Euthyme de Palestine
Abbé, Saint
† 473

Euthyme sortait d'une noble et riche famille établie à Mélitène, dans la petite Arménie. Sa naissance fut le fruit de la dévotion que son père et sa mère avait au saint martyr Polyeucte. L'évêque du lieu, nommé Otrée, auquel on le confia, prit un soin particulier de son éducation : il le fit élever dans la connaissance des saintes lettres, et dans la pratique de toutes les vertus chrétiennes. Charmé des excellentes dispositions et des progrès rapides de son élève, il crut que ce serait un bien pour l'Église que de l'attacher au service des autels ; il l'ordonna prêtre ensuite, et le fit supérieur général de tous les monastères de son diocèse.

Notre Saint conserva toute sa vie une tendre dévotion pour saint Polyeucte, à l'intercession duquel il se croyait redevable de sa naissance. Souvent il se retirait dans le monastère de son nom. Son exactitude à remplir les devoirs de sa place, ne l'empêchait pas de se réserver des moments pour penser à sa propre sanctification. Il lui arrivait ordinairement de passer les nuits en prières sur une montagne voisine, depuis l'octave de l'Epiphanie jusque vers la fin du carême. Cependant l'amour qu'il avait toujours eu pour la solitude s'augmentait de plus en plus; il résolut enfin d'en suivre les mouvements, en renonçant entièrement au siècle. Il sortit donc secrètement de son pays à l'âge de vingt-neuf ans, pour aller en Palestine. Son premier soin fut de visiter les lieux saints à Jérusalem ; après quoi il s'enferma, à deux lieues de cette ville, dans une cellule située auprès de la laure de Pharan : là, dégagé de tout attachement aux choses terrestres, il ne conversait qu'avec Dieu. Mort au monde et à lui-même, il était continuellement uni au souverain bien par la prière du cœur. Il avait le don des larmes dans un degré peut-être encore plus éminent que le grand Arsène. Aux exercices de la plus sublime piété, il joignait le travail des mains, qui consistait à faire des paniers. Le produit de ce travail était un fonds plus que suffisant pour fournir à ses besoins ; il y trouvait encore de quoi assister les pauvres. Cinq ans après, il se retira du côté de Jéricho, avec un saint ermite nommé Théoctiste. Ils s'enfermèrent tous deux à quatre lieues de Jérusalem, dans une caverne où ils ne vivaient que d'herbes crues : ils y restèrent longtemps inconnus ; mais à la fin ils furent découverts. On vint les visiter de toutes parts ; et Euthyme se détermina à recevoir des disciples vers l'an 411. Il en eut bientôt un assez grand nombre pour bâtir un monastère, dont il donna le gouvernement à Théoctiste. Il bâtit aussi, en 420, une laure aux environs de ce monastère, sur le chemin de Jérusalem à Jéricho ; mais jamais il ne voulut gouverner ses moines par lui-même. Il vécut toujours dans un ermitage écarté, où les supérieurs venaient prendre ses avis le samedi et le dimanche. Les moines avaient aussi la liberté de le consulter les mêmes jours : il les recevait avec une charité et une humilité qui lui gagnaient tous les cœurs. La mortification était une des choses qu'il leur recommandait le plus fortement. « Vous pouvez, leur disait-il, pratiquer cette vertu à table : ce que vous avez à faire pour cela, c'est d'en sortir toujours sur votre appétit. » Il réprouvait les jeûnes particuliers et les observances extraordinaires, persuadé que tout ce qui sort de l'ordre commun flatte ordinairement la vanité et la volonté propre. Tous les moines exprimaient dans leur conduite les instructions de leur saint abbé. Son exemple surtout agissait sur eux avec beaucoup d'efficacité. Ils se retiraient, comme lui, dans les déserts, depuis l'octave de l'Epiphanie jusqu'à la semaine-sainte : ils passaient tout ce temps dans une entière séparation du commerce des hommes, ne s'occupant que de Dieu dans la prière et la contemplation. Le dimanche des Rameaux, ils retournaient à leur laure, afin d'offrir à Jésus-Christ les trésors spirituels qu'ils avaient amassés dans leur retraite.

Quoique ces solitaires vécussent dans un parfait éloignement du tumulte du siècle, ils ne laissaient pas de choisir un temps dans l'année où ils renonçaient aux visites même spirituelles, et aux occupations extérieures de leur étal, toutes saintes qu'elles étaient, afin de vaquer uniquement a la contemplation des choses divines ; ils reprenaient ensuite les exercices communs avec un redoublement extraordinaire de ferveur. C'était par le moyen de ces retraites particulières, ajoute ici le moine Cyrille, qu'Euthyme croissait de jour en jour en douceur, en simplicité, en humilité et en toutes sortes de vertus ; c'était par là qu'il s'affermissait dans cette confiance en Dieu, qui attirait sur son âme les plus abondantes bénédictions. La conduite de ces saints solitaires, dont la vie se passait dans un recueillement perpétuel, est bien capable de confondre cette multitude de chrétiens qui, quoique plongés dans les embarras du siècle, et entraînés par le tourbillon des vanités mondaines, ne pensent point du tout à se renouveler par quelques retraites. Les moines que notre Saint dirigeait dans tous les lieux où il établissait sa demeure, trouvaient comme lui de quoi subsister dans le travail des mains, et l'excédant du produit était offert à Dieu dans la personne des pauvres.

