alors que Lupus était gouverneur de toute l'Egypte. Certes, lors du premier engagement, il arriva que les Juifs l'emportèrent sur les Grecs; ceux-ci s'enfuirent à Alexandrie, firent le chasse aux Juifs qui habitaient dans la ville et les tuèrent. Les Juifs de Cyrène, privés du secours qu'ils attendaient, se mirent à piller le pays d'Egypte et à dévaster les nomes qui s'y trouvent, sous le commandement de Loucoua. Contre eux, l'empereur envoya Marcius Turbon avec une force d'infanterie, des navires et de la cavalerie. Celui-ci mena avec peine la guerre contre eux en de nombreux combats et pendant un longtemps. Il tua de nombreux milliers de Juifs, non seulement de ceux de Cyrène, mais aussi de ceux d'Egypte qui s'étaient soulevés avec Loucoua, leur roi.

De plus, l'Empereur ayant soupçonné les Juifs de Mésopotamie d'attaquer aussi les gens de ce pays, ordonna à Lusius Quietus d'en purifier la province. Celui-ci fit avancer ses troupes contre eux et massacra une très grande multitude. A la suite de ce succès, il fut nommé par l'empereur gouverneur de Judée. Ceux des Grecs qui ont transmis par écrit les événements de ces temps là, ont aussi raconté ces choses en propres termes.

III

CEUX QUI, SOUS HADRIEN, ONT FAIT DES APOLOGIES POUR LA FOI

Trajan ayant exercé le pouvoir pendant vingt ans entiers moins six mois, Aelius Hadrien reçoit la succession du pouvoir. C'est à ce dernier que Quadratus remit un discours qu'il lui avait adressé : il avait composé cette apologie en faveur de notre religion parce que certains hommes mauvais s'efforçaient de troubler les nôtres. On trouve encore maintenant ce livre chez beaucoup de nos frères et aussi chez nous. Il est possible d'y voir des preuves éclatantes de l'intelligence de l'auteur et de son exactitude apostolique. L'écrivain manifeste son antiquité par ce qu'il raconte en propres termes :

" Les œuvres de notre Sauveur étaient toujours présentes, car elles étaient véritables : ceux qu'il a guéris, ceux qui ont été ressuscites des morts n'ont pas été vus seulement au moment où ils ont été guéris et ressuscités, mais encore constamment présents; et cela, non seulement pendant que le Sauveur vivait ici-bas, mais encore après sa mort. Ils ont été là pendant un long temps, de sorte que quelques-uns d'entre eux sont même arrivés jusqu'à nos temps. "

Voilà ce qu'a été Quadratus. Aristide, lui aussi, qui était un fidèle de notre religion, a laissé comme Quadratus, en faveur de la foi, une apologie qu'il avait adressée à Hadrien. Son ouvrage est également conservé jusqu'à présent chez un très grand nombre.

IV

LES ÉVÊQUES DES ROMAINS ET DES ALEXANDRINS SOUS HADRIEN

La troisième année du même règne, Alexandre, évêque des Romains, mourut après avoir achevé la dixième année de son administration : Xyste fut son successeur. Vers le même temps, dans l'Église d'Alexandrie, Primus mourut la dixième année de sa présidence et Justus lui succéda.

V

LES ÉVÊQUES DE JÉRUSALEM, EN REMONTANT DEPUIS LE SAUVEUR
JUSQU'AU TEMPS DONT NOUS PARLONS

Quant aux évêques de Jérusalem, je n'ai trouvé nulle part leurs dates conservées par l'écriture : la tradition rapporte avec assurance qu'ils ont eu une vie très courte.

J'ai appris cependant dans des documents écrits, que, jusqu'au siège des Juifs sous Hadrien, il y avait eu à Jérusalem un chiffre de quinze successions d'évêques, que l'on dit avoir été tous Hébreux de vieille souche et avoir reçu d'une manière authentique la connaissance du Christ. Par suite, ceux qui étaient capables de décider là-dessus les avaient alors jugés dignes de la charge épiscopale. En effet, l'Église entière de Jérusalem était alors composée d'Hébreux fidèles : il en fut ainsi depuis les apôtres jusqu'au siège que subirent ceux qui vivaient alors, au cours duquel les Juifs se séparèrent de nouveau des Romains et furent détruits en des guerres très grandes.

Comme les évêques de la circoncision s'achèvent donc à ce moment, il peut être nécessaire d'en donner maintenant la liste depuis le premier. Le premier fut donc Jacques, celui qu'on appelle le frère du Seigneur. Après lui, le second fut Siméon, le troisième Justus, le quatrième Zacchée, le cinquième Tobias, le sixième Benjamin, le septième Jean, le huitième Matthias, le neuvième Philippe, le dixième Sénèque, le onzième Justus, le douzième Lévi, le treizième Ephrem, le quatorzième Joseph, enfin le quinzième Judas. Tels furent les évêques de la ville de Jérusalem depuis les apôtres jusqu'au temps dont nous parlons, tous de la circoncision.

Alors que le règne (d'Hadrien) en était déjà à la douzième année, Xyste ayant accompli la dixième année de l'épiscopat à Rome, Télesphore lui succède, le septième depuis les apôtres. Un an et des mois s'étant écoulés dans l'intervalle, Eumène reçoit la première place dans l'Église des Alexandrins, au sixième rang, son prédécesseur ayant duré onze ans.

VI

LE DERNIER SIÈGE DE JÉRUSALEM SOUS HADRIEN

La révolte des Juifs grandissait et se développait alors de nouveau. Rufus, gouverneur de la Judée, après que l'empereur lui eut envoyé des renforts en soldats, profita sans pitié de leurs folies et marcha contre eux. Il tua, par masses, des milliers d'hommes, de femmes et d'enfants et, conformément aux lois de la guerre, il réduisit leur pays en servitude.

Un homme du nom de Barchochébas  était alors à la tête des Juifs : ce nom signifie étoile. Pour le reste, il était un voleur et un meurtrier, mais par son nom il en imposait à des esclaves, comme s'il était une lumière venue du ciel pour eux et miraculeusement destiné à les éclairer dans leurs malheurs.

La guerre était arrivée à son apogée la dix-huitième année du règne (d'Hadrien), aux environs de Betthéra  : c'était une petite ville très fortifiée qui n'était pas très loin de Jérusalem. Le siège, dirigé du dehors, ayant duré longtemps, les révoltés furent poussés par la faim et par la soif aux dernières extrémités de la destruction. Celui qui était la cause de leur folie en subit le juste châtiment; et depuis ce temps-là, tout le peuple reçut la défense absolue, par une décision ayant force de loi et par des commandements d'Hadrien, d'approcher même des environs de Jérusalem, de telle sorte que celui-ci interdit aux Juifs de contempler, même de loin, le sol de la patrie. C'est là ce que raconte Ariston de Pella.

Ainsi la ville (de Jérusalem) fut réduite à être totalement désertée par le peuple juif et à perdre ceux qui l'avaient habitée autrefois. Elle reçut des habitants de race étrangère. La ville romaine, qui la remplaça, changea de nom et fut appelée Aelia en l'honneur de l'empereur Aelius Hadrien. L'Eglise de la ville fut elle aussi composée de Gentils et le premier, après les évêques de la circoncision, qui en reçut la charge, fut Marc.

VII

QUELS FURENT, EN CE TEMPS-LA, LES CHEFS DE LA GNOSE AU NOM MENSONGER

Alors que déjà, comme des astres très éclatants, les Églises brillaient dans l'univers et que, à travers tout le genre humain, la foi en notre Sauveur et Seigneur Jésus-Christ était en pleine floraison, le démon ennemi du bien, qui est toujours l'ennemi de la vérité et l'adversaire irréductible du salut des hommes, tourna toutes ses machinations contre l'Église. Autrefois, il avait mis en œuvre contre elle les persécutions venues du dehors; alors, ces persécutions lui étant fermées, il se servit d'hommes mauvais et de magiciens comme d'instruments capables de perdre les âmes et de ministres de perdition; il mena la lutte par de nouveaux moyens, inventant toute sorte de procédés : les magiciens et les trompeurs, revêtant le même titre de croyances que nous, tantôt devaient capturer ainsi un certain nombre de fidèles et les précipiter dans un abîme de perdition, tantôt ils devaient détourner de la voie qui mène à la parole du salut ceux qui ignoraient la foi et sur lesquels ils s'exerceraient par leur action. De Ménandre donc, que nous avons dit plus haut avoir été le successeur de Simon , sortit, semblable à un serpent à deux gueules et à deux têtes, une puissance qui produisit les chefs de deux hérésies différentes : Saturnin, originaire d'Antioche, et Basilide d'Alexandrie. De ces hérétiques, l'un installa en Syrie, l'autre en Egypte, les écoles d'hérésies ennemies de Dieu. Irénée montre que Saturnin répétait le plus souvent les mêmes mensonges que Ménandre, et que Basilide, sous prétexte de choses ineffables, débitait à l'infini ses inventions, en fabriquant les mythes monstrueux d'une hérésie impie.

En ce temps-là, un très grand nombre d'hommes ecclésiastiques luttèrent pour la vérité avec une grande éloquence et défendaient les opinions apostoliques et ecclésiastiques. Quelques-uns même offrirent dès lors à ceux qui devaient venir après eux, par le moyen de leurs écrits, des moyens prophylactiques contre ces hérésies dont nous venons de parler. De ces écrits est venue jusqu'à nous une réfutation très puissante de Basilide, due à Agrippa Castor qui était alors un écrivain très connu  : elle découvre la dangereuse habileté de la magie hérétique. Agrippa découvre donc les mystères cachés de Basilide et dit qu'il avait composé vingt-quatre livres sur l'Évangile  et qu'il avait inventé pour lui des prophètes qu'il nommait Barcabbas et Barkoph, et d'autres encore qui n'avaient pas existé, à qui il imposait des noms barbares pour frapper ceux que saisissaient de stupeur de semblables inventions. (L'hérétique) enseignait encore qu'il était indifférent de goûter aux idolothytes et de parjurer, sans la moindre réserve, sa foi dans les temps de persécution; à la manière de Pythagore, il imposait à ses disciples un silence de cinq ans. Le même auteur rapporte encore, au sujet de Basilide, d'autres choses du genre de celles-ci et il prend admirablement sur le fait l'erreur de la dite hérésie.

