Gertrude d’Helfta
(1256-1302)

Troisième partie

 Les enseignements de Jésus confiés à Gertrude

 

Un catéchisme de la vie mystique

Présentation du Livre 4

L’auteur du Livre 4 écrit:

Ce quatrième livre contient plusieurs révélations salutaires qui peuvent instruire le lecteur et le former à la perfection chrétienne. On y voit en outre de quelle manière nous devons honorer Jésus-Christ et les saints, comment encore nous pouvons obtenir facilement par ce très doux Médiateur les grâces que nous avons à demander, soit pour nous, soit pour les autres, comment suppléer abondamment à tout ce qui nous manque, et enrichir notre indigence des richesses de sa vie et de sa Passion. Toutefois une âme dévote pourra se servir de ces exercices pour son propre bien et pour celui du prochain.

L’auteur dit aussi:

Bien des choses sont exprimées par des comparaisons et des images, parce que cette vierge[1] sainte, (l’auteur véritable de ces confidences) malgré la plénitude de la lumière divine qui l'éclaira, n'a pu traduire autrement et faire saisir à notre intelligence, les choses spirituelles qu’elle-même n’aurait pu comprendre sans ces paraboles, ces comparaisons et ces images.

Quelle est, en effet, la valeur des symboles dans les visions de Gertrude d’Helfta?

Gertrude se demandait pourquoi le Seigneur l'instruisait par des images matérielles. Il lui dit:

— Comme les prophètes ont vu d'avance l'ordre et le mode de l'Incarnation, de la Passion et de la Résurrection, sous des symboles mystiques, des formes et des images, de même les choses invisibles et spirituelles ne peuvent encore maintenant être exprimées à l'entendement humain que par des images connues. C'est pourquoi il ne faut pas rejeter ce qui est révélé sous des formes matérielles, mais s'efforcer plutôt de goûter les délices spirituelles cachées sous le symbole des choses sensibles. (Livre 4 Ch. 12)

Enfin ce livre, dit encore l’auteur du Livre 4, comme tous les autres, exhale le merveilleux parfum de cette douceur divine avec laquelle le Seigneur aime si tendrement ses élus, les gouverne avec tant de sagesse, les rappelle à lui s'ils s'égarent, les attire lorsqu'ils reviennent et les reçoit dans son sein, montrant que sa Providence divine ne manque jamais aux vœux de ses élus et qu'elle supplée à leur indigence par le trésor de ses propres mérites.

Et l’auteur du Livre 4 ajoute, en guise de conclusion: ces révélations au sujet des mystères du Seigneur ou des mérites des saints furent accordées à Gertrude, particulièrement pendant ses maladies, à chaque fête de l'année, lorsque sa faiblesse l'empêchait de suivre dans leur rigueur les observances de l'Ordre.

Et nous, chrétiens du XXIème siècle, quels bénéfices, quels enseignements pouvons tirer des instructions que le Seigneur Lui-même, et quelques-uns de ses saints nous ont données, par l’intermédiaire de sainte Gertrude?

Les saints mystiques sont relativement peu appréciés de nos jours. C’est dommage, car nous nous privons ainsi de vérités, certes difficiles  à comprendre, mais essentielles pour enrichir notre vie spirituelle. C’est dommage, car le bon sens qui se dégage des paroles de Jésus à Gertrude, paroles qui d’ailleurs nous sont destinées, a souvent de quoi surprendre même les plus méfiants en matière de mystique.

Pour rendre plus accessibles les conseils de Jésus à Gertrude, ou ses révélations, nous n’en avons retenu que les plus importants, en omettant généralement les répétitions. Les divers thèmes abordés par Jésus, dispersés dans l’ensemble du Livre 4, ont été classés et présentés comme un catéchisme sous la forme de questions-réponses. D’où le titre de ce grand chapitre: Le Catéchisme de la Vie Mystique.

NOTA: Nous rappelons que toutes les citations du “Héraut” sont en italique.

 

1-La prière

 

Tous les fidèles de toutes les religions prient. Pourquoi? La prière est-elle tellement nécessaire? “Le Héraut de l’Amour divin” ne répond pas directement à cette question, mais il montre que Dieu est Père et qu’Il aime ses enfants, tous ses enfants. Malheureusement les hommes ont péché, et pour revenir à Dieu, ils doivent, humblement reconnaître leurs fautes et, avec confiance, implorer sa grâce. Alors, purifiés, ils peuvent de nouveau entrer dans l’intimité de Dieu, et trouver leur joie dans l’adoration. La prière des hommes, c’est tout cela.

Gertrude d’Helfta théologienne, religieuse, croyait en Dieu; nous n’insisterons pas sur ce point qui paraît évident. Mystique fervente, elle rencontrait souvent Dieu dans sa prière, et cela personne n’a jamais pu le nier. Mais comment priait-elle? Et nous, comment devons-nous prier? Les réponses de Gertrude d’Helfta sont nombreuses; mais sachons qu’avant de prier nous devons nous préparer. Gertrude insiste beaucoup sur la nécessité de bien se préparer avant d’entrer dans la prière.

 

1-1-Comment se préparer à prier

 

Prier Dieu, c’est-à-dire chercher à Le rencontrer, désirer L’aimer comme Il le désire, Lui demander ses grâces en vue d’orienter nos actions humaines selon les desseins de son amour, est le seul moyen dont les hommes disposent pour atteindre le véritable but de l’humanité. Mais, pour bien prier, il faut d’abord se préparer et, humblement, se mettre en présence de Dieu. C’est ce qu’une vision de sainte Gertrude                   va nous enseigner.

C’était la nuit qui précèdait une Vigile de la très sainte Nativité du Seigneur. Gertrude vit que des personnes qui se préparaient à célébrer la fête prochaine montaient vers lui comme de légères vapeurs. Le Seigneur Jésus, plein de charme et de jeunesse, envoyait de son Cœur divin une admirable lumière sur toutes ces petites nuées, et la lumière semblait leur tracer le chemin pour arriver jusqu'à Lui:

            Tandis que par cette voie elles montaient vers Dieu, Gertrude vit en esprit les âmes qui s'étaient humblement recommandées aux prières des autres, marcher vers Dieu sans dévier, illuminées par la clarté de son Cœur divin: elles paraissaient conduites par la main sur une voie directe garantie à droite et à gauche.

            Celles qui ne comptaient que sur leurs propres efforts et leurs prières pour se disposer à célébrer la fête, quittaient la route et s'égaraient quelque temps, puis revenaient dans le chemin et s'approchaient du Seigneur à la faveur de la lumière divine.

 

Comment Gertrude se prépare-t-elle?

