Gervais et Protais
Martyrs, Saints
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La vie et le martyre des bienheureux frères Gervais et Protais sera prise d'une épitre que saint Ambroise, archevêque de Milan et docteur de l'Église, écrivit aux évêques catholiques d'Italie, leur rendant compte de la faveur que Dieu lui avait faite en la découverte des corps des saints martyrs par le moyen d'une révélation qu'il eut.

Le carême passé, dit ce saint docteur, Dieu m'ayant fait la grâce d'avoir jeûné et d'être compagnon des autres chrétiens qui jeûnèrent, pendant que j'étais en oraison, le sommeil me saisit, de telle sorte pourtant que je n'étais ni éveillé ni endormi : ouvrant donc les yeux, je vis deux jeunes hommes vêtus de robes plus blanches que la neige, qui étaient en oraison les mains étendues. Comme j'étais assoupi, je ne pus leur parler, jusqu'à ce que m'étant bien réveillé, cette vision disparut. J'eus recours à Dieu et le suppliai que si c'était une illusion diabolique, il la rejetât loin de moi; mais que si c'était une révélation, il lui plût de me la manifester : et afin d'obtenir cette faveur de la Majesté divine, je redoublai mon jeûne.

Une autre nuit les mêmes jeunes hommes m'apparurent en la même façon que la première fois : et la troisième nuit, étant bien éveillé, parce que le jeûne m'empêchait de dormir, ils se représentèrent à moi, et avec eux une autre personne vénérable, qui ressemblait de visage à saint Paul, dont j'avais un portrait chez moi. Eux se taisant, le vieillard me parla en cette sorte : Voici ceux qui suivant mes remontrances ont méprisé les richesses, les héritages et les biens de la terre, dont ils n'ont rien prétendu pour imiter Jésus-Christ; ils ont persévéré dix ans continuels en cette ville de Milan au service de Dieu, avec tant de ferveur, qu'ils ont mérité la couronne du martyre. Leurs corps tout ici où tu es. Tu bêcheras douze pieds en terre, puis tu trouveras un coffre couvert, où sont leurs corps ; tire-le et le mets en un lieu éminent et honorable, et fais construire une église au nom de ces saints.

Je lui demandai leur nom et il me répondit : Tu trouveras un papier à leur chevet, et la révélation de ce qu'ils ont été dès le commencement jusqu'à la fin de leur vie.

Je convoquai tous mes frères, les évêques circonvoisins, et leur rendis compte de ce que j'avais vu; puis, prenant le premier un hoyau, je commençai à fouiller la terre ; et les autres firent comme moi, en sorte que nous trouvâmes le coffre que le saint apôtre nous avait dit. Nous l'ouvrîmes, et vîmes les saints aussi frais, leurs corps aussi vifs et aussi colorés que si on n'eût fait que de les y mettre alors. Il en sortait une très-suave odeur, et le papier qui fut trouvé sous leur chevet était écrit en ces termes-ci :

« J'ai, Philippe, serviteur de Jésus-Christ, assisté de mon fils, dérobé les corps de ces saints et les ai ensevelis dans ma maison. Leur mère s'appelait Valérie, et leur père Vital. Ils naquirent d'une même couche et furent nommés Gervais et Protais. Leurs parents, saint Vital, martyr, et sainte Valérie étant décédés, après avoir hérité de tous leurs biens, ils vendirent la propre maison où ils étaient nés, avec tous leurs autres biens, et en distribuèrent l'argent aux pauvres, ainsi qu'à leurs esclaves, auxquels ils donnèrent la liberté ; puis, s'étant enfermés en une chambre pour s'adonner à la lecture et à l'oraison, ils y demeurèrent dix ans, ne vaquant à autre chose qu'à servir Dieu, et, le onzième, ils acquirent la couronne du martyre.

En ce temps-là, un comte, nommé Astase, allait à la guerre contre les Marcomans (qui sont les peuples de la Moravie). Les prêtres, sortant de leurs temples au-devant de lui, lui dirent que s'il voulait remporter la victoire de ses ennemis, il contraignit Gervais et Protais, qui étaient chrétiens, de sacrifier aux dieux immortels, qui étaient irrités contre eux, à cause qu'ils leur dévoient l'adoration qui leur était due; qu'à cause de cela ils ne voulaient plus répondre à leurs demandes, ni départir aux peuples la faveur ordinaire de leurs oracles.

« Astase les fit chercher, et les ayant fait venir devant lui, il les pria qu'ils lui accordent ce contentement, et lui fissent ce plaisir de sacrifier aux dieux avec lui, pour le bon succès de son expédition, afin qu'il pût mettre fin à cette guerre comme il désirait, et que la victoire qu'il espérait de remporter fût célèbre par tout l'empire romain. Gervais lui répondit : La victoire, ô Astase ! se donne par le vrai Dieu du ciel; c'est de lui que vous devez espérer, et non de ces vaines statues de vos dieux, qui ont des yeux et ne voient pas, des oreilles et n'entendent point, un nez et ne flairent point, une bouche sans parler, des pieds sans se remuer, et qui n'ont esprit, ni vie, ni respiration.

« Astase ne prit pas plaisir à ce discours si hardi de Gervais : il le fit fouetter sur-le-champ avec des cordes plombées jusqu'à ce qu'il expirât. Gervais en ce tourment rendit son âme à Dieu.

Après avoir fait enlever de là son saint corps, Astase fit appeler Protais et lui dit : Malheureux, prends garde à toi, ne sois pas si fol que ton frère.

« Protais lui répondit : Qui est le plus misérable de nous deux, de toi qui me crains, ou de moi qui ne te crains en rien?