Irénée , lui aussi, écrit que Carpocrate vivait en même temps que ceux-ci; il était le père d'une autre hérésie, celle qui est appelée des Gnostiques. Ceux-ci trouvaient bon de pratiquer les opérations magiques de Simon, non comme ce dernier en secret, mais bien ouvertement, comme ils l'auraient fait pour quelque chose de grand. Ils allaient jusqu'à vénérer les philtres composés par eux avec un grand soin, les démons qui envoient les songes et qui prennent place auprès des hommes, et d'autres affaires du même genre. Conséquemment à cela, ils enseignaient à ceux qui voulaient aller jusqu'à l'achèvement de leur mystagogie ou plutôt de leur infamie qu'il fallait tout faire, même les actes les plus honteux, parce que, disaient-ils, ils n'échapperaient pas autrement aux princes de ce monde, comme ils les appelaient, qu'en leur accordant à tous ce qu'il fallait, par des actions honteuses.

Il arriva, sans aucun doute, que le démon qui se réjouit du mal, se servit de ces ministres, soit pour réduire en esclavage en vue de leur perte ceux qui avaient été misérablement trompés par eux, soit pour fournir aux nations infidèles de multiples prétextes de dire du mal contre la parole divine, car leur renommée se répandait pour la calomnie de tout le peuple des chrétiens. Ce fut donc de cette manière, en très grande partie, que prit naissance l'opinion impie et tout à fait déraisonnable, alors courante à notre sujet parmi les croyants, que nous commettions d'abominables unions avec nos mères et nos sœurs et que nous mangions des nourritures infâmes. Tout cela d'ailleurs ne servit pas longtemps au démon, car la vérité elle-même se leva et brilla, avec le progrès du temps, d'une grande lumière. Les machinations des ennemis s'éteignirent en effet aussitôt, confondues par la propre action de la vérité : les hérésies s'ouvraient les unes après les autres de nouvelles voies; les plus anciennes s'évanouissaient constamment et se corrompaient, chacune à sa manière, pour donner naissance à des idées diverses et de formes variées. Au contraire, subsistant dans la même identité, l'éclat de la seule véritable Église catholique allait en augmentant et en grandissant, projetant sur la race entière des Grecs et des Barbares les rayons de ce qu'il y a de vénérable, de pur, de libre, de sage, de chaste dans sa conduite et sa philosophie divine.

Avec le temps s'éteignit donc la calomnie contre toute notre croyance, et notre enseignement demeura seul victorieux auprès de tous, et l'on reconnut qu'il l'emportait de beaucoup par son caractère vénérable et sage et par ses doctrines philosophiques. De la sorte personne n'ose maintenant apporter contre notre foi des racontars honteux, ni des calomnies semblables à celles dont on aimait à se servir auparavant chez ceux qui s'étaient conjurés contre nous.

Du reste, aux temps dont nous parlons, la vérité présenta de très nombreux défenseurs, qui luttèrent contre les hérésies athées non seulement par des réfutations orales, mais aussi par des démonstrations écrites.

VIII

QUELS FURENT LES ÉCRIVAINS ECCLÉSIASTIQUES

En ces temps-là était célèbre Hégésippe dont nous avons déjà,  à maintes reprises,  utilisé les paroles  pour établir, par le moyen de sa tradition, certains faits des temps des apôtres. Celui-ci rapporte donc en cinq livres de Mémoires la tradition sans erreur de la prédication apostolique, et il écrit en une composition fort simple; il y montre le temps où il se faisait connaître, en écrivant ceci de ceux qui, au commencement, élevèrent des idoles :

" On leur faisait des cénotaphes et des temples, comme on le fait jusqu'à présent. Parmi eux se trouve aussi Antinous, esclave d'Hadrien César, dont les jeux s'appellent Antinoiens et qui a vécu de nos jours. (Hadrien) bâtit en effet une ville, qui porta le nom d'Antinous et institua des prophètes. "

Dans le même temps Justin, authentique amant de la véritable philosophie, passait son temps à s'exercer aux écrits des Grecs. Lui aussi indique cette époque, en écrivant ceci dans son Apologie à Antonin :

", Nous ne pensons pas hors de propos de rappeler ici Antinous, qui vivait de notre temps, que tous ont été poussés par la crainte à honorer comme un dieu, quoique sachant qui il était et d'où il sortait. "

Le même (Justin), faisant mémoire de la guerre qui eut lieu alors contre les Juifs, ajoute ceci :

" Et en effet, dans la guerre juive qui a eu lieu maintenant, Barchochébas, le chef de la révolte des Juifs, a fait conduire à de terribles supplices les seuls chrétiens, s'ils ne reniaient pas et ne blasphémaient pas Jésus-Christ. "

Dans le même ouvrage, en exposant sa conversion de la philosophie grecque à la religion de Dieu, il montre qu'il n'a pas agi sans raison, mais après examen, et il écrit ceci  :

 " Et moi aussi, en effet, je me plaisais aux enseignements de Platon; mais en entendant calomnier les chrétiens et en voyant qu'ils étaient sans crainte devant la mort et tout ce qu'on estime redoutable, je pensais qu'il était impossible qu'ils vécussent dans le mal et l'amour du plaisir : quel est en effet l'ami du plaisir, l'intempérant, celui qui trouve bon de manger de la chair humaine, qui pourrait saluer la mort avec joie, de manière à être privé (par elle) de tout ce qu'il désire ? Ne s'efforcerait-il pas au contraire, par tous les moyens, de vivre toujours l'existence d'ici-bas et d'échapper aux magistrats, plutôt que de se dénoncer lui-même pour être mis à mort ? "

Le même écrivain raconte encore qu'Hadrien reçut du clarissime gouverneur, Serennius Granianus, une lettre au sujet des chrétiens, disant qu'il n'était pas juste, qu'en dehors de toute accusation on les tuât sans jugement, pour satisfaire aux cris du peuple. (L'empereur) répondit à Minucius Fundanus, proconsul d'Asie, en ordonnant de ne juger personne sans une plainte et une accusation en règle (Justin) donna la copie de la lettre, en conservant le texte latin tel qu'il était , mais auparavant il écrit ceci :

" Et d'après une lettre du très grand et très illustre César Hadrien, votre père, nous aurions pu vous demander d'ordonner, selon que nous le trouvons bon, qu'il y eût des jugements.

Nous n'avons pourtant pas trouvé bon de le faire parce que tel était l'ordre d'Hadrien, mais parce que nous savons que notre réclamation est juste. Nous plaçons encore à la suite la copie de la lettre d'Hadrien, afin que vous sachiez qu'en cela aussi nous disons la vérité. La voici. "

L'homme dont nous parlons ajoute à cela le rescrit en latin. Nous l'avons, selon notre pouvoir, traduit en grec, comme il suit.

IX

Lettre  d'Hadrien  sur ce  qu'il ne faut pas  nous frapper sans jugement

" A Minucius Fundanus.

" J'ai reçu une lettre qui m'a été écrite par Serennius Granianus, homme clarissime, à qui tu as succédé. Il ne me semble donc pas bon de laisser l'affaire sans examen, de peur que les hommes ne soient inquiétés et qu'on n'offre aux dénonciateurs une aide dans leur méchanceté. Si donc les habitants de la province peuvent soutenir ouvertement cette pétition contre les chrétiens, de manière à ce que l'affaire soit plaidée devant le tribunal, qu'ils se servent de ce seul moyen, et non pas de pétitions ou de simples cris. Il convient en effet beaucoup mieux, si quelqu'un veut porter une accusation, que tu en connaisses toi-même. Si donc quelqu'un les accuse et prouve qu'ils font quelque chose contrairement aux lois, décide selon la gravité de la faute. Mais, par Hercule ! si quelqu'un allègue cela par délation, prononce un verdict sur cette conduite criminelle et aie le souci de la punir. "

Tel est le rescrit d'Hadrien.

X

QUELS FURENT, SOUS LE RÈGNE D'ANTONIN,
LES ÉVÊQUES DES ROMAINS ET DES ALEXANDRINS

Celui-ci ayant acquitté sa dette après vingt et un ans (de règne), Antonin, surnommé le Pieux, reçoit la succession du principal romain. La première année de son règne, Télesphore quitte la vie, dans la vingtième année de sa charge et Hygin reçoit le lot de l'épiscopat des Romains.

Irénée rapporte que Télesphore illustra sa fin par le martyre. Au même endroit, il montre qu'au temps d'Hygin, l'évêque des Romains dont nous venons de parler, Valentin, l'introducteur de l'hérésie qui porte son nom, et Cerdon, le chef de l'erreur marcionite, étaient tous les deux célèbres à Rome. Il écrit ceci  :

XI

LES HÉRÉSIARQUES DE CE TEMPS

" Valentin vint en effet à Rome sous Hygin, il atteignit son apogée sous Pie et demeura jusqu'à Anicet. Quant à Cerdon, le prédécesseur de Marcion, il vécut lui aussi sous Hygin, qui était le neuvième évêque (de Rome); étant venu dans l'église, il y fit pénitence; mais il se comporta continuellement ainsi, tantôt enseignant en secret, tantôt faisant à nouveau pénitence, tantôt convaincu de ce qu'il enseignait de mauvais et se retirant de l'assemblée des frères "

Voilà ce qu'il dit dans le troisième livre du Contre les hérésies. Dans le premier, du reste, il dit encore ceci au sujet de Cerdon  :

" Un certain Cerdon, qui tire ses origines des disciples de Simon et qui a résidé à Rome sous Hygin, le neuvième détenteur de la succession épiscopale depuis les apôtres, a enseigné que le Dieu prêché par la Loi et les prophètes n'est pas le Père de Notre Seigneur Jésus-Christ, que l'un est connu et l'autre est inconnu, que l'un est juste et que l'autre est bon. Marcion le Pontique lui succéda et développa son école en blasphémant sans pudeur. "

Le même Irénée explique abondamment l'abîme infini de la matière pleine d'erreur de Valentin  et il met à nu sa méchanceté cachée et sournoise, pareille à celle d'un serpent qui se tapit dans un trou. En outre, il dit qu'un autre, du nom de Marc, fut dans ces temps-là très habile en jongleries magiques; il décrit aussi leurs initiations vaines et leurs mystagogies misérables, qu'il révèle en ces termes mêmes :

" Parmi eux, les uns préparent un lit nuptial et accomplissent une mystagogie avec certaines formules sur les initiés; ils disent que ce qu'ils font est un mariage spirituel, à la ressemblance des unions d'en haut. Les autres les conduisent vers l'eau et, en les baptisant, ils disent ceci sur eux : Par le nom du Père inconnu de toutes choses, par la Vérité mère de toutes choses, par celui qui est descendu en Jésus. D'autres disent sur eux des noms hébreux, pour frapper davantage les initiés. "

Mais Hygin étant mort après la quatrième année de son épiscopat, Pie prend en mains le ministère à Rome. D'autre part, à Alexandrie, Marc est désigné comme pasteur, après qu'Eumène a achevé ses treize années complètes; et, Marc étant mort après dix ans de ministère, Céladion reçoit le ministère de l'Église des Alexandrins. Et, dans la ville des Romains, Pie étant mort la quinzième année de son épiscopat , Anicet préside aux fidèles de cette ville : c'est de son temps qu'Hégésippe raconte être venu à Rome, où il demeura jusqu'à l'épiscopat d'Eleuthère.