 

En cette nuit de Noël, il était donné à chaque âme de se réjouir en Jésus-Christ, suivant l'attrait de son amour. Gertrude s'avança, se prosterna humblement selon sa coutume aux pieds du Seigneur et dit:

-Maintenant, ô Seigneur très aimé, quelle sera ma préparation, ou quels hommages pourrai-je rendre à votre bienheureuse Mère en cette fête de son très saint Enfantement? J'ai omis, non seulement à cause de ma santé, mais hélas! aussi par négligence, de réciter les heures en son honneur, et cependant j'y étais obligée par mes vœux de Religion.

Le Seigneur miséricordieux eut pitié de sa détresse et parut réunir toutes les paroles qu'elle avait dites durant l'Avent pour louer Dieu ou gagner les âmes, soit en les instruisant, soit en dissipant leurs doutes... La tendre Mère s'inclina vers cette âme (celle de Gertrude) avec un visage serein et rempli de bonté; puis embrassant son cher Fils et le couvrant de baisers, elle le pria en ces termes:

-Que votre amour, ô mon très cher Fils, uni à mon amour, vous dispose à exaucer les prières de cette bien-aimée. (Livre 4 Ch. 2)

 

1-2-Dieu accueille toutes les prières

 

Gertrude interrogea le Seigneur:

 

-Quel peut être le fruit de mes paroles que mon indignité doit vous rendre insipides?

 

Le Seigneur répondit:

-Peu importe que les parfums proviennent de telle ou telle essence d'arbre, s'ils donnent une odeur également agréable. De même si quelqu'un me dit: “ô très Doux, très aimé, etc...” bien qu'il s'estime une indigne créature, la douceur essentielle de ma Divinité, émue jusqu'en ses profondeurs, me fait exhaler un arôme d'une merveilleuse suavité, qui embaume des parfums du salut éternel celui qui l'a provoquée par ces paroles de tendresse. (Livre 4 Ch. 2)

 

1-3-Importance de la prière que Dieu accueille

 

Celle-ci [2] s'approcha du Seigneur, en humilité d'esprit, et lui offrit un Miserere mei Deus, en disant: 

-Ah! mon Époux, je renonce volontiers à ma part tout entière, et je vous offre ce psaume en éternelle louange et gloire! Daignez vous en servir pour le bien de mes amis particuliers selon le bon plaisir de votre miséricorde.

Le Seigneur accepta cette offrande, qui prit alors la forme d'une pierre précieuse de brillante couleur et de très belle eau; il la mit au milieu d'un collier suspendu à son cou, déjà orné de pierres étincelantes et de fleurs d'or artistement travaillées. Puis il dit:

-Cette pierre d'amour que tu viens de me donner, je l'ai mise à la place d'honneur au milieu de mon collier; tous ceux qui se recommandent à tes prières ou pensent seulement à souhaiter ton intervention en recevront le salut, de même que les Hébreux, piqués par les serpents venimeux, étaient guéris en regardant le serpent d'airain que j'avais ordonné à Moise d'élever dans le désert. (Livre 4 Ch. 2)

 

Même les plus indignes peuvent prier pour les hommes

 

Une nuit, pendant les matines, Gertrude se souvint de plusieurs personnes qui s'étaient dévotement recommandées à ses prières, et dans l'humilité de son âme elle dit au Seigneur:

-Convient-il que moi qui suis si indigne, je prie pour ces personnes qui se tiennent devant vous (les sœurs qui étaient au chœur) et célèbrent vos louanges avec zèle et dévotion, tandis que, retenue par l'infirmité, je ne puis les imiter?

Le Seigneur répondit:

-Tu peux très bien prier pour elles, parce que je t'ai choisie parmi ces âmes et je t'ai placée dans le sein de ma bonté paternelle pour que tu demandes et obtiennes tout ce que ton cœur désire... Recommande chacune d'entre elles à cette science divine et à cet amour, qui m'ont fait sortir du sein de Dieu le Père et descendre sur la terre pour sauver les hommes. (Livre 4 Ch. 3)

 

1-4-Les prières d’offrande

 

Le jour de l’Épiphanie, Gertrude se souvint d'une personne qui l'avait priée d'offrir quelque chose pour elle au Seigneur. Le Seigneur lui dit:

-Offre-moi ses pieds, ses mains et son cœur:

            Les pieds désignent les désirs: puisque cette personne voudrait me dédommager pour les douleurs de ma mort, qu'elle s'applique à supporter toutes ses propres douleurs physiques et morales. Qu'elle les souffre en union avec ma Passion, pour la louange et la gloire de mon Nom, l'utilité de l'Église mon Épouse; j'accepterai ce présent comme une myrrhe choisie.

            Les mains symbolisent l’action: qu'elle ait soin d'accomplir ses œuvres corporelles et spirituelles en les unissant aux œuvres très parfaites de ma sainte Humanité. Cette intention ennoblira, sanctifiera tous ses actes et me sera aussi agréable que le sacrifice d'un encens parfumé.

            Enfin le cœur désigne la volonté: pour connaître mon bon plaisir, qu’elle ait soin de consulter humblement un homme prudent, et se tienne pour assurée que toutes les paroles de ce conseiller seront l'expression de ma volonté. Si elle s'applique à suivre ses avis, j'accepterai tous ses actes comme la parfaite oblation d'un or très pur. Pour cette humble confiance qui l'a portée à rechercher mes désirs par un intermédiaire, sa volonté sera unie à ma divine volonté, aussi étroitement que l'or et l'argent soumis ensemble à l'action du feu forment un alliage indissoluble.

 

Alors, comme Gertrude offrait les prières que d’autres personnes lui avaient confiées, elle vit le Seigneur porter à son côté gauche, une bourse dans laquelle étaient déposées les prières que ces personnes lui avaient adressées: le Seigneur puisait dans cette bourse pour combler de bienfaits ses amis... Elle comprit que le Seigneur acceptait ces prières... pour récompenser la confiance de ces personnes et leur libéralité. (Livre 4 Ch. 6)

 

1-5-La prière d’adoration

 

Au cours d’une adoration, le très doux Seigneur, entraîné par sa bonté naturelle, leva sa main sacrée pour bénir les adorateurs et dit:

-Tous ceux qui, attirés par le désir de mon amour, garderont le souvenir de la vision de ma face, recevront par la vertu de mon Humanité l'impression vivante et lumineuse de ma Divinité. Cette lumière éclairera toujours les profondeurs de leur âme, et dans la gloire éternelle la Cour céleste admirera sur leurs traits plus de ressemblance avec ma divine face. (Livre 4 Ch. 6)

 

L’adoration, c’est le repos en Dieu:

 

Le Seigneur dit à Gertrude:

-L'union qui joint maintenant ton âme à la mienne restaurera beaucoup mieux tes forces que ne le ferait un sommeil corporel. (Livre 4 Ch. 14)

 

1-6-Prières pour la réparation de nos péchés

 

1-6-1-Une parole qui rassure

 

Un jour, avant de vénérer la Sainte Face de Jésus, Gertrude se confessa mentalement, et le Seigneur lui dit:

-Pour l'amendement de tes fautes, tu accompliras la satisfaction que je t'impose: chaque jour de l'année tu pratiqueras une bonne œuvre quelconque, en t'unissant à la tendresse infinie par laquelle je t'ai remis tous tes péchés.