« — En quoi te crains-je, dit Astase, pauvre infortune!

« — Si tu ne me craignais point, dit le saint, tu ne me presserais pas si fort de sacrifier à tes dieux, et ne croirais pas que si je ne le fais, il t'en arrivera quelque perte dommageable. Mais parce que je ne te redoute aucunement, je ne me soucie pas de tes menaces, et ne fais non plus d'état de tes dieux que de la boue. J'adore ce seul Dieu qui règne aux deux.

« Astase, entendant cela, le fit battre avec des bâtons de nœuds, et après qu'il l'eut longtemps battu, il le lit lever, et lui dit : Protais, pourquoi es-tu si superbe et si rebelle? Tu veux mourir comme ton frère ?

« Le saint martyr répondit doucement : Je ne me fâche pas contre toi, Astase ! parce que je vois l'aveuglement de ton cœur, qui ne le permet pas de regarder les choses qui sont de Dieu. J'ai appris de Jésus-Christ qu'il ne dit pas un seul mot contre ceux qui le crucifiaient; au contraire, il pria son Père de leur pardonner, d'autant qu'ils ne savaient pas ce qu'ils faisaient. Et moi, suivant cet exemple, ô comte Astase! J’ai grande compassion de ce que lu ne sais peu ce que tu fais. Achève, je te prie, ce que tu as commencé, afin que je puisse jouir, conjointement avec mon frère Gervais, de la présence de Jésus-Christ.

« Le comte lui fit trancher la tête : et moi, Philippe, serviteur de Jésus-Christ, avec mon fils, je pris secrètement la nuit les corps de ces saints jumeaux, et les emportai en mon logis, où, n'ayant que Dieu pour témoin, je les mis en une auge de pierre que j'enterrai en ce lieu, espérant par leur intercession d'obtenir miséricorde de Notre-Seigneur, qui avec le Père et le Saint-Esprit vit et règne aux siècles des siècles. -

Voilà les termes de la lettre que saint Ambroise écrivit aux évêques d'Italie. Il en écrivit aussi une autre à sa sœur, où il lui mande que les corps des deux saints qu'il trouva étaient fort grands et d'une merveilleuse stature : et que, quand on les transporta en l'église Ambrosienne, ils guérirent un aveugle. Il envoya encore à sa sœur deux sermons qu'il prêcha à tout le peuple de Milan, où il rapporta plusieurs miracles que Dieu avait opérés par eux; il y reprend les hérétiques ariens, qui ne le croyaient pas, se montrant plus obstinés que les diables mêmes, qui étaient chassés des corps par la vertu des reliques de ces saints frères, et confessaient être tellement tourmentés en leur présence, qu'ils n'y pouvaient demeurer.

Saint Augustin était à Milan lorsque les corps de ces glorieux martyrs furent découverts; et aux livres de la Cité de Dieu, il fait mention d'un aveugle qui recouvra la vue par leur moyen. En ses Confessions, il remarque que Notre-Seigneur fit ces miracles pour réprimer la fureur de l'impératrice Justine, mère de Valentinien le Jeune; laquelle, pour favoriser les ariens, persécutait tellement saint Ambroise, qu'elle prétendait le chasser de son siège et de la ville de Milan. Voici ce qu'en dit saint Augustin :

En ce même temps vous révélâtes à votre saint prélat l'endroit où étaient enterrés les corps des martyrs Gervais et Protais, que vous aviez préservés tant d'années de la corruption, dans les trésors de votre divin conseil, pour les découvrir à propos, et rembarrer la rage d'une femme et reine mère. Car ces corps ayant été révélés et lires dehors, comme on les portait à l'église de Saint-Ambroise avec beaucoup d'honneur et de respect, les possédés étaient non-seulement délivrés, par la confession des diables mêmes qui les tourmentaient; mais aussi un habitant bien connu en la ville, gui était aveugle il y avait plusieurs années, entendant le bruit et la joie de toute la ville, commença à sauter d'aise, et fit tant qu'on lui permit de toucher avec son mouchoir le cercueil de vos saints, dont la mort est précieuse en votre divine présence. L'ayant touché, il mit le linge sur ses yeux, qui furent aussitôt ouverts. Le bruit de ce miracle se répandit incontinent par toute la ville, qui se mit à chanter vos louanges et à brûler de votre amour : et le courage de lu méchante impératrice, encore qu'elle ne s'en convertît ni ne s'amendât pas fut ébranlé et détourné de la persécution de votre serviteur, et sa fureur fut apaisée.

Saint Grégoire de Tours écrit avoir ouï dire, que, comme l'on faisait la translation des corps de ces deux saints, pendant que l'on chantait la messe en l'église, il tomba un ais du haut de la voûte, qui donna sur les tètes des saints, lesquelles jetèrent un ruisseau de sang qui rougit les deux linceuls dont ils étaient enveloppés; que l'on en recueillit en quantité; de sorte que plusieurs églises de France furent enrichies de leurs reliques, et que le bienheureux saint Martin en eut une bonne partie, ainsi que l'écrit saint Paulin en une épitre. Saint Grégoire dit qu'il le rapporte exprès, parce que cela n'était pas écrit en l'histoire de leur martyre.

Il est certain qu'une illustre dame, nommée Vestiane, leur fit bâtir une église, qui fut dédiée par le Pape Innocent Ier, dont saint Grégoire fait mention. Saint Gaudence, évêque de Bresse, et saint Paulin, évêque de Noie, en firent bâtir d'autres et y mirent des reliques de ces saints. On en emporta jusqu'en Afrique, comme dit saint Augustin. Leur martyre arriva le 19 de juin, jour où l'Église célèbre leur fête.

 

 

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