Ce fut à cette époque que Justin atteignit surtout son apogée : en costume de philosophe, il prêchait la parole divine et il combattait dans des ouvrages en faveur de la foi. Ce Justin écrivit un ouvrage Contre Marcion, et il rappelle que, dans le temps où il le composait, cet homme était encore en vie. Il s'exprime ainsi :

" Un certain Marcion, originaire du Pont, qui maintenant encore est en train d'enseigner à ceux qu'il persuade, qu'il faut admettre un autre Dieu plus grand que le démiurge, a, dans toutes les races humaines et avec l'aide des démons, amené un grand nombre d'hommes à dire des blasphèmes, à nier que le créateur de cet univers est le Père du Christ, et à confesser qu'à côté de lui il y a quelqu'un d'autre qui est plus grand que lui. Et, comme nous l'avons dit, tous ceux qui sont issus de ces hommes, sont appelés chrétiens, de la même manière que le nom de philosophie est un nom commun pour les philosophes, bien que leurs opinions ne soient pas communes à tous. "

A cela il ajoute  :

" II existe encore de nous un traité contre toutes les hérésies; si vous voulez le lire, nous vous le donnerons. "

XII

L'APOLOGIE DE JUSTIN A ANTONIN

Ce même Justin, qui a travaillé excellemment en s'adressant aux Grecs, a rédigé encore d'autres ouvrages qui contiennent une apologie en faveur de notre foi; il les adresse à l'empereur Antonin, surnommé le Pieux et au Sénat des Romains, car il séjournait à Rome. Il déclare lui-même qui il est et d'où il est, en ces termes, dans l'Apologie :

" A l'empereur Titus Aelius Hadrianus Antoninus, le Pieux, César Auguste et à Vérissimus, son fils, philosophe, et à Lucius, par la nature fils de César, philosophe; et de Pius par l'adoption, amant de la culture; au sacré Sénat et à tout le peuple des Romains, en faveur des hommes de toute race qui sont injustement haïs et calomniés, Justin, fils de Priscus, fils de Baccheius, originaire de Flavia Neapolis en Syrie Palestine, l'un d'entre eux, j'adresse ce discours et cette prière. "

XIII

LETTRE D'ANTONIN AU CONSEIL D'ASIE SUR NOTRE DOCTRINE

Sollicité encore par d'autres frères de l'Asie qui étaient en butte à des excès de toutes sortes de la part des populations de cette province, le même empereur trouva bon d'adresser ce rescrit à l'assemblée de l'Asie.

" L'empereur César Marc Aurèle Antonin Auguste, Arménique, souverain pontife, orné de la puissance tribunicienne pour la quinzième fois, consul pour la troisième fois, à l'assemblée de l'Asie, salut. Je sais qu'il appartient aux dieux de veiller à ce que de tels hommes n'échappent pas au châtiment, car ce sont eux, beaucoup plutôt que vous, qui devraient punir ceux qui ne veulent pas les adorer. Ces gens, vous les jetez dans le trouble et vous fortifiez les opinions qu'ils professent, en les accusant d'athéisme : lorsqu'ils sont accusés, ils estiment préférable à la vie une mort apparente pour leur propre Dieu : c'est ainsi qu'ils sont victorieux, en sacrifiant leur vie plutôt que d'obéir à ce que vous leur demandez de faire. Quant aux tremblements de terre passés ou présents, il n'est pas hors de propos de vous admonester vous qui êtes sans courage lorsqu'ils se produisent et qui devez comparer votre situation à la leur . Ces hommes en effet sont remplis d'une confiance accrue en Dieu, et vous, pendant tout le temps où vous paraissez être dans l'ignorance, vous ne prenez aucun soin des autres dieux ni de l'adoration due au Dieu immortel : celui-ci, les chrétiens l'adorent, et vous les chassez, vous les persécutez jusqu'à la mort . En faveur de tels hommes, déjà beaucoup des gouverneurs de province ont aussi écrit à notre très divin père, et il leur a répondu qu'il ne fallait pas les inquiéter, à moins qu'ils ne parussent entreprendre quelque chose contre la souveraineté des Romains. A moi aussi, beaucoup se sont adressés à leur sujet, et je leur ai répondu conformément à l'avis de mon père. Si donc quelqu'un persévère à porter plainte contre un chrétien parce qu'il est chrétien, que l'accusé soit renvoyé des fins de la plainte, même s'il est évident qu'il est chrétien; quant à l'accusateur, il sera passible de punition. Promulgué à Ephèse, dans l'assemblée d'Asie. "

Que les choses se soient ainsi passées, c'est ce dont témoigne Méliton, évêque de l'église de Sardes, bien connu dans ce temps-là : c'est ce qui est évident, d'après ce qu'il dit dans une apologie adressée à l'empereur Vérus en faveur de notre doctrine.

XIV

CE QUE L'ON RAPPELLE SUR POLYCARPE, LE DISCIPLE DES APOTRES

Aux temps dont nous parlons, alors qu'Anicet gouvernait l'Église des Romains, Polycarpe, qui était encore en vie, vint à Rome et s'entretint avec Anicet d'une question relative au jour de Pâques, à ce que raconte Irénée. Le même écrivain transmet encore sur Polycarpe un autre récit, qu'il est nécessaire d'ajouter à ce qui a déjà été dit sur lui. Voici ce récit  :

Extrait du troisième livre d'Irénée contre les Hérésies.

" Quant à Polycarpe, non seulement il fut disciple des apôtres et vécut avec beaucoup de ceux qui avaient vu le Seigneur, mais encore il fut établi par les apôtres, pour l'Asie, comme évêque dans l'Eglise de Smyrne; et nous-mêmes nous l'avons vu dans notre prime jeunesse. Il vécut en effet très longtemps, et ce fut dans une vieillesse très avancée qu'il sortit de la vie, après avoir rendu un témoignage glorieux et très éclatant. Il avait toujours enseigné ce qu'il avait appris des apôtres, ce que l'Église transmet, ce qui seul est véritable. C'est ce dont témoignent toutes les Églises d'Asie et ceux qui, jusqu'à présent, ont succédé à Polycarpe, qui a été un témoin de la vérité beaucoup plus digne de foi et beaucoup plus assuré que Valentin, Marcion et tous les autres esprits pervers. Venu à Rome sous Anicet, il ramena dans l'Église de Dieu beaucoup des hérétiques susdits, en prêchant qu'il avait reçu des apôtres la seule et unique vérité, celle qui est transmise par l'Église .

" Il y a encore des gens  qui l'ont entendu raconter que Jean, le disciple du Seigneur, étant venu à Ephèse, voulut y prendre un bain; mais en y voyant Cérinthe, il se précipita hors des thermes, sans s'y baigner, et dit : Fuyons, de peur que les thermes ne tombent sur nous; Cérinthe y est, l'ennemi de la vérité ! Polycarpe en personne aperçut un jour Marcion qui vint à lui et lui dit : Reconnais-nous. Il lui répondit : Je reconnais, oui, je reconnais le premier né de Satan. Telle était la circonspection des apôtres et de leur disciples qu'ils n'avaient aucun rapport, même de conversation, avec personne de ceux qui falsifiaient la vérité, ainsi que le dit Paul : Après un ou deux avertissements, évite l'hérétique, sachant qu'un tel homme est perverti et qu'il pèche, s'étant condamné lui-même.

" Il y a encore de Polycarpe une épître adressée aux Philippiens, qui est très considérable. Dans cette lettre, ceux qui le veulent et qui ont souci de leur propre salut peuvent apprendre le caractère de sa foi et sa prédication de la vérité."

Voilà ce que dit Irénée. Quant à Polycarpe, dans sa lettre aux Philippiens dont on vient de parler et qui est conservée jusqu'à présent, il se sert de témoignages tirés de la première épître de Pierre.

XV

COMMENT SOUS VERUS, POLYCARPE RENDIT TÉMOIGNAGE
EN MÊME TEMPS QUE D'AUTRES, DANS LA VILLE DE SMYRNE

Antonin appelé le Pieux ayant achevé la vingt-deuxième année de son règne, Marcus Aurelius Verus, appelé aussi Antonin, son fils, lui succéda avec Lucius, son frère.

Ce fut à cette époque que Polycarpe mourut par le martyre, alors que de très grandes persécutions bouleversaient l'Asie. Je croîs tout à fait nécessaire d'insérer dans cette histoire, pour qu'on s'en souvienne, le récit de sa mort qui est encore conservé par écrit.  Il y a en effet une lettre adressée au nom de l'Église à laquelle il présidait, aux Eglises du Pont , et qui expose ainsi ce qui le concerne :

" L'Église de Dieu qui pérégrine à Smyrne à l'Église de Dieu qui pérégrine à Philomélium et à toutes les chrétientés, répandues en tout lieu, de la sainte Église catholique : que la miséricorde, la paix et l'amour de Dieu le Père et de notre Seigneur Jésus-Christ soient en abondance ! Nous vous écrivons, frères, ce qui concerne les martyrs et le bienheureux Polycarpe qui, par son martyre, a comme scellé et fait cesser la persécution. "

A la suite de quoi , avant de raconter ce qui concerne Polycarpe, ils rapportent ce qui a trait aux autres martyrs et décrivent la résistance dont ils ont fait preuve en face des tourments. Ils disent en effet que furent frappés (d'étonnement) ceux qui se tenaient là en cercle, en les voyant tantôt déchirés par les fouets jusqu'à ce qu'on aperçût les veines et les artères les plus intérieures et qu'on vît leurs entrailles et les parties les plus profondément cachées de leurs corps; tantôt étendus sur des coquillages marins et des pointes acérées; et, après avoir subi toutes sortes de tortures et de supplices, exposés, pour finir, aux bêtes pour être leur nourriture.