Elle accueillit d'abord cette pénitence avec gratitude, mais la faiblesse humaine la fit ensuite hésiter quelques instants:

-Que ferai-je, ô mon Dieu, dit-elle, si j'omets d'accomplir cette bonne œuvre quand l'occasion s'en présentera?

Le Seigneur répondit:

-Pourquoi négligerais-tu une chose si facile? Car ma bonté acceptera un seul pas fait à cette intention, un fétu ramassé à terre, une parole un signe d'amitié, même un Requiem que tu auras dit pour les défunts ou toute autre prière récitée pour les pécheurs ou les justes.

 

1-6-2-À l’occasion de la fête de la circoncision: on ne peut rien faire sans la grâce du Seigneur

 

Un jour de la fête de la Circoncision, le Seigneur dit à Gertrude:

-Que l'observance de votre Règle vous serve de circoncision.

Elle dit alors:

-Ô très aimé Seigneur, pourquoi répondez-vous avec une sorte de sévérité, comme si vous ne vouliez pas pour cela nous offrir le secours de votre grâce et que nous fussions réduites à nos propres forces, quand cependant, selon votre parole, nous ne pouvons rien faire sans vous?

Le Seigneur, profondément touché par la douceur de ces paroles, fit reposer l'âme sur son sein, et la caressant avec tendresse:

-Je veux si bien, dit-il, vous accorder mon secours que si quelqu'un, pour ma gloire et mon amour, s'applique en ce premier jour de l'année à repasser avec componction tous ses manquements à la Règle, et se propose de les éviter à l'avenir, je veux être pour lui comme un bon maître qui prend sur ses genoux son petit élève, lui apprend les lettres en les montrant du doigt, corrige ses fautes et répare ses omissions. De même je corrigerai miséricordieusement les défauts de celui-là, et ma bonté paternelle suppléera à ses négligences. Si, en enfant distrait, il a commis quelque oubli, je le remarquerai et je le réparerai à sa place.

Plus tard le Seigneur ajouta:

-je trouverai pour ma part une gloire nouvelle, tandis qu'elle (une âme) pourra travailler, avec le secours de ma grâce, à embellir la sienne d'heure en heure. Quand une mère enseigne sa fille, elle la laisse exécuter elle-même le travail, mais elle la dirige par son expérience; de même mon éternelle sagesse préparera les étrennes avec l'aide de cette personne. (Livre 4 Ch. 5)

 

1-6-3-Le regret de ses fautes

 

Le Seigneur est prêt à nous pardonner toutes nos fautes, mais à condition que nous les regrettions. Ainsi, la veille de la Nativité, comme elle était encore éveillée un certain temps avant Matines, elle se rappela devant Dieu, dans l'amertume de son cœur, une faute d'impatience où l'avait fait tomber la négligence de celles qui la servaient... elle tournait et retournait cependant en son cœur le triste souvenir de sa faute, s'estimant très indigne des grâces divines, puisqu'un si léger oubli avait pu la faire tomber dans une telle impatience. Alors la divine miséricorde éclaira son intelligence par cet enseignement:

-Toutes les pensées que l'homme garde au sujet de ses fautes, après la pénitence dont l'Écriture a dit: “À quelque heure que le pécheur se convertisse et gémisse, je ne me souviendrai plus de ses péchés”, toutes ces pensées n'ont pas un autre but que de le rendre plus apte à recevoir la grâce de Dieu.

Dieu le Père précisa:

-certains défauts qu'on voit en soi entretiennent l'humilité et la componction, et font avancer par conséquent dans les voies du salut. Ces défauts-là, je les laisse subsister parfois chez mes plus intimes amis, afin de les exercer dans la vertu. Il y en a d'autres qu'on blâme quand on les reconnaît, mais que l'on défend quelquefois comme on défendrait la justice, parce qu'on ne veut pas s'en corriger. Ce sont ces défauts-là qui mettent l'homme en péril et danger de damnation.

Puis le Père céleste lui donna toutes les vertus qu'il avait mises avant la naissance de son Fils unique dans le cœur des anciens pères, c'est-à-dire des patriarches, des prophètes et de ses autres serviteurs fidèles qui ont soupiré après son avènement. Ces vertus sont l'humilité, le désir, la connaissance, l'amour, l'espérance et d'autres encore; c'est par ces vertus que celle-ci [3] pouvait aussi se préparer à célébrer dignement la fête. (Livre 4 Ch. 1)

 

1-6-4-La joie du ciel quand un pécheur fait pénitence

 

À ce moment Dieu le Père, de sa main vénérable, donna la bénédiction en disant: “Je vais renouveler toutes choses” (Apoc. 21, 5) pour faire comprendre que tout se trouve suppléé et renouvelé dans l'âme fidèle par la componction, la bénédiction divine et la vie très sainte du Fils de Dieu. C'est pourquoi il est dit qu'il y a plus de joie au ciel pour un pécheur faisant pénitence que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui n'ont pas besoin de pénitence (Luc. xv. 10), car l'infinie Bonté de Dieu daigne verser elle-même ses délices dans l'âme repentante.

Le Seigneur ajouta:

-Quand je fais passer l'âme fidèle de cette vie présente au palais du ciel, je la comble de délices, et de plus je lui chante avec douceur ce cantique: j'ai vu la cité sainte, la nouvelle Jérusalem qui s'élevait de la terre. Et quand j'arrive à ces paroles: Je vais renouveler toutes choses, je la remplis à l'instant même des délices que l'armée céleste ressens avec moi, toutes les fois qu'un pécheur a fait pénitence.  (Livre 4 Ch. 58)

C’est vrai! Les âmes qui se sont vraiment repenties sont accueillies par l’armée céleste. Le Bon Larron en est le meilleur exemple:

Gertrude écoutait son seigneur, et, à ces paroles: “aujourd'hui vous serez avec moi dans le paradis”, elle comprit qu'une âme qui fait pénitence au dernier moment de sa vie, a dû s'attirer cette grâce par quelque vertu pratiquée avec l'aide de Dieu durant le cours de son existence. Ce larron qui, réhabilité par une salutaire pénitence, entra le jour même au paradis, avait obtenu miséricorde parce que, tout en étant voleur et scélérat, il reculait toujours devant une injustice manifeste et la blâmait à l'occasion. C'est ce qu'il fit encore sur la croix, en reprochant à son compagnon les insultes qu'il adressait au Dieu de majesté, en s'avouant coupable et condamné avec justice. Ce fut par cette humble confession qu'il obtint miséricorde auprès de Dieu. (Livre 4 Ch. 24)

 

1-7-Quand on est empêché de prier longuement

 

Gertrude se plaignait de ne pouvoir prier comme elle l’aurait voulu, à cause de ses infirmités. Le Seigneur la rassura, et elle comprit qu'un obstacle involontaire ne peut enlever aucun mérite à l'homme, puisqu'il ne le rend coupable d'aucune faute. (Livre 4 Ch. 7)

 

Et durant la maladie

 

Celle-ci se plaignit de nouveau des obstacles suscités par la maladie, et le Seigneur lui dit:

-Siméon et Anne, (c'est-à-dire l'infirmité), t'empêchent d'entrer dans le temple pour prendre part à l'office divin, viens donc à l'écart, au mont du Calvaire, là tu trouveras gisant étendu un jeune et bel amant. 

Elle s'y rendit en esprit, et après avoir pendant quelque temps goûté de grandes délices dans le très doux souvenir de la Passion du Seigneur, il lui sembla qu'elle se dirigeait ensuite par une porte vers le nord pour entrer dans un temple magnifique. Là elle vit le bienheureux vieillard Siméon, debout devant l'autel. Il disait avec dévotion cette prière:

-Quand viendra-t-il? Quand le verrai-je! Crois-tu que je vivrai encore? Crois-tu que je verrai le jour de sa naissance?

Tandis qu'il répétait ces paroles et d'autres semblables, son esprit fut rempli de joie, et se retournant tout à coup, il vit la Bienheureuse Vierge debout devant l'autel. Elle tenait dans ses bras son petit Enfant Jésus, le plus beau parmi les fils des hommes. (Livre 4 Ch. 3)

 

1-8-Pour qui doit-on prier?

 

Il faut prier pour tous les hommes, et spécialement pour l’Église

Gertrude suppliait le Seigneur:

-En ces temps où le monde tout entier est sous l'empire du malin, je désire de tout cœur, pour expier ces crimes, promouvoir votre gloire en notre Congrégation; c'est pourquoi, si vous voulez... faire de moi votre héraut, j'annoncerai par quelle dévotion particulière les âmes pourraient en ces jours apaiser votre colère.

Le Seigneur répondit:

-A celui qui sera mon héraut, je céderai comme récompense tous les biens qu'il aura acquis pour moi.

Elle comprit alors que si une personne écrit ou enseigne avec intention de procurer la gloire de Dieu et le salut du prochain, le bien que tous ces travaux produisent durant la suite des âges augmente les mérites de cette âme, à cause de l'intention surnaturelle qui l'animait dès le début.  (Livre 4 Ch. 13)

Pendant le psaume 27: “Ad te, Domine, clamabo”, au verset: “Seigneur, sauvez votre peuple et sauvez votre héritage”, elle demanda au Seigneur une grâce de bénédiction pour toute l'Église, et il lui répondit: 

-Que veux-tu que je fasse, ô ma bien-aimée? car je me suis mis avec amour en ta puissance, comme sur la croix je me suis fait l'esclave des ordres de mon Père. Je ne pouvais descendre de la croix, puisque ce n'était pas sa volonté; et de même je ne puis maintenant vouloir autre chose que ce qui plaît à ton amour. Tu peux donc, par la puissance de ma Divinité, distribuer largement à chacun tout ce que tu désires. (Livre 4 Ch. 35)

 

1-9-Pourquoi les aridités dans la prière?

 

Après avoir passé presque toute la nuit sans sommeil, Gertrude  pria le Seigneur d'écarter cet obstacle, et de lui accorder, pour l'honneur et la gloire de Dieu, de jouir encore de ses faveurs. Le Seigneur lui répondit:

-Si tu veux alléger mon fardeau, il te faut nécessairement porter le tien et te placer à ma gauche afin que je puisse reposer sur ton sein, car lorsque je me repose sur le côté gauche, je repose sur le cœur, ce qui est un grand soulagement dans la fatigue. (Livre 4 Ch. 14)

 

Un enseignement précieux de Jésus sur l’aridité dans la prière et sur les consolations.

 

Jésus dit:

-Quelques-unes en effet, qui sont privées du don de la dévotion et désirent l'obtenir, me présenteront leur travaîl et leurs exercices extérieurs, et je les soulagerai en leur donnant la fleur qui a germé par le laborieux exercice de mon très saint corps.

- D'autres, qui goûtent avec abondance les douceurs de la dévotion, me présenteront l'affection de leurs désirs, et je les rafraîchirai par la fleur qui sort de l'ardent amour de ma très sainte âme.

- Quelques-unes enfin dont la volonté est unie à ma divine volonté, et qui, par cela même, ne font plus qu'un seul esprit avec moi, s'abandonneront tout entières à mon bon plaisir et seront à jamais embaumées par la fleur de ma très haute Divinité.  (Livre 4 Ch. 23)

 

1-10-Les bienfaits de la prière: une vision symbolique

 

En la fête de la dédicace de cette chapelle, Gertrude s'efforçait, quoique retenue sur sa couche, de réciter les Matines comme elle l'avait fait quelques années auparavant par une faveur spéciale de Dieu: elle souhaita que les neuf chœurs des anges vinssent encore suppléer à sa faiblesse et rendre à Dieu des louanges et des actions de grâces.

Il serait trop long de redire toutes les délices qu'elle goûta: elle vit un fleuve dont les eaux très pures et légèrement ondulées se répandaient à travers l'immensité des cieux. La lumière divine, semblable à un soleil resplendissant, se réfléchissait dans ces eaux, en sorte que les milliers d'ondulations qui en ridaient la surface brillaient comme autant de soleils. Ce fleuve signifiait la grâce de la dévotion qui lui était si largement donnée par le Seigneur, et l'ondulation des eaux figurait les pensées nombreuses qu'elle s'étudiait à diriger vers Dieu. 