Dieu favorisa son serviteur du don des miracles. Aspebète, prince arabe et idolâtre, avait inutilement consulté les médecins et les magiciens pour rendre la santé à son fils Térébon, dont une paralysie avait desséché la moitié du corps. On le présenta au Saint, qui le guérit avec le signe de la croix, accompagné d'une courte prière. Aspebète, frappé de ce prodige, demanda le baptême, et prit le nom de Pierre. Sa conversion fut suivie de celle d'un grand nombre de Sarrasins ; et Juvenal, patriarche de Jérusalem, le fit depuis évêque de ces nouveaux chrétiens.

Le bruit de la guérison miraculeuse de Térébon, attira auprès du Saint un grand nombre de malades qui, se trouvant aussi guéris par la vertu de ses prières, étendaient sa réputation de tous côtés. Son humilité, jointe à son amour pour la retraite, qui ne pouvait s'accorder avec une affluence de monde presque continuelle, lui fit prendre la résolution de changer de demeure, et d'aller se confiner dans le désert de Ruban : mais il ne l'exécuta point pour lors, Théoctiste et les autres religieux de son monastère l'ayant instamment conjuré de ne les pas abandonner. Cependant quelque temps après il prit avec lui un de ses disciples nommé Domitien, et se rendit auprès de la mer Morte, puis sur une baute montagne isolée, où il trouva un puits, et les ruines d'un ancien édifice ; il y construisit un oratoire, et s'y fixa : il n'avait d'autre nourriture que les herbes qui croissaient dans ce lieu. Cette montagne ne lui paraissant point encore assez solitaire, il passa dans le désert de Zyphon, où il s'enferma dans une caverne. Ses précautions furent inutiles; Dieu permit qu'il fût découvert. On s'empressa de toutes parts d'aller le visiter. Il guérit plusieurs malades, entre autres un énergumène, ce qui rendit son nom célèbre dans toute la Palestine. « Le pouvoir de ses prières, dit l'auteur de sa vie, s'étendait non seulement sur les démons, mais même sur les serpents et sur les bêtes les plus cruelles. » Le concours du peuple alarmant sa modestie et troublant sa solitude, il partit avec Domitien, afin de retourner dans le voisinage du monastère de Théoctiste; il s'arrêta à une lieue en deçà, dans un endroit très-propre au désir qu'il avait de vivre seul. Ce fut en vain que Théoctiste le pressa de revenir au monastère ; il y allait seulement les dimanches, pour assister, avec les frères, à la célébration des saints mystères. Il continua toujours de passer le carême dans quelque désert écarté, comme celui de Pharan. Plusieurs de ses disciples ayant bâti des cellules dans le voisinage de sa caverne, il s'y forma une nouvelle laure, qui devint bientôt aussi célèbre que la première.

Euthyme, par ses conseils et par ses exemples, dirigeait et soutenait ce grand nombre de solitaires dans les voies de la perfection. Dans leurs besoins et dans leurs tentations, ils s'adressaient à lui comme à l'oracle du ciel. Maron et Clémas, deux d'entre eux, écoutèrent un jour les suggestions de l'ennemi, qui, après leur avoir inspiré du dégoût pour la solitude, les sollicitait à rentrer dans le monde. Ils cachèrent cette tentation, au lieu de la découvrir, et de chercher les moyens d'en être délivrés : mais Dieu la manifesta à Euthyme, en lui faisant voir le démon qui attachait une corde au cou des deux religieux, et les entraînait dans l'abîme. Le Saint va les trouver aussitôt, leur parle avec bonté, et les exhorte à la persévérance, il leur représente combien il est dangereux de s'abandonner aux pensées de tristesse, de découragement et de dégoût pour les devoirs de son état. « Mettez, leur dit-il, toute votre confiance en Dieu : c'est une illusion de croire que vous pratiquerez plus aisément la vertu ailleurs qu'ici. C'est la bonne volonté, et non le lieu, qui nous fait faire le bien. Tous ces changements sont un effet de la légèreté de l'esprit humain, et des ruses du démon ; ils ne servent qu'à rendre les moines plus stériles en vertus, et plus relâchés dans leurs devoirs. C'est ainsi qu'un arbre, transplanté tantôt dans un endroit et tantôt dans » un autre, ne porte jamais de fruit. » Il leur raconta ensuite l'histoire suivante : * Un moine d'Egypte, sujet à se mettre en colère, crut que le moyen de se préserver plus efficacement de ce péché, était de quitter son monastère, et de vivre seul dans le désert, où il ne trouverait plus personne qui pût le fâcher. Plein de cette idée, il va se renfermer dans une cellule, résolu d'y vivre en ermite : mais étant allé puiser de l'eau, la cruche, qu'il voulut  poser à terre, se renversa, ce qui arriva jusqu'à trois fois. A la troisième, il s'emporta tellement, qu'il prit la cruche et la brisa. Apres cette action, il rentre en lui-même, comprend que sa faute vient uniquement de sa volonté, et qu'il doit travailler à vaincre sa passion, au lieu de chercher une excuse dans les occasions. C'est ii ce qu'il résolut de faire en retournant à son monastère. » Les instructions de notre Saint produisirent l'effet qu'il en avait attendu.