Ils racontent qu'on remarqua surtout le très généreux Germanicus, qui, avec la grâce de Dieu, triompha de la crainte naturelle de la mort du corps. Le proconsul voulait le persuader, en lui alléguant son âge, il le suppliait (disant) qu'étant encore très jeune et dans la fleur de sa vie, il devait avoir pitié de lui-même : le martyr n'hésita pas; courageusement, il attira sur lui la bête féroce, il lui fit presque violence et l'excita, afin qu'elle le fît sortir plus vite de la vie injuste et pécheresse des païens. Devant la mort remarquable de cet homme, la foule entière fut stupéfaite en voyant la vaillance du pieux martyr et la vertu de toute la race des chrétiens; et elle se mit à crier d'une seule voix : Enlevez les athées !

Qu'on cherche Polycarpe. Un grand trouble suivit ces cris. Un homme de race phrygienne, nommé Quintus, qui était récemment venu de Phrygie, en voyant les bêtes et les autres tourments qui le menaçaient, fut saisi de crainte, se sentit faiblir et abandonna la perfection du salut. Le texte de la lettre que nous avons citée montre que cet homme s'était présenté au tribunal avec d'autres d'une manière trop précipitée, mais non selon la prudence. Sa chute offre par suite un exemple éclatant à tous les autres en prouvant qu'il ne convient pas de s'exposer à de si grands dangers à l'aventure et sans circonspection.

Voilà quelle fut la fin de ces hommes. Quant au très admirable  Polycarpe, lorsque  d'abord il apprit  ces  événements, il demeura calme, et conserva sa sérénité et sa placidité ordinaire; il voulut même rester dans la ville. Il obéit pourtant à ses compagnons qui le suppliaient et l'exhortaient à s'éloigner; il se retira dans un domaine qui n'était pas très loin de la ville et y vécut avec un petit nombre de fidèles. Nuit et jour, il ne faisait rien d'autre que persévérer dans les prières qu'il adressait au Seigneur : il ne cessait pas d'y demander, d'y implorer la paix pour les Eglises de l'univers entier, et en effet telle était toujours son habitude. Et, tandis qu'il priait, trois jours avant d'être pris, il eut de nuit une vision; il vit l'oreiller qui était sous sa tête prendre feu tout d'un coup et se consumer. Réveillé aussitôt, il expliqua sur le champ ce qu'il avait vu à ceux qui étaient là et leur prédit à peu près ce qui devait arriver, en annonçant clairement à ses compagnons qu'il devait donner sa vie pour le Christ par le feu.  Ceux qui le cherchaient le faisaient avec un plein zèle et l'on dit que, contraint de nouveau par l'affection et l'attachement des frères, il passa dans un autre domaine. Il venait d'y  arriver que  ses  poursuivants  y  parvinrent  et  saisirent deux  des   serviteurs   qui  s'y  trouvaient;   ils   battirent  l'un d'eux et grâce à lui parvinrent à la retraite de Polycarpe. Comme ils étaient arrivés à une heure tardive, ils le trouvèrent en train de reposer dans une chambre haute, d'où il lui aurait été possible de passer dans une autre maison; mais il ne le voulut pas et dit : Que la volonté de Dieu soit faite. Lorsqu'il sut que ses poursuivants étaient là, dit le récit, il descendit et leur parla avec un visage tout à fait radieux et très doux, de sorte que ces hommes, qui ne le connaissaient pas jusqu'alors, crurent voir une apparition en contemplant ce vieillard chargé d'années, d'allure vénérable et tranquille et ils s'étonnaient qu'on mît un tel zèle pour s'emparer d'un tel vieillard. Mais lui, sans tarder, leur fit aussitôt disposer une table, puis il les invita à prendre un copieux repas. Il leur demanda seulement une heure pour prier sans contrainte. Ils y consentirent; et, s'étant levé, il pria, rempli de la grâce du Seigneur. Ceux qui étaient là, en l'entendant prier, furent frappés d'émotion et plusieurs d'entre eux se repentirent dès ce moment de ce qu'on fût sur le point d'enlever la vie à un semblable vieillard, si vénérable et si pieux.

 Après cela, la lettre qui le concerne rapporte en ces termes la suite du récit :

" Quand il eut achevé sa prière, où il avait fait mémoire de tous ceux qu'il avait jamais rencontrés, petits et grands, illustres et obscurs, et de toute l'Église catholique répandue dans le monde, l'heure étant venue de partir, on le plaça sur un âne et on le conduisit en ville : c'était un jour de grand sabbat. L'irénarque Hérode et son père, Nicétas, le rencontrèrent; et l'ayant fait monter dans leur char, après qu'ils l'eurent assis auprès d'eux, ils s'efforcèrent de le persuader en disant : Quel mal y a-t-il à dire : César est Seigneur, à sacrifier et à sauver sa vie ? Mais lui, tout d'abord, ne répondit pas; puis, comme ils insistaient, il dit : Je ne ferai pas ce que vous me conseillez. Comme ils ne réussissaient pas à le persuader, ils lui dirent alors des paroles mauvaises et le firent descendre avec précipitation, de sorte qu'en quittant le char il se blessa le devant de la jambe; mais il ne fit pas attention, comme s'il n'avait rien souffert, et il s'avança de bon cœur, avec empressement, tandis qu'on le conduisait vers le stade.

" Le tumulte était si grand dans le stade qu'on avait peine à entendre. Lorsque Polycarpe entra dans le stade, il y eut une voix venue du ciel : Sois fort, Polycarpe, et agis en homme. Personne ne vit celui qui parlait, mais beaucoup des nôtres entendirent la voix. Lors donc qu'on l'amena, il y eut un grand tumulte de la part de ceux qui entendaient que Polycarpe était pris. Quand il se fut donc avancé, le proconsul lui demanda s'il était bien Polycarpe; et, sur sa réponse affirmative, il l'exhorta à renier en disant : Aie pitié de ton âge, et d'autres choses semblables qu'il leur est accoutumé de dire. Il ajouta : Jure par la fortune de César, repens-toi; dis : Enlevez les athées ! Alors, Polycarpe, regardant d'un visage grave toute la foule qui était dans le stade, étendit la main vers eux, gémit, regarda vers le ciel et dit : Enlevez les athées ! Le proconsul insista en disant : Jure et je te délivrerai; maudis le Christ. Polycarpe dit : Il y a quatre-vingt-six ans que je le sers et il ne m'a pas fait de mal : comment puis-je blasphémer mon roi, celui qui m'a sauvé ? Le proconsul le pressa encore et dit : Jure par la fortune de César. Polycarpe reprit : Si tu espères en vain me faire jurer par la fortune de César, comme tu dis, en faisant semblant d'ignorer qui je suis, écoute, je parle avec franchise : je suis chrétien. Si tu veux apprendre la doctrine du christianisme, donne-moi un jour et écoute.

" Le proconsul fit : Persuade le peuple. Polycarpe dit : Toi, je te juge digne d'un discours, car nous avons appris à accorder aux magistrats et aux autorités établies par Dieu l'honneur qui leur convient et qui ne nous nuit pas. Quant à ceux-ci, je ne les juge pas dignes de me défendre devant eux. Le proconsul dit : J'ai des bêtes; je t'exposerai à elles, si tu ne changes pas d'avis. Polycarpe dit : Appelle-les; car pour nous, nous ne changeons pas d'avis pour aller du meilleur au pire; tandis qu'il est bien de passer du mal à la justice. Le proconsul lui dit encore : Je te ferai dompter par le feu, si tu méprises les bêtes, à moins que tu ne changes d'avis. Polycarpe dit : Tu me menaces d'un feu qui brûle un moment et qui s'éteint au bout de peu de temps. C'est que tu ignores le feu du jugement à venir et de l'éternel châtiment qui est réservé aux impies. Mais pourquoi tardes-tu ? Amène ce que tu veux.

" En disant cela et beaucoup d'autres choses, il était rempli de courage et de joie, et son visage était plein de grâce, de telle sorte que non seulement il n'avait pas été troublé par ce qui lui avait été dit, mais que c'était au contraire le proconsul qui était stupéfait. Ce dernier envoya le héraut proclamer au milieu du stade : Trois fois, Polycarpe a déclaré qu'il était chrétien. Lorsque cela eut été dit par le héraut, toute la foule des païens et des Juifs, qui habitaient Smyrne, cria avec une colère non contenue et à haute voix : Cet homme est le didascale de l'Asie, le père des chrétiens, le destructeur de nos dieux; il apprend à beaucoup de gens à ne pas sacrifier et à ne pas adorer. En disant cela, ils criaient encore et demandaient à l'asiarque Philippe de lâcher un lion sur Polycarpe; mais il répondit que cela ne lui était pas permis, parce que les combats de bêtes étaient achevés. Alors, ils trouvèrent bon de crier d'un seul cœur de brûler Polycarpe vivant. Il fallait en effet que fût accomplie la vision qui lui avait été montrée au sujet de l'oreiller, lorsque, dans sa prière, il l'avait vu en train de brûler et que, se tournant vers les fidèles qui étaient avec lui, il leur avait dit d'une manière prophétique : Il faut que je sois brûlé vivant.

Cela fut donc fait encore plus rapidement que dit. Sur-le-champ, les foules amenèrent, des ateliers et des thermes, des bois et des fagots, surtout les Juifs, qui selon leur habitude aidaient de bon cœur à cette besogne. Puis, lorsque le bûcher fut prêt, Polycarpe déposa de lui-même tous ses vêtements et délia sa ceinture ; il essaya aussi de se déchausser, ce qu'auparavant il ne faisait pas, parce que toujours les fidèles s'empressaient à qui toucherait le plus vite son corps : en tout, en effet, à cause de sa vie excellente, il avait été honoré, même avant qu'il eût les cheveux blancs. On plaça donc aussitôt autour de lui les matériaux propres à construire le bûcher. Comme on était sur le point de le clouer aussi, il dit : Laissez-moi ainsi. Car celui qui m'a donné d'attendre le feu de pied ferme, me donnera encore, sans la garantie de vos clous, de rester sans bouger sur le bûcher. On ne le cloua donc pas, mais on l'attacha. Ayant mis les mains derrière le dos et étant attaché, il ressemblait à un bélier choisi, tiré d'un grand troupeau, pour être un holocauste agréable à Dieu tout-puissant.

