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François Gil de Frederich
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Les huit martyrs dominicains que nous célébrons dans la même fête ont été béatifiés ensemble par saint Pie X en 1906. Martyrisés à des époques différentes, ils appartiennent tous à la province des Philippines.
L'évangélisation de la
péninsule indochinoise remonte au XVIe siècle, avec le passage de
quelques missionnaires portugais,
Les dominicains des Philippines y arrivèrent vers 1680 ; le vicariat du Tonkin oriental leur fut attribué en 1693. Durant tout le XVIIIe siècle, la sécurité des catholiques fut toujours précaire ; des flambées de persécutions violentes y firent des ravages en 1696, 1713, 1721, 1736, 1744... C'est au cours de la persécution de 1744 que furent martyrisés François Gil de Frederich et Matthieu-Alphonse Leziniana. Tous deux Espagnols, ils avaient reçu leur formation apostolique à Manille, avant d'être envoyés au Tonkin. Ils avaient l'un et l'autre 42 ans quand ils furent arrêtés et jetés en prison; là, dans la mesure où leurs gardiens le leur permettaient, ils continuèrent leur ministère apostolique auprès des chrétiens qui venaient les visiter. François fut condamné à mort, Matthieu à la prison perpétuelle, mais il insista pour partager le sort de son frère et tous deux furent décapités le 22 janvier 1745, en exhortant les chrétiens à demeurer fidèles. Nouvelle persécution, plus longue, de 1773 à 1778. Hyacinthe Castaneda, Espagnol, âgé de 30 ans, prêchait depuis cinq ans quand il fut arrêté en 1773 et enfermé dans une cage de roseaux où il devait se tenir recroquevillé. Un autre dominicain, indigène celui-là, Vincent Liem de la Paix, fut à son tour arrêté et enfermé dans une cage semblable. Hyacinthe fut condamné à mort. Vincent pouvait se dérober, car, d'après l'édit de persécution, les indigènes étaient exempts de la peine capitale. Il supplia cependant qu'on lui laissât partager le martyre de celui dont il avait partagé l'apostolat. Ils eurent tous deux la tête tranchée le 7 novembre 1773. À la fin du XVIIIe siècle, la France, et notamment Mgr Pigneau de Béhaine, soutient un roi exilé, Nguyen-Anh. Grâce à son appui, il réunit entre ses mains l'Annam, la Cochinchine et le Tonkin et les gouverna jusqu'à sa mort en 1821, sous le nom de Gia Long. Il assura alors la paix religieuse. Son fils, oubliant les services rendus à son père par les missionnaires, ouvrit de nouveau l'ère des persécutions en 1833. Les martyrs se succédèrent sur tout le territoire. La plus violente des persécutions fut celle de l'empereur Tu-Duc, à partir de 1858. Dans les vicariats confiés aux Missions Étrangères de Paris, 68 prêtres annamites, une centaine de religieuses, quelques 10.000 chrétiens furent mis à mort, 40.000 périrent des mauvais traitements et de la misère où les jeta le ravage de leurs villages. Dans les vicariats confiés aux Dominicains, 47 prêtres et 3 évêques furent assassinés. Jérôme Hermosilla, dominicain espagnol du couvent de Valence, ordonné prêtre aux Philippines, fut nommé vicaire apostolique du Tonkin oriental. Il revenait du long voyage à pied qu'il avait effectué en se cachant pour recevoir la consécration épiscopale, quand il fut arrêté. Une rançon le libéra. En septembre 1861, à nouveau poursuivi, il se cacha pendant trois semaines dans des barques de pêcheurs chrétiens. Trahi et capturé, il fut décapité; il avait 61 ans et travaillait depuis 30 ans au Tonkin. En même temps que lui fut arrêté son catéchiste indigène Joseph Khang âgé de 29 ans. Ce n'était pas un modèle de vertu (il aimait un peu trop le vin des Occidentaux!), mais quand on vint arrêter son évêque, il voulut le défendre et reçut trois coups d'épée. Il refusa de marcher sur le crucifix et mourut avec lui. Valentin Berrio Ochoa était, comme Jérôme, du diocèse de Logrono en Espagne. Entré chez les dominicains en 1853, il était arrivé au Tonkin au début de la persécution de Tu-Duc en 1858. Son évêque était vicaire apostolique du Tonkin central. Il le secondait quand les persécuteurs mirent l'évêque à mort. Valentin lui succéda. La persécution redoublant, il s'enfuit au Tonkin oriental et se cacha chez des pêcheurs. Là, quatre jours après la capture de Jérôme Hermosilla et de Joseph Khang, il fut trahi par un médecin païen et pris le 25 octobre en même temps que son frère en saint Dominique, Pierre Almato, un catalan qui était au Tonkin depuis 1855. On lui commanda de fouler aux pieds un crucifix: il l'adora à genoux. Il avait 31 ans et Valentin 34 : ils furent ensemble décapités. Un an après leur mort, le traité de Saïgon (1862) assura aux chrétiens quelques années d'accalmie. Puis la persécution reprit de plus belle en 1883, sous le successeur de Tu-Duc, le cruel Nguyen-Van-Tuong. La conquête du Tonkin par la France fut le signal d'un massacre général des chrétiens ; plus de 50.000 périrent jusqu'à ce que la paix eût été imposée par la victoire française. Soixante-dix ans plus tard, en 1953, les chrétientés vietnamiennes étaient les plus florissantes de tout l'Orient. Les seize vicariats apostoliques du Vietnam comptaient un million et demi de chrétiens sur 20 millions d'habitants. Les dominicains espagnols évangélisaient les trois vicariats de Bui-Chu, Haïphong et Bao-Ninh ; ils étaient environ 80, assistés de 400 prêtres indigènes et un millier de religieuses pour 700.000 baptisés. Ceux de la province de Lyon avaient la Préfecture apostolique de Lang-Son et Cao-Bang, le long de la frontière de Chine : 16 pères, 32 prêtres indigènes, une cinquantaine de religieuses et quelques 5.000 catholiques (c'était une mission de brousse montagneuse, de création récente). La révolution communiste a tout emporté de ces territoires. Six cent mille chrétiens préférèrent abandonner leurs villages du Vietnam Nord (où se situaient nos missions) plutôt que de vivre sous le régime communiste, et cela pour des raisons religieuses. Ceux qui restèrent furent évangélisés par le clergé indigène, tous les missionnaires étrangers ayant été expulsés. Le Vietnam Sud vit, du coup, tripler sa population chrétienne : plus d'un million. C'est là que travaillent les Pères français, tandis que les Espagnols sont partis en d'autres pays. |