Euthyme avait une telle réputation de sainteté, que dans une grande sécheresse qui désolait tout le pays, on vint processionnellement a sa cellule, en portant des croix, et en chantant le Kyrie, eleison. On espérait obtenir la délivrance du fléau par le secours de ses prières; on Je lui demanda donc avec instance. « Quoi, répondit-il, un pécheur tel que moi oserait-il se présenter devant Dieu, dont » nos crimes ont allumé la colère ? Il faut nous prosterner tous devant lui, et il nous écoutera. » Tous obéirent, et le Saint, accompagné de quelques-uns de ses moines, alla se prosterner dans sa chapelle. Le ciel se couvrit aussitôt de nuages épais; il tomba ensuite une pluie abondante, et l'année fut extrêmement fertile.

Notre Saint se montra toujours fort zélé contre les erreurs de Nestorius et d'Eutychès. Il eut la gloire de ramener l'Impératrice Eudocie à l'unité catholique. Celte princesse, qui, après la mort de Théodose-le-Jeune son mari, s'était retirée en Palestine, continuait de favoriser ouvertement les Euthyciens : mais la douleur que lui causa la captivité de sa fille et de ses petites-filles que les Vandales avaient emmenées en Afrique, la fit rentrer en elle-même. Elle envoya consulter saint Siméon Stylite sur la conduite qu'elle devait tenir. Ce grand homme lui répondit que les malheurs qui l'accablaient étaient la punition du crime qu'elle avait commis en abandonnant et en persécutant la doctrine catholique; il lui recommanda ensuite de se conformer aux avis de l'abbé Euthyme. Comme Eudocie savait que les femmes n'entraient point dans l'enclos de la laure de notre Saint, elle fit bâtir à l'orient du désert une tour qui en était éloignée d'environ une lieue et demie, et l'envoya prier de l'y venir voir ; ce qu'il fit. L'avis que lui donna Euthyme, fut qu'elle devait abjurer l'euthychianisme, se séparer du faux patriarche Théodose, et recevoir, le concile de Chalcédoine. La princesse reçut cet avis comme un ordre du ciel, et promit de le suivre ponctuellement. A peine fut-elle de retour à Jérusalem, qu'elle embrassa la communion de Juvénal, patriarche catholique de cette ville. Son exemple procura la conversion d'un grand nombre d'hérétiques. Elle passa le reste de sa vie dans les exercices de la pénitence et de la piété. Elle voulut, en 459, assigner des revenus pour la subsistance de ceux qui habitaient la laure d'Euthyme : mais le Saint les refusa. « Pourquoi, fit-il dire à l'Impératrice, vous occupez-vous de tant de soins ? » Bientôt vous paraîtrez devant le tribunal de Jésus-Christ ; ne pensez donc plus qu'au compte que vous allez rendre de toute votre vie. » Eudocie, pleine d'admiration pour un tel désintéressement, quitta la tour où elle était venue, afin de retourner à Jérusalem. Elle mourut peu de temps après dans cette ville.

Le 13 Janvier 473, Elie et Macaire, tous deux disciples du Saint, et auxquels il avait prédit qu'ils seraient patriarches de Jérusalem, vinrent le trouver avec plusieurs autres moines, pour l'accompagner dans le désert où il avait coutume de se retirer en carême. Euthyme leur dit qu'il passerait la semaine avec eux, mais qu'il les quitterait le samedi ; ce qu'il entendait de sa mort. Trois jours après, il ordonna une veille générale pour la fête de saint Antoine, qui devait se célébrer le lendemain. Le jour de la fête, il exhorta ses moines à l'humilité et à la charité, choisit Élie pour son successeur, puis prédit à Domitien qu'il le suivrait dans sept jours ; ce qui arriva effectivement. Euthyme mourut le samedi 20 Janvier. Il était âgé de 95 ans, et en avait passé 68 dans la solitude. Il apparut à plusieurs personnes après sa mort. Il s'opéra un grand nombre de miracles par son intercession, qu'on venait de tous côtés implorer à son tombeau. Cyrille, qui les raconte, assure qu'il avait été témoin oculaire de plusieurs. Saint Sabas, l'un des plus chers disciples de saint Euthyme, célébra sa fête immédiatement après sa mort. Il est honoré par les Latins et par les Grecs : les derniers lui donnent toujours le titre de Grand.

Alban Butler : Vies des pères, des martyrs, et des autres principaux saints… traduction de Jean François Godescard.

 

 

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