Le Seigneur répondit:

-Est-il inutile qu'un père de famille remplisse ses celliers de vin, sous prétexte qu'il n'en goûte pas à tous moments? Non, car toutes les fois qu'il le désire, il peut en tirer à volonté et en boire autant qu'il le voudra. De même quand, à la prière de mes Élus j'accorde mes grâces à d'autres âmes, ces âmes peuvent ne pas ressentir aussitôt le goût de la dévotion; toutefois il est certain qu'elles éprouveront, en temps opportun, les effets de ma bonté. (Livre 4 Ch. 59)

 

2-L’Eucharistie

 

La plus grande des prières, c’est la célébration de la très sainte Eucharistie. Au temps où vivait sainte Gertrude d’Helfta, par excès de respect pour la présence du Seigneur, ou par scrupule, les fidèles communiaient rarement, y compris les religieux ou les religieuses. Et quand ils étaient autorisés à recevoir Jésus-Eucharistie, ils devaient se confesser et se préparer longuement. Gertrude a beaucoup souffert de ne pas pouvoir communier tous les jours, mais le Seigneur lui a appris à se consoler par la communion spirituelle:

 

2-1-La communion spirituelle

 

Ce jour-là Gertrude ne pouvait pas communier. Alors, le Seigneur la fit reposer avec une incroyable tendresse sur la blessure amoureuse de son sacré Côté, disant:

-Parce que tu t'abstiens aujourd'hui par discrétion de me recevoir corporellement, viens t'abreuver à la source mystique de mon cœur sacré, d'où s'écoule l'abondance très efficace de la suavité divine.

Elle comprit alors que si, après s'être préparé à la communion par des prières spéciales et autres dévotions, on s'abstient de communier par discrétion, humilité et obéissance, le Seigneur permet néanmoins que l'âme se désaltère au torrent de sa divine grâce, et les autres personnes qui reçoivent ce jour-là le Corps du Seigneur recueillent le fruit de cette préparation, en ce sens qu'elles sont rendues moins indignes d'un si grand mystère. Toutefois le bien que chacun en retire doit être attribué à celui qui, n'ayant pu communier, s'était cependant disposé de son mieux à le faire. Celle-ci dit alors:

-Ô Seigneur, si celui qui ne fait pas la sainte communion reçoit tant de biens, n'est-il pas mieux de s'en abstenir? 

Le Seigneur répondit:

-Aucunement; car celui qui, pour l'amour de ma gloire, se nourrit du divin sacrement, reçoit en vérité la très salutaire nourriture de mon corps déifié avec le nectar embaumé de la Divinité; de plus, il est orné par l'incomparable splendeur des vertus divines. 

Elle dit encore:

-Comment se fait-il, ô mon Seigneur, que certains, bien qu'ils s'estiment indignes et se préparent très peu, éprouvent cependant un si puissant attrait pour votre divin sacrement qu'ils ne s'en abstiennent jamais sans peine aux jours où la communion leur est permise?

Le Seigneur répondit:

-C'est parce que, enrichis d'une grâce spéciale, ils sont conduits par la douceur de mon esprit, comme le roi, accoutumé aux honneurs de son rang, trouve plus naturellement son plaisir à être entouré de cette gloire, qu'à errer dans les rues et sur les places publiques comme un enfant du peuple. (Livre 4 Ch. 13)

 

2-2-Comment prier après l’Eucharistie

 

Un Jeudi Saint, au moment de communier, Gertrude dit au Seigneur:

-Je vous offre, ô mon Dieu, les vœux de toutes les personnes qui se sont recommandées à mes indignes prières.

Il lui répondit:

-Tu as embrasé mon cœur d'autant de flammes d'amour que tu m'as présenté de personnes.

-Alors, veuillez m'enseigner, dit-elle comment je pourrai dignement prier pour toutes les âmes qui sont dans l'Église, et embraser davantage encore votre cœur sacré.

Et le Seigneur répondit:

-Si tu le désires, tu peux réaliser ce vœu de quatre manières:

            1-loue-moi d'avoir créé les êtres à mon image et à ma ressemblance;

            2-rends grâces pour les bienfaits que je leur ai accordés et ceux dont je les gratifierai encore;

            3-gémis avec douleur sur tous les obstacles qui ont fait opposition au cours de ma grâce ;

            4-prie pour toutes les âmes qui, selon les desseins de ma providence, se perfectionnent dans le bien afin de procurer ma louange et ma gloire. (Livre 4 Ch. 25)

 

2-3-Les effets de la communion

 

Dans une autre occasion elle reçut cette lumière: chaque fois que l'homme regarde avec amour et désir la sainte hostie qui contient sacramentellement le Corps du Christ, chaque fois il augmente ses mérites pour le ciel. En effet, dans la vision de Dieu, il goûtera autant de délices spéciales qu'il aura de fois sur la terre contemplé le Corps du Christ ou désiré au moins le voir. (Livre 4 Ch. 25)

 

3-La Passion de Jésus

 

Sainte Gertrude eut, surtout pendant les Vendredis-Saints, de nombreuses visions de la Passion du Seigneur. Nous en rapportons quelques-unes parmi les plus significatives.

 

3-1-Jésus quelques heures avant sa Passion

 

Une autre fois, en la même fête de la Cène du Seigneur, elle s'était recueillie pour vaquer uniquement à Dieu, lorsque le Seigneur se manifesta à elle, tel qu'il était sur la terre en ce jour si proche de sa mort Elle le vit, toute cette journée, dans l'abattement et les angoisses de la mort, car, étant la Sagesse éternelle de Dieu le Père, il savait d'avance ce qui devait lui arriver, et les souffrances à venir lui étaient présentes. Comme il avait reçu de la très pure Vierge sa mère une nature infiniment délicate, les craintes et les frayeurs l'accablèrent à toutes les heures de cette longue journée; la pâleur de son visage, le tremblement de ses membres manifestaient les angoisses de la mort, dont il goûtait à chaque instant les amertumes. Gertrude éprouva dans son âme le retentissement d'une telle douleur...

Elle sentit aussi que les battements violents de son cœur, provoqués par le désir, l'amour et l'angoisse de la mort, frappaient à coups redoublés le cœur de Jésus si doux et si rempli de béatitude, et l'impétuosité de ces battements la dominaient à ce point qu'elle était près de défaillir.

Le Seigneur lui dit alors:

-Maintenant que je ne puis plus mourir, la souffrance ne m'atteint pas; mais l'amour qui m'animait au temps de ma vie mortelle, lorsque je supportais dans mon corps les angoisses, les souffrances et les amertumes de la Passion et de la mort, je l'ai éprouvé aujourd'hui dans ton cœur, qui tant de fois a été pénétré de compassion au souvenir des douleurs que j'ai endurées pour le rachat de tous les élus. Aussi, pour récompenser la tendre compassion dont tu m'as entouré, et pour augmenter ton éternelle béatitude, je te donne tout le fruit de ma sainte Passion et de ma mort très précieuse... (Livre 4 Ch. 25)

 

3-2-Comment se préparer pour célébrer la Passion

 

Le dimanche où l'on commence à honorer plus spécialement la Passion du Seigneur, comme Gertrude venait de s'offrir tout entière à Dieu pour souffrir et accomplir en son âme et en son corps tout ce qui plairait à la divine volonté, le Seigneur parut accepter cette offrande avec une ineffable reconnaissance. Elle dit:

-Ô mon Seigneur, enseignez-moi à vous glorifier en célébrant votre sainte Passion avec cette innocence dont votre bonté toute gratuite a daigné m'enrichir!