" Il dit : Père de ton enfant bien aimé et béni Jésus-Christ, par qui nous avons reçu la connaissance de ton être, Dieu des anges, des puissances, de toute créature, de toute la race des justes qui vivent devant ta face, je te bénis, parce que tu m'as jugé digne de ce jour et de cette heure; (que tu m'as donné) de prendre part au nombre des martyrs, au calice de ton Christ, pour la résurrection, en la vie éternelle, du corps et de l'âme, dans l'incorruptibilité de l'Esprit-Saint. Puisse-je être reçu parmi eux en ta présence, aujourd'hui, dans un sacrifice gras et acceptable, selon que tu l'avais préparé et manifesté d'avance, et que tu l'accomplis, Dieu sans tromperie et véritable. A cause de cela, et pour toutes choses, je te loue, je te bénis, je te glorifie, par le grand-prêtre éternel, Jésus-Christ, ton enfant bien aimé, par qui à toi, avec lui, dans l'Esprit-Saint, gloire et maintenant et dans les siècles à venir. Amen.

"  Lorsqu'il eut prononcé l'Amen et achevé sa prière, les hommes du feu allumèrent le feu et, tandis qu'éclatait une grande flamme, nous vîmes un prodige, nous à qui il a été donné de le voir et qui avons été gardés pour raconter aux autres ce qui est arrivé. Le feu en effet prit l'apparence d'une voûte, à la manière d'une voile de navire gonflée par le vent, et entoura en cercle le corps du martyr. Lui était au milieu, non comme une chair brûlée, mais comme de l'or et de l'argent embrasés dans la fournaise. Et nous respirions un parfum aussi fort que celui de l'encens ou de quelque autre des aromates précieux. Les méchants, voyant enfin que le corps ne pouvait pas être attaqué par le feu, ordonnèrent au bourreau d'approcher et d'enfoncer le glaive (dans sa chair). Il le fit et il en sortit une quantité de sang, de sorte que le feu fut éteint et que toute la foule admira qu'il y eut une si grande différence entre les infidèles et les élus. De ces derniers fut aussi cet homme, le plus admirable de notre temps, docteur apostolique et prophétique, évêque de l'Église catholique de Smyrne : toute parole qu'a prononcée sa bouche s'est en effet accomplie et s'accomplira.

" Le mauvais, jaloux et envieux, l'adversaire de la race des justes, voyant la grandeur de son martyre, la vie irréprochable qu'il avait menée dès le début, la couronne d'incorruptibilité dont il était couronné, la victoire incontestable qu'il avait remportée, prit soin que pas même son cadavre ne fut recueilli par nous, bien que beaucoup eussent désiré l'avoir et avoir part à sa sainte dépouille. Certains suggérèrent donc à Nicétas, le père d'Hérode et le frère d'Alcé, d'aller trouver le gouverneur, pour qu'il ne donne pas son corps, de peur, dit-il, qu'abandonnant le crucifié, ils ne commencent à adorer cet homme. Ils dirent ces choses à l'instigation et sur les instances des Juifs : ceux-ci nous épiaient, même quand nous allions enlever le cadavre du feu. Ils ignoraient que nous ne pourrons jamais ni abandonner le Christ qui a souffert pour le salut des sauvés du monde entier, ni adorer quelqu'un d'autre. Lui, nous l'adorons, en effet, parce qu'il est Fils de Dieu; quant aux martyrs, nous les aimons à juste titre comme disciples et imitateurs du Seigneur, à cause de leur invincible bienveillance pour leur propre roi et didascale. Puisse-t-il nous arriver d'être aussi leurs compagnons et leurs condisciples !

" Le centurion, voyant donc le rôle querelleur des Juifs, plaça le corps au milieu, selon leur coutume, et le brûla. Ainsi nous autres avons enlevé plus tard ses ossements, plus précieux que des pierres coûteuses et plus estimables que l'or et nous les avons placés là où c'était convenable. C'est là, autant que possible, que nous nous assemblerons, dans l'allégresse et la joie, quand le Seigneur nous accordera de célébrer le jour natal de son martyre, et pour le souvenir de ceux qui ont lutté avant nous et pour l'exercice et la préparation de ceux qui auront plus tard à lutter. Voilà ce qui concerne le bienheureux Polycarpe : avec ceux qui venaient de Philadelphie, il fut le douzième à avoir subi le martyre à Smyrne; mais il est le seul, dont tous se souviennent de préférence, de sorte que même les païens en parlent partout. "

Telle fut la fin dont fut jugé digne l'admirable et apostolique Polycarpe, dont les frères de l'Église de Smyrne ont fait le récit, dans l'épître d'eux que nous avons citée. Dans le même écrit qui se rapporte à lui, se trouvent encore d'autres récits de martyres qui ont été accomplis dans la même ville de Smyrne, dans la même période de temps que le martyre de Polycarpe. Parmi eux, était aussi Métrodore, qui paraît avoir été prêtre de l'erreur de Marcion et qui mourut après avoir été livré au feu.

Des martyrs d'alors l'un d'eux, fort célèbre, un certain Pionius, se distingua : ses confessions détaillées, la franchise de son langage, les apologies qu'il fit en faveur de la foi devant le peuple et les magistrats, ses discours d'enseignement au peuple, et encore ses encouragements à ceux qui avaient succombé à l'épreuve de la persécution, les exhortations qu'il adressait dans la prison aux frères qui venaient vers lui, les souffrances qu'il supporta ensuite, les supplices qui s'ajoutèrent à d'autres, les plaies que lui firent les clous, son courage sur le bûcher, sa mort après toutes ces merveilles, tout cela se trouve de manière très complète dans l'ouvrage qui lui est consacré; nous y renverrons ceux qui le désirent : il est inséré dans le recueil que nous avons fait des anciens martyrs. On possède encore les actes d'autres martyrs qui ont souffert à Pergame, ville d'Asie, Carpus, Papylus et une femme Agathonicè, qui achevèrent glorieusement leur vie après de très nombreuses et remarquables confessions.

XVI

COMMENT JUSTIN LE PHILOSOPHE
QUI PRÊCHAIT LA PAROLE DU CHRIST
DANS LA VILLE  DES  ROMAINS, RENDIT TÉMOIGNAGE

En ce temps-là, Justin, que nous avons cité un peu plus haut, après avoir présenté aux empereurs que nous avons dits un second livre en faveur de nos doctrines, fut honoré d'un divin martyre, car le philosophe Crescens - cet homme ambitionnait la vie et la conduite qui portent justement le nom de cyniques - ourdit des embûches contre lui, et Justin, après l'avoir plusieurs fois repris dans des discussions auxquelles assistaient des auditeurs, remporta enfin le prix de la victoire de la vérité qu'il avait prêchée, par le moyen de son martyre. Cela aussi, lui-même, le véritablement très ami de la sagesse, l'avait annoncé clairement dans l'Apologie que nous avons citée; et comment tout cela devait lui arriver, il l'indique en ces termes :

" Moi aussi donc, je m'attends à subir les embuscades et à être mis aux ceps par quelqu'un de ceux que j'ai nommés et peut-être par Crescens, qui aime non la sagesse, mais la parade. Car il n'est pas juste d'appeler philosophe un homme qui, parlant de ce qu'il ne connaît pas, accuse en public les chrétiens d'athéisme et d'impiété, et agit ainsi pour la faveur et le plaisir de la multitude qui est dans l'erreur. Car, s'il n'a jamais lu les enseignements du Christ avant de nous attaquer, il est tout à fait méchant et bien pire que les ignorants, qui souvent se gardent de discuter et d'affirmer faussement au sujet de choses qu'ils ne savent pas; et s'il les a lus sans comprendre la grandeur qui est en eux, ou encore si, l'ayant comprise, il agit de cette manière pour ne pas être soupçonné de christianisme, il est encore plus lâche et plus méchant de beaucoup, car il est dominé par une opinion ignorante et déraisonnable et par la crainte. Et, en effet, je lui ai proposé certaines questions sur ces sujets et je l'ai interrogé : je veux que vous sachiez que j'ai appris, après l'avoir convaincu, qu'il ne sait véritablement rien. Je dis la vérité, et si ces discussions ne vous ont pas été rapportées, je suis prêt à renouveler mes questions même devant vous : cette affaire elle aussi serait impériale. Et si mes questions ainsi que les réponses de cet homme ont été connues de vous, il est évident pour vous qu'il ne connaît rien de nos affaires; ou s'il en connaît quelque chose, il n'ose pas le dire à cause des auditeurs, ainsi que je l'ai dit plus haut; il se montre non comme un ami de la sagesse, mais comme un ami de l'opinion et il n'a aucun respect de l'excellente parole de Socrate . "

Telles sont les paroles de Justin. Selon sa prédiction, il fut victime des machinations de Crescens et mourut. Tatien, un homme qui, dès sa première jeunesse, a été instruit dans les disciplines helléniques et qui, par elles, a acquis une grande réputation, qui de plus a laissé dans ses écrits de très nombreux monuments de sa science, le rapporte dans son Discours aux Grecs en parlant ainsi :

" Et le très admirable Justin a dit justement que ceux qui viennent d'être cités ressemblent à des voleurs. "

Puis, après avoir ajouté quelques mots sur les philosophes, il poursuit en ces termes :

" Crescens donc, qui a fait son nid dans la grande ville, les dépassait tous en pédérastie, et il était tout à fait porté à l'amour de l'argent. Tout en conseillant de mépriser la mort, lui-même craignait la mort à ce point qu'il s'affaira pour déchaîner la mort sur Justin, comme si elle était un grand mal, parce que celui-ci, prêchant la vérité, avait prouvé que les philosophes sont des gourmands et des trompeurs. "

Le martyre de Justin eut ce motif.

