François-Régis Clet
naquit le 19 août 1748, à Grenoble. Il était le dixième d'une
famille qui compta quinze enfants.
Le 6 mars 1769, obéissant à
l'attrait pour la vie religieuse, il entrait au séminaire des
Lazaristes, à
Lyon, et y fut ordonné prêtre le 17 mars 1773.
Placé comme professeur
de théologie au grand séminaire d'Annecy, il y passa quinze années,
pendant lesquelles il ne cessa de faire l'admiration de tous par sa
haute vertu et par la profondeur et la précision de son
enseignement. Ses connaissances étaient si étendues qu'on l'avait
surnommé "la bibliothèque vivante".
A la mort de Mgr Biord,
évêque de Genève, c'est à M. Clet que l'on confia la charge de
prononcer l'éloge funèbre du défunt.
Le moment était venu où
la Providence allait changer le cours de cette existence jusque là
si uniforme et si paisible. Délégué en 1788 par ses confrères, pour
représenter la province de Lyon à l'assemblée générale qui devait
élire un nouveau Supérieur de la Congrégation de la Mission, il se
vit appelé par le nouveau Général aux importantes fonctions de
Directeur du Séminaire interne de la Maison-Mère.
Il ne devait pas
remplir longtemps cette charge: l'année suivante éclatait la
Révolution. Le 13 juillet, c'est par la maison même de saint Vincent
de Paul qu'elle préludait à ses futurs exploits; le lendemain
c'était la prise et le massacre de la Bastille.
En présence du sombre
avenir que faisait pressentir la situation général en France, M.
Clet pensa qu'il lui restait encore assez de forces pour travailler
à l'apostolat chez les infidèles: il demanda et obtint la faveur de
se consacrer aux missions de la Chine.
Embarqué le 2 avril
1791 à Lorient, le zélé missionnaire débarqua à Macao après six mois
de navigation, et recevait pour champ d'action les chrétientés de la
province du Kiangsi. Il se trouvait là, seul prêtre, ignorant de la
langue chinoise que ni ses lourdes occupations, ni son âge ne lui
permettait d'étudier convenablement. Néanmoins il ne boude pas à la
besogne et n'est nullement tenté de revenir sur ses pas; il
s'encourage lui-même en répétant le proverbe:
"Il vaut mieux que la terre soit labourée par des ânes, que de
rester en friche."
L'année suivante, M.
Clet quitta le Kiangsi pour prendre la direction des chrétientés des
provinces du Houpé, Honan et Kiangnàn, où travaillaient deux
confrères français, que la mort lui ravit en moins d'une année. Il
se trouvait de nouveau seul pour administrer plus de dix mille
chrétiens dispersés sur un espace de deux cents lieues de
superficie.
La vie de M. Clet était
simple et austère: il vivait de la vie des pauvres. Son grand esprit
de mortification s'accommodait des régimes les plus divers. C'est à
pied qu'il faisait ses longs voyages. À la douceur et à une parfaite
humilité, il alliait une fermeté qu'inspirait un jugement sain et
droit.
Malgré l'état de
persécution latente, M. Clet, grâce aux précautions des chrétiens
pour le soustraire aux recherches des mandarins, avait pu exercer
son ministère apostolique pendant vingt-sept ans. Mais, en 1818,
l'orage se déclara dans sa propre chrétienté: son confrère chinois,
M. Chèn fut arrêté en janvier 1819, et la tête de M. Clet fut mise à
prix. Pour échapper aux recherches des satellites, M. Clet passa du
Houpé dans le Honan. Mais la cupidité d'un chrétien fut cause qu'il
fut trahi et arrêté le 16 juin, dans le village Tïntsiakang.
Le prisonnier dut
entreprendre, chargé de chaînes, un trajet de soixante lieues pour
se rendre à la capitale de la province, où il dut comparaître devant
les divers tribunaux, et y fut traité avec la dernière inhumanité. À
un de ses juges, le saint confesseur répondit:
“Mon frère, vous me
jugez maintenant, dans peu de temps mon Seigneur Lui-même vous
jugera.” Quelques mois plus tard le magistrat tombait en
disgrâce et était exécuté avant la conclusion du procès de son
prisonnier.
Après avoir constaté
que M. Clet avait eu sa résidence habituelle et exercé son ministère
dans le Houkouang, les autorités du Honan l'envoyèrent à Outchangfou,
métropole de Houkouang. La distance à parcourir était de cent
quarante lieues; le prisonnier fit ce trajet les menottes aux mains
et la chaîne au cou, n'ayant pour toute auberge que les prisons
rencontrées sur le parcours.
À son arrivée à
Outchang, sa maigreur, sa barbe inculte et pleine de vermine, ses
vêtements malpropres et déguenillés firent sur les geôliers une
telle impression de misère, qu'ils refusèrent de le recevoir. Cela
lui valut la consolation inattendue d'être conduit dans une prison
sans doute moins distinguée, mais où étaient détenus son confrère
chinois, M. Chèn et dix chrétiens; pendant tout le cours du procès,
matin et soir, on y récitait la prière, et on y célébrait même les
fêtes avec chants et prédication.
Ce long procès eut le
dénouement que M. Clet avait prévu et désiré: "J'attends,
écrivait-il, j'attends, grâce à Dieu, cet arrêt et son exécution
avec patience et tranquillité, disant avec saint Paul: "Jésus-Christ
est ma vie, la mort m'est un gain." L'arrêt de l'empereur Tsiatsïn
fut que "l'Européen Liou avait trompé et corrompu beaucoup de monde
en prêchant la religion chrétienne, et qu'il devait être étranglé."
Le lendemain de
l'arrivée de la ratification impériale, le 17 février, de grand
matin, les satellites venaient prendre le saint missionnaire pour
exécuter la sentence. Il refusa les vêtements neufs que son confrère
M. Lamiot, lui avait préparés; dans son humilité il disait qu'il
allait à la mort, nom comme un martyr, mais comme pénitent.
Arrivé sur le lieu
d'exécution, il demanda la permission de faire une courte prière,
après laquelle il dit aux exécuteurs:
“Liez-moi.” Il fut
alors attaché au gibet avec des cordes qui, partant du cou, lui
liaient les mains derrière le dos et serraient ses pieds l'un contre
l'autre, et étranglé par la torsion de la corde qui lui enserrait le
cou.
François-Régis Clet
était âgé de 72 ans, dont vingt-neuf passés dans la mission de
Chine.
J.-M. Planchet,
Nouvelle Vie des Saints,
p. 70-72
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