Le Seigneur répondit:

-Considère souvent en toi-même, avec reconnaissance et compassion, l'angoisse qui me plongea dans une suprême agonie pendant laquelle, moi, ton Créateur et ton Maître, je prolongeai ma prière, rappelle-toi cette sueur de sang dont j'arrosai la terre, sous la véhémence de mes désirs et de mon amour; et enfin confie-moi toutes tes œuvres et tout ce qui te concerne en union avec cette soumission qui me faisait dire à mon Père: Père, que votre volonté se fasse et non la mienne.  Accepte la prospérité ou l’adversité parce que c'est mon divin amour qui dispose toutes choses pour ton salut. Reçois avec reconnaissance la prospérité que mon amour condescendant accorder à ta faiblesse, afin que tu te souviennes de l'éternelle félicité et que tu apprennes à l'espérer. Reçois aussi l'épreuve, en t'unissant à cet amour paternel qui m'engage à te l'envoyer, afin que par elle tu puisses acquérir les biens de l'éternité.   (Livre 4 Ch. 22)

Efforçons-nous donc, avec toute l'affection de notre âme et de notre cœur, d'offrir au Seigneur des témoignages d’amour lorsque nous apprendrons qu'il a reçu quelque injure. Si nous ne pouvons le faire avec autant d'affection que celle dont nous parlons, offrons lui du moins la volonté et le désir de posséder un amour parfait, le désir et l'amour qui portent vers lui toute créature. Ensuite ayons confiance, car la généreuse bonté de Dieu ne méprise pas les humbles présents de ses pauvres, mais elle les accepte au contraire et les rend au centuple, selon les richesses de sa miséricorde et de sa douceur. (Livre 4 Ch. 22)

 

3-3-La flagellation

 

Vers l'heure de Tierce, le Seigneur Jésus lui apparut, tel qu'il était quand on l'attacha à la colonne pour le flageller: deux bourreaux se trouvaient là, un le frappait avec des épines, l'autre avec un fouet noueux. Tous deux s'attaquaient au visage de Jésus, ce qui mettait sa très sainte face dans un état si pitoyable, que le cœur de celle-ci se fondit à cette vue. Elle fut émue d'une si profonde compassion, que pendant toute cette journée, elle ne pouvait retenir ses larmes quand ce spectacle se présentait à sa mémoire. Elle était persuadée que nul homme sur la terre n'eut jamais un aussi triste aspect que celui du Seigneur en ce moment. En effet, le côté du visage frappé par les épines lui parut tellement déchiré, que la prunelle de l’œil n'était même pas épargnée, tandis que l'autre côté était devenu livide et gonflé sous les coups du fouet noueux.

Dans l'excès de sa douleur, le Seigneur détournait sa face; mais s'il se dérobait à un bourreau, c'était pour être frappé plus cruellement par l'autre. Se tournant alors vers celle-ci, il lui dit:

-N'as-tu pas lu qu'il est écrit de moi, dans le Livre d’Isaïe (53, 2,4): “Nous l'avons vu comme un lépreux...”?

-Ah ! Seigneur, répondit-elle, comment pourrait-on calmer ces douleurs cruelles de votre très douce face?

Le Seigneur répondit:

-Celui qui se sentira touché d'amour en méditant ma Passion, et priera pour les pécheurs, m'apportera un remède excellent qui adoucira toute ma souffrance.

 

Signification de la flagellation

 

Gertrude explique ensuite que les deux bourreaux représentent, d'un côté les laïcs qui pèchent publiquement et frappent ainsi le Seigneur avec des épines, et de l'autre, certains religieux qui frappent le Seigneur avec des fouets d'autant plus noueux qu'ils pèchent davantage contre leur Règle; mais les uns et les autres le frappent à la face, parce qu'ils ne rougissent pas de déshonorer les regards du Dieu qui règne dans les cieux. Elle comprit aussi que la Passion du Seigneur est relatée dans l'Évangile, afin que les élus du Christ se la rappellent avec amour, tant pour l'honneur de Dieu que pour le bien de l'Église.

La douloureuse flagellation du Seigneur, telle qu'elle la vit en ce jour, est mentionnée deux fois dans le texte sacré.  (Livre 4 Ch. 15)

 

3-4-Comment s’unir à la Passion du Seigneur?

 

Le Seigneur se plaignait à Gertrude du fait qu’il n’était pas dans les habitudes des moniales, ses sœurs, d'accomplir leurs bonnes œuvres en souvenir de sa Passion. Gertrude demanda:

-Comment, très aimé Seigneur, devons-nous agir pour vous être agréables?

 Le Seigneur répondit:

-Vous devez vous unir à ma Passion pour pratiquer les jeûnes, les veilles et toutes les observances de votre Règle. De plus, celui qui mortifie ses sens doit penser à l'amour qui a retenu tous mes sens aux heures de ma Passion. D'un seul regard j'aurais pu terrasser mes ennemis ou convaincre d'un seul mot tous mes contradicteurs; mais comme la brebis qu'on mène à la boucherie (Isaïe, 53, 7), j'ai incliné la tête et baissé les yeux. Devant le juge je n'ai pas ouvert la bouche pour opposer une parole d'excuse à toutes les fausses accusations qui s'élevaient contre moi. 

Gertrude dit encore:

-Ô le meilleur des Maîtres, veuillez m'enseigner une pratique en l'honneur de votre sainte Passion.  Le Seigneur répondit:

-Prie les bras étendus afin de présenter à Dieu le Père une image de ma Passion et que cette prière soit offerte pour l'Église universelle, et en union avec cet amour qui m'animait lorsque j'étendis les bras pour me laisser attacher à la croix.

Puis, curieusement, Gertrude demanda:

-Ô Seigneur, pourquoi avez-vous choisi saint Jean pour écrire ces notes, plutôt que saint Benoît, à l'Ordre duquel appartient notre monastère, ou que tout autre saint? Le Seigneur répondit: 

-J'ai donné cette fonction à mon disciple bien-aimé, parce que c'est lui qui a le plus écrit sur l'amour de Dieu et du prochain: on peut avoir confiance en lui pour seconder les desseins de la libéralité divine et pour procurer votre bien. (Livre 4 Ch. 16)

 

3-5-Permanence des mérites de la Passion du Seigneur

 

La nuit suivante Gertrude reçut d’autres enseignements:

 

3-5-1-Jésus est l’Ami fidèle

 

Le Seigneur Jésus lui apparut siégeant sur le trône de sa gloire. Saint Jean l'évangéliste écrivait, assis à ses pieds. Celle-ci demanda à l'apôtre ce qu'il écrivait.