XVII

LES MARTYRS QUE MENTIONNE JUSTIN DANS SON PROPRE OUVRAGE

Le même Justin, avant d'avoir combattu lui-même, fait mention d'autres martyrs antérieurs à lui, dans sa première Apologie. Ceci aussi, il l'y raconte d'une manière utile à notre sujet. Voici ce qu'il écrit :

" Une femme vivait avec un mari licencieux et elle-même avait commencé par être licencieuse. Mais lorsqu'elle eut connu les enseignements du Christ, elle se corrigea et elle s'efforça de persuader à son mari de se corriger pareillement. Elle lui exposa ces enseignements et lui annonça qu'il y aurait un châtiment dans le feu éternel pour frapper ceux qui ne vivaient pas selon la pureté et la droite raison. Cet homme demeura dans les mêmes débauches, et par ses actes se rendit sa femme étrangère. La femme en effet jugea qu'il était impie de partager encore le lit d'un homme qui s'efforçait de trouver toutes les occasions possibles de volupté contrairement à la loi de la nature et à la justice, et elle résolut de rompre son lien. Puis, parce que ses proches la supplièrent, en lui conseillant de rester encore auprès de son mari, avec l'espoir que celui-ci viendrait quelque jour à se convertir, elle se fit violence à elle-même et resta. Cependant, son mari étant parti pour Alexandrie, il lui fut annoncé qu'il s'y conduisait encore plus mal, et afin de ne pas devenir complice de ses injustices et de ses impiétés en demeurant dans le mariage et en partageant sa table et son lit, elle se sépara de lui, en lui donnant ce que vous appelez le repudium. Ce parfait honnête homme aurait dû se réjouir de ce que sa femme, qui autrefois agissait sans retenue avec les serviteurs et les mercenaires, et se plaisait à l'ivrognerie et à toutes sortes de méchancetés, avait renoncé à toutes ces actions et voulait l'amener à y renoncer lui-même. Mais, comme elle l'avait quitté sans son consentement il porta une accusation contre elle, en disant qu'elle était chrétienne. Et elle te présenta, à toi, l'empereur, un libelle, pour demander qu'il lui fût d'abord permis de mettre ordre à ses affaires et de se défendre ensuite au sujet de l'accusation, lorsque ses affaires seraient réglées. Tu le lui permis.

" Alors, son mari, qui, pour l'instant ne pouvait plus rien dire contre elle, se retourna de la manière suivante contre un certain Ptolémée qu'Urbicius condamna parce qu'il avait été le maître de cette femme dans les enseignements chrétiens.  Il persuada à un centurion qui était de ses amis, de jeter Ptolémée en prison, de s'emparer de Ptolémée et de lui demander cette seule chose, s'il était chrétien. Et Ptolémée, qui était l'ami de la vérité, qui détestait la tromperie et le mensonge, confessa qu'il était chrétien. Le centurion le fit mettre dans les fers et le châtia pendant longtemps dans la prison. Finalement, lorsque notre homme fut amené devant Urbicius, il lui fut de même seulement demandé s'il était chrétien; et de nouveau, sachant que ce qu'il y avait de bien en lui lui était venu par la doctrine du Christ, il confessa l'école de la vertu divine. En effet, celui qui nie quelque chose est renégat, soit parce qu'il condamne cette chose, soit parce que, se sachant lui-même indigne de cette chose et étranger à elle, il en évite la confession. De ces hypothèses aucune ne convient au véritable chrétien.

" Et Urbicius ordonna de le conduire au supplice. Un certain Lucius, qui lui aussi était chrétien, voyant la sentence aussi déraisonnablement rendue, dit à Urbicius : Quelle est la raison pour laquelle un homme qui n'est ni adultère, ni débauché, ni meurtrier, ni pillard, ni voleur, qui en un mot n'est convaincu d'aucune injustice, mais qui a confessé sa qualité de chrétien, cet homme tu le condamnes ? Tu ne juges pas d'une manière qui convient à l'empereur Pius ni au philosophe, fils de César, ni au sacré Sénat, Urbicius. Ce dernier, sans rien répondre d'autre, dit aussi à Lucius : Tu me parais toi aussi être chrétien. Et comme Lucius disait : Parfaitement, il ordonna de le conduire également au supplice. L'homme déclara qu'il lui en savait gré : il était délivré, dit-il, de maîtres très méchants et s'en allait vers Dieu, qui est un bon père et un bon roi. Et un troisième survint qui fut aussi condamné au châtiment suprême. "

A cela Justin ajoute, avec raison et comme conclusion, les paroles que nous avons rappelées précédemment, en disant : " Et moi aussi, je m'attends à être l'objet d'embûches de la part d'un de ceux qui ont été nommés, etc. "

XVIII

QUELS  SONT LES ÉCRITS DE JUSTIN QUI SONT VENUS JUSQU'A NOUS

Justin nous a laissé un très grand nombre d'ouvrages qui témoignent d'un esprit cultivé et zélé pour les choses divines et qui sont remplis de toute utilité. Nous y renverrons ceux qui aiment apprendre, après avoir cité utilement ceux qui sont venus à notre connaissance.

D'abord, il y a de lui un discours adressé à Antonin surnommé le Pieux et à ses enfants et au Sénat des Romains, en faveur de nos doctrines ; puis celui qui renferme une deuxième Apologie en faveur de notre foi et qui est adressé au successeur et homonyme de l'empereur précédemment nommé, Antonin Verus, dont nous venons à l'instant de raconter ce qui regarde le temps. Il y a encore un autre ouvrage, le Discours aux Grecs , dans lequel l'auteur, après avoir fait un long exposé de la plupart des questions qui sont posées par nous et par les philosophes grecs, disserte sur la nature des démons. Il n'est pas urgent d'en rien rapporter maintenant. Et encore un autre ouvrage contre les Grecs est venu jusqu'à nous, que l'auteur a intitulé Réfutation; puis, outre ceux-là, un autre Sur la monarchie de Dieu, qu'il établit non seulement d'après nos Ecritures, mais encore d'après les livres des Grecs. En outre, un écrit intitulé Psaltès et un autre, en forme de manuel, Sur l'âme, dans lequel, développant différentes questions relatives à ce sujet, il rapporte les opinions des philosophes grecs : il promet de les contredire et d'exposer lui-même sa propre opinion dans un autre ouvrage. Il composa encore le Dialogue avec les Juifs, qu'il eut dans la ville d'Éphèse avec Tryphon, le plus célèbre des Hébreux de ce temps-là . Dans ce dialogue, il montre de quelle manière la grâce divine l'a poussé vers la doctrine de la foi, avec quel zèle il avait été auparavant porté vers les disciplines philosophiques, et quelle recherche pleine d'ardeur il avait faite de la vérité. Il rapporte encore, dans le même ouvrage au sujet des Juifs, qu'ils ont préparé des embûches contre l'enseignement du Christ, et il développe sa pensée, en ces termes, en s'adressant à Tryphon :

" Non seulement vous n'avez pas changé d'opinion au sujet du mal que vous avez fait, mais, en ce temps-là, vous avez désigné des hommes choisis que vous avez envoyés de Jérusalem dans toute la terre, pour dire qu'il était apparu une hérésie athée, celle des chrétiens et pour répéter tout ce que ceux qui nous ignorent disent tous contre nous, en sorte que vous êtes coupables d'injustice, non seulement envers nous-mêmes, mais encore envers tous les autres hommes, absolument. "

Il écrit encore que, jusqu'à son époque, des charismes prophétiques brillaient dans l'Église, et il fait mention de l'Apocalypse de Jean, disant clairement qu'elle est de l'apôtre. Il cite également certaines paroles des prophètes et convainc Tryphon que les Juifs les ont retranchées de l'Écriture. Un très grand nombre d'autres travaux du même auteur subsistent chez beaucoup de frères. Les écrits de cet homme ont paru même aux anciens si dignes d'attention qu'Irénée cite ses paroles, cela d'abord dans le quatrième livre Contre les hérésies, en disant ceci :

" Et c'est à bon droit que Justin, dans son ouvrage Contre Marcion, dit qu'il ne serait pas convaincu par le Seigneur lui-même, si celui-ci lui annonçait un autre Dieu que le démiurge. "

Puis, au cinquième livre du même ouvrage, en ces termes :

" Et c'est à bon droit que Justin a dit qu'avant la venue du Seigneur, Satan n'avait jamais osé blasphémer, parce qu'il ne savait pas encore sa condamnation ". Il était nécessaire de dire tout cela pour encourager les amis de l'étude à fréquenter avec zèle les ouvrages de cet auteur. Voilà ce qui concerne Justin.

XIX

QUELS SONT CEUX QUI, SOUS LE REGNE DE VERUS,
ONT PRÉSIDÉ AUX ÉGLISES DE ROME ET D'ALEXANDRIE

Le règne dont il est question s'était déjà avancé à sa huitième année, lorsque Soter succéda à Anicet qui avait occupé l'épiscopat de l'Église des Romains pendant onze ans accomplis. Quant à l'Église des Alexandrins, après que Céladion y eut présidé pendant quatorze ans, Agrippinus reçut sa succession.

XX

QUELS, A L'ÉGLISE D'ANTIOCHE

De l'Église d'Antioche, Théophile est connu comme le sixième évêque depuis les apôtres, Cornélius ayant été installé le quatrième après Héron sur les (fidèles) de cette ville, et, après lui, au cinquième rang, Eros ayant reçu l'épiscopat.

XXI

LES ÉCRIVAINS ECCLÉSIASTIQUES QUI ONT BRILLÉ EN CE TEMPS-LA

Dans ces temps-là florissaient dans l'Eglise Hégésippe que nous connaissons d'après ce qui précède; Denys, évêque des Corinthiens; Pinytos, évêque des fidèles de Crète; et en outre Philippe, Apollinaire, Méliton, Musanus et Modeste, et surtout Irénée. De tous ces hommes est parvenue par écrit jusqu'à nous l'orthodoxie de la tradition apostolique, dans la vraie foi.