Le Seigneur, prenant la parole, répondit:

-Je fais noter soigneusement les hommages que j'ai reçus hier de cette Congrégation, et ceux que j’en recevrai encore les deux jours prochains. Le Père m'ayant remis tout jugement, je veux récompenser chacune, après sa mort, de la peine qu'elle aura prise pour pratiquer les bonnes œuvres. En vertu des mérites de ma Passion et de ma mort, j'ajouterai aux actions de ces âmes une mesure pleine et pressée qui les relèvera admirablement. Ensuite je les conduirai devant mon Père avec la somme complète de leurs bonnes œuvres, afin que dans sa puissante et paternelle bonté il ajoute encore une autre mesure pressée et débordante, pour les hommages de réparation qu'elles m'ont rendus en ces jours où les mondains m'offensent. Je suis l'ami le plus fidèle et ne puis omettre de récompenser ceux qui m'ont fait du bien. Puis-je faire moins que le roi David? (Livre 4 Ch. 16)

 

3-5-2-L’offrande de Jésus sur la Croix

 

Le Seigneur lui dit:

-Si tu crois que j'ai été offert sur la croix à Dieu le Père parce que je l'ai ainsi voulu, crois aussi fermement que je désire encore m'offrir chaque jour pour tout pécheur avec autant d'amour que je me suis immolé pour le salut du monde entier. C'est pourquoi tout homme, bien qu'il se sente accablé sous l'énorme poids de ses crimes, doit espérer le pardon par l'offrande de ma Passion et de ma mort. Il est assuré d'obtenir le fruit salutaire de la rémission, car il n'existe pas sur la terre de remède plus efficace contre le péché, que le souvenir amoureux de ma Passion accompagné de la pénitence et d’une foi sincère.  (Livre 4 Ch. 25)

 

3-5-3-J’ai soif!

 

Pendant la lecture de la Passion, à ces paroles: “J'ai soif!”, le Seigneur présenta à celle-ci un calice d'or, destiné à recevoir les larmes de son amour. Elle sentit alors que son cœur, en quelque sorte liquéfié, était prêt à répandre des larmes. Elle les retint toutefois, autant par discrétion que pour ne pas dévoiler le secret de sa tendresse. et demanda au Seigneur si cette conduite lui était agréable. Alors un ruisseau très pur parut jaillir du cœur de celle-ci jusque dans la bouche du Seigneur, tandis qu'il lui répondait:

-C'est ainsi que j'attire à moi les larmes de dévotion que l'on retient par un motif aussi pur.  (Livre 4 Ch. 26)

 

3-6-Pourquoi la souffrance humaine

 

À partir de cette parole de Jésus: “j’ai soif!” il faut parler de la souffrance humaine, notre souffrance que nous ne comprenons pas toujours. Nous ne pouvons oublier, en effet, que pendant de nombreuses années, Gertrude participa très étroitement aux affres de la Passion de Jésus. Et parfois, gémissante de douleur, elle recherchait des soulagements. Mais, pourquoi tant de souffrances? Et puis, avait-elle le droit d’accepter des soulagements?

 

3-6-1-Les concupiscences et les tentations

 

Le péché originel blessa profondément la nature humaine rendue faible et en butte aux tentations du démon. Nous savons que si nous succombons aux tentations, tôt ou tard des conséquences douloureuses se feront sentir. Nous voyons donc combien les concupiscences, c’est-à-dire nos faiblesses charnelles, les tentations et les souffrances sont liées. Mais pourquoi les tentations, et comment se manifestent-elles?

Ce sont les tentations qui entraînent les chutes; or, toutes les chutes, à plus ou moins long terme, se révélent toujours douloureuses. La souffrance est née du péché, et pécher, c’est préférer à Dieu l’objet de la tentation: c’est dire “non” à l’amour de Dieu, c’est se séparer de Dieu. La souffrance est la conséquence du péché originel, lorsque Adam et Ève, après leur chute, furent chassés du Paradis. Le Seigneur Lui-même instruisit Gertrude sur la façon dont Il avait su résister à la tentation, pour l’inviter à faire de même.

Le Fils de Dieu plaça ensuite devant elle [4], sous la forme de trois mets différents, ses trois victoires dont parle l'Évangile de ce jour [5]. Elle devait en retirer un antidote salutaire pour combattre les trois inclinations vicieuses qui entraînent les hommes :

- la concupiscence de la chair ou la recherche des plaisirs des sens ;

- la concupiscence des yeux ou le désir des richesses et des honneurs;

- l'orgueil de la vie ou l'amour de sa propre excellence.

Dans la première victoire du Seigneur sur Satan: “l'homme ne vit pas seulement de pain...” celle-ci [6] trouva dans cette glorieuse victoire l'expiation de toute délectation naturelle, et aussi la force de résister à tout attrait de ce genre.

Dans la seconde victoire du Seigneur, l'âme trouva le pardon de toutes les fautes commises par son libre consentement, et aussi la force de résister désormais.

La troisième victoire du Seigneur donna à l'âme le pardon des fautes qu'elle avait commises par concupiscence, en désirant avoir ce qu'elle n'avait pas; elle lui donna aussi la force de résister à toute convoitise. (Livre 4 Ch. 17)

 

3-6-2-Valeur de la souffrance et de ses soulagements

 

Parfois Gertrude, malade et trop douloureuse s’inquiétait auprès du Seigneur: pouvait-elle soulager ses souffrances? Le Seigneur répondit à cette importante question en évoquant le vin mêlé de fiel qui lui fut offert sur la Croix:

-Dans cette coupe qui me fut offerte, considère trois choses. Elle contenait d'abord du vin: accomplis tous tes actes avec joie et pour ma plus grande gloire. Il s'y trouvait aussi de la myrrhe: reçois donc les soulagements avec intention de souffrir plus longtemps pour ma gloire; c'est là le sens de la myrrhe qui préserve de la corruption. Enfin le fiel y était aussi mélangé, pour t'enseigner à demeurer volontiers sur la terre, privée des joies de ma douce présence, aussi longtemps qu'il me plaira. Quand les soulagements sont pris dans cette intention, ils ont pour moi le même effet que si un ami acceptait de boire tout le fiel présenté à son ami, et lui offrait en échange le nectar le plus exquis. (Livre 4 Ch. 23)

 

3-7-À propos de la vénération de la Croix et d’autres objets sacrés

 

3-7-1-La vénération des reliques liées à la Croix

 

Comme elle assistait ensuite à la Messe, le Seigneur daigna l'instruire:

-Vois, dit-il, quels exemples je propose à mes élus dans ces honneurs rendus à la croix. J’élève la croix, la couronne d'épines, la lance et les clous qui ont servi à mon supplice à une plus grande dignité que les autres objets créés qui ont servi aux besoins de mon corps, tels que les vases où je fus baigné dans mon enfance, etc... et je désire que ceux que j'aime particulièrement imitent cette conduite: c'est-à-dire que pour ma gloire et leur bien personnel, ils témoignent une plus grande affection à leurs ennemis qu'à leurs amis, parce qu'ils en retireront incomparablement plus de profit.

Mais s'il arrive qu'étant offensés, ils oublient au moment même de rendre le bien pour le mal, et que plus tard seulement ils s'efforcent de répondre aux offenses par des bienfaits, ils ne laisseront pas que de me présenter une offrande très agréable, car j'ai moi-même laissé quelque temps ma croix cachée en terre afin de l'exalter ensuite.

Le Seigneur ajouta:

-C'est aussi à cause de mon amour pour le salut du monde, que j'aime tant la croix, car c'est par elle que j'ai obtenu l'objet de mes plus ardents désirs: la Rédemption du genre humain. Ainsi en est-il des hommes dévots qui revoient avec plus d'affection les lieux et les jours où ils ont mérité de recevoir la grâce en plus grande abondance. (Livre 4 Ch. 52)

 

3-7-2-Le calice

 

En ce jour de l'Exaltation de la sainte Croix, comme elle offrait au Seigneur, à l'élévation du calice, les épreuves que la Congrégation venait de subir [7]  elle reçut cette réponse:

-Je boirai, oui, je boirai ce calice que la ferveur de vos désirs et de votre dévotion a rempli d'une si grande douceur. Chaque fois que vous me l'offrirez, je ne me lasserai pas d'y boire, jusqu'à ce que vous m'ayez enivré au point de me rendre prêt à exaucer tous vos vœux. 

Et comme celle-ci disait: “Seigneur, comment pourrons-nous vous offrir ce calice?” il daigna lui répondre que chacun, en confessant sa misère, devait le présenter au Seigneur comme une éternelle louange; on devait regretter de n'avoir pas désiré le Seigneur avec la ferveur convenable, et se disposer à ressentir volontiers jusqu'au jour de la mort, toute l'ardeur qu'un cœur humain pourrait éprouver en désirant le Corps du Seigneur: de cette façon on offrirait à Dieu un calice dont le contenu surpasserait en douceur le nectar et le baume.  (Livre 4 Ch. 52)

 

3-7-3-L’Écriture sainte est la meilleure relique

 

Le Seigneur, il daigna lui dire:

-Si tu veux avoir des reliques qui puissent attirer efficacement mon Cœur vers celui qui les possède, lis le récit de ma Passion, et considère avec soin les paroles que j'ai dites avec un plus grand amour. Écris-les et garde-les comme des reliques. Médite-les souvent et tu mériteras ainsi de recevoir mes grâces plus facilement que par tant d'autres reliques... Tu peux donc croire que les reliques les plus précieuses que l'on puisse avoir de moi sur la terre, ce sont les paroles qui expriment la plus douce affection de mon Cœur. (Livre 4 Ch. 52)

 

4-La Résurrection et le Saint-Esprit

 

4-1-Conséquences de la Résurrection du Seigneur

 

Un jour de la fête de sa Résurrection Jésus lui dit:

Quant à cette parole que Dieu dit par la bouche du prophète: “À quelque heure que le pécheur se convertisse”, on doit la comprendre ainsi: le Seigneur ne jugera plus les péchés effacés par une digne pénitence, mais toutes les taches de nos fautes apparaîtront à jamais en nous pour la louange et la gloire de cette très douce miséricorde, qui pardonne avec tant de bonté aux cœurs repentants, et nous prodigue ses bienfaits comme si nous ne l'avions jamais offensée. De même toutes les bonnes œuvres que nous avons faites pour l'amour et la louange de Dieu s'épanouiront éternellement à la gloire de Celui qui nous a donné la grâce et le secours pour les accomplir, afin d'accroître notre béatitude. Aussi, nous louerons les uns pour les autres, et nous aimerons à jamais ce Dieu qui vit et règne dans la Trinité parfaite et opère toutes choses en tous. (Livre 4 Ch. 26)

 

4-2-La Résurrection, c’est le salut des âmes

 

Pendant une nuit pascale, en la nuit sacrée de la très glorieuse Résurrection du Seigneur, comme elle priait avant Matines avec grande dévotion, le Seigneur Jésus lui apparut plein d'éclat et de charmes, dans la gloire de sa divine majesté et dans la splendeur de son immortalité. Alors le Seigneur, avec une ineffable bonté, lui fit voir la multitude d'âmes qui venaient d'être délivrées de leurs peines, et lui dit:

-Je les donne toutes en dot à ton amour. On verra éternellement dans le Ciel qu'elles ont été délivrées par tes prières, et devant tous mes saints, tu jouiras à jamais de cet honneur. 

Elle dit alors:

-Quel est le nombre de ces âmes?

Le Seigneur répondit:

-La science de ma Divinité en connaît seule le nombre.

Et comme elle comprit que ces âmes, bien que délivrées des peines, n'étaient pas encore en possession des joies éternelles, elle s'abandonna à la divine bonté, pour souffrir dans son corps et dans son âme tout ce que le Seigneur voudrait, afin d'obtenir pour elles la complète béatitude. Cette offrande fléchit le Seigneur, et, à l'heure même, ces âmes entrèrent en possession des joies du ciel. Elle reprit:

-Ô mon Seigneur, bien que ce soit par un effet de votre grâce que je vous consacre ma volonté, je crains toutefois, par suite de l'inconstance humaine, d'oublier mon offrande. 

Le Seigneur répondit:

-Peu importe, puisque ma main n'abandonnera pas le sceptre qui m'a été offert, mais que je le conserverai toujours comme un gage et un souvenir de ton amour pour moi. Et chaque fois que tu renouvelleras la même intention, ce sceptre se couvrira de belles fleurs et de pierres précieuses.   (Livre 4 Ch. 26)


[1] Sainte Gertrude d’Helfta.
[2] Gertrude d’Helfta.
[3] Gertrude.
[4] Gertrude.
[5] Les tentations de Jésus après son jeûne de quarante jours.
[6] Gertrude.
[7] L’interdiction de recevoir les sacrements

    

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