XXII

HÉGÉSIPPE ET CEUX DONT IL FAIT MENTION

Dans les cinq livres de Mémoires qui sont venus jusqu'à nous, Hégésippe a donc laissé un document très complet de sa propre opinion. Il y montre qu'il a été en relations avec un très grand nombre d'évêques, en allant jusqu'à Rome et que, chez tous, il a reçu la même doctrine. Il est utile de l'entendre dire ceci, après qu'il a parlé de la lettre de Clément, aux Corinthiens :

" Et l'Église des Corinthiens demeura dans l'orthodoxie jusqu'à ce que Primus devînt évêque à Corinthe. Lorsque je naviguais vers Rome, j'ai vécu avec les Corinthiens et j'ai passé avec eux un certain nombre de jours pendant lesquels nous nous sommes réconfortés de leur orthodoxie. Étant arrivé à Rome, j'y établis une succession jusqu'à Anicet, dont Eleuthère était diacre. Soter a succédé à Anicet et, après lui, il y a eu Eleuthère. Dans chaque succession et dans chaque ville, il en est comme le prêchent la Loi, les prophètes et le Seigneur. "

Le même (Hégésippe) expose en ces termes les débuts des hérésies de son temps :

" Après que Jacques le Juste eut rendu son témoignage comme le Seigneur et pour la même doctrine, le fils de son oncle, Siméon, fils de Clopas, fut établi évêque : tous le préférèrent, comme deuxième (évêque) parce qu'il était cousin du Seigneur. l'Eglise était alors appelée vierge parce qu'elle n'avait pas encore été souillée par de vains discours. Ce fut Thebouthis, parce qu'il n'était pas devenu évêque, qui commença à la souiller parmi le peuple, à partir des sept sectes (juives) dont il était aussi membre : de ces sectes sortirent Simon, le père des Simoniens, Cléobius, le père des Cléobiens; Dosithée , le père des Dosithéens ; Gortheios, le père des Gorathémens, et les Masbothéens. De ceux-ci viennent les Ménandrianistes , les Marcianistes , les Carpocratiens, les Valentiniens, les Basilidiens, les Satorniliens, qui, chacun pour sa part et d'une manière différente, avaient introduit leur propre opinion. De ces hommes sont venus de faux christs, de faux prophètes, de faux apôtres, qui ont divisé l'unité de l'Eglise par des discours corrupteurs contre Dieu et contre son Christ. "

Le même (Hégésippe) rappelle encore les sectes qui ont existé autrefois chez les Juifs, en disant :

" Il y avait des opinions différentes dans la circoncision parmi les fils d'Israël, contre la tribu de Juda et contre le Christ; les voici : Esséniens, Galiléens, Hemerobaptistes, Masbothéens, Samaritains, Sadducéens, Pharisiens."

Il a écrit encore beaucoup d'autres choses, que nous avons déjà rappelées en partie plus haut, en les rapportant conformément aux circonstances du récit. Il rapporte certaines choses de l'Evangile selon les Hébreux , de l'Évangile syriaque, et particulièrement de la langue hébraïque, montrant ainsi qu'il est venu à la foi en sortant du judaïsme ; il fait encore mention d'autres détails, comme provenant d'une tradition juive non écrite. Ce n'est pas seulement lui mais aussi Irénée, et tout le chœur des anciens qui appelaient Sagesse pleine de vertu les Proverbes de Salomon . Lorsqu'il s'explique sur les livres appelés apocryphes, il raconte que certains d'entre eux ont été composés de son temps par des hérétiques.

Mais il faut maintenant passer à autre chose.

XXIII

DENYS, ÉVÊQUE DES CORINTHIENS ET LES LETTRES QU'IL A ÉCRITES

Et d'abord, il faut dire de Denys, qu'il occupa le siège épiscopat de l'Église de Corinthe et qu'il fit largement participer à son activité divine non seulement ceux qui lui étaient soumis, mais encore ceux des pays étrangers. Il se rendit très utile à tous par les lettres catholiques qu'il composait pour les Églises. Parmi ces lettres, la première, aux Lacédémoniens, est une catéchèse d'orthodoxie, et a pour objet la paix et l'unité. Sa lettre aux Athéniens est une exhortation à la foi et à la conduite selon l'Évangile : (Denys) les blâme de s'en être peu inquiétés et d'avoir abandonné, ou peu s'en faut, la parole (du Christ) depuis que leur chef Publius avait été martyrisé lors des persécutions qui arrivèrent alors. IL rappelle que Quadratus fut installé pour leur évêque après le martyre de Publius et il témoigne que celui-ci mit tout son zèle à rassembler les fidèles et à rallumer leur foi. Il montre de plus que Denys l'Aéropagite, après avoir été converti à la foi par l'apôtre Paul, selon le récit des Actes , reçut le premier l'épiscopat de l'Église d'Athènes

On possède encore une autre lettre du même Denys à ceux de Nicomédie, dans laquelle il combat l'hérésie de Marcion et les ramène à la règle de la vérité . Ecrivant encore à l'Église qui pérégrine à Gortyne en même temps qu'aux autres Églises de Crète, il loue Philippe leur évêque de ce que l'Église qui lui est soumise a rendu témoignage par un très grand nombre de bonnes actions et il rappelle qu'on doit se garder de la perversion des hérétiques. Ecrivant aussi à l'Église qui pérégrine à Amastris en même temps qu'aux Églises du Pont, il rappelle que Bacchylide et Elpiste l'ont déterminé à écrire; il propose des explications des Ecritures divines et il marque que leur évêque s'appelait Palmas ; il leur donne plusieurs conseils sur le mariage et la continence, et il leur ordonne de recevoir ceux qui se convertissent de quelque faute que ce soit, qu'il s'agisse d'une faute de négligence ou même du péché d'hérésie.

A ces lettres s'ajoute une autre lettre aux fidèles de Knosos, dans laquelle Denys exhorte l'évêque de l'Eglise Pinytos, à ne pas imposer aux frères, comme une nécessité, le lourd fardeau de la continence, mais à avoir en vue la faiblesse du grand nombre.  A cette lettre Pinytos répondit en admirant Denys et en louant (son exhortation); il l'exhorta en revanche à donner encore une nourriture plus solide, dans des écrits plus parfaits, au peuple sous-alimenté qu'il dirigeait, de peur qu'à la fin ses fidèles, nourris de paroles semblables à du lait, ne s'aperçoivent pas qu'ils vieillissent dans une conduite de petits enfants . Par cette lettre, comme en un tableau achevé, sont manifestés l'orthodoxie de Pinytos en ce qui regarde la foi, son souci de l'utilité de ses fidèles, son érudition et son intelligence des choses divines.

De Denys, on a encore une lettre aux Romains, adressée à Soter, alors leur évêque . De cette lettre il y a rien de tel que de citer les expressions dans lesquelles l'auteur approuve l'usage des Romains conservé jusqu'à la persécution de notre temps; il écrit ceci :

" Depuis le commencement en effet, c'est votre usage de faire en diverses manières du bien à tous les frères et d'envoyer des secours dans chaque ville à de nombreuses Eglises; vous soulagez ainsi le dénuement des indigents, vous soutenez les frères qui sont aux mines par les ressources que vous envoyez dès le début. Romains, vous gardez l'usage traditionnel des Romains, usage que non seulement conserve votre bienheureux évêque Soter, mais qu'il accroît en fournissant abondamment les secours envoyés aux saints et en consolant par d'heureuses paroles les frères qui viennent à lui, comme un père tendrement aimant le fait pour ses enfants. "

Dans cette même lettre, il fait aussi mention de la lettre de Clément aux Corinthiens et il montre que depuis longtemps, d'après un antique usage, on en fait lecture à l'assemblée (des fidèles). Il dit en effet :

" Aujourd'hui donc, nous avons célébré le saint jour du Seigneur, auquel nous avons lu votre lettre; nous la conserverons toujours pour la lire comme un avertissement, de même que la première lettre qui nous a été écrite par Clément. "

Le même (Denys), au sujet de ses propres lettres qui ont été falsifiées, dit ceci :

" J'ai écrit des lettres que des frères m'ont prié d'écrire. Et ces lettres, les apôtres du diable y ont mêlé de l'ivraie, tantôt retranchant et tantôt ajoutant. Sur eux repose la malédiction. Il n'est certes pas étonnant que quelques-uns aient tenté d'altérer même les Ecritures du Seigneur, puisqu'ils  se  sont  attaqués  à  celles  qui  étaient moins importantes. "

Outre ces lettres, il y en a encore une autre de Denys qui l'a envoyée à Chrysophora, sœur très fidèle : à cette dernière, il écrit ce qui correspond à sa situation et donne la nourriture spirituelle qui convient à cette femme. Voilà ce qui concerne Denys.

XXIV

THÉOPHILE, ÉVÊQUE DES ANTIOCHIENS

De Théophile que nous avons cité comme évêque d'Antioche, on possède trois livres élémentaires : A Autolycus et un autre ouvrage intitulé Contre l'hérésie d'Hermogène, dans lequel il utilise des témoignages empruntés à l'Apocalypse de Jean. On possède encore de lui d'autres livres catéchétiques.

A ce moment aussi, les hérétiques corrompaient tout autant, comme l'ivraie, la pure semence de l'enseignement apostolique : partout les pasteurs des Eglises les écartaient des brebis du Christ, comme des bêtes sauvages, tantôt les éloignant par des avertissements et des exhortations aux frères, tantôt luttant ouvertement contre eux par le moyen de questions et de réfutations orales, en leur présence ou bien en réfutant les opinions par des preuves très précises au moyen de mémoires écrits. Théophile a combattu, en même temps que les autres, contre les hérétiques, ainsi qu'il appert d'un travail de grande valeur composé par lui Contre Marcion : cet ouvrage, lui aussi, a été conservé jusqu'à présent avec les autres livres dont nous avons parlé.

Le septième à partir des apôtres, Maximin   succéda   à Théophile à la tête de l'Eglise des Antiochiens.

XXV

PHILIPPE ET MODESTE

Philippe, dont nous savons par les expressions de Denys, qu'il fut évêque de l'Eglise de Gortyne, a composé lui aussi un ouvrage très rempli de zèle contre Marcion. De même firent Irénée et Modeste; ce dernier, plus excellemment que les autres, a mis pour tout le monde en évidence l'erreur de cet homme. Un grand nombre d'autres le réfutèrent aussi, dont les travaux sont conservés encore à présent chez beaucoup de frères.

XXVI

MÉLITON ET CEUX DONT IL FAIT MENTION

En ce temps-là, Méliton, évêque de l'Eglise de Sardes et Apollinaire, évêque de celle d'Hiérapolis , brillaient d'une manière remarquable : ils adressèrent à l'empereur des Romains, dont nous avons parlé pour cette époque, des discours pour l'apologie de la foi, chacun de son côté. De ces écrivains, voici les ouvrages qui sont venus à notre connaissance : de Méliton, les deux livres "Sur la Pâque", le livre "Sur la manière de vivre et sur les prophéties"; puis celui "Sur l'Eglise", le livre "Sur le dimanche", celui "Sur la foi de l'homme" , celui "Sur la création", celui "Sur l'obéissance des sens à la foi"; et en outre le livre "De l'âme et du corps" ou "Sur l'un"; celui "Sur le baptême", celui "Sur la vérité  et sur la foi  et la naissance du Christ"; et un livre "Sur sa prophétie"  [Sur l'âme et le corps '] ; et le livre "Sur l'hospitalité; La Clé"; et les livres "Sur le diable" et "l'Apocalypse de Jean" et le livre "Sur le Dieu incarné" , et surtout l'opuscule "A Antonin".

Dans le livre "Sur la Pâque", Méliton indique dès le début le temps où il le composait, en ces termes :

" Sous Servillius Paulus, proconsul d'Asie, au temps où Sagaris fut martyrisé, il y eut un grand débat à Laodicée au sujet de la Pâque, qui, en la circonstance, tombait ces jours-là, et voici ce qui fut écrit. "

Clément d'Alexandrie mentionne cet ouvrage dans son propre ouvrage "Sur la Pâque", qu'il dit avoir composé lui-même à cause de l'écrit de Méliton.

Dans le livre adressé à l'empereur, Méliton rapporte que, sous son règne, ceci a été accompli contre nous :

" Ce qui en effet n'était jamais arrivé, la race des adorateurs de Dieu est maintenant persécutée et chassée en Asie, par suite de nouveaux édits. Des sycophantes sans pudeur, désireux des biens d'autrui, tirent prétexte de ces ordonnances pour voler ouvertement et piller, de nuit et de jour, ceux qui n'ont pas commis d'injustice. "

Et, plus loin, il dit :

" Si cela est fait par ton ordre, que ce soit bien ! Car un empereur juste n'ordonnerait jamais rien injustement, et nous-mêmes supportons avec plaisir la récompense d'une telle mort. Mais nous t'adressons cette seule requête, afin que tu connaisses d'abord les auteurs d'une telle jalousie et que tu décides avec justice s'ils sont dignes de la mort et du châtiment, ou bien du salut et de la tranquillité. Mais si la résolution même et ce nouvel édit ne sont pas de toi - il ne conviendrait même pas contre des ennemis barbares - nous te demandons bien davantage de ne pas nous abandonner à un tel brigandage public. "

A cela, il ajoute encore ces paroles :

" En effet, la philosophie qui est la nôtre a d'abord fleuri chez les Barbares; puis elle s'est épanouie dans tes peuples sous le grand règne d'Auguste, ton ancêtre, et elle est devenue surtout pour ton empire un bien favorable. Car, depuis ce temps, la puissance des Romains s'est accrue de manière grande et éclatante : tu en es devenu l'héritier désiré et tu le resteras avec ton fils, en conservant la philosophie qui a été nourrie avec l'empire, et qui a commencé avec Auguste, que tes ancêtres eux aussi ont honorée à côté des autres religions. Et c'est une très grande preuve de son excellence que notre doctrine ait fleuri en même temps que l'heureux commencement de l'empire et que rien de mauvais ne soit arrivé depuis le règne d'Auguste, mais qu'au contraire tout ait été éclatant et glorieux, selon les prières de tous. Seuls entre tous, persuadés par des hommes malveillants, Néron et Domitien ont voulu mettre notre doctrine en accusation; depuis, par une déraisonnable habitude, le mensonge de la dénonciation s'est répandu contre nous.  Mais tes pieux ancêtres ont redressé leur ignorance; souvent ils se sont adressés par écrit à beaucoup pour les blâmer, à ceux qui avaient osé innover au sujet des chrétiens. Parmi eux, ton grand-père Hadrien a manifestement écrit à beaucoup d'autres et à Fundanus, le proconsul qui gouvernait l'Asie; ton père, alors que tu régissais aussi toutes les affaires avec lui, a écrit aux villes, à notre sujet, de ne rien innover; parmi ces villes, aux habitants de Larisse, de Thessalonique d'Athènes et à tous les Grecs. Quant à toi, qui as au sujet des chrétiens la même opinion qu'eux, et encore plus remplie d'humanité et de philosophie, nous sommes assurés que tu feras tout ce que nous te demandons. "

Voilà ce qui est exposé dans l'ouvrage dont nous avons parlé. Dans les Eclogae écrites par lui, le même auteur, dès le commencement de son introduction, fait le catalogue des livres reconnus de l'Ancien Testament; et il est nécessaire de le reproduire ici. Il écrit ainsi :

" Méliton à Onésime, son frère, salut. Puisque tu as souvent désiré, poussé par ton zèle pour la doctrine, avoir pour toi des extraits de la Loi et des prophètes au sujet du Sauveur et de toute notre foi; que tu as encore voulu connaître avec précision le nombre des anciens livres et l'ordre dans lequel ils sont placés, je me suis appliqué à faire ce travail, connaissant ton zèle au sujet de la foi et ton application à l'étude de la doctrine : c'est par amour de Dieu que tu estimes cela plus que tout le reste, en combattant pour le salut éternel.

" Etant donc allé en Orient et ayant été jusqu'à l'endroit où a été prêchée et accomplie (l'Ecriture), j'ai appris avec exactitude les livres de l'Ancien Testament et j'en ai établi la liste que je t'envoie. En voici les noms : de Moïse cinq livres : Genèse, Exode, Nombres, Lévitique, Deutéronome; Jésus Navé, Juges, Ruth; quatre livres des Rois, deux des Paralipomènes; Psaumes de David, Proverbes ou Sagesse de Salomon ; Ecclésiaste, Cantique des Cantiques, Job; prophètes : Isaïe, Jérémie, les Douze en un seul livre; Daniel, Ezéchiel, Esdras. De ces ouvrages j'ai fait des extraits que j'ai répartis en six livres. "

Telles sont les paroles de Méliton.

XXVII

APOLLINAIRE

D'Apollinaire  beaucoup de livres ont été conservés chez beaucoup de gens; voici ceux qui sont venus jusqu'à nous : "Le Discours"  à l'empereur dont il a été parlé; cinq livres "Aux Grecs, Sur la vérité I et II; Aux Juifs I et II"; puis ceux qu'il a composés plus tard contre l'hérésie des Phrygiens, qui enseigna ses nouveautés un peu plus tard, mais qui dès lors commençait en quelque sorte à sortir de terre : Montan et ses pseudo-prophétesses faisaient alors leurs débuts dans l'erreur.

XXVIII

MUSANUS

Nous avons encore précédemment cité Musanus. On possède de lui un ouvrage très sévère, adressé par lui à des frères qui inclinaient vers l'hérésie dite des Encratites. Cette hérésie était alors à son début, et propre à introduire dans la vie des opinions fausses, étrangères et nuisibles.

XXIX

L'HÉRÉSIE DE TATIEN

De cette erreur on dit que le chef fut Tatien, dont nous avons rapporté un peu plus haut les paroles au sujet de l'admirable Justin , en disant qu'il était le disciple du martyr. C'est ce que montre Irénée dans le premier livre de son ouvrage "Contre les hérésies", où il écrit ceci à la fois sur Tatien et sur son hérésie :

" Provenant de Saturninus et de Marcion, ceux qu'on appelle Encratites ont prêché l'abstinence du mariage, rejetant l'ancienne création de Dieu et accusant tranquillement celui qui a fait l'homme et la femme pour procréer des hommes; ils ont introduit l'abstinence de ce qui, d'après eux, a été animé, dans leur ingratitude pour Dieu qui a fait l'univers, et ils ont nié le salut du premier homme. Voilà donc ce qui fut inventé chez eux, quand un certain Tatien eut le premier introduit ce blasphème. Ce dernier, qui avait été l'auditeur de Justin, aussi longtemps qu'il fut avec lui, ne manifesta rien de semblable; mais, après son martyre, il se détourna de l'Eglise, s'éleva dans la pensée qu'il était un maître et s'enorgueillit comme s'il était différent de tous les autres; il donna un caractère particulier à son école, imagina des éons invisibles, comme les disciples de Valentin; prêcha que le mariage était une corruption et une débauche, semblablement à Marcion et à Saturninus; et de lui-même prit position contre le salut d'Adam. "

Voilà ce que dit alors Irénée. Un peu plus tard, un certain Sévère fortifia la dite hérésie et il fut cause de ce que les membres de la secte prirent de lui le nom de Sévériens.

Ces hommes emploient donc la Loi, les prophètes et les Evangiles, en interprétant d'une manière particulière les pensées des Ecritures sacrées. Mais ils blasphèment l'apôtre Paul; ils en rejettent les épîtres et ne reçoivent pas non plus les "Actes des Apôtres" . Leur premier chef, Tatien, composa une compilation et un rassemblement, je ne sais comment des Evangiles et il appela cela "Diatessaron" : on le possède encore maintenant chez quelques-uns. On dit qu'il osa changer certaines expressions de l'apôtre, sous prétexte de corriger l'arrangement de la phrase .

Il a laissé un grand nombre d'écrits, parmi lesquels beaucoup mentionnent surtout le célèbre discours" Aux Orées", où il rappelle les temps anciens et où il montre que Moïse et les prophètes des Hébreux sont plus anciens que tous ceux qui sont célèbres chez les Grecs. Ce discours semble être le plus beau et le plus utile de tous ses écrits.

Voilà ce qui regarde ces hommes.

XXX

LE SYRIEN BARDESANE ET LES ÉCRITS QU'ON MONTRE DE LUI

Sous le même règne, les hérésies se multiplièrent en Mésopotamie. Un homme très capable et très fort dialecticien dans la langue des Syriens, Bardesane , composa des "Dialogues" contre les Maronites et quelques autres qui étaient à la tête de diverses croyances; il les écrivit dans sa langue et son écriture nationales, avec de très nombreux autres ouvrages. Ces dialogues furent traduits du syriaque en grec par ses disciples : ceux-ci étaient très nombreux, parce qu'il avait une éloquence puissante.

Parmi ses livres figurent le très habile dialogue Sur le destin, adressé à Antonin et tous les autres livres qu'il écrivit, dit-on, à l'occasion de la persécution de ce temps-là. Il avait d'abord été de l'école de Valentin, mais il la méprisa et réfuta la plupart des fables de cet homme, et il se parut à lui-même être revenu à une opinion plus orthodoxe. Cependant, il ne parvint pas à laver complètement la tache de l'ancienne hérésie.

En ce temps-là, mourut Soter, l'évêque de l'Église des Romains.

   

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